5. Utilisation des champignons ectomycorhiziens en foresterie tropicale
p. 164-189
Texte intégral
INTRODUCTION
1Dans les régions tempérées, les champignons ectomycorhiziens améliorent de façon remarquable la croissance et la nutrition minérale des arbres (Smith et Read, 2008). Ils permettent aussi aux arbres de mieux résister à certaines maladies racinaires et d’exploiter au mieux les ressources en eau.
2En revanche, dans les régions tropicales naturelles où la diversité des essences forestières est plus grande, il existe très peu de données équivalentes sur le rôle des champignons ectomycorhiziens pour la croissance des essences natives d’Afrique tropicale et d’Asie du Sud-Est (Yazid et al., 1994 ; Bâ et al., 2002 ; Diédhiou et al., 2005 ; Ramanankierana et al., 2007 ; Bâ et al., 2010). Toutefois, pour certaines essences tropicales introduites comme les pins, les eucalyptus et les acacias australiens, de nombreux résultats sont disponibles aussi bien dans leur aire d’origine que dans les zones d’introduction (Marx et al., 1985 ; Garbaye et al., 1988 ; Dell et Malacjczuk, 1997 ; Duponnois et al., 2005, 2007 ; Dell et al., 2002 ; Chen et al., 2000 a, 2006).
3Dans les régions tropicales, deux situations pédoclimatiques sont à prendre en considération : les zones tropicales humides (forêt dense et galerie forestière) et les zones tropicales sèches (forêt claire, savane sèche et steppe aride) (Garbaye et al., 1988 ; Le Tacon et al., 1989). Dans le premier cas où la ressource en eau est peu limitante, une forte production ligneuse de marché est recherchée en améliorant d’abord le matériel végétal par le choix des provenances et du matériel clonal (Martin, 1987 ; Khasa et al., 1994). Ensuite, les contraintes liées à la fertilité des sols sont levées en apportant des engrais et (ou) des micro-organismes symbiotiques (Garbaye et al., 1988). C’est le domaine des plantations industrielles (ex. : plantations de pins en Afrique du Sud et au Congo, d’Acacia mangium en Indonésie, d’Eucalyptus spp. au Brésil) qui contribue de plus en plus à la production mondiale de pâte à papier. Pour les essences forestières qui ont longtemps coévolué avec des champignons et des bactéries dans un continent éloigné, la question est de savoir si elles peuvent bénéficier de l’environnement microbien de la zone d’introduction. Autrement dit, la connaissance du statut symbiotique des essences et de leur compatibilité fonctionnelle vis-à-vis de la microflore native du milieu est une condition nécessaire mais pas suffisante pour la réussite des plantations.
4Dans le second cas où les sols sont moins pauvres, mais où le déficit hydrique rend impossible une forte production ligneuse, le reboisement est une nécessité vitale car il fournit l’essentiel des moyens de subsistance pour les populations locales (ex. : protection des sols, bois de chauffe, nourriture). Dans un contexte de sylviculture de survie, il convient de sélectionner le matériel végétal en fonction de contraintes abiotiques (ex. : stress hydrique, salinité, acidité) et d’optimiser les symbioses fixatrices d’azote et mycorhiziennes de sorte que les arbres utilisent au mieux les ressources disponibles en eau et en éléments minéraux (Bâ et al., 2010). En Afrique, les reboisements sont généralement réalisés en ayant recours à des essences à croissance rapide comme les Fabaceae, Casuarinaceae, Pinaceae, et Myrtaceae. Afin de valoriser la symbiose mycorhizienne et (ou) la symbiose fixatrice d’azote, il convient de sélectionner des symbiotes fongiques ou bactériens performants quant à leur effet sur la croissance de la plante hôte. Cette recherche doit s’effectuer en partie dans le sol des zones d’endémisme de la plante considérée où la microflore a coévolué avec la strate végétale.
5Les principaux résultats acquis sur la mycorhization contrôlée en Afrique de l’Ouest seront exposés dans ce chapitre. Ils concernent certaines essences introduites (pin, eucalyptus, filao, acacias australiens) et aussi quelques essences natives de cette région (ex. : Afzelia, Uapaca) pour lesquelles nous ne disposons que de peu d’informations.
PINACEAE
6En Afrique, les pins tropicaux utilisés en plantations proviennent d’Asie du Sud-Est (ex. : P. kesiya), des Caraïbes (ex. : P. caribaea), d’Amérique centrale (ex. : P. oocarpa), et d’Amérique du Nord (ex. : P. radiata). P. caribaeaest un des pins les plus répandus en Afrique de l’Ouest. Les pins sont associés à des champignons ectomycorhiziens dont ils dépendent très fortement pour leur croissance (Marx et al., 1985 ; Delwaulle et al., 1987). La plupart des champignons montrent une spécificité très étroite vis-à-vis des pins (ex. : Rhizopogon spp., Suillus spp.) tandis que d’autres symbiotes fongiques (ex. : Pisolithus tinctorius ; Scleroderma spp.) présentent une spécificité d’hôtes beaucoup plus large (Marx, 1977 ; Molina et Trappe, 1994 ; Martin et al., 2002). Le symbiote fongique ectomycorhizien P. tinctorius serait originaire d’Eurasie et d’Amérique du Nord et aurait été introduit avec les pins en Afrique tropicale (Martin et al., 2002).
