Changements sociaux et implications environnementales dans la haute vallée du Choapa, Chili
p. 151-163
Texte intégral
Introduction
1Lors des cinquante dernières années, la haute vallée du fleuve Choapa dans la IVe Région du Chili a connu de profondes transformations dans son organisation sociale et économique à la suite du démantèlement des grands domaines hérités de la période coloniale (fundos) par la réforme agraire du gouvernement Frei (entre 1965 et 1970), puis de la mise en place de petites agricultures par la contre-réforme du début du régime militaire (1975-1976).
2Ces bouleversements ont favorisé l’émergence de nouvelles activités humaines et de nouvelles formes d’usage des ressources, impliquant des modifications de l’environnement. Nous analyserons ce lien entre changements sociaux et environnementaux1 à partir d’un exemple : le district de Chillepin, commune de Salamanca. En relation avec la trame sociale et ses implications sur le foncier, on distinguera trois périodes :
- 1950-1967 : les derniers temps du fundo Chillepín en tant que grande exploitation agropastorale ;
- 1967-1975 : la période d’organisation coopérative, dite des Asentamientos, qui commence dès l’expropriation du fundo et s’achève par la mise en place d’une petite agriculture ;
- 1975-1999 : les vingt-cinq années d’évolution de la petite agriculture irriguée.
3D’une période à l’autre, des activités ont perdu de leur importance ou ont même disparu et d’autres se sont développées, ont été identifiées et étudiées à partir d’enquêtes réalisées auprès des populations2 et de recherches bibliographiques. Par ailleurs, des relevés de terrain et des analyses d’images satellite ont permis un diagnostic de l’état actuel de la végétation3. À partir de cet ensemble d’informations nous avons pu traiter et comparer trois couvertures photo aériennes du territoire de Chillepín de mars 1956, janvier 1977 et février 1997, et les interpréter par rapport aux trois périodes d’évolution sociale citées plus haut.
Les derniers temps du fundo Chillepin (1950-1967)
4Au début des années 1950, Chillepín est une grande exploitation privée agropastorale ou fundo d’une superficie de 20 300 ha, limitée à l’est, au nord et à l’ouest par d’autres propriétés privées de dimension comparable, et au sud par le Rio Choapa. Le territoire comporte 1 377 ha irrigués par canaux et 18 923 ha de terrains de montagne culminant à 3 000 m (fig. 24). La pluviométrie moyenne annuelle est de 250 mm mais le Rio Choapa, alimenté par les neiges de la cordillère, ne tarit jamais.
5Le fundo est confié à un gérant (mayordomo) et l’encadrement des travaux à un contre-maître, le capataz. Les paysans travaillant sur le domaine sont sans terre (peones). Certains ont droit à un lopin de terre contre une partie de la récolte (inquilinos), situation précaire dépendant du bon vouloir du capataz. En 1952, on compte 973 personnes pour 150 familles (tabl. VIII). Ils vivent en majorité dans la vallée du Rio Manque. Dans les bâtiments de l’exploitation ne résident que le mayordomo, le capataz et les personnels permanents.
Le fundo Chillepín en 1956
6Le réseau d’irrigation est dense, formé par quatre niveaux de canaux en bordure du Rio Choapa, et par deux niveaux de canaux dans la vallée du Rio Manque. Il est très ancien puisque certains canaux datent de la période précoloniale (Livenais et Santander, 1998). Le long du Rio Choapa, l’espace irrigué est divisé en vastes parcelles. Les cultures dominantes sont les céréales4 et les luzernières pour l’élevage. On trouve secondairement des fruitiers – abricotiers et noyers –, un peu de vigne et des terres mises en jachère ou des prairies naturelles. Dans la vallée du Rio Manque on trouve par contre de petites parcelles groupées. Ce sont des lopins de terre irriguée alloués aux inquilinos pour leur production de céréales et de cultures vivrières.
7Dans l’espace non irrigué, on constate que les bas de versant de la vallée du Rio Manque (fig. 25, fenêtre 1, cahier couleur hors-texte) sont dépourvus de végétation et gardent des traces de cultures pluviales. On observe en amont du Rio Manque, proche d’une ancienne mine (fig. 25, fenêtre 2), un champ de céréales bordé par un ancien canal et entouré de collines dépourvues de végétation, à l’exception de quelques arbres isolés (points noirs). Par contre dans la vallée Gualtatas (fig. 25, fenêtre 3), on observe une végétation dense en fond de vallée et des arbres sur les versants.
