La maladie du sommeil et son contrôle
p. 15-29
Texte intégral
LA SITUATION AUJOURD’HUI EN AFRIQUE
1Trop longtemps négligée, la trypanosomiase humaine africaine (THA) est devenue un fléau en Afrique intertropicale (fig. 1) : en République démocratique du Congo (ex-Zaïre), en 1994, plus de 19 000 malades sont dépistés passivement et sûrement cinq fois plus sont laissés pour compte sur le terrain ; en Angola, au Congo, en Guinée, en Ouganda les chiffres ne sont pas plus rassurants.
2Cette résurgence trouve son origine dans plusieurs phénomènes concomitants :
- d’abord un arrêt presque complet de la surveillance sérologique et parasitologique, même dans les foyers historiques : cette « démission » des services de santé est due à la fois à :
- des problèmes économiques qui n’ont cessé de s’aggraver depuis les indépendances, réduisant les crédits destinés à la santé ;
- l’accumulation de nombreux autres problèmes sanitaires (sida, paludisme, maladies diarrhéiques, etc.) parmi lesquels la « trypano » n’était plus une priorité en santé publique ;
- des changements de comportements des populations devenues de plus en plus inaccessibles dans un habitat dispersé ;
- une formation des personnels sur la maladie de plus en plus en réduite ;
- des situations socio-politiques conflictuelles entraînant des déplacements massifs de populations ;
- une migration massive et incontrôlée des pays de type sahélien vers les zones plus humides ;
- un manque de surveillance de l’état de santé des migrants aux frontières ;
- une absence de politique en matière d’aménagement du territoire entraînant une déforestation massive et l’exploitation anarchique des terres libérées avec comme corollaire une forte augmentation de la densité de population et la dispersion de l’habitat.
3La Côte d’Ivoire n’a pas échappé au phénomène. Pays fertile et terre d’accueil pour les pays voisins, elle a mis en valeur ses blocs forestiers avec l’appui d’une forte main d’œuvre étrangère. Les crises économiques successives et une restructuration des services de santé au détriment de la médecine rurale ont favorisé l’épidémisation de l’endémie sommeilleuse. La préfecture de Sinfra, au centre du pays, est un exemple significatif (fig. 2).
4Jusqu’en 1990, les six cas dépistés par voie passive n’avaient pas de quoi alarmer. Mais dès 1991 les pouvoirs publics auraient dû être alertés : 35 cas s’étaient présentés spontanément dans les deux structures de soins de Côte d’Ivoire (Bouaflé et Daloa). Ce qui n’a pas été le cas. La première prospection médicale organisée en 1992 l’a été uniquement dans le cadre d’un programme de recherche : 144 malades étaient alors découverts parmi 5 500 personnes visitées. À partir de là, l’alerte fut vraiment donnée. D’autres prospections seront organisées en 1993 et 1994, mais selon le mode classique des équipes mobiles : visite non exhaustive dans le département, uniquement dans les villages où le nombre de cas était élevé ; pas de recensement préalable de la population ; oubli des hameaux reculés.
5Pour comprendre pourquoi on en est arrivé là, il est nécessaire de rappeler que la maladie du sommeil diffère des autres maladies, infectieuses ou à vecteurs.
6Elle n’est pas, comme l’onchocercose, une maladie par accumulation de piqûres d’insectes : une seule suffit. N’importe qui peut donc être infecté, n’importe où, à proximité de son habitation comme lors d’un voyage à l’étranger.
7Les symptômes d’appel sont tardifs : le trypanosomé peut vivre des mois, voire des années avec le parasite. Durant tout ce temps il est possible qu’il serve de réservoir pour le vecteur, la glossine.
8Les symptômes ne sont pas spécifiques : durant la première phase de la maladie – 1re période dite lymphatico-sanguine – le malade ne ressent que quelques poussées de fièvre mises sur le compte d’un « palu » ; le prurit ou les signes cutanés, classiquement décrits, passent la plupart du temps inaperçus. Seules les adénopathies cervicales (ganglions) pourraient alerter le médecin : encore faudrait-il que le malade se présente en consultation. Or, dans beaucoup d’endroits la population sait que la présence de ces ganglions est synonyme de trypanosomiase et la peur l’emporte sur la nécessité de se soigner.
