Lutte antivectorielle : résultats
p. 124-144
Texte intégral
DÉLIMITATION DE LA ZONE DE LUTTE
1La campagne de lutte antivectorielle devait :
- couvrir la zone de forte prévalence pour arrêter la transmission ;
- déborder de cette zone pour créer une barrière et limiter la réinvasion par des vecteurs venus de l’extérieur.
228 villages et Sinfra ont fait partie de la lutte contre la tsé-tsé (fig. 34). Parmi les villages, 10 ont participé pour constituer une barrière contre la réinvasion. Ont été exclus des villages qui, comme Bayota, sont extérieurs au foyer et où la distribution aurait concerné trop de paysans de la zone non endémique par rapport à ceux travaillant dans le foyer. Nous avons fait l’hypothèse que les propriétés de ces derniers seraient protégées par la lutte que mèneraient leurs voisins appartenant au foyer.
IMPLICATION DES PAYSANS
Effectifs
3L’identification des paysans susceptibles de participer à la lutte et la pose des écrans ont été étalées sur plusieurs mois.
4En novembre 1995, la distribution d’écrans a permis d’identifier 554 paysans supplémentaires non recensés (refus ou nouveaux arrivants). Sur 5 794 personnes :
- seulement 27 refus ont été notifiés : 2 paysans accepteront finalement les écrans mais en novembre 1996, en fin de campagne (tabl. XVIII) ;
- 291 chefs de famille n’ont pu être rencontrés immédiatement (voyage, maladie).
5Cet effectif sera réduit à une centaine au bout d’un an, certainement des paysans partis définitivement ou des hommes n’étant ni planteur ni cultivateur ; 298 paysans ou cultivateurs (5,1 %) n’avaient pas besoin d’écrans, compte tenu de la situation de leur exploitation. Ils ne seront plus que 123 en mars 1996 lors de la première réimprégnation, la plupart d’entre eux certainement convaincus de l’utilité des écrans pour réduire la nuisance des glossines.
6Compte tenu des départs, des décès, des arrivants, en novembre 1996, 5 383 paysans et cultivateurs participaient à la lutte dont plus de 96 % depuis le début. L’étude du taux de participation des villageois montre qu’il existe, au niveau des villages, une corrélation parfaite entre le nombre de personnes recensées (moins les décès, départs ou non-paysans) et l’effectif des participants (fig. 35). Ce n’est pas le cas pour les quartiers de Sinfra-ville. Une grande partie des non-participants étaient commerçants ou fonctionnaires : or on sait que ces derniers, non-agriculteurs professionnels, ont pour la plupart un champ de vivriers, une rizière ou des plantations. Le score obtenu par les ASC montre à l’évidence que la participation n’a pas été homogène.
7Comme pour les prélèvements, on note donc une différence entre la ville et les villages, dans les comportements respectifs des ASC et de la population. Au village, l’ASC connaît tout le monde et n’a donc pas besoin qu’un chef de famille se présente à lui pour savoir s’il a besoin d’écrans ou non. Au besoin, l’ASC va directement chez tous ceux qui doivent participer à la lutte. Par ailleurs, les villageois ont certainement été mieux motivés qu’en ville où la population est trop importante pour être vraiment sensibilisée. Enfin, presque inconnus dans leur quartier, les agents « citadins » n’ont jamais vraiment montré un enthousiasme aussi grand que leurs collègues villageois : l’incognito entraîne la démotivation et vice versa.
Matériel distribué
8Dès novembre 1995, 95 % des écrans « nécessaires » pour la lutte étaient distribués (tabl. XIX). Les distributions ultérieures seront justifiées par :
- l’arrivée de nouveaux paysans et cultivateurs ;
- la mise en culture de nouvelles rizières ;
- la nécessité de compléter le traitement d’une exploitation.
En fin de campagne, la moyenne d’écrans par paysan était de 2,3.
