Ρrésentation du projet
p. 43-82
Texte intégral
OBJECTIFS
1Dans le projet Sinfra, nous avons conçu un protocole qui utilise toutes les ressources disponibles pour mener à la fois une intervention de longue durée et en profondeur, au plus près des villageois, et une intervention ponctuelle mais rapide pour, en profitant des résultats du système horizontal et en collaborant avec lui, limiter le risque d’épidémisation.
2Les centres de santé impliqués procéderont à un dépistage actif de toutes les personnes se présentant, qu’elles manifestent ou non les symptômes de la maladie. Ils superviseront le travail des ASC chargés du recensement, de la mobilisation des communautés et d’un premier dépistage immunologique. Les centres de santé se chargeront du diagnostic des cas suspects identifiés par les ASC. Les équipes mobiles verront ainsi leur tâche à la fois simplifiée et rendue plus efficace : meilleure présentation à la prospection laquelle sera focalisée dans les zones vraiment endémiques.
3Le projet Sinfra a eu pour objectif d’apporter des solutions à ces différents problèmes en testant un système qui soit le plus efficace et le plus rapide possible, tout en étant peu onéreux (fig. 6).
4Comment atteindre ces objectifs en réduisant les interventions des équipes mobiles, en remplaçant ces dernières par des hommes connaissant la région et les communautés rurales, mais surtout des hommes vivant au contact des malades ?
5Les seuls à répondre à ces différents critères ne pouvaient être que les villageois eux-mêmes : des villageois lettrés, formés spécialement sur la THA, si possible au fait de tous les problèmes de santé.
6Nous avons donc proposé au Programme spécial Pnud/Banque mondiale/OMS de recherches et de formation concernant les maladies tropicales de monter une campagne de lutte contre la THA :
- en intégrant la plupart des activités de lutte dans les soins de santé primaire ;
- en réduisant au minimum le personnel d’encadrement.
7Notre souhait était de montrer qu’une opération de ce genre est possible avec un budget modeste pour que les pays concernés par le problème de la THA puissent intervenir efficacement avec peu de moyens.
8Objectif n° 1 : montrer que des ASC peuvent aider à cartographier l’endémie par un recensement exhaustif suivi de prélèvements de sang analysés dans des dispensaires équipés du matériel nécessaire et tenus par du personnel formé à cet effet.
9Objectif n° 2 : prouver que les ASC peuvent rendre plus performantes les interventions des équipes mobiles en étant leurs avant-gardes intégrées dans la population.
10Objectif n° 3 : vérifier que des ASC peuvent prendre en charge toutes les opérations de la lutte antivectorielle.
11Objectif supplémentaire : installer effectivement les soins de santé primaire dans une région relativement déshéritée pour aider à l’amélioration de la santé, mais aussi tenter d’introduire le dépistage et le contrôle d’autres endémies à vecteurs (paludisme, schistosomiase).
ORGANISATION
Études préalables dans la zone de lutte
12Les résultats obtenus fin 1992 alertent les autorités et l’IPR entreprend de faire une cartographie d’une partie du département de Sinfra – englobant largement la zone d’endémie – pour des études épidémiologiques (voir fig. 5).
13Ce travail a été mené en trois mois par deux équipes comprenant chacune un auxiliaire cartographe de l’IPR et un guide local, utilisant deux vélomoteurs avec des compteurs hectométriques et une boussole.
14La carte a permis de placer par rapport à 20 villages déjà connus, 7 hameaux très importants, presque des villages, non portés sur les cartes IGN au 1/200 000 et 1 336 campements de culture évidemment non répertoriés jusque-là.
15Pour chaque campement de culture et les hameaux, les auxiliaires ont noté le nom des chefs de famille. Après la dernière prospection de 1993 leur total s’élevait à 2 258.
16Définir les limites de la zone de lutte, donc de la zone endémique, posait un réel problème illustrant ce qui vient d’être rapporté plus haut : où se trouvaient les malades ? Même après trois prospections médicales successives, on ne pouvait, avec certitude, faire la cartographie de l’endémie.
17La population visitée étant alors numériquement inconnue, on ne pouvait faire qu’une estimation de la prévalence, estimation d’autant plus grossière que l’absentéisme était très certainement important et que beaucoup de familles à risque ne s’étaient pas présentées aux visites.
18Nous avons alors choisi tous les villages et hameaux dans un rayon de 20 kilomètres autour de la ville de Sinfra (fig. 5) en espérant déborder largement sur l’épicentre du foyer. Nos seuls critères de choix furent :
- le nombre de malades découverts autour de certaines agglomérations (quand ce chiffre était connu) ;
- l’accessibilité des agglomérations ;
- le type d’habitat et le mode d’occupation de l’espace par l’homme.
19Pour ce dernier critère nous nous sommes basés sur les études faites dans les autres foyers et la relation assez stricte entre le niveau de la prévalence de la THA et la différence entre milieux socialement ouverts ou fermés se traduisant surtout par la densité des campements de culture (Laveissière et al., 1992, 1.994, 1997, 1999).
20Outre ces structures, il existe à Sinfra-ville, un Centre d’animation rurale (CAR), tenu par des sœurs missionnaires avec un dispensaire (médicaments essentiels, malnutrition, quelques vaccinations) et un centre de formation d’agents de santé et de matrones. Les agents de santé ont en charge une caisse à pharmacie et vendent les médicaments en s’approvisionnant au CAR. Le principe adopté par les sœurs n’est pas celui de l’État ivoirien : les médicaments sont vendus plus chers que le tarif officiel (pour subvenir aux besoins du centre) ; leurs agents ne sont pas ASC au sens du terme définis plus haut et certains sont illettrés.
21En pays bété, trois villages ont chacun un dispensaire opérationnel.
Le protocole
- Les soins de santé primaire n’étant pas encore installés dans la zone d’étude il a fallu tout d’abord informer la population et lui montrer l’intérêt de l’opération (voir p. 48) ;
- il fallait, après avoir identifié les ASC, leur donner une formation sur la THA et sur les SSP (p. 52) ;
- une fois équipés, les ASC durent recenser la population et effectuer des prélèvements de sang (p. 55 et p. 57) ;
- dans le même temps, des infirmiers devaient être formés et deux dispensaires équipés pour procéder à l’analyse des échantillons et aux visites de contrôle (p. 52 et p. 54) ;
- la cartographie « séro-parasitologique » de la zone terminée, une prospection médicale fut organisée pour vérifier les résultats et participer à l’assainissement du réservoir humain ;
- dans l’épicentre du foyer, la lutte par piégeage était alors confiée aux ASC (p. 66) ;
- au bout d’une année, la situation était évaluée par une ultime visite médicale de la population.
22Réduire le personnel d’encadrement et ses déplacements pour diminuer les coûts a été un souci constant. Mis à part les prospections médicales et les évaluations entomologiques, seules deux personnes ont eu en charge la supervision du projet. Elles ont été choisies pour leur motivation, leur dynamisme et leur connaissance de tous les problèmes liés à la lutte. Il entrait dans la responsabilité des infirmiers l’encadrement des ASC sur tous les aspects des prélèvements et du suivi des malades.
23En ce qui concerne la formation, le nombre d’enseignants aurait pu être réduit en utilisant les services de deux personnes compétentes. Cependant, ce projet étant le premier du genre, il n’a pas été possible d’identifier des personnes ayant les connaissances nécessaires pour enseigner à la fois les aspects cliniques de la maladie, le dépistage, l’entomologie, la lutte antivectorielle, la démographie.
Calendrier des opérations
24Les différentes opérations du projet ont été programmées en tenant compte de plusieurs facteurs (Annexe 2) :
- saisons, notamment le régime de pluies (pour la lutte antivectorielle) ;
- activités des populations et des ASC qui modifient leur disponibilité ;
- fêtes religieuses (notamment la période du Ramadan) ;
- disponibilité des partenaires (PRCT, BSR, base de santé rurale) ;
- certains événements survenus en cours de projet (par exemple, visite nécessaire des lycées et collèges de Sinfra du fait d’un absentéisme trop élevé).
Personnel et matériel
25Nous donnons ici le nombre de personnes ayant effectué les différentes opérations car nous avons cherché à montrer qu’un petit groupe pouvait réaliser une campagne de ce type, hormis les prospections médicales (tableau III).
26Il faut noter que chaque personne ne se cantonnait pas dans sa spécialité : ainsi un chauffeur pouvait effectuer les évaluations entomologiques et les prélèvements pour les tests sérologiques comme un chercheur ou un auxiliaire pouvaient conduire un véhicule et s’occuper des recensements.
