4. Écologie des champignons ectomycorhiziens associés à Afzelia africana
p. 141-163
Texte intégral
INTRODUCTION
1En l’absence de la plante hôte et dans des conditions de stress biotique (ex. : compétition entre champignons telluriques, prédation des spores) et abiotique (ex. : température, sécheresse), les champignons ectomycorhiziens sont capables de survivre dans le sol sous forme de spores, de fragments de mycorhizes, de fragments de cordons mycéliens et de sclérotes que l’on dénomme propagules (Mikola, 1948 ; Levisohn, 1957 ; Lamb et Richards, 1974 ; Skinner et Bowen, 1974 ; Bâ et al., 1991 ; Jones et al., 2003). Le vent est le principal facteur de dispersion des spores des champignons épigés, alors que les petits mammifères sont impliqués dans la dissémination des spores des champignons hypogés (Reddell et al., 1997 ; Ashkannejhad et Horton, 2006). La durée de vie des propagules à l’état végétatif dans le sol dépend de la durée de recolonisation des sites par les arbres mycotrophes. La viabilité des propagules végétatives est d’environ 2 ans en l’absence de plantes hôtes (Hagerman et al., 1999). Par contre, les spores ont une durée de vie plus longue (jusqu’à 5 ans dans un environnement sec) et sont plus abondantes avec un mode de dispersion à grandes distances par le vent et les animaux. Les spores constituent donc la plus importante source de propagules viables dans le sol. Elles sont très actives dans les successions primaires des champignons ectomycorhiziens en particulier lors de la colonisation des écosystèmes dunaires par des arbres mycotrophes (Nara, 2004 ; Ashkannejhad et Horton, 2006). INGLEBY et al. (1998) ont montré que Geastrum, Suillus et Scleroderma sont des champignons pionniers de la Dipterocarpaceae Shorea parvifolia à cause de l’abondance de spores produites dans le sol par ces champignons. Dans la phase de recolonisation par les végétaux des sites perturbés (ex. : chablis, éclaircie, feu) d’un écosystème forestier, les successions secondaires des champignons vont dépendre non seulement du nombre de propagules viables et des modifications physico-chimiques et biologiques du sol, mais aussi de la communauté végétale qui s’y installe (Brundrett et al., 1996 b; Jones et al., 2003). Les feux représentent le principal facteur perturbant les forêts tropicales à eucalyptus. Le passage du feu se traduit par une augmentation du pH et de la disponibilité en C, N et P du sol. Seuls les champignons ectomycorhiziens tolérant de fortes teneurs en nutriments pourraient recoloniser les rejets de souches des eucalyptus (Jones et al., 2003).
2Certains champignons ectomycorhiziens possèdent l’équipement enzymatique qui leur permet d’utiliser des composés complexes du sol comme la lignine, les polyphénols et la cellulose (Read et Perez-Moreno, 2003). Cette activité saprophytique peut leur conférer une aptitude à se maintenir sous forme mycélienne en mobilisant le P et le N organique du sol (Read et Perez-Moreno, 2003 ; Courty et al., 2005). C’est sous cette forme que le champignon colonise la rhizosphère puis le rhizoplan avant le développement de la symbiose ectomycorhizienne proprement dite. La colonisation ectomycorhizienne est le résultat de relations de compétition des champignons entre eux et d’interactions avec d’autres micro-organismes du sol (Duponnois et al., 1993). Lors de la phase de colonisation rhizosphérique, un champignon sera d’autant plus compétitif qu’il sera apte à se maintenir à l’état mycélien. La nature et la densité des propagules, l’activité saprophytique des champignons, de même que la réceptivité des plantes à l’infection ectomycorhizienne sont autant de facteurs qui conditionnent la colonisation des racines par des champignons ectomycorhiziens (Garbaye, 1994 ; Read et Perez-Moreno, 2003 ; Jones et al., 2003).