7Les premiers essais d’introduction de pins (P. radiata) ont été réalisés au Kenya en 1902 (Mikola, 1970). Les plants étaient chlorotiques et ne dépassaient guère le stade de la pépinière. Ce fut donc un échec jusqu’en 1910 lorsque sur les conseils du Royal Botanic Gardens à Kew en Angleterre, on importa, d’Afrique du Sud, du sol de vieilles plantations des pins contenant des propagules (ex. : spores, fragments de racines) de champignons ectomycorhiziens. Cet inoculum naturel fut utilisé avec succès dans les pépinières de pins au Kenya avant que cette pratique d’inoculation ne se répande en Afrique de l’Est (Mikola, 1970). En Afrique de l’Ouest, les premières plantations réussies de pins (ex. : P. kesiya) à Dalaba en Guinée datent de 1914 (Delwaulle et al., 1982). Comme en Afrique de l’Est, l’utilisation du sol de vieilles plantations a assuré la réussite des essais d’introduction de cette essence au Cameroun, au Congo, au Nigeria, au Liberia, en Côte d’Ivoire et au Ghana (Momoh et Gbadegesin, 1980 ; Ofosu-Asiedu et Mikola, 1980 ; Marx, 1980 ; Delwaulle et al., 1987). Toutefois, l’origine des champignons associés aux pins reste hypothétique en Afrique tropicale. Trois hypothèses non exclusives ont été, cependant, proposées pour expliquer l’origine de l’inoculum naturel : (1) des immigrants venus d’Europe auraient introduit en Afrique de jeunes pins mycorhizés comme plantes d’ornement, (2) des spores de champignons ectomycorhiziens auraient été présentes sur des graines de pins importées, (3) la microflore ectomycorhizienne des pins serait native de la zone de plantation (Mikola, 1970 ; Delwaulle et al., 1987). Les deux premières hypothèses sont plus probables que la troisième car la microflore ectomycorhizienne native est en général spécifique des essences des forêts naturelles (Mikola, 1970 ; Redhead, 1979). Cela pourrait expliquer en partie l’échec des tentatives d’introduction de P. caribaea en Casamance, région au sud du Sénégal la plus favorable au reboisement avec les pins (Delwaulle, 1978 ; Kabré, 1982). Il a été d’ailleurs démontré par un test de confrontation in vitro que des champignons ectomycorhiziens natifs d’Afrique de l’Ouest ne sont pas compatibles avec de jeunes plants de P. caribaea (Bâ, 1990). De plus, le champignon ectomycorhizien, identifié dans les plantations de P. kesiya à Dalaba, est un Rhizopogon spécifique et absent des forêts naturelles à proximité des plantations de pins (Delwaulle et al., 1987 ; Thoen et Ducousso, 1989 ; Molina et Trappe, 1994). Aux Seychelles, P. caribaea contractent des ECM uniquement avec des champignons ayant été introduits concomitamment (Tedersoo et al., 2007).
8Garbaye (1991) a comparé les avantages et les inconvénients de l’utilisation des inoculums naturels. Le coût des inoculums naturels est très attractif par rapport à celui des inoculums artificiels, mais ils présentent de nombreux inconvénients dont des risques de recyclage de pathogènes. Pour que l’inoculum ait une efficacité optimale et permanente, il est nécessaire d’utiliser des cultures pures de champignons sélectionnés en exploitant éventuellement leur variabilité interspécifique et intraspécifique (Lamhamedi et Fortin, 1991). De nombreux résultats expérimentaux ont clairement montré que l’inoculation avec des souches de champignons sélectionnées améliorait significativement la croissance des pins en pépinières et plantations (tabl. XXXV). Citons par exemple les travaux de Momoh et Gbadegesin (1980) sur le pin des Caraïbes dont les gains de croissance sont plus importants avec une souche de P. tinctorius qu’avec un inoculum naturel apporté sous forme de sol de vieilles plantations de pins. Des résultats comparables ont été obtenus au Congo par Delwaulle et al. (1982). Par contre, dans d’autres situations, l’inoculum naturel peut être aussi efficace que le champignon introduit (Kabré, 1982 ; Marx et al., 1985). Par exemple, dans certains sols du sud du Sénégal, la présence d’actinomycètes antagonistes du champignon introduit expliquerait la supériorité de l’inoculum naturel sur la souche introduite pour la croissance du pin des Caraïbes (Kabré, 1982).
9L’introduction de pins (P. elliottii et P. radiata) en Chine a été un échec jusqu’à ce qu’on se rende compte de la nécessité d’inoculer les pépinières avec des champignons ectomycorhiziens (Ge et Bi, 1989). Des sclérodermes locaux de vieilles plantations de pins exotiques s’avèrent tout aussi efficaces que des sclérodermes introduits d’origine australienne sur la croissance des jeunes plants en pépinière (Chen et al., 2006 a, b).
10En conclusion, il s’avère nécessaire d’inoculer les pins avec des souches de champignons ectomycorhiziens sélectionnées. P. tinctorius est un candidat potentiel, efficace et adapté aux conditions environnementales lorsque des pins sont introduits dans des sites où il n’existe pas de champignons ectomycorhiziens indigènes compatibles. Par contre, s’il existe déjà de vieilles plantations de pins à proximité du lieu de reboisement, il est alors possible d’utiliser, par défaut, du sol de plantations pour assurer la survie des jeunes plants en pépinière. L’idéal est d’introduire des champignons sélectionnés qui procurent aux arbres un gain de croissance en pépinière et en plantation.
MYRTACEAE
11La famille des Myrtaceae comprend 133 genres et plus de 3 800 espèces (Wilson et al., 2001). Elle comprend deux sous-familles (Myrtoideae et Psiloxyloideae) et 17 tribus (Wilson et al., 2005). Les zones d’endémisme des Myrtaceae sont l’Australie, le Sud-Est asiatique et l’Amérique du Sud. Les ECM sont observées chez les tribus Eucalypteae et Melaleuceae constituées d’espèces appartenant respectivement aux genres Eucalyptus et Melaleuca (Wang et Qiu, 2006). Ces deux genres sont originaires du nord-est d’Australie, d’Indonésie orientale et de Nouvelle-Guinée. Des millions d’hectares d’Eucalyptus sont plantés dans les pays tropicaux en dehors de leur aire d’origine. En Afrique tropicale, les eucalyptus sont utilisés dans des plantations clonales industrielles au Congo-Brazzaville pour la production de pâte à papier et dans des petites plantations rurales (ex. : Sénégal) pour produire du bois de chauffe, du charbon de bois ou des perches utilisées pour la construction de maisons. Les eucalyptus sont également plantés au Brésil et en Inde pour la production de pâte à papier ou de charbon de bois. Ils sont répartis en cinq sous-genres : Monocalyptus, Symphomyrtus, Corymbia, Eudesmia et Idiogenes et 450 espèces (Chilvers, 1973). Leur nombre précis évolue au fil des études taxonomiques. La plupart des espèces utilisées en plantation forestière tropicale appartiennent au sous-genre Symphyomyrthus.