LUTTE PARASITOLOGIQUE
Sensibilisation des villages
27En juillet 1994, une équipe de deux personnes a visité les 48 villages couverts par le projet pour rencontrer les chefs coutumiers, les notables, les responsables d’associations (jeunes, femmes, coopératives, etc.). Chaque village avait été prévenu 15 jours avant par un auxiliaire porteur d’une lettre du responsable du projet et d’une lettre du préfet invitant tout le monde à assister à l’exposé sur la THA.
28Comme dans toute rencontre de ce genre, la population ne s’est pas déplacée massivement. Les autorités villageoises étaient présentes, ou représentées, entourées des principaux notables et responsables d’associations. L’âge moyen de l’assistance était assez élevé (sans compter les jeunes enfants venus par curiosité). Les femmes étaient très largement minoritaires, mais les matrones étaient là ; quelques jeunes parmi les scolarisés, ou déscolarisés, assistaient et participaient activement aux discussions. A de rares exceptions près, le chef traditionnel était assisté des chefs des allogènes (baoulé, dioula, mossi, sénoufo) selon notre demande. Selon la taille du village l’assistance comptait entre 50 et 300 personnes.
29Durant cette entrevue ont été exposés de façon détaillée mais en termes simples :
- la gravité de la maladie, ses symptômes, sa transmission ;
- les problèmes posés par la THA dans la région ;
- les problèmes locaux de santé (rareté et éloignement des centres de soins) ;
- le rôle des ASC dans le dépistage de la THA ;
- les méthodes qui seront utilisées ;
- l’installation des soins de santé primaire et ses modalités ;
- la lutte intégrée contre la maladie du sommeil.
30La parole a été donnée aux villageois pour qu’ils puissent poser des questions. Celles-ci ont été nombreuses, portant principalement sur l’épidémiologie de la maladie, le coût du traitement, ses risques, la date de mise en place des cases de santé.
31Comme dans tous les foyers visités auparavant, nous avons pu constater que la maladie est assez bien connue, de même que la tsé-tsé, mais les paysans ne font pas la relation entre les deux. L’étonnement, voire l’incrédulité, suit l’exposé sur la transmission : la notion de « capacité vectorielle de la tsé-tsé » échappe totalement aux villageois alors qu’ils savent parfaitement que le moustique transmet le paludisme.
32Généralement, l’incrédulité est totale lors de l’exposé sur les méthodes de lutte anti-vectorielle : comment un simple morceau de tissu peut-il attirer et tuer la mouche ? Le traitement de l’infection est fort bien connu, les malades revenus au village ayant fait des rapports circonstanciés. Ces rapports ont attisé les craintes des villageois qui redoutent par-dessus tout, sans l’avoir subie, la ponction lombaire. Par contre, la mortalité due au traitement a rarement été évoquée en public ; or plusieurs malades sont décédés après la prospection médicale de 1992, et celles qui ont suivi, aussi les refus de se faire soigner ont été nombreux, preuve que la population était au courant. Ce problème ne resurgira qu’ultérieurement.
33En ce qui concerne l’éloignement des centres de santé, leur sous-équipement, l’inaccessibilité et le prix des médicaments, la population reste fataliste. Par contre, tout le monde est intéressé par la perspective d’une caisse à pharmacie villageoise, donc par l’accessibilité des produits de base.
34Le débat sur les modalités financières de l’installation de ces caisses n’a pas eu lieu : apparemment tout le monde est volontaire pour cotiser. Cependant, il ne faut pas se leurrer car cette opinion exprimée en public ne reflète pas la réalité. A titre d’exemple, dans le foyer de Vavoua, après une campagne de lutte, 94 % des paysans réclamaient la poursuite du piégeage, reconnaissant son effet sur les glossines, mais à peine la moitié acceptaient de prendre les frais à leur charge (Méda et Laveissière, 1992).
35La construction de la case de santé (photo 5) n’a pas non plus posé de problèmes aux villageois qui en ont accepté tout de suite le principe. La plupart des matériaux sont disponibles et « gratuits » (pisé, palmes pour le toit) et la main-d’œuvre est abondante.
36Nous avons ensuite demandé que le village identifie deux jeunes hommes pouvant devenir ASC donc possédant les qualités suivantes : lettrés, jeunes (entre 18 et 30 ans), dynamiques, désirant, dans un premier temps, travailler bénévolement pour la communauté. La plupart des villages abritant plusieurs groupes allogènes, nous avons précisé qu’il était souhaitable de choisir un ASC autochtone et un ASC représentant le groupe allogène majoritaire.
37Le bénévolat n’a pas fait l’objet de discussions particulières, même de la part des intéressés potentiels. Lors de la première visite, certains jeunes, déjà pressentis par les autorités, ont tout de suite refusé le rôle d’ASC : crainte des responsabilités, projets en cours, perspective de scolarisation ailleurs, etc. Mais les volontaires étaient plus nombreux sans que l’on puisse savoir exactement leurs motivations : responsabilités, reconnaissance d’un statut social plus élevé dans le village, perspectives d’un revenu.
38Nous n’avions fixé qu’une seule restriction dans le choix des villageois : l’ASC ne devait pas être fils d’un chef ou d’un notable (pour prévenir les abus). Cette consigne a été partout respectée sauf à Proniani, un des quartiers de Sinfra : ce sera le seul village où nous aurons de multiples problèmes de malversations et de détournements de matériel avec toutes les conséquences que cela implique (voir p. 149).
39En septembre, nous avons revisité les mêmes villages (2 équipes, 1 chercheur et 1 auxiliaire ou 1 auxiliaire avec chauffeur) et refait le même exposé en insistant surtout sur les détails pratiques de l’organisation. Les résultats de cette nouvelle réunion ont été généralement satisfaisants : un seul village n’avait pu identifier ses agents.
Désignation des ASC
40Les villageois furent libres de désigner leurs ASC dans la limite des critères imposés (voir ci-dessus).
41Ainsi qu’il fut précisé aux autorités, il fallait des personnes jeunes car le travail qui leur serait demandé exigeait une bonne constitution physique (déplacements à bicyclette). Il fallait des jeunes gens ayant été scolarisés : la partie « secrétariat » serait importante voire essentielle. Il fallait des personnes bénévoles : au début leur temps serait exclusivement consacré à la THA pour lequel il n’y aurait ni rémunération ni prime. Il fallait enfin qu’elles soient dynamiques pour avoir envie d’apprendre et de s’occuper d’autrui.
42Nous n’avions pas limité le choix des villageois aux hommes, mais seuls deux villages ont choisi chacun une jeune femme, deux jeunes matrones, qui se désistèrent avant même de recevoir la formation.
43Nous avons demandé deux ASC par village simplement pour éviter des problèmes liés à l’absence ou la maladie de l’un d’entre eux et pour bénéficier d’un effet d’émulation.
44Nous avons suggéré le choix d’ASC d’origine différente pour que la totalité de la population, autochtones et allogènes, soit sensibilisée et surveillée. La première campagne de lutte menée à Vavoua nous avait montré les problèmes d’ordre relationnel existant entre les autochtones forestiers et les ethnies allogènes, qu’elles soient ivoiriennes ou non. Nous avons estimé que seul un ASC, mossi par exemple, pouvait procéder à une bonne sensibilisation de son groupe parce qu’il connaissait sûrement mieux les campements de culture des Mossi qu’un ASC gouro ou baoulé.
45Nous avons dit plus haut que les sœurs missionnaires du CAR avaient formé des agents de santé. Ces agents auraient pu être recrutés mais, à l’exception d’un couple (village de Chantier [14], cf. fig. 5), aucun n’a été retenu : ils étaient soit illettrés, soit non intéressés par un travail bénévole. Certains ont créé des incidents après la nomination des ASC, par crainte de ne plus pouvoir faire de bénéfices sur la vente des médicaments ou tout simplement par jalousie.
Le cas de Sinfra-ville
46La ville de Sinfra constituait une sorte de défi. Ville de moyenne importance6, elle ne pouvait être laissée à l’écart du projet, compte tenu du nombre important de malades dépistés par voie passive depuis 1992. Cependant, il ne pouvait être question d’intégration du dépistage de la THA dans les SSP comme dans les villages puisque la ville est dotée d’un hôpital, d’un centre de zone de la BSR de Bouaflé, de deux pharmacies et de plusieurs dispensaires privés.
