Les migrations : formes et implications sur le marché du travail
p. 127-168
Texte intégral
Introduction
1Étudier les migrations à la Réunion soulève deux difficultés conceptuellement différentes. La première est celle de la mesure des mouvements migratoires. Nous consacrons à cette question une note méthodologique en annexe qui propose un inventaire détaillé des différentes sources de données mobilisables mais qui indique aussi leurs limites. La seconde difficulté réside dans la spécificité des migrations réunionnaises, qui s’apparentent à la fois à des migrations internes et à des migrations internationales. Les flux les plus importants concernent en effet les échanges avec la métropole et de ce fait correspondent d’un point de vue légal à des migrations internes. D’un autre point de vue, ces migrations ont de nombreuses caractéristiques en commun avec les migrations internationales en raison de l’éloignement géographique entre la zone de départ et la zone d’arrivée. Parmi ces similarités, on peut citer le coût financier de la migration, l’altération des liens avec la zone d’origine ou encore les difficultés d’intégration sur place.
2Si la quasi-totalité des migrants au départ ou à l’arrivée dans le département de la Réunion sont des citoyens ayant la nationalité française1, une analyse plus fine devra prendre en compte le lieu de provenance de ces individus nés en métropole, dans un autre DOM-TOM ou bien encore dans les anciennes colonies françaises, comme Madagascar ou les Comores. Aussi, afin de distinguer ces différentes populations venant s’installer à la Réunion ou quittant l’île, nous utiliserons le critère du lieu de naissance des individus pour déterminer les populations migrantes.
3Dans une première partie de ce chapitre, nous analyserons les flux migratoires entre la Réunion et la métropole, les DOM-TOM mais aussi avec le reste du monde. Nous constaterons que l’île n’a pas été épargnée par le développement général des échanges internationaux depuis les années 1980. Dans une deuxième partie, nous étudierons les caractéristiques des populations migrantes et analyserons notamment la relation migration/travail en mesurant l’impact que peut avoir la migration sur l’accès à l’emploi à partir d’une analyse des taux d’emploi des populations migrantes et non migrantes. Cela se fera en deux temps, d’abord par l’analyse de la situation des immigrants à la Réunion, puis des émigrants réunionnais à l’extérieur.
Analyse des flux migratoires
Le solde migratoire intercensitaire
4Traditionnellement, dans les pays qui ne possèdent pas d’enregistrement des entrées et sorties aux frontières, le solde migratoire de la population est estimé à partir des données des recensements de la population et des chiffres de l’état civil. La méthode de calcul sur une période intercensitaire donnée consiste à retrancher les mouvements naturels (naissances - décès) à l’accroissement total entre deux dates de recensements et à en déduire un solde migratoire intercensitaire. Le tableau 1 indique le solde migratoire intercensitaire à la Réunion depuis 19542.
5De 1954 à 1982, la différence entre les départs et les arrivées à la Réunion s’est progressivement accrue pour atteindre un solde migratoire maximum de -33 500 personnes entre 1974 et 1982. À partir de 1981, l’émigration chute fortement pour deux raisons fondamentales. La première est le changement de la politique d’émigration avec la fin du Bumidom (Bureau pour le développement des migrations intéressant les départements d’outre-mer) et la création de l’ANT3 (Agence nationale pour l’insertion et la promotion des travailleurs originaires d’outre-mer). La seconde raison est l’essoufflement de la dynamique d’émigration spontanée dans un contexte où les conditions d’intégration des migrants en métropole se faisaient plus difficiles. La crise économique du milieu des années 1970 et la croissance du chômage en métropole vont en effet entraîner une modification des comportements au départ de la Réunion et, peu à peu, la solution de l’émigration perd de son attrait aux yeux de la population réunionnaise. Dans le même temps, le nombre des arrivées dans le département ne cesse d’augmenter en raison de la mise en place de la départementalisation et des besoins en main-d’œuvre qualifiée.
6Après avoir été constamment négatif de 1954 à 1982, le solde migratoire réunionnais est devenu positif depuis 1982 en raison de la conjugaison de la baisse des départs et de l’augmentation des arrivées. Légèrement positif entre 1982 et 1990 (+ 2 900), le surplus des arrivées sur les départs s’est accentué entre 1990 et 1999 pour atteindre un niveau jamais atteint depuis la départementalisation (+ 16 300 individus).
Le solde migratoire selon le lieu de naissance
7L’approche des soldes intercensitaires globaux résume des mouvements de sens contraire qui se compensent. Les mouvements opposés des natifs de la Réunion qui émigrent vers l’extérieur et des métropolitains et des étrangers4 qui au contraire immigrent à la Réunion n’apparaissent pas dans le solde migratoire global. Pour mieux comprendre la dynamique des migrations à la Réunion, la distinction entre ces sous-populations est pourtant nécessaire. Il faut pour cela calculer un solde migratoire comme précédemment, en distinguant la population des natifs de la Réunion de celle des personnes nées en dehors de l’île5. Dans cette dernière catégorie, nous distinguerons la population née en métropole de celle des personnes nées à l’étranger ou dans un autre DOM-TOM6.
8Depuis 1954, le solde migratoire intercensitaire estimé pour les natifs de la Réunion est constamment négatif. Dès le début des années 1960, l’État instaure dans les DOM une politique volontariste d’engagement au départ vers la métropole, principalement pour répondre aux difficultés d’insertion économique de jeunes arrivant en nombre important sur un marché du travail ne pouvant tous les accueillir. Le Bumidom, créé à cette fin, prenait en charge l’organisation des départs. Le maximum de départs a été enregistré au cours de la période 1974-1982, avec en moyenne 6 200 départs de natifs de la Réunion par an (Festy et Hamon, 1983). Le solde était alors égal à -48 900.
9Au cours de la période 1982-1990 (tabl. 2), avec une moyenne de près de 2 500 départs par an, le nombre de départs de natifs a été divisé par plus de deux par rapport à la période précédente. Cette baisse du nombre des départs est liée à la dégradation de l’image du Bumidom chez les Réunionnais, qui lui reprochaient les difficultés d’insertion sociale et économique que rencontraient les émigrés en métropole. Le changement de la politique d’émigration avec la création de l’ANT et la croissance du chômage en métropole vont également contribuer à réduire le nombre de départs (Marie et temporal, 2001).
10Entre 1990 et 1999, le solde migratoire des natifs de la Réunion reste négatif et suit à nouveau une tendance à la hausse avec près de 3 000 départs annuels. Au début des années 1990, les émeutes du Chaudron7 vont à nouveau placer le sujet du départ des jeunes au centre des préoccupations. Cette nouvelle incitation au départ vise à réduire le déséquilibre entre l’offre et la demande de travail mais également à prévenir les crises sociales et politiques. Le départ des natifs, encouragé par les décideurs locaux, est alors organisé par l’ANT et le Cnarm (Comité national d’accueil des Réunionnais en métropole) (Marie et temporal, 2001).
11Le calcul du taux brut d’émigration nette des natifs de la Réunion, qui consiste à rapporter le nombre de départs annuels moyens à la population moyenne de la période, permet de dessiner une évolution relative de l’émigration des natifs sur une période plus longue. On constate que le déficit de la population réunionnaise (fig. 1) s’est accru jusqu’en 1982, avec un taux d’émigration annuel maximal de 13,1 départs pour 1 000 habitants entre 1974 et 1982. Ce taux chute fortement à 4,8 départs pour 1 000 entre 1982 et 1990 et augmente légèrement entre 1990 et 1999 autour de 5,2 départs pour 1 000 personnes. On observe au cours de cette dernière période un rééquilibrage entre les sexes. On a compté autant de départs masculins que féminins, puisque ce sont en moyenne 1 500 hommes et 1 500 femmes qui ont quitté la Réunion chaque année entre 1990 et 1999.
12Malgré cette émigration, la population des natifs continue d’augmenter en nombre absolu dans l’île sous l’effet de l’accroissement naturel. Entre 1990 et 1999, la population des natifs de la réunion a augmenté de 12,5 %. Cependant, la part de la population des natifs de la réunion dans l’ensemble de la population du département est passée de 90,4 % en 1990 à 86,1 % en 1999, en raison principalement de la hausse des arrivées dans le département de personnes nées hors de la réunion. Depuis 1982, les départs de réunionnais sont en effet totalement et largement compensés par les arrivées de personnes nées hors du département (tabl. 3).
13Contrairement à la population des natifs de la réunion, le solde migratoire des personnes nées en dehors de l’île est positif depuis 1954. Entre 1974 et 1982, le solde migratoire des personnes nées hors de la réunion était égal à + 15 500, soit un gain moyen annuel en personnes extérieures de 2 100 (festy et hamon, 1983). Ce mouvement d’arrivées de personnes nées hors du département s’est considérablement amplifié au cours des dernières périodes intercensitaires : + 22 700 entre 1982 et 1990 et + 42 900 entre 1990 et 1999.
14Cette évolution à la hausse du nombre des arrivées est également vérifiée pour les individus nés à l’étranger ou dans un autre DOM-TOM. Ainsi, entre 1990 et 1999, on compte une moyenne de 1 700 arrivées chaque année contre 800 pour la période 1982-1990. Le solde migratoire des personnes nées à l’étranger ou dans un autre DOM-TOM a ainsi plus que doublé entre ces deux périodes intercensitaires.
15En termes de migration différentielle par sexe, pour les métropolitains, le solde est largement favorable aux hommes, même si l’écart entre les sexes tend à se réduire. On comptait 123 métropolitains pour 100 métropolitaines en 1982 et respectivement 118 pour 100 en 1999. À l’inverse, l’écart des arrivées selon le sexe s’accentue au profit des femmes pour la population des individus nés à l’étranger ou dans un autre DOM-TOM. Dans cette population, si on comptait 116 hommes pour 100 femmes en 1982, le rapport de masculinité s’est inversé en 1999, on compte désormais 91 hommes pour 100 femmes.
