Introduction. La question de la population à la Réunion
p. 7-26
Texte intégral
1Traiter des questions démographiques à la Réunion présente un double intérêt. Le premier est d’analyser une situation démographique originale comparativement à celles des pays connaissant un développement économique similaire. Le second est de fournir des données et des analyses à des décideurs qui s’intéressent de près aux questions de population. En effet, c’est là une caractéristique de l’île de la Réunion que cette attention particulière portée à la démographie par les acteurs politiques et institutionnels. Dans un contexte international où la grande majorité des pays n’ont jamais eu de véritable politique démographique, ce fait est suffisamment rare pour que nous lui consacrions cette introduction.
2Dans une première partie, nous tenterons de cerner la thématique démographique à travers les déclarations mais aussi les actions concrètes entreprises par les pouvoirs publics. De cette manière, chemin faisant, nous essaierons de montrer quelle perception ont les décideurs des questions démographiques et la manière dont elles ont été traitées – l’ampleur des actions entreprises étant à nos yeux le meilleur indicateur de l’importance qu’on leur accorde. Le point de vue retenu est que, de longue date, la démographie réunionnaise a été « organisée ». Dans une deuxième partie, nous proposerons quelques explications justifiant une telle considération pour la question de la population à la Réunion. Parmi elles, citons d’ores et déjà la taille modeste du territoire, son caractère insulaire, les positions idéologiques de certains de ses dirigeants ainsi que les rapports entretenus avec la métropole. Enfin, nous présenterons dans une dernière partie la structure de l’ouvrage, qui est découpé de manière classique selon les phénomènes démographiques majeurs.
Une démographie organisée
3Entendons-nous d’abord sur le terme « organisation ». Si un individu décide de partir travailler dans un autre pays sans aucune aide, il s’agit d’une migration spontanée ; s’il existe une structure qui le prend en charge pour ses démarches administratives, qui lui paie le billet d’avion et l’aide à trouver un emploi, alors la migration devient organisée. De la même manière, une femme ou un couple qui décide de limiter sa descendance peut le faire spontanément et individuellement en se procurant des méthodes contraceptives diverses. En revanche, si les pouvoirs publics mènent des campagnes de sensibilisation en faveur de la contraception, s’ils permettent d’accéder gratuitement aux moyens contraceptifs et s’ils assortissent le tout d’aides et de mesures fiscales en fonction du nombre d’enfants, alors il s’agit d’une véritable politique de population. Bien sûr, la frontière n’est pas toujours claire pour dire ce qui est du ressort d’une politique démographique stricto sensu et de celui d’une politique connexe ayant des effets sur les variables démographiques. Sans entrer dans ce débat, ce qui nous intéresse ici est davantage de montrer la volonté récurrente de réguler la dynamique de la population, que ce soit dans un objectif démographique, économique ou politique1.
Peuplement et migration
4La volonté de réguler la population apparaît dès l’installation des premiers habitants au milieu du xviie siècle, lorsque les autorités locales mais aussi le Roi de France décident que l’île Bourbon doit devenir une colonie de peuplement afin d’en faire un établissement de commerce (Cornu, 1976 ; Hamon, 1982). Avec le développement de la culture du café au xviiie siècle, puis de celle de la canne à sucre au xixe, la croissance de la population sera davantage le fait de l’apport massif d’esclaves que celui d’une dynamique naturelle. La croissance démographique issue de l’immigration se poursuit encore après l’abolition de l’esclavage, et au cours de la seconde moitié du xixe siècle, la croissance est assurée par le recrutement de travailleurs engagés volontaires, venus d’Inde pour la plupart. Cette migration, volontaire ou forcée, obéit à des impératifs économiques de court terme, et ce sont les autorités locales en concertation avec les grands propriétaires terriens qui en régulent les flux.
5Pendant cette période, le sex ratio penche très largement en faveur des hommes2, signe majeur d’une démographie « artificielle ». On ne peut évidemment pas parler de véritable politique démographique, mais d’une politique de gestion de la population destinée à pourvoir rapidement les besoins en main-d’œuvre que nécessite une économie agricole peu mécanisée. La ligne d’horizon de ces recrutements est très courte, et les interdictions de faire venir des immigrants succèdent aux incitations. Par exemple, en 1846, le gouverneur Bazoche autorise la venue d’un millier de cultivateurs chinois à titre d’essai. Une fois le quota atteint, cette immigration est interdite (Eve, 1999). En 1880, après avoir recruté des dizaines de milliers de travailleurs volontaires, l’île se trouve en pleine récession économique, et le gouvernement met alors un terme à toute immigration (Hamon, 1982). Au contraire, on songe désormais à installer des Réunionnais dans les pays voisins. En 1897, Galliéni envoie officiellement douze familles à Madagascar (Isnard, 1953), et si ce nombre est négligeable, la crainte de la surpopulation pointe déjà dans certains esprits3. Au début du xxe siècle, les autorités administratives de la Réunion favorisent et financent de nombreux départs vers Madagascar, l’Indochine ou la Nouvelle-Calédonie.
6La crainte de la surpopulation est de courte durée puisque la Première Guerre mondiale et la grippe espagnole entraînent des pertes humaines terribles. Alors que le cours de la canne est à son sommet en 1921, il n’y a pas assez de travailleurs pour la récolter. La question est tellement importante que le Conseil général s’en saisit et un accord est passé avec Madagascar pour l’envoi de 3 000 habitants du pays Antandroy. Le sens des flux migratoires s’inverse donc. Cette expérience, qui se déroulera assez mal4, sera néanmoins renouvelée avec de nouvelles modalités en 1927, mais sans guère plus de réussite et le recrutement de travailleurs malgaches cessera en 1930. Un dernier accord sera passé avec le gouvernement anglais de Maurice pour envoyer 500 adultes venus de l’île Rodrigues en août 1933. Là encore, le béri-béri et les mauvais traitements dont se plaignent les travailleurs mauriciens les incitent à repartir au cours des années suivantes.
7Dans le second quart du xxe siècle, les naissances deviennent supérieures en nombre aux décès. C’est la première fois dans l’histoire de l’île que la dynamique naturelle prend l’ascendant sur la croissance par immigration. Après une transition démographique que nous aurons l’occasion de présenter dans le premier chapitre, la peur n’est plus de manquer de bras, mais d’en avoir trop. En conséquence, les pouvoirs publics vont chercher dès lors des solutions pour inciter les Réunionnais à émigrer.
