Les problèmes rencontrés
p. 164-179
Texte intégral
1Une telle campagne de lutte, sur presque un département entier, ne va pas sans soulever quelques problèmes. Nous rapportons ici les plus significatifs qui, heureusement, sont restés très localisés et peu fréquents. Il convient toutefois d’en connaître l’existence pour, le cas échéant, prendre les mesures nécessaires à leur prévention.
SUR LE PLAN HUMAIN
Chez les ASC
2En deux ans, plusieurs événements sont survenus dans l’équipe des 109 ASC.
3Lors de la formation, les ASC ont fait des prélèvements les uns sur les autres à titre d’entraînement. Quatre ASC étaient séropositifs ; parmi eux trois étaient trypanosomés (prévalence de 2,8 % comme pour la population). Deux ont été rapidement traités, un seul a refusé (un ASC baoulé de Barthélémykro [11]).
4Deux ASC sont décédés de maladie, un seul a été remplacé.
5Sur les 108 ASC restant, nous avons enregistré 19 démissions (17 %) et nous avons procédé à 6 licenciements (6 %). Les motifs de ces démissions ne sont pas tous connus (ou avoués) : mariage dans une autre région, départ pour des études en ville, remplacement du père à la tête de l’exploitation ou mésentente avec l’autre ASC.
6Enfin de projet, nous avions perdu près du quart de l’effectif initial (tabl. XXX) car 21 partants n’ont pas été remplacés : de toute façon, nous n’aurions eu ni le temps ni les moyens de refaire une formation. Nous ne sommes intervenus qu’une seule fois – à Akromionbla [9] – car les 2 ASC du village ont démissionné ensemble. Avec l’accord de la population, l’ASC du village voisin a accepté de s’en occuper.
7Parmi les 6 ASC licenciés, 3 l’ont été pour incapacité totale, 2 pour vol et 1 pour alcoolisme32.
8Démissions et licenciements ne concernent ni une ethnie en particulier, ni une catégorie d’âge ou socioprofessionnelle particulière. De même, ni le niveau scolaire ni l’appartenance à une religion ne sont en cause. Seuls des facteurs personnels ont joué un rôle, du moins dans les démissions.
9En deux ans, nous avons dû affronter plusieurs revendications, presque exclusivement de la part des ASC, gouro, de Sinfra-ville. À de nombreuses reprises, le responsable du projet a été sollicité pour des prêts, des dons en nature ou en espèces. Il s’est très vite avéré que les ASC considéraient le responsable comme leur « patron », considérant qu’ils travaillaient pour lui en suivant ses directives et qu’en échange ils attendaient une compensation33.
10Ces revendications étaient plus décevantes que gênantes (bien que le total des sommes exigées soit élevé) car elles dénotaient une très mauvaise prise de conscience du rôle à jouer au sein des communautés urbaines. Le propos paradoxal tenu par ces ASC était : je suis parfaitement d’accord pour travailler bénévolement mais j’aimerais être payé pour les services rendus.
11Le problème, déjà souligné sur lequel nous reviendrons, est donc bien celui du bénévolat.
12Les ASC villageois ont posé des problèmes eux aussi mais d’un autre genre, dont l’objet était la bicyclette. Quelques ASC l’ont considérée comme leur bien personnel, alors qu’il était précisé que ce moyen de locomotion était donné pour la communauté dans le cadre des soins de santé primaire. Certaines jalousies se sont alors réveillées entre les ASC ; jalousies d’autant plus exacerbées que la bicyclette était parfois prêtée par un agent à un membre de la famille soit pour aller en ville, soit pour transporter des sacs de café ou de cacao.
13Il avait été prévu dans le protocole initial qu’une fois la Case de Santé installée les revenus tirés de la vente de médicaments permettraient, entre autres, d’entretenir la bicyclette. Cela ne s’étant pas fait, les réparations n’étaient pas effectuées ou étaient prises en charge par l’ASC lui-même, parfois par le projet.
14Ces pannes étaient souvent le résultat d’une utilisation abusive et d’un mauvais entretien mais l’ensemble des ASC ne peut être incriminé, seul un petit nombre d’entre eux a fait preuve de négligence.
Avec le recensement
15Certains ASC ont eu, les premiers temps, beaucoup de mal à faire leur recensement.
