1. Établissement et fonctionnement de la symbiose ectomycorhizienne
p. 13-41
Texte intégral
INTRODUCTION
1Les micro-organismes du sol sont extrêmement diversifiés et comprennent des groupes très différents dont les plus importants sont les bactéries, les champignons et les protozoaires. Parmi les micro-organismes telluriques figurent certains champignons qui induisent, au niveau des racines de plantes, des organes nouveaux appelés mycorhizes, les symbioses végétales les plus répandues dans les écosystèmes terrestres (Fortin et al., 2008 ; Smith et Read, 2008). Les mycorhizes jouent un rôle essentiel aux échelles de l’écosystème et du peuplement, de l’arbre et de la cellule. Aux échelles de l’écosystème et du peuplement, les mycorhizes participent au maintien de la biodiversité végétale et fongique, à la régénération naturelle et au fonctionnement des cycles biogéochimiques (ex. : minéralisation de la matière organique, altération des minéraux primaires). À l’échelle de l’arbre, les mycorhizes assurent l’essentiel de la nutrition hydrominérale, protègent les racines contre des agents pathogènes et renforcent la résistance à des stress abiotiques. À l’échelle de la cellule, les mycorhizes participent au maintien de l’homéostasie ionique et osmotique. Tout un complexe bactérien est associé aux mycorhizes et joue un rôle essentiel dans l’établissement de la symbiose et dans l’altération des minéraux primaires de la rhizosphère ou plus exactement de la mycorhizosphère. Les champignons mycorhiziens et leur complexe bactérien jouent donc un rôle important dans le fonctionnement des écosystèmes forestiers, et influent fortement sur la diversité et la productivité des forêts.
PRINCIPAUX TYPES DE MYCORHIZES
2On estime qu’il y a entre 220 000 et 420 000 espèces de plantes terrestres (Scotland et al., 2003). Plus de 10 000 espèces ont été examinées, en majorité des angiospermes, et 86 % d’entre elles possèdent des mycorhizes (Brundrett, 2009 ; Tedersoo et al., 2010). Il existe sept types de mycorhizes classés selon leur écologie, leur morphologie et leur structure: les mycorhizes à vésicules et à arbuscules ou mycorhizes à arbuscules (MA), les ectomycorhizes (ECM), les ectendomycorhizes, les mycorhizes arbutoïdes, monotropoïdes, éricoïdes et orchidoïdes (fig. 1, tabl. I). Les MA, les mycorhizes orchidoïdes et les ECM sont les plus fréquentes et les plus étudiées. Les MA sont les plus primitives et les plus répandues dans les écosystèmes naturels et cultivés (Tedersoo et al., 2010). Leur apparition coïncideraient avec celle des végétaux terrestres il y a 450 millions d’années (Wang et Qiu, 2006). Chez les angiospermes, les MA concernent près de 74 % des espèces (ex. : arbres, arbustes, lianes, plantes agricoles, herbacées), alors que les ECM, environ 2 % des espèces en majorité des arbres d’intérêt, sont dominantes dans les forêts boréales, tempérées (ex. : Pinaceae, Fagaceae) et tropicales (ex. : Caesalpinioideae, Dipterocarpaceae). Les plus vieux fossiles connus des ECM datent de 50 millions d’années. La présence des ECM chez les Sarcolaenaceae, une famille à ECM proche des Dipterocarpaceae et endémique de Madagascar, suggère que l’origine des ECM chez les Dipterocarpaceae est de l’époque du supercontinent Gondwana, et le statut ectomycorhizien de Pakaraimaea dipterocarpacea (Dipterocarpaceae ancestrale) date cette origine à environ 135 millions d’années (Dayanandan et al., 1999 ; Ducousso et al., 2004 a; Moyersoen, 2006).