12Dans son aire de distribution naturelle, le genre Eucalyptus présente à la fois des ECM et des MA. Les espèces des sous-genres Monocalyptus(ex. : E. fastigata, E. radiata) et Symphomyrtus (ex. : E. camaldulensis, E. grandis) sont celles qui présentent le plus grand nombre de morphotypes ectomycorhiziens (Chilvers, 1973). La diversité des morphotypes observés chez les Monocalyptus est plus importante que celle des Symphomyrtus (Chilvers, 1973). Pryor (1956) suggère d’ailleurs que les Monocalyptus qui se développent dans des sols très pauvres sont plus dépendants des ECM que les Symphomyrtus trouvés dans des sols relativement plus riches.
13Les eucalyptus présentent un cortège ectomycorhizien très diversifié comprenant des champignons épigés à large spectre d’hôtes (ex. : Laccaria laccata, Scleroderma laeve, Pisolithus albus) et des champignons hypogés à spectre d’hôtes plus étroit (ex. : Hymenogaster albellus, Hydnangium carneum) (Malajczuk et al., 1982 ; Castellano et Bougher, 1994). Toutefois, ils ne sont pas compatibles avec des champignons ectomycorhiziens comme Rhizopogon spp., Suillus spp. et Pisolithus tinctorius spécifiques des pins (ex. : P. radiata) introduits en Australie (Malajczuk et al., 1982 ; Molina et Trappe, 1994). La zone d’endémisme du genre Pisolithus serait l’Australie et l’Asie où l’on trouve au moins cinq espèces dont deux d’entre elles, P. microcarpus et P. albus, auraient été introduites avec les eucalyptus en Europe, Amérique du Sud, Asie et Afrique (Martin et al., 2002). La variabilité interspécifique, voire intraspécifique dans le genre Pisolithus est utilisée pour sélectionner les champignons les plus efficaces sur la croissance des eucalyptus (Burgess et al., 1994 ; Aggangan et al., 1996). En effet, il existe une variabilité dans la réponse des eucalyptus à l’inoculation avec des espèces, voire des isolats fongiques de Pisolithus d’origines géographiques différentes (Burgess et al., 1994 ; Aggangan et al., 1996). Ce sont les espèces fongiques australiennes qui sont les plus performantes quant à leur effet sur la croissance des eucalyptus en Australie (Burgess et al., 1994).
14Chez les eucalyptus, les MA sont moins connues que les ECM. Les MA ont été décrites dans les années 1930 mais c’est seulement dans les années 1980 que ce type de mycorhizes a été étudié (Asai, 1934 ; Malajczuk et al., 1981). Les eucalyptus présentent des MA qui coexistent avec des ECM sur le même système racinaire et parfois sur le même apex racinaire (Lapeyrie et Chilvers, 1985 ; Chilvers et al., 1987 ; Boudarga et al., 1990 ; CHEN et al., 2000 a, b; Chen et al., 2007). La contribution respective des deux types de mycorhizes sur la croissance des eucalyptus n’a pas encore été clairement établie (Lapeyrie et Chilvers, 1985 ; Chen et al., 2000 a). Cependant, d’un point de vue épidémiologique, les MA prédominent sur les jeunes plants tandis que les ECM sont majoritaires sur des plants plus âgés (de Mendonça Bellei et al., 1992 ; de Oliveira et al., 1997). Les mécanismes de remplacement des MA par les ECM ne sont pas connus et restent encore hypothétiques (van der Heijden, 2001).
15En dehors de leur aire d’origine, les eucalyptus sont principalement associés aux genres Pisolithus et Scleroderma (Mikola, 1970 ; Bakshi, 1966 ; Thapar et al., 1967 ; Garbaye et al., 1988 ; Thoen et Ducousso, 1989 a; Dell et al., 2002 ; Chen et al., 2006 b; Chen et al., 2007). Il est connu que des Pisolithus australiens (ex. : P. albus, P. microcarpus) ont été introduits en même temps que les eucalyptus dans différents continents (Martin et al., 2002). On sait aussi que les eucalyptus forment des ECM avec des champignons natifs de la zone de plantation (ex. : Pisolithus kisslingi, P. aurantioscabrosus) en Asie (Dell et al., 2002) ou des forêts naturelles (ex. : Scleroderma spp., champignon théléphoroïde) aux Seychelles (Tedersoo et al., 2007, 2010). Une autre éventualité à considérer serait que les eucalyptus d’introduction plus récente aient contracté des ECM avec des souches de P. tinctorius apportées par les pins. Quoi qu’il en soit, lorsqu’on veut introduire des eucalyptus hors de leur aire d’origine, deux stratégies peuvent être envisagées : soit introduire des champignons ayant coévolué avec cette essence dans son aire d’origine, soit utiliser des champignons indigènes (Garbaye et al., 1988 ; Bâ, 1990). Une plantation expérimentale réalisée au Congo-Brazzaville a permis de montrer que l’inoculation, par des cultures pures de P. tinctorius (isolat de pins d’Amérique du Nord), a augmenté significativement la production en volume de près de 30 % d’un hybride (E. urophylla x E. kirtoniana) en pépinière (GARBAYE et al., 1988). La souche nord-américaine, pourtant efficace la première année, a été remplacée par un scléroderme local. Cette souche semble donc être moins adaptée que la souche locale aux eucalyptus et (ou) aux conditions pédoclimatiques de la région. Pour corroborer cela, des tests in vitro montrent que la souche nord-américaine est moins agressive que la souche australienne ayant coévolué avec E. urophylla (Lei et al., 1990 ; Malajczuk et al., 1990). Autrement dit, l’introduction des eucalyptus tropicaux est à envisager avec des souches fongiques australiennes. Cette hypothèse est à envisager lorsque les champignons locaux sont peu efficaces avec les eucalyptus comme en Chine et aux Philippines où l’inoculation avec des champignons australiens sélectionnés a été nécessaire pour stimuler, par un facteur multiplicateur de 2,5, la croissance des eucalyptus âgés de 2 ans (Dell et Malajczuk, 1997). Les Pisolithus et Scleroderma asiatiques se révèlent d’ailleurs moins performants que ceux d’Australie sur des eucalyptus en pépinière et en plantation en Chine (Dell et al., 2002 ; Chen et al., 2006 b). Il a été également démontré au moyen d’outils moléculaires la persistance des souches australiennes de Pisolithus qui s’est traduite par la production de sporophores sous des eucalyptus âgés de trois ans en Chine (Dell et al., 2002).
