Résultats des travaux menés sur la pêche traditionnelle crevettière depuis 2003
p. 143-167
Texte intégral

© C. Chaboud/IRD
Introduction
1La pêche traditionnelle crevettière malgache est essentiellement présente sur la côte du canal de Mozambique (Chaboud et al., 2002 b). Sur cette dernière elle n’est pas répartie de façon homogène, son importance maximale est observée en baies d’Ambaro et de Narindra où se concentre le plus de villages de pêcheurs traditionnels à la crevette. Ces baies regroupent l’essentiel des engins de pêches les plus productifs du littoral et les différents acteurs de la pêche crevettière (pêche industrielle, pêche traditionnelle, pêche artisanale, collecteurs et mareyeurs) s’y côtoient ; elles sont également le lieu d’importantes migrations de travail saisonnier en direction de la pêche traditionnelle.
2En 2002, la décision a été prise d’encourager la recherche (PNRC) à collaborer avec les acteurs professionnels (pêcheurs traditionnels, industriels, collecteurs), les structures administratives (CSP14, administration des pêches, autorités communales), les ONG et les projets de développement dans le cadre du projet Zones d’aménagement concerté (ZAC), qui concerne trois zones de pêche traditionnelle (baie d’Ambaro, région de Morondava, baie d’Antongil). Son objectif est d’instaurer des normes de bonne conduite à l’ensemble du secteur et une cohabitation sereine entre les différents types de pêche. Afin de pouvoir impliquer le secteur de la pêche traditionnelle dans l’aménagement de la pêcherie crevettière, un programme d’enquête pilote a été lancé dans la baie d’Ambaro en mars 2003.
3Après quelques rappels méthodologiques, on présentera les principaux résultats de ce programme concernant l’effort de pêche, les prises et les rendements. On analysera ensuite la composition des captures par calibre commercial et longueur. Enfin, certains aspects biologiques sur la ressource (sex ratio, reproduction et recrutement) seront abordés. En conclusion, on proposera quelques recommandations d’amélioration du système de suivi statistique de la pêche traditionnelle.
Matériels et méthodes
Le système d’enquête
4Le programme d’enquête pilote lancé en 2003 dans la baie d’Ambaro s’est poursuivi au cours des années 2004 et 2005. Les enquêtes sont réalisées dans les villages d’Ankazomborona (au sud de la baie) et d’Ambavanankarana (au nord). La récolte des données se veut participative : elle s’appuie sur des membres d’associations de pêcheurs et non sur des enquêteurs professionnels.
5Une extension de cette expérience a été réalisée en baie de Narindra en 2005 ainsi que dans la région de Belo sur Tsiribihina (villages d’Ambakivao et Antsabora).
6Le système d’enquête utilisé depuis 2003 est différent de celui retenu lors de la phase 1 du PNRC en 1998-2000 (Domalain et Rasoanandrasana, 2001 a), notamment pour la mesure de l’effort de pêche désormais estimé à partir du comptage quotidien des sorties de pirogues.
7Un protocole tenant compte des résultats antérieurs a été défini. Deux à six fois par mois, des enquêtes sont réalisées pour chaque période de mortes-eaux et de vives-eaux15. Le nombre total de sorties de pirogues, par type d’engin, est recueilli pour ces jours d’enquête. Puis un échantillonnage stratifié est entrepris au retour des sorties de pêche : les prises de deux à trois pirogues pour chaque type d’engin sorti au cours de la journée sont relevées : captures en crevettes, poissons et camarons (P. monodon). Les captures de crevettes et poissons sont estimées par l’enquêteur au moyen d’un panier dont la capacité est connue. Le prix des crevettes est obtenu après vente auprès d’un collecteur. Des données sur la quantité autoconsommée ainsi que la destination et le prix des produits commercialisés sont collectées régulièrement. Des informations complémentaires permettent de caractériser l’engin de pêche (maillage en mm de côté dans les baies d’Ambaro et de Narindra, étiré dans la région de Belo sur Tsiribihina). Ces enquêtes sur les sorties visent à estimer les captures et rendements totaux et par engin.
8Un échantillonnage des captures de crevettes est aussi effectué pour avoir une image de leur structure par espèce, sexe et taille16. Les crevettes sont triées par espèce et sexe puis la LC est mesurée au 1/2 mm près à l’aide d’un pied à coulisse. Pour les femelles, les stades de maturité sexuelle sont déterminés de façon macroscopique à travers le cuticule, d’après l’échelle basée sur la couleur et l’aspect externe de l’ovaire (RAO, 1968 ; Subrahmanyam, 1965 ; Guitart et Fraga, 1980).
Les données disponibles
9La base de données relationnelles alimentée par les informations précédentes a été élaborée avec le logiciel MS-Access® et est composée de cinq tables principales : recensement, engins, effort par jour, captures, mensurations (Rasoanandrasana et Sandon, 2003).
10Les données couvrent trois campagnes de pêche, de mars 2003 à novembre 2005 à Ankazomborona et à Ambavanankarana. Pour la baie de Narindra, les sites enquêtés durant toute la campagne 2005 sont les villages d’Ampasibe et Antonibe. Pour la région de Belo sur Tsiribihina, les villages d’Antsabora et d’Ambakivao ont été suivis d’avril à novembre 2005. Plus récemment, des enquêtes ont été réalisées en baie d’Antongil avec la collaboration de l’ONG WCS17. Les expériences menées en dehors de la baie d’Ambaro sont trop récentes pour que leurs résultats intégraux puissent être exposés ici. On se limitera pour ces dernières à l’exposé de quelques éléments les plus significatifs.
11631 journées d’enquêtes ont ainsi été effectuées, dont l’essentiel dans la baie d’Ambaro (tab. 17). Au total, 6 228 pêcheurs ont été questionnés sur les résultats de leur sortie, soit 10 pêcheurs par jour.
Tableau 17
Effort d’enquête auprès de la pêche traditionnelle dans la baie d’Ambaro