16Outre les refus non motivés, ils ont essuyé des refus justifiés par la crainte d’être inscrits sur un registre : c’était surtout le fait des étrangers.
17Plus nombreux furent les refus pour des raisons politiques. Les élections de fin 1994, mais surtout la politisation poussée à l’extrême dans certains secteurs et chez certains groupes ont entravé gravement le travail. La réflexion la plus courante était que l’ASC identifiait les villageois favorables au parti adverse dans l’objectif de truquer le scrutin. D’autres réflexions, plus fantaisistes mais tout aussi négatives, ont souvent découragé les ASC qui venaient alors demander le soutien du chef de projet.
18Face au recensement, les instituteurs furent parmi les plus récalcitrants, alors qu’ils étaient informés des objectifs de l’opération. Ils manifestaient souvent des exigences d’ordre administratif : par exemple, pourquoi n’avaient-ils pas reçu une circulaire du ministre de l’Éducation nationale ou, plus modestement, de l’inspecteur départemental ? Bien que nous ayons prévenu les ASC que notre présence dans les villages serait minimale, nous avons dû dans quelques cas intervenir car l’influence des enseignants bloquait tout le village. Une séance d’information des instituteurs, en présence des autorités villageoises, suffisait généralement à régler le « conflit ». Le taux de présentation aux prélèvements des instituteurs et de leur famille restera cependant très inférieur à la moyenne.
Avec les prélèvements
19Les oppositions aux prélèvements ont certainement été plus nombreuses que ce que les ASC nous ont rapporté, mais il est impossible de les quantifier. Dans certains cas, un seul membre de la famille refusait le confetti, dans d’autres le chef de famille empêchait toute la famille de se présenter, quelquefois ce furent des petits hameaux qui opposèrent un refus général sous l’influence du chef.
20Les ASC ne sont pas responsables de ces refus : les équipes mobiles ont, elles aussi, trop souvent essuyé des refus qui avaient certainement les mêmes causes. Les personnes réfractaires, la plupart du temps les hommes ou les jeunes, ne perçoivent pas l’intérêt d’un dépistage précoce : « pourquoi se faire examiner quand on est pas malade ? ». Dans d’autre cas, les symptômes de la maladie ayant déjà été ressentis, le malade craint de recevoir la confirmation de son cas et de devoir se rendre au centre de traitement avec pour conséquences l’abandon provisoire de la famille, du travail ou de la récolte ainsi que des dépenses imprévues.
21Mais comme les infirmiers lors des prospections, les ASC ont reçu des explications beaucoup plus fantaisistes :
- pour certains, les prélèvements ont pour objectif le dépistage du SIDA ;
- pour d’autres, le sang est vendu pour fabriquer des fétiches ou grigris ;
- des musulmans prétendent qu’on ne peut se faire prélever du sang durant la période de jeûne ;
- beaucoup estiment que cela va les affaiblir.
22Ces justifications dilatoires masquent assez mal la peur et l’inquiétude, ce qui n’est pas observé uniquement pour la maladie du sommeil en Afrique.
Avec les écrans
23Les écrans pour la lutte antivectorielle n’ont pas remporté immédiatement l’adhésion de la population ou plus exactement des paysans.
24Lors de la première distribution d’écrans, les ASC ont enregistré 27 refus et n’ont pu joindre 291 chefs de famille supposés recevoir du matériel (voir p. 124). En novembre 1995, 298 planteurs n’avaient théoriquement pas besoin d’écrans mais ils n’étaient plus que 161 en juillet 1996.
25Ces quelques chiffres montrent que certains sont restés quelque temps assez sceptiques sur l’intérêt de la lutte antivectorielle. Puis, voyant que la densité de glossines (ou plutôt le nombre de piqûres par homme et par jour) diminuait chez les voisins, ils ont adhéré à la lutte.
26Comme lors de la campagne de Vavoua, la population, malgré la sensibilisation, ignore en fait le mécanisme et l’efficacité des écrans ou des pièges. Ce n’est qu’en voyant leurs effets qu’elle accepte mais sans réellement comprendre.
