La mortalité : évolution et structure
p. 73-126
Texte intégral
Introduction
1Dans ce chapitre, nous présentons l’évolution récente de la mortalité et des causes de décès à la Réunion1. Après un bref historique de l’évolution passée, déjà amplement étudiée par d’autres auteurs, nous nous concentrerons sur la période la plus récente, dont les caractéristiques sont encore mal connues. Nous avons plus particulièrement examiné la situation actuelle en termes de structure par âge et par cause des décès, en la replaçant, dans la mesure du possible, dans le cadre de son évolution passée. Compte tenu des données disponibles, cette approche nous est en effet apparue comme la plus susceptible de contribuer à la compréhension des tendances en cours. Une meilleure connaissance des pathologies impliquées dans la mortalité de chaque grand groupe d’âges est par ailleurs indispensable à la conception de politiques et de programmes de santé efficaces.
Sources d’information
2L’évolution de la mortalité et de la structure par âge et par cause des décès à la Réunion nous est connue grâce à deux sources de données, qui sont l’état civil et la statistique des causes de décès. Ces deux types de données sont recueillies par l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) pour l’état civil, par l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) pour les causes de décès.
L’état civil
3L’enregistrement des décès, comme celui des autres événements de l’état civil, à savoir naissances et mariages, suit les mêmes règles à la Réunion qu’en métropole depuis 1951. Dès le début, et contrairement à la situation observée dans les autres DOM, la qualité des données est apparue excellente, avec une très bonne couverture et une grande précision des informations (Festy et Hamon, 1983). Les dernières informations disponibles sont celles qui concernent l’année 2002.
4Les données de l’état civil permettent de connaître le nombre de décès et leur date exacte de survenue, ainsi qu’un certain nombre de caractéristiques sociodémographiques de la personne décédée, au premier rang desquelles figure l’âge, indispensable pour construire la plupart des indicateurs démographiques classiques de mortalité, comme l’espérance de vie à la naissance ou le taux de mortalité infantile.
5L’analyse de ces informations a par le passé donné lieu à un premier travail sur l’évolution de la mortalité pour la période centrée autour des recensements de 1954, 1967 et 1974 (Festy et Hamon, 1983). Ce travail a été en partie poursuivi autour du recensement de 1990 par une étude spécifiquement consacrée à la mortalité à la Réunion publiée plus récemment (Michel et al., 1995). Nous nous attacherons plus particulièrement ici à décrire la situation actuelle, laissant aux lecteurs intéressés par le détail des tendances antérieures le soin de recourir à ces publications.
Les causes de décès
6Les causes médicales de décès, outil essentiel de compréhension des processus menant à la mort, font l’objet d’une statistique régulière établie par l’Inserm depuis 1981 à la Réunion, selon une procédure identique à celle mise en œuvre en France métropolitaine à partir de 1968. La codification des causes de décès suit les règles de la Classification internationale des maladies définie par l’Organisation mondiale de la santé. Les statistiques annuelles de décès par cause nous ont été fournies pour le département de la Réunion par le Service d’information sur les causes médicales de décès de l’Inserm (ou SC8) pour toutes les années, de l’origine (1981) jusqu’à 1999 incluse.
7L’ouvrage de Michel et al. (1995) précédemment cité présentait les résultats d’une première exploitation de ces statistiques pour la période 1988-1992. Les analyses que nous proposons s’intéressent à l’évolution de la mortalité et de ses causes entre 1981-1983 et 1997-1999, les deux périodes extrêmes pour lesquelles les données sont disponibles, mais les résultats présentés le sont de manière à permettre la comparaison avec ceux de l’étude de 1995.
Évolution de la mortalité générale
Caractéristiques de l’espérance de vie à la naissance
8Les statistiques de l’état civil permettent de calculer des taux de mortalité par âge en rapportant les décès enregistrés une année donnée dans chaque groupe d’âges à l’effectif de la population de ces mêmes groupes d’âges en milieu d’année. Parce que le nombre d’habitants à la Réunion est faible et que la mortalité est un événement devenu rare, les fluctuations aléatoires des taux de mortalité par année d’âge sont fortes d’une année de calendrier à l’autre. Pour limiter l’effet de ces fluctuations, nous avons regroupé les décès par groupes d’âges décennaux, en distinguant toutefois la mortalité de la première année et celle à 1-4 ans, et pour des périodes pluri-annuelles. Les taux de mortalité par âge sont utilisés pour construire des tables comportant une série d’indicateurs, dont l’espérance de vie à chaque âge.
Une décélération des progrès
9L’ouvrage de Festy et Hamon (1983) présentait des tables de mortalité pour plusieurs périodes entre 1951-1955 et 1972-1976. Ces travaux ont montré comment l’amélioration du contexte sanitaire et social de l’île de la Réunion à partir du milieu du xxe siècle a engendré une augmentation spectaculaire de l’espérance de vie à la naissance. La progression a été particulièrement impressionnante au cours des années 1950 et 1960, avec presque un an de vie gagné par année de calendrier, si bien que, tandis que l’espérance de vie atteignait seulement 50 ans pour les deux sexes au début des années 1950, l’indicateur s’établissait déjà à près de 65 ans au milieu des années 1970 (tabl. 1). L’analyse du rythme d’évolution montrait des gains particulièrement importants en début de période et un ralentissement des progrès par la suite.
10Les données les plus récentes nous ont permis de poursuivre cette étude jusqu’à la période 1998-2002. Les résultats montrent un prolongement des tendances passées, avec le ralentissement de plus en plus marqué des gains. L’espérance de vie à la naissance s’est ainsi accrue d’à peine une année par décennie depuis le début des années 1980. Tandis que des progrès sensibles étaient encore enregistrés entre le milieu des années 1970 et le milieu des années 1980, avec une hausse de l’espérance de vie des deux sexes de 65 ans en 1972-1976 à 73,5 ans en 1985, les gains ont été très faibles depuis, l’espérance de vie n’atteignant encore que 74,5 ans en 1995 et 75,4 ans en 2002 (dernier chiffre connu).
De fortes disparités intercommunales
11Sans doute plus préoccupant encore, les différences d’état de santé entre les populations des 24 communes de l’île sont très marquées. À partir des données d’état civil et de recensement qui nous ont été fournies par l’Insee-Réunion au niveau communal, nous avons pu calculer les indicateurs de mortalité présentés dans le tableau 2 (voir aussi fig. 1 et 2). Les estimations sont réalisées pour une longue période (1992-2002) afin de limiter les variations aléatoires engendrées par les faibles effectifs de décès dans les plus petites communes. Tandis que le taux de mortalité infantile avait déjà été estimé pour chaque commune par Festy et Hamon (1983) pour une période ancienne (1972-1976), c’est la première fois que sont publiées les espérances de vie à la naissance au niveau des circonscriptions locales. En effet, ces auteurs ne disposaient des informations nécessaires au calcul de cet indicateur que pour deux communes, celles de Saint-Denis et de Salazie. La comparaison ne peut donc porter que sur ces deux circonscriptions pour l’espérance de vie.
12La comparaison avec les années 1970 montre que, pour la mortalité infantile, toutes les communes ont bénéficié de l’amélioration générale des conditions d’hygiène, des niveaux de vie et de l’accès aux soins de santé observée au niveau du département. Les taux variaient en 1972-1976 entre 20 et 50 pour mille environ (les extrêmes s’établissant à 19,7 pour mille à Petite-Île et 51,5 pour mille à Salazie) contre 4 à 11 pour mille en 1992-2002 (de 3,9 pour mille à Étang-Salé à 11,2 pour mille dans la Plaine-des-Palmistes). Les variations demeurent toutefois de même amplitude, avec un rapport de 1 à 2,5 pour les taux extrêmes au milieu des années 1970 et de 1 à presque 3 pour la période la plus récente. Le classement des communes a cependant beaucoup évolué au cours du temps. En effet, en 1972-1976, celles situées à l’ouest de l’île paraissaient davantage protégées que celles de l’est, que l’on retrouvait plus fréquemment dans le groupe des plus fortes mortalités. Ces disparités étaient à l’époque expliquées par des facteurs de risque environnementaux liés à la topographie, au climat ou à des particularités culturelles, alimentaires ou d’hygiène notamment. Aujourd’hui, ce sont les communes les plus isolées (la Plaine-des-Palmistes, Salazie, Saint-Joseph, Saint-Philippe et Cilaos) qui se caractérisent par les plus fortes proportions de décès infantiles. Ces communes, les plus éloignées géographiquement des services de santé, sont aussi celles qui ont conservé le style de vie le plus traditionnel associé à une fécondité relativement élevée. La population de ces communes est en outre la plus concernée par les problèmes de précarisation économique avec des taux de chômage et des proportions de bénéficiaires du RMI qui figurent parmi les plus élevés de l’île (Catteau et al., 2004).