3Dans les successions primaires comme dans les successions secondaires, les communautés de champignons ectomycorhiziens se succèdent dans le temps et dans l’espace selon l’âge des formations végétales (Dighton et Mason, 1985 ; Lilleskov et Bruns, 2003). Les champignons qui apparaissent en premier peuvent persister, régresser ou disparaître en laissant la place à d’autres. Plusieurs travaux suggèrent que les symbiotes fongiques s’installent en fonction de l’âge des arbres selon un processus de succession et/ou d’addition (Garbaye et al., 1986 ; Dighton et Mason, 1985 ; Chilvers et al., 1987 ; Bâ et al., 1991 ; Read, 1997). Dans les sites de plantation ou de régénération, les communautés fongiques présentent une hétérogénéité spatiale (Dighton et Mason, 1985). Par exemple, dans des plantations monospécifiques de bouleaux, on note une séquence d’apparition des sporophores dans le temps et dans l’espace (Mason et al., 1983). Les genres Scleroderma, Pisolithus, Thelephora, Inocybe, Laccaria apparaissent dans un premier temps. Ils sont appelés champignons précoces ou early stage fungi selon la terminologie anglo-saxonne et fructifient pendant les deux premières années de plantations. Ensuite, ce sont des champignons plus tardifs dénommés late stage fungi comme Cortinarius, Lactarius et Russula qui s’installent dès la sixième année. À ces fructifications correspondent des morphotypes ectomycorhiziens qui suivent la même distribution dans le temps et dans l’espace (Deacon et al., 1983 ; Fleming et al., 1985). Cependant, des champignons (ex. : Laccaria, Pisolithus, Scleroderma), présents à différents âges de la plante, sont dénommés sous le vocable multi stage fungi (Dighton et Mason, 1985). Des séquences comparables ont été également observées sur des résineux et des feuillus (Trappe et Strand, 1969 ; Chu-Chou, 1979 ; Chu-Chou et Grace 1981, 1982, 1983 ; Garbaye et al., 1986). De ces observations est né le concept de succession et/ou d’addition des symbiotes fongiques avec une diversification spécifique qui augmente au cours de l’âge du peuplement forestier (Dighton et Mason, 1985).
4Deux hypothèses sont généralement proposées pour expliquer le processus d’addition et/ou de succession des symbiotes fongiques (Dighton et Mason, 1985 ; Chilvers et al., 1987). Une première hypothèse suggère que les photosynthétats, sucres sous forme de glucose et de fructose, disponibles dans les racines augmentent au cours du vieillissement de la plante hôte et conditionnent ainsi l’ordre d’apparition des champignons ectomycorhiziens (Vogt et al., 1982 ; Dighton et Mason, 1985 ; Bâ et al., 1994 c; Nehls et Hampp, 2000). Les régénérations naturelles par semis et par rejets de souches contractent des ECM avec des champignons tardifs qui seraient, en raison de leur besoin en sucres, suffisamment approvisionnés par les arbres adultes via des réseaux ectomycorhiziens (Simard et al., 1997 a, b; Simard et Durall, 2004). Au contraire, des semis, élevés sur du sol isolé des arbres adultes, forment uniquement des ECM avec des champignons précoces (Fleming, 1983). La raison est que ces derniers ont des besoins en sucres moins importants et ainsi colonisent les jeunes plants (Dighton et Mason, 1985). Cette disponibilité en sucres au niveau des racines est conditionnée en partie par la teneur en azote et en phosphore du sol (Marx et al., 1977 ; France et Reid, 1983 ; Reid et al., 1983). Des teneurs élevées en N et P dans le sol diminuent la teneur en sucres au niveau du système racinaire de Pinus taeda et donc le taux de mycorhization par P. tinctorius (Marx et al., 1977).