3Les ECM dériveraient des MA via des associations relictuelles où coexisteraient les deux types de symbioses ECM et MA (Brundrett, 2002). Au cours de l’évolution, les champignons ectomycorhiziens seraient apparus plusieurs fois indépendamment dans différents clades de champignons saprophytes dont l’association avec des Spermatophytes aurait permis la colonisation de milieux pauvres en nutriments quand le climat était devenu plus aride (Fitter et Moyersoen, 1996 ; Brundrett, 2002). L’association serait réversible car elle résulterait d’un équilibre instable entre saprophytisme et symbiose, rompu plusieurs fois suivant les partenaires et les conditions du milieu. Les champignons saprophytes comportent des genres très proches des champignons ectomycorhiziens et pourraient être des symbiotes ayant perdu leur hôte (Hibbett et al., 2001). D’ailleurs, certains saprophytes (ex. : Phelbiopsis gigantea, Hypholoma fasciculare) possèdent encore l’aptitude à former les structures typiques d’ECM sur l’épicéa et le pin sylvestre, ce qui les rapproche des symbiotes fongiques (Vasiliauskas et al., 2007). Tout comme les saprophytes, des symbiotes ont l’équipement enzymatique (ex. : phénol oxydases) qui leur permet de mobiliser l’azote et le phosphore organiques (Read et Perez-Moreno, 2003 ; Courty et al., 2005 ; Martin et al., 2008).
4Les mycorhizes arbutoïdes, monotropoïdes, éricoïdes et orchidoïdes concernent quelques familles de plantes (Bryophytes, Ericaceae, Monotropaceae et Orchidaceae) ayant en commun des pelotons d’hyphes cloisonnées à l’intérieur des cellules (tabl. I). Les Orchidaceae, mycotrophes dans les premiers stades de leur développement, deviennent ensuite autotrophes ou mixotrophes pour le carbone, ou restent mycotrophes tout au long de leur vie notamment les espèces sans chlorophylle. Ces dernières sont dites mycohétérotrophes et renversent le sens habituel des flux de carbone fourni par le champignon qui forme par ailleurs des ectomycorhizes avec les arbres voisins. Il n’est pas exclu que, dans cette relation atypique, le champignon se procure du carbone en saprophyte ou en symbiose avec des plantes chlorophylliennes voisines (Selosse, 2000). Les plantes mycohétérotrophes (environ 400 espèces d’angiospermes dans 10 familles) ayant perdu toute photosynthèse auraient émergé de façon récurrente au cours de l’évolution (Selosse et al., 2002). Enfin, les ectendomycorhizes, symbioses mutualistes strictes, possèdent des structures qui les rapprochent des mycorhizes à pelotons et des ECM (fig. 1).
SYMBIOSE ECTOMYCORHIZIENNE
5La symbiose ectomycorhizienne est une association mutualiste entre les racines fines des plantes et des champignons du sol. Elle se traduit par la formation d’ECM, organe mixte, et par l’apparition de fructifications appelées sporophores visibles à proximité de la plante hôte (fig. 1 ci-dessus, 2 et 3, p. I du cahier couleurs). Au plan morphologique et structural, la racine, profondément modifiée, est enrobée d’un manteau fongique, ce qui la rend visible à l’œil nu, et présente un réseau d’hyphes, appelé réseau de Hartig, qui pénètre entre les cellules corticales sans jamais traverser la paroi (fig. 1 et 4). Chez les feuillus, le réseau de Hartig est autour de la première couche de cellules corticales allongées par rapport aux cellules sous-jacentes (fig. 4) alors que chez les résineux, il peut concerner plusieurs couches de cellules. Du manteau fongique part un réseau extramatriciel d’hyphes qui explorent un grand volume de sol allant au-delà de la rhizosphère et déterminant la mycorhizosphère (fig. 1). Le réseau extramatriciel d’hyphes est relié aux sporophores.