16L’explication de cette surreprésentation des femmes dans la population née à l’étranger ou dans un DOM-TOM réside dans l’évolution récente du solde migratoire. Le doublement du solde entre les périodes 1982-1990 et 1990-1999 s’explique en partie par l’arrivée d’une population composée majoritairement de migrants féminins en provenance de Mayotte8 (Insee, 2000). La migration des Mahorais à la Réunion est récente, les informations sur cette population sont rares et il est difficile d’expliquer la place prépondérante de ces jeunes femmes célibataires, souvent accompagnées d’enfants, dans la migration. On peut penser que le niveau de développement économique et social de la Réunion constitue un attrait pour l’ensemble des îles voisines et particulièrement pour les Mahorais qui, en tant que citoyens français, effectuent une migration qui s’apparente à un simple déménagement d’un département à un autre, mais ouvre l’accès à de nouveaux droits (couverture sociale, accès au soin et à l’éducation, etc.).
17Le flux d’arrivants nés hors de l’île s’est donc considérablement amplifié au cours des périodes les plus récentes. Le développement considérable du trafic aérien et maritime9, la baisse parallèle du prix des billets d’avions, la circulation rapide de l’information à travers les médias sont autant de facteurs qui ont contribué à mieux faire connaître la Réunion à l’extérieur et peuvent expliquer en partie qu’un nombre croissant d’arrivants viennent tenter leur chance dans ce département français d’outre-mer. Par ailleurs, les Réunionnais de métropole et leurs enfants ainsi que l’ensemble des métropolitains qui ont émigré à la Réunion dans le passé sont de plus en plus nombreux, ce qui multiplie d’autant le nombre potentiel des personnes ayant des attaches avec l’île susceptibles de venir ou de revenir à la Réunion. Enfin, malgré un taux de chômage élevé (41,6 % au recensement de 1999), l’île de la Réunion connaît une croissance économique positive et crée de nombreux emplois, ce qui la rend d’autant plus attractive.
18La proportion des personnes nées hors de la Réunion dans l’ensemble de la population de l’île ne cesse d’augmenter à chaque recensement. Elle a plus que doublé entre 1982 et 1999 (tabl. 4). En 1999, la population née hors de la Réunion représente 13,9 % de l’ensemble contre 6,9 % en 1982, la part des métropolitains étant respectivement de 9,1 % et 4,1 %. Entre 1982 et 1999, la population nette des personnes nées en métropole a ainsi été multipliée par 3 tandis que celle des personnes nées à l’étranger ou dans un autre DOM-TOM a été multipliée par 2,3. Au sein de cette dernière catégorie, le fait le plus marquant pour la période 1990-1999 concerne l’évolution de la population des Mahorais à la Réunion dont le nombre a été multiplié par 4 en 9 ans, tout en constatant que les effectifs de départ étaient particulièrement faibles.
19Malgré son éloignement de la métropole et son isolement géographique, la Réunion connaît des flux d’arrivées d’une ampleur comparable à l’ensemble des régions métropolitaines (Chevalier, 2001 a ; 2001 b). Avec 11 % d’arrivants entre 1990 et 1999 (77 400 individus recensés à la Réunion en 1999 ont déclaré résider hors de l’île en 1990), la Réunion se situe dans la moyenne des régions françaises qui est de 11,6 %. Globalement, la migration participe à hauteur de 15 % à l’accroissement démographique total de la Réunion entre 1990 et 1999. Si l’apport migratoire reste donc modéré en comparaison de l’accroissement naturel, le renversement du solde migratoire et l’augmentation des arrivées tiennent une place importante dans l’opinion publique, principalement en raison de leurs incidences sur le marché de l’emploi. La structure par âge des immigrants, majoritairement actifs, crée des tensions sur un marché de l’emploi saturé et sélectif.
Le solde migratoire selon l’âge
20En l’absence de données d’observation sur le nombre total de départs de la Réunion, nous avons privilégié l’approche de la migration selon l’âge à partir du solde migratoire intercensitaire estimé sur la base des données départementales10. Nous retenons le solde par âge concernant la population des 15-65 ans (fig. 2) et nous nous concentrons ainsi sur la population adulte active.
21Pour l’ensemble de la population, on observe que les départs de la Réunion vers l’extérieur concernent principalement les jeunes adultes de 19 à 30 ans, alors que les arrivées se concentrent après 30 ans. Seuls les natifs de la Réunion ont un solde migratoire négatif. Les natifs de la Réunion qui émigrent sont jeunes, entre 18 et 31 ans. Le nombre de départs maximal concerne les jeunes âgés de 26 ans. Après 30 ans, on observe au contraire un solde positif qui correspond au retour dans le département des natifs de la Réunion après avoir émigré. Le nombre des retours augmente jusqu’à 40 ans puis diminue progressivement jusqu’à 60 ans. La légère augmentation du solde après 55 ans pourrait être le résultat du retour dans leur département d’origine de natifs de la Réunion à l’âge de la retraite, les flux restent cependant faibles.
22Quel que soit l’âge, le solde des métropolitains est toujours positif. Pour les métropolitains, le surplus des arrivées sur les départs s’accroît fortement à partir de 25 ans pour atteindre un maximum vers 30-31 ans, puis il diminue ensuite faiblement jusqu’à 45 ans. Après cet âge, le solde est modéré, il diminue lentement pour atteindre un niveau quasiment nul à 60 ans. Les effectifs d’immigrants nés en métropole se concentrent entre 30 et 45 ans et, comme en témoigne le solde positif des moins de 20 ans, ils s’installent souvent en famille, accompagnés d’enfants. Le solde atteint un minimum pour les jeunes adultes âgés de 20 à 25 ans. À ces âges, on peut penser qu’un nombre important de jeunes nés en métropole ayant accompagné leurs parents dans la migration quitte la Réunion afin de suivre un cycle d’études supérieures hors de l’île.
23Le solde migratoire de la population née à l’étranger ou dans un autre DOM-TOM est lui aussi positif. Il demeure très étalé de 15 à 38 ans pour diminuer ensuite progressivement jusqu’à 60 ans. Le solde positif des moins de 20 ans indique que cette population est également accompagnée d’enfants ou de jeunes adolescents.
24Au niveau de l’ensemble de la population, ces différents mouvements ont pour conséquence de réduire localement la population des jeunes adultes de 20 à 30 ans et au contraire d’augmenter les effectifs des classes d’âges de 30 à 50 ans. Ces migrations, et notamment le départ des jeunes Réunionnais, permettent de réduire les effectifs des jeunes adultes, c’est-à-dire ceux qui sont le plus durement touchés par le chômage.
Les retours de Réunionnais
25Nous analysons ici les retours de Réunionnais entre deux recensements11. Parallèlement à l’augmentation de la population des Réunionnais en métropole, le nombre de natifs de la Réunion de retour après avoir émigré ne cesse d’augmenter à chaque recensement (fig. 3). En 1999, on a recensé 23 308 Réunionnais qui ont déclaré résider hors de la Réunion au recensement de 1990, dont 19 796 résidaient en métropole. La part des Réunionnais de retour en provenance de la métropole a diminué entre 1990 et 1999. En effet, en 1999, 85 % des natifs de la Réunion de retour déclaraient résider en métropole au recensement précédent contre 91 % en 1990. Cette baisse illustre le développement des départs de Réunionnais vers une destination autre que la France métropolitaine dans les années les plus récentes. Ainsi, en 1999, 8 % des Réunionnais de retour résidaient à l’étranger hors Union européenne, principalement dans la zone océan Indien, et 6 % résidaient dans un autre DOM-TOM en 1990.
26Une majorité de Réunionnais de retour dans leur département est âgée de 30 à 45 ans (fig. 4). Le nombre de retours augmente à partir de 25 ans, pour atteindre un maximum entre 30 et 40 ans et diminuer ensuite fortement jusqu’à 55 ans. Après 55 ans, le nombre de Réunionnais de retour dans l’île est très faible et diminue lentement.
27Parmi les natifs de la Réunion de retour dans le département, 51 % sont des femmes et 49 % des hommes. Entre 30 et 41 ans, le nombre de femmes de retour à la Réunion est légèrement supérieur à celui des hommes. Les natives de la Réunion pourraient être plus nombreuses que les hommes à se rapprocher de leur famille d’origine au moment où elles constituent leur propre famille.
28Pour les natifs de la Réunion qui ont migré en métropole, il est possible de calculer un taux de retour se rapportant au nombre de Réunionnais résidant en métropole (tabl. 5). Le taux de retour des Réunionnais de métropole est passé de 22,1 pour mille en 1990 à 23,5 pour mille en 1999. La probabilité pour qu’un natif de la Réunion vienne s’installer dans son département d’origine après une émigration a donc légèrement augmenté au cours de la période la plus récente.
Analyse des populations migrantes
29Après avoir analysé les principaux mouvements migratoires à la Réunion, nous allons à présent nous intéresser plus précisément aux caractéristiques des migrants comparativement à l’ensemble de la population. Nous distinguerons pour cela la situation des immigrants à la Réunion (population née hors de la Réunion et y résidant) de celles des émigrants (natifs de la Réunion résidant en métropole).
30Nous centrerons l’analyse sur la relation migration/travail et essaierons d’évaluer dans quelle mesure la migration dans un sens ou dans l’autre peut être un atout ou un handicap en terme d’insertion sur le marché de l’emploi. Pour cela, nous étudierons l’activité et l’emploi des immigrants à la Réunion ainsi que ceux des natifs de la Réunion en métropole selon leur lieu de naissance et leur lieu de résidence antérieure.
Les immigrants à la Réunion
31En 1999, 98 023 individus nés en dehors de l’île ont été recensés dans le département (tabl. 6). Parmi l’ensemble de ces immigrants, plus de la moitié (55 %) se sont installés à la Réunion entre 1990 et 1999. Les deux tiers des immigrants sont nés en métropole et 59 % d’entre eux sont arrivés à la Réunion au cours de la dernière période intercensitaire. Après les métropolitains, ce sont les individus nés à l’étranger hors de l’Union européenne qui sont les plus nombreux à être installés dans l’île. L’installation de cette population dans le département est plus ancienne, car l’on ne compte que 41,5 % d’entre eux qui sont arrivés depuis 1990. Les deux tiers de ces immigrants sont nés dans la zone océan Indien, principalement à Madagascar et à Maurice. Les autres personnes nées à l’étranger sont principalement des Français nés dans les anciennes colonies d’Afrique du Nord venus de la métropole. Leurs caractéristiques sont très proches de celles des métropolitains. Enfin, on recense 6 000 Mahorais dont les trois quarts sont arrivés à la Réunion entre 1990 et 1999. Parmi l’ensemble des immigrants à la Réunion, on peut constater que la très grande majorité vient soit de la métropole et des territoires français d’outre-mer, soit d’anciennes colonies françaises (Madagascar, Comores, Afrique du Nord). Tous ont des liens privilégiés linguistiques, culturels et juridiques avec la France et presque tous possèdent la nationalité française12.
