Bilan et propositions
p. 180-190
Texte intégral
1En introduction, nous avons dit que la lutte comme la maladie du sommeil ne se fait pas à grande échelle pour deux motifs essentiels : le manque de crédits et l’inadéquation des moyens.
2À Sinfra, nous avons appliqué un protocole, certes encore loin d’être parfait, mais qui offre l’avantage de couvrir rapidement un vaste territoire à peu de frais et permet de focaliser l’intervention des équipes médicales.
3Il reste à convaincre les décideurs du bien-fondé de cette stratégie reposant sur des non-professionnels de la santé pour optimiser le travail des professionnels.
LES ASC
4Après avoir côtoyé les ASC de Sinfra pendant près de trois ans, il nous est difficile de critiquer leurs actions. Les six licenciements pour faute, ne doivent pas masquer les efforts accomplis par la grande majorité. Les efforts, mais aussi les résultats.
5Les ASC ont effectué leur tâche dans la plus grande modestie et avec un esprit de dévouement peu commun. Il est certain que beaucoup attendaient plus de ce projet, notamment l’installation des caisses à pharmacie, mais était-ce là leur seule ambition ? Nous ne le pensons pas car si la motivation de ces agents avait été purement lucrative, seraient-ils restés aussi longtemps fidèles au projet ?
6L’absentéisme lors des prélèvements, la mobilisation assez faible lors des redistributions d’insecticide ou encore le manque d’homogénéité dans les effets du piégeage ne peuvent être attribués à ces hommes mais aux bénéficiaires : les villageois.
LA POPULATION
7On peut alors se demander si tous les problèmes survenus lors de cette campagne ne trouvent pas leur origine dans la population elle-même.
8À Sinfra comme à Vavoua, la lutte contre la maladie du sommeil a concerné des populations très hétérogènes. À Vavoua, toutes les opérations furent focalisées dans une zone où les Mossi représentaient 49 % : ce groupe, très structuré, très hiérarchisé, est connu pour sa forte capacité de travail et son sens de la discipline. D’ailleurs, le taux de couverture médicale des Mossi a été le plus élevé.
9À Sinfra, notamment en zone hyperendémique, les Gouro représentent le groupe le plus important mais avec des caractéristiques totalement opposées à celles du groupe mossi.
10Dans les deux foyers la population était illettrée à 78 %37 (Mèda et Laveissière, 1992). Dans le foyer de Sinfra, après la campagne de lutte, nous n’avons pas eu le temps de procéder à une analyse approfondie des connaissances et aptitudes des villageois pour identifier les facteurs de blocage. Un seul sondage a été réalisé (Oke, 1997) sur 150 personnes tirées au sort – dont 75 malades – dans deux agglomérations exclusivement gouro (Nagadoua [30] et le quartier Douafla) où le protocole a rencontré le plus d’obstacles.
11Après sensibilisation, information et participation aux activités de lutte, seulement 14 % des interrogés connaissaient le rôle vecteur de la glossine. Par contre, 17 % estimaient que le mal était envoyé par Dieu et 62 % que la transmission de la maladie était due au surnaturel. Dans 33 % des réponses, la glossine joue un rôle mais n’est que l’instrument d’une personne malfaisante qui la charge de transporter un sort.
12Parmi les illettrés, plus de 61 % ont recours à des procédés prophylactiques mysticoreligieux pour se prémunir de la maladie ou se soigner. Dans l’ensemble de la population, seulement 15 % pensent qu’il faut avoir recours aux services de santé.
13Un fait aurait pu être rassurant malgré tout : 98 % de la population avait entendu parler du piégeage. Mais, dans ces deux bourgades, seuls 33 % ont confirmé avoir utilisé les écrans : or les agriculteurs représentent 69 %. Leur incrédulité est totale : de simples tissus imprégnés ne peuvent tuer la tsé-tsé ! Il faut comparer ce score (33 %) à celui de Vavoua : après deux ans de lutte, seulement 22 % des agriculteurs savaient qu’il fallait utiliser des écrans pour tuer la mouche tsé-tsé. Il y a donc eu une amélioration certaine entre les deux protocoles : les ASC ont fait passer le message mieux que nous n’avions pu le faire. Ajoutons que ce sondage a été réalisé dans les deux villages les moins réceptifs : on peut estimer qu’ailleurs, là où le piégeage a eu des effets très marqués, la mobilisation a été bien meilleure.