Source : PNRC
12Deux recensements sont réalisés par an dans chaque site villageois, en haute et basse saison18. Sont alors comptabilisés les pêcheurs, les embarcations et les engins. Dans la baie d’Ambaro est également réalisé un recensement annuel pour la totalité des villages de pêcheurs (nombre de pirogues, de pêcheurs et des différents engins de pêche), afin de permettre l’extrapolation des estimations statistiques à l’échelle de la région19, des estimations de capture et d’effort de pêche obtenues dans les deux sites d’enquête. Les résultats des recensements pour la baie d’Ambaro sont présentés à l’annexe 1. Les annexes 2 et 3 présentent les résultats des recensements pour la baie de Narindra et la région de Belo sur Tsiribihina.
13La diversité des techniques de pêche prises en compte, dont la dénomination locale varie selon la région, impose un effort de standardisation linguistique et technique afin de pouvoir procéder à des comparaisons. La terminologie des engins recensés et la correspondance avec la terminologie standard des engins de pêche sont celles utilisées dans le chapitre précédent consacré à la présentation des engins de pêche et à leur sélectivité.
Méthode de calcul
14Une chaîne de traitement sous MS-Access® a permis le calcul des statistiques d’effort et de capture, en faisant appel à une procédure d’extrapolation en deux étapes pour l’estimation des captures annuelles pour les sites d’enquête, une troisième étape étant utilisée en baie d’Ambaro pour l’extrapolation à l’ensemble des villages de la baie.
15La première étape consiste, à calculer pour chaque jour j d’enquête, la prise moyenne par sortie et par engin x pxj ; cette prise est extrapolée à l’ensemble des sorties de pêche par engin, au moyen du nombre de sorties par engin sortxj. La prise totale par jour d’enquête pxj par engin est donc égale à pxj • sortxj.
16La seconde étape consiste à extrapoler ce résultat au mois. Au sein d’un mois contenant m jours, n jours sont enquêtés, la prise mensuelle extrapolée sera alors égale à :