Tableau XIX. Les écrans distribués
Mois | Nb d’écrans |
nov. 1995 | 11 867 |
mars 1996 | 12 416 |
juillet 1996 | 12 532 |
nov. 1996 | 12 557 |
9Il existe une bonne relation, mais pas vraiment stricte, entre le nombre d’écrans distribués et le nombre de paysans d’un village : certains ASC ont distribué plus d’écrans que nécessaire (fig. 36).
10Dans 16 des 40 villages et quartiers (dont 7 quartiers de la ville), les ASC ont distribué en moyenne 2,7 écrans par paysan contre 2,1 ailleurs.
11On peut difficilement identifier l’origine d’une telle différence car cette distribution trop généreuse a eu lieu aussi bien en zone de haute prévalence qu’en zone de basse prévalence ou à Sinfra : il ne s’agit donc pas d’un problème de paysages différents exigeant un plus ou moins grand nombre d’écrans. Par contre, comme dans l’ensemble des quartiers de Sinfra les paysans ont reçu plus d’écrans que la moyenne, on peut supposer que les ASC eux-mêmes en sont à l’origine : soit du fait d’une mauvaise compréhension du mode de distribution, associée à une motivation assez faible ; soit du fait d’une plus grande pression de la part des paysans qui auraient exigé plus d’écrans que la normale ou bien pour récupérer du tissu ou encore pour être considérés comme de « grands paysans »19.
Implantation du matériel
12La majorité des écrans (> 72 %) étaient destinés à traiter des plantations (points d’eau en plantation, campements).
13En novembre 1996, 7 108 plantations étaient déclarées contre moins de 2 700 rizières (tabl. XX). Ce dernier chiffre est certainement en dessous de la réalité car la longueur des bas-fonds mis en culture, surtout en zone hyperendémique, permettrait de faire bien plus de rizières. Cependant, au moment de la distribution d’écrans, les agriculteurs travaillaient surtout dans les plantations et n’ont pas jugé utile de demander par la suite (n’osant pas ou n’y pensant pas) un supplément d’écrans lors de la mise en culture des bas-fonds.
Tableau XX. Exploitations traitées
Mois | Plantations | Rizières |
nov. 1995 | 6 057 | 2 304 |
mars 1996 | 6 835 | 2 557 |
juillet 1996 | 7 085 | 2 689 |
nov. 1996 | 7 108 | 2 698 |
14Si l’on détaille les lieux d’implantation des écrans on constate cependant que beaucoup de bas-fonds, cultivés ou non, ont pu être traités indirectement par le traitement des lisières d’une plantation jouxtant un talweg (tabl. XXI).
15En novembre 1996, sur les 12 557 écrans distribués, 37 % étaient placés en lisière de campements (ou d’abris), 23 % près d’un point d’eau et 40 % en lisière plantation/bas-fonds.
Les ASC peuvent distribuer les écrans et donner les conseils aux paysans, aussi bien, sinon mieux, que les équipes professionnelles. Les deux avantages qu’ils ont sur ces dernières sont de connaître tout le monde et de rester sur place pour parler à tout le monde.
16Il faut noter que le taux d’accroissement du nombre d’écrans distribués pour ces biotopes est le plus élevé (7 % contre 5 % ailleurs) et se situe vers le mois d’avril au moment des premiers travaux. Beaucoup de villageois ont quand même perçu l’intérêt de traiter ces gîtes permanents de glossines. Hélas, un peu tard, comme nous le verrons plus loin.
Redistribution d’insecticide et assiduité des paysans
17Lors des trois redistributions d’insecticide, nous avons retrouvé les comportements et attitudes déjà observés à Vavoua.
- La première redistribution, celle de mars 1996, a été relativement bien suivie puisque 83 % des paysans ont été revus par les ASC : soit 84 % des écrans théoriquement réimprégnés (fig. 37).
- La distribution de juillet a concerné moins de 70 % des paysans possédant 70 % des écrans.
- En novembre de la même année, 71 % des paysans se sont présentés (soit 72 % des écrans).