5Une seconde hypothèse prend en compte la nature et la densité des propagules fongiques pour expliquer le processus d’addition et (ou) de succession des symbiotes fongiques sur les racines des jeunes arbres. Cette hypothèse a été éprouvée sur le modèle eucalyptus où coexistent deux types de mycorhizes (ECM et MA) sur le même système racinaire, voire sur le même apex racinaire (Chilvers et al., 1987). La colonisation précoce de jeunes plants par des champignons mycorhiziens à arbuscules puis de plants plus âgés par des champignons ectomycorhiziens serait liée à la densité et à la taille des spores de l’endophyte dans le sol (Chilvers et al., 1987). Les MA dominent les premiers mois sur les eucalyptus et sont ensuite remplacées en partie par les ECM (De Oliviera et al., 1997). La régression de la colonisation mycorhizienne à arbuscules résulterait du blocage des sites de colonisation par le champignon ectomycorhizien (Chilvers et al., 1987 ; Boudarga et al., 1990). La succession MA/ECM a été également décrite sur Helianthenum chamaecistus, Alnus glutinosa, Quercus agrifolia, Uapaca staudii et U. bojeri (Read et al., 1977 ; Beddiard, 1987 ; Moyersoen et Fitter, 1999 ; Egerton-Warburton et Allen, 2001 ; Ramanankierana et al., 2007). Les mécanismes de remplacement des MA par des ECM ne sont pas encore connus. Des tests in vitro montrent, cependant, que la colonisation mycorhizienne n’est pas liée à l’absence de réceptivité des jeunes plants d’E. urophylla aux propagules des deux types de champignons (Boudarga et al., 1990).
6Nous avons mis en évidence l’existence de champignons précoces et de champignons tardifs sur les racines d’Afzelia africana dans des expériences de piégeage sur un pas de temps relativement court (Bâ et al., 1991). Le choix de cet arbre modèle tient à son intérêt pour le reboisement en tant que fourrage et bois d’œuvre d’excellente qualité. C’est l’une des rares espèces dont la sylviculture est maîtrisée en laboratoire et en pépinière. Le piégeage des champignons consiste à élever des semis d’A. africana sur des sols forestiers de manière à déterminer la nature des propagules et l’ordre d’apparition des morphotypes ectomycorhiziens au cours du vieillissement de la plante. Les morphotypes ont été caractérisés et, dans certains cas, le champignon impliqué a été isolé et identifié. Les champignons ont été ensuite classés en souches fongiques précoces et en souches fongiques tardives. Pour expliquer le déterminisme de la colonisation ectomycorhizienne d’A. africana par les symbiotes fongiques, deux hypothèses ont été formulées, l’une relative à la nature et à la densité de propagules dans le sol, l’autre se rapportant aux besoins en sucres des souches précoces et tardives.
7Pour tester la première hypothèse, nous avons caractérisé les différents morphotypes ectomycorhiziens durant leur apparition séquentielle sur les racines d’A. africana au cours du temps. Nous avons aussi évalué le nombre et la diversité des propagules du sol en relation avec la séquence d’apparition des différents morphotypes. La compétitivité des champignons prédominants au bout de six mois de croissance de la plante hôte a été comparée en fonction de la densité des propagules dans le sol. Elle a été également testée sur des sols forestiers renfermant des propagules de champignons ectomycorhiziens.
8Pour tester la deuxième hypothèse, nous avons tout d’abord montré que la quantité de sucres solubles des racines latérales augmente au cours du vieillissement de la plante. Nous avons ensuite dissocié le facteur « temps de piégeage » du facteur « contenu en sucres » dans les racines en procédant à l’ablation partielle ou totale des cotylédons pour évaluer les besoins en sucres des souches précoces et tardives. Les besoins en glucose ont été également évalués pour les souches seules ou en symbiose avec A. africana.