8Depuis le milieu du xxe siècle, plusieurs expériences encourageant l’émigration ont été tentées, de plus ou moins grande ampleur, avec plus ou moins de bonheur. Chronologiquement, c’est d’abord vers Madagascar que les pouvoirs publics décident de favoriser le départ de familles réunionnaises. C’est l’une des recommandations du rapport Pellier (1955 : 229), dans lequel il est stipulé que « la situation démographique, dès à présent, appelle une solution d’urgence, d’autant plus que son évolution normale en permet de prévoir une aggravation rapide et accélérée ». La solution doit être recherchée « dans une émigration importante vers des territoires ayant des ressources potentielles et une population insuffisante. Madagascar présente ces conditions et semble un territoire d’accueil tout désigné » (Pellier, 1955 : 232). Pellier met en avant les nombreux échecs de l’émigration individuelle, dus à l’absence de qualification et de capital des migrants. Il insiste en revanche sur la nécessité de favoriser une immigration collective, organisée et encadrée5 et souhaite donner beaucoup plus d’envergure à une expérience en cours depuis 1952 dans la région de la Sakay6. Située dans les Hautes Terres malgaches, cette région a en effet été choisie pour l’installation de colons réunionnais sur des terres agricoles. Babetville y sera créée, en honneur au député Raphaël Babet, instigateur du projet. En 1959, ce sont 139 familles de la Réunion qui sont présentes dans la Sakay. Le projet est délaissé en 1961 à l’Indépendance de Madagascar, mais les dernières familles ne quitteront la région qu’en 1977 sous la pression des autorités et de la population malgaches.
9Une autre émigration impulsée par les pouvoirs publics, peu importante quantitativement mais représentative d’une politique de population volontariste, a été l’envoi en métropole, et plus particulièrement dans le département de la Creuse, de pupilles de la Nation originaires de la Réunion7. Cette politique, dont le nom officiel est « politique départementale de migration des pupilles » a apparemment été surtout active dans les années 1960, même si elle s’est poursuivie dans les années 1970.
10On peut faire mention aussi des incitations pour les jeunes femmes réunionnaises à se rendre dans des départements du centre de la France pour y épouser des agriculteurs. Allant au-delà de la seule migration, puisqu’il s’agit aussi de la sphère matrimoniale, ce dispositif particulier est révélateur d’une immixtion de la sphère publique dans celle traditionnellement dévolue au privé8.
11Bien que d’orientation à première vue moins démographique, la politique menée dans le domaine du service militaire consistant à envoyer en métropole les Réunionnais a permis le départ de plusieurs dizaines de milliers de jeunes. Des mesures spéciales leur étaient destinées, ils pouvaient par exemple rester cinq ans en métropole après leur service tout en conservant la prise en charge par l’État de leur trajet de retour. Ils bénéficiaient aussi d’aides pour le regroupement familial et de la possibilité d’effectuer des stages de formation dans certains secteurs de l’industrie ou du BTP (Bertile, 1996).
12Mais la grande opération d’émigration organisée est incontestablement celle mise en place en 1963 par le Bureau pour le développement des migrations intéressant les départements d’outre-mer (Bumidom). À la suite du rapport Pellier (1955), le Haut Comité consultatif de la population et de la famille dans les DOM préconise la création d’une structure dont le rôle serait de lutter contre le surpeuplement en favorisant l’émigration d’une partie de la population en âge de procréer (Hamon, 1982). Le Bumidom, créé par arrêté ministériel du 26 avril 1963, a officiellement « pour objet de contribuer à la solution des problèmes démographiques intéressant les DOM » (Lecompte, 1975 : 89). Sa mission est d’informer et d’aider par un ensemble de mesures financières et administratives les travailleurs et leur famille qui souhaitent s’installer en métropole. Cette structure vient à point nommé pour créer un fort courant migratoire vers la métropole de la part d’une population qui n’avait aucun réseau migratoire ni communauté d’accueil sur lesquels s’appuyer. En effet, avant les années 1960, seuls quelques militaires et quelques étudiants font le trajet Réunion-métropole. Le succès du Bumidom est indéniable en termes démographiques eu égard aux objectifs affichés. Entre 1967 et 1974, 95 % des candidats à l’aventure migratoire s’adressent au Bumidom (Insee, 1987) et on estime à 37 473 le nombre de Réunionnais qui ont profité de ses services de 1963 à 1981 (Bertile, 1992). Un tiers des Réunionnais nés en 1954 ont quitté l’île (Carde, 1996). Cette action publique a été renforcée en outre par la politique de certaines grandes entreprises du secteur privé qui, à l’instar de ce qu’elles faisaient au Maghreb, ont recruté massivement des travailleurs réunionnais à destination de la métropole. Des sociétés comme Michelin ou Simca avaient des agents et des bureaux recruteurs à la Réunion (Chane-Kune, 1996).
13En 1981, sur fond de chômage progressant, le gouvernement met un frein à cette politique d’émigration. Le Bumidom laisse la place à l’Agence pour l’insertion et la promotion des travailleurs originaires d’outre-mer (ANT), tandis que l’incitation à l’émigration fait place à une politique d’insertion des migrants en métropole. À nouveau, depuis 1991, les pouvoirs publics ont mis en place des dispositifs informatifs et financiers axés sur la mobilité, et non plus sur la migration, signifiant par là que les départs et les séjours en métropole, ou ailleurs, étaient non définitifs mais devaient être considérés comme des périodes d’acquisition de diplômes et de qualification professionnelle. Dans le cadre de la coopération décentralisée, il existe aussi des accords sur l’immigration entre la Région Réunion et le Québec par exemple.
Planification familiale
14L’autre composante d’une véritable politique démographique à la Réunion est celle entreprise dans les années 1960 pour réduire la fécondité. Nous parlons ici de politique démographique, et trois raisons nous incitent à le faire : primo, il existe à la Réunion des mesures spécifiques, différentes voire opposées à celles prônées en métropole dans le domaine démographique ; secundo, les moyens financiers et humains mis dans les actions démographiques sont très importants et dénotent une volonté politique forte ; tertio, il existe un faisceau d’explications qui éclairent cette politique globale, nous y reviendrons dans la partie suivante. En ce sens, nous rejoignons donc la thèse de Jourdain (1978 : 81) qui écrit : « Officiellement, il n’existe pas de programme visant à limiter les naissances en fonction d’objectifs précis, néanmoins cette dénégation fréquemment répétée par les dirigeants locaux ne saurait faire illusion : les nombreuses recommandations officielles ainsi que les mesures adoptées à ce sujet ont un but essentiellement malthusien. »
15Dans un contexte national d’inquiétude face au dépeuplement, les politiques démographiques sont entièrement dans l’esprit de la loi de 1920 encore en vigueur qui interdit la publicité pour toute limitation des naissances. À la Réunion, le contre-pied est pris avec une série de mesures et de créations d’organismes qui vont favoriser la baisse de la natalité9. En 1962, l’Association réunionnaise d’éducation populaire (Arep) a pour mission d’informer les femmes et les couples sur le thème de la limitation des naissances. Affichée comme catholique, cette association va opérer un premier travail de sensibilisation, aidant ainsi à rendre acceptable pour une partie de la population la limitation des naissances10. Mais pour beaucoup, la contraception et la régulation des naissances sont encore un sujet tabou (Martinez, 2001).