14À Vavoua, sur le plan de l’utilité du piégeage, il existait des contradictions flagrantes : 96 % des paysans reconnaissaient être moins piqués après l’installation des écrans et plus de 93 % des personnes voulaient que la lutte antivectorielle soit poursuivie. Or, 80 % des planteurs ne savaient pas (ou ne rappelaient pas) qu’il faut imprégner les écrans tous les quatre mois. Il a dû en être de même à Sinfra.
15Quel que soit le procédé utilisé pour informer et mobiliser la population – surtout par les professionnels mais peut-être moins par les ASC – il est évident que les messages d’information ne passent pas ou très mal. Ils ne touchent généralement que la fraction lettrée du monde rural, donc une infime partie des participants potentiels : cela est aussi vrai pour le volet médical que pour le volet entomologique. Les propos tenus pour convaincre les villageois de se présenter aux prospections médicales ou installer des écrans ne peuvent concurrencer les croyances profondément enracinées dans les esprits.
16Dans cette situation, le message de sensibilisation devrait-il inclure les aspects paranormaux des croyances ? Comme le suggère Oke (1997), faudrait-il dire aux paysans que les pièges capturent ceux qui se transforment en glossines donc aboutissent à la réduction du nombre de personnes malveillantes ? Le propos est choquant pour des esprits scientifiques mais surtout sur le plan déontologique : on ne peut utiliser l’ignorance de la population – et l’y maintenir – pour faire passer des messages de ce type, fut-ce pour la santé.
La lutte contre une endémie à vecteur comme la maladie du sommeil ne pourra se faire dans de bonnes conditions que si l’on parvient à élaborer un message compréhensible et acceptable pour le monde rural.
17Seule l’éducation des enfants devrait permettre d’améliorer la perception et la compréhension. Ce sera évidemment une entreprise à long terme car le pourcentage d’enfants déscolarisés est important en milieu rural et même en milieu urbain, à Sinfra par exemple. Même si les femmes se sont toujours montrées réceptives à tous les messages ou opérations concernant la santé, on ne peut qu’être pessimistes pour l’avenir. Le ratio filles/garçons scolarisés déjà inférieur à 1 au niveau de l’enseignement primaire (fig. 55) décroît très rapidement : en milieu urbain à peine 1/3 des filles arrivent en 6e. La situation se dégrade d’année en année, surtout dans les villages38, sous les effets des crises économiques successives.
18Face à ces populations, à leurs mentalités et comportements, rien ne peut vraiment être reproché aux ASC chargés de transmettre des messages et d’appliquer des méthodes auxquels les villageois restent fermés, parfois hostiles.
COÛT DES STRATÉGIES DE DÉPISTAGE/DIAGNOSTIC
19Le principal facteur limitant la mise sur pied de campagnes de lutte à grande échelle contre la THA est strictement d’ordre financier. La stratégie à adopter doit en tenir compte, sans oublier toutefois les objectifs, à savoir réduire rapidement l’impact de l’endémie et la ramener à un « niveau supportable » pour la population.
20La seule stratégie jusqu’à maintenant disponible était l’intervention des équipes mobiles39.
Équipe mobile
21Une équipe mobile, dans un programme national de lutte, est classiquement composée de cinq personnes : 1 chauffeur (considéré comme technicien car il aide aux prélèvements), 1 infirmier et 3 techniciens (ou 4 infirmiers).
22Nous ne reviendrons pas ici sur la nécessité d’un recensement préalable de la population ; de même, nous ne prendrons pas en compte tous les investissements (véhicules, appareillage spécifique, groupe électrogène, etc.), ni les amortissements.
23Le traitement des malades n’est pas non plus pris en compte, bien que toute stratégie ne parvenant pas à réduire rapidement la transmission, donc la prévalence, entraîne une augmentation notable des coûts en traitement des sommeilleux.
24Considérant :
- une population équivalente à celle de la zone endémique de Sinfra : près de 76 000 personnes parmi lesquelles seront faits 49 000 examens, soit un taux de couverture de 64 %, assez exceptionnel pour une équipe mobile ;
- un rythme d’examens de 400 personnes par jour40 ;
- une séroprévalence (par le CATT sur sang total) de 2 % (chiffre obtenu à Sinfra) ; et compte tenu des coûts calculés (tabl. XXXIX) en réactifs, tests diagnostiques et frais de terrain : une campagne de dépistage/diagnostic prendrait 124 jours et reviendrait à plus de 17 500 000 CFA.
25Toutefois dans un foyer actif, une seule prospection ne suffirait pas à ramener immédiatement la prévalence à un niveau très bas : non seulement la population ne peut pas être examinée dans sa totalité, mais encore le vecteur poursuit-il la transmission. Trois missions, espacées de six mois, seraient nécessaires (ce qui dans les conditions actuelles se fait rarement).