Une dégradation du marché de l’emploi à la Réunion
32Sous l’effet de la croissance démographique et des changements de comportements, notamment l’augmentation continue de l’activité féminine depuis trente ans, l’effectif de la population active augmente à la Réunion. Entre 1990 et 1999, environ 7 250 personnes supplémentaires sont arrivées chaque année sur le marché du travail. Dans le même temps, ce sont près de 3 000 emplois par an qui ont été créés. En moyenne annuelle, le nombre d’actifs supplémentaires est supérieur d’environ 4 000 au nombre d’emplois nouveaux offerts (Insee, 2003), ce qui entraîne une augmentation du nombre de chômeurs. Ainsi, malgré une croissance de l’emploi soutenue dans les années 1990, les taux d’emploi de la population active n’ont pas augmenté entre 1990 et 1999, puisqu’ils sont respectivement de 37,9 % et 37,2 % (Insee, 2004 a).
33Devant cette faible performance sur le long terme du marché de l’emploi à la Réunion, l’organisation de l’émigration de jeunes Réunionnais vers la métropole est souvent apparue comme une solution qui devait permettre de réduire les tensions sur un marché du travail de plus en plus étroit13. Au cours de la dernière décennie, la hausse des départs des natifs de la Réunion vers l’extérieur n’a cependant pas suffi à endiguer cette détérioration du marché du travail réunionnais.
34Aussi, dans ce contexte difficile, nous avons cherché à mieux comprendre la relation entre migration et emploi, en analysant notamment les taux d’emploi de la population résidant à la Réunion en 1999 selon le lieu de naissance et le lieu de résidence antérieure des individus. Nous analyserons et comparerons les taux d’emploi des individus nés en métropole, nés à l’étranger ou dans un autre DOM-TOM et de ceux nés à la Réunion. Pour chacune de ces sous-populations, nous utiliserons le critère du lieu de résidence antérieure, qui permet de distinguer les migrants selon qu’ils étaient déjà installés à la Réunion en 1990 ou que leur migration a eu lieu entre 1990 et 1999. Pour les natifs de la Réunion, ceux qui résidaient dans l’île en 1990 sont les natifs « non-migrants », les autres constituent la population des Réunionnais de retour dans le département après avoir connu une migration à l’extérieur.
La situation des immigrants à la Réunion sur le marché de l’emploi
35Pour les hommes, on constate (fig. 5 a) que quel que soit le lieu de résidence antérieure, ce sont les métropolitains et les personnes nées à l’étranger qui ont les taux d’activité et d’emploi les plus importants. Les taux d’activité sont particulièrement élevés pour la population née à l’étranger, ils varient de 72 à 75 %. La concentration de cette population aux âges les plus actifs (20-60 ans) explique ces taux plus élevés.
36Mis à part la population née dans un TOM qui a des taux d’emploi extrêmement faibles, ce sont les natifs de la Réunion qui éprouvent le plus de difficultés pour accéder à l’emploi. Les natifs de la Réunion ont des taux d’emploi toujours inférieurs aux métropolitains, l’écart est de 17 points pour ceux qui résidaient à la Réunion en 1990 et de 10 points pour ceux qui sont arrivés à la Réunion après cette date.
37Les natifs de la Réunion de retour dans le département après avoir migré ont des taux d’emploi plus élevés que les natifs non migrants : 51 % des natifs de retour de plus de 15 ans occupent un emploi contre 37 % des natifs non migrants. Plus généralement, les Réunionnais de retour de migration sont plus souvent actifs et moins souvent au chômage que l’ensemble des natifs n’ayant pas migré.
38Les métropolitains arrivés à la Réunion après 1990 ont également des taux d’emploi plus favorables que leurs homologues plus anciennement installés dans le département. Les écarts sont cependant moins importants (respectivement 61,7 % et 53,9 %) et leur taux de chômage est identique (17 %). Ainsi, contrairement aux populations nées à l’étranger ou dans un TOM, le fait d’être arrivé à la Réunion après 1990 semble avoir une influence favorable sur l’accès à l’emploi des natifs et, dans une moindre mesure, des métropolitains.
39Pour les femmes (fig. 5 b), les grandes tendances observées chez les hommes sont identiques avec néanmoins des taux d’activité et d’emploi d’un niveau plus faible. Les natives de la Réunion sont moins actives et occupent moins souvent un emploi que les métropolitaines. L’écart des taux d’emploi est de 20 points pour celles qui résidaient à la Réunion en 1990 et de 10 points pour celles arrivées entre 1990 et 1999.
40Le fait d’être de retour de migration semble être un avantage pour les natives de la Réunion : un tiers des Réunionnaises de retour de plus de 15 ans occupent un emploi contre un quart des non-migrantes. Inversement, les femmes nées en métropole arrivées après 1990 occupent moins souvent un emploi que celles qui résidaient déjà à la Réunion avant cette date, et leur taux de chômage est également plus élevé. Enfin, on peut constater que l’accès à l’emploi des femmes nées dans un TOM est particulièrement difficile, notamment pour celles les plus récemment installées parmi lesquelles seules deux femmes de plus de 15 ans sur cent ont un travail. Dans cette population, la grande majorité des femmes qui se portent sur le marché du travail est au chômage.
41Globalement, l’origine métropolitaine ou plus généralement le fait d’arriver de métropole14 semble constituer un atout en terme d’insertion sur le marché de l’emploi à la Réunion. Les métropolitains et les natifs de retour de migration semblent mieux « armés » que les natifs n’ayant pas migré pour rivaliser sur le marché de l’emploi. Notons tout de même que les taux d’emploi sont particulièrement faibles pour toutes les catégories de population et que, dans cette situation difficile, c’est la population de l’île dans son ensemble qui éprouve des difficultés d’insertion.
Taux d’emploi selon l’âge, le sexe et l’origine
42L’accès à l’emploi fluctue selon l’âge des individus, et il convient donc ici d’approfondir cette analyse des taux d’emploi selon le groupe d’âges. Afin d’avoir des effectifs significatifs selon l’âge, nous avons privilégié les mouvements migratoires et les stocks de populations migrantes les plus importants15. Nous comparerons donc les taux d’emplois de la population des natifs de la Réunion n’ayant pas migré avec celle des natifs de retour de migration et des individus nés en métropole installés à la Réunion avant et après 1990.
43Tout d’abord, chez les hommes comme chez les femmes, la tendance générale des taux d’emploi selon le groupe d’âges est similaire. Les taux d’emploi sont particulièrement faibles chez les plus jeunes et augmentent rapidement jusqu’à 25-30 ans. Dans cette tranche d’âges, ils varient de 48 % à 69 % chez les hommes et de 36 % à 57 % chez les femmes. Après 30 ans, la hausse des taux d’emploi est plus modérée, elle se poursuit pour atteindre un maximum entre 40 et 50 ans, puis amorce une baisse rapide jusqu’à la fin de la vie active.
44Pour les hommes (fig. 6 a), on retrouve une différence importante entre les taux d’emploi des natifs de la Réunion et ceux des métropolitains. Les écarts sont limités jusqu’à 30 ans puis se stabilisent ensuite à un niveau élevé. Entre 30 et 50 ans, les taux d’emploi des hommes nés en métropole oscillent de 77 % à 85 %, alors qu’ils varient de 53 % à 62 % chez les natifs de la Réunion, soit une différence supérieure à 20 points selon le lieu de naissance.
45Pour les métropolitains, le lieu de résidence antérieure n’affecte pas les taux d’emploi au-delà de l’âge de 30 ans. Les hommes de ces tranches d’âges nés en métropole et arrivés à la Réunion après 1990 ont des taux d’emploi très proches de ceux installés dans le département depuis plus longtemps. Entre 18 et 30 ans, en revanche, les taux d’emplois des métropolitains sont plus favorables à ceux arrivés récemment qu’à leurs homologues plus anciennement installés dans le département. On peut penser que de nombreux métropolitains arrivent à la Réunion avec un contrat de travail préétabli et qu’ils s’insèrent très rapidement sur le marché du travail.
46Les natifs de la Réunion de retour dans le département après 1990 bénéficient de taux d’emploi supérieurs aux natifs n’ayant pas migré. On constate que le bénéfice de la migration en termes d’accès à l’emploi n’est valable que pour les natifs de retour de moins de 40 ans. Après 40 ans, le fait d’être de retour de migration n’est plus un avantage sur le marché du travail, il peut même devenir un handicap en fin de vie active. Entre 25 et 35 ans, âges où les effectifs des Réunionnais de retour sont les plus importants, la situation des natifs de retour est intermédiaire entre celle des métropolitains et celles des natifs n’ayant pas migré. Le retour après une migration est donc un avantage pour les natifs les plus jeunes.
47Chez les femmes (fig. 6 b), le taux d’emploi des métropolitaines est supérieur à celui des Réunionnaises. L’écart est limité chez les moins de 25 ans, il s’accroît ensuite et reste constant entre 30 et 50 ans. La différence est maximale entre les métropolitaines les plus anciennement installées à la Réunion et les natives n’ayant pas migré, les taux d’emploi sont alors supérieurs de 30 points pour les métropolitaines de 30 à 50 ans.
