Évaluation médicale finale
p. 145-152
Texte intégral
DANS LES VILLAGES
Participation de la population
1Pour cette prospection finale rien n’a changé par rapport aux précédentes. Il a été demandé aux ASC de mobiliser les villageois en précisant que cette visite était la dernière dans le cadre du projet.
2Un peu moins de 39 % de la population villageoise a été examinée (tabl. XXII) ; soit une baisse significative de la participation par rapport à la visite de janvier 96 durant laquelle 41,2 % des personnes avaient été examinées (e = 5,118, p < 0,001).
3Le désintérêt de la population est manifeste. Trop de prélèvements successifs dans le cadre du projet – mais aussi dans le cadre d’autres recherches – ont engendré un refus massif de tout contrôle. La lassitude y est pour beaucoup mais, plus vraisemblablement, la raison profonde est la conviction de l’inutilité d’un examen supplémentaire après les précédents et après la lutte antivectorielle.
Tableau XXII. Participation aux prospections
Période | Population | Visités | % |
déc. 1996-janv. 97 | 20 522 | 7 961 | 38,8 |
janvier 96 | 21 405 | 8 828 | 41,2 |
Prévalence
4Pour l’ensemble des 17 villages prospectés (les résultats sont regroupés dans l’annexe 16), 32 nouveaux malades ont été identifiés, soit une prévalence de 0,37 %.
5Ce résultat brut doit être nuancé, car les variations locales sont extrêmement importantes (fig. 52).
- Ainsi 11 sommeilleux ont été dépistés dans le seul village de Nagadoua [30], soit une prévalence de 2,05 %, en augmentation par rapport à janvier 1996.
- La prévalence est restée presque la même à Yaokro [42] et Prosiblanfla [33] au nord et à Zougourouta [46] à la limite est. Pour ce dernier village, l’ASC avait convoqué la population d’un hameau baoulé jamais visitée parmi laquelle ont été découverts 13 malades.
- La même situation se retrouve à Bolkro [13] : la moitié des malades (2/4) est originaire des hameaux baoulé très éloignés où les équipes se sont rendues pour la première fois.
6Ailleurs la prévalence a très nettement baissé (4 villages) ou même est tombée à 0 (8 villages).
7Parmi ces 32 malades, 13 étaient négatifs au CATT sur sang sec en 1995, 6 n’avaient pas été examinés et 13 étaient nouveaux venus (après les prélèvements des ASC). Aucun n’avait été revu plus tard ni par les ASC ni en prospection.
8Dans le village de Nagadoua [30], sur les 11 cas, 7 étaient négatifs au micro-CATT en 1995 ; parmi ces derniers, 4 étaient, début 1996, négatifs lors de la première prospection médicale (les 3 autres n’ont pas été revus). Parmi les 4 autres malades, on comptait un nouveau-né (né en 1996) et 3 nouveaux arrivants.
9Pour ce village, il est donc évident que la transmission n’a pas été arrêtée par la lutte antivectorielle, contrairement à ce que laissaient croire les évaluations entomologiques.
10Elle est confirmée par les examens parasitologiques lors du traitement de 25 des sommeilleux : 19 étaient en première période (76 %), signe que la transmission était encore active durant 1996, à Nagadoua, mais aussi autour de Prosiblanfla et de Yaokro.
11La comparaison (fig. 53) entre deux villages, Nagadoua [30] et Yaoyaokro [43] (prévalence = 0,14 %, 1 seul malade) est intéressante :
- ils sont tous deux situés en zone hyperendémique, à 5 km de Sinfra ;
- entre 1992 et 1994, les prévalences étaient identiques ;
- en 1995, après prélèvements des ASC, les prévalences étaient respectivement de 1,8 et 1,3 % (pas de différence significative) ;
- par contre, les taux de couverture par les ASC étaient de 63 et 86 % (différence significative ; e = 12,34 ; p < 0,001) ;
- au bout d’une année, la densité apparente de G. p. palpalis était de 2,79 autour de Nagadoua (après être montée jusqu’à 6 en saison des pluies) contre seulement 0,14 autour de Yaoyaokro.