47Dès la mise en route du projet, nous avons contacté les chefs des seize quartiers pour leur expliquer notre intention de procéder à des dépistages en ville. Par l’intermédiaire de MM. le préfet, le sous-préfet et le maire de Sinfra, nous avons organisé une réunion où à peine plus de la moitié des chefs sont venus (seulement 9 sur 16).
48Comme dans les villages, nous avons exposé la situation et détaillé le protocole en demandant à chacun de trouver des volontaires qui seraient « agents trypano », totalement bénévoles, sans caisse à pharmacie. Les mêmes critères de choix étaient imposés aux chefs des quartiers.
49Il faudra attendre près d’un mois (décembre 1994) pour parvenir à réunir un nombre suffisant d’agents dans huit quartiers. Finalement un dernier groupe se présentera en mars 1995 (3 quartiers). Certains prendront à leur charge deux ou trois quartiers, mais la couverture de la ville ne sera pas uniforme, les quartiers résidentiels notamment n’auront jamais été ni recensés ni prélevés, à l’exception d’un seul mais qui le sera partiellement par l’ASC d’un hameau voisin venu spontanément poursuivre sa tâche ici après en avoir terminé avec sa population.
Formation des ASC et des infirmiers
50La formation des ASC s’est tenue au Centre d’animation rurale (CAR) des sœurs missionnaires (photo 6). Le CAR a mis à notre disposition deux salles de cours et un bureau. Les ASC durant la période de stage étaient logés dans quatre dortoirs, trois repas leur étaient servis au réfectoire : tous les frais ont été pris en charge par le projet.
51Les ASC villageois ont été partagés en 4 groupes de 20 à 22 pour un stage de 6 jours. La zone du projet découpée en quatre secteurs, les ASC de chacun d’eux ont été regroupés dans la même promotion pour faire connaissance et établir des relations qui se révèleront utiles pour la suite du programme.
52Le stage s’est déroulé en trois parties (Annexe 3) :
- cours théorique sur la maladie du sommeil (symptômes, techniques de dépistage, lutte antivectorielle, etc.) avec projection de films, de diapositives, distribution de documents ;
- aspects pratiques du programme de dépistage : recensement, prélèvements, avec exercices sur le terrain ;
- soins de santé primaire : cours d’initiation pour faire connaître aux ASC leur future tâche au village et pour qu’ils puissent poursuivre la sensibilisation des villageois. Pour renforcer la formation, nous avons fait venir deux ASC déjà formés pour la lutte contre la THA dans le département d’Issia (Laveissière et al., 1994a). Ces deux agents, logés avec leurs jeunes collègues, ont servi de répétiteurs : le soir exercices de recensement, exposés sur les différentes tâches de l’ASC, problèmes divers rencontrés sur le terrain. Leur rôle a été capital ; en utilisant des termes simples et en se fondant sur leur propre expérience, dans de nombreux cas, ils ont pu faire comprendre, ou même apprendre, certains points qui avaient pu échapper aux nouveaux agents. Ce sera particulièrement vrai pour le recensement.
53Une deuxième formation a eu lieu en mars 1995 et a porté exclusivement sur les soins de santé primaire, les principales maladies et les médicaments essentiels, sujets déjà abordés mais plus succinctement en novembre 1994. Ce stage n’a concerné que les ASC des villages non pourvus d’un dispensaire.
54Les deux infirmiers de Bayota et de Sinfra ont reçu, durant le mois de novembre 1994, une formation complète sur la THA (symptômes, dépistage, diagnostic, traitement, etc.) au Projet de recherches cliniques sur la trypanosomiase (PRCT) de Daloa. À la demande du médecin chef de la BSR de Bouaflé, nous avons financé le stage d’un troisième infirmier de Bouaflé avec le double objectif de renforcer l’équipe traitement de la base et d’aider l’infirmier de Sinfra. Cet infirmier, par la suite affecté au dispensaire de Binoufla [12], fut très utile pour les prospections médicales et le dépistage sur place dans les villages.
Installation des laboratoires
55Le protocole proposé exigeant l’équipement de deux laboratoires, le choix a été rapidement fait. Le Centre de la zone de Sinfra et le dispensaire de Bayota étaient géographiquement les mieux placés et les seuls à être suffisamment équipés. Ils disposaient notamment :
- de l’électricité pour permettre de conserver les réactifs et les prélèvements dans un réfrigérateur (déjà en place) ;
- de l’eau courante ;
- d’une salle pouvant être aménagée en laboratoire avec paillasse, évier, armoires, etc. ;
- d’une salle d’attente et d’un bureau.
56Outre des infirmiers diplômés, ces deux centres disposaient de personnel : un garçon de salle à Bayota, un garçon de salle et deux femmes bénévoles à Sinfra. Tout ce personnel s’initiera très vite aux différentes techniques et participera de façon efficace au programme de lutte. Cette intégration conduira le garçon de salle à remplacer intégralement l’infirmier de Sinfra lors du départ de ce dernier.
57Le matériel commandé en juin 1994 en Europe est arrivé à temps pour être mis à la disposition des infirmiers lors de leur stage. Ils ont pu ainsi travailler avec leur microscope et leur centrifugeuse et s’habituer à leur manipulation.
58Les deux laboratoires étaient opérationnels dès le retour des infirmiers, le 1er décembre 1994. La liste du matériel est donnée en annexe 3.
59Dans les deux locaux, certains petits aménagements ont été effectués (amélioration du circuit électrique, agrandissement des paillasses, confection de tables pour microscope, etc.) dont certains pris en charge par les médecins chefs des districts de Santé.
Recensement
60Nous avons tout particulièrement insisté auprès des ASC sur l’importance du recensement de la population pour le succès de la campagne de dépistage, pour la lutte antivectorielle et pour le suivi des opérations.
61L’atout majeur des ASC réside dans leur parfaite connaissance de leur propre communauté : ceci se vérifiera par la suite, lors des prospections médicales, pour l’identification des élèves et même de certains nouveau-nés. Il fallait donc leur donner une formation minimale afin que les données puissent être homogènes et exploitables pour le programme de lutte.
62Nous résumons ici toutes les consignes qui ont été données au cours de la formation (Annexe 5).
- toute la population doit être recensée, hommes ou femmes, jeunes ou vieux, aussi bien au village que dans les hameaux ou les campements7 ;
- aucune distinction ne doit être faite entre autochtones, allogènes ivoiriens ou étrangers, et ce quel que soit leur statut social : propriétaires terriens comme manœuvres, tous doivent être recensés ;
- chaque famille est recensée sur une feuille (Annexe 6) ; elle est identifiée par le nom du village de rattachement et par son numéro. Ce numéro doit être précédé de la lettre C pour distinguer les familles vivant en campement, par exemple C21 : famille vivant au campement n° 21 ;
- à l’intérieur de la famille, chaque individu est identifié par un numéro d’ordre. Le chef de famille porte toujours le n° 1 ; on enregistre successivement la première épouse (n° 2) et ses enfants (n° 3, n° 4, etc.) éventuellement leurs conjoints et leurs enfants ; puis on enregistre la seconde épouse et ses enfants ; viennent après la famille « directe » c’est-à-dire les parents éloignés vivant à la charge du chef de famille (père, oncle, cousin) avec leurs épouses et leurs enfants ; en fin de recensement, on enregistre les manœuvres qui travaillent dans ces familles, avec femmes et enfants.
63Pour chaque personne, les agents doivent noter :
- le nom complet pour éviter les homonymies particulièrement fréquentes dans certaines ethnies ;
- le genre : M ou F (pour masculin ou féminin) ;
- l’année de naissance (jamais l’âge) ;
- le statut, c’est-à-dire la position occupée dans la famille et, pour le chef de famille, sa profession.
64En ce qui concerne les homonymies, nous avons rencontré, en cours de projet, beaucoup de problèmes pour identifier certains cas suspects. À titre d’exemple, parmi les noms très fréquents : Ouedraogo Saidou chez les Mossi, Koné Saidou chez les Sénoufo, Traoré Adama chez les Dioula, Konan Kouakou ou Kouamé Awa chez les Baoulé. Certaines personnes refusent catégoriquement de donner le nom qui leur a été attribué par la famille (comme Noraogo ou Poussiga chez les Mossi) en plus du prénom chrétien ou musulman. Il faut beaucoup de patience et de temps pour enfin obtenir ces renseignements indispensables. Le recensement est beaucoup plus simple dans certaines ethnies, par exemple Gouro et Bété.