26La seule différence entre la première prospection et les deux suivantes, sur le plan du coût, résidera entre les taux de séroprévalence : en partant d’un taux de 2 % avant la lutte, on peut espérer le ramener à 1 % après la deuxième mission et à moins de 0,5 % après la troisième (ce qui réduira le nombre de tests diagnostiques à effectuer).
Tableau XXXIX. Coût d’une prospection médicale
Rubriques | Effectif ou taux | Total |
Population | 49 622 | |
Examens par jour | 400 | |
Nb jours nécessaires | 124 | |
% Séro+ et séro + | 0,02 | 992 |
Examens séro/parasito | ||
Examen par le CATT | 188 | 9 328 936 |
Examen par minicolonne | 1 200 | 1 190 400 |
Frais sur le terrain | ||
1 infirmier (/jour) | 15 000 | 1 860 825 |
1 technicien (/jour) | 12 000 | 1 488 660 |
3 employés (/jour) | 18 000 | 2 232 990 |
Frais divers (10 %) | 0,1 | 1 610 181 |
Total CFA | 17 711 992 |
27Soit les coûts suivants (calculées à partir des données du tableau XXXIX) :
- première mission : 17 720 000 CFA ;
- deuxième mission : 17 100 000 CFA ;
- troisième mission : 16 750 000 CFA.
28Pour la population considérée et dans les conditions décrites ci-dessus : une campagne de lutte menée uniquement par la voie médicale et les équipes mobiles reviendrait à 51 570 000 CFA.
29Cependant, rien ne permet d’affirmer que la THA sera vaincue : le réservoir animal, principalement les porcs, sera toujours infecté.
Réseau ASC
30Pour la même population répartie sur 50 villages, avec la stratégie adoptée à Sinfra, il faudrait :
- l’équipement de 2 laboratoires ;
- la formation et l’équipement de 50 couples d’ASC.
31Soit un coût total (calculé d’après les données recueillies au cours du projet) de 17 250 000 CFA, mais comprenant les investissements (tabl. XL).
32Comme dans le cas de la stratégie par équipes mobiles, il sera nécessaire de refaire plusieurs campagnes de prélèvements pour espérer pouvoir ramener la séroprévalence à 1 puis 0,5 %· Nous aurons donc les coûts successifs (calculés à partir des données du tableau XL) :
- première campagne : 17 250 000 CFA ;
- deuxième campagne : 2 900 000 CFA ;
- troisième campagne : 2 550 000 CFA.
33Ainsi, pour la population et dans les conditions considérées : une campagne de lutte menée uniquement par la voie médicale et les ASC reviendrait à 22 700 000 CFA.
34Avec la même mise en garde que précédemment : aucune assurance d’aboutir à l’extinction du foyer !
Tableau XL. Coût de la surveillance par des ASC
Rubriques | Effectif/taux | Total |
Population | 49 622 | |
% Séro+ et séro + | 0,02 | 992 |
Examens séro/parasito | ||
Micro-CATT | 44 | 2 183 368 |
Examen par le CATT | 188 | 186 579 |
Examen par minicolonne | 1 200 | 1 190 928 |
Frais de formation/équipement | ||
50 couples ASC | 173 000 | 8 650 000 |
2 laboratoires | 2 500 000 | 5 000 000 |
Total | - | 17 210 875 |
LA LUTTE ANTIVECTORIELLE EST-ELLE RENTABLE ?
35Que l’on adopte l’une ou l’autre stratégie parasitologique, dans les deux cas on ignore le vecteur, ce qui revient à entretenir le foyer.
Le coût de la lutte antivectorielle est inférieur à celui d’une seule prospection médicale par équipe mobile !
36La lutte antivectorielle est donc indispensable : mais est-elle « rentable » ?
37En page 163 nous avons précisé que la protection de la population mentionnée ci-dessus était revenue à 16 500 000 CFA.
38Avec toutes les imperfections du protocole de Sinfra, elle a permis, en association avec le volet médical, de ramener la prévalence à 0,37 %. Comment définir une stratégie globale en tenant compte des restrictions budgétaires ?
39Nous proposons le plan suivant :
- mise en place d’un réseau d’ASC et premier dépistage pour identifier les malades mais surtout pour préciser les limites de la zone d’intervention (49 000 personnes, séroprévalence 0,02 %) ;
- installation de la lutte antivectorielle sur la zone endémique et une zone tampon ;
- intervention des équipes mobiles, avec l’aide des ASC, pour améliorer l’assainissement du réservoir humain : en principe le travail préliminaire des ASC aura permis de réduire le taux de séroprévalence (1 %) et de prévalence ; de plus, la population à visiter sera réduite d’au moins la moitié, de 49 000 à environ 25 000 personnes à Sinfra.