8En résumé, il existe d’une part une zone irriguée, organisée sur le modèle d’une grande exploitation agropastorale et, d’autre part, un vaste espace montagneux qui montre en plusieurs endroits une dégradation importante de la couverture végétale. Le déboisement est particulièrement évident à proximité d’anciennes cultures pluviales et des lieux d’activité minière et autour d’anciens fours à charbon de bois. Il est de moindre importance ou même inexistant dans les vallées plus reculées comme la vallée Gualtatas. Ce déboisement a donc trois causes : la création de champs pour des cultures pluviales, l’exploitation minière et la production de charbon de bois. Il est encore effectif peu avant 1956. S’il avait cessé à la fin du xixe siècle, nous aurions observé en 1956 une reprise partielle de la végétation5. De fait, les mines de plomb de la haute vallée du Rio Manque n’ont cessé leur activité que vers 1940 ainsi que l’extraction de bois, en particulier Prosopis chilensis, pour la fonte sur place du minerai ; et dans le fundo voisin de San Agustin, on cite l’existence en 1928 d’une machine à couper les arbres (EPD, 2000).
L’activité économique du fundo Chillepín de 1956 à 1967
9En 1956, le fundo est acquis par son dernier propriétaire privé. Peu de changements interviennent sur les terres irriguées où les cultures céréalières et l’élevage bovin sont les principales productions (tabl. IX et X), la plus grande partie étant expédiée par chemin de fer et commercialisée à Santiago. Dans le secteur non irrigué en revanche, plusieurs modifications sont à signaler. La production minière a cessé mais l’exploitation forestière ne disparaît pas pour autant car la demande extérieure est croissante. Celle-ci ne provient pas de Chillepín ou des autres districts ruraux de la commune dont les populations restent stables entre 1952 et 1970 mais de Salamanca, principal centre urbain distant de 40 km de Chillepín, dont la population croît à un taux moyen annuel de 3,5 % pendant cette période (tabl. XI). La coupe s’effectue dans la vallée du Rio Manque et surtout dans la vallée Gualtatas. Elle est pratiquée manuellement.
10Il se vend chaque semaine la charge d’un camion en charbon de bois, soit 750 kg (EPD, 2000), ce qui correspond à 150 t de bols sec par an. Les espèces à bols dense sont les plus exploitées : Prosopis chilensis, Acacia caven, Kageneckia oblonga. Par ailleurs, la coupe du bois de chauffage, à raison de 24 t/an, est également une source de profit pour le propriétaire. Il existait aussi une petite scierie sur la propriété et à cette époque, les peupliers situés en bordure des canaux ont été exploités pour les besoins locaux (EPD, 2000).
11En conclusion, la production reste basée sur les céréales et le gros bétail et aussi sur le charbon de bois qui demeure une activité importante durant la période 1956-1967. La coupe du bois se déplace alors vers des zones plus reculées et jusqu’alors épargnées, comme la vallée Gualtatas.
Les changements fonciers (1967-1976)
La réforme agraire et la période dite des Asentamientos (1967-1974)
12L’expropriation du fundo Chillepín par la Corporation de la réforme agraire (Cora) prend effet en 19676. À partir de cette date et jusqu’en 1973 à la fin de la présidence d’Allende, s’installe une organisation collective de la production agricole, avec un encadrement assuré par la Cora, et une capitalisation assumée par les paysans via des prêts contractés auprès de l’État ou du secteur privé commercial de Salamanca. Les paysans se déplacent de la vallée du Rio Manque vers les espaces irrigués anciennement occupés par le fundo et installent des cultures vivrières de première nécessité comme les haricots, maïs, pommes de terre. D’anciennes parcelles de culture pluviale sont alors utilisées comme pâturage car l’élevage est important durant cette période (tabl. IX et X).
13Dans l’arrière-pays, sous l’égide de la Cora, la production de charbon de bois s’intensifie à 57 t/an, équivalent à 285 t/an de bois coupé durant cette période (EPD, 2000).