18L’explication de cette baisse d’assiduité ne peut être différente de celle que nous avions donnée après la campagne de Vavoua. L’effet à court terme des écrans a été favorablement perçu par la population. Une forte proportion des paysans s’est présentée à la redistribution de produit mais on note un certain désintérêt puisque la densité des vecteurs, donc de la nuisance, a été réduite : pour certains, il est devenu inutile de traiter. L’absentéisme s’accentue en juillet pour la même raison mais déjà on note que beaucoup d’écrans ont disparu ou ont été détruits. Le retour des paysans dans les plantations en fin d’année entraîne un léger regain d’intérêt pour les écrans mais insuffisant pour obtenir un effet efficace et durable.
19Il faut reconnaître que même avec une forte participation à ces redistributions, personne ne peut être certain que les écrans sont effectivement réimprégnés.
ÉVALUATION DE L’INSTALLATION DES ÉCRANS
20L’installation des écrans a été suivie dans 220 points choisis parmi les sites retenus pour l’évaluation entomologique (fig. 38).
- Cette installation fut rapide et relativement correcte au niveau des campements : 15 jours après la distribution, plus de 80 % des campements étaient protégés.
- elle a été plus laborieuse près des points d’eau car il faudra attendre deux mois pour que plus de 80 % d’entre eux soient protégés.
- Les bas-fonds ont été tardivement traités (80 % au bout de trois mois). On peut penser que le traitement de ces biotopes a été différé par les paysans car la campagne a commencé en novembre, période durant laquelle se situe la récolte du café et du cacao ; les écrans n’ont été mis en place qu’à partir de janvier ou février au moment où débutent les travaux de riziculture.
ÉVALUATION ENTOMOLOGIQUE AVANT TRAITEMENT
21En octobre 1994, en fin de saison humide, la densité apparente (DAP) sur l’ensemble de la région était relativement élevée pour une zone forestière : 6,75 glossines par piège et par jour. Cependant une étude plus approfondie montre l’hétérogénéité de la DAP selon les secteurs et selon les biotopes.
22La zone nord est peu peuplée en G. p. palpalis, deux fois moins que la zone sud (fig. 39). La principale cause est un réseau hydrographique moins dense au nord qu’au sud, la proximité de savanes incluses et, peut-être, une plus faible densité de peuplement humain avec tout ce que cela implique : moins d’animaux domestiques, moins grande disponibilité des hôtes potentiels, moindre fréquentation des points d’eau naturels.
23La DAP de G. p. palpalis suit les mêmes variations entre biotopes que dans les autres foyers forestiers.
24Elle est maximale en lisière de village (fig. 40), du fait de la proximité des bas-fonds et de la présence d’animaux nourriciers. On assiste là à un déplacement des vecteurs depuis des gîtes de reproduction favorables ( % de ténérales = 14 %) vers un biotope où les conditions climatiques moins propices sont compensées par une accessibilité maximale de la nourriture.
25Au niveau des bas-fonds, la densité est élevée mais il n’y a pas regroupement comme autour des villages : les gîtes sont étendus et la glossine a tendance à se déplacer longitudinalement à la recherche de nourriture ou de lieux de repos.
26À partir de ces bas-fonds, elles font des incursions dans les zones cultivées et se rassemblent soit au niveau des campements (DAP = 3,6) où la nourriture est accessible en permanence (humains, animaux) mais plutôt autour des trous d’eau utilisés par la population humaine (DAP = 5,1). Elles y trouvent là à la fois nourriture et conditions favorables pour la reproduction et une installation définitive.
27La présence d’un point humide favorise partout la pérennisation des populations de vecteurs : nous en prendrons pour preuve la différence entre la DAP au niveau de l’ensemble des campements (3,6) et la DAP dans les campements avec puits (4,3).
28Un point important doit être noté : la DAP dans un biotope fréquenté ou utilisé par un malade est légèrement inférieure (5,8) à la DAP des sites qui ne le sont pas (6,9). Il n’y a pas de relation directe et stricte entre la DAP et le risque : l’intensité du contact épidémiologiquement dangereux dépend de la composition de la population glossinienne –plutôt que de sa taille – et de la fréquentation du gîte par l’homme. Ainsi, un point d’eau fréquenté quotidiennement par plusieurs personnes est plus dangereux qu’un bas-fond : la population de glossine y est en équilibre, se reproduit et se nourrit sur place.