- poursuite des dépistages par les ASC dans le cadre d’une surveillance active (donc sur 25 000 personnes ; prévalence 0,5 %).
40Les coûts peuvent alors être estimés à :
- installation des ASC + premier dépistage : 17 250 000 CFA,
- campagne de lutte antivectorielle : 16 500 000 CFA,
- intervention des équipes mobiles : 8 600 000 CFA,
- deuxième intervention des ASC : 1 300 000 CFA.
41Une campagne de ce genre reviendrait donc à 43 700 000 CFA.
42Même en multipliant les campagnes de prélèvements par les ASC, à titre de surveillance – et sur une population à risque de plus en plus réduite – jamais le coût total n’excédera celui d’une stratégie verticale par équipe mobile.
LA « STRATÉGIE ASC » EST-ELLE APPLICABLE PARTOUT ?
Pérenniser les ASC
43À en juger par les expériences de Sinfra et d’Issia, tous les villages ont pu identifier un ou deux agents. En cas de défaillance (Akromionbla [9]) les ASC des villages voisins ont pu prendre le relais, à la demande même des villageois. Et tous les ASC, à l’exception d’un seul, étaient lettrés. Sur le plan des ressources humaines, tous les villages disposent d’un vivier quantitativement et qualitativement apte à répondre aux impératifs du réseau ASC. La Côte d’Ivoire n’est pas le seul pays dans ce cas.
44Nous avons constaté qu’à Sinfra, l’assiduité et l’efficacité, sans mentionner le problème de bénévolat sur lequel nous allons revenir, dépendent des caractéristiques individuelles et non pas ethniques, religieuses, culturelles ou sociales. A priori on pourrait affirmer que cela serait le cas partout ailleurs. Pour Cairncross et al. (1996), l’assiduité et la motivation des ASC sont d’abord dues à la prise de conscience de leur rôle et de leur statut social.
45La qualité du réseau d’ASC dépend uniquement du choix des villageois ; un choix qui doit être guidé dans une certaine mesure mais non pas dirigé.
46Une des critiques formulées à l’encontre des ASC porte sur les risques de dérapage. L’aptitude des ASC de Sinfra à recenser, prélever, encadrer, distribuer le matériel de lutte a été prouvée plus haut, mais il y a eu des malversations, heureusement très peu nombreuses : dans quelle catégorie socioprofessionnelle et sur quel continent n’y a-t-il pas des erreurs ?
47Dans la mesure où les villageois accordent leur confiance à un ASC, celui-ci peut apporter une contribution significative dans la lutte contre une endémie et surtout améliorer la qualité des interventions extérieures.
48La crainte des décideurs réside dans la nécessité de rémunérer les services rendus par les agents communautaires. Mais y-a-t-il beaucoup de personnes, aussi dévouées que ces ASC villageois, qui accepteraient de travailler bénévolement pendant presque trois ans alors qu’il leur avait été promis des avantages qu’ils n’ont jamais reçus ?
49Le statut social acquis avec le titre d’ASC est un facteur de motivation très fort dans la société villageoise. Il suffirait de peu – des caisses à pharmacies — pour pousser cette motivation encore plus loin.
50Si, de toute évidence, il n’existe pas, au niveau du village, de facteurs de blocages insurmontables pour créer un réseau ASC, qu’en est-il des laboratoires ? La densité des centres de santé est loin d’être homogène entre pays et même, pour un pays, entre régions. De surcroît, le sous-équipement de la plupart des dispensaires pourrait être un facteur rédhibitoire.
51Toutefois, là encore les expériences de Sinfra et d’Issia le prouvent, l’éloignement village-laboratoire n’influence pas la qualité du travail des ASC. Ces derniers, comme tous les villageois, parcourent de longues distances presque quotidiennement pour se rendre au marché, au culte ou au dispensaire. Ce n’est pas là non plus une exclusivité ivoirienne. L’attribution d’une bicyclette est donc un atout supplémentaire pour la motivation. Évidemment, il faut éviter de trop surcharger un seul laboratoire ou alors lui donner les moyens en personnel.