27Des tournées dans la zone traitée ont permis de constater que le traitement était globalement bien fait. Les écrans étaient quelquefois placés trop bas et traînaient par terre mais ils étaient placés dans des lieux corrects. Ce ne fut pas le cas partout, notamment dans le village de Nagadoua, qui, rappelons-le, est le plus touché par l’endémie. Les planteurs, une fois servis en écrans, les ont simplement installés au village, autour de la maison et dans des positions curieuses : le plus souvent accrochés aux branches d’arbres. Leur explication était simple et logique... pour eux : ils n’allaient pas dans la plantation, ils préféraient donc se protéger au niveau du village !
28On ne peut connaître le nombre d’écrans qui furent détournés, non placés ou mal installés mais on sait de façon certaine que les planteurs ne suivent pas strictement les conseils qui leur ont été donnés : citons de nouveau le cas des bas-fonds sous-traités en début de campagne parce que ce n’était pas la saison de mise en culture.
Pour la lutte antivectorielle, les ASC mobilisent plus de paysans que les professionnels : ils connaissent tout le monde, ont les mêmes modes de pensée, les mêmes préoccupations et disposent de plus de temps.
29Si l’information passe parfois assez mal et de façon hétérogène, il faut aussi reconnaître que la majorité des villageois comprennent et suivent les instructions. Mais les notions de vecteur et de transmission échappent à la population ; le mode d’action du piégeage est mal compris ; la nécessité d’éliminer le vecteur simultanément partout lui échappe. On ne peut évi demment pas donner des explications détaillées à chaque paysan et l’on doit se contenter des séances de sensibilisation collectives telles qu’elles ont été menées jusqu’à présent soit par des équipes professionnelles soit par les ASC. Néanmoins il faudrait pouvoir améliorer le message pour que l’information soit mieux perçue et mieux comprise.
30Les ASC ont-ils été mieux écoutés à Sinfra que les équipes de l’IPR à Vavoua ? Quelques chiffres semblent le confirmer. Sur les 1 500 km2 du foyer de Vavoua, 3 680 planteurs ont participé à la lutte, traitant 4 985 plantations. À Sinfra, les ASC sur moins de 900 km2 ont mobilisé 5 383 planteurs et le traitement a été effectué dans 7 108 plantations et 2 698 rizières.
31À Sinfra, peu de vols nous ont été rapportés – contrairement à Vavoua – : est-ce dû au fait de la réduction du nombre d’écrans ? de leur mode d’installation sur piquets en bois et non en fer ? de leur implantation plus localisée et non le long des routes ? Ou bien est-ce simplement dû au fait que les écrans ont été distribués par un ASC, c’est-à-dire par un parent, un voisin, une personne de connaissance ? Quand des « étrangers » distribuaient le matériel, il était simple de venir leur demander le remplacement d’écrans « volés », ce qui était moins aisé à faire admettre à des ASC qui pouvaient savoir qu’il n’y a pas eu vol.
Avec les cas suspects
32Le suivi des cas suspects sérologiques pose un problème généralement difficile à résoudre.
33Après les prélèvements des ASC, sur 615 séropositifs convoqués, 421 se sont pré sentes soit un peu plus de 69 % ; dans cet effectif, ne sont pas comptés les personnes parties définitivement ou les anciens trypanosomés (tabl. XXXI).
34À la première convocation générale du mois de juin 1995, sur les 186 cas suspects qui n’avaient pas été vus précédemment, 42 se sont présentés. Au total, 478 examens auront été pratiqués sur l’ensemble des cas suspects soit 79,8 %.
35On peut comparer ce taux de présentation à celui des cas suspects identifiés après la première prospection médicale de janvier 1996. Sur 66 séropositifs, 39 se sont présentés aux examens pour confirmation parasitologique (59 %).
36La différence entre ces deux pourcentages est très significative. L’ASC qui a fait le prélèvement et donné la convocation de l’infirmier au séropositif, le sensibilise beaucoup mieux que ne peuvent le faire les infirmiers des équipes mobiles après la prospection.
37Pourtant, même si le score des ASC est supérieur à celui des équipes mobiles, même si le taux de présentation des cas suspects, grâce à eux, atteint 80 % (pour une seule visite !), on peut être inquiet pour l’avenir de la lutte contre la THA.
38Nous avons déjà souligné deux comportements typiques du suspect : la crainte d’être malade et le refus de tests complémentaires parce qu’il ne se sent pas malade. Il faudrait donc parvenir à une meilleure sensibilisation grâce à un message adapté aux mentalités ; notamment à celles des ASC qui mieux que personne peuvent le transmettre aux villageois.