48Les natives de la Réunion de retour de migration ont des taux d’emploi supérieurs aux natives n’ayant pas migré entre 25 et 35 ans. Ainsi, la moitié des Réunionnaises de retour âgées de 25 à 30 ans occupent un emploi contre seulement 35 % des natives du même âge n’ayant pas migré. Dans cette classe d’âges, les natives de la Réunion de retour de migration ont un taux d’emploi proche de celui des métropolitaines (50 % contre 56 %). En revanche, après 35 ans, les natives de retour occupent moins souvent un emploi que les Réunionnaises n’ayant pas migré. Leur moins bonne connaissance du marché de l’emploi local, et notamment l’absence de réseaux professionnels au retour de migration, peut expliquer en partie leurs difficultés d’insertion. Comme pour les natifs masculins, le retour après une migration est donc un avantage s’il a lieu en début de vie active.
49Les métropolitaines de plus de 35 ans arrivées dans le département entre 1990 et 1999 occupent moins souvent un emploi que celles dont l’installation est plus ancienne. Entre 40 et 50 ans, les trois quarts des métropolitaines qui résidaient déjà à la Réunion en 1990 occupent un emploi contre un peu plus de la moitié pour celles arrivées après 1990. Dans ce cas précis, on peut penser que le temps passé pour trouver un emploi correspondant à leurs attentes est plus long pour les femmes arrivant de métropole qui connaissent moins bien le marché du travail réunionnais. La nécessité de travailler peut également être moins impérieuse pour les femmes qui accompagnent leur conjoint bénéficiant d’un contrat de travail.
Taux d’emploi et niveau de diplôme
50À la Réunion comme ailleurs, l’accès à l’emploi est fortement conditionné par le niveau de diplôme. Il convient donc de compléter cette analyse de l’emploi des populations migrantes et non migrantes selon le diplôme obtenu par les individus.
51Dans l’ensemble de la population, les taux d’emploi augmentent régulièrement avec le niveau de diplôme. Pour les hommes, le taux d’emploi des non-diplômés oscille entre 30 % et 35 %, alors qu’il se situe entre 75 % et 85 % pour les titulaires d’un diplôme de second cycle. La différence est encore plus marquée chez les femmes, parmi lesquelles le taux d’emploi des non-diplômées varie de 10 % à 15 % contre 70 % et 85 % pour les plus diplômées. L’accès à l’emploi est donc fortement conditionné par le diplôme de l’individu, les non-diplômés ayant des taux d’emploi particulièrement faibles. Pour les deux sexes, l’avantage observé précédemment des personnes nées en métropole sur les natifs de la Réunion en termes de taux d’emploi est beaucoup moins évident quand on raisonne à diplôme égal.
52Pour les hommes (fig. 7 a), on constate que ce sont plutôt les natifs de la Réunion de retour de migration qui bénéficient des taux d’emploi les plus importants. C’est vrai pour les niveaux de diplôme les plus bas (sans diplôme, CEP, BEPC), mais également pour les titulaires d’un baccalauréat général ou technique. Pour les diplômés de l’enseignement supérieur, les taux d’emploi des natifs de la Réunion de retour se confondent avec ceux des métropolitains, seuls les natifs de la Réunion n’ayant pas migré ont des taux d’emploi en retrait, mais les écarts restent faibles. À niveau de diplôme égal, cette situation plus défavorable pour les Réunionnais n’ayant pas migré pourrait résulter d’une valorisation par les employeurs des diplômes obtenus hors du département, soit parce que l’enseignement et la formation sont jugés supérieurs à l’extérieur, soit, plus certainement, parce que les besoins en main-d’œuvre se spécialisent et concernent des filières générales, techniques ou professionnelles qui ne sont enseignées qu’en dehors de l’île.
53On peut élaborer un raisonnement similaire pour le BEPC, le BEP et le baccalauréat général. Pour ces trois catégories de diplômes, ce sont en effet les natifs et les métropolitains qui résidaient hors de la Réunion en 1990 qui ont les taux d’emploi les plus élevés. L’analyse des taux de chômage de ces différentes populations confirme une insertion légèrement plus difficile pour les individus qui résidaient à la Réunion en 1990. Ici, plus que le lieu de naissance, ce serait le lieu de résidence antérieure, et donc le lieu d’obtention du diplôme pour les plus jeunes, qui influencerait les taux d’emploi. Le fait d’avoir obtenu son diplôme hors de la Réunion pourrait être un atout sur un marché du travail local de plus en plus sélectif.
54Les métropolitains déjà installés à la Réunion en 1990 qui ont un niveau de diplôme bas (sans diplôme, CEP, BEPC) semblent éprouver les plus grandes difficultés pour trouver un emploi. Leurs taux d’emploi sont inférieurs à ceux des natifs n’ayant pas migré pour les diplômes les plus bas et égaux pour les BEP et les baccalauréats généraux.
55D’une manière générale, les métropolitains qui résidaient déjà à la Réunion en 1990 et les natifs non migrants ont les taux d’emploi les plus faibles.
56Pour les femmes (fig. 7 b), l’avantage de l’origine métropolitaine sur le marché de l’emploi doit également être relativisé à diplôme égal. Quel que soit le niveau de diplôme, les métropolitaines arrivées à la Réunion après 1990 ont toujours des taux d’emploi inférieurs aux autres catégories. Le temps passé à chercher un emploi qui corresponde à leurs attentes pourrait expliquer la différence avec les métropolitaines arrivées avant 1990.
57Les métropolitaines les plus anciennement installées ont des taux d’emploi plus importants que les natives de la Réunion pour les CAP et les BEP et des taux comparables pour les autres catégories. À partir du niveau bac, les natives de la Réunion de retour de migration ont des taux d’emploi supérieurs ou égaux aux natives non migrantes. Le lieu d’obtention du diplôme peut, comme pour les hommes, expliquer cette différence. Cependant, contrairement aux hommes, l’avantage des natives de retour de migration sur les Réunionnaises n’ayant pas migré est moins évident pour les catégories de diplômes inférieures au bac.
58Chez les femmes, l’influence du lieu de naissance et du lieu de résidence antérieure selon le niveau de diplôme semble moins prononcée que chez les hommes et les écarts de taux d’emploi sont plus réduits. Dans la population féminine, des raisons extérieures au niveau de diplôme (grossesses, difficultés de faire garder les enfants, nécessité moins importante de trouver un travail en cas d’emploi du mari) pourraient influencer plus fortement les comportements des femmes à l’égard de l’emploi16.
Vue d’ensemble
59Les individus nés en métropole ont des taux d’emploi globalement supérieurs aux natifs de la Réunion. Les Réunionnais de retour de migration occupent également plus souvent un emploi que l’ensemble des natifs n’ayant pas migré. Pour les hommes comme pour les femmes, ce constat se vérifie à tous les âges. En revanche, à diplôme égal, l’avantage des populations migrantes est beaucoup moins évident, surtout chez les plus diplômés.
60L’approche des taux d’emploi selon le niveau de diplôme de la population a permis de constater que le diplôme à la Réunion conditionne fortement l’accès à l’emploi. Ainsi, les taux d’emploi globalement supérieurs des métropolitains et des Réunionnais de retour peuvent s’expliquer en grande partie par un effet de structure. Ces sous-populations sont en effet beaucoup plus diplômées que la population des natifs n’ayant pas migré (35 % des métropolitains de 15 ans et plus possèdent un diplôme de l’enseignement supérieur contre 12,4 % pour les natifs de retour et 4,7 % pour les natifs n’ayant pas migré). Les taux d’emploi augmentant très fortement avec le niveau de diplôme, un niveau globalement plus élevé peut expliquer l’essentiel de la différence entre ces populations. Aussi, sur un marché de l’emploi particulièrement étroit au regard de l’ensemble de la population active, c’est la population la moins diplômée, c’est-à-dire les natifs de la Réunion n’ayant pas migré, qui éprouve le plus de difficultés d’insertion17.
61Peut-on alors parler de « concurrence » sur le marché de l’emploi réunionnais entre les métropolitains et les natifs de la Réunion ? Il faut tout d’abord relativiser cette analyse à partir des taux d’emploi et la rapporter aux effectifs de population et d’actifs occupés correspondants. Si, au total, les métropolitains représentent 9 % de l’ensemble de la population de l’île, ils sont 10 % dans la tranche d’âges 20-60 ans, mais seulement 7 % parmi les jeunes de 25-35 ans, classe d’âges particulièrement touchée par les difficultés d’accès à l’emploi. La concurrence est donc relativement moins importante chez les jeunes qui constituent la population la plus touchée par le chômage. En rapportant la population des métropolitains à celle des natifs de la Réunion selon le niveau de diplôme (tabl. 7), on s’aperçoit que c’est pour les diplômes les plus élevés que la concurrence est la plus forte. Pour les non-diplômés, on compte seulement 3 métropolitains pour 100 natifs contre 28 pour 100 pour les titulaires du bac général et 110 pour 100 pour les diplômes les plus élevés. La concurrence entre individus nés en métropole et natifs de la Réunion est minime pour les niveaux de diplômes les plus bas qui, rappelons-le, réunissent les plus importantes proportions de chômeurs et les taux d’emploi les plus faibles.
62Plus le niveau de diplôme est élevé et plus la proportion de métropolitains en concurrence avec les natifs de la Réunion s’élève, mais c’est également dans les catégories de diplômes élevés que les écarts de taux d’emploi entre les natifs de la Réunion et les métropolitains sont les moins importants et que le nombre de chômeurs est le plus réduit. Ces analyses mériteraient d’être approfondies à partir d’une étude plus fine de l’emploi des populations migrantes et non migrantes selon les secteurs d’activité, les types d’emplois occupés et les filières des diplômes obtenus par les individus.
Les émigrants réunionnais en métropole
63Il convient à présent de s’intéresser à la situation des émigrants réunionnais. Ne possédant pas d’informations statistiques détaillées sur les natifs de la Réunion vivant à l’étranger, nous nous limiterons ici à l’analyse des caractéristiques des Réunionnais résidant en métropole.