65Nous avons conseillé aux agents de recenser des familles de type nucléaire quitte à en multiplier le nombre plutôt que de recenser des familles telles qu’elles se définissent localement, numériquement trop importantes pour être surveillées.
66Grâce à ce principe, chaque personne peut être facilement identifiée par son « numéro de recensement ».
67Exemples :
68Djahkro 17/6 = 6e personne de la famille 17 du hameau de Djahkro,
69Douafla C21/1 = chef de famille vivant au campement 21 rattaché à Douafla.
70Les registres de recensement – de simples classeurs à feuilles perforées (photo 7) – devaient être régulièrement tenus à jour : départ, naissance, décès, changement de statut, etc. Sur les feuilles familiales une colonne « Observations » est réservée pour noter ces événements.
71Pour mener à bien cette tâche tous les agents ont reçu un premier lot de matériel composé d’une centaine de feuilles de recensement (Annexe 6) – dont un stock était en permanence disponible dans les deux laboratoires – de stylos à bille et de crayons, d’un grand classeur pour ranger les feuilles, d’un cartable en plastique pour le transport des documents durant l’opération.
72Pour faciliter leur travail – et permettre un transport rapide des prélèvements – chaque paire d’agents a reçu une bicyclette et un lot de pièces de rechange.
73Il leur a été précisé que cette bicyclette n’était pas attribuée à titre personnel mais appartenait à la communauté pour le programme de lutte et la case de santé. Nous enregistrerons malgré cela des plaintes, peu nombreuses heureusement, de la part de certains ASC : cette bicyclette pouvait être utilisée abusivement par l’un des agents, ou son père, ou encore « réquisitionner par le chef ».
Prélèvements
74Le premier volet de la campagne, le dépistage de masse, avait pour principal objectif de délimiter la zone d’intervention.
75Compte tenu des problèmes financiers évoqués plus haut, il n’était pas envisageable de faire intervenir des équipes mobiles : stratégie trop lourde et trop peu efficiente dans ce cas pour obtenir un résultat exploitable rapidement.
76Il nous fallait utiliser une technique simple, rapide, applicable partout sur une grande étendue. La solution résidait dans l’exploitation du travail de MIÉZAN et al. (1991) : le micro-CATT. Le principe en est simple : on recueille du sang sur des languettes découpées dans du papier Whatman n° 1 ; après dessiccation, des confettis sont découpés dans la partie imprégnée ; les confettis sont mis en élution dans du tampon ; l’éluat est mis en contact avec le réactif CATT.
77Cette méthode ne prétend nullement poser un diagnostic mais identifier le maximum d’individus sérologiquement positifs et établir grossièrement la carte d’endémicité. Le micro-CATT n’est pas un test très sensible mais, malgré ses imperfections ou les défauts que certains lui attribuent, reste une méthode de dépistage particulièrement avantageuse sur les plans coût et rapidité, comme nous le verrons ultérieurement.
78Le test avait été préalablement testé à grande échelle dans un foyer sub-endémique de la forêt ivoirienne, Issia. Dans cette région, 24 ASC, formés par nos soins, ont recensé 14 198 personnes et en ont effectué 9 452 prélèvements : 19 suspects sérologiques avaient pu être identifiés et parmi eux 2 malades (Laveissière et al., 1994a).
79Une fois le recensement achevé, chaque personne a eu à subir un prélèvement de sang à l’extrémité du doigt (Annexe 7).
80Avant de procéder à ce prélèvement, l’agent doit enregistrer la personne sur un registre spécial où sont mentionnés (photo 8) :
- le numéro du prélèvement et la date de confection ;
- le nom complet, le sexe, la date de naissance, le village de résidence ;
- le numéro de recensement de la personne.
81Tous ces renseignements sont dupliqués sur une feuille libre grâce à du papier carbone.
82Cela fait, l’agent reporte sur la languette de papier filtre Whatman (9 x 2,5 cm), le numéro d’ordre et la date du prélèvement, le nom raccourci, le sexe et l’année de naissance, le numéro de recensement puis le nom du village (fig. 7).
83Nous avons tout particulièrement insisté auprès des ASC sur l’importance de l’identification du confetti : la moindre erreur entraînerait des conséquences graves au laboratoire, par exemple la convocation d’une personne saine et l’oubli d’un malade.
84L’index de la main gauche, d’abord désinfecté, est piqué avec une lancette stérile ; le doigt dirigé vers le bas, la goutte de sang est recueillie sur la languette. La quantité de sang prélevé doit être suffisamment importante : il est préconisé de presser le doigt pour augmenter l’afflux de sang et imprégner la languette des deux côtés sur au moins un tiers de sa longueur. Cette instruction ne concerne pas les nourrissons : les ASC devaient seulement imprégner suffisamment de papier pour pouvoir y découper 5 confettis (photo 9).
85La languette est mise à sécher à l’ombre au moins une demi-heure ; elle est ensuite stockée dans un flacon étanche (type bocal de conservation) contenant un dessiccateur en cristaux colorés (photo 10).
86Les languettes ne doivent pas être conservées ainsi plus de cinq jours au village : aussi rapidement que possible elles doivent être adressées au laboratoire. Pour cela, elles sont soigneusement emballées dans une feuille de papier pelure sur lequel doivent être mentionnés le nom du village et la date de prélèvement. Le tout est enfermé de façon hermétique dans un sac plastique avec le double de la liste des prélevés. Arrivés au laboratoire les languettes sont entreposées au réfrigérateur où elles peuvent séjourner plus de 15 jours avant analyse.
87Les ASC n’ont pas reçu des instructions strictes, un protocole unique, pour effectuer les prélèvements, uniquement des suggestions à adopter et adapter en fonction des circonstances. Ils étaient libres, comme pour le recensement, de procéder comme ils le souhaitaient selon leur emploi du temps, les mentalités des villageois, les activités agricoles et les conditions de travail.
88Certains ont rassemblé des groupes de famille à une date convenue, d’autres ont préféré aller vers les familles et prélever en pratiquant le porte-à-porte. Généralement les prélèvements étaient faits le matin de bonne heure avant que les villageois ne partent au champ ou le soir au retour des travaux : quelques ASC ont installé leur matériel à l’entrée du village pour prélever le sang des retardataires ou des réfractaires.
89Les campements étaient généralement visités individuellement, les ASC se déplaçant à bicyclette avec le matériel rangé dans une petite caisse fixée sur le porte-bagages.
90Le plus souvent, le transport des prélèvements était assuré par les agents eux-mêmes qui en profitaient, à titre personnel, pour faire leurs achats en ville, et à titre « professionnel » pour prendre un supplément de matériel, recevoir la liste de leurs cas suspects ou encore accompagner ces derniers au contrôle. Mais, comme dans le foyer d’Issia, certains lots de languettes ont pu être confiés sans problèmes à des personnes de confiance se rendant en ville.
91Pour cette opération, les agents ont reçu un second lot de matériels dont la quantité avait été déterminée selon la taille de leur village ou l’éloignement du laboratoire (pour le réapprovisionnement) :
- 1kg de coton hydrophile,
- 1 ou 2 litres d’alcool,
- 250 à 1 000 languettes (matériel importé),
- 250 à 500 lancettes (matériel importé),
- 1 u 2 flacons de silicagel (300g/flacon),
- 1 portoir à languettes,
- 25 feuilles de papier carbone,
- 1 registre de prélèvements,
- 50 feuilles de papier pelure,
- 50 feuilles de papier blanc,
- 2 blouses,
- 1 lot de 100 sacs plastiques,
- 1 boîte étanche (stockage languettes vierges),
- 1 coupelle émaillée (flambage des lancettes),
- 2 petites boîtes plastiques (pour nettoyage et stockage des lancettes).
92La majorité du matériel a été achetée ou fabriquée sur place. Le portoir à languettes est un disque de bois dur (0 10 cm) dans lequel ont été enfoncés trois rayons de roue de bicyclette affûtés et légèrement inclinés, sur lesquels vont être enfilées les languettes imbibées de sang. Le registre de prélèvement est constitué de 50 feuilles ronéotypées agrafées avec une simple couverture confectionnée dans des chemises semi-rigides. Un stock de produits consommables, géré par les infirmiers, restait à la disposition des agents dans les laboratoires.
93Pour éviter tous problèmes vis-à-vis de la population ou critiques de la part des autorités, les encadreurs ont tout particulièrement insisté sur la nécessité de respecter les consignes d’hygiène (Annexe 7).
94L’agent doit se laver les mains à l’eau propre et au savon puis les désinfecter avec un peu d’alcool. Tout le matériel doit être maintenu propre et déposé sur une table nettoyée ou recouverte d’une nappe.