Avec les malades
39Les malades confirmés posent des problèmes presque identiques. Sur les 526 malades dépistés (toutes missions et protocoles confondus) en 1995-96, 89,5 % se sont fait traiter (tabl. XXXII). Sans compter les 6 personnes décédées avant traitement, il restait 49 sommeilleux qui avaient soit quitté le foyer pour revenir chez eux (Burkina Faso et Côte d’Ivoire) emportant le trypanosome avec eux, soit avaient refusé. De plus, parmi les 61 malades dépistés en 1997, près du tiers (19) n’était toujours pas hospitalisé au 31 juillet, en fin de projet.
40Sur 43 malades non traités :
- 13 (30 %) avaient moins de 11 ans (dans la majorité des cas le père avait refusé le traitement de son enfant) ;
- 7 n’étaient pas recensés donc introuvables par les ASC ;
- sur les 23 restants, 14 étaient des hommes et 9 des femmes (souvent à cause du refus du mari).
Tableau XXXII. Les malades de Sinfra
Malades | 1995-96 | 1997 |
Traités | 471 | 42 |
Disparus | 6 | - |
Décédés | 2 | - |
Partis | 6 | - |
Refus | 10 | - |
Non traités | 31 | 19 |
Total | 526 | 61 |
41Pour illustrer l’importance épidémiologique de ces refus, rapportons quelques expériences vécues dans le foyer de Sinfra.
- En 1992, lors de la prospection médicale, 144 malades avaient été dépistés ; six mois après 50 malades (35 %) refusaient toujours le traitement. La plupart justifiaient leur refus par la crainte du traitement, car sur un effectif de malades traités trois étaient décédés et la nouvelle avait parcouru tous les villages concernés beaucoup plus vite que nos messages d’information/sensibilisation.
- Dans la mesure du possible, nous avons mis des véhicules à la disposition des malades pour les emmener vers un centre de traitement : très peu ont profité du transport gratuit.
- Nous nous sommes fréquemment rendus au domicile de malades pour les convaincre de la nécessité du traitement ; les réponses étaient toujours les mêmes :
- oui, nous irons dès que l’on aura de l’argent ;
- je n’ai pas assez d’argent pour le transport et la nourriture ;
- je ne veux pas rester à la maison sans ma femme ;
- mon enfant va à l’école, il se soignera pendant les vacances.
42Bien évidemment les malades ne se présentèrent jamais ni à Daloa ni à Bouaflé.
Les ASC peuvent mieux que quiconque convaincre les cas suspects de se faire examiner et les malades de se faire soigner.
43Mais il faut aussi citer l’exemple de ces sept malades dépistés en 1992 et 1993 (en prospections médicales) qui n’ont accepté le traitement qu’en 1995, après un nouveau dépistage (prélèvements sur papier filtre), et seulement grâce à l’encadrement des ASC !
44Les malades ne refusent pas systématiquement le traitement par manque d’argent – bien que cela arrive souvent. L’ignorance, du fait de l’asymptomatisme de la maladie, et la crainte du traitement sont à l’origine des refus. La mortalité due au traitement est encore excessive (12 sur 478, soit 2,5 %) et justifie l’affolement des malades... et des non-malades.
Avec les infirmiers
45La mauvaise organisation des infirmiers avait, en début de programme, créé des problèmes sérieux que l’on aurait pu éviter par une formation minimale.
46Mais une formation, aussi bonne soit-elle, ne pourra jamais changer les mentalités. La mise en route des laboratoires a été compliquée par une tendance exagérée à l’absentéisme et au laxisme. Le personnel infirmier était peu motivé au départ, peu habitué, du fait de son isolement, à travailler de façon assidue ; il a fallu plusieurs entrevues pour parvenir à débloquer cette situation. Certains cas suspects et malades, directement ou par l’intermédiaire des ASC, se sont plaints de certaines pratiques comme celle de réclamer de l’argent pour les tests, alors que tout devait être gratuit34.
47La motivation est arrivée au bout d’un mois, à partir du diagnostic des premiers cas ; elle s’est accrue en même temps que l’effectif des trypanosomés. Après un certain temps, on pouvait même noter une certaine fierté de découvrir et sauver des malades.