Structure de la population par âge, sexe et répartition géographique
64Les natifs de la Réunion ont des enfants qui naissent en métropole. La population des natifs et de leurs enfants forme ce qu’on appelle la population des « originaires de la Réunion ». En 1999, le nombre d’originaires s’élève à 164 900 individus répartis en 94 585 natifs et 69 332 enfants nés en métropole de père et/ou de mère réunionnais (tabl. 8). La population des natifs résidant sur le territoire métropolitain a connu une augmentation de 3,5 % entre les deux recensements de 1990 et 1999. Cette augmentation quasiment nulle de la population des Réunionnais en métropole (0,3 % par an) est la plus faible enregistrée depuis cinquante ans. Après avoir plus que doublé entre 1975 et 1982, la population des Réunionnais de métropole a connu une croissance qui s’est progressivement ralentie jusqu’à nos jours. Cette faible croissance s’explique par deux facteurs principaux : tout d’abord, par un net ralentissement des installations durables sur le territoire métropolitain, et ensuite par une accélération des retours vers la Réunion (Marie et Temporal, 2001).
65En 1999, parmi l’ensemble des natifs de la Réunion recensés en métropole, 22 600 ont déclaré résider hors du territoire métropolitain en 1990. Les trois quarts des Réunionnais de métropole y résident donc depuis plus de neuf ans. Les Réunionnais nouvellement installés en métropole résidaient quant à eux neuf fois sur dix dans leur DOM d’origine en 1990, les autres vivaient à l’étranger ou dans un autre DOM-TOM.
66Depuis le recensement de 1982, les Réunionnaises installées en métropole sont plus nombreuses que les hommes. Cet écart entre les sexes (tabl. 9) s’est amplifié jusqu’en 1990, où l’on comptait un minimum de 86 hommes pour 100 femmes. Il s’est très légèrement réduit en 1999 où l’on a recensé 87 Réunionnais pour 100 Réunionnaises en métropole. Cette surreprésentation générale des femmes en métropole ne s’explique pas par des flux au départ de la Réunion plus importants. Autant d’hommes que de femmes sont partis en métropole au cours de la dernière décennie. L’explication réside plutôt dans une installation plus durable des femmes que des hommes sur le lieu de migration. Les natives de la Réunion en métropole sont plus nombreuses que les hommes à être installées en couple avec un conjoint non originaire de la Réunion18 (Temporal, 2002), ce qui peut expliquer qu’elles restent plus durablement sur le lieu de migration.
67Les femmes sont plus nombreuses que les hommes à tous les âges de la vie (fig. 8), seule la tranche des 10-29 ans compte un nombre plus élevé de garçons. L’importance des flux migratoires masculins liés au service militaire19 dans la tranche d’âges 15-29 ans peut expliquer cette surreprésentation temporaire des hommes, l’essentiel de ces effectifs masculins optant pour un retour à la Réunion dès la fin de leur service national (Bousquet, 2001).
68La structure par âges des natifs de la Réunion en métropole est caractéristique d’une population marquée par les migrations de travail. On y compte peu de jeunes et de personnes âgées mais une majorité d’actifs de 20 à 60 ans (fig. 9). La base réduite de la pyramide signifie que très peu d’enfants accompagnent leurs parents dans leur migration, la migration de familles déjà constituées semble assez peu répandue (Temporal, 2002). Les jeunes natifs de moins de 19 ans sont ainsi très faiblement représentés puisqu’ils ne forment que 13 % de la population des Réunionnais de métropole contre plus de 36 % pour la population recensée à la Réunion. La grande majorité des natifs de la Réunion en métropole est donc en âge de travailler, 80 % sont âgés de 20 à 60 ans contre 54 % pour l’ensemble de la population vivant à la Réunion. Enfin, le sommet étroit de la pyramide montre que l’on compte très peu de Réunionnais âgés sur le territoire métropolitain, les plus de 60 ans représentent à peine 7 % de l’ensemble contre 10 % à la Réunion.
69Contrairement aux Antillais qui sont concentrés dans la région Ile-de-France, les Réunionnais se répartissent de façon plus homogène sur l’ensemble du territoire métropolitain (fig. 10), principalement dans les grands bassins d’emploi. Environ un tiers d’entre eux (29 700) vit dans la région Ile-de-France. Les autres régions d’accueil importantes se situent dans le sud de la métropole, Rhône-Alpes, PACA et Midi-Pyrénées, qui accueillent respectivement 11 %, 9 % et 6 % des Réunionnais de métropole. Cette répartition géographique correspond d’ailleurs à celles déjà observées en 1982 et en 1990. Cela n’est pas surprenant, car les nouveaux arrivants bénéficient désormais des réseaux existants qui favorisent une bonne installation. Néanmoins, les régions Ile-de-France et Rhône-Alpes deviennent moins attractives en 1999 et ce sont les zones limitrophes comme les régions Centre et PACA qui voient la population des natifs de la Réunion augmenter. À l’autre extrême, ce sont les régions Corse, Franche-Comté, Auvergne et Limousin qui comptent le moins de natifs (Temporal, 2002).
La situation des Réunionnais de métropole sur le marché de l’emploi
70Nous avons vu que le fait d’avoir migré pouvait être un atout pour les Réunionnais de retour sur le marché du travail à la Réunion, qu’en est-il de la situation des migrants sur le lieu de migration ? Les natifs de la Réunion en métropole ont des taux d’activité et d’emploi supérieurs à l’ensemble de la population métropolitaine (fig. 11). Le fait qu’ils soient concentrés aux âges les plus actifs explique cette situation. Le nombre d’inactifs retraités est en effet nettement moins élevé chez les natifs de la Réunion que pour l’ensemble de la population métropolitaine. Au total, près des trois quarts des Réunionnais et plus de la moitié des Réunionnaises qui sont partis en métropole avant 1990 occupent un emploi. Ensemble, ils ont des taux d’emploi et d’activité plus élevés que les migrants de la période 1990-1999. Pour ces derniers, dont l’installation est plus récente, l’accès à l’emploi semble plus difficile.
71Pour les deux sexes, on constate que le taux de chômage des Réunionnais qui sont partis en métropole avant 1990 est très proche de celui de l’ensemble des métropolitains. La situation est un peu plus difficile pour les migrants réunionnais les plus récents et particulièrement pour les femmes, puisque près de 35 % des natives de la Réunion qui sont parties en métropole entre 1990 et 1999 sont chômeuses contre 15 % de l’ensemble des femmes de métropole.
Taux d’emploi selon l’âge
72Afin d’éliminer l’effet de structure, il convient d’approfondir cette comparaison des taux d’emploi en raisonnant à âge égal. Pour les hommes (fig. 12 a), les natifs de la Réunion qui résidaient déjà en métropole en 1990 ont des taux d’emploi identiques aux métropolitains de même âge. La différence de taux d’emploi entre les Réunionnais partis en métropole avant 1990 et les natifs de la Réunion non migrants est très marquée. L’écart des taux d’emploi est supérieur de 30 points pour l’ensemble des 30-55 ans. À ces âges, les taux d’emploi des Réunionnais qui résident depuis plus de neuf ans en métropole varient de 84 % à 89 %, c’est-à-dire qu’ils sont donc supérieurs à ceux des métropolitains installés à la Réunion.
73La situation semble par contre plus difficile pour les Réunionnais qui ont migré en métropole entre 1990 et 1999. Leurs taux d’emplois sont inférieurs à l’ensemble des métropolitains et aux natifs de la Réunion installés depuis plus longtemps en métropole. L’écart est limité pour les plus jeunes, comme chez les 20-30 ans où la différence de taux d’emploi n’est que de 6 points. Après 30 ans, en revanche, l’écart s’amplifie, indiquant qu’ils éprouvent plus de difficultés pour accéder à l’emploi. Ainsi, pour les 40-45 ans, l’écart avec l’ensemble des métropolitains et des Réunionnais plus anciennement installés est de 16 points. L’installation récente de cette population, leur moindre connaissance du marché du travail et l’absence de réseaux professionnels, à défaut de réseaux interpersonnels, peuvent expliquer un accès à l’emploi globalement plus faible pour ces Réunionnais ayant migré entre 1990 et 1999. Cependant, cette différence constatée avec l’ensemble de la métropole ne doit pas faire oublier que les Réunionnais qui ont quitté leur département au cours de la dernière décennie occupent beaucoup plus souvent un emploi que les natifs de la Réunion qui n’ont pas migré.
74Pour les femmes (fig. 12 b), le taux d’emploi des natives de la Réunion installées en métropole avant 1990 est également très proche de celui des métropolitaines du même âge. Les Réunionnaises de 25 à 40 ans occupent cependant moins souvent un emploi que l’ensemble des femmes métropolitaines, mais les écarts restent limités.
75La situation des Réunionnaises récemment installées en métropole semble également plus difficile. Leurs taux d’emploi sont toujours inférieurs à ceux des métropolitaines et des Réunionnaises qui ont migré avant 1990. Ce moindre accès à l’emploi se vérifie particulièrement pour les femmes âgées de 35 à 45 ans. Ces dernières ont des taux d’emploi beaucoup plus proches de ceux observés à la Réunion qu’en métropole. Dans ce groupe d’âges, seulement 42 % des Réunionnaises arrivées en métropole depuis 1990 occupent un emploi contre plus de 75 % pour les natives de la Réunion dont la migration est plus ancienne. Pour les plus jeunes, la différence selon la résidence antérieure est moins nette. Les natives âgées de 25 à 35 ans arrivées après 1990 ont une situation intermédiaire entre les métropolitaines et les non-migrantes. Ainsi, pour la période 1990-1999, le départ pour la métropole semble être d’autant plus bénéfique en terme d’accès à l’emploi qu’il se fait jeune.
Taux d’emploi selon le niveau de diplôme
76Globalement, le taux d’emploi des hommes et des femmes augmente au fur et à mesure que le niveau de diplôme s’élève. On observe cependant (fig. 13 a et 13 b) des taux d’emploi inférieurs chez les bacheliers et les diplômés de l’enseignement supérieur. Ces taux d’emploi moins élevés pour ces catégories n’indiquent pas systématiquement des difficultés plus grandes d’accès à l’emploi. Il faut ici prendre en considération le fait que de nombreux titulaires du bac ou d’un diplôme de l’enseignement supérieur sont toujours en cours d’études au moment du recensement et ne se portent donc pas candidats sur le marché du travail. Ce constat est particulièrement vrai pour la population des natifs de la Réunion partie en métropole entre 1990 et 1999, car elle est plus jeune que les autres. Afin d’examiner plus en détail l’accès à l’emploi de ces catégories, nous présenterons les taux de chômage selon le diplôme à chaque fois que cela sera nécessaire.