16Si on peut trouver des champignons locaux compatibles avec la plante hôte, il faut alors comparer leur efficacité et leur adaptabilité avec des souches australiennes déjà sélectionnées pour leur performance dans l’aire d’origine de l’essence forestière considérée. Des sclérodermes indigènes (ex. : S. dictyosporum et S. verrucosum), isolés d’essences forestières (ex. : A. africana) d’Afrique tropicale, ne sont pas compatibles in vitro avec E. camaldulensis, l’espèce la plus plantée au Sénégal (Bâ, 1990). Pourtant, des fructifications de deux sclérodermes (ex. : S. verrucosum, S. capense) et leurs ECM ont été récoltées dans des plantations d’E. camaldulensis en Guinée (Thoen et Ducousso, 1989 a). Il existerait une variabilité intraspécifique chez S. verrucosum, symbiote fongique des eucalyptus et des essences indigènes d’Afrique de l’Ouest (Bâ et Thoen, 1990 ; Sanon et al., 1997). Des progrès sont à réaliser dans l’inventaire des sclérodermes locaux compatibles avec les eucalyptus. Les outils de biologie moléculaire ont permis, à cet égard, de caractériser la diversité génétique de six espèces de sclérodermes ouest-africains (Sanon et al., 2009).
17En conclusion, il s’agit pour les eucalyptus de sélectionner du matériel génétiquement adapté à la zone de plantation en utilisant de préférence des hybrides interspécifiques plus vigoureux pour répondre aux besoins en bois de service (Martin, 1987). Ensuite, il faut s’assurer de la survie des hybrides exigeants en éléments nutritifs en les « équipant » avec des souches fongiques adaptées à l’essence et au climat de la zone de plantation (Garbaye et al., 1988). Les souches australiennes de Scleroderma et Pisolithus sont des candidates potentielles pour la mycorhization contrôlée des eucalyptus en dehors de leur aire d’origine (Chen et al., 2006 a, b; Chen et al., 2007).
CASUARINACEAE
18Les Casuarinaceae sont des plantes actinorhiziennes car elles forment des nodules fixateurs d’azote avec l’actinomycète Frankia (Dommergues et al., 1999). Elles se subdivisent en 4 genres et 96 espèces : Allocasuarina (59 espèces), Casuarina (17 espèces), Ceuthostoma (2 espèces) et Gymnostoma (18 espèces) (Maggia et Bousquet, 1994). Leur aire d’origine s’étend de l’Australie au Sud-Est asiatique.
19Quelques Casuarinaceae (ex. : Allocasuarina et Casuarina) ont été introduites dans les zones tropicales et subtropicales pour lutter contre l’érosion des sols et pour produire du bois de feu. Par exemple, au Sénégal, des centaines d’hectares de C. equisetifolia ont été plantés, dans la zone des Niayes, le long du littoral entre Dakar et Saint-Louis, pour fixer les dunes et protéger les cuvettes maraîchères (Dommergues et al., 1999).
20Dans leur aire d’origine, les Casuarinaceae présentent une diversité de champignons ectomycorhiziens dont certains sont communs aux eucalyptus (Reddell et al., 1991). La diversité fongique est plus grande avec Allocasuarina (20 genres dont Amanita spp., Elaphomyces spp., P. tinctorius) qu’avec Casuarina (Scleroderma spp. et Thelephora spp.). C’est pourquoi les ECM seraient fréquentes dans le genre Allocasuarina (Reddell et al., 1986 ; Thoen et al., 1990 ; Dell et al., 1994 ; Duponnois et al., 2003). De plus, le genre Casuarina forme rarement des ECM sensu stricto et serait moins dépendant de cette symbiose que les Allocasuarina (Bâ et al. 1987 ; Thoen et al., 1990 ; Dell et al., 1994).
21Il y a peu de données disponibles sur la diversité des champignons mycorhiziens à arbuscules associés aux Casuarinaceae dans leur milieu d’origine (Reddell et al., 1986). Le genre Gymnostoma est non ectomycorhizien, mais possède des myconodules dont le rôle n’est pas connu (Duhoux et al., 2001). Les myconodules sont des nodules colonisés par des champignons mycorhiziens à arbuscules. Par contre, on ne dispose pas d’informations sur le statut mycorhizien des deux espèces de Ceuthostoma.
22En dehors de leur aire d’origine, c’est en partie grâce à leur aptitude à évoluer en symbiose avec l’Actinomycète Frankia,fixateur d’azote, que les Casuarinaceae ont été introduites avec succès sur les sols dunaires et les stériles miniers (Dommergues et al., 1999). Il a été possible de trouver in situ les deux types de mycorhizes et parfois les trois symbiotes (champignon ectomycorhizien, champignon mycorhizien à arbuscules et Frankia) sur le même système racinaire de C. equisetifolia (Bâ et al., 1987). Cependant, on ignore si cette quadruple symbiose est bénéfique pour la plante hôte. Diem et Gauthier (1982) ont montré que la mycorhization par G. mosseae stimule la croissance, la nodulation et la fixation d’azote par Frankia sur de jeunes plants de C. equisetifolia. Il a été également démontré que des transferts d’azote sont possibles entre la plante fixatrice d’azote C. cunninghamiana et la plante non fixatrice d’azote E. maculata via le réseau ectomycorhizien (He et al., 2004).
23À notre connaissance, il n’y a pas d’études publiées sur la mycorhization contrôlée des Casuarinaceae en plantation. Les principales informations concernent l’effet bénéfique de la mycorhization contrôlée sur la croissance des Casuarinaceae en serre. Des progrès sont à faire dans ce domaine surtout si on veut que la fixation d’azote des Casuarinaceae fonctionne à son niveau d’efficacité maximal in situ.