48Pour qu’un protocole de ce type soit performant, il est impératif de sélectionner minutieusement les responsables locaux. La motivation est un critère essentiel et les autorités régionales de la santé devraient être en mesure d’aider le choix d’après leur propre évaluation du personnel. Mais il faut aussi que ce personnel ne soit pas isolé. Dans le cadre du Projet Sinfra, les infirmiers étaient encadrés par le personnel de l’IPR : c’était peut-être suffisant sur le plan technique mais il aurait fallu, pour que leur travail soit valorisé à leurs yeux, que la hiérarchie médicale soit plus présente.
SUR LES PLANS MATÉRIEL ET TECHNIQUE
49Le seul souci que nous ayons eu sur le plan matériel était celui de la qualité des tissus noirs destinés à la confection des pièges et des écrans.
50Cela ne devrait pas se reproduire si une organisation, comme l’OMS, s’engageait à donner un label de qualité (tissus, insecticides) à tous les produits nécessaires à la lutte antivectorielle comme on peut le faire pour les médicaments.
51Les techniques utilisées lors du projet restent à améliorer non seulement pour diminuer les coûts et augmenter la qualité du dépistage mais aussi pour rendre les tests plus fiables aux yeux de la population, lassée par trop d’examens.
Le micro-CATT
52Sur 270 trypanosomés identifiés grâce aux prélèvements des ASC :
- 155 étaient positifs au micro-CATT (57,4 %) ;
- 26 étaient douteux (9,6 %) ;
- 89 étaient négatifs (33 %).
53Parmi ces séronégatifs, 62 furent confirmés parasitologiquement en 1996 et 1997 : y avait-il eu contamination après le prélèvement ? Certainement oui pour la majorité des 26 cas confirmés en fin 1996-début 97 (22 étaient en lre période). Le doute subsiste pour les 36 autres : seuls 13 étaient en 1re période (tabl. XXXIII), ce qui traduit un manque de sensibilité très important du micro-CATT.
54Sur 202 malades, découverts en 1995 dont nous connaissons l’ethnie : 15 % étaient négatifs au micro-CATT avec des différences significatives entre ethnies (tabl. XXXIV). Les malades mossi étaient négatifs à 34 % mais il n’y eut qu’un seul faux négatif chez les Bété.
55Il n’existe aucune différence significative entre la répartition des malades selon le stade de la maladie et les résultats du micro-CATT (tabl. XXXV).
Tableau XXXIV. Faux négatifs selon l’ethnie
Ethnie | T+ | micro-CATT< 0 | % |
Baoulé | 43 | 3 | 6,98 |
Bété | 5 | 0 | 0 |
Dioula | 48 | 3 | 6,25 |
Gouro | 68 | 7 | 10,29 |
Mossi | 38 | 13 | 34,21 |
56De même, il n’existe aucune différence entre la répartition des malades diagnostiqués par l’une ou l’autre des techniques parasitologiques en fonction du résultat du micro-CATT (tabl. XXXVI).
57Les deux laboratoires d’analyse ont des résultats très différents (tabl. XXXVII) : à Sinfra, sur près de 37 000 personnes prélevées, 63 étaient malades mais microCATT négatifs. Pour 12 571 examens aucun micro-CATT discordant n’a été trouvé à Bayota.
58Il n’y avait pas de relation entre ces résultats et l’éloignement du village car six bourgades seulement ont plus de 0,5 % de micro-CATT discordants et ce ne sont pas les plus éloignés.
59L’origine de ces faux négatifs est donc bien due à une question de conservation des confettis : soit le support n’est pas exactement adapté à la technique, soit il y a eu de la part des ASC un retard dans la livraison, soit une mauvaise conservation.
60Mais, il faut le rappeler, le micro-CATT n’est pas un test de diagnostic de certitude, c’est un test de tri très large. Le problème est peut-être plus grave quand il s’agit de tests de dépistage et de diagnostic.
Le test CATT
61Sur 550 sommeilleux ayant subi le test CATT 1.3 :
- 494 étaient CATT positifs (89,8 %) ;
- 19 étaient CATT négatifs (3,5 %) ;
- 37 étaient CATT douteux (6,7 %).
62En termes d’efficacité des examens de laboratoire, ces résultats peuvent entraîner une certaine inquiétude pour la lutte contre la THA.