Plantes hôtes
6On estime qu’il y a environ 6 000 espèces de plantes terrestres qui peuvent former des ECM (Taylor et Alexander, 2005 ; Tedersoo et al., 2010). Les espèces de plantes à ECM sont des Gymnospermes et surtout des angiospermes (tabl. II). L’une des rares Ptéridophytes pour ne pas dire la seule qui posséderait des ECM est Dryopteris filix-mas, mais son statut ectomycorhizien est encore fortement controversé dans la littérature. Les arbres sont majoritairement impliqués dans cette symbiose, mais on trouve aussi des arbustes, des lianes et des herbacées. Les arbres sont représentés principalement dans les familles ou sous-familles des Betulaceae, Caesalpinioideae, Dipterocarpaceae, Fagaceae, Myrtaceae, Papilionoideae et Pinaceae (tabl. II). En général, les arbres à ECM dominent la strate arborée des forêts boréales et tempérées de l’hémisphère nord, des forêts tempérées et subtropicales de l’hémisphère sud, des forêts à Dipterocarpaceae en Asie du Sud-Est et à Caesalpinioideae (tribu des Amherstieae) en Afrique tropicale.
7La plupart des arbres à ECM possèdent aussi des MA et (ou) plus rarement des ectendomycorhizes en particulier chez les Ericaceae (tabl. II). Par exemple, dans le genre Eucalyptus, Helianthemum et Quercus, les MA sont dominantes sur les jeunes plants alors que les ECM sont surtout sur les arbres adultes (Read et al., 1977 ; dos Santos et al., 2002 ; Egerton-Warburton et Allen, 2001). Ces deux types de mycorhizes peuvent parfois coexister sur le même apex racinaire (Lapeyrie et Chilvers, 1985 ; Thoen et Bâ, 1989 ; Moyersoen et Fitter, 1999). D’un point de vue fonctionnel, la double symbiose a un effet additif sur la croissance chez Alnus et Uapaca (Fraga-Beddiar et Le Tacon, 1990 ; Ramanankierana et al., 2007) ou peut avoir un effet inhibiteur sur la croissance chez Quercus à cause du coût énergétique que cela représente pour la plante hôte (Egerton-Warburton et Allen, 2001).
Champignons
8La diversité des champignons ectomycorhiziens est évaluée de 20 000 à 25 000 espèces (0,5 à 0,7 % de la diversité des champignons) appartenant majoritairement à des Basidiomycètes et Ascomycètes et plus rarement à des Gloméromycètes (Molina et al., 1992 ; Brundrett et al., 1996 a; Taylor et Alexander, 2005 ; Tedersoo et al., 2010). On estime aussi que la diversité des champignons ectomycorhiziens serait moins importante dans les régions tropicales que dans les régions tempérées (Tedersoo et Nara, 2010). Cette estimation serait en deçà de la réalité car les inventaires restent limités et de nombreux champignons ne sont pas encore répertoriés ou restent indéterminés dans les régions tropicales (Rivière et al., 2007 ; Peay et al., 2009).
9Les Ascomycètes sont particulièrement bien représentés chez les hypogés alors que la plupart des Basidiomycètes sont épigés (tabl. III). Certains sporophores épigés (ex. : russules, chanterelles, bolets, agarics) ou hypogés (ex. : truffes) sont comestibles. Des espèces de champignons (ex. : Laccaria laccata, Thelephora terrestris, Pisolithus tinctorius, Scleroderma verrucosum, Cenococcum geophilum) ont une grande distribution dans les écosystèmes forestiers des régions tempérées et tropicales.