DIPTEROCARPACEAE
24Les Dipterocarpaceae sont des grands arbres de régions tropicales humides et constituent une source de bois d’œuvre d’une importance économique considérable en Asie du Sud-Est. Par exemple, les Dipterocarpaceae contribuent pour 70 % de la production de bois d’œuvre en Malaisie (Langenberger, 2006). Il existe des forêts à peuplement pur de Dipterocarpaceae où les espèces les plus couramment rencontrées appartiennent aux genres Dipterocarpus, Shorea et Hopea. Ces essences sont associées à des champignons ectomycorhiziens (Singh, 1966 ; Smits et al., 1988 ; Nataranjan et al., 2005 ; Rivière et al., 2007) et plus rarement à des champignons mycorhiziens à arbuscules (Chalermpongse, 1987). Le cortège ectomycorhizien associé aux Dipterocarpaceae présente une grande diversité (Hong, 1979 ; Watling et Lee, 1995 ; Yokota, 1996 ; Peay et al., 2009). Environ 613 espèces fructifient sous les Dipterocarpaceae dont 255 sont ectomycorhiziens (ex. : S. verrucosum, A. hemibapha, Lactarius virescens) et 187 constituent de nouveaux taxons présumés ectomycorhiziens (Watling et Lee, 1995). Les genres Amanitaspp., Russula spp. et Phylloporus spp. sont fréquemment rencontrés en forêt naturelle et en plantation (Yokota, 1996). Un inventaire mycologique récent montre que les russules, les bolets, les agarics et les Thelephoraceae sont dominants dans les forêts tropicales humides de Bornéo en Malaisie (Peay et al., 2009). Mais ce sont les sclérodermes qui fructifient majoritairement dans les pépinières des différentes espèces d’Hopea spp. et de Shorea spp. (Yokota, 1996). Il est probable que la dépendance ectomycorhizienne des Dipterocarpaceae soit très forte au stade juvénile (Smits et al., 1988). En effet, de simples observations indiquent qu’en l’absence de symbiotes ectomycorhiziens, les jeunes plants de Dipterocarpaceae ont une croissance initiale très faible qui rappelle les problèmes rencontrés chez les pins dans leur zone d’introduction (Smits et al., 1988). Ensuite, l’inoculation par des inoculums naturels (ex. : broyat de sporophores, ECM excisées, humus de vieilles plantations) est souvent nécessaire pour assurer une bonne croissance aux jeunes plants de Dipterocarpaceae (Lee et Alexander, 1994). Il est cependant nécessaire d’utiliser des cultures pures de champignons ectomycorhiziens bien identifiés. Yazid et al. (1994) ont clairement montré tout le bénéfice que certaines espèces d’Hopea pouvaient obtenir de la mycorhization contrôlée avec une souche de P. tinctorius introduite en Malaisie. Cette souche s’avère néanmoins peu compétitive vis-à-vis de la mycoflore native, ce qui laisse à penser qu’il faut utiliser des souches fongiques indigènes adaptées aux Dipterocarpaceae et aux conditions environnementales (Yazid et al., 1996). Plus récemment, Lee et al. (2008) ont montré que l’inoculation par un champignon théléphoroïde indigène avait un effet bénéfique sur la croissance de boutures d’Hopea odorata et de Shorea leprosula en pépinière, mais que cet effet s’estompait après 23 mois en plantation malgré la persistance du champignon sur les racines. Des progrès sont à faire dans les domaines de la caractérisation des symbiotes associés et de la mycorhization contrôlée des Dipterocarpaceae.
25Les Dipterocarpaceae africaines sont moins diversifiées et connues que les Dipterocarpaceae asiatiques. En Afrique tropicale, il existe les genres Monotes et Marquesia. Monotes kerstingii est la seule Dipterocarpaceae connue en Afrique de l’Ouest, souvent en mélange avec des peuplements d’Isoberlinia (Aubréville, 1959 ; Sanon et al., 1997). Elle est naturellement associée à des champignons ectomycorhiziens et à des champignons mycorhiziens à arbuscules (Sanon et al., 1997). Il existe sous cette espèce une grande diversité de champignons ectomycorhiziens dont certains sont communs (ex. : S. verrucosum, L. gymnocarpus) aux Caesalpinioideae (Sanon et al., 1997). En Afrique de l’Est, les deux genres sont représentés et plusieurs espèces à ECM ont été signalées comme Monotes elegans, M. africanus et Marquesia macroura (Högberg, 1982 ; Alexander et Högberg, 1986). Le rôle des champignons ectomycorhiziens sur la croissance des Dipterocarpaceae africaines n’a pas été évalué. Il est donc nécessaire d’étudier la biologie des symbioses (ECM et MA) des Dipterocarpaceae africaines afin de déterminer leur dépendance mycorhizienne et si nécessaire d’intervenir par inoculation dès le stade de la pépinière.
PHYLLANTACAEAE
26Le genre Uapaca possède des MA et des ECM (Thoen et Bâ, 1989). Il existe très peu de données sur le rôle de deux types de mycorhizes sur la croissance des Uapaca. Diédhiou et al. (2005) ont montré le rôle bénéfique de la symbiose ectomycorhizienne sur de jeunes plants d’U. somon inoculés avec différentes souches de champignons ectomycorhiziens (fig. 52) (S. dictyosporum IR 408, S. verrucosum IR500, Pisolithus albus IR100 et le champignon théléphoroïde XM002). La dépendance ectomycorhizienne relative, calculée selon la formule de Plenchette et al. (1983), d’U. somon est la plus forte (85 %) parmi les arbres testés, quelle que soit la souche fongique inoculée (fig. 52). Des résultats comparables ont été obtenus sur U. bojeri, espèce endémique de Madagascar (Ramanankierana et al., 2007) sur sol désinfecté et sur un sol non désinfecté (tabl. XXXVI et XXXVII). Les MA s’installent plus vite que les ECM et sont dominantes au bout de 6 mois (fig. 53). La double inoculation par Glomus intraradices, un champignon mycorhizien à arbuscules introduit, et Scleroderma sp., un champignon ectomycorhizien natif de Madagascar, a un effet supérieur sur la croissance d’U. bojeri par rapport aux inoculations simples avec les deux champignons. Toutefois, ces résultats, obtenus sur des jeunes plants de Uapaca, sont à éprouver en plantation.
FABACEAE
27La famille des Fabaceae comprend trois sous-familles : les Caesalpinioideae, les Mimosoideae et les Papilionoideae. En Afrique tropicale, on trouve des ECM majoritairement parmi les Caesalpinioideae.