9Les symptômes de la seconde période ne sont pas plus évocateurs de la maladie : seul un spécialiste pourrait poser un diagnostic de certitude – sans tests parasitologiques – mais à condition que le patient en manifeste deux ou trois, voire plus, ce qui est rarement le cas. Même parvenu au dernier stade, lorsqu’il a maigri, qu’il manifeste des troubles psychiques graves, le sommeilleux ne sera pas reconnu en tant que tel : la maigreur pourra être attribuée par ses proches à un sida ; les troubles du comportement à la folie ou à l’envoûtement. Finalement la mort survient et le malade aura été à l’origine de nombreuses contaminations, d’abord autour de lui, dans sa famille, parmi ses proches, ses voisins, puis dans l’ensemble de la communauté.
10Les caractéristiques épidémiologiques de cette maladie ne sont pas les seules en cause, il faut aussi tenir compte des problèmes posés par le dépistage et le diagnostic. Pour découvrir les malades, il faut des hommes formés, du matériel adéquat et des moyens pour se déplacer. Or :
- le personnel médical des structures sanitaires a, dans sa grande majorité, perdu le réflexe « trypano » et ne sait plus – ne peut plus – reconnaître un sommeilleux ;
- quelques infirmiers, les plus anciens, connaissent encore la maladie et détectent des malades venus en consultation ; généralement dépourvus de moyens modernes, se contentant de méthodes peu sensibles, ils n’identifient que les cas les plus touchés, aux symptômes évidents ; bon nombre de malades restent ainsi ignorés ;
- certains pays disposent encore d’équipes mobiles, avec du personnel formé et motivé, mais il leur manque souvent du carburant, un pneu... quand ce n’est pas le véhicule lui-même ;
- quand ces équipes existent, et lorsqu’elles disposent des moyens nécessaires, elles prospectent souvent en dehors des zones où vivent les malades et ceci pour diverses raisons :
- les rapports du dépistage passif sont imprécis ;
- les zones à haut risque sont difficiles d’accès pour des véhicules en mauvais état, voire inaccessibles une partie de l’année ;
- le message destiné aux populations à risque, éloignées des centres de rassemblement, ne leur parvient pas.
11Ce scénario est valable pour beaucoup de pays dont la Côte d’Ivoire malgré un nombre assez élevé de dispensaires et un réseau routier important : de très nombreux hameaux sont inconnus des services de santé et une grande partie de la population vit dans des campements de culture isolés et non cartographiés.
12Cependant les problèmes du dépistage/diagnostic ne sont pas seulement liés aux structures et aux moyens, les populations elles-mêmes sont en grande partie responsables.
13L’absentéisme est souvent excessif lors des visites médicales : les absents ne sont pas forcément ceux qui résident loin du village ou bien les allogènes ; les villageois eux-mêmes, le chef et les autorités souvent les premiers, se rendent ostensiblement au champ au lieu de se présenter aux infirmiers. Parmi les « fuyards » qui ont pu être visités bon nombre sont déjà infectés, donc réservoirs.
14En outre, dans certaines régions, la population est majoritairement constituée de migrants, en situation plus ou moins régulière, qui craignent tous les contrôles, y compris médicaux. Leur mode de vie les rapprochant des sites à haut risque de transmission, ils peuvent constituer un réservoir de parasites pour toutes les communautés. Leur participation est d’autant plus difficile à acquérir que leurs relations avec les autochtones sont souvent conflictuelles : ces derniers bloquent les messages de sensibilisation ou même empêchent physiquement la participation des « étrangers ».
15Ces migrants sont aussi accusés de tous les maux, dont celui de l’importation de la maladie : bonne excuse pour les autochtones de ne pas se présenter puisque la « trypano ne touche que les étrangers ».