16C’est dans ce contexte que naît en 1966 l’Association réunionnaise d’orientation familiale (Arof) qui sera le bras armé de la politique de la planification familiale de l’île, sous l’impulsion du docteur Pierre Lagourgue, qui par ailleurs a été président du Conseil général de 1967 à 1982. Pendant plusieurs années, seuls les médecins généralistes, peu nombreux, et l’Arof sont aptes à délivrer des moyens contraceptifs. L’Arof propose des consultations médicales gratuites et met à disposition des contraceptifs modernes. Alors que la métropole encourage dans les années 1960 la natalité en indexant les prestations familiales sur le nombre d’enfants, la Réunion crée le Fonds d’action sociale obligatoire (Faso) qui assure le financement de l’Arof. Le Faso est lui-même alimenté par une partie du montant des allocations familiales, avec comme objectif de « diminuer les effets natalistes des prestations familiales en finançant des actions collectives » (Bertile, 1992).
17Cette politique de limitation des naissances a été la plus active dans les années 1960 et 1970. La baisse de la natalité survenue au cours de ces deux décennies a par la suite rendu ses prérogatives moins impérieuses et la politique de l’Arof s’est vue réorientée au début des années 1980 vers des actions en faveur de la planification familiale moins « militantes », selon les termes de Morlas et al. (1992), dans la mesure où le travail d’information et de sensibilisation avait atteint pleinement ses objectifs.
Pourquoi la démographie occupe-t-elle une place si importante à la Réunion ?
18L’ensemble des mesures énumérées précédemment indique l’importance de la question démographique et de ses enjeux à la Réunion. Le Plan Monnet, chargé de moderniser et de relancer l’économie française, parle en 1946 de l’île comme d’un « pays surpeuplé dont l’économie est dominée par la production sucrière » (De Palmas, 1996). Le rapport Finance (1948 : 8) avait lui aussi tiré la sonnette d’alarme de la surpopulation en 1948 et on pouvait y lire : « Il est donc nécessaire d’établir un plan mûrement réfléchi d’émigration réglementée, coordonnée, soit vers Madagascar, soit vers certaines régions peu peuplées de l’A-OF, soit vers l’Océanie ». Pour ce qui est de la politique démographique qui sera mise en œuvre quelques années plus tard, Weber (1994 : 94) parle de « vrai plan d’ensemble ». La politique en trois volets élaborée pour les DOM en 1958-1959 par Max Soulin, Secrétaire général des DOM, comporte en effet un volet économique (développement des investissements) et deux autres volets d’ordre démographique (la planification familiale et l’émigration de travail). Bertile (1992 : 261) parle quant à lui de « politique démographique cohérente » mise en place dans les années 1960. Marie et Temporal (2001 : 12), dans le cas de la politique d’émigration, évoquent un « volontarisme institutionnel durable ».
19Dans les années 1960, au moment où est édifié le plan le plus ambitieux, les préoccupations autour de la question démographique ne sont pas nouvelle – en témoigne un échange de notes datant des années 1950 entre le préfet et différents services relevant de son autorité qui montre le souci du surpeuplement et de la forte pression démographique dont est victime la Réunion (De Palmas, 1996). Plusieurs textes officiels sur les dangers de la surpopulation sont produits entre 1955 et 1976 (Jourdain, 1978). Le préfet Philip écrit en 1956 dans la revue Marchés coloniaux du Monde un article au titre évocateur : « Le problème réunionnais est d’abord d’ordre démographique ». Beaucoup d’hommes politiques multiplient les déclarations à ce sujet. En 1963, Roger Payet, président du Conseil général, déclare au préfet Diefenbacher : « Vous arrivez à un moment où une démographie démentielle contraint tous ceux qui ont une responsabilité quelconque dans ce pays à se pencher sur un problème chaque jour plus inquiétant. » (Linquette, 1999). Pierre Lagourgue, président du Conseil général, affirmait que la Réunion courrait vers de graves problèmes si l’on ne faisait rien pour limiter l’augmentation de la population (Vaxelaire, 2003 b). Dans cette décennie 1960, la démographie est présentée comme « le problème numéro un de la Réunion » (Bertile, 1996 : 11) ou comme « la cause de tous les maux » selon le Parti socialiste (1992 : 88).
20De fortes personnalités politiques comme Michel Debré, élu député de la Réunion en 1963, vont mettre un accent particulier sur la question démographique. Debré (1974 : 18) écrit à ce propos que derrière la formule administrative classiquement employée selon laquelle la démographie aux Antilles et à la Réunion « pose un problème », se cache une « angoisse profonde ». Il insiste sur le fait que « pour l’île de la Réunion, son grand problème, son premier problème est celui de sa démographie » (1974 : 33). « L’approche des 500 000 habitants puis leur dépassement marquent un fait social, économique, politique que l’on peut résumer, en langage ordinaire, par une formule simple : la cote d’alerte, pour la Réunion, est dépassée. » (1974 : 37). La conclusion en découle d’elle-même : « Le temps de l’insouciance en matière de population est révolu. L’avenir de la Réunion exige – c’est vraiment la priorité – une politique démographique globale. Ne pas mettre l’accent sur cette exigence vraiment fondamentale, c’est se condamner à l’échec, un échec dramatique pour tous. » (1974 : 46).
21Une autre figure politique, Paul Vergès, président de la Région Réunion, s’intéresse aussi de très près à la question démographique. Dans son ouvrage D’une île au monde (1993), le premier chapitre est intitulé : « Démographie et égalité : l’avenir avance en silence ». On peut y lire : « Cette augmentation de population sur un territoire restreint nous pose des défis difficiles à relever en matière de logement, d’emploi, de formation et entraîne de multiples agressions, écologiques, culturelles dont nous voyons déjà les traces » (1993 : 45). Dans une réunion devant les présidents des comités de bassin, les vice-présidents, les présidents de commissions et conseillers, il place d’emblée la question démographique « comme étant l’élément central de la réflexion sur l’aménagement du territoire » (Le Journal de l’île, 2002, p. 11). Ou encore : « Dans l’esprit du législateur, dans les départements et régions d’outremer, le Conseil régional doit se préoccuper surtout de l’avenir du pays et si nous essayons de scruter cet avenir, il est évident que l’élément fondamental qui intervient et qui interviendra de plus en plus dans nos décisions, c’est celui de la démographie. » (Vergès, 2001 : 17).