77Pour les hommes (fig. 13 a), on constate que les Réunionnais qui ont migré en métropole avant 1990 ont des taux d’emploi globalement supérieurs aux migrants les plus récents et aux non-migrants. L’écart est cependant limité avec les plus diplômés non migrants, signe que les taux d’emploi des plus diplômés à la Réunion sont élevés. Pour les détenteurs de diplômes inférieurs au bac, les natifs de la Réunion qui ont migré en métropole entre 1990 et 1999 connaissent une situation intermédiaire entre ceux qui ont migré avant 1990 et les non-migrants. Globalement, l’ensemble des natifs migrants qui ont un diplôme inférieur ou égal au BEP occupent plus souvent un emploi en métropole que ceux restés à la Réunion.
78À partir du baccalauréat, la situation est plus contrastée. Les natifs de la Réunion qui se sont installés en métropole au cours de la période 1990-1999 ont des taux d’emploi inférieurs aux Réunionnais non migrants parce qu’ils suivent plus souvent des études et occupent donc moins souvent des emplois que les natifs restés à la Réunion. L’analyse des taux de chômage des bacheliers confirme cette situation. Seulement 12 % des titulaires du bac récemment arrivés en métropole déclarent être au chômage contre 20 % pour les natifs non migrants à la Réunion. Le moindre taux d’emploi observé n’indique donc pas ici un accès à l’emploi plus difficile en métropole. Pour les plus diplômés, la situation est similaire, les natifs partis en métropole suivent effectivement plus souvent des études que ceux restés à la Réunion. Cependant, le taux de chômage des titulaires d’un diplôme de second cycle est plus élevé chez ceux qui sont partis en métropole entre 1990 et 1999 que chez ceux restés à la Réunion (respectivement 8,3 % et 6,7 %). Pour les migrants les plus récents et les plus diplômés, la concurrence sur le marché du travail est plus forte en métropole qu’à la Réunion et explique des taux d’emploi inférieurs à ceux des natifs non migrants, qui sont très peu touchés par le chômage à ce niveau de diplôme.
79On observe globalement les mêmes tendances chez les femmes (fig. 13 b). Pour les niveaux de diplômes inférieurs au bac, les Réunionnaises de métropole occupent plus souvent un emploi que les non-migrantes. Les Réunionnaises parties en métropole au cours de la dernière décennie connaissent une situation intermédiaire entre les migrantes plus anciennes et les natives de la Réunion n’ayant pas migré.
80À partir du baccalauréat, l’écart des taux d’emploi entre les Réunionnaises installées avant 1990 en métropole et les non-migrantes se réduit. Le taux d’emploi des non-migrantes est même plus élevé pour les titulaires d’un diplôme de second cycle de l’enseignement supérieur. On peut avancer comme explication une concurrence plus forte avec les métropolitaines pour les migrantes et au contraire des opportunités plus nombreuses à la Réunion pour les plus diplômées n’ayant pas migré. Après le bac, les natives de la Réunion parties en métropole entre 1990 et 1999 ont toujours des taux d’emploi inférieurs aux migrantes plus anciennement installées et aux non-migrantes. Là encore, de nombreuses migrantes de métropole d’un niveau supérieur au bac poursuivent des études, ce qui explique des taux d’emploi plus faibles. Cependant, quand on s’intéresse au taux de chômage des Réunionnaises les plus diplômées à la Réunion et en métropole, on constate qu’ils sont toujours moins élevés chez les non-migrantes. Pour les migrantes de la période 1990-99, 29 % des bachelières et 14 % des titulaires d’un diplôme de second cycle déclarent être au chômage contre respectivement 23 % et 8 % pour les non-migrantes et 15 % et 12 % pour les natives ayant migré avant 1990. Plus qu’à la Réunion, les migrantes les plus diplômées éprouvent des difficultés d’insertion sur le marché du travail métropolitain.
Vue d’ensemble
81Les natifs de la Réunion qui résident en métropole ont des taux d’emploi globalement supérieurs à l’ensemble des Réunionnais n’ayant pas migré. Les Réunionnais qui ont migré avant les années 1990 sont bien insérés sur le marché de l’emploi, leurs caractéristiques sont très proches de celles de l’ensemble des métropolitains. Les natifs de la Réunion qui ont migré en métropole entre 1990 et 1999 éprouvent plus de difficultés d’insertion, mais leur arrivée plus récente et leur moins bonne connaissance du marché de l’emploi peut expliquer l’essentiel de cette différence. À tous les âges, les migrants de métropole occupent plus souvent un emploi que les natifs restés à la Réunion. Cependant, pour la période 1990-1999, le bénéfice de la migration en métropole en terme d’accès à l’emploi se vérifie surtout pour les plus jeunes et pour les moins diplômés. Les migrants plus âgés et les titulaires d’un diplôme supérieur ou égal au bac semblent rentrer plus souvent en concurrence avec les métropolitains sur le marché du travail.
Conclusion
82Après avoir été un département d’émigration jusqu’à la fin des années 1970, la Réunion accueille à présent plus de gens qu’elle n’en voit partir. Cette différence entre les arrivées et les départs contribue à augmenter le nombre d’actifs, ce qui crée des tensions sur un marché du travail au dynamisme insuffisant.
83Dans ce contexte, toutes les populations ne tirent pas les mêmes avantages de la migration. Les natifs de la Réunion de retour dans leur département après avoir migré et les individus nés en métropole venus s’installer à la Réunion ont un niveau d’étude élevé qui leur permet de bien s’insérer sur un marché du travail réunionnais demandant de plus en plus de qualifications. À l’inverse, les populations de l’océan Indien et les natifs de la Réunion ayant un niveau de diplôme plus bas connaissent une insertion difficile et occupent moins souvent un emploi.
84C’est sans doute pourquoi les autorités publiques misent sur l’enseignement supérieur, que ce soit localement à l’université de la Réunion ou bien par la création d’un programme de mobilité, relayé par l’ANT et le Cnarm, destiné à aider les jeunes souhaitant suivre des études en métropole ou à l’étranger. Ces programmes sont encore récents et il est trop tôt pour en mesurer les effets. Cependant, ils apportent une nouveauté par rapport aux grands programmes de mobilité des décennies 1960 et 1970, puisqu’ils se placent dans la perspective d’un retour profitable et non pas d’une émigration de longue durée, voire définitive.
85Le récent débat sur le thème de la « préférence régionale », qui a largement été relayé par la presse locale, illustre le rôle central qu’occupent ces questions de migration et d’emploi dans l’opinion publique. Afin de mieux évaluer cette relation entre migration et emploi, et surtout de mesurer l’impact de l’immigration sur l’ensemble du marché du travail à la Réunion, il conviendrait d’approfondir cette première approche à partir d’une analyse plus fine de l’offre et de la demande d’emploi à la Réunion selon le secteur d’activité, le type d’emploi occupé, la position professionnelle, les niveaux et les filières d’études des populations migrantes et non migrantes. Il faudrait également dépasser cette approche à partir des taux d’emploi et s’intéresser aux effectifs respectifs d’actifs occupés et de chômeurs des populations migrantes et non migrantes.
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Annexe
Annexe : note méthodologique sur la mesure des migrations
Le critère du lieu de naissance
Dans cette étude, c’est le critère du lieu de naissance qui définit la population immigrante établie à la Réunion. Cette dernière comprend donc les personnes nées en dehors de l’île et y résidant. Appliqué aussi à la détermination des émigrants, ce critère du lieu de naissance reste commode pour la statistique mais il est réducteur sur certains aspects, ce qui appelle quelques remarques et précisions.
Tout d’abord, un enfant de Réunionnais né en métropole sera compté comme métropolitain ou plus exactement comme personne née en métropole. À l’inverse, un enfant né à la Réunion d’un couple dont les deux parents sont nés en métropole sera compté comme Réunionnais. Ces cas, qui étaient marginaux auparavant, pouvaient être négligés. Avec l’intensification des échanges, ils deviennent plus fréquents et il faut en tenir compte dans les analyses.
Le critère du lieu de naissance n’entre pas habituellement dans la définition des populations migrantes. Il permet seulement de mieux les analyser et d’isoler, même de façon imparfaite, les Réunionnais de retour. Ce critère doit donc être utilisé avec prudence, car il ne suffit pas à lui seul à désigner une population immigrée. Rappelons qu’un immigré est une personne née étrangère et à l’étranger. Or, dans le cas de l’analyse des migrations entre la Réunion et l’extérieur, il faut rappeler que la grande majorité des mouvements migratoires concerne des citoyens français, nationaux et d’outre-mer. Rappelons qu’avec seulement 0,5 % de la population totale, la Réunion est le département français qui compte la plus faible proportion d’étrangers résidant sur son territoire.
L’estimation du solde migratoire intercensitaire
La mesure des mouvements migratoires entre la Réunion et le reste du monde est comme partout ailleurs entachée d’incertitudes. Traditionnellement, les données des recensements de la population ainsi que les chiffres de l’état civil permettent une estimation du solde migratoire apparent. La méthode de calcul, sur une période intercensitaire donnée, consiste à retrancher les mouvements naturels (naissances - décès) à l’accroissement total entre deux dates de recensements et à en déduire le solde migratoire.