16Les sommeilleux ignorant leur état, soit ne peuvent se déplacer vers un centre médical, par manque de moyens ou de motivation, soit refusent de se présenter aux rares équipes médicales. Ils iront peut-être consulter, mais tardivement, déjà parvenus à un stade critique.
17Les statistiques ne prennent souvent en compte que les malades dépistés par voie passive, d’où une sous-évaluation de l’endémie qui pousse les décideurs à ne plus la considérer comme un problème de santé prioritaire.
18Les sommeilleux, une fois le diagnostic posé, ne se font pas traiter immédiatement : les structures de soins sont soit inopérantes soit trop éloignées, ou bien la crainte du traitement est trop forte. Le risque que ces malades servent de réservoirs et propagent la maladie dépendra du stade de la maladie : risque élevé avec des malades en 1re période, risque faible pour ceux qui seront en seconde période. Quoi qu’il en soit, le taux de mortalité sera tôt ou tard élevé.
19Comment, dans ces conditions, mener la lutte ou même assurer une surveillance épidémiologique minimale ?
20Sans notification objective des cas au ministère de la Santé, on comprendra que les décideurs politiques ne puissent prendre les dispositions qui s’imposent. Or sans ces dispositions, les différentes structures ne peuvent mettre en route une action de surveillance, faute de moyens. Et sans surveillance, il ne peut y avoir ni dépistage ni diagnostic, donc pas de notification.
21En Côte d’Ivoire, lors de la première flambée du foyer de Vavoua, le ministre de la Santé pouvait-il mettre en place les structures d’un programme national de lutte alors qu’en 1978, pour l’ensemble du pays, 502 cas étaient rapportés officiellement pour une population à risque estimée à 4 millions, soit une prévalence de 0,01 % ! Un chiffre ridiculement bas par rapport aux dégâts provoqués par d’autres maladies.
22Il est alors souvent trop tard pour intervenir contre la THA dans un foyer actif. On ignore les limites de ce foyer, faute de prospections systématiques ; les crédits sont limités pour une intervention, parasitologique et entomologique, toujours coûteuse. La lutte se fait donc rarement, ou ponctuellement, grâce à des fonds étrangers. Le foyer de Vavoua, connu dès 1976, n’a été assaini par l’Institut Pierre Richet et le PRCT (Projet de recherches cliniques sur la trypanosomiase, Daloa) qu’à partir de 1987 grâce à des subventions de l’OMS et du Fond d’aide et de coopération français (FAC) (Laveissière et al., 1994b).
23Même si les crédits sont disponibles, la complexité technique de la lutte est telle que, dans la plupart des pays, personne ne peut prendre la responsabilité d’une campagne, faute de formation adéquate.
24Il faut en premier lieu préciser les limites du foyer, ce qui implique de mener des prospections exhaustives dans une population connue, donc recensée. Il faut aussi répertorier l’ensemble des villages et hameaux dont certains, comme nous l’avons dit plus haut, ne sont pas connus, ce qui nécessite une cartographie même très sommaire.
25Recenser et visiter une population exige une phase d’information et de sensibilisation : les responsables potentiels ont trop peu de temps pour mener à bien cette opération dans chaque bourgade.
26Identifier les cas de THA exige de se rendre presque « au chevet » de ces malades, d’aller au cœur des zones à risque : les infirmiers ont eux aussi trop peu de temps pour cela ; n’étant pas toujours originaires de la région, ils ne connaissent ni les lieux ni les personnes.
27Le dépistage/diagnostic ne doit pas se limiter à une seule visite médicale dans chaque village mais doit se faire périodiquement pour examiner les cas suspects non confirmés, pour rencontrer les absents et ceux qui sont éloignés du lieu de rassemblement et, bien sûr, pour convaincre les réfractaires : cette continuité dans le temps ne peut être exigée des équipes mobiles qui, comme leur nom l’indique, doivent se déplacer continuellement. De toute façon, elles sont trop peu nombreuses pour couvrir au minimum une fois par an l’ensemble des villages.