17Les synthèses annuelles et par engin s’obtiennent par sommation sur les indices mois et engins. Enfin, pour la baie d’Ambaro une synthèse régionale est obtenue en procédant à partir de l’estimation précédente à des extrapolations spatiales pour les parties sud et nord de la baie. Pour chaque engin est calculé, grâce au recensement des engins, un taux d’extrapolation qui est le rapport de l’effectif d’engin x pour la zone sur celui du village d’enquête. La prise mensuelle totale estimée par engin est donc égale à :
18Pzonexmois = Pxmois • extrapox
19La synthèse annuelle pour une zone s’obtient par sommation sur les indices mois et engins, et pour l’ensemble de la baie d’Ambaro par sommation des résultats des zones sud et nord.
20Pour l’effort de pêche, exprimé en sorties de pêche par type d’engin, la méthode d’extrapolation est similaire à la précédente.
Résultats
Activité : effort de pêche
Recensements
21La baie d’Ambaro présente depuis longtemps la plus forte concentration de moyens humains et matériels dans la pêche traditionnelle. L’examen du recensement des pêcheurs, des pirogues et des engins permet de faire ressortir quelques caractéristiques. Il n’est pas aisé de dégager à sa lecture une tendance générale au cours des trois années. L’effectif de pêcheurs connaît une croissance de 27 % entre 2003 et 2005. Pour les engins de pêche, on observe une nette augmentation des filets maillants periky, dont le dénombrement, tous maillages confondus, atteint 1 344 unités en 2004, soit une croissance de 55 % sur trois ans. Le nombre de kaokobe, tous maillages confondus, baisse légèrement de 10 % durant la même période. Il nous est difficile de commenter l’instabilité du nombre de valakira, dont on sait que l’effectif d’unités actives, difficile à recenser, est sensible au calendrier des marées et à des facteurs environnementaux ou autres20.
22On ne commentera pas beaucoup les recensements en baie de Narindra ou pour la région de la Tsiribihina, dans la mesure où on ne peut pas faire de comparaisons interannuelles. Les seuls éléments qui ressortent sont la similitude des engins entre les baies d’Ambaro et de Narindra, alors que les sennes de plages tarikaky et taritariky apparaissent importantes dans la région de Tsiribihina, où se pratique également la pêche au filet maillant janoky. Dans la baie de Narindra, on note la concentration de l’effort de pêche dans le village d’Ampasibe, connu depuis longtemps comme un important site de collecte et d’accueil de pêcheurs migrants.
23La perception des moyens effectifs de capture par ces recensements est cependant limitée par un certain nombre de difficultés. Ainsi, certains engins comme les pôtô dans la baie d’Ambaro, ou des engins dispersés dans les petits chenaux de mangrove (cas des petits barrages vonosaha ou salepy) sont particulièrement difficiles à recenser à partir d’entretiens et de comptages réalisés dans les sites de débarquement. Ceci est préjudiciable non seulement à l’estimation des captures, mais aussi à celle de l’impact effectif de la pêche traditionnelle sur la ressource crevettière, dans la mesure où ces engins exercent une mortalité par pêche élevée sur la composante juvénile de la ressource.
Dynamique de l’activité de pêche
24Le principal indicateur est ici le nombre mensuel de sorties de pêche, obtenu par extrapolation des comptages des sorties par engin lors des jours d’enquête. Les résultats présentés concernent la période 2003-2005 dans la baie d’Ambaro et 2005 dans la baie de Narindra et la région de Belo sur Tsiribihina.
25Pour la baie d’Ambaro, les synthèses annuelles des données d’effort sont présentées au tableau 18. On observe une augmentation significative du nombre total de sorties entre 2003 et 2004, qui ne se poursuit pas en 2005. Par contre, la structure de l’effort total, selon les engins de pêche, semble connaître une modification importante au profit des filets maillants periky dont la part passe de 58 à 70 % entre 2003 et 2005, alors que celle des sennes kaokobe régresse de 34 à 21 %. La part des barrages valakira reste relativement constante, à environ 10 %.
26La figure 55 représente l’évolution mensuelle du nombre de sorties pour les deux villages enquêtés d’Ankazomborona (zone sud) et d’Ambavanankarana (zone nord), ainsi que pour l’ensemble de la baie.
27La croissance des sorties de periky est très nette à Ankazomborona, ainsi que la réduction des sorties de kaokobe observée à Ambavanankarana. L’évolution mentionnée plus haut pour les periky proviendrait donc plutôt du sud de la baie. Il est possible que la réduction de l’effort des kaokobe provienne de la difficulté à renouveler ces sennes déjà anciennes, acquises au cours des années 1990 dans le cadre de projets de développement étatiques. À l’examen de la figure précédente, il paraît difficile de faire ressortir un profil saisonnier de l’activité.
28Pour la baie de Narindra (fig. 56), le village d’Ampasibe est celui dont l’activité est la plus intense (10 025 sorties annuelles), dominée par les sorties de pêche à la senne kaokobe (9 355). Ces dernières sont maximales en début de saison de pêche puis diminuent régulièrement jusqu’au mois d’août pour se stabiliser ensuite à environ 500 sorties par mois jusqu’à la fermeture.
Tableau 18
Nombre total de sorties par engin de pêche principal, dans la baie d’Ambaro


Fig. 55
Effort de pêche dans la baie d’Ambaro
29Les sorties de periky semblent régulières dans le temps mais à un niveau beaucoup plus faible, inférieur à 100 à l’exception d’octobre. À Antonibe, où l’activité globale est beaucoup moins forte (2 545 sorties par an), l’activité est mieux répartie entre kaokobe (1 491 sorties), periky (696 sorties) et valakira (359 sorties) ; et le profil saisonnier de l’activité semble nettement moins marqué qu’à Ampasibe.