La contre-réforme et la mise en place de la petite agriculture (1975-1976)
14La contre-réforme du début du régime militaire signifie un retour à la propriété privée de la terre. En 1975, le « Projet de parcellisation de Chillepín » est appliqué et comporte :
- le regroupement des populations dans un village7. Toutes les familles, anciennement attachées au fundo, bénéficient ainsi d’une habitation sur un lopin d’environ 0,5 ha ;
- l’attribution de petites parcelles de culture avec « droits d’eau » correspondants. Elle ne concerne que 69 des 150 familles postulantes8 et comporte pour les paysans l’obligation d’une mise en valeur personnelle des parcelles, et l’interdiction de leur division comme d’une cession sous forme de location ou de métayage, sans autorisation préalable de la Cora9. La taille des parcelles varie de 6 à 28 ha, en fonction des différentes aptitudes des sols ;
- l’attribution des terres de l’arrière-pays montagneux. Pour des raisons financières, la possibilité d’acquérir collectivement l’arrière-pays n’est pas saisie par les paysans de Chillepín. En conséquence, ces terres sont vendues en 1976 à un particulier, puis revendues en 1980 à la société Anaconda S.A. Cette décision a entraîné la disparition des disponibilités en terre de parcours, ce qui a limité le développement de l’élevage à Chillepín.
15Après les attributions de 1975-1976, le territoire de Chillepín est composé de deux grands ensembles : 1) une petite agriculture irriguée pour un total de 872 ha ; 2) une grande propriété privée de terres non irriguées d’un total de 19 145 ha. On note que 268 ha, soit 25 % du domaine Irrigué initial, ne sont pas distribués et demeurent du domaine de l’État ou comme terrain boisé sans usage agricole (tabl. XII). De plus, 222 ha de la vallée du Rio Manque, soit 16 % du domaine irrigué initial, sont attribués avec la grande propriété de terres non irriguées. On enregistre donc une désaffection de 490 ha de terres irriguées.
Vingt-cinq années de petite agriculture irriguée
Le territoire de Chillepín en 1977
16L’espace irrigué de la vallée du Rio Manque, non entretenu depuis 1967, s’est rapidement endommagé à l’exception du dernier canal aval en rive droite qui a été réaménagé en se captant sur un affluent. Les cultures pluviales de cette vallée ont disparu à partir de 1967, et de manière définitive en 1975 lorsque les paysans n’ont plus eu accès à ces terres. Dans l’espace irrigué de la vallée du Rio Choapa, la taille des champs a considérablement diminué, mais on ne distingue pas encore le découpage définitif selon le plan de parcellisation car de nombreux champs ne sont pas encore cultivés et gardent leur aspect de la période du fundo. À l’inverse, on observe de nouvelles surfaces plantées en fruitiers et en vigne. La majorité des cultures revient cependant aux vivriers et aux céréales.
17Dans le secteur non irrigué, on constate la présence d’une végétation arbustive en bas de versant au lieu d’anciennes cultures pluviales (fig. 26, fenêtre 1, cahier couleur, hors texte). On observe également l’existence de végétation dans l’ancien champ cultivé en blé en 1956 et utilisé ensuite comme pâturage (fig. 26, fenêtre 2). Par contre, dans la vallée Gualtatas (fig. 26, fenêtre 3), la densité d’arbres a nettement diminué en comparaison de 1956.
L’évolution des activités de 1975 à nos jours
18Sur le territoire irrigué, cette période de vingt-cinq ans est celle d’un premier cycle de la petite agriculture au cours duquel on enregistre une stabilité de la propriété foncière ainsi que le maintien du clivage social créé en 1975 au moment de l’attribution des terres (Livenais et al., 2000). La situation foncière est figée car l’espace irrigué est inextensible et le marché de la terre est restreint du fait d’un profond attachement des paysans à leur terre. Malgré un doublement du nombre des familles, le clivage social reste marqué car la proportion des chefs de famille du secteur agricole change peu (49 % en 1998 contre 46 % en 1975). Ce secteur reste occupé, dans sa très grande majorité, par les mêmes familles et leurs descendants car les fils travaillent avec leur père. Le secteur non agricole concerne les familles non propriétaires et leurs descendants et occupe des emplois dans le projet minier « Los Pelambres »10 et les petits commerces du village de Chillepín (EDA, 1998).