28Enfin, l’une des phases essentielles de la lutte contre la THA est la lutte antivectorielle. Elle paraît évidente contre beaucoup d’autres maladies à transmission vectorielle (paludisme, maladie de Chagas), mais son application contre la maladie du sommeil a toujours été exceptionnelle.
29Pourtant, son but est d’anéantir les glossines infectées et de réduire le contact homme/vecteur tant que le réservoir humain et animal n’est pas assaini. Elle participe ainsi à la réduction de la transmission donc à celle du nombre de malades.
30En entomomologie médicale, l’arsenal des techniques de lutte disponibles contre la tsé-tsé est l’un des plus complets qui soit. Mais leurs défauts l’ont souvent emporté sur leurs qualités : trop chères, trop polluantes, trop lentes, trop spécifiques.
31Aujourd’hui, seule la technique du piégeage est considérée comme l’unique solution possible du moins pour le domaine forestier : simple mais efficace, rapide mais non polluante, peu onéreuse si son application est déléguée aux communautés rurales. Pourtant sa mise en place n’est pas aussi aisée que certains le croient – et quelques échecs en apportent la confirmation. Si l’on veut suivre les protocoles testés lors de campagnes de lutte pilote et obtenir une efficacité maximale, il faut impérativement :
- d’abord, connaître les sites de transmission pour réduire la quantité de travail et de matériel ;
- ensuite, convaincre les bénéficiaires, les populations rurales, d’utiliser le matériel de lutte ;
- enfin, entretenir l’effort de lutte suffisamment longtemps pour parvenir aux objectifs fixés.
32Ces trois points exigent, comme pour les prospections médicales, du temps et surtout des hommes qui connaissent les lieux et les populations.
33On comprendra alors sans peine que, dans une Afrique en proie à une multitude de problèmes de tous ordres, la maladie du sommeil, sans campagne de lutte ni même sans surveillance minimale, soit redevenue un fléau contre lequel néanmoins on doit agir.
34Mais comment agir sachant que les moyens financiers, humains et logistiques sont réduits à leur plus simple expression ?
PRINCIPES DE LA LUTTE CONTRE LA MALADIE DU SOMMEIL
35Lutter contre l’endémie sommeilleuse exige une intervention aussi rapide que possible – ce qui dans la plupart des régions désormais touchées est quasi impossible – pour limiter les pertes en vie humaines et réduire les dépenses sur des budgets déjà limites.
36Cette intervention doit être de type pluridisciplinaire : médicale d’abord pour délimiter les zones endémiques, même grossièrement ; démographique pour préciser la taille des populations à couvrir ; entomologique pour supprimer les insectes infectés et arrêter ainsi la transmission ; médicale de nouveau pour diagnostiquer le maximum de cas et procéder au traitement.
37Les outils susceptibles d’être employés existent déjà depuis plusieurs années : malgré leurs imperfections, ils sont utilisables à condition de mettre sur pied des protocoles adaptés aux conditions des régions à assainir. Ainsi le test CATT®, (Magnus et al., 1978), dont la sensibilité et la spécificité sont pourtant loin d’être parfaites, reste la base du dépistage de masse : mais son utilisation est souvent limitée par l’absence de réfrigérateurs dans la majorité des centres de santé périphériques. De même, pour lutter contre la mouche tsé-tsé, on dispose de plusieurs modèles de pièges, certainement perfectionnables, mais qui ont fait leur preuve dans plusieurs campagnes pilotes : le problème reste de savoir qui les installera et comment.
38Les protocoles de lutte doivent tenir compte de tous les facteurs énoncés plus haut :
- manque de personnel formé ;
- manque de ressources financières ;
- indisponibilité des équipes mobiles pour une surveillance continue ;
- dispersion et (ou) inaccessibilité des populations à risque ;
- hétérogénéité de ces populations ;
- difficultés à mobiliser les communautés rurales.