Fig. 56
Effort de pêche dans la baie de Narindra

Fig. 57
Effort de pêche dans la région de Belo sur Tsiribihina
30La figure 57 présente l’évolution des sorties pour les villages d’Antsabora et Ambakivao situés respectivement au sud et au nord du delta de la rivière Tsiribihina. Ici aussi, l’image de l’effort de pêche est contrastée selon les villages. Antsabora connaît le plus grand nombre de sorties annuelles (11 414), au sein desquelles dominent les filets maillants janoky (68 %). Ambakivao est caractérisé par un nombre de sorties inférieur (8 411) mais dominé par les sennes de plage taritariky et tarikaky qui représentent 53 % de l’activité de pêche.
Captures
31Dans la baie d’Ambaro les captures totales (fig. 58) sont calculées par extrapolation des estimations des captures mensuelles par engin obtenues pour les deux sites d’enquête au moyen des recensements. Pour l’ensemble de la baie les facteurs d’extrapolation sont de l’ordre de deux.
32Les captures totales de crevettes de la baie augmentent de 1 136 à 1 437 tonnes entre 2003 et 2005. On verra plus loin que l’évolution des rendements moyens n’explique pas cette croissance qui trouve plutôt son origine dans celle de l’effort de pêche. Cette augmentation des mises à terre provient de la zone sud (+ 52 % entre 2003 et 2005), tandis que celles de la zone nord ont diminué de - 10 % au cours de la même période.
33Lorsqu’on analyse la structure des prises annuelles selon les engins de pêche, on observe que l’apport des sennes kaokobe dans les débarquements totaux régresse de 49 à 34 %, tandis que celui des filets periky croît de 43 à 58 % durant la même période.
34D’après les travaux de Rafalimanana (1990), Domalain et Rasoanandrasana (2001 a, b), Rafalimanana (2004 a), la baie de Narindra accueille l’essentiel de la pêche traditionnelle en zone B. Les estimations de captures données par les trois études sont respectivement de 620 tonnes, 860 tonnes (zone plus large que la baie de Narindra), 790 tonnes (baie de Narindra sensu stricto). L’engin de pêche principal en 1998-2000 et 2004 est le kaokobe, suivi par le valakira. Le nombre de kaokobe a récemment augmenté, l’enquête de Rafalimanana de 2004 indique 120 et 50 kaokobe dans les villages d’Ampasibe et d’Antonibe (180 pour l’ensemble de la baie) contre une cinquantaine et une trentaine lors des enquêtes de 1999. Les valakira auraient été au nombre de 279 en 1989 pour l’ensemble de la région de la baie de Narindra, de 116 et 140 dans la baie elle-même en 2004 et 2005 respectivement (annexe 2). La croissance du nombre de kaokobe s’est accompagnée d’une augmentation de leur chute (hauteur), leur permettant ainsi d’exploiter des zones plus profondes et au large.
35En zone C, comme pour les zones A et B, l’estimation des quantités capturées par la pêche traditionnelle et leur répartition par classe de taille posent des difficultés. À partir des travaux de Domalain et Rasoanandrasana (2001 b), on peut estimer à 444 tonnes les prises de la pêche traditionnelle en zone C (208 t en partie nord capturées essentiellement par des kopiko, filet à main tiré à contre-courant, et 236 t en partie sud capturées par des sennes de plage).

Fig. 58
Captures dans la baie d’Ambaro – Années 2003 à 2005
Tableau 19
Moyenne annuelle des prises par sortie dans la baie d’Ambaro