29Cela explique les situations épidémiologiques différentes entre le nord et le sud du foyer (fig. 41). L’indice de risque calculé pour le secteur nord est neuf fois moindre que l’indice calculé pour la zone sud. Au nord, le contact homme/glossine est moins fréquent qu’au sud du fait d’un réseau hydrographique plus lâche et/ou d’un peuplement humain moins dense : la cartographie montre clairement que la densité des campements est plus faible au nord qu’au sud. Or, on sait que la vie au campement entraîne une fréquentation accrue des points d’eau par l’homme.
30Nous verrons plus loin que la prévalence diffère aussi entre les deux secteurs.
31Le risque varie aussi selon les biotopes (fig. 42). Il est maximal autour des villages contrairement à ce que nous avons pu observer dans les autres foyers : la raison en est simple, à Sinfra, ces villages sont implantés près de bas-fonds toujours en eau et la population les utilise quotidiennement.
32Dans tous les sites fréquentés par un malade le risque est accru (r > 32 000) alors qu’il est 2,4 fois moindre ailleurs, pourtant pour des densités apparentes respectives de 5,8 et 6,9.
33Par contre entre deux points d’eau, l’un fréquenté par un sommeilleux et l’autre non, le risque passe de 255 000 (DAP = 9,5) à 8 500 (DAP = 6,4).
34Dans tous les biotopes le risque est important. Par rapport à un campement ordinaire (risque = 1), il double lorsqu’il y existe un puits. Il est 7 fois plus important dans un bas-fond et 11 fois plus près d’un point d’eau.
35Chaque ethnie a des comportements particuliers et subit un risque différent. Gouro, Mossi et Sénoufo travaillent dans les mêmes zones – les premiers ayant accordé la terre aux autres – cependant le risque est pratiquement nul pour tous les biotopes où nous avons pu identifier un propriétaire gouro alors qu’il dépasse 1 400 chez les Sénoufo (avec une DAP 2 fois moindre) et plus de 11 000 chez les Mossi. Cela ne signifie pas que les Gouro soient moins frappés par la THA, au contraire.
36La plupart d’entre eux ne vivent pas en permanence au campement mais fréquentent les mêmes endroits que les Mossi et Sénoufo et supportent les conséquences des comportements particuliers des autres groupes dans leur environnement.
37Ce n’est pas le cas des Baoulé regroupés en hameaux isolés des villages autochtones. Comme ils ne vivent pas en petits campements disposant de puits aménagés, ils subissent un risque inférieur à tous les groupes ethniques – voisin de 0. Par contre, le risque de 1 045 (fig. 43) a été calculé chez des Baoulé vivant au sud, au coeur du foyer, là où l’influence du groupe ne peut contrebalancer celle de leurs voisins allogènes.
RÉSULTATS SUR DOUZE MOIS
Résultats quantitatifs : la DAP
38Après un mois de lutte, sur l’ensemble de la zone d’évaluation, la DAP est passée de 6,75 à 2,23 soit 67 % de réduction (fig. 44). Cette réduction assez lente n’est pas étonnante puisque, à ce moment, environ 60 % des écrans étaient installés (voir supra). L’effet des écrans, associé à celui du climat, ramène la DAP à 0,94 au mois de mars (86 % de réduction) au bout de trois mois de lutte.
39La première et la deuxième réimprégnations paraissent avoir eu un effet car la DAP, malgré le retour des pluies, reste basse atteignant son minimum (0,74) en novembre 1996. La troisième réimprégnation par contre n’a pas d’effets car la DAP remonte dès le mois de décembre ; elle subit les effets de la sécheresse vers février 1997 mais atteint tout de même 3,7 en juillet après 20 mois de piégeage.