13Les différentiels intercommunaux observés pour l’espérance de vie à la naissance sont également très importants en 1992-2002, avec un écart de plus de 6 ans entre les communes caractérisées par les indicateurs extrêmes (71,5 ans à Cilaos contre 77,6 ans à Petite-Île). Si les communes les plus enclavées sont, comme pour la mortalité infantile, les plus défavorisées en terme d’état de santé général (Salazie et Cilaos tout particulièrement), les autres communes ne montrent pas de forte corrélation entre la proportion de décès avant un an et l’espérance de vie à la naissance. Le contraste est particulièrement frappant en ce qui concerne les communes situées au nord-est (entre Sainte-Suzanne et Sainte-Rose), qui se caractérisent par des niveaux de mortalité infantile relativement faibles, avec des taux variant entre 5 et 6 pour mille, mais dont les espérances de vie à la naissance figurent parmi les plus basses (entre 73 et 74 ans) après les communes du centre de l’île, enclavées dans des cirques, déjà citées. Globalement, les communes du sud du département se situent à un niveau plutôt faible tant sur un indicateur que sur l’autre, tandis que les communes situées à l’ouest et au nord (à partir d’Étang-Salé et jusqu’à Sainte-Marie) sont plutôt favorisées. L’avantage marqué de ces dernières est le reflet des meilleures conditions économiques et de la densité relative du réseau de soins de santé qui y sont observées. Inversement, l’Est se caractérise, comme les communes du centre, par une dégradation économique qui se traduit notamment par une forte proportion de faibles revenus et par une prévalence élevée de retard scolaire des enfants (Catteau et al., 2004).
Une surmortalité masculine très marquée
14Comme dans tous les pays développés, les femmes vivent plus longtemps que les hommes en moyenne à la Réunion. Sur l’île, l’écart entre les deux sexes est toutefois particulièrement élevé (tabl. 3). La différence d’espérance de vie entre les deux sexes était inférieure à 6 ans au début des années 1950. Elle a par la suite progressivement augmenté pour atteindre 7 ans vers 1970, puis 8 ans au début des années 1980, 9 ans en 1983-1985 et un maximum de près de 10 ans en 1986-1987, pour diminuer ensuite jusqu’à 8,5 ans environ en 1995. Elle se maintient depuis à ce niveau, encore considérable selon les critères internationaux (Vallin, 2002). La surmortalité masculine est, comme le montre l’analyse au niveau communal (tabl. 2), associée au mauvais état de santé général de la population. En effet, ce sont les communes dont la mortalité générale est la plus élevée, à savoir, comme nous venons de le voir, les communes enclavées d’Entre-Deux, de Salazie et de Cilaos, qui se caractérisent par les écarts d’espérance de vie les plus forts entre les sexes (autour de 11 ans). Ce sont aussi ces communes qui affichent la plus grande mortalité pour des causes associées à une forte consommation d’alcool (Catteau et al., 2004). Les écarts les plus faibles (autour de 7-8 ans) sont inversement observés en règle générale parmi les communes les plus favorisées (Petite-Île, Saint-Paul, Sainte-Marie, Saint-Leu, Avirons). La corrélation n’est toutefois pas systématique dans la mesure où un faible niveau de mortalité générale est parfois associé à un fort différentiel par sexe (à Étang-Salé en particulier). Il est probable que des facteurs culturels viennent ici inverser les risques, comme par exemple des comportements protecteurs pour les femmes.
Un écart à nouveau croissant avec la métropole
15L’écart avec la métropole, référence naturelle en termes de politiques de santé et de programmes sanitaires, s’est réduit au même rythme que la lutte contre la mortalité progressait, soit très vite pendant la première période, beaucoup plus lentement par la suite. La différence d’espérance de vie à la naissance entre les deux territoires atteignait plus de 15 ans au début des années 1950 (tabl. 3). Elle s’est réduite à 10 ans dès la fin des années 1960, puis à 5 ans à la fin des années 1980. Elle a atteint son point le plus bas, à peine plus de 3 ans, en 1990, avant d’augmenter légèrement pour fluctuer autour de 3,8 à 4 ans depuis la seconde moitié des années 1990. La Réunion est aujourd’hui le département français qui se caractérise par le plus faible niveau d’espérance de vie à la naissance, tant pour les hommes que pour les femmes. Pour ces dernières, l’île est concurrencée par la Guyane, dont le niveau est exactement le même (79,3 ans), selon les estimations les plus récentes de l’Insee (Beaumel et al., 2003). Les femmes des autres départements antillais ont une espérance de vie nettement supérieure, qui atteint 81,1 ans à la Guadeloupe et 81,7 ans à la Martinique. En ce qui concerne le sexe masculin, la Réunion est très significativement distancée par les autres DOM. Tandis que l’espérance de vie des hommes atteignait seulement 70,9 ans en 2000, elle était de 71,7 ans en Guyane, 74,5 ans en Guadeloupe et 75,2 ans à la Martinique. Une réserve s’impose toutefois dans ces comparaisons : l’état civil pourrait en effet être de qualité inégale, voire inférieure, dans les départements antillais, si bien qu’une partie au moins de ces différences pourrait tenir plus à des problèmes de sous-déclaration relative dans ces derniers qu’à une réelle infériorité de la Réunion en matière de santé. L’écart de celle-ci avec la France métropolitaine ne fait toutefois aucun doute.
16Si les deux sexes sont concernés, ce sont surtout les hommes qui, à la Réunion, peinent à rattraper leurs co-citoyens de la métropole. Depuis les années 1980 en effet, l’écart entre les espérances de vie à la naissance des deux territoires a toujours été supérieur pour le sexe masculin car la différence dans la durée de vie moyenne entre les deux sexes, pourtant considérable en France comparée aux autres pays développés, est toutefois inférieure au niveau atteint à la Réunion. L’écart entre l’île et la métropole est depuis quelques années proche de 4,5 ans pour les hommes contre 3,4 ans pour les femmes. La surmortalité masculine observée à la Réunion est bien l’une de ses caractéristiques les plus remarquables.
17Pour mieux comprendre cette situation, il est nécessaire d’examiner plus en détail les composantes de la mortalité générale, en termes de structure par âge et par cause de décès. Pour ce faire, nous avons combiné l’information fournie par l’Insee d’une part, par l’Inserm d’autre part. La réunion des deux types de données permet d’estimer la contribution de chaque groupe d’âges et celle de chaque type de maladies aux progrès de l’espérance de vie. Nous les examinerons successivement.
Les caractéristiques réunionnaises de la mortalité par sexe et âge
18Les quotients de mortalité représentent la proportion des personnes décédant entre un âge x et un âge x+n parmi l’ensemble des personnes vivantes à l’âge x. Ils correspondent à la probabilité de décéder entre deux anniversaires successifs. Nous avons calculé la série des quotients de mortalité pour chaque groupe d’âges et pour chacun des deux sexes à partir des données de l’état civil pour les périodes 1981-1983, 1988-1992 et 1998-20022. Les résultats de nos calculs sont illustrés par les figures 3 a et 3 b.
19La structure par âge de la mortalité à la Réunion est globalement proche de celle observée dans les pays développés, avec une baisse des quotients entre les périodes infantile (première année) et juvénile (quatre années suivantes), le minimum étant atteint pendant cette dernière période, puis une augmentation régulière à partir de cinq ans (fig. 3 a et 3 b.). Dans sa forme générale, ce schéma est le même pour les deux sexes et il n’a pas évolué sensiblement au cours des vingt dernières années. Toutefois, des variations intéressantes apparaissent lorsque l’on examine ces courbes plus en détail.