39dépit de tous ces handicaps, on ne pourra endiguer l’endémie que si l’on a :
- délimité la zone touchée par l’endémie ;
- recensé la population pour gérer au mieux les problèmes logistiques ;
- procédé à un premier dépistage séro-parasitologique de la population ;
- vérifié que tous les malades se rendent au centre de traitement rapidement ;
- identifié les personnes qui seront chargées de la lutte antivectorielle ;
- distribué correctement le matériel de lutte ;
- entretenu la campagne antivectorielle ;
- exercé une surveillance épidémiologique.
40Dans l’impasse où nous nous trouvons aujourd’hui, la solution ne pourrait-elle être apportée par les communautés ?
LES SOINS DE SANTÉ PRIMAIRE
41Les pays en voie de développement ont rapidement compris que la médecine hospitalière et un personnel hautement qualifié ne résoudraient que très partiellement tous les problèmes de santé des populations, particulièrement en milieu rural.
42Lors de la fameuse conférence d’Alma-Ata en 1978, les soins de santé primaire (SSP) ont été reconnus par 134 États comme la stratégie la plus efficace. Le vœu de l’OMS
43La santé pour tous en l’an 2000 reposait sur ce principe.
Les agents de Santé communautaire ont une triple mission : apporter des services de santé aux populations les plus reculées et les plus démunies ; leur faire prendre conscience de leurs besoins en matière de santé ; les aider à résoudre elles-mêmes ces problèmes. Les agents de Santé communautaire ont une triple mission : apporter des services de santé aux populations les plus reculées et les plus démunies ; leur faire prendre conscience de leurs besoins en matière de santé ; les aider à résoudre elles-mêmes ces problèmes.
44Lan 2000 étant passé, nul ne peut reconnaître que cet objectif est atteint, loin de là !
45À qui en attribuer la faute ? Aux SSP sur lesquels tous avaient fondé beaucoup d’espoir ? À l’irrationalité des projets pilotes destinés à les mettre au point ? Ou simplement à leur mauvaise utilisation ?
46En réalité il y a autant de concepts de SSP que d’États qui les ont mis en œuvre après l’initiative de Bamako en 1987 ; notre propos n’est ni d’en faire ici une liste exhaustive ni de les comparer. On ne retiendra que la notion essentielle : depuis leur lancement les SSP doivent na lier l’absence de structures de santé rapprochées ou leur non-fonctionnalité. Leur principe directeur est le recours à des agents de Santé communautaires (ASC).
L’ASC et sa mission
47L’ASC, pour remplir cette mission, doit donc être un homme ou une femme, qui a reçu une instruction minimale (lecture, écriture, calcul), originaire de la région et choisi(e) par la communauté. Avec une formation adéquate sur un ou plusieurs thèmes, l’agent travaille à temps complet ou partiel sur les problèmes de santé. Il est responsable devant un supérieur hiérarchique dont il suit les instructions et auquel il doit rendre des rapports.
48Il est aussi responsable devant les autorités de la collectivité qui doivent former un Comité de santé comprenant les différents chefs traditionnels, les représentants des associations (coopératives, femmes, cadres, jeunes ou autres), les matrones, les représentants des cultes, les enseignants et les encadreurs agricoles.
49Le Comité de santé définit les priorités en matière de santé à partir des conseils techniques des ASC, assure les différentes opérations de gestion, soutient le travail des ASC face à la population.
50Le travail de l’ASC peut être totalement bénévole mais le plus souvent il lui est accordé une indemnité, soit par la communauté, soit par le service de Santé. Sur ce plan tout le monde s’accorde à reconnaître que le bénévolat est une impasse. D’un autre côté, dans la quasi-totalité des pays africains les budgets de santé sont trop restreints pour verser aux ASC une rétribution, même minimale.