Unité : kg par sortie
36Un rapport sur des enquêtes plus récentes effectuées en mai 2004 (Rafalimanana, 2004 b) estime à 343 tonnes par an les captures de crevettes de la région de la Tsiribihina (zone sud), soit une quantité supérieure à celle des enquêtes de 1998 effectuées par Domalain et Rasoanandrasana. Finalement nous estimerons la capture annuelle de pêche traditionnelle à 500 tonnes en zone C au cours des trois dernières années.
Rendements
37L’analyse des prises par sortie montre que les techniques de pêche traditionnelles les plus productives sont observées dans la baie d’Ambaro. Dans cette zone, on peut comparer l’évolution des rendements sur trois ans des trois principaux engins.
38L’examen du tableau 19 ne permet pas de conclure sur une tendance interannuelle significative des prises par sortie. Ces données apparaissent très proches de celles fournies par Chaboud et al. (2002 b) pour le kaokobe (20 kg), le periky (10,3 kg) et le valakira (18 kg) à la fin des années 1990. Il n’est pas aisé d’établir un profil saisonnier des rendements dans la baie d’Ambaro. Pour les années 2003 et 2004 on observe une tendance à la décroissance tout au long de la saison pour les periky et les kaokobe (fig. 59), ce qui n’est pas le cas des valakira dont les rendements ne montrent pas de tendance intra-annuelle.
39Dans la baie de Narindra les prises par sortie des kaokobe pour 2005 s’élèvent à 14 kg par sortie, ce qui s’avère inférieur aux rendements observés pour la même période dans la baie d’Ambaro. Ils sont également inférieurs à ceux observés, à la fin des années 1990, pour les mêmes sites et engins (25 kg). Les rendements journaliers observés pour les periky en baie de Narindra (6 kg) sont également nettement inférieurs à ceux en baie d’Ambaro.
Structure des prises
Par espèce
40Les captures de la pêche traditionnelle sont composées majoritairement de F. indicus. En 2005, dans la baie d’Ambaro, cette espèce représentait 87 % des mises à terre, suivie par P. semisulcatus (7 %) et les espèces du genre Metapeaneus (6 %). Toujours pour la même année, on observe une relative stabilité des captures mensuelles des espèces les moins importantes, tandis que celles de F. indicus connaissent une tendance décroissante.

Fig. 59
Prises par sortie dans quelques sites d’enquête
41Pour 2005, dans la baie de Narindra, l’espèce F. indicus apparaît encore plus dominante puisqu’elle représente 97 % des captures totales. L’importance de F. indicus dans les prises semble plus liée à la répartition spatiale de cette espèce dans les différents stades de son cycle vital, qu’à des stratégies de pêche qui seraient orientées sur cette espèce. La croissance de l’effort de pêche traditionnelle vers des zones plus profondes et au large, due à l’augmentation de la chute (hauteur) des sennes kaokobe et des filets maillants periky, n’a cependant pas induit jusqu’ici de changement visible dans la structure spécifique des captures21.
Par calibre
42Dans les pêcheries crevettières, la structure des prises par calibre commercial est un indicateur précieux pour caractériser l’exploitation, dans la mesure où elle est directement liée à la valorisation économique de la ressource. Les résultats présentés ici sont relatifs à la période 2003-2005.
43Pour la baie d’Ambaro, la figure 60 montre pour chaque engin, taille de maillage et site d’enquête, la composition des débarquements de F. indicus regroupés en trois catégories :
petites : calibres 100/120 et plus ;
moyennes : calibres 80/100 à 40/60 ;
grosses : calibres 30/40 et moins.

Fig. 60
Composition des captures de F. indicus par calibre dans la baie d’Ambaro
44La capture des barrages valakira est caractérisée par l’importance des petits calibres à Ambavanankarana (68 %) comme à Ankazomborona (48 %). Les deux villages diffèrent quant à la part des grosses crevettes dans cet engin : 23 % à Ankazomborona contre 4 % seulement à Ambavanankarana. Dans ce dernier village, la composition des prises des kaokobe est assez proche de celles des valakira, tandis qu’à Ankazomborona les captures de cet engin sont dominées par la catégorie moyenne. Dans les deux sites on observe une relation entre maillage des kaokobe et structure des prises par calibre, mais l’effet est relativement limité en raison de la gamme de maillage assez étroite (de 12 à 15 mm). Le filet maillant periky présente les parts de moyennes et grosses crevettes les plus importantes avec un effet lieu significatif : pour cet engin la part des petites crevettes est plus forte à Ambavanankarana. Le changement de maillage de 20 à 25 mm pour les periky conduit à une augmentation des parts des moyennes et grosses crevettes, plus importante que pour les différents maillages des kaokobe. L’effet de l’augmentation de maillage sur les calibres semble donc plus significatif pour les engins maillants.
Par classe de longueur céphalothoracique
45Un nombre important de longueurs céphalothoraciques (LC) de crevettes F. indicus a été mesuré dans les sites des côtes nord-ouest et ouest depuis la mise en place du nouveau système d’enquête, comme le montre le tableau 20.
46La répartition par sexe de l’échantillon total n’est pas équilibrée : le nombre d’individus femelles est plus du double de celui des mâles. Enfin, toutes les observations de LC inférieure à 10 mm ou supérieure à 45 mm (pour les femelles), ou à 39 mm (pour les mâles), ont été retirées de l’échantillon.
47L’examen des résultats acquis pour la baie d’Ambaro, où l’information est la plus abondante, permet de conclure à l’impact relatif des différents types d’engins sur les composantes par sexe et taille de la ressource, ainsi qu’aux effets de sélectivité des différents maillages d’un même engin. Pour les trois engins principaux, kaokobe, valakira et periky, on observe une dominance du nombre de femelles sur celui des mâles (fig. 61 à 63) ; mais il ressort aussi que cet écart est moindre pour les valakira. L’écart des modes des captures par LC selon le sexe (tab. 21) est de 8 mm pour les periky, 10 mm pour les kaokobe et seulement 6 mm pour les valakira.
Tableau 20
Nombre de mensurations réalisées de 2003 à 2005