20En premier lieu, l’évolution n’a pas été régulière au cours de la période considérée. Tandis qu’entre la période 1981-1983 et la période 1988-1992, les progrès les plus importants ont été ceux réalisés pour la première année de vie, le quotient de mortalité infantile se réduisant de 11,5 à 7 pour mille chez les garçons et de 10 à 6 pour mille chez les filles, soit une baisse de 40 pour cent, la mortalité infantile est demeurée remarquablement stable au cours des dix années suivantes.
21La mortalité à 1-4 ans a connu une évolution inverse avec une relative stabilité du quotient entre 1981-1983 et 1988-1992, notamment chez les filles, et une baisse significative entre 1988-1992 et 1998-2002, de 40 pour cent chez les garçons et de 50 pour cent chez les filles.
22En ce qui concerne les autres groupes d’âges, la progression a été à peu près régulière entre 1981-1983 et 1998-2002. Elle est particulièrement marquée à 25-44 ans, les jeunes adultes bénéficiant d’une baisse des quotients d’environ 45 pour cent chez les hommes et de près de 60 pour cent chez les femmes. C’est à partir de 55 ans qu’elle a été la plus faible pour les deux sexes, mais quand même supérieure à 20 pour cent sur l’ensemble de la période. En revanche, chez les hommes uniquement, c’est à 15-24 ans que la mortalité a le moins progressé avec une baisse des quotients de seulement 16 pour cent entre 1981-1983 et 1998-2002.
23La différence entre les taux par âge des hommes et des femmes reflète en partie cette évolution. Si les différences sont faibles pendant l’enfance, particulièrement au cours des premières années, l’écart maximal est celui observé entre 15 et 40 ans, avec un rapport de 1 à 3 entre les quotients féminins et masculins (fig. 4). Il est même supérieur à 3,5 à 20-24 ans. À partir de 40 ans, l’écart diminue progressivement, tout en demeurant presque jusqu’à la fin supérieur à celui observé avant l’âge de 15 ans. Toutefois, parce que la mortalité est globalement faible avant 40 ans comparée à celle des groupes d’âges ultérieurs, la différence de plus de 8 ans observée entre les espérances de vie des hommes et des femmes à la Réunion s’explique moins par les écarts de mortalité à 15-39 ans qu’à 40-64 et 65 ans et plus. Ces trois groupes d’âges contribuent, respectivement, pour 15, 45 et 40 pour cent de la différence d’espérance de vie entre les sexes, les écarts observés avant 15 ans contribuant pour moins de 1 pour cent à cette différence.
24Comme l’indique la figure 5, la surmortalité masculine observée à la Réunion n’est pas sensiblement différente dans sa structure par âge de celle observée ailleurs, et notamment en France métropolitaine, où l’écart maximum entre les sexes caractérise le groupe des 20-29 ans. La surmortalité masculine est cependant plus marquée à ces âges à la Réunion et elle demeure importante entre 30 et 45 ans, alors même qu’elle se réduit en métropole, avec des rapports variant de 1 à 2 plutôt que de 1 à 3 dans l’île, entre femmes et hommes. À partir de 45 ans et jusqu’à 70 ans, l’écart tend à se réduire à la Réunion alors qu’il augmente régulièrement en métropole, si bien que le rapport entre les sexes n’est plus que de 1 à 2 dans l’île au lieu de 1 à 2,5 en métropole. Pour les derniers groupes d’âges (après 75 ans) comme pour les premiers (avant 15 ans), l’ampleur des écarts entre les sexes est à peu près la même sur les deux territoires.
Causes de décès
25Les taux de mortalité par cause et par groupe d’âges calculés pour chaque sexe à partir des décès répartis entre les 105 principaux chapitres et sous-chapitres de la liste abrégée correspondant à la 9e Classification internationale des maladies (CIM9), fournis par l’Inserm, à partir, d’une part, des décès, et, d’autre part, des populations estimées au premier janvier de chaque année, fournies par l’Insee-Réunion, sont présentés en annexe, pour la période 1997-1999 (derniers chiffres connus).
Méthodologie
26Les taux bruts ont été calculés en rapportant le nombre de décès à chaque âge et pour chaque cause à la population moyenne de la Réunion en milieu de période des deux sexes pour les taux sexes réunis, masculine pour les taux masculins et féminine pour les taux féminins (tableaux annexes A1, A2 et A3). Les taux de mortalité par cause présentés et discutés dans le reste de ce chapitre ne sont toutefois pas ces taux bruts, mais des taux comparatifs. L’utilisation de taux comparatifs permet en effet, comme le terme l’indique, de comparer l’état de santé de deux populations ou son évolution au cours du temps pour une même population, indépendamment des changements ou différences de structure par âge. Ainsi, par exemple, la baisse de la fécondité observée depuis plusieurs décennies à la Réunion produit un vieillissement de la population. Compte tenu de la concentration des décès dans les groupes d’âges élevés, ce vieillissement suffit à produire une augmentation de la mortalité générale au cours du temps, qu’il convient de prendre en compte pour mesurer l’évolution, a priori favorable, de l’état de santé de la population à chaque âge. Le recours aux taux comparatifs permet non seulement d’estimer l’amélioration des conditions sanitaires au sein d’une même population, mais également de comparer l’état de santé de deux populations dont la répartition par âge diffère, hommes et femmes par exemple, ou Réunion et France métropolitaine comme nous le ferons ci-dessous.
27Outre les taux correspondant à la période 1997-1999, nous avons également calculé pour la Réunion les taux par cause et groupe d’âges pour deux autres périodes (1981-1983 et 1989-1991) afin d’examiner l’évolution de la structure de la mortalité au cours des vingt dernières années. Toutefois, faute de place, nous nous contenterons de les citer en référence sans en présenter le détail en annexe3. Par ailleurs, compte tenu de la faiblesse des effectifs de décès dans cette petite population, nous ne discuterons que des principales causes de mortalité. Sauf dans des cas très particuliers, nous ne commenterons pas les taux qui correspondent à moins de 35 décès annuels pour chaque sexe, car ils sont soumis à de fortes fluctuations aléatoires.
28Enfin, le souci de comparaison mentionné à propos des taux comparatifs nous a par ailleurs amené à répartir proportionnellement les décès du chapitre « Symptômes, signes et états morbides mal définis » entre les autres chapitres au sein de chaque groupe d’âges. Les décès de ce chapitre sont ceux dont la cause est inconnue ou trop vague pour les classer ailleurs. Ce type de causes évolue en fonction des pratiques de diagnostic et de codage, introduisant des variations non aléatoires entre les classifications par cause des décès au cours du temps ou entre territoires. La répartition proportionnelle n’est certes pas idéale mais, en l’absence de renseignements précis sur les pratiques d’enregistrement propres à chaque service, elle est la plus appropriée. L’éclatement des décès de cause mal définie entre les autres rubriques de la classification a été fait pour chacune des trois périodes considérées (1981-1983, 1989-1991 et 1997-1999). Le taux de mortalité comparatif pour ce chapitre représentait respectivement 5, 7 et 6,5 pour cent du taux comparatif toutes causes à chacune de ces périodes.
La croissance rapide des maladies de dégénérescence
29Parmi les 16 grands chapitres de la CIM, six représentent 90 pour cent des décès. Le tableau 4 montre la part de chaque chapitre dans le taux toutes causes, sexes réunis et la figure 6 l’illustre pour les six principales causes de décès. Le tableau montre le poids très modeste des maladies infectieuses et parasitaires (qui représentent moins de 2 pour cent de l’ensemble), phénomène caractéristique des pays ayant achevé leur transition épidémiologique, cette révolution sanitaire à long terme qui fait passer un pays d’un régime de mortalité caractérisé par la prépondérance de ce type de pathologies à un régime où elles ont presque totalement disparu et où dominent les maladies dites dégénératives.
30De fait, à la Réunion comme dans tous les pays industrialisés, les deux plus grandes causes de mortalité sont aujourd’hui les maladies de l’appareil circulatoire (presque 40 pour cent de l’ensemble) et les tumeurs (20 pour cent). Parmi les premières dominent les maladies vasculaires cérébrales, les cardiopathies ischémiques et les insuffisances cardiaques. En ce qui concerne les cancers, les plus meurtriers sont ceux de l’appareil digestif, ceux de la trachée, des bronches et du poumon.