51Ce handicap a pu trouver une solution dans le projet des cases de santé. Une case de santé est le poste médical le plus périphérique. C’est un local donné par les autorités, villageoises ou régionales, ou bien construit par la communauté pour abriter les consultations de l’ASC et son matériel. Dans certains protocoles, la case de santé héberge aussi les activités des matrones. C’est enfin le lieu de rencontre pour toutes les activités médicales des services de santé régionaux (vaccinations, contrôles de la lèpre et autres maladies infectieuses). Chaque case est dotée d’une caisse à pharmacie villageoise contenant un certain nombre de médicaments essentiels dont le nombre est défini par le ministère de la Santé. L’ASC est chargé de sa gestion (entretien, vente, réapprovisionnement).
52Le prix de vente de ces médicaments, comme défini en Côte d’Ivoire, est calculé de façon à rapporter un revenu minimal à l’ASC : 1/3 est réservé au renouvellement du stock, 1/3 à l’entretien et l’amélioration de la case de santé, 1/3 à l’ASC.
53Les tâches de l’ASC, définies par les autorités de tutelle, peuvent être nombreuses et variées :
- prévention en donnant les conseils utiles notamment en matière d’hygiène et de salubrité ;
- dépistage précoce de certaines affections pour orienter rapidement le malade vers un centre de santé ;
- assistance aux femmes enceintes ou aux blessés par exemple ;
- suivi de la mère et de l’enfant ou des personnes sous traitement ;
- traitement des affections bénignes ou des plaies ;
- enregistrement des consultations et des traitements administrés, des naissances...
SSP et ASC dans d’autres domaines médicaux
54Certains programmes, ponctuels ou nationaux vont bien au-delà de ces tâches simples. Les exemples étant trop nombreux pour être tous cités, nous retiendrons seulement :
- le traitement des cas de paludisme en Ethiopie (Ghebreysus et al., 1996), en Gambie (Menon et al., 1990) ;
- la lutte contre la schistosomiase au Cameroun (Cline et Hewletts, 1996) ou au Nigeria (Onayade et al., 1996) ;
- le suivi des épileptiques au Zimbabwe (Adamolekun et al., 1999) et en Arabie Saoudite (Alshammari et al., 1996) ;
- le dépistage de la lèpre en Inde (Viljayakumaran et al., 1998) ;
- la surveillance des maladies respiratoires en Bolivie (Zeitz et al., 1993) et en Inde (Bang et al., 1994) ;
- la lutte contre le ver de Guinée au Nigeria (Akpovi et al., 1981).
55L’ensemble de ces auteurs s’accorde à reconnaître l’effet bénéfique des ASC sur la santé communautaire. D’autres, peu nombreux, mentionnent des erreurs ou des abus et rejettent globalement l’idée des SSP, sans toutefois que l’on puisse savoir qui, de la stratégie ou des protocoles, étaient les moins adaptés.
56Hill et al. (2000) ont constaté qu’au début des années 1980, en Gambie, dans les zones d’implantation des SSP, la mortalité des enfants de moins de 5 ans était passée de 134 à 69 ‰ pour remonter à 89 ‰ en 1994-1996 lorsque la supervision des SSP a été plus ou moins abandonnée.
57Au Bénin, les conclusions de Velema et al. (1991) sont identiques : la survie des nouveau-nés est mieux assurée lorsque le chef de famille est régulièrement en contact avec un ASC.
58En Afrique du Sud, 88 % des traitements anti-tuberculeux ont été menés jusqu’au bout lorsque les malades étaient encadrés par des ASC, contre 79 % lorsque l’encadrement était assuré par du personnel infirmier (Wilkinson et Davies, 1997).
59La mortalité liée au paludisme des jeunes de moins de 5 ans a été réduite de 49 % et la morbidité de 73 % grâce au système des SSP (Menon et al., 1990).
60Dick et Henchie (1998) rapportent que l’implication des ASC dans le traitement de la tuberculose en Afrique du Sud a permis de ramener le coût de 3 600 (en clinique) à 720 rand.
61Kuhn et Zwarenstein (1990) rapportent que dans un programme de vaccination et d’allaitement maternel en Afrique du Sud, le taux de couverture des enfants est proche de 71 %.