- Les lancettes utilisées doivent immédiatement être déposées dans une petite boîte plastique contenant de l’eau savonneuse ;
- après les prélèvements, ces lancettes sont rincées à plusieurs reprises dans de l’eau savonneuse, puis de l’eau claire, égouttées et stockées dans une autre boîte contenant de l’alcool ;
- avant chaque séance de prélèvements, les lancettes sont déposées dans une coupelle émaillée propre puis flambées avant d’être recouvertes d’un tampon de coton imbibé d’alcool ;
- le doigt des personnes doit être très soigneusement désinfecté avec un tampon d’alcool ;
- aucune lancette ne peut être réutilisée deux fois de suite sans être désinfectée ;
- après prélèvement, le tampon d’alcool est remis sur la piqûre.
Analyse des confettis
95Les languettes sont analysées au laboratoire selon leur ordre d’arrivée par la méthode de Miézan et al. (1991).
- Elles sont d’abord regroupées et agrafées par paquets de 10 ;
- cinq confettis (Ø = 5 mm) sont découpés dans chaque zone de prélèvement avec une perforatrice de bureau (photo 11) ;
- les confettis sont mis dans un alvéole d’une plaque à microtitration ;
- le numéro de chaque languette est reporté au fur et à mesure sur une feuille où figure la représentation de la plaque (voir Annexe 8) ;
- les languettes sont remises, dans le sac plastique, au réfrigérateur pour d’éventuelles analyses ultérieures ;
- 75 μl de tampon PBS sont déposés dans chaque alvéole et la plaque est mise à incuber à l’air ambiant (avec son couvercle) durant 30 minutes ;
- 8 μl d’éluat sont déposés sur une plage d’une lame multitests ; on y ajoute 8 μl de réactif CATT ;
- la lame est passée sur un agitateur orbital durant 5 minutes (photo 12) ;
- la lecture du résultat se fait à l’aide d’une loupe à main.
96En cas de positivité douteuse le test est refait sur le reste de la languette.
97La préparation et l’analyse des confettis sont les parties les plus longues et les plus fastidieuses du protocole. Au laboratoire de Bayota, deux personnes ont suffi (l’infirmier et un garçon de salle), compte tenu du faible nombre de villages qu’il couvrait. À Sinfra, le personnel fut vite débordé car outre la THA, le Centre de zone s’occupe du traitement de la lèpre et des vaccinations, sans compter les consultations et les soins. À cette équipe (l’infirmier, un garçon et deux filles de salle bénévoles), il fallut adjoindre le troisième infirmier formé sur la THA et trois auxiliaires pour traiter, le premier mois, les très nombreux prélèvements arrivant chaque jour. Après une période de rodage, plus de 1 200 languettes pouvaient être traitées quotidiennement.
98Notons que certains agents de Sinfra-ville et des bourgades voisines, particulièrement intéressés par le travail, sont venus spontanément (et bénévolement) aider le laboratoire à préparer les confettis.
Cas suspects et malades
99L’analyse des confettis terminée, l’infirmier responsable recopie la liste des cas suspects (CATT positif ou douteux) sur un registre. Il rédige ensuite une série de convocations nominatives portant le nom, le sexe, l’année de naissance et le numéro de recensement des cas suspects ainsi que le jour auquel ils devront se présenter au laboratoire pour des examens complémentaires. Compte tenu de leurs nombreuses autres tâches, les infirmiers fixent les rendez-vous un jour précis de la semaine où ils peuvent se consacrer entièrement au diagnostic.
100Les convocations sont remises à l’ASC lorsque celui-ci apporte un nouveau lot de prélèvements.
101L’ASC a la charge de rencontrer ces personnes pour leur donner la convocation et les convaincre de se rendre au rendez-vous en leur fournissant les explications nécessaires. Ce travail d’encadrement des cas suspects est une tâche essentielle des agents. Ils doivent être convaincants et rassurants : d’abord préciser que les tests sont effectués gratuitement ; sans être alarmistes, prévenir les personnes suspectes des risques qu’ils encourent ; recommander que celles-ci se fassent accompagner par les proches qui n’ont pas été prélevés, par exemple une mère et son enfant, un mari et sa femme. Les cas de contamination familiale étant extrêmement fréquents, cette pratique a permis de découvrir de nombreux malades qui avaient échappé au prélèvement.
102Nous donnons ci-après (fig. 8) le protocole utilisé à Sinfra et Bayota pour le dépistage/diagnostic des malades.
103La technique du CATT sur sang sec, pour la première fois utilisée à très grande échelle, présente une difficulté au niveau de la lecture. Aussi a-t-il été décidé de convoquer toutes les personnes dont le confetti donnait une réaction douteuse (on verra plus loin que parmi celles-ci figuraient plusieurs.malades).
104La palpation ganglionnaire et la ponction ganglionnaire (en cas de présence de ganglions) sont toujours faites en priorité pour réduire les coûts, surtout en minicolonnes, chez toutes les personnes CATT sang total positif et chez les CATT négatifs présentant des signes d’appel évidents (somnolence, amaigrissement, bouffissure du visage, troubles du comportement, etc.).
105Chez toutes les personnes non confirmées à ce stade, la minicolonne est alors utilisée.
106Si tous les tests parasitologiques restent négatifs, les cas suspects non confirmés sont à nouveau convoqués au bout d’un mois pour repasser une série d’examens. Si le résultat reste négatif, ils sont revus au bout de deux mois, puis de trois mois le cas échéant. À ce stade, le rôle de l’ASC est encore capital pour l’encadrement de ces personnes.
107Tous les six mois (juin et décembre 1995, juin et décembre 1996), l’ensemble des cas suspects a été revu par une équipe IPR/PRCT qui s’est rendue dans les deux laboratoires pour pratiquer des examens plus approfondis lorsque cela s’avérait nécessaire : CATT sang et plasma, double centrifugation, KIVI, QBC, ponction lombaire.
Traitement des malades
108Tous les malades dépistés ont reçu un certificat de l’infirmier précisant la date et le lieu de dépistage.
109En Côte d’Ivoire, seuls deux centres sont aptes à traiter gratuitement les sommeilleux : la base du district de Santé de Bouaflé (à 60 km) et le PRCT de Daloa (à 140 km). Leur éloignement du foyer a provoqué certains problèmes (sur lesquels nous reviendrons) : en effet, chaque malade doit se rendre, à ses frais, dans le centre qu’il préfère en se faisant accompagner par un parent et en apportant un stock de nourriture ; les frais sont donc multipliés par deux.
110Le traitement des malades suit les protocoles habituels : pentamidine (Pentacarinat®) pour les malades en lre période, Arsobal® pour les malades en 2e période ; éventuellement traitement au DFMO (Eflornithine®) en cas de rechute ou de résistance à l’Arsobal®.
111Les ASC ont, là encore, la charge de convaincre les malades de se rendre le plus vite possible dans un centre de santé en expliquant les risques encourus en cas de négligence.
Surveillance
112La qualité du travail des agents devait être surveillée en permanence par les deux infirmiers qui, le cas échéant, donnaient des conseils pour apporter les améliorations qui s’imposaient.
113L’équipe IPR a effectué plusieurs séjours à Sinfra pour encadrer et surveiller les opérations sur le terrain :
- vérification de la qualité des recensements ;
- entraînement aux prélèvements dans les villages ;
- enregistrement des recensements et des prélèvements pour évaluation ;
- enregistrement des nouveaux malades et cas suspects ;
- suivi de la participation de la population aux différentes opérations.
LUTTE ANTIVECTORIELLE
Objectifs
114Comme dans toute campagne de lutte, l’objectif est d’abord pratique. Il s’agit, dans un minimum de temps, d’éliminer le plus grand nombre possible de glossines (Glossina palpalis palpalis)8 pour interrompre la transmission et laisser ainsi le temps aux équipes médicales de dépister les malades en étant certaines que toute personne déclarée saine ne va pas être infectée une fois revenue sur son lieu d’habitation ou de travail. Il s’agit ensuite de maintenir la réduction des densités de vecteurs aussi maximale que possible, au moins une année, pour interrompre le cycle réservoirs-glossines-hommes.
115Maintenir la lutte antivectorielle plus longtemps est à la fois impossible et inutile :
- Les restrictions budgétaires (moins strictes dans le cas de la lutte contre les trypanosomoses animales du fait de sa rentabilité) imposent une limite dans le temps.