DÉTERMINISME DE LA SÉQUENCE D’APPARITION DES MORPHOTYPES ECTOMYCORHIZIENS
Séquence d’apparition des morphotypes
9Dans l’expérience de piégeage, la colonisation des plants par des champignons ectomycorhiziens débute trois semaines après le repiquage des semis d’A. africana sur un sol de la forêt des Bayottes (fig. 42) (Bâ et al., 1991). Cette réceptivité précoce des plants d’Afzelia à la symbiose ectomycorhizienne coïncide avec l’apparition des racines latérales et se produit au stade cotylédonaire bien avant l’étalement des premières feuilles. Cela suggère un rôle possible des cotylédons dans l’établissement de la symbiose. Dans la pénombre des forêts, les régénérations naturelles d’A. africana à partir de semis de l’année contractent aussi des ECM au stade cotylédonaire (Thoen et Bâ, 1989). Dans tous les cas, les MA sont absentes des racines d’arbres adultes et des semis d’A. africana (Bâ, 1990 ; Thoen et Bâ, 1989 ; Bâ et al., 1991 ; Sanon et al., 1997). D’ailleurs, l’inoculation avec des champignons mycorhiziens à arbuscules a un effet dépressif sur la croissance de jeunes plants d’A. africana âgés de 4 mois (Bâ et al., 2000), montrant ainsi que cet arbre n’est pas endotrophe.
10Une séquence d’apparition de cinq morphotypes est révélée sur les racines d’A. africana au cours du temps. Une description des différents morphotypes piégés est proposée dans le tableau XXIII.
11Le morphotype brun clair XM002 apparaît en premier et occupe 50 % du système racinaire des semis âgés de 3 semaines (fig. 42 et 43 A, p. VIII du cahier couleurs). Le morphotype brun clair XM002 change de couleur pour devenir brun foncé et occupe 40 % des racines à la fin de l’expérience (fig. 42 et 43 B). Le morphotype blanc à sclérotes XM001 apparaît 8 semaines après semis avec un taux d’occupation des racines de 20 %, qui diminue pour atteindre 5% au bout de six mois (fig. 42 et 43 C). Le morphotype blanc sans sclérote XM004 apparaît 16 semaines après le repiquage des semis, avec un taux de mycorhization de 20 % à 20 semaines qui décroît à 10 % en fin d’expérience (fig. 42). Les morphotypes brun lisse et jaune pâle apparaissent à 20 semaines avec un taux de mycorhization voisin de 10 % (fig. 42 et 43 D). Le morphotype brun lisse décline au bout de 24 semaines alors que le morphotype jaune pâle XM003 augmente pour atteindre un taux de mycorhization semblable à celui du morphotype XM002 installé en premier (fig. 42).
12Les souches fongiques des morphotypes sont donc classées en deux groupes selon leur apparition : les souches fongiques précoces (XM002 et XM001) et les souches fongiques tardives (XM004, XM003 et la souche du morphotype brun lisse). L’apparition des souches se développe selon une séquence temporelle et spatiale (colonisation multiple sur la même racine) avec une diversité en espèces fongiques qui augmente au cours du temps.
13Les souches précoces n’empêchent pas la mycorhization par les souches tardives. La mycorhization des plants par la souche précoce XM001 diminue lors de l’apparition des souches tardives. Cependant, il n’y a pas de remplacement des champignons précoces par les champignons tardifs mais un processus d’addition au cours du développement de la plante hôte. Après 24 semaines de croissance de la plante hôte, deux souches fongiques, l’une précoce (XM002), l’autre tardive (XM003), sont dominantes et colonisent environ 75 % des racines. Des fructifications de la souche tardive XM003 apparaissent au pied de plants âgés de six mois (fig. 43 D, p. VIII du cahier couleurs).
14Les différents morphotypes des ECM ont été identifiés par séquençage de l’ITS (Bâ, résultats non publiés). C’est ainsi que les morphotypes brun clair à brun foncé XM002 présentent une forte homologie de séquences (100 %) avec le champignon théléphoroïde XM002. Les morphotypes blancs à sclérotes XM001 et jaune pâle XM003 ont une forte homologie de séquences (100 %) respectivement avec S. verrucosum et S. dictyosporum. Le morphotype blanc XM004 sans sclérote est identifié à une Sclerodermataceae, tandis que le morphotype brun lisse est identifié à une Cortinariaceae.