Caesalpinioideae
28Une revue des connaissances sur le statut symbiotique des Caesalpinioideae arborescentes a été présentée dans le chapitre 3 de cet ouvrage. Le rôle des champignons ectomycorhiziens sur la croissance des Caesalpinioideae arborescentes a fait, par contre, l’objet de beaucoup moins d’attention. Les principales informations sur l’effet des champignons sur le développement des Caesalpinioideae arborescentes concernent des expériences en conditions contrôlées (tabl. XXXVIII). Les premiers essais d’inoculation des Caesalpinioideae ont été réalisés au Nigeria par Redhead (1974). L’auteur a d’abord décrit deux morphotypes différenciés par la couleur du manteau fongique (blanc et brun foncé) sur de jeunes plants de Brachystegia eurycoma. Il a ensuite entrepris sans succès des essais d’isolement et de culture du mycélium des champignons à partir des ECM. C’est pourquoi il a utilisé des fragments d’ECM comme inoculum pour évaluer l’impact du champignon sur la croissance et la nutrition minérale de jeunes plants de B. eurycoma élevés dans un sol pauvre. Quel que soit le champignon, les plants inoculés poussent mieux que les plants non inoculés. La dépendance mycorhizienne relative de B. eurycoma est comprise entre 16 % et 25 % chez des plants âgés de 13 mois. Il apparaît que l’espèce B. eurycoma est peu dépendante des ECM en dépit des inconvénients liés à l’utilisation de fragments d’ECM comme inoculum.
29L’impossibilité d’obtenir des cultures pures de champignons ectomycorhiziens associés aux Caesalpinioideae africaines a été sans doute un obstacle à la mise en place d’expériences de mycorhization contrôlée. Au Sénégal, Bâ et Thoen (1990) ont isolé et mis en culture pour la première fois une collection de champignons ectomycorhiziens associés à A. africana. Cette collection a été ensuite enrichie en particulier avec des souches isolées de Caesalpinioideae, Dipterocarpaceae et Phyllanthaceae du Burkina Faso et de Guinée forestière (Sanon et al., 1997 ; Rivière et al., 2007 ; Sanon et al., 2009).
30La mycorhization contrôlée de deux provenances d’A. africana (Sénégal) et d’une provenance d’A. quanzensis (Kenya) a été réalisée sur un sol de savane (Sangalkam, Sénégal) pauvre en NPK biodisponibles et dépourvu de propagules ectomycorhiziennes (Bâ et al., 1999 ; Bâ et al., 2002) (tabl. XXXVIII). Le champignon théléphoroïde XM002 s’est révélé parmi les champignons les plus efficaces sur la croissance des deux espèces d’Afzelia en améliorant notamment la biomasse racinaire et la nutrition potassique. Il s’est montré également compétitif et performant sur A. africana dans trois sols forestiers pourtant pourvus de propagules ectomycorhiziennes (Diédhiou et al., 2005). Si on envisage d’utiliser ce champignon pour l’inoculation contrôlée d’autres essences forestières, il paraît important de déterminer son spectre d’hôtes et son efficacité.
31L’une des particularités des Caesalpinioideae des régions tropicales et néotropicales est de posséder des graines de taille et de poids différents (Green et Newbery, 2001 ; de Grandcourt et al., 2004 ; Diédhiou et al., 2005 ; Mc Guire, 2007). On sait aussi que la croissance initiale des plants d’A. africana dépend des réserves cotylédonnaires (Bâ et al., 1994 b). Une fois les réserves cotylédonnaires épuisées, les plantes mycotrophes prélèvent directement du sol les ressources nécessaires à leur croissance. Des travaux ont d’ailleurs montré que la dépendance mycorhizienne est inversement corrélée avec la taille et la teneur en phosphore des graines (Zangaro et al., 2000, 2003).
32Nous avons testé et confirmé l’hypothèse selon laquelle la taille des graines de cinq Caesalpinioideae (A. africana, A. bella, A. macrophylla, C. tetraphyllum et P. coeruleum) et d’une Phyllanthaceae (U. somon) est négativement corrélée avec leur dépendance mycorhizienne. L’expérience a été conduite au Sénégal sur un sol sableux stérilisé très pauvre en phosphore assimilable (Diédhiou et al., 2005). Les champignons testés étaient S. dictyosporum IR408, S. verrucosum IR500, P. albus IR100 et le champignon théléphoroïde XM002 (fig. 54). Les meilleures réponses à l’inoculation ont été obtenues sur les espèces qui possèdent des graines de petites tailles (U. somon, C. tetraphyllum et A. bella) quel que soit le champignon inoculé. Le poids des graines a d’ailleurs été négativement corrélé à la dépendance mycorhizienne relative des arbres (fig. 55).
33En résumé, il apparaît que le champignon théléphoroïde XM002 est un des meilleurs candidats pour la mycorhization contrôlée des Caesalpinioideae et des Phyllanthaceae dans différentes conditions expérimentales. Le champignon théléphoroïde XM002 présente, en effet, des avantages comparatifs par rapport aux autres souches : précocité de colonisation, efficacité sur la croissance des essences en particulier sur le système racinaire (ce qui peut atténuer la crise de transplantation), compétitivité dans différents sols forestiers, large spectre d’hôtes, facilité de mise en culture, et stratégies de conservation et de dissémination dans des conditions de forte dessiccation. Cependant, l’expérimentation au champ reste décisive pour éprouver le choix du symbiote théléphoroïde XM002 performant en serre et en pépinière. Ce Basidiomycète ne produit pas de fructification, ce qui limite sa capacité de diffusion via les spores. Il est donc nécessaire de l’introduire là où il est absent.
Mimosoideae
34La sous-famille des Mimosoideae comporte environ 2 800 espèces d’arbres, d’arbustes et d’arbrisseaux des régions tropicales et subtropicales. Elle renferme des essences à usages multiples dont l’intérêt économique et écologique est considérable dans les systèmes agroforestiers traditionnels d’Afrique de l’Ouest. Les espèces qui possèdent des ECM appartiennent à la tribu des Acacieae, au genre Acacia et au sous-genre Phyllodinae. On peut citer, par exemple, A. mangium, originaire d’Australie, à croissance rapide, qui connaît depuis ces vingt dernières années un regain d’intérêt auprès des services forestiers africains qui plantent des milliers d’hectares de sols dégradés pour répondre à la demande en bois et préserver ainsi les forêts naturelles de la pression anthropique (Cossalter, 1986). A. mangium est une des essences exotiques les plus plantées en Afrique de l’Ouest tout particulièrement en Côte d’Ivoire et en Guinée Conakry (Galiana et al., 1996). A. mangium possède, outre des nodules fixateurs d’azote, des ECM et des MA comme la plupart des Phyllodinae (Le Tacon et al., 1989 ; Ducousso, 1991 ; Bâ et al., 2010). La symbiose fixatrice d’azote d’A. holosericea fonctionne à son niveau d’efficacité maximale quand les deux types de mycorhizes sont présents sur les racines (Cornet et Diem, 1982).