19Les débuts de la petite agriculture sont hésitants. À partir de 1985, l’ensemble de la haute vallée du Choapa et Chillepín se spécialisent dans la production de raisin à pisco11. Cette spécialisation est un élément de sécurité pour les paysans puisque l’achat des récoltes est garanti et sa valeur mensualisée sur l’année. Mais elle a aussi des inconvénients car le processus de culture et les prix sont totalement contrôlés par les entreprises. De ce fait, la plupart des paysans continuent de diversifier les productions malgré les difficultés de commercialisation. Par contre, l’élevage diminue, quel que soit le type (tabl. IX et X).
20Le territoire non irrigué est, de 1975 à 1980, aux mains d’un propriétaire privé qui pratique l’élevage bovin et arrête la production de charbon de bois. La coupe clandestine pour le bois de chauffage subsiste néanmoins, estimée alors à 18 t/an.
21À partir de 1980 et jusqu’en 1994, sous la gestion de la société Anaconda, l’extraction de charbon de bois reprend pour le compte de l’administrateur de cette société, à raison de 250 kg de charbon d’acacia par semaine, soit environ 50 t/an de bois. D’autre part, environ 10 personnes venaient également extraire du bois pour la consommation domestique de Chillepín à raison de 450 kg par semaine, soit 18 t/an. Sur la période 1980-1994, on aurait donc une extraction de 68 t/an de bois (EPD, 2000).
22De 1994 à nos jours, avec le projet d’exploitation de la mine de cuivre « Los Pelambres », l’accès au territoire privé n’est plus possible et la production du charbon de bois prend fin. En 1996, la vallée de Rio Manque est surveillée et l’évacuation des troupeaux de chèvres vers la vallée Gualtatas est organisée. Aujourd’hui les troupeaux ont été déplacés dans la cordillère de Cuncumen, plus au sud. Ces dispositions vont avoir des conséquences directes sur le prélèvement du bois de chauffage.
23En 1994, on comptait 5 bûcherons pour environ 755 kg de bois extrait par semaine, soit 30,2 t/an. En 1996, ils ne sont plus que 3 et coupent de manière plus clandestine environ 410 kg par semaine, soit 16,4 t/an de bois (EPD, 2000).
24Ces chiffres correspondent à la tendance qui s’observe pour la consommation énergétique des familles : le bois est actuellement fortement compensé par le gaz (tabl. XIII) alors que l’effectif de population reste stable (tabl. VIII).
Le district de Chillepín en 1999
25Le réseau d’irrigation a légèrement diminué depuis 1977. Le canal supérieur le plus en amont du Rio Choapa est interrompu à la moitié de son parcours, le canal qui lui est immédiatement inférieur est lui aussi interrompu, mais en fin de parcours. À l’exception de quelques jachères, toutes les surfaces sont cultivées de manière intensive en 1999. La vigne et les arbres fruitiers – essentiellement pêches et abricots – couvrent plus des 2/3 des surfaces. Les surfaces bâties ont elles aussi augmenté, non seulement dans le village mais encore dans les parcelles de cultures.
26Dans le secteur non irrigué on note une reprise de la végétation sur les bas de versant (fig. 27, fenêtre 1, cahier couleur, hors-texte) où il existe maintenant des arbres (Litrea caustica) espacés de 3 à 6 m environ, soit un volume végétal de 5 000 m3/ha. Dans le secteur où existait un champ de blé en 1956 puis un pâturage en 1977 (fig. 27, fenêtre 2) pousse maintenant une savane dense à acacias (Acacia caven) pour un volume végétal de 3 600 m3/ha. On observe également dans le même secteur une formation arbustive à Colliguaja odorifera et Treboa quinquinervia sur les versants qui étaient déboisés en 1956. Enfin, dans la vallée Gualtatas (fig. 27, fenêtre 3), on note une reprise de la végétation arborée, qui n’atteint toutefois pas son niveau de 1956.
Interprétations
27Lors des cinquante dernières années, les activités humaines s’exerçant sur les différents territoires de Chillepín ont connu une profonde redéfinition, avec des implications notables sur l’environnement. Ces modifications sont intervenues sans pression démographique particulière car, même si le nombre des familles a doublé, l’effectif de la population est resté sensiblement constant.
28Le réseau d’irrigation a subi des réductions successives de 1956 à 1999 (fig. 28). Celle qui s’observe en 1977 est liée aux attributions de 1975 qui abandonnent 222 ha irrigués de la vallée du Rio Manque. Celle qui s’observe en 1999 concerne une portion des deux canaux supérieurs de Chillepín qui irriguaient des terres de la vallée du Rio Choapa mises en réserve en 1975 et non distribuées par la suite.