Stratégies de conservation et de dissémination des propagules
15Pour comprendre la séquence d’apparition des morphotypes, nous avons examiné le sol forestier ayant servi au piégeage et montré une diversité de propagules végétatives appartenant aux morphotypes précoces XM002 et XM001 (Bâ et al., 1991). Les propagules, identifiées sur des critères morpho-anatomiques et moléculaires (Bâ, résultats non publiés), sont des fragments d’ECM, des fragments de cordons mycéliens et des sclérotes (fig. 45). La souche précoce XM002 possède une diversité et un nombre importants de propagules viables dans le sol par rapport à toutes les autres souches (tabl. XXIV).
16Les propagules de la souche XM002 sont présentes dans le sol au moins sous forme de fragments de vieilles mycorhizes, de cordons mycéliens et de sclérotes. Les vieilles ECM de la souche XM002 sont d’aspects comparables aux ECM récoltées sur des jeunes plants. Des hyphes peuvent émerger des vieilles ECM (fig. 45 A). En section transversale, des hyphes viables sont localisées dans le manteau interne des vieilles ECM (fig. 45 B). Ces hyphes présentent une paroi épaisse et un cytoplasme dense et bien différencié. Par contre, les hyphes du manteau externe et ceux du réseau de Hartig sont vides de tout contenu cellulaire. Les cordons mycéliens de la souche XM002 présentent en section transversale des hyphes à cytoplasme bien différencié (fig. 45 C). Les hyphes présentent une paroi dont l’organisation ultrastructurale rappelle celle des hyphes des MA (Tommerup et Abbott, 1981 ; Lim et al., 1983). Les hyphes externes sont sans contenu cellulaire donc mortes, alors que les hyphes internes contiennent un cytoplasme dense viable (fig. 45 C). Les sclérotes des souches XM002 et XM001 présentent une organisation ultrastructurale comparable à celle de Hebeloma sacchariolens, de Pisolithus tinctorius et de Paxillus involutus (Grenville et al., 1985 a, b; FOX, 1986). En section transversale, les sclérotes présentent un cortex épais et une médula constituée d’hyphes viables à parois épaisses (fig. 45 D).
17D’autres cordons mycéliens et vieilles ECM, retrouvés dans le sol de piégeage, renferment des hyphes non viables. La précocité de colonisation des souches précoces XM002 et XM001 corrobore des résultats expérimentaux obtenus en confrontant in vitro des propagules aux racines de jeunes plants d’Afzelia. Les hyphes émergent des différentes propagules des souches précoces et colonisent les racines d’A. africana dans un délai d’une à deux semaines. En revanche, les spores de sporophores de S. verrucosum et de S. dictyosporum colonisent dans des délais plus longs (tabl. XXIV). Les propagules végétatives sont donc responsables de la colonisation précoce des racines d’A. africana. Cela explique pourquoi la souche XM002 s’installe en premier dans l’expérience de piégeage. De plus, la diversité et le nombre de propagules végétatives sont plus élevés pour la souche XM002, ce qui lui donne un avantage compétitif sur la souche XM001 dans les expériences de piégeage. Les sclérotes de XM002 ne colonisent pas les racines d’A. africana (tabl. XXIV). Il est probable que la fragilisation de la paroi soit nécessaire pour lever la dormance des sclérotes comme dans le cas des sclérotes de champignons pathogènes dont la paroi est fragilisée par des micro-organismes telluriques (Townsend et Willetts, 1954 ; Coley-Smith, 1985).
18La souche précoce XM002 ne forme pas de sporophores en pépinière et en forêt, mais elle produit en abondance des propagules de conservation (sclérotes) et de dissémination (fragments de vieilles mycorhizes et de cordons mycéliens) dans le sol qui lui confère non seulement une capacité colonisatrice des racines dans des délais très courts, mais aussi une aptitude à résister à de fortes dessiccations en saison sèche. La question était de savoir si le champignon théléphoroïde XM002 est compétitif et efficace sur la croissance de la plante hôte dans des sols forestiers où il est introduit.