35Les acacias africains sont différents des acacias australiens par leur statut mycorhizien (Le Tacon et al., 1989 ; Ducousso, 1991). Les acacias africains sont exclusivement associés à des champignons mycorhiziens à arbuscules dont ils dépendent fortement pour leur alimentation phosphatée (Colonna et al., 1991 ; Bâ et Guissou, 1996).
36Parmi les acacias australiens, certains sont uniquement à ECM et d’autres à MA (Le Tacon et al., 1989). On peut également observer les deux types de mycorhizes sur le même système racinaire chez quelques acacias. Si les champignons mycorhiziens à arbuscules ne sont pas spécifiques (la même souche peut indifféremment être associée à différentes plantes), il n’en va pas de même pour les champignons ectomycorhiziens et les rhizobia. Comme nous l’avons déjà signalé pour les pins et les eucalyptus, le problème de la spécificité revêt une importance comparable chez les acacias australiens. Dans leur aire d’origine, les acacias australiens sont, dans le meilleur des cas, naturellement associés aux trois symbiotes : Bradyrhizobium, champignon mycorhizien à arbuscules et champignon ectomycorhizien (Warcup, 1980). Contrairement aux eucalyptus, peu d’informations sont disponibles sur le cortège mycorhizien des acacias en Australie.
37C’est en dehors de leur aire de distribution naturelle que les acacias australiens ont révélé une grande aptitude à s’adapter à une large gamme de sol. Les résultats les plus spectaculaires ont été obtenus sur A. mangium en plantation dans des sols dégradés d’Asie (ex. : Indonésie, Malaisie, Thaïlande, Chine) et d’Afrique (ex. : Côte d’Ivoire, Tanzanie, Guinée) en partie grâce à l’inoculation avec des souches sélectionnées de Bradyrhizobium (Galiana et al., 1991 ; Galiana et al., 1996). Par contre, l’inoculation avec des champignons mycorhiziens à arbuscules sélectionnés n’a pas donné tous les résultats escomptés à cause probablement de l’existence d’une microflore fongique native dans la zone de plantation (de la Cruz et Yantasath, 1993). Les données expérimentales sur les ECM des acacias australiens restent très limitées et de simples observations sont encore nécessaires. En Malaisie, Thelephora ramarioides fructifie dans des plantations d’A. mangium sans pour autant que des ectomycorhizes aient été formellement observées (Lee, 1990). Des ECM sensu stricto ont été, cependant, observées sur des racines d’A. mangium associées au champignon Clavaria sp. aux Philippines (Anino, 1992) et à P. albus au Sénégal (Ducousso, 1991 ; Duponnois et Bâ, 1999 ; Duponnois et al., 2002).
38L’association entre acacias australiens et P. albus s’est révélée fonctionnelle en particulier dans des sols pauvres en P assimilable (Duponnois et Bâ, 1999 ; Duponnois et Plenchette, 2003) (tabl. XXXIX et XL). Néanmoins, l’effet de l’inoculation peut s’estomper après plusieurs mois de plantation d’A. crassicarpa malgré la présence de fructifications du champignon inoculé, P. microcarpus (Ducousso et al., 2004 b). Cela pourrait être dû à l’existence d’une microflore native tout aussi efficace que le champignon introduit. La double inoculation par Bradyrhizobium sp. et G. mosseae a été bénéfique pour A. holosericea en pépinière et quelques mois en plantation (Cornet et Diem, 1982). Cependant, il a été démontré in vitro qu’il pouvait exister sur les racines de jeunes plants d’A. holosericea une compétition entre micro-organismes, en particulier lorsque l’inoculation par P. tinctorius précède l’inoculation par Bradyrhizobium sp. (Bâ et al., 1994 a). La formation du manteau fongique supprimerait les poils absorbants et empêcherait donc l’infection par la bactérie.
39Le cortège ectomycorhizien in situ des acacias australiens, en dehors de leur aire de distribution naturelle, semble se limiter au genre Pisolithus (Ducousso, 1991 ; Duponnois et al., 1998). P. albus est l’espèce la plus commune sur les acacias et eucalyptus en plantation au Sénégal (Martin et al., 2002). Cependant, les acacias australiens peuvent s’associer in vitro avec des champignons ectomycorhiziens natifs d’Afrique de l’Ouest (Bâ, 1990 ; Bâ et al., 1994 a; Duponnois et Plenchette, 2003). En effet, S. dictyosporum, associé fongique naturel d’A. africana, forme des ECM in vitro avec A. holosericea (Bâ, 1990). Les associations ainsi formées sont tout à fait fonctionnelles car on a observé des stimulations de croissance sur de jeunes plants d’A. holosericea inoculés avec S. dictyosporum (tabl. XL). Les sclérodermes africains seraient donc tout aussi efficaces que P. albus et probablement plus adaptés au contexte local même s’ils n’ont pas coévolué avec les acacias australiens en zone d’origine.
40Par ailleurs, des champignons ectomycorhiziens de zone tempérée comme Boletus suillus s’avèrent également performants sur la croissance d’A. auriculiformis en serre (Osonubi et al., 1991). C’est pourquoi le choix du champignon ectomycorhizien approprié pour les acacias australiens doit se faire sur une base aussi large que possible. Une attention toute particulière est à apporter également au choix des provenances des acacias. En effet, il a été démontré que certaines provenances d’A. mangium sont plus dépendantes du phosphore assimilable que d’autres (Vadez et al., 1995) ou présentent une dépendance mycorhizienne variable en fonction des symbiotes fongiques (Duponnois et al., 2002).