63Si, comme cela a été suggéré – peut-être par souci d’économie – on ne suit pas les CATT douteux, on ignore près de 10 % de malades en première période qui représentent un formidable réservoir de parasites.
64Lors de la prospection médicale de janvier 1996 (tabl. XXXVIII), il n’y avait que 44 CATT douteux, soit moins de 0,5 % des examens, mais six malades parmi eux.
65Faire subir un test parasitologiques à chacun d’entre eux revenait, en utilisant la minicolonne, à environ 44 000 CFA. Vouloir en faire l’économie, n’aurait permis d’économiser que 2,2 % du budget « tests » de la prospection, soit 2 millions CFA (coût ne prenant pas en compte les frais de personnel, de carburant et de consommables).
Tableau XXXVIII. Le test CATT et les malades
Résultat du CATT | T+ | T | Total |
+ | 53 | 23 | 76 |
± | 6 | 38 | 44 |
- | 0 | 9 100 | 9 100 |
Total | 59 | 9 161 | 9 220 |
66La fiabilité, la spécificité, la sensibilité, des tests aujourd’hui utilisés pour le dépistage et le diagnostic de la maladie du sommeil peuvent remettre en cause toute campagne de lutte à grande échelle.
67D’une part, on ignore involontairement des malades qui, s’ils ne présentent pas de symptômes d’appel évidents, sont libérés après le test de dépistage et vont grossir le réservoir humain de trypanosomes.
68D’autre part, la faiblesse de ces tests peut remettre en cause les résultats d’une campagne de lutte antivectorielle. On ne peut préciser si les malades identifiés, pendant et après le contrôle des vecteurs, ont été effectivement contaminés avant ou pendant ce dernier.
69Dans le cas de cette campagne de lutte, doit-on accuser la lutte antivectorielle de ne pas avoir atteint son objectif au village de Nagadoua (voir page 150) alors que tous les indices entomologiques tendaient à montrer le contraire ? Les onze malades découverts là en fin de projet avaient-ils été infectés dans la zone traitée ? La réponse à cette question ne pourra malheureusement pas être donnée, mais elle permet de mettre l’accent sur l’absolue nécessité d’améliorer la qualité des dépistages et diagnostics.
70La lutte antivectorielle est une opération en elle-même compliquée non par l’utilisation du matériel de piégeage mais du fait des modalités de son installation. L’implication de la population, obligatoire pour obtenir rapidement le traitement d’une vaste superficie, oblige à accepter un résultat moins bon que celui qu’auraient pu obtenir des professionnels (mais en beaucoup plus de temps et pour un budget considérable). Cela revient à dire que la DAP zéro ne pourra jamais être obtenue. Par contre, les chances d’atteindre un très fort pourcentage de glossines infectées sont assurées ; par la même occasion, on peut être certain de l’assainissement quasi total du réservoir animal domestique. Mais, aujourd’hui encore, les examens parasitologiques laissent échapper un effectif non négligeable de malades. Les risques de poursuite de la transmission sont donc eux aussi assurés dans la mesure où il restera ici ou là quelques populations résiduelles de glossines, parfaitement en équilibre, donc susceptibles d’assurer un rôle de vecteur.
71La lutte contre la maladie du sommeil, nous l’avons dit en introduction, ne peut se concevoir qu’en associant le volet médical et le volet entomologique. Si ce dernier dépend, non pas du matériel mais de la capacité de la population à le gérer avec tout ce que cela comporte comme aléas, il faut au moins que les opérations indépendantes des villageois, comme le diagnostic parasitologique et clinique, puissent être beaucoup plus efficientes qu’elles ne le sont aujourd’hui.
DANS L’ORGANISATION
Les évaluations entomologiques
72Nous avons noté qu’il existe une discordance assez nette entre le niveau du risque de transmission et le niveau de la prévalence et ce uniquement aux alentours de Nagadoua. Nous devons en déduire que les pièges ont été installés dans des endroits qui ne pouvaient refléter la situation entomologique et épidémiologique. Pour illustrer cela, faisons remarquer qu’un piège placé dans un gîte particulièrement riche en glossines, où le contact entre l’homme et le vecteur était élevé, a été constamment volé durant les premières évaluations : à tel point que nous avons dû nous résoudre à abandonner ce site de capture.