Compétitivité du champignon précoce théléphoroïde XM002
Compétition entre champignons précoces et tardifs
19La souche précoce théléphoroïde XM002 et la souche tardive S. dictyosporum XM003 ont été choisies, à cause de leur taux de colonisation des racines relativement élevé et la facilité à les distinguer de visu lorsqu’elles sont en symbiose dans l’expérience de piégeage (Diédhiou et al., 2004). Les deux champignons ont été cultivés séparément dans des bocaux contenant un mélange de vermiculite et de tourbe (4:1 ; v:v) imprégné d’un milieu nutritif MNM puis mélangés soigneusement selon cinq modalités : (1) 100 % de XM002, (2) 75 % de XM002 et 25 % de XM003, (3) 50 % de XM002 et 50 % de XM003, (4) 25 % de XM002 et 75 % de XM003, (5) 100 % de XM003. Les inoculums sont incorporés, à raison de 10 %, dans du sol de savane dépourvu de propagules viables. Là où ils sont ensemble, les deux champignons cohabitent sur les racines latérales, voire sur le même apex (fig. 46). Dans tous les cas de confrontation entre les deux symbiotes fongiques, le champignon précoce XM002 se montre plus compétitif vis-à-vis d’A. africana que le champignon tardif XM003 (fig. 47). Ce dernier apparaît sur les racines 16 semaines après inoculation, ce qui corrobore son statut de champignon tardif. La densité des propagules ne conditionne donc pas l’ordre d’apparition des deux champignons.
Compétitivité du champignon précoce dans des sols forestiers
20Une deuxième expérience a été réalisée pour évaluer la compétitivité de la souche précoce XM002 dans des sols forestiers riches en propagules de différentes espèces de champignons ectomycorhiziens.
21Trois sols forestiers ont été prélevés dans la mycorhizosphère d’arbres adultes d’A. africana. Ils présentent des caractéristiques semblables sauf pour le phosphore assimilable dont la teneur varie d’un sol à un autre (tabl. XXV). La souche théléphoroïde XM002 a été inoculée dans les trois sols forestiers pour évaluer sa compétitivité vis-à-vis de la microflore fongique native au niveau des racines de plants d’A. africana en pépinière. Pour distinguer le champignon introduit des souches natives des sols forestiers, les MT ectomycorhiziens ont été inventoriés, caractérisés par PCR-RFLP de l’ITS et identifiés par séquençage de la région ML5-ML6 de l’ADNr mitochondrial (Diédhiou et al., 2004).
22Les séquences de colonisation d’A. africana sont comparables dans les trois sols forestiers non inoculés (tabl. XXVI). Les morphotypes brun clair se sont installés dans un premier temps, suivis des morphotypes blancs ou marron, puis des morphotypes brun foncé. Ces derniers se sont avérés dominants au bout de 3 mois. L’introduction de la souche XM002 n’a pas modifié l’ordre d’apparition des morphotypes mais a stimulé la fréquence des morphotypes brun foncé. Le morphotype brun foncé introduit est comparable aux morphotypes brun foncé natifs des trois sols forestiers.
23L’analyse RFLP a permis de distinguer le morphotype introduit des morphotypes natifs (fig. 48, tabl. XXVII). La fréquence d’apparition du ribotype introduit est supérieure à celle des ribotypes natifs (tabl. XXVIII, ce qui suggère que la souche introduite XM002 est responsable de l’augmentation de la fréquence des morphotypes brun foncé (tabl. XXVI). Autrement dit, le champignon introduit a supplanté la microflore native sans l’éliminer des trois sols forestiers.
24Les morphotypes introduits et natifs sont identifiés par séquençage de la région ML5-ML6 de l’ADNr mitochondrial (fig. 49). Parmi les 15 séquences analysées, 9 sont des Thelephoraceae dont le champignon introduit, 4 des Sclerodermataceae et 2 des Cortinariaceae.