Tableau XXXIX. Dépendance mycorhizienne relative (DMR) de quelques espèces d’acacias australiens introduits en Afrique de l’Ouest et inoculés par Pisolithus albus IR100
Espèces d’Acacia | DMR (%) |
A. auriculiformis | 45,2 |
A. eriopoda | 20,6 |
A. holosericea | 25,2 |
A. mangium | 20,1 |
A. platycarpa | 31,6 |
Tableau XL. Dépendance mycorhizienne relative (DMR) d’A. holosericea inoculé par des souches de Pisolithus et de Scleroderma
Espèces d’Acacia | DMR (%) |
Pisolithus sp. SL2 | 46,3 |
Pisolithus albus COI007 | 47,5 |
Pisolithus albus COI024 | 41,6 |
Pisolithus albus COI032 | 44,9 |
Pisolithus albus IR100 | 54,3 |
Pisolithus tinctorius GEMAS | 47,9 |
Scleroderma dictyosporum IR109 | 44,6 |
Scleroderma verrucosum IR500 | 50,2 |
41L’inoculation contrôlée d’A. holosericea avec la souche P. albus IR100 a été bénéfique en pépinière et plantation (fig. 56) (Duponnois et al., 2005, 2007). La crise de transplantation a été atténuée notamment dans les traitements inoculés et la souche de P. albus introduite avait bouclé son cycle de reproduction puisque des sporophores ont été observés à proximité des arbres inoculés après 2 années de plantation (fig. 57). L’effet bénéfique de P. albus IR100 sur le développement d’A. holosericea a été confirmé dans des expériences de mycorhization contrôlée dans plusieurs sites au Sénégal (tabl. XLI et XLII ; fig. 57 et 58).
Papilionoideae
42La sous-famille des Papilionoideae comprend environ 12 000 espèces composées essentiellement de plantes agricoles et plus rarement d’arbres et d’arbustes.
43Environ 90 % des espèces répertoriées dans cette sous-famille portent des nodules fixateurs d’azote sur leur système racinaire. Elles sont également associées en majorité à des champignons mycorhiziens à arbuscules. On ne connaît que l’espèce Dalbergia assaica capable de former des ECM in situ (Chalermpongse, 1987). Des ECM ont été obtenues en serre entre Gliricidia sepium et Boletus suillus, un champignon de zone tempérée (Osonubi et al., 1991). Dans cette expérience, la dépendance ectomycorhizienne de G. sepium, évaluée à environ 69 %, est comparable à celle des pins réputés très dépendants (Osonubi et al., 1991). Pericopsis angolensis est l’unique Papilionoideae native possédant des ECM en Afrique tropicale.
CONCLUSION
44En Afrique de l’Ouest, les plantations forestières sont le domaine d’application privilégiée de la mycorhization contrôlée. Elles concernent principalement des essences à croissance rapide, comme les eucalyptus et les pins, pour approvisionner en bois l’industrie de la pâte à papier et répondre à la demande en bois de feu. Ces plantations contribuent ainsi à la préservation des forêts naturelles.
45Les pépiniéristes privés et les services forestiers ne prennent pas toujours en compte le statut symbiotique des plants forestiers malgré les bénéfices potentiels de l’inoculation contrôlée sur la croissance des plants en pépinière comme en plantation. La sensibilisation des pépiniéristes est à poursuivre d’autant que les techniques de mycorhization contrôlée débouchent sur la production de plants équilibrés, vigoureux et sains qui permettent de limiter les traitements phytosanitaires et l’emploi des fertilisants.
46Les techniques de mycorhization contrôlée supposent d’abord de maîtriser les conditions de germination des semences forestières (ex. : conservation des graines, levée de la dormance). Elles sont encore mal connues dans la plupart des essences ouest-africaines. Citons par exemple le cas des Uapaca et de M. kerstingii dont on ne maîtrise pas encore la germination des semences récalcitrantes. Des progrès restent à faire dans ce domaine.
47Ensuite, les techniques de production de plants en pépinières sont à optimiser en apportant l’associé fongique approprié lorsqu’il est absent tout en économisant l’utilisation d’intrants (ex. : pesticides, engrais). Cependant, la production d’inoculum commercialisé reste un des obstacles majeurs pour la diffusion de la technique de mycorhization contrôlée. Des procédés de fabrication d’inoculum mycélien sont à valoriser puisque la demande en produits ligneux augmente en Afrique de l’Ouest. Malgré quelques inconvénients (ex. : recyclage de pathogènes), l’utilisation des spores, peu coûteuse, est à promouvoir pour les sclérodermes et les pisolithes car ces champignons produisent de grandes quantités de spores, faciles à conserver et qui germent au contact des racines.
48Enfin, le choix du champignon adapté à l’essence et aux conditions pédoclimatiques est primordial pour la réussite des plantations des essences natives et introduites. Le problème de la spécificité se pose lorsqu’on introduit des essences en dehors de leur aire d’origine. On peut envisager au moins deux cas de figure. Dans le premier cas où les symbiotes indigènes ne sont pas compatibles avec la plante introduite (ex. : pins), les résultats obtenus jusqu’ici nous orientent vers le choix des champignons ayant coévolué avec la plante dans l’aire d’origine de celle-ci. Dans le second cas où il est possible de trouver des champignons natifs compatibles avec la plante (ex. : eucalyptus, acacias australiens) mais dont on ignore s’ils sont efficaces en plantation, il est important d’envisager l’introduction de l’associé fongique performant dans l’aire d’origine de l’essence et de le comparer avec les souches locales.
49Le problème de la spécificité des souches locales vis-à-vis des essences indigènes (ex. : A. africana) ne se pose pas dans les mêmes termes car les souches locales sont déjà en place et ne montrent pas de spécificité d’hôtes. Il s’agit donc de les sélectionner suivant des critères d’efficacité et de compétitivité dans les conditions de pépinière et de plantation. Pour A. africana, il est nécessaire de faire des essais d’inoculation dans différents sites de plantation afin d’éprouver les résultats obtenus en pépinières avec la souche locale théléphoroïde XM002.
50Une plus grande attention est à apporter aux inoculations multiples avec des champignons ectomycorhiziens, des champignons mycorhiziens à arbuscules et des rhizobiums (Frankiapour les Casuarinaceae) dans la mesure où la plupart des légumineuses forestières exotiques ou natives d’Afrique de l’Ouest hébergent ces micro-organismes symbiotiques.
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