Les techniques de cultures en terrasse dans les monts Mandara, Extrême Nord Cameroun
Résumés
Dans l’Extrême-Nord-Cameroun, les nombreuses populations des monts Mandara avaient conscience, lors de leur installation, du caractère difficile de leur milieu : difficultés climatiques, édaphiques et topographiques. Ces conditions se détériorent avec les changements climatiques marqués surtout par un assèchement généralisé et la pression croissante de la population sur des ressources très limitées. De plus les stratégies séculaires de survie ont à peine évolué et se limitent à la réalisation de terrasses de pierres sèches et de techniques associées telles que l’alignement simple de pierres, le paillage, l’élevage en case et le fumier, l’agroforesterie sur les pentes les moins fortes et le contrôle du ruissellement par l’association des cultures et, dans une moindre mesure, le labour profond sur les replats et dans les vallées.
L’objectif de notre communication est d’établir un inventaire des techniques de gestion des sols et de faire ressortir leur niveau d’efficacité : on a montré que la grande difficulté de ces milieux est avant tout le décalage entre la pression démographique et la ressource. Les résultats de nos travaux sont étayés par des observations et des enquêtes de terrain effectuées sur plus de deux décennies et dans le cadre du programme de recherche AUF P2 – 2092RRR521 du réseau érosion de l’AUF.
In the Extreme Northern Cameroon, physical, pedological, hydrological and topographical conditions are difficult but numerous populations found a protection against the Muslims coming from the peulh emirate of SOKOTO (NE of present Nigeria) in 1904. The mountains were covered by lithosols and dry forest before the populations built terraces quite everywhere, associated with agroforestry, stone lines, breeding, manuring, mulching or deep plowing in the flat areas. This paper wants to describe the terracing system, to analyze their efficiency and to show the difficulties to nourish the increasing population in this difficult semi-arid environment.
The study is a synthesis of more than 20 years observations & inquiries on the fields.
Entrées d’index
Mots-clés : Extrême-Nord-Cameroun, conservation des sols, développement, eau, stratégies traditionnelles, pression démographique
Keywords : Northern Cameroon, Soil and water conservation, traditional techniques, efficiency of terracing, demographic pressure
Texte intégral
Introduction
1Dans le Nord Cameroun où toutes les populations sont confrontées à un déficit chronique en eau, c’est probablement dans les monts Mandara, que le problème de sa gestion conservatoire se pose avec le plus d’acuité en raison des contraintes climatiques, topographiques et édaphiques.
2Conscientes de leur environnement difficile, les populations (Mandara, Mafa, Mofou, Kapsiki, Hina, Goudé, Daba et Njegn…) ont mis sur pied une technique séculaire de cultures en terrasses de pierres sèches, pour lutter contre les effets du ruissellement et assurer la rétention et l’infiltration des eaux de surface.
3En prise à une démographie croissante et à l’accentuation des besoins alimentaires, la pression sur les ressources est de plus en plus élevée et compte tenu des travaux nécessaires à l’aménagement de nouvelles parcelles des tensions se font jour.
4D’après les travaux de terrain, la description des dispositifs antiérosifs et des enquêtes conduites auprès des populations locales, notre communication a pour objectif d’analyser l’efficacité des terrasses dans ce milieu montagnard très peuplé où le paysan est conscient que la dégradation des sols entraîne une baisse des rendements agricoles et c’est pourquoi il lutte inlassablement en remontant la terre sur les terrasses. Il s’agit dans ce travail de voir les effets de la technique des terrasses sur la productivité du sol avant de montrer qu’elle reste somme toute insuffisantes et requiert des mesures complémentaires.
I. Les monts Mandara et leurs contraintes physiques pour les activités rurales
5Les monts Mandara forment un massif cristallin et cristallophyllien profondément disséqué qui s’allonge sur 150 km selon un axe N - S entre N 9° 45’et N 11° à la frontière camerouno-nigériane et au Cameroun en direction de l’Est sur une largeur de 50 km. Ils dominent la cuvette de la Bénoué au Sud et celle du Tchad constituées de plaines à l’Est et au Nord par une dénivellation de 300 à 500 m. Individualisées depuis la dislocation du continent de Gondwana au Crétacé, ces montagnes appartiennent au vieux socle camerounais plissé, métamorphisé, granitisé pendant les orogenèses précambriennes. Dans l’ensemble ils comportent 2 types de paysages géomorphologiques : les bourrelets montagneux et les plateaux intramontagneux.