12Ces deux villages sont donc totalement opposés sur le plan de la participation aux prospections, au dépistage et à la lutte antivectorielle. Les seuls à mettre en cause sont les ASC eux-mêmes23 et leurs relations avec la population.
13Celui de Nagadoua n’a pu mobiliser massivement sa population lors de chaque opération de lutte, contrairement à celui de Yaoyaokro. Les raisons possibles ne sont pas très nombreuses :
- l’âge des ASC : 50 ans à Nagadoua contre 25 à Yaoyaokro ;
- population gouro à Nagadoua, mossi à Yaoyaokro ;
- le nombre de campements n’est pas en cause : il y en avait 149 à Yaoyaokro contre 82 à Nagadoua (que l’ASC n’a pas tous mobilisés).
14Il faut cependant rapporter un fait important à la décharge de l’ASC de Nagadoua. Le terroir de ce village est occupé en grande partie par des planteurs venant de Sinfra et plus particulièrement du quartier Proniani. Très tôt après le début de la distribution d’écrans, nous avons appris qu’un des deux ASC de ce quartier (fils du chef de surcroît) vendait les écrans aux planteurs. Bien évidemment, les noms de ces planteurs n’étaient pas enregistrés et l’ASC se gardait bien de signaler que la réimprégnation des écrans devait se faire tous les quatre mois. Ce commerce illicite fait en cachette obligeait aussi l’ASC à limiter les explications pour l’installation. Peu de personnes ont donc acheté les écrans, peu sont revenus se faire servir après le licenciement de l’ASC et aucun de ceux qui avaient acheté le matériel n’est venu reprendre de l’insecticide.
15On peut comprendre dans ces conditions pourquoi la lutte antivectorielle a été très mal conduite dans ce secteur.
16Mais cela n’explique pas tout. Ainsi, pourquoi l’indice de risque calculé autour de Nagadoua était-il aussi bas (voir page 142), tendant à prouver un arrêt de la transmission comme à Yaoyaokro où elle a été effectivement stoppée ?
17Nous ne pouvons avancer qu’une seule hypothèse : le terroir de Nagadoua était beaucoup plus vaste que nous pouvions le prévoir avant la campagne ; lors de l’installation des pièges d’évaluation, une grande partie de ce terroir n’a pas été échantillonnée, apparemment là où les glossines n’ont pas été affectées par les écrans pour les raisons indiquées ci-dessus.
DANS SINFRA-VILLE
18Jusqu’à cette campagne peu de prospections médicales avaient été menées en ville et les problèmes qui se sont posés aux équipes ont été nombreux :
- manque de place pour les rassemblements (nous avons travaillé dans des cours d’école sans ombrage, des mosquées ou même au niveau de carrefours !) ;
- mauvais recensements, ou recensements incomplets, de certains ASC donc beaucoup de difficultés pour identifier les personnes qui se sont présentées ou pour recenser les nouveaux arrivants ;
- absentéisme maximal des chefs de famille allogènes qui ont envoyé leurs épouses (avec les enfants), lesquelles étaient souvent incapables de dire le nom de leur mari (ou ne voulaient pas le dire) ;
- manque d’intérêt des enseignants alors que nous étions installés dans leur école ;
- refus catégorique du test sérologique de la part de nombreuses personnes simplement venues par curiosité ;
- fréquentes insolences des jeunes vis-à-vis du personnel ;
- et, paradoxalement, trop de monde à visiter dans certains quartiers24.
198 714 personnes ont été examinées, chiffre auquel il faut ajouter 6 946 élèves directement prélevés dans les écoles, lycées et collèges25. 55 malades ont pu être identifiés, soit une prévalence de 0,35 %.