31La prédominance de ces deux groupes de causes résulte d’une évolution récente contrastée. En effet, tandis que les taux comparatifs de mortalité par maladies cardio-vasculaires n’ont cessé de diminuer entre 1981-1983 et 1997-1999, avec une baisse qui atteint 30 pour cent, les tumeurs ont au contraire tendance à augmenter, de plus de 10 pour cent, entre les deux périodes. Notons toutefois que cette augmentation se concentre sur les années 1980 et que, si aucun progrès notable n’est observé dans la lutte contre les cancers au cours des années 1990, on n’observe en revanche plus de dégradation mais une stabilité, voire un léger recul, des taux comparatifs pour ce chapitre.
32Viennent ensuite, dans le classement des grandes causes de décès, à parts égales, soit autour de 10 pour cent pour chacun des deux chapitres, les morts violentes (accidents de la circulation et suicides essentiellement) et les maladies de l’appareil respiratoire (pneumonies, broncho-pneumonies et bronchites chroniques surtout). Tandis que le premier type de causes a enregistré un recul significatif au cours des vingt dernières années, avec une baisse du taux comparatif qui atteint plus de 20 pour cent entre 1981-1983 et 1997-1999, les maladies de l’appareil respiratoire ont au contraire eu tendance à augmenter un peu entre 1981-1983 et 1989-1991 et à se stabiliser par la suite.
33Enfin, les maladies endocriniennes et de la nutrition, les maladies de l’appareil digestif et les troubles mentaux représentent 6 à 3 pour cent de l’ensemble. Par contraste avec le premier type de pathologies, qui ne montre pas d’évolution significative à la baisse, les maladies de l’appareil digestif et les troubles mentaux enregistrent un recul très marqué depuis vingt ans, contribuant aux progrès de l’espérance de vie à la naissance. La baisse des taux comparatifs pour ces deux groupes de causes atteint en effet plus de 45 pour cent entre 1981-1983 et 1997-1999. Les autres chapitres (8 pour cent de l’ensemble) contribuent chacun pour moins de 3 pour cent au taux de mortalité toutes causes.
34Toutes ces informations peuvent être utilement résumées par une représentation graphique montrant la contribution de chaque groupe d’âges et, au sein de chaque groupe d’âges, de chaque type de pathologies, aux progrès de l’espérance de vie au cours des deux décennies passées (fig. 7) selon une technique développée et encore récemment améliorée par Andreev4 (Andreev, 1982 ; Andreev et al., 2002). Ce graphique indique quelle a été l’importance des variations entre groupes d’âges et en terme de structure par cause des décès pour expliquer l’évolution de la mortalité entre 1981-1983 et 1997-1999. L’examen de ces variations permet de mieux apprécier le poids de chaque groupe d’âges et de chaque type de pathologies et leur contribution, mesurée en nombre d’années de vie gagnées ou perdues, dans l’évolution de l’espérance de vie.
35La figure 7 montre ainsi clairement le rôle joué par le recul de la mortalité pendant la première année de vie ainsi que l’importance des progrès réalisés à partir de 35 ans, avec des gains qui atteignent presque un an pour chaque groupe d’âges décennal au-delà de cet âge. Toutefois, à partir de 75 ans, une partie des gains engendrés par le recul de certaines causes de décès sont annulés par les pertes dues à d’autres causes, telles que les tumeurs et les maladies de l’appareil respiratoire. Le graphique montre que c’est la lutte contre les maladies de l’appareil circulatoire qui a contribué le plus aux progrès de l’espérance de vie au cours des vingt dernières années, en particulier aux âges élevés pour lesquels la contribution de cette seule pathologie a fait gagner presque un an de vie à la population réunionnaise sur un total de presque 5 ans.
Des écarts généralisés entre hommes et femmes
36Les six groupes de maladies les plus meurtriers chez les hommes le sont aussi chez les femmes, mais le classement n’est pas tout à fait le même, comme le montre le tableau 4 dans lequel sont présentés les taux comparatifs de mortalité par cause et par sexe et la part de chacun des 16 grands chapitres de la CIM9 à la mortalité générale pour la période 1997-1999. Les trois premières causes de décès sont les mêmes pour chacun des deux sexes, à savoir les maladies de l’appareil circulatoire, les tumeurs et les maladies de l’appareil respiratoire. Leur part représente environ 70 pour cent du taux comparatif toutes causes tant chez les hommes que chez les femmes. Examinons ces causes l’une après l’autre dans le détail.
Maladies cardio-vasculaires
37Les maladies cardio-vasculaires figurent en tête et prédominent tout particulièrement chez les femmes (près de 45 pour cent de l’ensemble contre 35 pour cent chez les hommes). Compte tenu de la mortalité générale beaucoup plus faible des femmes, le taux correspondant à ce premier type de pathologies est cependant beaucoup moins élevé chez ces dernières que chez les hommes, soit 3,5 contre presque 5 pour 1 000. La figure 85 montre quelles affections de l’appareil circulatoire sont particulièrement responsables de l’écart entre les sexes. À l’exception des cardiopathies rhumatismales, des maladies hypertensives et des troubles du rythme cardiaque, qui représentent de toutes façons une faible part de ce chapitre, toutes les causes contribuent à creuser l’écart entre les hommes et les femmes. En valeur absolue, la différence est particulièrement importante pour les cardiopathies ischémiques et les maladies vasculaires cérébrales, avec 40 points d’écart entre les taux comparatifs pour ces deux chapitres.
Cancers
38Deuxième grande cause de décès, les cancers sont, comme les maladies de l’appareil circulatoire, beaucoup moins meurtriers pour les femmes que pour les hommes. En 1997-1999, le taux comparatif est presque trois fois plus élevé pour ces derniers que pour les premières. L’écart entre les sexes s’est considérablement creusé entre 1981-1983 et 1997-1999. En effet, si le taux comparatif est resté remarquablement stable chez les femmes, il a beaucoup augmenté (de près de 30 pour cent) chez les hommes entre les deux premières périodes et n’a que très faiblement reculé (de 6 pour cent) entre les deux dernières, si bien que le rapport entre le taux masculin et le taux féminin s’est accru de 2 à 2,5 entre 1981-1983 et 1997-1999.
39La part des différentes rubriques de ce chapitre, à la fois dans l’évolution des taux pour chaque sexe et dans les différences entre les sexes, est beaucoup plus fragmentée qu’en ce qui concerne les maladies cardio-vasculaires. L’illustration graphique étant donc peu informative, nous ne l’avons pas utilisée ici. Chez les hommes dominent les cancers dus au tabac et à l’alcool (tumeurs malignes de l’appareil respiratoire, de l’appareil digestif et de la vessie), dont les taux comparatifs sont presque quatre fois plus élevés que chez les femmes. La mortalité pour ce type de tumeurs est restée très stable pour ces dernières entre 1981-1983 et 1997-1999 mais elle a fluctué assez fortement chez les hommes au cours de cette période : le taux s’est d’abord accru, de plus de 25 pour cent entre 1981-1983 et 1989-1991, puis il a diminué de 12 pour cent au cours de la décennie suivante. Sont également significatifs les taux comparatifs de mortalité par tumeurs malignes de la prostate. Ces taux ont presque doublé en moins de vingt ans.
40Chez les femmes dominent les cancers du sein et de l’utérus ainsi que, comme chez les hommes, les tumeurs malignes de l’appareil digestif et les cancers liés à la consommation de tabac (trachée, bronches et poumon), mais la mortalité associée à ces pathologies est loin d’atteindre un niveau aussi élevé que pour ceux-ci : à l’exception des cancers de l’appareil digestif, dont le taux comparatif s’établit autour de 0,5 pour 1 000, les taux féminins ne dépassent pas 0,15 à 0,2 pour 1 000, alors que les taux masculins dépassent 0,3 pour 1 000 pour trois types de tumeurs et s’approchent de 1 pour les cancers de l’appareil digestif.
41Même si la période d’observation est courte, elle correspond à la Réunion à une évolution considérable des équipements et des moyens humains, et à une amélioration de la prise en charge et du diagnostic de la maladie cancéreuse, de plus en plus précoce6. Cela nous conduit à rester prudent dans l’interprétation d’évolutions qui pourraient résulter moins de changements réels de l’état de santé des populations que de l’amélioration de la déclaration et de la qualité des données utilisées. Les écarts selon le sexe sont toutefois d’une telle ampleur que, même s’il convient de nuancer leur ordre de grandeur, leur existence ne fait pas de doute.