6Les bourrelets montagneux sont divisés en trois unités :
L’ensemble des massifs Mandja-Téléki-Ouroum disposé en arc de cercle au S-E et au Sud surplombe les plateaux intérieurs par une pente de 18°. D’une altitude moyenne de 900 m, cet ensemble incliné S-E (0° 9) est découpé en crêtes rocheuses surmontées de collines aux versants linéaires à pente moyenne de 9°. Ces collines sont séparées par des vallées parallèles orientées NO-SE, taillées dans une mince pellicule d’arène.
Les monts Matakam, aux versants à fortes pentes (27 à 30°), forment un gigantesque fer à cheval autour du pédiment de Koza. Ils se caractérisent par leur aspect massif et leurs hauts sommets dont le mont Oupay 1494 m, qui constitue le point culminant des monts Mandara.
Le bourrelet montagneux de la bordure orientale s’allonge de façon continue de Mofou à Mora. D’une altitude moyenne de 950 m, ce bourrelet a des versants à fortes pentes (24°) surplombant les plateaux intramontagneux et le piémont (Boutrais, 1984).
7Les plateaux intramontagneux sont à une altitude moyenne de 840 m avec une pente moyenne de 1° 79. (tableau I, figure 1).
8Dans l’ensemble, les fortes pentes et les affleurements rocheux constituent les premières contraintes pour la pour la mise en valeur de monts Mandara. Même si la fourniture abondante de matériaux rocheux permet de lutter efficacement contre l’érosion, les cailloux de surface, si gênant soient-ils pour les travaux agricoles, assurent une protection contre l’érosion en nappe et l’effet de splash (Humbel et Barbery, 1974). C’est à ces contraintes que sont liés les reliefs squelettiques susceptibles d’être érodés facilement du fait du caractère torrentiel des eaux de ruissellement et de la gravité. Les versants rocheux sont nus dans leur moitié supérieure et couverts à leur base de gros blocs et/ou d’un lithosol mince (2 cm) alors que dans les aires à topographie plus ou moins calme une pellicule détritique altérée voile un substratum sub-affleurant. Sur les petits replats larges d’une dizaine de mètres et sur les plateaux intramontagnards où les arènes forment une couverture colluviale autour des pointements rocheux, les faibles pentes inférieures à 4°, le socle cristallin alimente l’horizon d’altération en matériau grossier de taille centimétrique. Epaisse sur le palier de Bourrah (150 cm environ), la frange d’altération n’est plus que de 60 cm sur le gradin de Roua et de 10 à 30 cm autour de Mokolo. Elle y alterne avec des dalles rocheuses nues. Son épaisseur dépend toutefois de la nature de la roche-mère. Les granites se débitent en boules régulières métriques à partir d’un réseau de diaclases orthogonales, fournissent une arène abondante. Les roches métamorphiques telles que les anatexies comportant des fissures plus diffuses donnent des blocs et des fragments irréguliers de taille métrique. Les arènes quartzo-feldspathiques et de mica pris dans une matrice de limon argileux constituent des lithosols et des sols régosoliques plus ou moins médiocres comme support agricole même s’ils possèdent quelques caractères chimiques favorables : pH neutre ou faiblement acide, réserves d’éléments fertilisants (chaux, magnésium, potassium, sodium et phosphore). Cependant les plantes ne peuvent disposer immédiatement de tous ces éléments fertilisants. La décomposition se produit le plus souvent sous forme de feldspaths résistants aux agents de destruction et même quand ils finissent par s’altérer en minéraux argileux (rien que 10 %), les sols sur pente ne les reçoivent que très lentement (Boutrais, 1984).