20Comme nous l’avons déjà signalé précédemment, le taux de couverture calculé d’après nos chiffres ne signifie pas grand-chose : 15 660 visites sur 26 856 personnes inscrites (58,3 %). En réalité, nous avons dû examiner à peine le tiers de la population.
21Dans ces conditions, il est difficile de discuter de la valeur de la prévalence et de ses variations (tabl. XXIII).
22En 1995, la surveillance exercée par les ASC donnait une prévalence de 0,40 %, mais il faut ajouter les malades qui se présentaient directement au laboratoire et qui ont été découverts sur un effectif très réduit (< 100), ce qui donne une prévalence approximative de 0,92 %.
23Si nous faisons le même calcul début 1996, la prévalence estimée était de 2,44 % alors que le résultat de la prospection début 1997 donne 0,35 %.
24Dans le quartier Douafla que nous avons suivi depuis 1992, la prévalence est passée de 1,5 % en 1995 à 1 % en 1996 et 0,78 % en fin de projet.
25Il semble y avoir une certaine amélioration mais nous ne saurions assurer qu’elle est réelle, faute d’évaluations exhaustives.
SITUATION DE LA THA DÉBUT 1997
26Dans la figure 54, nous dressons le bilan de la situation après la dernière visite de janvierfévrier 1997.
27La situation s’était très nettement améliorée sur la majeure partie de la zone du projet. Mais il restait encore des secteurs à risque comme le terroir de Nagadoua [30] ou des personnes à risque comme les habitants de Sinfra-ville.
28Les conséquences étaient de deux ordres :
- autour de Nagadoua, il subsistait un risque important de poursuite de la transmission pour toute personne s’y rendant pour cultiver, la lutte antivectorielle n’ayant pas totalement réussi ;
- partout ailleurs, les malades citadins, non dépistés, pouvaient de nouveau créer une situation épidémiologiquement dangereuse dans les secteurs voisins où ils ont des champs et où immanquablement les populations de glossines se réinstalleraient peu à peu.
29La THA restait donc un problème sérieux dans la ville de Sinfra du fait de ses habitants. Bien après la fin de projet, plusieurs dizaines de malades ont encore été découverts, le plus souvent par dépistage passif. Or, ces malades ont assuré la dissémination du parasite aux vecteurs — dont les populations sont de nouveau en pleine croissance – non seulement dans leur propre exploitation mais aussi dans les zones où la THA était bien contrôlée.
30Cela est d’autant plus inquiétant que pour « lutter » contre l’endémie il ne reste plus à Sinfra qu’un garçon de salle, compétent mais isolé, pour pratiquer les tests et très peu d’agents susceptibles de poursuivre la surveillance avec lui. À cela s’ajoute la démobilisation des ASC villageois qui dans les zones à risque auraient dû exercer une surveillance et qui ne la feront pas, faute d’avoir reçu les caisses à pharmacies promises par les services de Santé.
Notes de bas de page
23 Dans les deux villages les ASC n’étaient pas en couples depuis le début.
24 Dans le quartier Dioulabougou 3, alors que pour des raisons administratives les équipes étaient réduites de moitié, nous avons visité plus de 2 400 personnes entre 7 h et 18 h. Ces personnes étaient originaires du quartier et de tous les quartiers environnants (surtout allogènes), venues se faire examiner quand même avant la fin de la mission, ayant certainement entendu parler du nombre de malades dépistés auparavant.
25 Lors de cette prospection, sur un total de 9 494 enfants examinés, seulement 2 548 ont pu être retrouvés sur les listings des ASC, c’est-à-dire presque uniquement les enfants des villages. Cela démontre la complexité de la surveillance du milieu urbain où l’hétérogénéité de la population rend difficile le travail des ASC. En l’occurrence, les enfants examinés dans les collèges et lycées de Sinfra viennent de l’extérieur de la ville ou du département ; n’ayant pas sur place d attaches familiales ils demeurent anonymes, même pour le correspondant qui les héberge.
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