40Les variations mensuelles de la DAP sont plus faciles à observer sur la zone d’évaluation permanente20 (fig. 45). La réduction est continue jusqu’au sixième mois de lutte (> 85 % en juin 1996). La réimprégnation de juillet ne peut contrebalancer les effets du climat de la saison humide où reproduction et réinvasion permettent aux populations de G. p. palpalis de se reconstituer. Il faudra attendre décembre 1996 pour parvenir à près de 90 % de réduction, dus autant sinon plus à la sécheresse qu’aux écrans. À partir du début 1997, le matériel de piégeage n’a plus qu’un effet minime : la DAP va surtout subir les effets du climat sec et remonter à presque 6 en juillet.
41Les différences observées entre l’ensemble de la zone d’évaluation et la zone d’évaluation permanente laissent supposer que les effets du piégeage n’ont pas été homogènes.
42La figure 46 illustre l’hétérogénéité des résultats.
43La réduction a été rapide en secteurs à faible prévalence (s2 et N) où la DAP était initialement faible (< 3). Au nord, on observe une légère remontée en saison des pluies, vite compensée par la réimprégnation. Dans tous les secteurs sud, où prévalence et DAP étaient élevées, le schéma est celui décrit plus haut, ce qui laisse supposer une fois encore qu il existe des disparités entre les circuits d’évaluation.
44Pour les mettre en évidence nous comparons (fig. 47) deux circuits de ramassage situés tous deux dans le sud du foyer en zone de forte prévalence : le circuit de Nagadoua et celui de Yaoyaokro.
45Les premiers mois, la réduction est équivalente dans les deux circuits mais à Nagadoua les populations résiduelles restent toujours 139 importantes au bout de six mois : DAP = 2,72 contre 0,86 à Yaoyaokro. La différence entre les deux circuits apparaît nettement à partir du 9e mois : à Nagadoua la lutte antivectorielle n’a plus d’effet alors qu’à Yaoyaokro la réduction de la DAP s’accentue. Elle atteindra 97 % au bout d’un an : les écrans étaient encore opérationnels.
46Au bout de 20 mois, à Yaoyaokro, les populations de glossines n’ont pu retrouver leur niveau initial (DAP = 0,67, soit 85 % de réduction) alors qu’à Nagadoua la DAP est supérieure à celle d’octobre 1996 (20,1).
Les lisières de villages
47Malgré une forte réduction dès le premier mois (86 %) qui s’est poursuivie jusqu’en mars (< 97 %), les résultats en lisière de villages sont décevants. Contrairement à ce qui fut observé à Vavoua, la densité n’est jamais descendue au-dessous de 1 (fig. 48).
48Les causes de ce demi-échec peuvent être imputées à la fois :
- aux ASC qui n’ont pas su où exactement placer des pièges21 et ont donc sousévalué le nombre de pièges nécessaires ;
- à la population qui a dégradé les pièges ou même les a volés (voir page 144).
Résultats qualitatifs : le risque
49L’évolution de la DAP est importante mais de moindre conséquence que celle du risque de transmission.
50Le piégeage a eu pour effet de réduire quantitativement les populations de glossines, donc de perturber un équilibre établi depuis longtemps. Cette perturbation a-t-elle entraîné une modification du comportement des populations résiduelles ? Une population numériquement moins nombreuse entretient-elle toujours avec l’homme les mêmes relations ?
51Le risque de transmission qui était de 37 000 avant la campagne de lutte, est passé à moins de 10 au bout d’un mois et s’est maintenu à moins de 1 jusqu’à la fin des opérations (fig. 49). C’est dire que le risque de transmission est resté nul pour l’ensemble de la population humaine, apparemment même aux alentours de Nagadoua où pourtant la DAP était assez élevée.
52Cette réduction drastique est due à deux phénomènes :
- la population humaine a été relativement bien protégée par les écrans, malgré les problèmes énoncés plus haut : les tsé-tsé, dont les ténérales, attirées par les écrans et les pièges, ont été réduites en nombre et ont été détournées de l’appât humain ;
- la compétition intraspécifique d’un point de vue alimentaire a été diminuée et les G. p. palpalis n’ont pas eu besoin pour se nourrir de se rabattre sur l’homme, se contentant des animaux.