Maladies de l’appareil respiratoire
42Les maladies de l’appareil respiratoire, qui constituent la troisième cause de décès pour les hommes comme pour les femmes, présentent un écart presque aussi élevé, soit du simple au double, entre les sexes. Les pneumonies et broncho-pneumonies et les bronchites chroniques représentent la plus grosse part du taux comparatif pour ce chapitre, en particulier chez les hommes, soit 80 pour cent contre 65 pour cent chez les femmes. La différence entre les sexes est particulièrement marquée pour les bronchites chroniques (fig. 9), avec un taux comparatif presque quatre fois plus élevé chez les hommes que chez les femmes mais, comme pour d’autres maladies liées au tabac (cancers de la trachée, des bronches et du poumon par exemple), la mortalité pour cette pathologie a tendance à s’accroître chez celles-ci alors qu’elle marque plutôt un léger recul chez les hommes.
Morts violentes
43Les causes extérieures de traumatismes et empoisonnement constituent le quatrième chapitre fortement associé aux différentiels de mortalité entre les sexes pour la période actuelle à la Réunion. Le rapport des taux comparatifs pour ce type de pathologie est proche de 3 pour 1 en faveur des femmes. Toutes les pathologies regroupées dans ce chapitre se caractérisent par des écarts considérables entre les sexes, avec des rapports de l’ordre de 2 à 3, toujours au détriment des hommes (fig. 10). Les plus marqués sont ceux qui concernent les accidents de la circulation, avec des taux comparatifs plus de quatre fois supérieurs chez ceux-ci que chez les femmes, et les suicides, avec un écart à peine moindre. Comme les empoisonnements accidentels, les homicides et les morts violentes indéterminées quant à l’intention qui appartiennent à ce même chapitre, les décès par suicides sont fréquemment liés, directement ou indirectement, à la consommation d’alcool. La différence de mortalité pour toutes ces causes reflète la forte différentiation de cette pratique selon le sexe. Les décès induits par la consommation de boissons alcoolisées ne se limitent toutefois pas à ce chapitre mais s’étendent aux troubles mentaux et aux maladies digestives (cirrhoses).
Autres maladies dues à l’alcool
44L’écart de la mortalité par troubles mentaux entre les sexes est l’écart le plus élevé de tous les chapitres avec un rapport proche de 3 pour 1. Les maladies dues à l’alcool (psychose alcoolique et alcoolisme) sont essentiellement responsables des décès de ce chapitre chez les hommes. Leur part atteint 75 pour cent de l’ensemble, avec un taux comparatif six fois plus élevé que chez les femmes. Si l’on ajoute aux décès dus aux psychoses alcooliques et à l’alcoolisme, non seulement les décès des rubriques concernées dans le chapitre des morts violentes mais également ceux attribués aux cirrhoses du foie et aux tumeurs malignes de l’œsophage, que l’on sait être étroitement associées à la consommation d’alcool, le rapport entre les taux comparatifs atteint 3,5 pour 1. Les informations disponibles au niveau des communes suggèrent aussi que ce sont celles qui enregistrent les plus faibles niveaux d’espérance de vie à la naissance qui se caractérisent par les taux les plus élevés de mortalité pour les maladies dues à l’alcool (Catteau et al., 2004).
45La seule note d’optimisme que l’on peut apporter à ces résultats réside dans la baisse rapide de ce type de pathologies au cours des deux dernières décennies. En effet, le taux comparatif pour les maladies dans lesquelles est directement ou indirectement impliquée la consommation d’alcool a enregistré une baisse de presque 45 pour cent chez les hommes et de plus de 60 pour cent chez les femmes entre 1981-1983 et 1997-1999. Les psychoses alcooliques et les cirrhoses du foie se sont réduites de plus de 50 pour cent chez les premiers et de plus de 60 pour cent chez les secondes au cours de cette période, au contraire des tumeurs malignes de l’œsophage, qui ont progressé de 40 pour cent chez les hommes entre les deux dates, alors qu’elles marquaient un léger recul chez les femmes.
Maladies endocriniennes
46Bien que d’un poids sensiblement plus faible comparées à d’autres pathologies, les maladies endocriniennes et nutritionnelles méritent d’être mentionnées, car elles sont considérées comme un problème majeur de santé publique dans l’île, où elles concernent particulièrement les femmes. Elles sont portées par une évolution rapide des comportements, au profit de la sédentarité et de déséquilibres alimentaires. Le taux comparatif de mortalité pour ces maladies est à peine inférieur chez les hommes par rapport aux femmes mais les conséquences en sont particulièrement néfastes chez ces dernières dans la mesure où la prévalence exceptionnelle du diabète est non seulement nuisible à la santé des individus en général, mais également un facteur de risque important de prématurité et de petit poids à la naissance pour les enfants dont les mères en sont atteintes pendant la grossesse (Barbieri et Catteau, 2002). Malgré des campagnes de santé publique répétées entre 1981-1983 et 1997-1999, le taux comparatif de mortalité pour cette pathologie chez les femmes n’enregistre pas de baisse significative entre les deux périodes, justifiant les préoccupations dont cette maladie fait l’objet.
47La figure 11 reprend toutes ces informations en les résumant sous forme graphique. Elle représente la contribution de chaque groupe d’âges et de chaque type de pathologies aux différences d’espérance de vie entre hommes et femmes pour la période la plus récente selon la même méthodologie que celle utilisée pour la figure 7. Elle montre clairement que, faibles pendant l’enfance, les écarts de mortalité entre les sexes deviennent significatifs dès l’adolescence et s’amplifient régulièrement d’un groupe d’âges à l’autre au détriment des hommes, si bien que la différence de mortalité à 75 ans et plus contribue pour plus de deux ans dans l’écart entre les espérances de vie de chaque sexe. Tandis que chez les jeunes adultes, ce sont les morts violentes qui expliquent l’essentiel de l’écart de mortalité entre hommes et femmes, le poids des tumeurs et, dans une moindre mesure, celui des maladies de l’appareil circulatoire et des maladies de l’appareil respiratoire pèsent le plus lourdement à partir de 55-64 ans.
Des variations importantes selon l’âge
48Ce qui vient d’être dit à la fois de la contribution de chaque type de pathologies à l’évolution de l’espérance de vie entre 1981-1983 et 1997-1999 et aux différences de mortalité par sexe suggère l’importance des variations qui existent dans la structure par cause des décès entre les groupes d’âges. Étant donné le poids de la mortalité aux âges élevés dans la mortalité générale, les pathologies qui dominent à 75 ans et plus tendent à dominer l’analyse générale des causes de décès. Les programmes de santé publique se préoccupent pourtant de causes qui, malgré leur poids très important dans certains groupes d’âges, ne ressortent pas dans l’analyse de la mortalité générale parce que la mortalité est faible dans ces groupes d’âges particuliers. Il en est ainsi de la mortalité infantile mais c’est aussi le cas, par exemple, de la mortalité des jeunes adultes. Ces considérations nous ont donc amenées à analyser la mortalité par cause au sein de chaque groupe d’âges et ce sont les résultats de ces analyses que nous présentons maintenant.
49Compte tenu des faibles effectifs de décès, nous avons été amenées à travailler pour l’analyse des causes de décès détaillées, outre la période infantile, sur les grands groupes d’âges 1-14 ans, 15-44 ans, 45-64 ans et 65 ans et plus. Pour tenir compte des différences par sexe de répartition par âge au sein de chacun de ces grands groupes d’âges, nous avons travaillé à partir des taux comparatifs, en utilisant comme précédemment la structure par âge de la France métropolitaine sexes réunis au recensement de 1990. Les taux comparatifs correspondant aux 16 grands chapitres de la CIM pour chacun de ces groupes d’âges et pour chaque sexe sont présentés dans les tableaux 5 a à 5 c.
Avant un an
50Les progrès de la lutte contre la mortalité infantile ont été tels que le taux a été divisé par deux entre le début des années 1980 et la fin des années 1990 (de 14 à 7 pour 1 000). Ils ont fait gagner un peu moins d’une demi-année d’espérance de vie à la population réunionnaise entre 1981-1983 et 1997-1999. Les principales causes à l’origine de ces progrès sont aussi celles qui pèsent le plus lourdement sur la mortalité à cet âge.