Pour autant, la précision du solde ainsi calculé est étroitement liée à la qualité des statistiques utilisées. La moindre variation du taux d’erreur entre deux recensements successifs peut faire varier considérablement la valeur du solde migratoire obtenu par déduction. Les données d’état civil doivent également être de bonne qualité. En ce qui concerne la Réunion, la qualité de la collecte des données d’état civil et des Recensements s’est considérablement améliorée lors des dernières décennies, la qualité globale de ces données est communément reconnue. Cependant, la faible valeur du solde migratoire au regard de la population totale de l’île ou encore de l’accroissement naturel incite à la prudence. En effet, une variation minime dans la mesure de la population totale, du nombre de naissances ou de décès peut avoir de fortes conséquences sur la valeur et le signe du solde. Le solde migratoire de la période 1990-1999 ne représente que 2,3 % de la population totale de la Réunion en 1999 et explique seulement 15 % de l’accroissement total de la population entre 1990 et 1999. Aussi, dans l’objectif de valider les données utilisées dans ce chapitre, nous avons cherché à confronter la valeur du solde migratoire intercensitaire estimé avec les résultats issus d’autres sources existantes : données aéroportuaires du trafic passager, recensements métropolitains et statistiques des opérateurs de la mobilité (ANT, CNARM).
Le solde migratoire calculé à partir des données du trafic passager
Le cadre insulaire du département de la Réunion implique qu’il n’existe qu’un nombre limité de points d’entrées et de sorties du territoire. Actuellement, on en compte trois. Il s’agit des aéroports de Rolland-Garros à Saint-Denis et de Pierrefonds à Saint-Pierre, auxquels il faut ajouter le port de la Pointe-des-Galets. L’ensemble des mouvements de passagers au départ et à l’arrivée de la Réunion est mensuellement comptabilisé aux différents points d’entrées et de sorties. Les touristes qui font des séjours de courtes durées sont enregistrés à l’arrivée et au départ et ont donc une valeur nulle sur le solde migratoire. La différence entre l’ensemble des arrivées et des départs sur une longue période peut donc être attribuée au solde des seuls migrants. Nous avons donc recueilli ces données aéroportuaires pour calculer un solde migratoire. Pour pouvoir comparer ces résultats à ceux obtenus à partir des recensements et de l’état civil, nous avons regroupé les données mensuelles sur les mêmes périodes intercensitaires, au mois près (tabl. 2).
La lecture de ces données nous donne une première information concernant le développement des échanges de passagers entre la Réunion et l’extérieur. Entre la première et la dernière période intercensitaire, le nombre de mouvements dans un sens ou dans l’autre a été multiplié par près de 80. On remarque ainsi qu’au fur et à mesure, la valeur du solde migratoire est de plus en plus réduite si on la rapporte à l’ensemble des mouvements de passagers sur une même période. Entre 1954 et 1961, le solde migratoire représentait 1,9 % de l’ensemble des mouvements de passagers, il ne représente plus que 0,3 % de ces mouvements entre 1990 et 1999.
La comparaison des soldes migratoires calculés à partir des recensements et des données du trafic aéroportuaire sur les sept périodes intercensitaires indique une concordance relative de ces deux sources de données (tabl. 3). Tout d’abord, mis à part la période 1982-1990 où la valeur du solde était particulièrement faible quelle que soit la source retenue, le signe du solde migratoire est respecté pour l’ensemble des périodes intercensitaires. Les grands ordres de valeur des soldes sont également respectés d’une série à l’autre. Malgré des différences notables, le rapprochement de ces deux séries de données nous indique que la source du mouvement de passagers est relativement fiable. Cette source peut notamment permettre d’obtenir des informations sur les tendances annuelles du solde migratoire, plus complètes que les soldes apparents annuels moyens issus des recensements.
Évidemment, les écarts entre les deux séries ont tendance à s’accroître au fur et à mesure que la population totale de la Réunion ainsi que les mouvements de passagers augmentent en volume. Quelle que soit la méthode retenue, il est d’autant plus difficile de déduire des populations peu nombreuses de migrants que les grands ensembles de population correspondants (population totale, arrivées, départs) sont importants. L’ampleur des mouvements de passagers sur les dernières périodes est telle que la moindre variation de mesure d’une seule des parties peut entraîner des risques d’erreurs importants d’estimation du solde migratoire. Aussi, afin de minimiser les risques d’erreurs et afin d’avoir une continuité avec les travaux antérieurs20, nous privilégierons la méthode classique d’estimation du solde migratoire à partir des données de l’état civil et des recensements. En outre, il faut noter que si les données du trafic aéroportuaire permettent une mesure globale du phénomène, elles ne permettent pas comme les recensements d’analyser plus précisément la composition du solde migratoire selon le sexe, le lieu de naissance ou l’âge.
Le solde migratoire selon le lieu de naissance
Nous avons vu que l’estimation du solde migratoire résulte de la compensation de mouvements contraires que sont les arrivées et les départs. À la Réunion, les mouvements opposés des arrivées et des départs concernent des populations différentes. Schématiquement, les natifs de la Réunion quittent le département alors que les personnes nées en dehors de l’île viennent s’y installer. Dans ce contexte, il convient d’affiner l’estimation du solde migratoire à la Réunion en différenciant la population selon le lieu de naissance des individus. La distinction de la population migrante selon le lieu de naissance et le sexe utilise la même méthode que celle citée précédemment pour le solde global aux différents recensements. La seule différence concerne le mouvement naturel de la population née hors de la Réunion qui se limite, par définition, aux seuls décès sur place.
Pour les natifs de la Réunion, une confrontation de ces chiffres est possible avec les résultats issus des recensements nationaux sur la présence des personnes nées à la Réunion et résidant en métropole. En 1990 et en 1999, les dates de recensements très proches entre la Réunion et la métropole (dix jours d’écart en 1990 et le même jour en 1999) autorisent ce rapprochement. Pour la période 1990-1999, nous comparons ici le solde calculé à partir des données départementales avec le nombre de Réunionnais recensés en métropole en 1999 qui ont déclaré résider à la Réunion en 1990 (tabl. 4).
Le solde migratoire estimé est toujours supérieur au nombre de natifs de la Réunion recensés en métropole. Quand la concordance entre les chiffres est la moins bonne, le nombre de Réunionnais recensés en métropole est inférieur de près de 24 % au solde migratoire21. Malgré un développement récent des départs de Réunionnais vers l’étranger, il semble peu probable que cette différence s’explique dans son ensemble par les natifs qui ont quitté la Réunion pour l’étranger ou un autre DOM-TOM. L’explication de cette différence peut être attribuée soit à un sous-dénombrement de la population des natifs de la Réunion en métropole récemment arrivés, soit à une surestimation des départs de natifs de la Réunion vers l’extérieur. Ce constat nous conduit à approfondir le calcul du solde migratoire selon le lieu de naissance et l’âge des individus.
Estimation du solde migratoire selon l’âge
La méthode d’estimation du solde migratoire selon l’âge repose sur le rapprochement des données des recensements de 1990 et 1999 par générations. Nous appliquons ensuite les décès de la période 1990-1999 et pouvons en déduire une estimation du solde migratoire selon l’âge et le lieu de naissance. Pour les individus nés entre les deux recensements (0-9 ans en 1999), il est possible de remplacer la population du recensement par la répartition annuelle des naissances à l’état civil depuis 1990. Cependant, la mesure des populations les plus jeunes aux recensements est toujours inférieure à celle donnée par la collecte des naissances de l’état civil. La qualité de la collecte s’améliore ensuite rapidement à mesure que la population vieillit. Aussi, ce biais de mesure conduit à augmenter le nombre de départs déduits pour les plus jeunes en affichant des soldes fortement négatifs en dessous de 10 ans. Afin de limiter ces biais de mesure, nous avons fait le choix de présenter les soldes par âge (fig. I) de la population déjà née en 1990.
Le solde migratoire global pour la population de dix ans et plus est égal à + 17 618, soit légèrement supérieur au solde précédemment calculé sur la population totale qui était de + 16 271. L’évolution générale du solde selon l’âge indique des soldes négatifs difficilement explicables pour la population des plus de 80 ans. Comme pour les plus jeunes, il pourrait s’agir d’un biais de mesure de la population des plus âgés au recensement qui augmenterait artificiellement le nombre de départs. L’ensemble de ces considérations nous conduit donc à privilégier les classes d’âges les moins soumises aux erreurs de mesures et les plus concernées par la migration. Dans cette étude, nous limitons ainsi l’analyse de la migration selon l’âge à la population des 15-65 ans. Le solde migratoire global de cette population est égal à + 13 250. Cela permet aussi de se concentrer sur la part la plus active de la population, celle qui a pris personnellement la décision de migrer. Les migrations d’individus plus jeunes ou plus âgés sont en effet généralement induites par les mouvements de cette population adulte.
Pour les seuls natifs, il est possible de confronter le solde migratoire estimé selon l’âge à la distribution par âge des natifs de la Réunion recensés en métropole en 1999 et immigrés depuis 1990. La comparaison de ces deux séries est possible pour les âges où le solde des départs est fortement négatif, c’est-à-dire pour les 10-30 ans (fig. II). Ce graphique nous indique que pour les âges où les départs des Réunionnais sont les plus importants, la population des natifs de la Réunion en métropole semble sous-estimée. Entre 10 et 20 ans, les écarts sont très faibles entre les deux séries, après 20 ans les écarts se creusent. À partir de 20 ans, le nombre de départs augmente, l’écart reste relativement constant selon l’âge entre les deux séries, les deux courbes suivent approximativement les mêmes tendances. Un sous-dénombrement à chaque âge de la population des jeunes adultes natifs de la Réunion en métropole pourrait expliquer cette différence.
Il nous semble en effet difficile de croire que les recensements de la Réunion, qui sont exploités à l’exhaustif, puissent sous-estimer la population des 20-30 ans et ainsi gonfler le nombre de départs déduits. À l’inverse, nous pencherons davantage pour un sous-dénombrement de la population des natifs de la Réunion en métropole. Cette population mobile, jeune et récemment arrivée peut en effet être plus difficilement recensée. Il est même envisageable qu’un certain nombre de jeunes natifs ayant migré en métropole entre 1990 et 1999 continuent de déclarer la résidence de leurs parents à la Réunion comme résidence principale. Enfin, une part de cette différence doit être attribuée aux natifs de la Réunion partis à l’étranger ou dans un autre DOM-TOM.
L’estimation des départs
Le solde migratoire représente la différence entre les arrivées dans le département de la Réunion et les départs vers l’extérieur. Le nombre des arrivées à la Réunion entre deux recensements est connu grâce aux données départementales. En croisant le critère du lieu de résidence antérieure avec celui du lieu de naissance, il est possible de distinguer les natifs de retour des métropolitains et des personnes nées à l’étranger ou dans un autre DOM-TOM selon leur provenance.