- Des études récentes (Penchenier et al., 2001) viennent de montrer que la durée de l’infection à Trypanosoma brucei gambiense chez l’animal, du moins chez le porc, est de courte durée : les porcs s’auto-guérissent en moins de 6 mois. Cela est confirmé par les observations faites dans le foyer de Vavoua après la campagne de lutte (1987-1990) : la lutte antivectorielle a drastiquement réduit les populations de glossines, durant deux ans et entre 1991 et 1997 aucun malade n’a été dépisté dans la zone couverte par la campagne. Compte tenu du fait que la densité apparente du vecteur, Glossina p. palpalis, est revenue à son niveau initial, si le réservoir animal conservait effectivement son infection, on aurait constaté une recrudescence des cas humains.
116Après cette campagne de lutte antivectorielle, la surveillance doit prendre le relais pour dépister les nouveaux cas et achever de ramener l’endémie à un niveau supportable.
117La campagne de lutte à Sinfra avait aussi un objectif technique : vérifier si des non-spécialistes, les ASC en l’occurrence, pourraient organiser les diverses opérations au niveau des villages, entraîner la participation des populations et obtenir des résultats fiables. Les essais pilotes effectués auparavant ont montré que les paysans peuvent lutter, par piégeage, contre le vecteur ; mais ces essais furent menés par des équipes spécialisées qui n’existent pas partout et qui généralement reviennent à un coût élevé.
118Cette campagne avait enfin un objectif scientifique. Des travaux antérieurs, menés dans le foyer ivoirien de Zoukougbeu, ont permis de mettre en évidence que le risque de transmission n’est pas homogène dans une région endémique (Laveissière et ai, 1997). Nous avons donc tenté de rendre la lutte antivectorielle très sélective en ne traitant que les biotopes à haut risque.
Principe
119Le principe adopté pour cette campagne est désormais classique :
- installation du matériel 2 ou 3 semaines avant la prospection médicale ;
- prospection médicale exhaustive pour assainir le réservoir humain ;
- réimprégnation régulière du matériel : 4 mois pour les écrans, 6 mois pour les pièges ;
- prospection médicale finale pour vérifier l’impact de la lutte antivectorielle sur la transmission.
120Les sites épidémiologiquement dangereux sont surtout les lieux humides : puits, trous d’eau, rizières, bas-fonds. Ces biotopes sont les principaux gîtes de reproduction à partir desquels les glossines se dispersent pour envahir tous les autres. La transmission, notamment celle de malade à malade, survient surtout là : en les traitant, on arrête la transmission localement et peu à peu on assainit l’ensemble de la région car tôt ou tard les tsé-tsé y reviendront.
121Nous avons aussi traité les campements de culture, où globalement le risque est plus faible mais où la population perçoit le plus la nuisance « glossines ». On ne pouvait convaincre les planteurs de traiter les zones humides sans en faire autant dans les endroits où ils ressentent le plus les piqûres de la glossine, même si celles-ci y sont moins nombreuses qu’ailleurs.
122Nous avons aussi assaini les lisières de villages pour plusieurs raisons :
- la nuisance causée par les glossines y existe ;
- par leur situation les villages peuvent servir de réservoir de vecteurs pouvant investir en permanence les zones traitées ;
- les tsé-tsé colonisant ces lisières viennent souvent des zones de plantations ou des bas-fonds proches ; sur place, se nourrissant exclusivement sur les porcs, elles entretiennent ce réservoir de T. b. gambiense. Si la tsé-tsé a peu tendance à quitter un biotope où elle trouve sur place une nourriture abondante et disponible en permanence, les porcs, par contre, peuvent divaguer loin du village ou bien être installés par leur propriétaire dans un campement de brousse. Il est donc impératif d’arrêter le cycle de transmission autour des villages pour laisser le temps aux porcs de s’assainir spontanément.
123L’installation des écrans et des pièges s’est faite en novembre 1995 :
- en fin de saison des pluies, pour limiter le lessivage de l’insecticide sur les tissus et laisser le temps au matériel de lutte de diminuer les populations de glossines ;
- au moment où ces populations de glossines sont les plus nombreuses car une réduction, même limitée, de la densité est immédiatement (et favorablement) perçue par la population, d’où un regain d’intérêt pour la campagne ;
- à une période de l’année où les glossines sont vieillissantes et donc plus sensibles au piégeage, d’où une réduction très rapide de la reproduction.
Matériels de lutte
124Comme pour la campagne de Vavoua (1987-1990), nous avons utilisé uniquement le piégeage pour lutter contre le vecteur Glossina palpalis palpalis :
- pièges type « Vavoua » pour les lisières de villages, installés par les ASC (photo 13) ;
- écrans « noir/bleu/noir » distribués aux planteurs (photo 14).
125Lors des préparatifs, nous avons rencontré quelques difficultés pour trouver de grandes quantités de tissus et surtout des tissus d’une qualité homogène. Lors des imprégnations on a pu ainsi constater des taux d’absorption variables selon les lots d’écrans, preuve que les tissus n’étaient pas absolument identiques. Certains tissus noirs de mauvaise qualité nous ont été livrés : une décoloration sous les effets du soleil après trois mois nous a obligés à changer certains pièges.
126Une innovation par rapport à la campagne de Vavoua réside dans le mode d’installation des écrans. Après la dévaluation du franc CFA, le fer à béton est devenu très onéreux, et les manipulations des potences en fer étant fort malcommodes, nous avons demandé que chaque planteur tende ses écrans sur deux piquets en bois (bois dur, comme des branches de caféiers) solidement enfoncés dans le sol (fig. 9) en faisant en sorte que le bas de l’écran se situe à 10 centimètres environ du sol (ce mode d’installation pourtant simple donnera quelques situations curieuses).
127Le matériel a été construit à l’IPR par une équipe de 5 tailleurs en trois semaines, mais la découpe des tissus (15 000 écrans – 250 pièges Vavoua) a été assurée par l’équipe de l’institut par souci d’économie (qualité et rapidité de la découpe, réduction des détournements, récupération des chutes) (photo 15).
128Le matériel, et particulièrement les écrans, devant être imprégné d’insecticide, comme par le passé, nous avons utilisé de la deltaméthrine (K-Othrine®) sous forme de concentré émulsifiable (CE) mais à 25 grammes de matière active (MA) par litre (contre 50 habituellement), cela pour en rendre la manipulation plus simple pour les ASC. La dose de matière active (MA) nécessaire pour un écran était de 90 mg, soit 3,6 cc de produit commercial CE 25 : volume plus facile à mesurer, avec moins de risque d’imprécision que les 1,8 cc, dose nécessaire si on utilise le CE 50.
129Les 15 000 écrans et les 250 pièges ont été imprégnés sur place à Sinfra en 4 jours par 26 manœuvres (encadrées par 3 membres de l’équipe IPR) travaillant de 8 h à l2 h 30 et de l3 à l7h 30, soit un total de 900 heures de travail.
130Trois heures étaient réservées chaque matin au pliage des écrans (de 4 000 à 4 500) (photo 16). Trois équipes de 3 personnes procédaient ensuite à l’imprégnation dans 3 cuves faites de demi-fûts de 200 litres (photo 17). Trois équipes (9 personnes) étalaient les écrans mouillés sur une aire cimentée (nouveau marché de Sinfra non encore ouvert au public) (photo 18). Les équipes se remplaçaient régulièrement. L’ensemble du personnel ramassait les écrans en fin de journée en faisant des paquets de 50.
131Le volume moyen d’insecticide dilué, absorbé par un écran, a été de 42,3 cc, soit au total 55 litres de produit commercial utilisés. La dose moyenne de MA par écran a varié de 83 à 98 mg : des écarts, acceptables, liés à l’hétérogénéité des tissus.
132Pour les pièges, qui peuvent rester actifs sans insecticide (les mouches piégées meurent sous l’action du soleil), nous n’avons pas recherché une grande précision : chaque piège absorbe environ 240 cc de mélange et la dose finale de MA a été de 434 mg/piège. Les pièges étaient simplement trempés dans une cuve en tôle contenant une dizaine de litres d’insecticide, puis mis à plat sur l’herbe pour séchage.
Formation des ASC sur la lutte
133Pour former les 65 ASC9 concernés aux aspects pratiques de la lutte antivectorielle nous les avons convoqués en 6 groupes soit à Sinfra, soit dans un village central. Chaque cours a duré environ 4 heures.