51La première année de vie se distingue nettement des autres groupes d’âges dans la mesure où les principales pathologies sévissant à cette période lui sont spécifiques. Pour les garçons comme pour les filles, la mortalité est essentiellement attribuable aux affections dont l’origine se situe dans la période périnatale (de la vingt-huitième semaine de gestation jusqu’au 7e jour après la naissance). Deux tiers des décès sont dus à cette cause chez les garçons et plus de la moitié chez les filles. Les affections dont l’origine se situe juste avant et juste après la naissance incluent principalement la prématurité, le syndrome de détresse respiratoire et les autres affections respiratoires du fœtus et du nouveau-né. Dans un travail publié par ailleurs, concernant exclusivement la mortalité infantile à la Réunion et son évolution depuis cinquante ans, nous avions souligné le rôle de la prématurité et du petit poids à la naissance, qui concernent plus de 12 pour cent des nourrissons, pour expliquer l’ampleur de la mortalité due aux affections de la période périnatale ainsi que la difficulté à la réduire (Barbieri et Catteau, 2003). Il est toutefois encourageant de constater que le taux de mortalité pour cette cause a diminué d’environ 20 pour cent entre 1981-1983 et 1997-1999. À peu près un tiers de la baisse du taux de mortalité infantile toutes causes entre ces deux dates est d’ailleurs attribuable au recul des affections périnatales.
52Les anomalies congénitales représentent la seconde cause de décès à cet âge, en particulier chez les filles, pour lesquelles le taux est très largement supérieur à ce qu’il est chez les garçons, soit plus du double. Ce résultat est inattendu et inexpliqué, mais il persiste d’une période à l’autre. Le taux de mortalité pour cette cause a peu régressé entre 1981-1983 et 1997-1997, si bien que le poids des progrès réalisés dans la lutte contre ce type de pathologie a peu joué sur la baisse de la mortalité infantile, expliquant à peine 15 pour cent du recul observé au cours des deux décennies passées.
53De fait, le deuxième type de causes ayant le plus contribué à la baisse du taux de mortalité infantile entre 1981-1983 et 1997-1999, bien que fort loin derrière les affections périnatales, est constitué par les maladies infectieuses, dont le taux spécifique a été divisé par dix entre les deux dates, prolongeant ainsi une évolution qui a commencé dès le milieu du xxe siècle et qui explique en très grande partie les progrès de l’espérance de vie réalisés depuis cette époque. Toutes les maladies infectieuses sont concernées mais, plus récemment, ce sont surtout les infections intestinales et certaines maladies infectieuses de l’appareil respiratoire (pneumonie et broncho-pneumonie essentiellement) qui ont contribué à l’évolution favorable de la mortalité infantile. La part des décès attribuables à ce type de pathologies a aujourd’hui tellement régressé que les progrès qui pourraient encore être réalisés contre ces maladies sont peu susceptibles d’influencer fortement l’évolution de la mortalité infantile dans le futur.
54Soulignons enfin le poids significatif des maladies du système nerveux et des organes des sens ainsi que celui des causes extérieures de traumatismes et empoisonnements. Compte tenu de la taille de la population réunionnaise, les décès concernés sont toutefois en trop faible nombre pour qu’une analyse plus fine des causes spécifiques les plus meurtrières au sein de ces deux grands chapitres soit possible.
Entre 1 et 14 ans
55Comme nous l’avions souligné plus haut, c’est dans ce groupe d’âges que la mortalité générale est la plus faible, soit à peu près trente fois inférieure à celle de la première année de vie et six fois moindre qu’à 15-44 ans. Elle représente environ cinquante décès annuels et les fluctuations par cause sont fortes d’une année à l’autre. Ce que l’on peut toutefois affirmer avec certitude compte tenu de la stabilité au cours du temps des taux concernés, c’est que presque la moitié de ces décès est due à des causes externes, accidents essentiellement. Le recul de la mortalité accidentelle entre 1981-1983 et 1997-1999, qui atteint plus de 50 pour cent, explique en conséquence la baisse de moitié du taux toutes causes à 1-14 ans observée au cours de ces deux décennies.
Entre 15 et 44 ans
56La mortalité à 15-44 ans est aussi relativement faible, mais elle se caractérise par un écart considérable entre les sexes comparé aux autres groupes d’âges. Le taux comparatif toutes causes est presque trois fois moindre pour le sexe féminin que pour le sexe masculin. Quatre types de pathologies dominent essentiellement à ces âges. Les deux principales, qui concernent presque exclusivement les hommes, sont directement liées à des conduites individuelles à risque, à savoir les morts violentes (accidents de la circulation et suicides, respectivement sept et trois fois plus fréquents chez les hommes que chez les femmes) et les maladies liées à la consommation excessive d’alcool (psychose alcoolique, alcoolisme et cirrhose du foie, avec un rapport de 5 à 1 entre le taux global des hommes et celui des femmes). La tendance est toutefois à la baisse, surtout pour les maladies de l’alcoolisme dont le recul a été supérieur à 60 pour cent chez les hommes et à 85 pour cent chez les femmes, entre 1981-1983 et 1997-1999, moindre pour les morts violentes, où il a atteint quand même plus d’un tiers pour chacun des deux sexes.
57Les deux autres chapitres concernés par ce groupe d’âges sont les maladies de l’appareil circulatoire, également en fort recul entre 1981-1983 et 1997-1999 (de 50 pour cent chez les hommes, de plus de 35 pour cent chez les femmes), avec un différentiel par sexe favorable aux femmes, et les tumeurs, qui marquent une tendance à la stabilisation tant chez les hommes que chez les femmes, avec des taux très proches entre les deux sexes.
Entre 45 et 64 ans
58La mortalité devient forte à partir de 45-64 ans. Elle est dominée par deux grands groupes de causes qui se partagent les décès à parts égales aussi bien pour un sexe que pour l’autre, à savoir les tumeurs et les maladies cardiovasculaires. Dans la première catégorie, les cancers dus au tabac et à l’alcool sont ceux qui tuent le plus à cet âge chez les hommes, tandis que chez les femmes ce sont plutôt les cancers du sein et de l’utérus qui dominent. En ce qui concerne les maladies de l’appareil circulatoire, ce sont les cardiopathies ischémiques et les maladies vasculaires cérébrales qui sont les plus meurtrières, tant chez hommes que chez les femmes.
59Indicatrice des tendances futures, l’évolution de ces deux types de pathologies au cours des années 1980 et 1990 est divergente : tandis que la mortalité par maladies de l’appareil circulatoire a très sensiblement diminué au cours de cette période, avec un recul de près de 40 pour cent chez les hommes et presque 50 pour cent chez les femmes, le taux comparatif de mortalité par cancer est resté stable, comme à 15-44 ans, entre 1981-1983 et 1997-1999 tant du côté des hommes que du côté des femmes, avec des taux toutefois inférieurs de moitié chez ces dernières comparés aux premiers.
60Les causes externes représentent le troisième grand groupe de causes de décès à 45-64 ans. Chez les hommes, les accidents (dont la moitié sont des accidents de la circulation) concentrent près des deux tiers des décès, mais, avec un taux maximal comparé aux autres groupes d’âges, les suicides représentent une part des décès d’autant plus préoccupante que le taux est demeuré stable au cours des deux décennies passées. Compte tenu de l’importance des conduites à risque déjà soulignée par ailleurs, on ne peut écarter le rôle de l’alcool dans le poids de ces pathologies à cet âge. Chez les femmes, le taux de mortalité par suicide est non seulement beaucoup plus faible que chez les hommes (environ quatre fois moindre), mais également comparable à celui des autres âges adultes.