22On pourrait également citer des extraits du programme du Parti socialiste réunionnais (1992), dont le chapitre 5 s’intitule : « Un problème démographique d’une exceptionnelle gravité ». On y parle d’une Réunion en « voie de surpeuplement absolu » (p. 83) et de la nécessité de favoriser l’émigration pour « lutter contre la démographie galopante et le chômage » (p. 86). Dans un récent atlas de la Réunion, le Conseil général débute son texte par : « La Réunion doit se préparer à accueillir un million d’habitants à l’horizon 2025. » (Université de la Réunion, Insee, 2003, p. 6). Le Conseil économique social et régional, dans une étude prospective à l’horizon 2020, pose la question démographique en ces termes : « Nous sentons tous aujourd’hui, à la Réunion, que la démographie commence à poser des difficultés. Mais cela reste informel, certes prégnant, mais il n’y a pas d’indicateurs fiables. Assurément, les prévisions de l’Insee et le recensement font penser à une réelle tension, mais qu’en est-il vraiment ? Dans la vie de tous les jours on constate une diminution de notre degré de liberté, de l’agressivité, des encombrements interminables, des classes surpeuplées, des mouvements migratoires qui paraissent de moins en moins maîtrisés, des rejets des autres. Puis aussi des terrains à bâtir de plus en plus rares, des logements qui manquent, une nature qui s’abîme… Pourtant, la Réunion paraissait épargnée et la surpopulation ne semblait pas un problème. » (CESR, 2002 : 14).
23Ces déclarations et citations n’auraient pas beaucoup de sens à être énumérées ici si elles n’émanaient pas de personnalités et d’institutions qui possédaient un réel pouvoir de décision. Pierre Lagourgue, Raphaël Babet, Michel Debré, Paul Vergès, le Bumidom, le Conseil général, tous ont prouvé par leurs actions leur volonté d’organiser la dynamique démographique de la Réunion. Voyons maintenant quelles raisons justifient un tel engouement réunionnais pour la chose démographique.
Une tradition française
24En tant que département français, la Réunion est dépositaire d’une tradition française. En effet, la question de la population passionne scientifiques et politiciens français depuis plusieurs siècles. Au xixe siècle, ce sont surtout les rapports entre population et colonisation qui occupent le devant de la scène. En ce qui concerne les guerres, la démographie est également avancée comme la cause des défaites de 1870 et de 1914, souvent imputées à un nombre de soldats trop restreint11. Les pertes humaines engendrées entre 1914 et 1918, auxquelles il faut ajouter celles de 1919 à la suite de la grippe espagnole, ont abouti en France à la législation de 1920 faisant interdiction de toute publicité sur la contraception et l’avortement dans le but de repeupler le pays. L’intérêt de la France pour la gestion de sa démographie est visible aussi dans la création d’un ministère de la Population en 1945 ainsi que dans la mise en place de longue date d’une politique familiale forte (Hoarau, 2002). Calot et al. (1976) mettent en avant cette particularité française d’une politique démographique « active » et « de longue période ». Faut-il attribuer ce fait à une autre particularité française, la baisse sensible de la fécondité dès le milieu du xviiie siècle ?
25Il est intéressant de voir que la vision démographique de Paul Vergès s’inscrit en partie dans cette mouvance scientifique et politique française qui a depuis longtemps considéré qu’il existait des règles gouvernant la dynamique de la population et que le politique pouvait constituer un levier d’action sur ces dernières. « Il n’est pas possible que la matière obéisse aux lois de la physique et de la chimie, que les astres obéissent à la gravitation universelle et que, seules, les sociétés humaines échappent à des lois. Une masse humaine est une force et cette force agit selon des lois. […] C’est là que l’action des hommes, dans la recherche de ces lois et dans leur action politique, doit pouvoir influencer leur vie sociale et le mouvement de l’histoire. Voilà la marge proprement humaine dans laquelle doit jouer notre libre arbitre, à la différence de l’animal qui subit le déterminisme naturel. » (Vergès, 1993 : 41).
Une fécondité vraiment élevée
26On peut considérer que l’inquiétude contemporaine (depuis la décennie 1990) en matière démographique survient alors que la fécondité ne baisse plus depuis plusieurs années et que l’immigration est supérieure à l’émigration. Dans les années 1950, c’était surtout le niveau de la fécondité qui était pointé du doigt. Que l’on en juge, avec un taux de natalité de 51 pour mille en 1952, un indice synthétique de fécondité de l’ordre de 7 enfants par femme et un taux de croissance proche de 3,5 %, la fécondité de la Réunion, alors entrée dans le processus de départementalisation depuis 1946, restait proche du maximum physiologique (Jourdain, 1978 ; Catteau et Catteau, 1999). Certains auteurs comparent ces taux avec ceux des populations les plus célèbres parmi les démographes, les Huttérites des années 1920 ou les Canadiens français au début du xviiie siècle, qui affichent les taux de fécondité connus les plus élevés (Hamon, 1982 ; Jourdain, 1978). Si l’on confronte cette fécondité très élevée à une mortalité en forte baisse, le différentiel aboutit à des taux de croissance naturels de la population supérieurs à 3 % par an dans les années 1950 et 1960. Ces taux aboutissent au doublement de la population en une vingtaine d’années. En termes de taux de croissance démographique, il est incontestable que ceux-ci ont été véritablement très élevés à cette époque, voire parmi les plus élevés du monde. Widmer (2005 : 55) n’hésite pas à parler dans cette situation de « pression démographique » pour l’île de la Réunion.
Des considérations économiques, sociales et politiques
27Un point fondamental, à notre avis, de la politique démographique réunionnaise réside dans ses liens avec les préoccupations économiques et sociales. Si la situation économique de la Réunion a fondamentalement changé en passant en quelques décennies d’une économie agricole à une économie de services, ce bouleversement s’est évidemment accompagné de transformations sociales importantes. La croissance du PIB en volume observée depuis les années 1970, et estimée en moyenne annuelle à 5 %, s’est accompagnée d’une montée du chômage qui avoisine les 40 % en 2000 (Rochoux, 2004). Depuis la départementalisation, les tensions sociales, potentielles ou réelles, créées par cette situation d’exclusion économique d’une partie de la population ont souvent été analysées en termes démographiques. En clair, l’émigration était vue comme une solution à la montée en nombre de ceux qu’on appelle aujourd’hui « les exclus de la croissance ».
28La démographie est donc à la fois la cause des problèmes économiques et sociaux, dans la mesure où entrent sur le marché du travail plus d’individus que ne sont créés de postes12, mais elle est aussi la solution. Au début des années 1950, Paul Guézé, président du syndicat des commerçants de la Réunion, résume bien cet état d’esprit dans son article « L’émigration, espoir d’un équilibre social et économique satisfaisant à la Réunion » (1951). Bertile (2000) parle quant à lui de la politique d’émigration incitative des années 1960 comme de la création d’une « soupape de sécurité ». Entre 1955 et 1976, Jourdain (1978) cite plusieurs textes officiels (Rapport du Haut Comité consultatif de la population et de la famille, Mission sénatoriale, président du Conseil général, préfet) dont on peut résumer l’idée essentielle de la manière suivante : tout progrès économique et social sera absorbé par la croissance démographique. Les recommandations qui s’ensuivent sont toutes orientées vers l’impérieuse nécessité de limiter les naissances et/ou de favoriser l’émigration.