Modifications du comportement alimentaire des glossines
53Avant le début de la lutte, près des points d’eau, nous avons compté 61 repas pris sur l’homme (pour 1 674 G. p. palpalis capturées), seulement 1 le deuxième mois (pour 586 glossines) et 2 (pour 665 glossines) après 20 mois.
54Quel que soit le biotope, les glossines, en nombre moins important durant la campagne, ont ainsi utilisé plutôt les animaux pour s’alimenter.
55En octobre 1995, le rapport p (repas de sang humain/total des repas identifiés) était de 0,35 ; mais 0,03 après 20 mois de lutte (fig. 50).
56Dans tous les biotopes fréquentés par au moins un malade (fig. 51), le rapport X (repas de sang humain/repas de sang animal) est passé de 0,78 à 0 entre décembre 1995 et juillet et décembre 1997. Entre ces deux dates, τ a diminué : de plus de 94 % autour des villages et dans les campements, de 89 % près des points d’eau et de 82 % dans les bas-fonds.
57Toutes ces observations laissent penser que, depuis février 1996 (2e mois de lutte), le risque de transmission était très faible pour l’ensemble de la population humaine, même dans les secteurs les moins bien traités.
58Nous verrons plus loin si nous pouvons obtenir une confirmation sur le plan parasitologique.
Dégradation des pièges
59Nous avons retrouvé à Sinfra le même problème qui a gêné partout les opérations de lutte par piégeage : le détournement et la dégradation du matériel.
60Ce problème ne concerne pas les écrans car, contrairement à ce qui s’est passé pour la campagne de Vavoua, nous avons distribué moins de matériel par paysan et ce matériel est resté localisé dans la propriété de la personne, donc moins exposé au vol22.
61Les pièges « Vavoua » ont eu à subir des « agressions » inévitables :
- souvent placés près des routes, ils furent vite recouverts de poussière du fait du passage des véhicules, quand ils n’étaient pas renversés ;
- le tulle moustiquaire, comme d’habitude et compte tenu de la forte pluviosité durant la campagne – même en saison dite sèche-, a rapidement verdi ; en outre le rayonnement solaire a aussi très vite « grillé » les fibres.
62Mais ils ont aussi subi les agressions humaines :
- dégradations à coup de machette, de pierre ou brûlures avec des cigarettes ;
- plusieurs exemplaires volés par des villageois sans que nous sachions à quoi ils pouvaient être destinés. Les placer au campement ou au point d’eau était trop risqué car trop visible. Récupérer les tissus ne sert pas à grand-chose, car les différents morceaux sont trop petits pour être réutilisés. Nous pouvons donc supposer que les vols étaient motivés par la récupération des parties métalliques, le cercle en fil de fer inoxydable et le piquet en fer à béton, tous deux utilisables discrètement.
63Cela dénote de la part de la population, et ce n’est pas spécifique à Sinfra, une mauvaise prise de conscience de l’intérêt des pièges. Peut-on en accuser les ASC ? C’est difficile car même si la sensibilisation a été bien faite au niveau villageois, il reste toujours quelques « irréductibles » pour commettre ces vols. Et l’on ne pouvait pas demander aux ASC de surveiller en permanence le matériel.
Notes de bas de page
19 Lors de la campagne de Vavoua, les distributeurs d’écrans les plus timides donnaient généralement plus d’écrans que les autres.
20 Dans cette zone d’évaluation permanente – située au cœur de la zone de lutte –, les captures ont été faites chaque mois avec 115 pièges disposés sur quatre circuits : un dans le secteur nord et trois dans le secteur sud.
21 Les pièges installés l’étaient correctement, aux bons endroits, mais d’autres biotopes ont dû être oubliés : à partir de ces derniers, il pouvait donc y avoir une réinvasion permanente.
22 À Vavoua des écrans devaient être plantés le long des routes et des chemins, ce qui permettait à de nombreuses personnes, attirées par le tissu, de se servir sans risque.
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