61La consommation d’alcool, avec celle du tabac, explique aussi en grande partie le niveau significatif de la mortalité due à chacun de trois autres grands groupes de causes chez les hommes, à savoir les maladies de l’appareil digestif (dont près de 60 pour cent de cirrhoses du foie), les maladies de l’appareil respiratoire (dont presque 50 pour cent de bronchites chroniques et 35 pour cent de pneumonies et broncho-pneumonies) et les troubles mentaux (dont plus de 95 pour cent de psychoses alcooliques ou alcoolisme). Un point encourageant toutefois : la mortalité pour ces trois types de pathologies est en forte régression chez les hommes depuis 1981-1983, avec un recul qui atteint 50 pour cent environ pour les maladies de l’appareil digestif et pour les troubles mentaux et 20 pour cent pour les maladies de l’appareil respiratoire. Chez les femmes, les taux pour ces groupes de causes sont inférieurs de moitié en ce qui concerne les maladies de l’appareil digestif (avec une baisse de près de 45 pour cent entre 1981-1983 et 1997-1999) et des deux tiers pour les maladies de l’appareil respiratoire, mais la mortalité ne montre pas de progrès, sinon une légère augmentation, en ce qui concerne ce dernier type de pathologie, reflétant la tendance plus tardive des femmes à la consommation de tabac et le recul moins marqué chez elles de cette pratique. Les troubles mentaux représentent une très faible part de la mortalité chez les femmes et connaissent un recul de 70 pour cent au cours des deux dernières décennies.
À partir de 65 ans
62C’est après 65 ans que les taux de mortalité sont les plus élevés. Compte tenu de la structure par âge de la population et de la faible mortalité désormais observée chez les enfants et les jeunes adultes, les décès après 65 ans représentent près des deux tiers de l’ensemble des décès en 1997-1999 et, avec les progrès de l’espérance de vie et la baisse de la fécondité, cette proportion continuera d’augmenter dans le futur.
63Comme nous l’avons souligné plus haut, du fait du poids très important de la mortalité des personnes âgées dans la mortalité générale, les principales causes de décès après 65 ans sont aussi celles qui dominent la mortalité générale. Tout ce qui a été dit précédemment sur ces pathologies s’applique ici, notamment en ce qui concerne les maladies de l’appareil circulatoire et les tumeurs. Contrairement au groupe d’âges 45-64 ans où les deux types de pathologie jouaient un rôle comparable, les maladies cardio-vasculaires sont celles qui pèsent, et de loin, le plus sur la mortalité à partir de 65 ans, avec un taux spécifique qui représente à lui seul près de 40 pour cent du taux toutes causes chez les hommes et plus de 45 pour cent chez les femmes. Les maladies vasculaires cérébrales dominent, puis viennent les cardiopathies ischémiques et, enfin, les insuffisances cardiaques. Ces trois pathologies sont responsables de plus de 70 pour cent de la mortalité par maladies de l’appareil circulatoire chez les hommes et de 75 pour cent chez les femmes. Plus d’un tiers de la mortalité totale à 75 ans et plus leur est attribuable.
64Deuxième grande cause de mortalité après 65 ans, les tumeurs sont loin d’être négligeables. L’écart entre les sexes, avec un taux presque trois fois supérieur chez les hommes que chez les femmes, est aussi beaucoup plus marqué qu’en ce qui concerne les maladies de l’appareil circulatoire. Une fois encore, ce sont les tumeurs liées à la consommation d’alcool et de tabac qui expliquent la très forte mortalité des hommes à ces âges, comparée à celle des femmes. Ainsi, par exemple, les principaux cancers observés chez les premiers sont ceux des systèmes digestif et respiratoire ainsi que les cancers de la bouche, dont les taux combinés atteignent un rapport proche de 5 pour 1 entre les sexes. Les hommes âgés meurent aussi plus du cancer de la prostate que les femmes ne meurent des cancers qui leur sont propres (sein, utérus, ovaire).
65Tandis que les maladies cardio-vasculaires tuent moins à ces âges, en 1997-1999, que vingt ans plus tôt (avec un recul qui atteint 30 pour cent environ pour les hommes comme pour les femmes), les taux de mortalité par tumeurs ont eu tendance à se stabiliser au cours de cette période, et même, chez les hommes, à augmenter, pour les cancers de la prostate ou de la bouche notamment. Il convient toutefois de rester prudent quant à l’interprétation de ces tendances dans la mesure où, comme nous l’avons déjà signalé, des progrès très importants ont été accomplis au cours des vingt dernières années en matière de diagnostic du cancer. Il est en conséquence fort possible que l’évolution observée soit le reflet de cette amélioration plutôt que celui des véritables tendances de l’état de santé de la population réunionnaise.
66Parmi les autres causes de décès importantes après 65 ans figurent, après les maladies cardio-vasculaires et les tumeurs, les maladies de l’appareil respiratoire dont les taux sont supérieurs de plus du double pour le sexe masculin que pour le sexe féminin. Ce sont plus particulièrement les bronchites chroniques et maladies pulmonaires obstructives et les pneumonies et broncho-pneumonies qui dominent ce groupe de causes, ces deux types de pathologies représentant 80 pour cent de la mortalité par maladies de l’appareil respiratoire chez les hommes et 65 pour cent chez les femmes.
67Viennent enfin, à part à peu près égale chez les hommes, et dans l’ordre décroissant chez les femmes, les maladies endocriniennes et de la nutrition, les maladies de l’appareil digestif et les morts violentes. Tandis que le premier ensemble de causes montre exceptionnellement une surmortalité des femmes, essentiellement due à la prévalence du diabète, l’écart entre les sexes est négligeable en ce qui concerne les maladies de l’appareil digestif et très défavorable aux hommes en ce qui concerne les morts violentes. Pour ces dernières, presque toutes les rubriques contribuent à la différence entre les sexes, mais les écarts sont particulièrement marqués pour les homicides (avec un rapport de 4 à 1 entre les hommes et les femmes) et pour les suicides (avec des taux variant du simple au triple). Le différentiel s’est toutefois réduit considérablement, pour ces deux causes comme pour la plupart des autres causes de ce chapitre, entre 1981-1983 et 1997-1999, avec une tendance à la baisse des taux chez les hommes (-9 pour cent) et à la hausse chez les femmes (+ 13 pour cent, essentiellement à cause de l’augmentation de la mortalité par accident).
Comparaison avec la métropole
68La nature des sources et la manière, relativement centralisée, dont sont fixées les priorités en matière de santé publique nous paraissent justifier une comparaison avec la France métropolitaine. Cette comparaison est rendue possible en appliquant au calcul des taux de mortalité de la métropole les mêmes règles méthodologiques que pour celui des taux réunionnais. Plus précisément, les taux comparatifs de mortalité par cause pour la France métropolitaine ont été calculés, comme ceux de la Réunion, en utilisant la répartition par groupe d’âges observée en France métropolitaine au recensement de 1990, sexes réunis. En outre, comme pour la Réunion, les décès du chapitre « Symptômes, signes et états morbides mal définis » ont été répartis proportionnellement entre les autres chapitres pour chaque groupe d’âges.
69Les taux comparatifs sont présentés dans le tableau 6 pour chacun des 1057 chapitres à 4 chiffres de la liste abrégée de la CIM9 telle qu’elle est définie par l’Inserm. Par ailleurs, la figure 12 illustre la contribution de chaque groupe d’âges et grand groupe de causes à la différence d’espérance de vie entre les deux territoires pour la période la plus récente (1997-1999) calculée selon la technique d’Andreev déjà citée (Andreev, 1982 ; Andreev et al., 2002). Ces comparaisons mettent en lumière les causes de mortalité expliquant l’écart persistant d’espérance de vie entre les deux territoires qui, après plusieurs décennies d’amélioration rapide de l’état de santé de la population réunionnaise relativement à celui de la population de France métropolitaine, tend pourtant à croître de nouveau depuis une quinzaine d’années, ou, en tout cas, à se stabiliser autour de 4 ans.
Tableau 6. Comparaison des causes de décès, département de la Réunion et France métropolitaine. Taux comparatifs* de mortalité et indice de surmortalité 1997-1999 (taux moyen annuel pour 100 000 habitants)
70À l’exception des deux périodes extrêmes de la vie (avant un an et à partir de 75 ans), l’écart entre la Réunion et la métropole augmente progressivement avec l’âge. La différence entre les espérances de vie des deux territoires imputable à la mortalité de la première année atteint 0,2 an, sur les presque quatre ans de différence totale entre l’île et la métropole. Elle est négligeable entre 1 et 25 ans (inférieure à 0,1 an), devient significative à partir de 25-34 ans (0,2 an) et, après avoir crû progressivement, elle est maximale à 65-74 ans, l’écart observé pour ce groupe d’âges expliquant plus d’un quart de la différence, soit une année de vie. Elle devient très faible (0,08 an) à 75 ans et plus, lorsque les causes jouant en faveur de la Réunion (essentiellement les tumeurs) compensent celles qui lui sont défavorables (maladies de l’appareil respiratoire, maladies de l’appareil circulatoire et maladies endocriniennes).