29Lorsqu’on observe l’évolution de la végétation d’un secteur de cultures pluviales identifié en 1956 mais qui a sans doute existé jusque 1967, on constate qu’il faut trente ans pour obtenir de nouveau des arbres (fig. 29 a), mais d’un couvert bien inférieur à celui d’une forêt sclérophylle. Cette pratique culturale entraîne donc une dégradation durable et irréversible de la couverture végétale. Lorsqu’on observe l’évolution de la végétation à partir d’un champ cultivé identifié en 1956, abandonné peu de temps après et utilisé depuis comme pâturage (fig. 29 b), on constate au bout de trente-cinq ans la présence d’une formation arborée spécifique constituée d’acacias. Ceci confirme le rôle du bétail sur la formation de certains peuplements à Acacia caven et Schinus polygamus. Dans les secteurs où le déboisement est intervenu après et non avant 1956, on obtient une évolution différente avec un minimum de la couverture végétale en 1977 (fig. 29 c). Ces trois exemples montrent que les variations de l’état de la végétation ligneuse sont avant tout liées aux périodes d’intervention humaine et non aux variations climatiques.
30Les prélèvements de bois sur le territoire de Chillepín depuis cinquante ans sont importants. Ils sont forts lors des derniers temps du fundo (175 t/an), culminent à 285 t/an entre 1967 et 1975 durant la période dite des Asentamientos, période où en outre le prix du charbon de bois était élevé en raison d’une loi interdisant l’exploitation des acacias. Ils décroissent à 18 t/an à partir de 1975, passant ensuite à 68 t/an en 1980 puis à 30,2 t/an en 1994. Ce n’est qu’en 1996, lorsque le projet minier « Los Pelambres » instaure la surveillance du territoire non Irrigué de Chillepín, que l’extraction de bois tombe à 16,4 t/an. L’importance du prélèvement s’élève à 5 373 t de bois sec sur toute la période. SI l’on prend en compte une biomasse de la couverture végétale entre 2 et 5 t/ha (Santander, 1993), le déboisement a donc détruit entre 1 000 et 2 700 ha de forêt. Ceci explique que la reprise de la végétation arborée soit lente, que les espèces à bois dur telles que Prosopis chilensis aient disparu et qu’il existe maintenant une végétation secondaire essentiellement arbustive à Colliguaya odorifera.
Conclusion
31Nous avons montré que le district de Chillepín a connu une évolution notable de son environnement au cours des cinquante dernières années, en rapport avec des changements sociaux. Les deux premières périodes identifiées, fin du fundo et Asentamiento, se sont distinguées par le caractère prédateur et sans souci de durabilité de l’activité de déboisement dans l’arrière-pays montagneux. En 1975, la mise en place de la petite agriculture a entraîné, dans le secteur irrigué, une réduction des superficies cultivables. Malgré la spécialisation dans la production de raisin à Pisco, la petite agriculture a su conserver l’intégrité du patrimoine à partir du réseau d’irrigation existant en n’utilisant que peu de fertilisants et en conservant la polyculture. Elle a ainsi entretenu la biodiversité du terroir. Elle a donc eu un impact positif sur l’environnement.
32Dans l’arrière-pays montagneux, qui a été dissocié des terres irriguées en tant que propriété, le couvert végétal paraît globalement orienté vers une lente récupération. Quels sont les faits qui ont favorisé cette récupération ? En premier lieu, la disparition des cultures pluviales ; en second lieu, l’abandon de la production commerciale de charbon de bois ; en troisième lieu, la diminution de l’élevage caprin ; en quatrième lieu, la diffusion du gaz domestique ; en cinquième lieu, depuis peu, la clôture et la surveillance du périmètre.
33Par ailleurs, au cours de ces cinquante années, les changements environnementaux, qu’il s’agisse de dégradation ou de récupération, se sont produits alors que la population restait quasi stable. On vérifie ainsi que ce n’est pas le nombre des hommes sur un territoire mais plutôt les activités qu’ils y développent qui induisent des changements.