9Avant l’intervention de l’homme, ces lithosols portaient une forêt claire. Cette végétation soudano-sahélienne d’altitude à épineux colonisateurs qualifiée de « végétation primitive » (Fotius et Letouzey, 1968), à cause de sa luxuriance favorisée par des conditions climatiques plus humides qu’en secteur de piémont, se rencontre plus que sur les grands chaos granitiques et les versants inaccessibles car la quasi-totalité de l’espace est anthropisé. Ces reliques sont à l’abri des feux de brousse et des défrichements. Elles sont à dominance de ficus, Lannea acida et Microcarpa. Sur les roches plus ou moins dénudées, les quelques rares arbres exploitent les anfractuosités. Les sols régosoliques des versants réguliers sont sous couvert d’Acacia albida, de Parkia biglobosa, de Butyrospermum parkii, de Tamarindus indica et de Ziziphus mauritiana.
10Les monts Mandara, plus que les autres secteurs du soudano-sahélien et du sahélien camerounais, constituent un milieu écologiquement vulnérable qui s’explique par l’ampleur des contrastes thermiques saisonniers sur un fond général de chaleur et de sécheresse récurrente (Suchel, 1987). L’assèchement actuel du climat est marqué par la brièveté, la précarité et la variabilité de l’apport pluviométrique (fig. 2). Cette dernière résulte plus des grandes irrégularités temporelles et de la mauvaise répartition spatiale que des déficits globaux.
11Cette situation engendre des conditions de sécheresse selon la classification de Mainguet (1995) : un assèchement climatique (saison sèche de 7 à 9 mois sur 12 avec P/ETP déficitaire) ; un assèchement hydrologique avec les conditions d’écoulement saisonnier spécifiques des milieux secs caractérisées par un endoréisme sous-tendu par l’évaporation des eaux et l’infiltration dans un substrat grossier ; un assèchement édaphique car les sols sont de texture macro-grenue sableuse avec une faible capacité de rétention en eau et un assèchement agricole puisque les années pluviométriques déficitaires et/ou des pluies « trompeuses » ou interrompues sont récurrentes. La faible épaisseur des formations superficielles favorise l’écoulement hypodermique (sub-superficiel).
12Les conditions structuro-topographiques, (substrat rocheux et pentes plus ou moins fortes) accélèrent l’érosion et le ruissellement, la sécheresse accentue le caractère xérophytique de la végétation qui laisse les sols nus, conduisant à leur dessèchement et à leur déstructuration. Les terres minces et rocailleuses des montagnes s’assèchent très rapidement rendant l’aménagement des versants nécessaire avant toute mise en valeur agricole.
2. Caractéristiques des terrasses sur les monts Mandara
13Les terrasses sont omniprésentes : chaque espace accessible est utilisé. Leur hauteur dépend de l’inclinaison de la pente. Plus elle est accentuée plus la terrasse est haute. Elles sont constituées de murets de pierres sèches de 40 à 50 cm voire 150 cm (Oudjila) de haut. Le tracé des murets linéaire, sinueux, brisé, arqué suit grossièrement les courbes de niveau. Elles sont de plusieurs types :
les murets de pierres sèches de taille inférieure à 40 cm forment des marches d’escaliers délimitant des liserés de terre constituant des contremarches de 30 à 60 cm de large. Cet aménagement est propre aux pentes abruptes (50 à 80 %). Le profil est brisé, (photo 1) ;
sur des versants convexes à pente moyenne (5 à 10 %) les terrasses sont espacées par des planches dont la largeur métrique et très variables. Le profil d’ensemble est convexe (photo 2) ;
des poches de terres sont retenues entre les blocs rocheux dans les secteurs très chaotiques (photo 3) ;
les versants sont constitués d’une alternance de plages rocheuses nues et de poches de terre soutenues par des terrasses, (photo 4). Ce dispositif favorise la collecte des eaux sur les plages rocheuses et donc enrichit l’alimentation en eau des terrasses.
14Dans les deux premiers cas, les terrasses sont soit construites ex-nihilo avec un matériel varié : blocs de granite macro-grenu plus ou moins altéré, fragments de quartz filonien de 10 à 40 cm ; soit elles sont arrimées à des blocs métriques en place (photo 5 et 6).