71La période infantile se distingue des autres par les causes de décès intervenant dans la différence d’espérance de vie entre l’île et la métropole. Avant un an, ce sont essentiellement les affections dont l’origine se situe dans la période périnatale qui expliquent cette différence. Un écart de mortalité du simple au double pour ce type de causes est observé entre la France métropolitaine et la Réunion. Toutes les rubriques de ce chapitre sont concernées, mais c’est tout particulièrement la prématurité, dont nous avons souligné par ailleurs l’importance (Barbieri et Catteau, 2002), qui, avec un taux atteignant un rapport de 2,5 à 1 avec la métropole, présente l’écart le plus grand. Chez les adultes, les causes de mortalité expliquant la différence d’espérance de vie entre les deux territoires sont très largement dominées par les maladies cardio-vasculaires qui l’expliquent à elles seules pour moitié. En effet, plus d’une année et demie d’espérance de vie est perdue par les Réunionnais sur les métropolitains du seul fait de ces pathologies. Leur poids représente environ la moitié de l’écart entre l’île et la métropole entre 45 et 75 ans. Ce sont les maladies hypertensives et les maladies vasculaires cérébrales qui, avec des taux comparatifs atteignant à la Réunion le double de ceux observés en métropole, pèsent le plus lourd dans la différence entre les deux territoires.
72À l’inverse, les tumeurs, qui constituent la deuxième cause de décès à la Réunion, présentent des taux comparatifs à tous âges globalement favorables à l’île par rapport à ceux observés en métropole avec un écart de 20 pour cent aux dépens de cette dernière. Ce type de pathologies fait gagner près d’une année de vie aux Réunionnais par rapport aux métropolitains. Les cancers les plus concernés à cet égard sont certaines tumeurs malignes de l’appareil digestif (pancréas et intestin notamment), les cancers de la peau, les cancers des reins et autres organes urinaires et les tumeurs malignes du sein. D’autres tumeurs malignes sont au contraire plus meurtrières à la Réunion, comme le cancer de l’utérus, le cancer de la bouche et, surtout, les cancers de l’œsophage et de l’estomac (avec un écart presque du simple au double en défaveur de la Réunion). Les maladies de l’appareil respiratoire expliquent une autre part importante de l’écart d’espérance de vie entre les deux territoires avec une perte de 0,8 an de la Réunion sur la métropole, essentiellement chez les plus âgés (65 ans et plus) mais l’écart est déjà significatif à 55-64 ans. Pour toutes les rubriques, les taux comparatifs sont systématiquement défavorables à la Réunion. Parmi les causes principales de décès dans ce chapitre, mentionnons les pneumonies et broncho-pneumonies, dont le taux comparatif est 50 pour cent plus élevé sur l’île par rapport à la métropole, et les bronchites chroniques, dont le taux varie presque du simple au double entre les deux territoires.
73Parce qu’elles pèsent d’un poids moins lourd dans la mortalité générale, les autres causes jouent un rôle moindre pour expliquer l’écart d’espérance de vie entre la Réunion et la France métropolitaine. Toutes y contribuent cependant : les maladies endocriniennes pour environ 0,6 an, les maladies de l’appareil digestif pour 0,3 an, les causes externes pour 0,25 an et les troubles mentaux pour 0,2 an. Parmi toutes les rubriques de ces chapitres, notons l’importance du diabète, dont les taux comparatifs varient du simple à plus du triple entre la métropole et la Réunion, surtout pour les femmes (rapport de 1 à 3,5) et les troubles mentaux liés à l’alcoolisme, dont les taux varient presque du simple au quintuple, plus spécialement chez les hommes (rapport de 1 à 5 entre les deux territoires) mais également chez les femmes (de 1 à 3,3).
Conclusion
74Le profil de mortalité par âge et cause observé à la Réunion est représentatif de celui observé dans l’ensemble des pays industrialisés. Les maladies infectieuses et parasitaires, autrefois principales tueuses, ont cédé la place depuis déjà plus de deux décennies aux maladies cardio-vasculaires et aux cancers qui dominent à partir de 45 ans. Avant cet âge, les maladies de société occupent cependant une place préoccupante qui fait déjà l’objet de campagnes spécifiques de santé publique. Pour les hommes, il s’agit essentiellement des pathologies résultant de conduites à risque (accidents de la circulation routière, en particulier pour les jeunes, suicides, et, surtout, maladies liées à la consommation d’alcool et de tabac) tandis que pour les femmes, le diabète figure au premier plan des préoccupations. Enfin, si l’on se réfère au niveau atteint dans la plupart des départements français, des progrès sont encore possibles en matière de mortalité infantile avec, en particulier, la mise en place de mesures destinées à combattre la prématurité. La poursuite des progrès de la lutte contre la mortalité ne pourra se réaliser qu’au prix d’un effort croissant à l’encontre de toutes ces pathologies avec le développement de programmes de prévention primaire et secondaire spécifiques à chaque âge, notamment dans les communes les plus défavorisées et isolées géographiquement, celles des Cirques et des Hauts tout particulièrement, qui souffrent, en plus d’une situation économique précaire, d’un accès difficile aux informations et aux systèmes de soin.
Bibliographie
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Annexe
Annexe
Taux moyen annuel de mortalité par sexe et par tranche d’âges à la Réunion (1997-1999).
Tableau A1 Sexes réunis
Tableau A2 Sexe masculin
Tableau A3 Sexe féminin
Notes de bas de page
1 Cette étude n’aurait pu se réaliser sans les données que nous ont diligemment transmises Jean-Marc Lardoux (Direction régionale de l’Insee à la Réunion), d’une part, et toute l’équipe du Cépid-DC (Inserm), d’autre part. Qu’ils en soient remerciés ici, de même que France Meslé (Ined) pour ses précieux conseils.
2 Les quotients ont été calculés par les méthodes démographiques classiques présidant à la construction des tables de mortalité. Ainsi, par exemple, pour les quotients de la période 1981-1983, nous avons d’abord calculé des taux en rapportant les décès qui se sont produits dans chaque groupe d’âges au cours des trois années 1981, 1982 et 1983, au nombre de personnes dans le groupe d’âges considéré en milieu de période (mi-1982). Puis, à partir des taux ainsi calculés, nous avons reconstitué la table de mortalité complète, y compris la série des quotients de mortalité, pour cette période. Le lecteur peut par exemple se reporter au manuel de Pressat (1985) pour plus de détails sur cette technique.
3 Nous invitons le lecteur intéressé à se reporter à d’autres publications pour trouver le détail des taux par cause pour des périodes antérieures (Michel et al., 1995 notamment).
4 La méthode d’Andreev a pour objectif de décomposer la contribution de chaque groupe d’âges ou de chaque groupe de causes de décès à la différence entre deux espérances de vie (pour un même pays à deux points dans le temps ou pour deux pays) à partir d’un algorithme unique dont les différents éléments sont calculés par itération. La méthode est complexe et nous conduirait à des développements qui ne nous paraissent pas appropriés ici. Nous invitons donc les lecteurs intéressés à se reporter aux références citées.
5 Les taux comparatifs de mortalité par cause et par sexe permettent d’éliminer l’effet de la structure d’âge : pour ce calcul nous avons choisi de prendre comme population de référence celle de la métropole en 1990, sexes confondus, ce qui permet une comparaison entre les sexes et avec la France métropolitaine.
6 C’est ce que l’on peut notamment constater grâce à l’existence d’un registre du Cancer, mis en place par le Conseil général de la Réunion dans les années 1980.
7 L’Inserm fournit une répartition des décès par cause en 110 chapitres mais dans la mesure où nous avons redistribué les décès de cause mal définie, qui se répartissent entre 5 chapitres relevant des « Symptômes, signes et états morbides mal définis », ce chiffre est réduit à 105.
Auteurs
Démographe, chargée de recherche Ined.
Démographe, responsable du service des études statistiques, Drass Réunion.
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