Les départs de la Réunion vers le reste du monde sont beaucoup plus difficiles à estimer. Dans les années 1960-1980, le nombre de départs de Réunionnais vers l’extérieur était connu avec précision grâce aux données recueillies par le Bumidom. Au cours de cette période, le Bumidom organisait et mesurait la quasi-totalité des départs vers l’extérieur de l’île. Ces statistiques au départ permettaient le calcul de nombreux indicateurs d’émigration. Depuis, le Bumidom a disparu et a été remplacé par l’ANT.
Aujourd’hui, l’ANT et le CNARM sont les deux principaux opérateurs locaux chargés de mettre en œuvre la politique incitative à la mobilité de l’État et des collectivités locales. Ces deux organismes qui aident et suivent les Réunionnais dans leur projet de mobilité recueillent des statistiques au départ de la Réunion. Cependant, ces statistiques mesurent les partants qui bénéficient d’une aide à la mobilité et ne tiennent pas compte de la mobilité spontanée qui s’est fortement développée depuis les années 198022. En outre, contrairement aux migrations passées qui s’assimilaient le plus souvent à une installation durable, la mise en œuvre de la politique de mobilité actuelle entraîne une augmentation des allers-retours23. Il peut alors être délicat de distinguer le migrant de l’individu ayant réalisé une mobilité de courte durée. Ce constat est d’autant plus vrai que les retours à la Réunion après un séjour de courte durée semblent moins bien comptabilisés que les départs. Ces séries de départs ne comptabilisant que les migrants qui bénéficient d’une aide ne peuvent donc pas être utilisées dans le cadre d’une étude globale des migrations entre la Réunion et l’extérieur. Cependant, il pourrait être utile dans la perspective de recherches ultérieures sur les flux migratoires d’approfondir l’expertise de cette source.
L’ensemble de ces constats nous amène à privilégier la distribution du solde migratoire estimé à partir des recensements départementaux, c’est-à-dire la source qui donne le nombre maximal de départs, pour les analyses de la migration selon l’âge.
L’estimation des retours
Le nombre de natifs de la Réunion de retour dans leur département après avoir migré peut être partiellement approché à partir des données des recensements départementaux. Au recensement de 1999, le croisement des variables du lieu de résidence antérieure et du lieu de naissance permet d’isoler les natifs de la Réunion qui résidaient hors du département au recensement de 1990. Il est par contre beaucoup plus difficile d’estimer le nombre de Réunionnais qui ont émigré et qui sont revenus entre deux recensements. En effet, un Réunionnais qui est parti vivre en métropole en 1995 et qui est revenu dans son département en 1998, n’est pas considéré comme un migrant au sens du recensement, car il a été recensé à la Réunion en 1990 et en 1999. Nous ne possédons pas de données d’observation ou de moyen de calcul propres à la population réunionnaise pour estimer ces « allers-retours ». Dans cette étude, les retours sont analysés à partir des données issues des recensements départementaux. L’analyse portera donc sur le nombre de retours des natifs de la Réunion qui ont déclaré vivre hors de la Réunion au recensement précédent.
Flux migratoires et stocks de migrants
Nous avons pu constater que l’analyse des flux migratoires à la Réunion à partir des données existantes et particulièrement des recensements de la population peut s’avérer difficile. Les sources utilisées ne permettent pas de mesurer l’ensemble des mouvements migratoires et il faut donc avoir recours à des estimations qui, par définition, seront toujours plus incertaines que la collecte statistique d’un phénomène.
Après confrontation des différentes sources existantes, nous avons choisi de privilégier l’approche des flux migratoires à partir des soldes intercensitaires estimés. Cette approche des flux migratoires n’est pas la seule possible dans une étude des migrations. Nous complétons cette étude des migrations à partir de l’analyse du stock des populations migrantes à la Réunion et en métropole. Cette approche complémentaire de la migration en stock et non en flux présente moins de risques d’erreurs. L’importance en volume de la population des natifs de la Réunion en métropole (N = 94 585 en 1999) ou de la population des personnes nées hors de la Réunion y résidant (N = 98 023 en 1999) permet d’évacuer la plupart des incertitudes de mesure des flux. Les variables des recensements réunionnais et métropolitains permettent de réaliser des analyses approfondies sur la situation des populations migrantes et non migrantes.
Définitions
Population active au sens du recensement : sont actifs, au sens du recensement, les individus qui déclarent avoir un emploi, ceux qui déclarent être chômeurs et n’ont pas d’emploi, ceux qui sont inactifs mais recherchent un emploi. Depuis 1982, les militaires du contingent font aussi partie de la population active.
Taux d’activité au sens du recensement : dans une population donnée, c’est le rapport entre le nombre d’actifs (actifs occupés + chômeurs + militaires du contingent) et la population totale correspondante (15 ans et plus).
Taux de chômage au sens du recensement : dans une population donnée, c’est le rapport entre le nombre de chômeurs et la population active correspondante (15 ans et plus).
Taux d’emploi : dans une population donnée, c’est le rapport entre le nombre d’actifs occupés et la population totale correspondante (15 ans et plus).
Notes de bas de page
1 La Réunion est le département français qui compte la plus faible proportion d’étrangers, à savoir 0,5 % de la population totale en 1999.
2 Voir tableau I en annexe pour le calcul détaillé.
3 En 1982, la création de l’ANT témoigne d’un changement d’objectif de la politique d’émigration. Contrairement au Bumidom qui visait principalement l’aide au départ des travailleurs d’outre-mer, l’ANT va se mobiliser pour l’insertion des émigrés déjà présents en métropole.
4 Ici, un « métropolitain » ou un « étranger » désigne respectivement un individu « né en métropole » ou « né dans un pays étranger ». De la même manière un « Réunionnais » est considéré comme tel s’il est « né à la Réunion ».
5 Voir annexe méthodologique.
6 Une description plus précise de la répartition par nationalité des migrants étrangers et des DOM-TOM sera donnée dans la section suivante.
7 En février et mars 1991, la Réunion a connu des émeutes (soulèvements, affrontements avec les forces de l’ordre, pillages de magasins) sans précédent, principalement localisées dans le quartier du Chaudron. Une décision du CSA (Conseil supérieur de l’audiovisuel) visant l’arrêt des émissions de Télé Freedom a été le déclencheur de ces événements.
8 En 1999, 6 564 individus nés dans un TOM ont été recensés à la Réunion, dont 6 056 Mahorais. Il s’agit d’une population jeune (60 % ont moins de vingt ans) et féminine (61,5 % des plus de 19 ans sont des femmes).
9 En 1999, 1 500 000 mouvements de passagers (arrivées et départs) ont été enregistrés dans les aéroports et au port de la Réunion contre seulement 400 000 en 1982.
10 Voir annexe méthodologique pour l’explication détaillée de ce choix.
11 Voir annexe méthodologique pour l’explication détaillée de ce choix.
12 La majorité des Malgaches et des Comoriens installés à la Réunion possèdent la double nationalité. Au recensement de 1999, la Réunion dénombrait seulement 3 614 étrangers dans sa population.
13 Dans son approche comparative des facteurs à l’œuvre dans l’évolution économique divergente de la Réunion et de Maurice, notamment du point de vue de l’emploi, I. Widmer décrit les grandes étapes de l’émigration réunionnaise vers la métropole et montre en quoi cette organisation des départs avait pour but de soulager le marché du travail réunionnais confronté à la montée du chômage (Widmer, 2005).
14 Rappelons que parmi les arrivants à la Réunion entre 1990 et 1999, 85 % des natifs de retour et 92 % des métropolitains résidaient en métropole en 1990.
15 Les métropolitains et les natifs de retours de migration représentent 80 % des 77 400 individus qui se sont installés à la Réunion entre 1990 et 1999. En outre, les deux tiers du stock de la population immigrée à la Réunion sont des individus nés en métropole.
16 Pour une analyse complète des différences entre les hommes et les femmes en termes d’accès à l’emploi et de comportements démographiques, nous renvoyons le lecteur au dossier « Femmes et hommes à parité ? » (Insee, 2004 b).
17 Les études sur la pauvreté à la Réunion (Alibay et forgeot, 2006 ; Temporal, 2006) soulignent que le niveau de diplôme a un impact sur les possibilités d’accès à l’emploi et sur la pauvreté. L’absence de qualification réduit les possibilités d’accès à l’emploi et constitue un facteur de risque de pauvreté.
18 En 1999, sur l’ensemble des couples de métropole dont l’un au moins des conjoints est originaire de la Réunion, 46 % unissent une Réunionnaise et un métropolitain, 35 % un Réunionnais et une métropolitaine, tandis que 17 % unissent deux natifs de la Réunion.
19 Le service militaire a pendant longtemps été la première cause du départ des natifs de la Réunion qui sont revenus s’installer dans leur département vers la métropole. En 1997, 36 % des migrants de retour dans l’île après avoir effectué un séjour de plus de six mois étaient partis pour accomplir leurs obligations militaires. La réforme du service militaire a entraîné une réduction des effectifs des appelés nés à la Réunion dès 1997.Avec la fin du service militaire disparaît un courant de migration important entre la Réunion et la métropole qui peut contribuer à réduire globalement les départs des Réunionnais (Bousquet, 2001).
20 Notamment les travaux de Festy et Hamon (1983).
21 Pour la période1961-1974, Festy et Hamon (1983) énonçaient une sous-estimation de 15 % avec un nombre de Réunionnais en métropole ainsi qu’un solde migratoire moins importants.
22 L’enquête migration réalisée en 1991 par l’Insee-Réunion estimait à 30 % le nombre de migrants quittant la Réunion sans bénéficier d’une aide.
23 Les opérateurs proposent une aide au départ de la Réunion mais également une aide au retour dans les quelques mois suivant le départ si le projet du migrant n’a pas pu être mené à bien sur le lieu de migration.
Auteur
Démographe, consultant indépendant, La Réunion.
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