29Cette orientation économique et sociale des politiques démographiques de la Réunion est encore plus évidente lorsqu’on observe finement les populations qu’elles visent. Les 139 familles envoyées en 1959 à Madagascar pour peupler la région de la Sakay sont issues majoritairement de la commune de Cilaos (Hamon, 1982). Les enfants réunionnais envoyés dans la Creuse venaient surtout des foyers de Hell-Bourg et de la Plaine des Cafres, mais aussi de familles défavorisées (Weber, 1994). Familles défavorisées, familles des Hauts, il s’agit d’un ensemble homogène d’un point de vue économique et social. Enfin, on peut aussi s’intéresser aux dates auxquelles les politiques d’émigration sont activées ou réactivées. C’est après les émeutes urbaines de 1991 qu’est mis en place le dispositif d’aide à la « mobilité-formation ». Selon les termes de Marie et Temporal (2001 : 12), « il s’agit à la fois de réduire le déséquilibre entre l’offre et la demande sur le marché du travail et de prévenir les crises sociales et politiques ». Chane-Kune (1996 : 215-216) fait le parallèle entre la politique contemporaine d’émigration et celle préconisée dès le xviiie siècle d’envoyer vers les Seychelles ou Rodrigues la partie de la population blanche qui s’est prolétarisée. Il écrit que « la migration est depuis longtemps considérée comme une donnée indissociable de la situation socio-économique réunionnaise ».
30Un paramètre supplémentaire à prendre en compte ici est l’aspect politique du débat sur la question démographique. Les mesures prises dans les années 1960 et la création du Bumidom s’inscrivent sur fond de débat sur l’autonomie mené par le Parti communiste réunionnais. « Aucune question, surtout à cette époque, n’est apolitique. C’est surtout vrai pour la migration », écrit Martinez (2001 : 75). Beven Bunford (2003 : 3) partage la même analyse et met l’accent sur le caractère politique de l’envoi des pupilles en métropole : « Dans le climat politique agité de l’époque, envoyer des enfants en métropole, c’est affirmer l’identité française de la Réunion. S’y opposer, c’est devenir partisan de l’autonomie. »
Insularité et capacité de charge
31« Le paradis, c’est l’île idyllique que nous portons dans nos rêves d’enfants, d’adolescents et d’adultes. L’enfer c’est aussi cette île, ce monde surpeuplé aux limites spatiales incontournables : le radeau de la méduse », écrit Manglou (1992 : 1064), alors président du Conseil économique et social régional de la Réunion. La métaphore qu’il emploie est couramment reprise dans de nombreuses analyses en termes de « capacité de charge ». Ce concept est issu de l’écologie, il désigne le nombre d’espèces et le nombre d’individus qu’un territoire donné peut supporter. Dans le domaine de la population humaine, la tentation d’utiliser ce concept apparaît d’autant plus grande que le territoire auquel il s’applique est exigu et isolé. On retrouve cette argumentation très fréquemment dans le cas réunionnais, par exemple dans le rapport Pellier (1955 : 203) : « L’effectif de la population, dans l’état actuel de sa structure économique et sociale, est déjà très élevé par rapport aux ressources de l’île. […] En général, la population qui vit de l’agriculture a un niveau de vie réduit que l’accroissement de la population tend encore à amenuiser. »
32Que ce soit dans la littérature scientifique ou dans les discours des décideurs, l’utilisation des notions de « surpeuplement » ou de « population maximale » est généralement associée à certaines caractéristiques de la Réunion : son insularité, la petitesse de son territoire, son éloignement de la métropole13, la saturation de l’espace agricole et l’impossibilité d’augmenter les superficies cultivées14, l’absence de ressources minières et énergétiques, la faiblesse de son marché économique15. Toutes ces variables constitueraient des freins à la croissance de la population, ou tout au moins la limiteraient à un moment ou un autre. Les chiffres avancés pour définir un seuil d’alerte de population sont souvent symboliques, ce sont des chiffres ronds, et la perspective du million d’habitants sur l’île est agitée comme un chiffon rouge. Même le célèbre démographe Alfred Sauvy qui a forgé la notion de « surpopulation relative »16 pouvait parler de « surpeuplement absolu » dans le cas d’îles comme Java, Maurice ou la Réunion.
Des intérêts convergents
33Dans l’étude des facteurs influençant les migrations, il est habituel de considérer les effets répulsifs (« push ») dans les zones de départ17 et les effets attractifs (« pull ») dans les zones d’arrivée18. C’est pourquoi étudier la politique démographique de la Réunion sans se soucier de celle de la France dans son ensemble constituerait une lacune. Du point de vue de la France, les mesures démographiques prises à la Réunion sont en effet utiles à la fois pour le département et pour la métropole. Il n’est pas anodin de constater que la création du Bumidom a lieu durant une période de forte croissance économique et donc de demande accrue de main-d’œuvre dans de nombreux bassins d’emploi en France. Comme nous l’avons déjà vu, les services publics français et les grandes entreprises ont à cette époque favorisé des recrutements massifs de travailleurs non qualifiés, particulièrement dans les pays du Maghreb. Les DOM-TOM ont été eux aussi l’objet de convoitises en ce sens, et leurs migrants ont fréquemment occupé des emplois peu qualifiés dans les services publics, emplois inaccessibles aux étrangers. Il est possible aussi que les migrants des DOM-TOM aient eu la préférence sur ceux de l’étranger de la part des décideurs politiques, c’est par exemple la position de Michel Debré telle que l’analyse Gauvin (1996). En termes d’intégration, il a été souvent remarqué que les migrants réunionnais se révélaient assez discrets, et peu regroupés en communauté (Chane-Kune, 1996).
34Les décennies 1960 et 1970 sont aussi celles de la baisse de fécondité et de l’exode rural dans l’ensemble de l’Hexagone. Les pupilles de la Nation réunionnais ont été envoyés dans la Creuse, dans le Gers, en Lozère, départements considérés alors comme sous-peuplés (Beven Bunford, 2002 a). Les jeunes femmes réunionnaises allaient dans ces mêmes départements pour chercher un conjoint. L’envoi de migrants réunionnais en métropole fournissait donc une population supplémentaire mais pouvait aussi être perçu comme un moyen d’augmenter la fécondité générale, puisque la natalité des Réunionnaises est à cette époque bien plus élevée que celle des métropolitaines.