Tableau 21
Modes des captures par LC, selon le sexe et l’engin de pêche, en baie d’Ambaro, années 2003 à 2005



Fig. 61
Répartition par taille des captures des kaokobe en baie d’Ambaro, 2003-2005

Fig. 62
Répartition par taille des captures de periky en baie d’Ambaro, 2003-2005

Fig. 63
Répartition par taille des captures de valakira en baie d’Ambaro, 2003-2005
48Le plus faible écart observé pour le valakira s’explique par le fait que cet engin exploite, en majorité, de jeunes individus pour lesquels l’écart de LC entre femelles et mâles est encore relativement faible. L’écart intermodal selon le sexe, plus grand pour le kaokobe par rapport au periky, tient probablement à la différence de sélectivité entre ces deux engins (Rodellec du Porzic et Caverivière, chapitre 6), qui influe sur les captures de petits individus.
49Les différences de répartition en pourcentage des captures par LC, sexes confondus, pour les trois mêmes engins, sont présentées sur la figure 64. Les modes des kaokobe et des valakira apparaissent identiques (21 mm), et nettement distincts de celui des periky (24 mm).

Fig. 64
Comparaison de la répartition des captures par taille des trois principaux engins en baie d’Ambaro, 2003-2005
50Pour les kaokobe et les periky il est particulièrement intéressant de comparer la composition des captures selon les différents maillages utilisés (fig. 65 et 66). On observe, pour les deux maillages (20 et 25 mm) des periky, deux modes bien distincts (24 et 27,5 mm) et des moyennes très proches (27,7 et 27,9 mm). La part des petits individus (inférieurs à 23 mm LC) est supérieure pour le maillage 20 mm, alors que les parts des grosses crevettes (supérieures à 33 mm LC) restent similaires. Pour les kaokobe, les modes associés aux maillages de 12 et 15 mm sont identiques et les moyennes très proches (24,1 et 24,9 mm). La différence observée entre les deux maillages concerne ici essentiellement les captures d’individus d’une longueur LC inférieure à 20 mm.

Fig. 65
Comparaison des captures par taille des periky 20 et 25 mm en baie d’Ambaro, 2003-2005

Fig. 66
Comparaison de la répartition des kaokobe 12 et 15 mm en baie d’Ambaro, 2003-2005
51Pour l’année 2005, les distributions statistiques pour les kaokobe et les periky en baie de Narindra (fig. 67) apparaissent moins dispersées que pour la baie d’Ambaro. Elles ont toutes deux un mode de 30 mm et des moyennes (29,9 et 29,4 mm) bien supérieurs à ceux observés pour les mêmes engins en baie d’Ambaro. Une hypothèse probable, pour les periky et les kaokobe, serait que les unités opérant en baie de Narindra exploitent des zones plus profondes qu’en baie d’Ambaro.

Fig. 67
Comparaison de la répartition des captures par taille des deux principaux engins en baie de Narindra, 2005