134La formation a inclus (Annexe 9) :
- résumé des activités de dépistage et cartographie de la maladie ;
- rappel de l’intérêt de la lutte antivectorielle ;
- présentation du matériel ;
- appel sur le mode d’action des pièges et des écrans ;
- mode d’installation du matériel ;
- sites à traiter ;
- mode de distribution des écrans aux planteurs ;
- exercices de distribution ;
- distribution de brochures, de documents et de papeterie.
Distribution des écrans aux planteurs
135Un des objectifs de cette campagne pilote était de vérifier si des ASC peuvent se charger de cette opération et mobiliser les planteurs, dans le double but d’accroître la rapidité des opérations et surtout de réduire les coûts, en diminuant les frais relatifs à l’organisation et en limitant le nombre de points à traiter aux seuls sites épidémiologiquement dangereux. Ce mode de traitement sélectif doit aussi ramener la charge de travail de chaque planteur à un niveau supportable, ce qui n’est pas à négliger quand on souhaite pérenniser sa participation.
136Chaque ASC a reçu un lot d’écrans calculé par la formule : nombre de planteurs recensés par l’ASC x 2,5 écrans.
137Au total, 13 040 écrans ont été livrés. Il restait 1 960 écrans disponibles dont la plus grande partie fut stockée au laboratoire de Sinfra.
138En Annexe 10 nous donnons le questionnaire type mis à la disposition des ASC pour distribuer les écrans. Nous avons essayé de schématiser au maximum pour simplifier leur tâche bien que chaque plantation ou chaque bas-fond soit un cas particulier.
139Le principe de la distribution est simple car l’ASC doit successivement noter :
- l’identité du paysan et son numéro de recensement ;
- le nombre de champs (plantations, vivriers, rizières) qu’il possède ;
- si ces champs sont bordés ou traversés par un bas-fond ;
- quel est l’environnement des rizières (bordées de forêt ou de plantations) ;
- le nombre de campements appartenant au chef de famille ;
- le nombre de points d’approvisionnement en eau utilisés.
140En fonction des réponses reçues, l’ASC distribue au paysan le nombre d’écrans nécessaire :
- 1 écran par petit campement (2 pour un campement important) ;
- 1 écran par point d’eau (photo 19) ;
- 1 écran à la limite plantation/bas-fond ;
- 1 écran à la limite rizière/forêt.
141Ne sont pas traités :
- les champs de cultures vivrières ;
- les rizières entourées de plantation10 ;
- les plantations sans points d’eau, ni campement, ni lisière avec une rizière.
142Pour enregistrer plus facilement leurs résultats, les ASC ont tous reçu la liste des paysans participants, dressée à partir de leur registre de recensement et imprimée à partir d’un listing informatisé11. Ils devaient simplement remplir les différentes colonnes (voir modèle en Annexe 11).
143Les fiches ont été collectées après la distribution pour analyser les résultats et les réactualiser pour les futures réimprégnations (voir ci-dessous).
Réimprégnations des écrans
144Pour la réimprégnation des écrans, les ASC ont reçu :
- un listing complet, réactualisé, des participants, mentionnant le nom, le numéro de recensement, le nombre de plantations et de rizières de chaque planteur, le nombre d’écrans reçus pour chaque biotope (voir Annexe 11) ;
- une éprouvette à pied (10 cc) en polyéthylène (incassable) ;
- l’insecticide pur correspondant au nombre d’écrans distribués ;
- un lot de petites bouteilles en verre, toutes identiques (une par planteur) pour contenir la dose d’insecticide nécessaire au planteur (photo 20).
145Nous avions prévu trois réimprégnations des écrans sur une année (mars, juillet, novembre), cependant, compte tenu de l’absentéisme dans certains villages, nous disposions d’un excédent d’insecticide qui a été distribué dans les secteurs les plus touchés par la THA.
146Pour chaque séance de réimprégnation, les ASC doivent :
- convoquer les personnes selon la méthode qu’ils préfèrent ;
- réactualiser le listing s’il y a de nouveaux participants (récemment installés ou absents lors de la distribution) ou si un paysan a ouvert un nouveau champ ;
- donner la dose d’insecticide pur dans la bouteille en verre : cette dose est égale à 3,6 cc par écran ;
- cocher le listing pour signaler la présence du paysan.
147Chaque bouteille de verre avait été marquée (par nos soins) par un trait tracé à la pointe diamantée indiquant le volume d’eau nécessaire pour imprégner un seul écran. Le paysan a reçu les consignes suivantes (Annexe 12) :
- verser le produit pur dans un seau propre ;
- mesurer autant de fois le volume d’eau, indiqué par le trait sur la bouteille, qu’il possède d’écrans puis verser cette eau dans l’insecticide pur ;
- plier les écrans une fois dans le sens de la longueur et trois fois dans la largeur de façon que les deux bandes de tissu noir soient juxtaposées ;
- tremper tous les écrans dans la solution insecticide en ne mouillant que la partie noire, jusqu’à ce que l’insecticide soit épuisé ;
- étendre les écrans pour les faire sécher au soleil sur une dalle de ciment, sur l’herbe ou sur un tapis de feuilles ;
- rincer le seau et se laver soigneusement les mains à l’eau et au savon ;
- remettre en place les écrans en prenant soin de désherber tout autour.
Traitement des lisières de villages
148Lors de la formation, nous avons demandé aux ASC de calculer, pour leur village ou hameau, combien il leur faudrait de pièges sachant qu’il faut traiter :
- les points d’eau communs du village et des hameaux ;
- les mares permanentes en bordure de village ;
- les lisières forêt/village ;
- les débouchés des chemins ;
- les gués ou ponts sur les bas-fonds proches du village.
149214 pièges ont été donnés et installés par les ASC : un stock restait à leur disposition au laboratoire de Sinfra pour améliorer le traitement. Un auxiliaire de l’IPR est passé dans chaque village pour vérifier la qualité de l’installation et rectifier les erreurs.
150Les pièges ont été réimprégnés deux fois en cours de projet (juillet et décembre 1996) par trempage dans la cuve. Les pièges déchirés ou volés étaient remplacés.
Évaluations entomologiques
151En octobre 1995, nous avons installé neuf circuits de pièges (25 à 34 pièges), au centre du foyer (la zone la plus touchée), pour évaluer les densités de Glossina palpalis palpalis avant le début de la campagne : 248 pièges ont ainsi été placés et les caractéristiques de chaque site de piégeage furent soigneusement notées.
152Bien qu’estimant que le suivi d’une zone témoin présente peu d’intérêt, nous avions l’intention d’installer des pièges dans le pays bété exempt de maladie du sommeil, notamment pour comprendre les raisons de cette absence. Les événements survenus durant la période électorale d’octobre/novembre 1995, ne nous l’ont pas permis et ce n’est qu’en décembre que nous avons pu choisir deux circuits de 15 et 17 pièges.
153Durant les évaluations, les pièges fonctionnent quatre jours consécutifs : les cages de capture sont ramassées et remplacées deux fois par jour (entre 9 et 10 h et entre 15 et 17 h) par des hommes montés sur vélomoteurs.
154Les glossines, rapportées au laboratoire de Sinfra, sont comptées par espèce (pour calculer la DAP), par sexe, puis disséquées pour :
- dénombrer les individus ténéraux ;
- déterminer l’âge physiologique des femelles ;
- recueillir les repas de sang.
155Les repas de sang ont été analysés au laboratoire de biologie cellulaire de l’Institut Pierre Richet pour identifier leur origine (humaine ou non humaine seulement) par la technique de Diallo et al., 1997. Les résultats obtenus ont permis de déterminer l’indice de risque épidémiologique (Laveissière et ai, 1994c) et de suivre son évolution dans le temps.
156Les évaluations ont été menées régulièrement chaque mois de décembre 1995 à février 97 (sauf juillet 96 pour raison de congés du personnel de l’IPR). Deux autres évaluations ont été programmées en juillet et décembre 1997 pour suivre la réinvasion de la zone traitée et l’éventuelle remontée du risque épidémiologique.
LES PROSPECTIONS MÉDICALES
157Deux prospections médicales ont été programmées :
- la première, en janvier 1996, avait deux objectifs : évaluer le travail des ASC et parfaire l’assainissement du réservoir humain ;
- la seconde, en décembre 1996, devait vérifier les résultats de la lutte antivectorielle.
158En réalité il nous a fallu faire trois missions successives (décembre 1996-janvier 97février 97), compte tenu de plusieurs événements : les fêtes religieuses (Noël et Ramadan) qui ne permettaient pas d’obtenir une participation massive de toute la population et les mauvais résultats dans Sinfra-ville qui nous ont obligés à visiter l’ensemble des écoles, lycées et collèges.