25Indépendamment de la densité des propagules, la souche précoce théléphoroïde XM002 s’est montrée compétitive en présence de la souche tardive S. dictyosporum ou de la microflore native des trois sols forestiers. Nous avons également montré que la souche précoce colonise A. africana indépendamment des caractéristiques du sol et notamment du phosphore assimilable.
26La deuxième hypothèse relative aux besoins en sucres est également prise en considération pour tenter d’expliquer l’ordre d’apparition de la souche précoce théléphoroïde XM002 par rapport à la souche tardive S. dictyosporum XM003.
Besoins en sucres des souches précoces et tardives
27Des expériences ont été réalisées en conditions contrôlées in vitro et en serre pour tester l’hypothèse selon laquelle les souches précoces (XM001 et XM002) ont des besoins en sucres, différents de ceux des souches tardives (XM003 et XM004), et que la séquence d’apparition des différentes ECM est déterminée par la teneur en sucres dans les racines de plants d’Afzelia (Bâ et al., 1994 c).
28Nous avons tout d’abord vérifié que la quantité de sucres solubles, en particulier, de glucose augmente au cours du vieillissement des jeunes plants d’A. africana (tabl. XXIX).
Tableau XXIX. Teneurs en glucose, saccharose et hexoses réducteurs des racines latérales de plants d’A. africana âgés de 1 à 4 mois
Temps (mois) | Glucose (mg/g) | Saccharose (mg/g) | Hexoses (mg/g) |
1 | 17 a | 13 a | 31 a |
2 | 31 a | 13 a | 64 b |
3 | 69 b | 7,5 a | 93 c |
4 | 79 b | 1,7 b | 102 c |
29Nous avons ensuite dissocié le temps de piégeage du contenu en sucres dans les racines, en procédant à l’ablation des cotylédons avant la formation des premières feuilles (fig. 50). L’ablation partielle ou totale des cotylédons réduit la croissance et la teneur en sucres solubles des racines latérales d’A. africana (tabl. XXX et XXXI). Les cotylédons alimenteraient donc en sucres les racines latérales. On sait par ailleurs que la formation et le maintien de l’association ectomycorhizienne résultent d’un équilibre, entre les deux partenaires, équilibre caractérisé par un double flux d’échanges, des sucres étant transférés de la plante hôte vers le champignon, et des minéraux du sol vers la plante hôte via le champignon (Smith et Read, 2008). Un facteur de déséquilibre (ex. : faible intensité lumineuse, ablation des cotylédons, décapitation de la partie aérienne ou décortication annulaire) peut non seulement modifier l’ectotrophie des champignons mais aussi induire dans certains cas de profondes modifications de la structure de l’ECM (Davis et Fucik, 1986 ; Lei, 1988 ; Bâ et al., 1994 c).
Tableau XXXI. Effet de l'ablation des cotylédons sur la teneur en glucose, saccharose et sucres réducteurs des racines latérales de plants d’A. africana
Traitements | Glucose (mg/g) | Saccharose (mg/g) | Hexoses (mg/g) |
Ablation totale | 51,3 a | 1,3 a | 51,0 a |
Ablation partielle | 72,3 a | 11,0 b | 97,3 b |
Sans ablation | 78,0 a | 17,3 b | 170,6 c |
30L’ablation totale ou partielle des cotylédons d’A. africana modifie l’ectotrophie des souches tardives XM004 et XM003 (tabl. XXXII). Ces champignons forment des pseudo-mycorhizes avec un manteau fongique sans réseau de Hartig. Ils induisent aussi des épaississements pariétaux sur les racines d’A. africana qui rappellent des situations d’incompatibilité entre plante hôte et champignon pathogène. Les jeunes plants d’Afzelia sans cotylédons ne pouvant pas fournir suffisamment de sucres aux souches tardives, celles-ci présentent alors un comportement agressif qui déclenche une réaction d’hypersensibilité (épaississements de la paroi, digitations pariétales) de la plante hôte. Cette agressivité différentielle pourrait résulter de besoins en sucres plus importants chez les souches tardives. Par contre, la souche précoce XM002 forme des ECM sensu stricto après l’ablation totale ou partielle des cotylédons. L’ectotrophie de la souche précoce XM001 est néanmoins affectée par les traitements cotylédonaires sans induire des épaississements pariétaux à la différence des souches tardives. Située à un niveau intermédiaire de colonisation ectomycorhizienne dans l’expérience de piégeage, la souche précoce XM001 aurait des besoins en sucres plus importants que la souche précoce XM002.