35Il est à ce titre intéressant de noter la versatilité des points de vue sur la question démographique : Martinez (2001) rappelle que Michel Debré est nataliste en métropole et anti-nataliste à la Réunion19. Dans une étude sur une époque plus reculée (1840-1870), Charbit (1981) montre comment les économistes libéraux pouvaient être favorables au contrôle des naissances de la classe ouvrière, dont la pauvreté était perçue comme un danger social potentiel, et en même temps favorables à une fécondité élevée dans la perspective de faciliter par une forte émigration la colonisation des territoires annexés. Au final, au gré des idéologies et des intérêts économiques et politiques à défendre, c’est le rôle secondaire de la place de la population en elle-même qui est mis au jour. Dans cette perspective, il serait intéressant d’examiner plus en détail l’hypothèse émise par De Palmas (1996 : 208) selon laquelle l’envoi de migrants réunionnais à Madagascar pour peupler la région de la Sakay n’était qu’une sorte de « projet-pilote » destiné à mettre en place une vaste politique française de peuplement des territoires sous tutelle, et ce à contre-courant du contexte international de décolonisation. On retrouve une idée similaire chez Vergès (1993 : 45) qui décrit les politiques d’émigration et de « régulation autoritaire des naissances » des années 1960 comme « une expérience de laboratoire à la Réunion ».
36Depuis la concrétisation de la décentralisation, le poids de la dialectique État-périphérie s’est amenuisé et aujourd’hui la vision politique s’ouvre vers d’autres pays. La Région Réunion a pris de nombreux contacts avec d’autres pays européens, avec l’Afrique du Sud, Madagascar ou le Québec (Bertile, 2000). Depuis longtemps, soucieux de maintenir son poids démographique, économique et identitaire au Canada, le Québec facilite l’entrée sur son territoire de travailleurs francophones. En mai 1999, le directeur des services d’immigration québécois a fait passer des examens de sélection à Saint-Denis pour recruter des travailleurs réunionnais (Valéama, 1999). En mars 2003, une délégation québécoise est venue signer un accord de coopération facilitant l’entrée, le séjour et la formation de jeunes Réunionnais au Québec. Quand Paul Vergès évoque la « situation très fragile, sur un plan économique et social, notamment du fait de la transition démographique » de la Réunion, Micheline Baril, directrice des services d’immigration du Québec en France, parle quant à elle du « déficit démographique alarmant » du Québec et de son « manque de main-d’œuvre » (Linquette, 2003).
Bilan
37Dans cet exposé de la manière dont les pouvoirs publics se sont emparés de la question démographique à la Réunion, nous ne voudrions pas faire croire au lecteur qu’ils ont pu façonner pour autant de manière précise et à leur bon vouloir le comportement démographique de la population. Dans l’histoire des sociétés, seules des politiques démographiques très coercitives ont eu des résultats spectaculaires face à des populations rétives, que ce soit en matière de réduction de la fécondité ou bien de déplacements massifs d’individus. Les politiques incitatives ne sont efficaces quant à elles que si elles répondent à une demande, exprimée plus ou moins explicitement mais néanmoins présente.
38En termes purement démographiques, on peut dire que les objectifs de la politique de population ont été globalement atteints à la Réunion. La fécondité a largement chuté, la transition démographique a été particulièrement rapide, l’émigration en métropole a été massive. Les années 1960-1970 sont qualifiées ainsi par Squarzoni (1992 : 742) du « temps de l’action et des succès démographiques ». Quelques facteurs peuvent expliquer les raisons de ce succès. D’abord, la volonté politique a été générale au fil des années et il en ressort une cohérence interne. Comme le mentionne Martinez (2001 : 15), pour un ensemble de raisons qu’il serait trop long de présenter ici, « à la Réunion, nombre d’enjeux, en apparence insurmontables, sont solubles en grande partie dans la volonté politique affirmée de changement ». Une de ces raisons fondamentales, et ce sera notre deuxième point, est que ces décisions ont été mises en œuvre avec des moyens financiers conséquents. Le Bumidom a été une opération très lourde, quant au programme de limitation des naissances, Jourdain (1978 : 11) mentionne dans sa thèse que son application a été intensive et que l’« objectif démographique défendu par les principales autorités locales a été appuyé par un soutien financier important des Institutions publiques ». Enfin, nous l’avons déjà mentionné, ce programme incitatif répondait sans aucun doute à une demande sociale et il a joué un rôle de catalyseur ou d’accélérateur (Morlas et al., 1992) dans la modification des comportements démographiques.
39Ces succès des années 1960 et 1970 ont été tels que l’on peut dire avec Squarzoni (1992) que la décennie 1980 a mis quelque peu à l’écart la question de la population, à la fois parce qu’on croyait que la transition démographique touchait à sa fin mais aussi parce politiquement, avec les nouvelles responsabilités accordées aux collectivités territoriales, il était devenu flou de savoir qui avait en charge la responsabilité de la question démographique. De plus, la baisse des tarifs aériens et les réseaux réunionnais en métropole enfin constitués ont autorisé une migration plus spontanée (Bertile, 1996). Ce n’est qu’après le recensement de 1990, une fois que les attributions ont été enfin affectées et qu’a été atteint le chiffre de 600 000 habitants, que la population est redevenue une préoccupation majeure à la Réunion.
Présentation de l’ouvrage
40De par l’importance des enjeux énumérés ci-dessus, il nous a paru nécessaire de proposer un nouvel ouvrage de synthèse sur l’ensemble des phénomènes démographiques à la Réunion, couvrant la période des vingt-cinq dernières années, puisque l’ouvrage de Festy et Hamon (1983) traite de ces événements jusqu’au début des années 1980. Pour des raisons qu’il serait trop long d’étudier ici, la plupart des études démographiques réalisées à la Réunion sont le fait de spécialistes d’autres disciplines qui amènent un éclairage important mais ne disposent pas toujours de la panoplie technique des démographes. C’est pourquoi le choix a été fait pour cet ouvrage de ne présenter que des contributions de démographes, complétant ainsi utilement les analyses de population plus qualitatives déjà existantes.
41Le premier chapitre « Dynamique de la population » (Frédéric Sandron) constitue en quelque sorte une contextualisation des autres chapitres. Si ces derniers portent très largement sur une période couvrant les années 1980 jusqu’à aujourd’hui, le choix de ce chapitre liminaire sur une période plus longue se justifie pour trois raisons. Primo, par analogie avec le concept mécanique éponyme, le phénomène que l’on appelle « inertie démographique » rend compte de la difficulté voire de l’impossibilité de brusques variations de trajectoire dans la croissance naturelle de la population. Cela signifie plus simplement que la croissance démographique actuelle et celle d’un futur proche sont inscrites en grande partie dans la dynamique passée. Expliquer cette dernière donne donc des informations précieuses pour la dynamique contemporaine. Secundo, la croissance démographique est un produit de l’histoire. À travers la description de la dynamique de la population sur le long terme, nous aurons ainsi l’occasion de nous pencher sur des événements historiques, socio-économiques et culturels qui permettront de mieux comprendre les phénomènes démographiques actuels et l’attention qui leur est portée par les décideurs. Enfin, il existe en démographie une théorie, fondée sur l’observation, appelée la théorie de la « transition démographique ». L’examen de la dynamique de la population réunionnaise sur le long terme à l’aune de cet outil méthodologique sera l’occasion de nous pencher sur cette fécondité réunionnaise qui tarde à rejoindre le niveau de celui observé dans nombre de pays au développement économique similaire.