15Dans le paysage, soit tous les versants sont occupés par les terrasses et les concessions (« sarés ») rejetées au sommet soit les cases sont noyées dans le système de terrasse sur des replats.
16Même si ce dispositif est efficace, fruit d’une très longue expérience ancestrale révélant une bonne connaissance paysanne des unités des paysages, il reste opportuniste, intuitif et empirique sans organisation systématique.
3. Les terrasses, un dispositif fastidieux et exigeant dans un milieu de peuplement ancien et dense
17Les premiers signes d’occupation humaine remontent dans l’Extrême-Nord-Cameroun à l’Age de la pierre : Acheuléen évolué (Marliac et Gavaud, 1975). Ceci se justifie par la découverte des artéfacts lithiques (avant 50 000 BP) tels que les bifaces incrustés dans la cuirasse sur le plateau de Doyang. Les monts Mandara se sont peuplés dès le 7ème siècle (Urvoy, 1949). Suite aux diverses migrations et aux métissages entres différents clans, ils comptent à nos jours plus de 30 groupes et/ou sous groupes ethniques.
18Malgré le caractère hostile du milieu, les monts Mandara à l’instar de la plupart des massifs d’Afrique soudano-sahélienne ont joué le rôle de refuge pour les populations devant la fougue conquérante de grands empires tels que le Bornou mais surtout lors des « jihad »* [Guerre Sainte des musulmans, lancée par Ousmane Dan Fodio à partir de l’émirat peulh de Sokoto (au NE du Nigéria actuel) en 1904.. Les Monts Mandara appartiennent à la province de l’Extrême-Nord, officiellement la plus peuplée du pays. Selon le recensement de 1987, elle comptait 3 069 886 habitants soit un tiers de la population du Cameroun, une densité de 87 habitants par km ² contre 54 pour le Nord Cameroun et 22 pour le Sud Cameroun. Ces moyennes, calculées par unité administrative, sont le plus souvent des unités géomorphologiques qui ont des contrastes très accusés avec des pôles de populations très denses : les massifs * Mafa, Zoulgo, Mada, Ouldémé, Mouktélé et Podokwo comptent plus de 200 habitants par km2. Avec un taux d’accroissement naturel de 2,9, la population totale du Cameroun est estimée à 20,710 millions en l’an 2010. La population des monts Mandara serait alors de 1 165 973 hbts pour une densité 152,21 contre 43 hbts/km2 sur le plan national. Les estimations en 2007 lui attribuent déjà une population de 1 072 901 hbts pour une densité de 140 hbts/km2 [(Rapport Ministère de l’Agriculture, 1992), (Archives de la Délégation Régionale du Plan de L’Extrême-Nord)].
19Les populations très nombreuses dans les Monts Madara s’évertuent depuis toujours à s’adapter à leur milieu. Malgré la roche saine affleurante et subaffleurante, l’essentiel des cultures vivrières de subsistance (mil pluvial, haricot niébé, wanzou, pois de terre, arachide, l’éleusine, sésame, gombo, souchet, oseille de Guinée) se pratiquent sur ces sols - que Sieffermann et Martin (1963) ; Humbel et Barbery (1974) ont jugé incultes-grâce à la technique séculaire de terrasses, qui permet de maintenir la terre (argile) et l’humidité sur les versants. Elle favorise l’infiltration de l’eau et lutte contre les effets néfastes de l’érosion. En donnant plus d’épaisseur aux murettes de pierres (massifs Podokwo), elle réduit l’assèchement des sols et retarde d’autant l’arrêt de leur activité en saison sèche. Ce dispositif est la condition nécessaire pour toute pratique agricole sur les versants pentus mais il est fastidieux à construire et exigeant en entretien pour perdurer. En effet, pour étendre les espaces agricole, la terre de remblai sur la roche nue derrière les murets de pierres sèches est remontée parfois à tête d’homme ou dans le meilleur des cas à dos d’âne depuis les plateaux intramontagnards et les plaines de piémont. Les travaux d’entretien sont obligatoires chaque année au mois d’avril avant les semailles. En effet, les terrasses sont en partie endommagées par le bétail en vaine pâture durant la longue saison sèche ou par les torrents pendant la saison des pluies. Lorsque les blocs rocheux sont trop gros pour être dégagés, on sème entre eux et même dans les anfractuosités. La tendance actuelle est au regroupement des terrasses pour avoir des planches de plus vaste surface, notamment sur les replats. L’aménagement des pentes en terrasses rend les travaux agricoles moins pénibles, puisque le cultivateur peut se tenir sur le niveau inférieur pour sarcler et nettoyer la banquette supérieure. Pour aérer le champ, les arbres sont émondés tous les ans. On choisit soigneusement les arbres et les branches à tailler : les arbres les plus vieux sont taillés pour leur donner de la vigueur. Toute la famille participe au travail, enfants et adultes. Les parcelles constituent les seuls biens à léguer ou à vendre en cas de nécessité et se transmettent de génération en génération. La vie agricole rythmée par des rites agraires est en harmonie avec la vie sociale et la vie religieuse (Hallaire, 1984).