SSP et la lutte contre les vecteurs
62De nombreux projets ont intégré les ASC pour le suivi de malades, le dépistage d’affections ou l’administration de traitements, mais bien peu, comparativement, les ont associés à la lutte contre les arthropodes vecteurs. Des essais ont été menés : en Inde par Narashimham et al. (1983) contre les vecteurs de la filariose de Bancroft ; en Amérique latine contre les Aedes (Chan et al., 1991) et contre la maladie de Chagas (Schofield et Dias, 1998) ; dans de nombreux pays contre les vecteurs de paludisme (Curtis etal., 1991).
63Les experts de l’OMS ont pourtant établi depuis longtemps les stratégies à adopter en matière de lutte antivectorielle au sens large (OMS, 1987) ou sur des endémies particulières comme la schistosomiase (OMS, 1985), stratégie basée sur les SSP. Plusieurs livres ou manuels ont été publiés pour préciser les techniques utilisables dans ce cadre (Curtis Ed., 1991 ; Mac Cormack, 1991 ; Rozendaal, 1997). Cependant, il est rarement question d’intégration réelle dans les SSP mais plutôt de participation communautaire (Das, 1991 ; Molyneux, 1983 ; Chan etal., 1991 ; Asonganyi et al., 1990).
64L’intérêt de la participation communautaire, dans la lutte contre la trypanosomiase humaine, avait été mis en évidence lors de campagnes pilotes réalisées en Côte d’Ivoire (Laveissière et al., 1985, 1994a), au Congo (Couteux et al., 1987) puis en Ouganda (Lancien, 1991 ; Okoth et al., 1991). En matière de lutte contre les trypanosomoses bovines, cette participation aurait dû paraître beaucoup plus évidente car les acteurs sont aussi bénéficiaires (Cuisance et al., 1992 ; Grundler & Kientz, 1993 ; Olubai et al., 1997 ; Swallow et Mulatu, 1994 ; Williams, 1993). Cependant, peu d’essais à grande échelle ont été réalisés jusqu’à maintenant.
65En résumé, on parle beaucoup de participation communautaire mais on l’utilise très peu. Manque de confiance ou problèmes insurmontables ?
Et contre la tsé-tsé ?
66Les pièges ou les écrans imprégnés d’insecticide peuvent être correctement installés par les communautés rurales, les premières concernées par l’endémie sommeilleuse. Il a été admis rapidement que les paysans peuvent lutter contre la mouche tsé-tsé : techniquement cette stratégie est tout à fait opérationnelle. Toutefois deux problèmes peuvent la remettre en question :
- sur le plan de la mobilisation, les efforts doivent être considérables mais avec un rendement relativement médiocre ;
- sur le plan financier, l’utilisation d’équipes professionnelles pour la sensibilisation, l’information, la mobilisation, la distribution et le suivi des opérations, est rédhibitoire pour le budget d’un ministère de la Santé.
67Des étrangers à la zone endémique, qu’ils soient africains ou européens, ne peuvent ni totalement convaincre ni mobiliser pleinement et encore moins surveiller et diriger en permanence une campagne de lutte. Dans la quasi-totalité des projets, il manque un échelon intermédiaire, l’interface entre les « promoteurs » et la population.
Verticale ou horizontale ? Quelle stratégie ?
68Selon les définitions de Kegels (1992), une structure verticale est très spécialisée ne s’attaquant qu’à un seul problème de santé pour en réduire l’impact. Inversement, la structure horizontale est polyvalente pour répondre à plusieurs problèmes de souffrance.
69La lutte contre la maladie du sommeil, depuis le temps de Jamot ou de Muraz, a toujours été de la responsabilité des équipes mobiles, strictement « verticales ». Les dispensaires ou hôpitaux de districts ont rarement été associés, même pour le traitement réservé aux hypnoseries. La stratégie est-elle bonne ou mauvaise ?