52L’équipement des dispensaires représente une contrainte majeure ; mais elle n’est pas insurmontable. Tout dépend en réalité du dynamisme d’un responsable de programme national et de la politique d’un pays en matière d’information et sensibilisation. Dans toute petite ville africaine on peut trouver au moins un réfrigérateur électrique, à gaz ou à pétrole. Quel propriétaire, une fois informé sur la THA, refuserait d’en prêter un petit espace pour conserver les réactifs et les prélèvements ?
53Là réside en fait le seul vrai problème ! Si à Sinfra les ASC ont poursuivi leur travail, c’est en partie grâce à la qualité des relations qui se sont nouées, assez vite, entre eux et les professionnels des laboratoires et de l’institut Pierre Richet, puis au fil du temps, avec les équipes médicales de Daloa, Bouaflé, Gagnoa venues assurer les suivis médicaux.
54Nous affirmons que, contrairement aux apparences, Sinfra n’est pas un cas particulier : dans la mesure où l’on crée un réseau d’ASC celui-ci ne peut pas, ne doit pas rester isolé. Des relations étroites doivent obligatoirement s’établir avec le laboratoire superviseur mais aussi avec la hiérarchie médicale. Dans le cas contraire, l’échec est assuré. Akogun et al. (2001) viennent de le démontrer : toute implication d’une communauté villageoise – dans ce cas, la distribution d’ivermectine contre l’onchocercose – exige un encadrement minimal des professionnels de la santé.
55L’ASC doit être encadré et suivi ; il doit aussi être rémunéré. Des exemples, trop peu nombreux, le prouvent :
- les agents de santé des soeurs missionnaires du CAR de Sinfra dont certains étaient en place depuis des années ;
- des ASC pourvus de caisse à pharmacie en pays tikhar au Cameroun (Pharmaciens sans frontières, comm. pers.) ; système qui perdure depuis trois ans avec autogestion villageoise.
56Tout dépend donc de la volonté politique nationale. Bender et Pitkin (1987), passant en revue des projets en Amérique du Sud, concluent que le déterminant essentiel pour réussir l’installation et la pérennisation des SSP est la mise sur pied d’une politique nationale reconnaissant l’importance, en matière de santé, de la participation communautaire qui ne peut être obtenue pleinement que par l’intermédiaire des ASC. Or, Gibson et al. (1989), examinant les programmes communautaires implantés au Botswana, en Colombie et au Sri Lanka, tirent les conclusions suivantes : les programmes nationaux de SSP ont globalement souffert de problèmes conceptuels et de mise en place – attentes irréalistes, planification indigente, problèmes de pérennisation, faible maintient de la qualité. Pérenniser c’est avant tout faire confiance et croire aux capacités des ASC. Ce n’est pas encore, malgré les années, totalement acquis. À Sinfra, en début de projet, nous avons constaté l’opposition de la part de deux catégories professionnelles : les médecins, arguant que les prélèvements de sang par les ASC étaient une source potentielle de transmission du VIH42 et les pharmaciens qui craignaient une perte de revenus du fait de la vente des médicaments essentiels par les ASC. Il faudra une réunion provoquée au ministère de la Santé à Abidjan et le soutien du directeur national de la Santé publique, pour lever toutes les équivoques à ce sujet.
57Il faut, pour pérenniser le système communautaire, que les décideurs en matière de santé admettent, comme Gibson et al. (1989) que les ASC représentent un potentiel extraordinaire pour la santé, qu’il faut encourager et développer des projets réalistes : la stratégie permet de couvrir de vastes territoires en offrant un niveau raisonnable de soins à des populations démunies.
58Couvrir de vastes territoires, l’expérience de Sinfra a prouvé que c’est possible pour la lutte contre la maladie du sommeil. Mais les ASC de Sinfra ont été au-delà d’un « niveau raisonnable » de soins : ils ont lutté contre la maladie à la fois par la voie parasitologique et par la voie entomologique.
Notes de bas de page
37 Ce pourcentage atteignait même 83 % chez les chefs de famille.
38 Dans le village N’Drikro l’école primaire ne compte que 30 % de filles ; en 1995 il y en avait 56 % dans la classe de CP ; 51 % en 1997.
39 Nous ne tenons pas compte évidemment du dépistage passif qui n’est pas une stratégie de lutte mais un système de surveillance approximatif.
40 La rapidité du personnel ne dépend pas uniquement de ses capacités mais d’autres facteurs notamment la taille de la population à visiter : certains hameaux ne dépassent pas 300 personnes. Le chiffre de 400 est une moyenne estimée d’après nos observations et expériences. Certaines équipes pourront atteindre 700 personnes un jour mais, le lendemain, n’en examiner que 150 à 200 dans une petite bourgade.
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