Fig. 68
Comparaison de la répartition des captures par taille des quatre principaux engins en région de Tsiribihina, 2005
52Enfin, nous présentons quelques résultats sur les distributions observées dans la région de Tsiribihina (fig. 68) pour les principaux engins de pêche. Le filet maillant janoky paraît plus sélectif que les autres engins locaux, avec une LC moyenne de 26 mm et une valeur modale de 29 mm. Les autres engins capturent nettement plus de petits individus ; mais leur répartition statistique est peu régulière, aussi est-il hasardeux d’en déterminer le mode. Les valeurs moyennes de LC associées à ces engins confirment leur caractère moins sélectif : 24,2 mm (taritariky), 26,1 mm (tarikaky) et 23,7 mm (sasy).
Quelques aspects biologiques
Sex ratio des crevettes capturées
53Pour la baie d’Ambaro, le sex ratio des crevettes (défini comme le rapport du nombre de crevettes femelles sur le nombre total d’individus par classe de LC) est relativement similaire pour les trois années 2003 à 2005 (fig. 19 du chapitre 3). Le schéma moyen sur ces trois années montre que l’on part, pour la plus petite taille (10 mm) de notre échantillon, d’un ratio équilibré (0,5), qui diminue ensuite pour augmenter régulièrement à partir de 15 mm et se maintenir à la valeur de 1 au-delà de 35 mm. Pour la baie de Narindra, l’allure générale de la courbe de sex ratio est similaire à celle de la baie d’Ambaro, on note cependant que sa partie ascendante est observée à partir d’une LC plus grande (25 mm).
Indices de maturité sexuelle
54Les figures 69 et 70 présentent la répartition des échantillons de crevettes femelles selon quatre stades de maturation sexuelle : immature (1), début de développement (2), bien développé (3), pré-ponte (4).
55Pour les deux zones, la part maximale de femelles matures est observée en novembre. Dans la baie d’Ambaro, il y a très peu d’individus matures en début de saison de pêche, et ceci jusqu’en juillet. Par contre, en baie de Narindra, nos données indiquent une augmentation en avril-mai et un niveau réduit mais constant d’individus matures de juin à août.

Fig. 69
Évolution mensuelle des stades de maturité sexuelle en baie d’Ambaro, années 2003-2005

Fig. 70
Évolution mensuelle des stades de maturité sexuelle en baie de Narindra, année 2005
Recrutement des crevettes en pêche traditionnelle
56Le recrutement correspond à l’arrivée des jeunes individus qui deviennent capturables aux engins de pêche. Selon Lhomme (1981), le recrutement est signalé dans le temps par l’augmentation de la part des petites tailles dans les captures. Étant donnée l’existence d’engins très côtiers peu sélectifs dans la pêche traditionnelle comme les valakira, et d’autres sélectifs et moins côtiers comme les periky, nous avons préféré estimer la saisonnalité du recrutement de façon indépendante pour ces deux engins. En tenant compte de l’analyse précédente de la composition des prises par LC on a fixé la limite supérieure des petites tailles à 19 mm pour le valakira et à 23 mm pour le periky.22.
57Le profil saisonnier du recrutement est nettement contrasté entre les deux engins. Dans les deux cas, on observe un recrutement maximal en début de saison. Par contre, il tend à décroître toute l’année pour le periky23 tandis que l’on observe un second pic de recrutement, de moindre intensité, pour le valakira, au mois d’août (fig. 71). Ce phénomène semble lié à l’existence d’une seconde cohorte, visible dans les captures des engins côtiers, mais non accessible, pour des raisons environnementales24, aux engins de pêche du large, phénomène déjà décrit par Le Reste (1978), pour F. indicus. Il implique aujourd’hui de ne plus considérer le recrutement dans la pêche traditionnelle comme homogène mais distinct par engin selon la ou les fraction(s) de ressource exploitée(s), dans la mesure où le schéma d’exploitation de la pêche traditionnelle tend désormais à s’étendre sur toutes les classes de taille exploitables de l’espèce cible, ce qui n’était pas le cas lors de l’étude de Le Reste.