70Nier l’utilité des équipes mobiles revient à masquer les nombreux problèmes attachés au dépistage et au diagnostic de la maladie. Dans la plupart des situations, il faut des hommes spécialisés, techniquement bien formés, pour apporter les solutions. Il faut aussi, en cas de flambées épidémiques, une intervention rapide sur le terrain pour procéder à un examen aussi exhaustif que possible de la population. L’objectif essentiel est d’assainir au plus vite le réservoir humain pour limiter l’extension du foyer. L’avantage est d’examiner des malades qui s’ignorent car ne présentant pas encore de symptômes.
71Toute autre structure paraît encore inadaptée aujourd’hui, et cela pour de nombreuses raisons : trop souvent un manque de formation (mais cela pourrait être aisément résolu) ; la multiplicité des tâches qui limite l’intervention des médecins ou infirmiers au simple dépistage/diagnostic passif (quand les connaissances existent) ; l’immobilité forcée d’un personnel qui ne possède pas les moyens d’atteindre les contrées les plus reculées. En outre, les examens se font sur des personnes à un stade avancé de la maladie venues au centre de santé du fait de symptômes aggravés et qui entre-temps ont servi de réservoirs.
72D’un côté, les équipes mobiles sont indispensables mais sont extrêmement onéreuses : les frais en personnel, équipement, déplacement, entretien, ne peuvent permettre la création d’un nombre important d’équipes, parfois même font obstacle aux activités d’une seule. De l’autre, les centres de santé sont disponibles mais sous-utilisés dans la lutte contre la THA : souvent, ils ne disposent pas de l’équipement minimal nécessaire.
73Les équipes mobiles peuvent agir vite et efficacement mais les zones à couvrir sont si étendues que leur disponibilité est très réduite : certains villages ne sont pas visités plus d’une fois par an, parfois deux ans et le taux de couverture de la population n’excède pas 12 % en RDC (Ekwanzala, 1992) ou 15 % en Angola (Josenando, 1992). Par contre, les structures horizontales sont en permanence au contact des populations : mais chaque village ne dispose pas d’un dispensaire et, on le sait, la THA est une maladie du fond de la brousse !
74Dans ces conditions peut-on faire un choix ? Oui, à la seule condition d’adopter un système intégré. Avec la définition de Kegels, il suffit de concevoir une intervention conjointe d’« éléments » qui deviendraient complémentaires avec un objectif commun – lutter contre la THA – et organisés de telle façon qu’il n’y ait ni chevauchements, ni barrières et surtout aucune « zone » oubliée. Là encore, l’intégration pose un problème de définition et de nombreuses suggestions ont été faites par les chercheurs. Debrouwere et Pangu (1989), par exemple, préconisent la décentralisation du dépistage/diagnostic/traitement dans les centres de santé tenus par du personnel formé : ce personnel superviserait des ASC dont les deux vocations seraient d’installer des pièges à glossines et d’identifier les symptômes dans la communauté. Pour eux, les « unités mobiles » pourraient « éventuellement » être utilisées. Si ce protocole semble séduisant au premier abord, il faut objecter que :
- il existe peu de centres de santé dans les pays concernés,
- que leur répartition n’est pas homogène,
- que le personnel n’a ni la formation ni l’équipement et
- que cela impliquerait des surcoûts importants pour le recrutement, préconisé, de techniciens supplémentaires et spécialisés. On objectera encore, comme Mentens (1992), que moins de 25 % de la population fréquentent les centres de santé !
75Un autre obstacle s’oppose à l’intégration et surtout à la participation communautaire : le personnel de santé lui-même. Freyens et al. (1993) ont constaté qu’au Rwanda, 83 % des agents pensent que les communautés ne peuvent prendre des initiatives en matière de santé et quelles doivent être guidées, motivées, encadrées, informées et éduquées par la hiérarchie politico-administrative et sanitaire ! Globalement le personnel de santé répugne à laisser l’initiative aux communautés et refuse de perdre son « autorité ».
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