73Par ailleurs, il est certain que la présence mensuelle du personnel chargé de la pose et de l’entretien des pièges d’évaluation pouvait être perçue comme un acte de surveillance des propriétaires des lieux se sentant alors obligés d’entretenir leurs écrans.
74Enfin, les captures continues de quatre jours ont certainement contribué à diminuer localement la population de glossines, faussant peut-être les résultats entomo-épidémiologiques.
75Ce qui revient à dire que pour les évaluations entomologiques, comme pour le choix d’une zone témoin (page 76), il est difficile de trouver des sites totalement représentatifs des conditions épidémiologiques. Toute intervention modifiant l’équilibre d’un site, entraîne des risques de mauvaise interprétation des résultats, en particulier dans le suivi du risque.
La supervision
76Il aurait été souhaitable qu’un superviseur réside en permanence dans le foyer pour assister les ASC, les guider et les conseiller. Ce rôle aurait pu être joué par des infirmiers s’ils avaient plus été motivés et moins occupés par leurs autres fonctions35.
77Il serait souhaitable qu’un assistant d’assainissement, qui aurait participé à la formation, puisse rester au coeur du programme de lutte pour motiver en permanence les ASC et que ceux-ci se sentent encadrés.
Les cases de santé
78À l’origine du projet, il était prévu, rappelons-le, que chaque village disposerait d’une case de santé et d’une caisse à pharmacie confiée aux ASC. La vente des médicaments aurait permis l’entretien de la case, de la bicyclette, l’achat de matériel et aurait aussi assuré un revenu minimal aux ASC.
79Dans un premier temps il avait été prévu d’acheter les caisses à pharmacie grâce aux cotisations de la population. Cependant, pour gagner du temps, mais aussi connaissant les mentalités des paysans, le médecin chef du district de Santé de Bouaflé a jugé préférable que la pharmacie de la Santé publique de Bouaflé fasse l’avance des médicaments et soit remboursée avec les premiers bénéfices de la vente des ASC.
80Lors de la seconde formation sur les SSP (mars 1995), un plan et des conseils avaient été donnés aux ASC pour la construction de ces Cases de Santé. À la fin de l’année, elles étaient presque toutes construites : les unes en ciment et toit de tôle, les autres en banco et toit de paille. Dans la plupart des cas, il ne manquait que les portes et les fenêtres, les paysans attendant le dernier moment pour les monter.
81En juillet 1997, aucune caisse à pharmacie36 n’avait été livrée et toutes les cases de santé étaient envahies par les herbes. Face à une telle situation, on peut comprendre à la fois les remarques des ASC sur des promesses non tenues et celles de la population accusant les ASC. Dans une certaine mesure, cette situation a engendré une certaine démoralisation des ASC, parmi les moins motivés, et un absentéisme de plus en plus évident des paysans dans toutes les activités de la lutte.
82Or, en fin de projet, cette absence des caisses à pharmacie entraînait inéluctablement la disparition du système de surveillance à un moment où il aurait fallu exercer un contrôle rigoureux dans les zones à fort risque de reviviscence.
83Toutefois, rendons hommage aux très nombreux ASC de Sinfra, qui, en 1999 étaient toujours à leur poste et continuaient leur tâche contre la maladie en assistant des programmes de recherches dans le département.
Notes de bas de page
32 La plupart du temps, ces ASC ont utilisé le matériel à des fins personnelles le détruisant sans assurer les réparations nécessaires. Le motif « vol » concernait l’un des ASC de Proniani qui a vendu les écrans.
33 Nous avons ainsi reçu des demandes de machettes, de médicaments, de batteries pour téléviseur portable, mais surtout d’argent pour financer les funérailles d’un parent, un voyage, une hospitalisation, etc.
34 Après explications, de l’argent aurait été « simplement réclamé » pour acheter des gants avant les prélèvements. Par la suite, nous n’avons enregistré aucune plainte concernant le personnel des laboratoires.
35 En réalité, du moins pour le laboratoire de Sinfra, c’est le garçon de salle qui a joué seul le rôle de conseiller des ASC et qui les a motivés en permanence.
36 Les caisses étaient stockées au laboratoire de Sinfra, mais vides ! En réalité, les médicaments étaient arrivés à la pharmacie d’approvisionnement de base de Santé rurale de Bouaflé mais avaient suivi un autre trajet que celui prévu.
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