159Ces prospections ont été réalisées par les équipes de l’IPR (Bouaké) et du PRCT (Daloa) auxquelles se sont joints : des infirmiers des districts de Santé de Bouaflé et de Daloa, les infirmiers et garçons de salle des deux laboratoires. L’ensemble du personnel a été divisé en deux groupes. Chaque groupe était organisé pour que la chaîne de dépistage/diagnostic comprenne :
- Un secrétariat (photo 21) : deux personnes étaient chargées de l’enregistrement des personnes et de la réactualisation des recensements des ASC ; elles étaient assistées par l’ASC du village pour organiser l’attente de la population et préciser les identités. Chaque personne recevait à ce poste une fiche individuelle comportant son nom et ses prénoms, son année de naissance et son sexe, son numéro de recensement.
- Plusieurs postes de prélèvements (photo 22) : quatre ou cinq préleveurs collectaient les fiches individuelles et prélevaient le sang en tubes capillaires héparinés ; ces tubes étaient rangés par dix dans des portoirs et transférés avec les fiches vers le laboratoire.
- Un laboratoire sérologique (photo 23) : quatre laborantins effectuaient le test sérologique (Testryp CATT) sur sang total et (ou) sur plasma. Les fiches des personnes négatives étaient rassemblées périodiquement et un villageois devait appeler ces personnes une à une pour les libérer ; les personnes séropositives étaient conduites vers le poste diagnostic.
- Un poste diagnostic (photo 24) : deux infirmiers (ou médecins) s’occupaient des examens complémentaires sur les cas suspects : palpation ganglionnaire et ponction ganglionnaire en cas d’adénopathies, mini-colonne (mAEC) en cas de négativité de l’examen du suc ganglionnaire ; quelquefois, ponction lombaire lorsque tous les examens étaient négatifs alors que la personne présentait des symptômes évidents.
160Des personnels supplémentaires ont parfois participé à certaines visites médicales pour des recherches parasitologiques et immunologiques particulières.
161Pour améliorer le rendement dans certains gros villages ou dans les quartiers très peuplés de Sinfra, nous avons embauché quelques ASC parmi les plus dynamiques pour aider au recensement, au prélèvement et à l’encadrement de la population et des cas suspects.
162Chaque équipe commençait la prospection à 7 heures du matin et ne s’arrêtait que lorsque plus personne ne se présentait (entre 15 et 16 heures).
163Tous les chefs de village et les ASC furent préalablement avertis des prospections lors d’entrevues, puis par lettre du responsable du projet et enfin par une circulaire du préfet de Région.
164Comme motif de mobilisation supplémentaire, chaque équipe disposait d’un petit stock de médicaments pour traiter les affections bénignes, surtout chez les enfants.
165En février 1997, pour effectuer les visites dans un collège et un lycée (soit plus de 2 700 élèves), nous avons employé 15 ASC : par groupe de deux, ils devaient recenser les élèves de 2 ou 3 classes et prélever du sang sur languettes. Ceux des ASC qui ne prélevaient pas l’après-midi, découpaient les rondelles dans les languettes pour préparer le travail du lendemain des laborantins.
LES INDICATEURS
166Pour la partie médicale de la campagne nous avons utilisé des indicateurs classiques :
- le taux de participation (pour les prospections médicales) ou taux de couverture (en ce qui concerne les agents), soit le pourcentage de personnes visitées parmi la population recensée ;
- le taux de séroprévalence, soit le pourcentage de cas positifs aux tests sérologiques sur l’ensemble des examens ;
- la prévalence, soit le pourcentage de malades identifiés sur l’ensemble de la population visitée.
167Pour la partie entomologique nous nous sommes basés sur deux indicateurs :
- la DAP, ou densité apparente par piège et par jour, calculée en divisant le nombre total de glossines capturées par le produit du nombre de pièges et du nombre de jours de capture ; la DAP est calculée sur l’ensemble de la zone de lutte ou biotope par biotope ;
- l’indice de risque épidémiologique (Laveissière et al, 1994c) pour estimer le risque de transmission et en évaluer les fluctuations après traitement.
168Nous donnons ici son mode de calcul découlant d’études menées en forêt de Côte d’Ivoire.
169Seule la glossine ténérale (adulte venant de sortir de son puparium et non encore nourrie) peut s’infecter si son premier repas de sang est pris sur un hôte porteur de trypanosomes : le risque de transmision augmente donc avec la proportion, dans la population totale, de ces ténérales. Cette proportion est évaluée par leur densité, soit le nombre capturé t divisé par le nombre de pièges p ayant capturé pendant j jours.
170En forêt de Côte d’Ivoire, il existe une relation entre l’effectif réel Ν d’une population et la densité apparente (DAP) estimée par piégeage :
171Ν = 323123 (DAP)
172La fraction ténérale Τ d’une population est donc :
173Pour qu’une glossine infectée puisse transmettre le trypanosome à son tour, il faut qu’elle puisse au moins survivre 20 jours, temps moyen pour que le parasite effectue son cycle chez l’insecte. Le taux de transmission sera ensuite d’autant plus élevé que la longévité moyenne sera plus élevée. Pour évaluer le risque on doit donc prendre en compte deux fois le facteur longévité évalué par le taux de survie journalier (tsj) : il sera proportionnel :
- à la fraction survivante au bout de 20 jours, soit (tsj)20 et
- à la durée moyenne du temps qu’il reste à vivre, soit-l/log(tsj).
174Enfin le contact Ρ entre l’homme et la glossine doit être suffisamment intense et (ou) régulier pour que l’insecte puisse jouer son rôle vecteur entre une personne malade et une personne saine. Si Ρ représente dans la population totale Ν le nombre de glossines gorgées sur l’homme et n le nombre d’individus dans un échantillon C (capturé par p piège en j jours) ayant un repas de sang humain dans l’intestin, on doit avoir la relation :
175P/N = n/C soit Ρ = Ν n/C où N= 623 (DAP) 1, 23 et DAP = C/pj
176soit, tous calculs fait :
177D’autres facteurs peuvent bien sûr influencer la transmission : facteurs externes comme l’importance des populations humaines et/ou animales infectées ; facteurs internes à l’insecte comme les symbiontes de l’intestin moyen, les lectines, etc. Mais les connaissances sur ces facteurs sont si faibles à l’heure actuelle que l’on ne peut malheureusement les prendre en compte.
178Le risque de transmission prend donc en compte : la taille Τ de la population ténérale ; la proportion Ρ de repas de sang humain pris par la population totale ; la proportion (tsj)20 de glossines atteignant la limite des 20 jours ; et la durée moyenne de survie (-1/log(tsj)) au-delà des 20 jours.
179L’indice de risque r peut alors se calculer de la façon suivante :
180r = k’ x T x P x (tsj)20 x (-1/log(tsj))
181soit en remplaçant chaque facteur par sa valeur :
182avec :
183t = nombre de mâles et femelles ténéraux,
184n = nombre de repas de sang humain,
185tsj = taux de survie journalier,
186C = nombre de glossines capturées,
187j = nombre de jours de capture,
188p = nombre de pièges utilisés.
189Toutes les études entomo-épidémiologiques menées dans plusieurs foyers de Côte d’Ivoire et du Cameroun montrent qu’il existe une forte corrélation entre le risque ainsi calculé et la prévalence de la maladie.
Notes de bas de page
6 Au dernier recensement de 1988, le département comptait 116 453 personnes, la sous-préfecture 72 149 et la commune 44 304.
7 Rappelons que par campement nous entendons l’habitat installé au cœur de la plantation et abritant cinq familles ou moins. Au-delà nous parlons de hameaux (6 à 20 familles).
8 C’est, dans la région de Sinfra, l’espèce dominante. De façon assez exceptionnelle, on peut trouver quelques Glossina pallicera pallicera et Glossina nigrofissca nigrofusca, deux espèces qui, sous les effets conjugués de la dégradation de la forêt et de l’assèchement du climat, ont tendance à régresser.
9 Voir le chapitre « Études préalables dans la zone de lutte ».
10 Car les lisières plantation/rizière sont traitées par le propriétaire de la plantation.
11 Pour ce « premier essai » nous avons préféré recopier toutes les données du recensement sur ordinateur pour un meilleur suivi des activités des ASC, pour une meilleure évaluation de la participation communautaire. Il est évident que les ASC auraient pu eux-mêmes dresser cette liste à partir
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