20La fertilité de ces sols a pendant longtemps tenu aux remaniements incessants, à leur réalimentation en éléments minéraux provenant de la roche-mère subaffleurante et de l’approvisionnement en matières organiques : cendre, déjections d’animaux domestiques (caprins et ovins) et déchets de cuisine, des herbes entassées et brûlées, de l’enfouissement des herbes et des éteules de mil qui n’ont pas servi de combustible, et de la pratique de la jachère. Certains paysans font du compost à partir des feuilles. On pratique les cultures en rotation : 1ère année, mil pénicillaire ; 2ème année sorgho et 3ème année oseille de Guinée - haricot niébé – arachide. De plus en plus les amendements se font par l’engrais chimique acheté à la Société de développement du Coton (SODECOTON) et détournés pour la culture des plantes vivrières. L’amendement naturel se fait par remplissage colluvial de terre en amont des murets mais aussi et surtout par retombées de poussières éoliennes comme apports édaphiques. Il est probable que le volume de cet apport est plus considérable que l’on peut l’imaginer. L’origine de ces poussières éolienne est probablement liée au courant éolien qui s’amorce dans le secteur du Tibesti et de l’Ennedi, qui empreinte la Dépression de Bodelé jusqu’au lac Tchad et qui descend jusqu’au Cameroun septentrional. Ce flux éolien est parfaitement repérable sur les images Météosat. Ces grands volumes éoliens donnent une texture limoneuse favorable par sa bonne capacité de rétention en eau et sa fertilité.
4. Une technique qui a fait ses preuves
21Malgré le système de production s’apparentant au jardinage et caractérisé par l’intensité de la mise en valeur de l’espace et la priorité donnée aux champs vivriers (Boutrais, 1984), les besoins vitaux d’une population très dense ne sont plus totalement assurés. Compte tenu de l’aspect décharné de certains champs et de la vigueur des pentes où les paysans passent leur temps à gratter la pierre et où malgré ces efforts les famines persistent, nous percevons les terrasses comme un dispositif de résignation dans cette topographie difficile où il n’y a pas d’autre alternative (photo 7).
22En désespoir de cause donc, les paysans multiplient et/ou associent les dispositifs de gestion conservatoire de l’eau et des sols. C’est ainsi que l’on peut observer des cordons de pierres (photo 8), des levées de terre armées de pierres (photo 9), des dispositifs antiérosifs de paillage (photo 10), des associations terrasses-agroforesterie à Ziziphus mauritania, Acacia albida…. presque partout (photo 11) et des labours profonds sur les replats et les bas-fonds (photo 12).