42La fécondité est étudiée ensuite en détail par Didier Breton dans le second chapitre. Cette fécondité encore élevée est le moteur d’une croissance démographique naturelle qui va devoir dans le futur être accompagnée d’investissements massifs en termes de création d’infrastructures et de logements. Outre le modèle général qui a guidé la baisse de la fécondité depuis les années 1970, de nombreux paramètres sont étudiés pour proposer une étude fine des mécanismes en jeu. Parmi les plus importants, on peut mentionner le distinguo fait entre deux sous-populations ayant des modèles de fécondité distincts. Selon les termes de l’auteur, la « fracture reproductive » est ainsi à l’image de la « fracture sociale ». Une autre comparaison est proposée au niveau international, et curieusement la structure des taux de fécondité par âge réunionnaise se rapproche de celle de plusieurs pays d’Amérique latine. Si les processus socio-économiques qui ont présidé à cette situation ont comporté des similitudes, il y a aujourd’hui plutôt divergence, et la question qui se pose dorénavant est la suivante : dans quelles conditions le modèle réunionnais peut-il rejoindre le modèle métropolitain ? Une réflexion prospective est menée en ce sens et si des réponses sont déjà en train de se dessiner, d’autres variables restent totalement incertaines.
43Magali Barbieri et Christine Catteau étudient la mortalité générale à la Réunion dans le troisième chapitre. Elles disposent à cet effet de données récentes et livrent une connaissance fine sur l’évolution contemporaine de la mortalité. En termes d’espérance de vie, il est montré comment subsistent de fortes disparités entre les communes, jusqu’à six ans entre Cilaos et Petite-Île.
44Un autre point marquant est le maintien d’un écart considérable de plus de huit ans entre les espérances de vie féminine et masculine. Les données de mortalité sont ensuite analysées en fonction des sexes, des âges et selon les causes de décès. Les profils de mortalité par âge comme par cause sont très semblables à ceux observés dans les pays industrialisés et les points saillants permettant dans le futur de prolonger la baisse de la mortalité sont mis en évidence : mortalité infantile, conduites à risque de la part des jeunes hommes, diabète féminin. Il est préconisé aussi dans ce chapitre de cibler encore davantage les campagnes de prévention, en termes d’âge mais aussi selon un critère géographique, puisque les populations des cirques et des Hauts sont les plus isolées des systèmes de soins et de l’information afférente.
45La migration est un sujet sensible à la Réunion. Franck Temporal y consacre le quatrième chapitre et dans une annexe méthodologique montre la difficulté technique de bien quantifier le phénomène migratoire. Une étude critique des sources existantes y est proposée (recensement, état civil, trafic des passagers). Les difficultés ne sont pas seulement d’ordre quantitatif mais aussi conceptuel ; en raison de son isolement et étant un département français, le flux privilégié des migrations entre la Réunion et la métropole s’apparente à la fois à des migrations internes et internationales. Après un bilan chiffré, la situation des immigrants à la Réunion est analysée selon le critère de l’accès à l’emploi, de même que la situation des migrants réunionnais en métropole et celle des Réunionnais de retour à la Réunion. Ces différents flux ont contribué à inverser le solde migratoire réunionnais, positif depuis les années 1980 alors que les deux décennies précédentes avaient connu des départs massifs.
46Dans le cinquième chapitre, Didier Breton et Bénédicte Gastineau s’attachent à analyser l’évolution de la nuptialité. Depuis longtemps peu enclins à se marier, les Réunionnais ont accentué cette tendance au cours des dernières décennies, puisque la nuptialité diminue et l’âge au mariage augmente. Mais cela ne signifie pas pour autant que le modèle réunionnais est celui du ménage à un seul individu, puisqu’on observe au contraire une pérennité du couple comme mode de vie majoritaire. La transformation majeure est simplement celle qui autorise la cohabitation sans officialiser cette union par un mariage. Ainsi, la période de cohabitation est de plus en plus longue, ce qui se traduit par des mariages au sein desquels l’âge des époux recule sans cesse. C’est le plus souvent à l’occasion d’une naissance que le couple décide de se marier, bien que cela n’ait rien d’automatique. La relation entre ces nouveaux modes de cohabitation et la situation socio-économique des individus est évoquée et reste une piste de choix pour expliquer les récentes tendances de la nuptialité.
47Dans le sixième chapitre, Jean-Marc Lardoux s’intéresse au futur de la population réunionnaise. À partir d’hypothèses sur la fécondité et les migrations, plusieurs scénarios sont élaborés et intégrés dans un modèle de projection de population dont les résultats sont analysés à l’horizon 2030. Si le vieillissement de la population est inéluctable, l’incertitude sur le nombre de naissances et sur les soldes migratoires demeure, et les scénarios extrêmes donnent des fourchettes assez larges, de 860 000 à 1 120 000 habitants en 2030. Si l’on s’en tient au scénario central qui maintient le solde migratoire des années 1990 et qui fait tendre la fécondité des femmes réunionnaises vers celle des métropolitaines, le chiffre du million d’habitants sera atteint peu avant 2030.
48Enfin, en guise de conclusion, quelques thèmes démographiques importants pour les années à venir seront discutés (Frédéric Sandron). En tirant parti de l’expérience d’autres pays, la question de la fin de la transition démographique sera posée, ainsi que celle des nouveaux flux migratoires, qu’ils soient dirigés des pays voisins de la zone océan Indien vers la Réunion ou bien concernant les futurs diplômés réunionnais dont les compétences pourront être valorisées à l’étranger dans un contexte international de pénurie de travailleurs très qualifiés. Enfin, quelques réflexions seront proposées sur les modifications induites par la croissance démographique, que ce soit en termes d’emploi, de vieillissement, de logement, d’équipement public ou encore d’aménagement du territoire. « L’âge d’or démographique » que va connaître la Réunion sera peut-être un atout à saisir, renversant la perspective généralement perçue comme négative de la croissance démographique de l’île.