Fig. 71
Recrutement de jeunes crevettes pour les valakira et les periky en baie d’Ambaro
Discussion et conclusion
58La plupart des résultats présentés dans cette contribution confirment les résultats précédents du PNRC sur la pêche traditionnelle (Domalain et Rasoanandrasana 2001 a, b ; Chaboud et al. 2002 b ; Rasoanandrasana et Sandon 2003 ; 2004 b). Un des points importants concerne la croissance des captures traditionnelles en baie d’Ambaro de 1 100 tonnes en 2003 à 1 400 tonnes en 2005, alors que les unités industrielles, opérant dans la même zone, connaissaient pour cette dernière année une réduction dramatique de leurs mises à terre de F. indicus à 280 tonnes contre 1 121 l’année précédente. Une évolution semblable est observée en zone B (baie de Narindra), où les difficultés de la pêche industrielle ont conduit un armement industriel à cesser ses activités fin 2005. Une bonne compréhension de la dynamique d’exploitation traditionnelle et de son impact sur la ressource s’avère donc indispensable à une politique d’aménagement intégrant l’ensemble des types de pêche. Or, le nouveau système d’enquête présenté dans cette contribution ne s’avère pas suffisant à ce jour, pour suivre l’ensemble des techniques de pêche traditionnelle qui, depuis les petits chenaux de mangroves jusqu’à des fonds d’une dizaine de mètres, exploitent la crevette F. indicus sur l’ensemble de ses phases de vie exploitables. Un effort particulier doit être fait pour mieux évaluer l’importance des prélèvements sur les juvéniles de crevettes qui sont certainement très élevés en nombre, même s’ils ne le sont pas toujours en volume, et exercent un impact fort sur les prises des types de pêche exploitant des crevettes plus âgées. Ceci concerne tous les types de barrages (valakira, vonosaha, salepy), petits chaluts à l’étalage (pôtô), chaluts à bras (kopiko) et filets moustiquaires (sihitra, horoba, sasy). L’actuelle méthode d’enquête au retour de pêche gagnerait à être complétée par des enquêtes sur les sites de captures. Enfin, le rôle confié dans les enquêtes actuelles à des membres d’association de pêche peut être discuté, dans la mesure où ils ne sont pas incités, ou n’ont pas intérêt, à rendre compte de l’importance de types de pêche prohibés par la réglementation. Une autre question délicate concerne l’évaluation de la pêche en période de fermeture, qui serait toujours pratiquée, et réduit le recrutement disponible à l’ouverture. Enfin, la question d’une meilleure connaissance de la pêche traditionnelle, dans l’ensemble des zones où elle se pratique, reste ouverte ; on a vu qu’actuellement seule la pêche traditionnelle de la baie d’Ambaro peut être considérée comme (assez) bien suivie par l’actuel système d’enquête. Les moyens matériels et humains étant forcément limités, une démarche réaliste serait d’approfondir, à court terme, les connaissances sur la pêche traditionnelle dans les baies d’Ambaro et de Narindra, l’extension du système de suivi statistique sur d’autres zones devant obligatoirement s’appuyer sur un renforcement des moyens humains.
Annexe
Annexe I
Recensement des différents villages de pêche de la baie d’Ambaro

Nb : les villages sites d’enquêtes sont surlignés en blanc.
Source : PNRC
Annexe 2
Recensement des engins dans la baie de Narindra

Nb : toutes les données sont relatives à l’année 2005, à l’exception de celles marquées d’un astérisque, relatives à 2004, qui proviennent de Rafalimanana (2004 a).
Le chiffre élevé pour Ampasibe provient d’un dénombrement à l’ouverture, quand il y a afflux de migrants
Annexe 3
Recensement des engins dans la région de Belo sur Tsiribihina, année 2005

Source : enquêtes du PNRC
Notes de bas de page
14 Centre de surveillance des pêches.
15 La période de vives-eaux est celle des forts coefficients de marée, soit environ 15 jours par mois.
16 Longueur céphalothoracique mesurée au millimètre près par défaut du creux orbitaire à l’extrémité dorsale du céphalothorax.
17 Wildlife Conservation Society.
18 La haute saison est comprise entre mars et juin.
19 Pour la baie d’Ambaro on procède à des extrapolations distinctes pour les parties sud et nord de la baie.
20 Il est possible que l’objectif de réduction des valakira affiché dans le projet ZAC conduise à une sous-déclaration du nombre d’unités.
21 Il convient de mentionner que la seconde espèce en abondance dans la baie d’Ambaro M. monoceros est certes disponible sur les zones profondes, mais de nuit, ce qui limite fortement son accessibilité à la pêche traditionnelle dont l’activité est très majoritairement diurne.
22 La LC moyenne des captures en crevettes est égale à 22,9 mm pour les captures des valakira et à 27,8 mm pour celles des periky.
23 Le profil saisonnier du recrutement pour les periky est proche de celui estimé pour la pêche industrielle par Razafindrakoto (chapitre 5).
24 On est alors en saison sèche et l’absence de dessalure ne repousse pas les crevettes sub-adultes et adultes plus au large.
Auteurs
Biologiste halieute, diplômé de l’Institut d’halieutique et des sciences marines de Toliara. Il est consultant auprès du PNRC et responsable du suivi des activités de pêche traditionnelle depuis 2006
benem_s@yahoo.fr
Chercheur économiste de l’IRD, docteur en économie du développement, spécialiste en économie des ressources marines et de l’environnement. Il a assuré la réalisation des recherches en socio-économie et en modélisation bioéconomique durant les deux phases du PNRC
christian.chaboud@ird.fr
Océanographe biologiste, diplômée de l’Institut d’halieutique et des sciences marines de Toliara, en poste au PNRC de 1997 à 2005. Elle a été responsable du suivi des activités de pêche traditionnelle
nirina-rasoa@hotmail.com
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