23Malgré toutes ces initiatives, l’addition des populations refoulées et celles originelles des montagnes a, combiné à l’accroissement naturel, créé une situation latente de surpeuplement qui devient de plus en plus difficile à gérer. Les fortes densités de population ont précarisé leur cadre de vie en intensifiant son exploitation. Ainsi comprimées sur des reliefs exigus et en proie à des disettes à cause du manque d’espaces cultivables, des ravages annuels des acridiens et l’impossibilité de développer des cultures commerciales et d’accéder à une économie monétaire mais aussi et surtout l’assèchement et les variabilités du climat poussent les montagnards en nombre croissant à émigrer. Les populations sont descendues à la conquête des basses terres plus généreuses, à la faveur de la sécurité revenue à l’époque coloniale et plus encore depuis l’Indépendance (Boutrais, 1973)
24Ainsi, en dehors de la volonté politique de faire descendre les montagnards afin de mieux les contrôler et ce, depuis l’administration française, l’instinct de survie qui a toujours animé ces populations se traduit dans les migrations. Ce sont des migrations saisonnières de morte saison (6 à 7 mois de saison sèche) vers les plaines intramontagneuses (Gawar) et les plaines de piémont où les paysans peuvent pratiquer la culture de sorgho de contre saison (« muskwariculture) à leur compte sur des parcelles louées ou comme ouvriers agricoles. Les migrations saisonnières de la saison culturale sont limitées aux bas secteurs intramontagneux où les ouvriers sont payés en argent ou en mil. Dans les deux situations, de nombreux cas de métayage existent dans les plaines.
25Dans tous les cas, les possibilités d’embauche sont très limitées et le caractère harassant des travaux champêtres pousse l’excédent de la main d’œuvre à une émigration de longue durée vers le Nigeria voisin et vers d’autres campagnes de l’Extrême-Nord (plaines) et du Nord (autour de Garoua) mais surtout vers les villes où, dans les meilleurs des cas, ils sont veilleurs de nuits, employés de maison, cireurs de chaussures… ou ils pratiquent le commerce ambulant ou parfois grossissent les rangs des délinquants urbains.
26Les données sur les migrations sont sous-estimées car au Cameroun comme dans beaucoup de pays en développement les migrations ne sont pas déclarées. Toutefois, déjà en 1987 (dernier recensement général de la population et de l’habitat) 88 % des individus nés en montagne vivaient déjà dans une des 64 villes d’au moins 10 000 hbts. En exemptant les déplacements à l’intérieur d’un même arrondissement qui n’était pas considéré comme des migrations, on trouve que 4,8 % de la population des montagnes avaient émigré vers les villes de plus de 10 000 hbts autres que la ville de l’arrondissement concerné (Maroua, Mokolo, Mora, Kousséri, Garoua.
5. Conclusion
27La forte pression démographique dans les Monts Mandara créé une situation latente de surpeuplement qui devient difficile à gérer. Les fortes densités de population ont précarisé leur cadre de vie en intensifiant son exploitation. Les terrasses et les techniques associées telles que l’alignement simple de pierres, le paillage, l’agroforesterie et le contrôle du ruissellement par l’association des cultures et dans une moindre mesure le labour profond sur les replats et dans les bas-fonds qui sont des stratégies séculaires de survie sont aujourd’hui mises en péril par un fort accroissement démographique et des sécheresses récurrentes. Compte-tenu des faibles revenus des ces populations et des risques sanitaires, l’amendement du sol par l’utilisation des engrais chimiques n’est pas une solution généralisable. Même si pour ces populations partir semble la plus facile des solutions, il ne faut pas occulter les problèmes d’intégration des migrants. Etant donné l’attachement des montagnards à leur terroir d’origine, la solution idéale serait une gestion efficiente des ressources en eau qui passerait par une appropriation et une gestion de la ressource par les locaux et non pas comme par exemple à Mora et à Koza une utilisation politique de l’eau.
Bibliographie
Bibliographie
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Auteurs
wakponouanselme@yahoo.fr
moniquemainguet@orange.fr
frederic.dumay@univ-reims.fr
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Dynamique et usages de la mangrove dans les pays des rivières du Sud, du Sénégal à la Sierra Leone
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Histoire et agronomie
Entre ruptures et durée
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Quelles aires protégées pour l’Afrique de l’Ouest ?
Conservation de la biodiversité et développement
Anne Fournier, Brice Sinsin et Guy Apollinaire Mensah (dir.)
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Gestion intégrée des ressources naturelles en zones inondables tropicales
Didier Orange, Robert Arfi, Marcel Kuper et al. (dir.)
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