31La croissance radiale des deux souches XM002 et XM003, isolats fongiques où a été décelée la plus grande capacité à coloniser le sol rhizosphérique, a été comparée in vitro en fonction de différentes concentrations en glucose (fig. 51). Le champignon précoce XM002 a des besoins moins importants en glucose que le champignon tardif XM003 ; c’est pourquoi il coloniserait en premier les racines d’Afzelia dans les expériences de piégeage.
32Les deux souches XM002 et XM003 ont été confrontées seules ou en interaction sur des racines d’A. africana maintenues en conditions axéniques sur un substrat de culture arrosé d’une solution nutritive de MNM à différentes concentrations de glucose (tabl. XXXIII). Pour l’inoculation mono-souche, les deux isolats fongiques colonisent à l’identique le système racinaire des plants d’A. africana, mais seule la souche XM002 a un effet bénéfique sur la production de biomasse (tabl. XXXIV). En inoculant les 2 isolats, la souche XM002 s’avère plus compétitive que la souche XM003 quelle que soit la concentration en glucose. L’effet bénéfique de la double inoculation est probablement dû à la souche XM002 (tabl. XXXIV). Ces résultats expérimentaux montrent que la colonisation ectomycorhizienne est modulée par la plante hôte et/ou par la capacité de dissémination de la souche XM002, et non par la teneur en glucose du substrat de culture.
CONCLUSION
33Au vu des résultats précédents et dans le contexte des forêts au sud du Sénégal où le climat est caractérisé par une longue saison sèche de huit mois, nous suggérons, depuis le maintien des propagules dans le sol jusqu’à la colonisation mycorhizienne proprement dite des jeunes plants d’A. africana, deux étapes majeures en ce qui concerne l’écologie des champignons.
34– En saison sèche, les champignons ectomycorhiziens seraient capables de se maintenir dans le sol sous forme de propagules de conservation (ex. : sclérotes, spores) et de dissémination (ex. : fragments de mycorhizes et de cordons mycéliens). A. africana fructifie en fin de saison sèche. Les gousses « éclatent » sur l’arbre et libèrent les graines qui tombent sur le sol avant d’entrer dans un état de dormance jusqu’aux premières pluies.
35– En saison des pluies, les conditions sont favorables à la germination des graines d’A. africana et à l’émergence des hyphes des propagules végétatives. Les hyphes des souches précoces coloniseraient les racines des semis d’A. africana au stade cotylédonaire avant l’apparition des premières feuilles. La colonisation des racines d’A. africana par les souches tardives s’effectuerait lorsque les racines contiennent les quantités requises de sucres.
36D’un point de vue pratique, la connaissance des espèces fongiques capables d’établir rapidement des ECM sur les jeunes Afzelia est d’une importance capitale pour le choix des souches destinées à l’inoculation artificielle des pépinières. Les souches précoces sont en nombre limité, et compatibles avec une très large gamme d’hôtes. Il est, par contre, inutile de tenter de sélectionner parmi les souches tardives plus nombreuses et spécifiques et qui constituent pourtant la majorité des symbiotes potentiels des Afzelia. La souche précoce théléphoroïde XM002 est un candidat potentiel pour la mycorhization contrôlée d’A. africana du fait de sa grande amplitude écologique, de ses faibles besoins en substrats carbonés, de sa précocité, de son efficacité et de sa compétitivité en pépinière.
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