***
49Plusieurs collègues démographes ont bien voulu se pencher sur un ou plusieurs chapitres de cet ouvrage, améliorant ainsi très significativement sa qualité globale. Nous remercions vivement pour leur lecture attentive et leurs pertinents commentaires Christine Catteau (Drass, Réunion), Yves Charbit (université Paris-V), Maria Cosio-Zavala (université Paris-X), Patrick Festy (Ined), Jean-Marc Lardoux (Insee, Réunion) France Meslé (Ined) et Véronique Petit (université Paris-VIII). Nous tenons à remercier aussi Jean-Marc Lardoux pour son aide précieuse quant à la mise à disposition de données statistiques, ainsi que Jean Gaillard, directeur régional de l’Insee-Réunion, pour son aimable autorisation de reproduire un article paru dans la revue Économie de la Réunion.
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Notes de bas de page
1 Nous ne traiterons pas ici de la politique de santé mise en place par les pouvoirs publics après la départementalisation en 1946. Malgré ses effets extrêmement positifs sur la réduction de la mortalité, elle n’est pas un levier d’action démographique comme le sont les politiques migratoires ou de planification familiale. En effet, si les pouvoirs publics peuvent décider de favoriser ou de limiter l’émigration par rapport à l’immigration, s’ils peuvent encourager ou freiner la natalité, il est seulement possible de viser une réduction de la mortalité. En ce sens, on ne peut pas considérer qu’une politique de santé ait une véritable action régulatrice démographique. Nous verrons en revanche dans le premier chapitre son influence sur la dynamique de la population réunionnaise.
2 Chez les esclaves, qui représentent les deux tiers de la population, on compte trois hommes pour une femme à l’époque du recrutement massif, et deux hommes pour une femme entre l’interdiction de la traite et l’abolition de l’esclavage, c’est-à-dire entre 1817 et 1848 (Vaxelaire, 2003 a).
3 Isnard (1953 : 626) parle de cette émigration vers Madagascar ou les Comores comme d’un « réflexe à la surpopulation ».
4 Problèmes de santé, d’insertion sociale, mauvais traitements, délinquance, etc.
5 Cette tâche est dévolue au Bureau d’étude pour le développement agricole dans les territoires d’outre-mer (BDPA), qui est une société d’État. À son origine, on associe le nom de deux ministres de la France d’outre-mer : Jean Letourneau et François Mitterrand (Weber, 1994).
6 Pour une étude complète, on pourra se référer à De Palmas (1996).
7 On manque de chiffres précis sur le nombre d’enfants concernés. Gauvin (1996) parle de 300 enfants entre 1966 et 1971, Bertile (2000) avance le même chiffre pour la période 1967 à 1971, Beven Bunford (2002 a) mentionne 201 départs pour la seule année 1966 et Beven Bunford (2002 b) indique que plus de 1 500 enfants ont été envoyés en métropole sur une période de vingt ans.
8 Sur ce sujet, Marie et Temporal (2001 : 14) écrivent que « les choix individuels même les plus intimes n’échappent pas aux effets structurants des dynamiques collectives et institutionnelles ».
9 Sur la planification familiale, on pourra consulter Morlas et al. (1992), Jourdain (1978), Carde (1996), Catteau et Catteau (1999).
10 Dans son célèbre ouvrage, Ariès (1971) montre que dans l’histoire de la limitation des naissances en France, les mentalités sont le facteur déterminant quant à l’utilisation de techniques contraceptives. Ces dernières sont « impensables » ou bien « acceptables » selon les époques, c’est-à-dire selon le système de pensée en vigueur.
11 « La crise démographique dont la France a souffert pendant tout le cours du xixe et au début du xxe siècle est la première des causes des retards de notre économie, des tensions de notre société, et des épreuves militaires qui ont failli nous emporter. » (Debré, 1974 : 37-38).
12 Cette analyse consistant à comparer le nombre d’individus entrant sur le marché du travail et le nombre de postes créés une année donnée a ses limites sur lesquelles nous reviendrons dans la conclusion de cet ouvrage.
13 Depuis 1989, la Communauté européenne a créé la notion de « Région ultra-périphérique » (RUP), dont fait partie la Réunion.
14 « “Il n’y a de richesses que d’hommes”. Cette affirmation est une grande vérité. Comme toute vérité, elle est relative. Il faut mesurer l’importance de la population avec les ressources dont elle peut disposer. Une terre insuffisamment peuplée n’apporte pas au bien-être et à la promotion de chacun ce qu’elle pourrait donner. Trop d’hommes sur une terre inféconde et rétive mène à la misère et au désarroi. » (Debré, 1974 : 33).
15 « Le rapport entre la capacité de produire et le nombre d’habitants n’est pas un rapport fixe. Les variations sont grandes. Il est capital de savoir que même en développant à l’extrême la solidarité française, l’île est trop peuplée pour connaître durablement une croissance du niveau de vie. » (Debré, 1974 : 31).
16 « Il y a surpeuplement, de façon générale, lorsqu’on constate un excès d’hommes par rapport à un besoin déterminé. Par exemple, si 40 élèves sont dans une salle d’école prévue pour 25, on dit que cette salle est surpeuplée. Le surpeuplement étant une notion relative, on peut toujours juger qu’il y a soit un excès d’hommes, soit une insuffisance de l’élément en question. Dans l’exemple précédent, on peut dire qu’il y a trop d’élèves ou bien que la salle est trop petite. Ces deux jugements, en apparence égaux, suggèrent des solutions bien différentes : réduction du nombre des hommes ou accroissement de l’élément insuffisant » (Sauvy 1963, p.299). De Palmas (1996, p.7) s’étonne de l’importance accordée dans les documents administratifs des années 1950 à la surpopulation et choisit de rester neutre quant à la relation entre population et développement : « En réalité, le problème démographique réunionnais ne doit pas masquer toutes les difficultés de l’île au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et, en fin de compte, ce visage d’une région surpeuplée que présentait la Réunion allait de pair avec ses ressources, ses infrastructures qui étaient insuffisantes. […] Tous ces éléments en s’additionnant faisaient ainsi paraître flagrante la disproportion entre les ressources de l’île (et ses équipements) et le nombre de ses habitants qui semblait alors trop élevé ».
17 Pauvreté, famine, guerre, manque de terre agricole, etc.
18 Possibilité d’emploi, de logement, de soins, attrait du milieu urbain, etc.
19 « Quand comprendra-t-on que les possibilités de la France sont encore immenses et “l’optimum de population” loin d’être atteint ? Pour l’avenir de la patrie, une génération d’hommes et de femmes doit laisser après elle une génération plus nombreuse. […] Le même thème doit être repris à la Réunion. La situation de départ est inversée, donc les moyens différents, mais l’objectif est le même. L’équilibre entre les hommes et leur terre natale doit être rétabli. » (Debré, 1974 : 38).
Auteur
Démographe chargé de recherche IRD, UMR 151 LPED Université de Provence/IRD. Habilité à diriger les recherches à l’université Paris-V.
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