34Enfin, l’approche par le foncier s’est révélée déterminante. Le foncier est l’élément qui qualifie le mieux le système agraire et dont dépendent largement les autres critères comme la définition des activités, l’utilisation ou non de techniques modernes, le maintien de la biodiversité et donc, en définitive, les modes d’usage des ressources. Autrement dit, l’approche par le foncier facilite le recensement des activités humaines et permet de mieux les situer dans leur contexte temporel et spatial.
Bibliographie
Références
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Notes de bas de page
1 Ce travail fait partie du programme « Transformation des espaces ruraux et processus d’intégration régionale dans la région de Coquimbo » conduit par l’université du Chili, l’université de la Serena et l’IRD.
2 EDA 1998 : enquête démographique et agraire, exhaustive (302 familles) ; PD 2000 : enquête qualitative sur les pratiques de déboisement ; CE 2000 : enquête sur la consommation énergétique (échantillon de 100 familles). Ces enquêtes couvrent la période actuelle comme le passé proche, bénéficiant du fait que les chefs de famille d’aujourd’hui sont pour la plupart d’anciens travailleurs du fundo Chillepín.
3 Mesure de la densité du couvert végétal, du phytovolume, et identification des espèces.
4 La production céréalière du Chili, de Copiapo à Concepcion, a une longue histoire. On trouvera chez Gay (1862, réédition de 1973) et dans l’ouvrage de David (1993) des précisions sur son développement lié, à l’origine, au tremblement de terre du Pérou en 1687 qui a détruit les systèmes d’irrigation, aux maladies du blé dans ce pays et à l’approvisionnement des villes, en particulier Santiago. L’Importance de cette production est observée à Chillepín par E. Chouteau en 1887.
5 Dans la ive Région, le xixe siècle a été une période de déboisement considérable, en raison surtout de l’exploitation cuprifère (Santander, 1993), mais aussi des distilleries à eau de vie de raisin et du chemin de fer. Cependant, la haute vallée du Choapa semble à cette époque avoir été relativement épargnée. Le chemin de fer n’y a pas pénétré, la première distillerie s’est installée à Salamanca en 1985 et l’important gisement de cuivre de « Los Pelambres » est entré en exploitation en 1999, ces deux dernières activités n’utilisant plus le bois comme source d’énergie.
6 La décision d’acquisition par la Cora (Corporación de la Reforma Agraria, organe du ministère de l’Agriculture) de l’ensemble des fundos de la commune de Salamanca, via expropriation de leurs propriétaires moyennant indemnisation, est prise dès 1965. Elle est effective à Chillepín, sous la forme d’un début d’organisation collective paysanne, en 1967.
7 Les populations dont l’habitat était dispersé du temps du fundo, en particulier dans l’estero Manque, n’étaient pas favorables à ce regroupement. La création du village fut imposée par la Cora pour les facilités qu’il représentait pour le développement d’infrastructures. L’eau potable et l’électricité furent installées au début des années 1980.
8 Pour postuler, il fallait être un travailleur de longue date du fundo Chillepín, ensuite le critère déterminant pour cette attribution fut la taille de la famille, ou plus précisément le nombre d’enfants de moins de 15 ans.
9 Ces considérations figurent sur les títulos de dominio (titres de propriété), lesquels sont enregistrés au Registro de Propriedades de Bienes y Raíces d’Illapel en 1976 (n° 393 à 461). Ces actes font aussi mention des prix des parcelles acquittés par les paysans pour cette attribution, et du calendrier de son règlement (une période de vingt-cinq ans).
10 « Los Pelambres » est un projet d’extraction de cuivre à ciel ouvert d’une envergure considérable estimée à 1 320 millions de US$ (Moguillansky, 1998). La mine, qui est entrée en service à la fin de 1999, occupe pour ses installations les terrains montagneux privés acquis par elle à Cuncunmen et Chillepín par l’intermédiaire de la société Anaconda.
11 Le pisco est une eau de vie de raisin des régions de Coquimbo et Copiapo. L’installation à Salamanca de deux distilleries industrielles (« Capel » en 1985, et « Control » en 1990) est à l’origine de la spécialisation de la vallée dans la production de raisin. À Chillepín, le nombre de producteurs de raisin passe de 16 en 1990 à 29 en 1992 puis 51 en 1996. Il est stable depuis (EDA, 1998).
Auteurs
Pédologue, IRD, Marseille, France.
Démographe, IRD, Santiago du Chili, Chili.
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