Effet mycorhizosphère
10La symbiose ectomycorhizienne a généralement été étudiée suivant une approche binomiale en prenant principalement en compte les interactions trophiques et le dialogue moléculaire entre les deux partenaires de l’association symbiotique. Plus récemment, ce phénomène symbiotique a été élargi à son environnement et il a été démontré que le développement de la symbiose ectomycorhizienne et plus particulièrement celui du mycélium extramatriciel, influençait significativement la stabilité structurale des sols (Caravaca et al., 2002) ainsi que la structure de la microflore tellurique non symbiotique ou symbiotique (ex. : rhizobia) et ses caractéristiques fonctionnelles (Frey-Klett et al., 2005 ; Calvaruso et al., 2007). Lors de l’établissement de la symbiose, la physiologie de la plante hôte est transformée aboutissant à des modifications qualitatives et quantitatives au niveau de la composition des exsudats racinaires. Ces changements dans les apports trophiques facilement métabolisables par les micro-organismes du sol, matérialisent deux compartiments microbiens caractérisés par une structure et une diversité fonctionnelle qui leur est propre, à savoir le compartiment mycorhizosphérique soumis à l’activité de la mycorhize sensu stricto et le compartiment hyphosphérique soumis à l’activité du mycélium extramatriciel issu de la mycorhize (Linderman, 1988 ; Garbaye, 1991) (fig. 5 A). La compartimentation de la microflore du sol en réponse à l’installation de la symbiose ectomycorhizienne a été mise en évidence au niveau de la microflore totale, mais aussi au niveau de groupes bactériens connus pour leur importance dans le fonctionnement du sol comme les actinomycètes (Assibetse et al., 2005), les rhizobia (Duponnois et Plenchette, 2003) et les Pseudomonas fluorescents (Duponnois et Garbaye, 1990 ; Founoune et al., 2002 b; Duponnois et Lesueur, 2004 ; Frey-Klett et al., 2005). Ces résultats montrent que l’amélioration des capacités de la plante hôte à accéder aux ressources minérales et organiques du sol peut résulter de l’action conjuguée des symbiotes fongiques et de sa microflore associée, formant ainsi un complexe trophique associant la plante hôte, les symbiotes fongiques et la microflore hyphosphérique et mycorhizosphérique (fig. 5 A et 5 B).
11Certaines composantes bactériennes de la mycorhizosphère et de l’hyphosphère développent également des relations privilégiées avec les symbiotes fongiques et améliorent significativement l’établissement de la symbiose mycorhizienne. Ces bactéries ont été nommées : Bactéries auxiliaires de la mycorhization (BAM). Le concept de bactéries auxiliaires de la mycorhization a été surtout développé sur le couple symbiotique Douglas-Laccaria bicolor (Garbaye et Duponnois, 1992 ; Garbaye, 1994 ; Frey-Klett et al., 2007). Les BAM sont localisées dans le manteau fongique et/ou étroitement associées au réseau extramatriciel d’hyphes de L. bicolor de manière extraou intracellulaire (fig. 5 C et 5 D). L’effet BAM a été observé chez de nombreux couples entre plantes hôtes et champignons dans le cas des symbioses mycorhiziennes (tabl. IV). Les principales hypothèses proposées susceptibles d’expliquer les modes d’action des bactéries auxiliaires de la mycorhization ont été décrites par Garbaye (1994).
12L’effet BAM peut se manifester sur différentes étapes du cycle de développement de la symbiose mycorhizienne à savoir (1) pour faciliter la phase pré-symbiotique du symbiote fongique ou (2) agir sur les dialogues moléculaires régissant l’association et la reconnaissance des deux composantes de la symbiose qui aboutira à la formation d’une mycorhize fonctionnelle.
13La phase pré-symbiotique de la symbiose ectomycorhizienne inclut la germination des spores fongiques et le développement saprophytique du symbiote ectomycorhizien. Les BAM pourraient stimuler la germination des spores, des sclérotes et toutes formes de propagules fongiques qui assurent la conservation et la dissémination des champignons dans le sol. Il a été démontré que certaines levures (ex. : Rhodotorulla spp.) et certaines bactéries pouvaient améliorer la germination de basidiospores (Fries et al., 1987). Cet effet « promoteur » a été observé avec des bactéries comme Pseudomonas stutzeri sur la germination des spores de Basidiomycètes (Ali et Jackson, 1989). Alors que peu d’informations ont été acquises sur l’effet de la microflore tellurique sur la germination des spores de champignons ectomycorhiziens, ce type d’interaction a été beaucoup plus étudié sur le modèle des champignons mycorhiziens à arbuscules (tabl. IV). Il a été démontré que la germination des spores de Glomus mosseae et de Glomus versiforme était significativement stimulée par certaines bactéries rhizosphériques (Mosse, 1962 ; Mayo et al., 1986). Plus récemment, des travaux ont montré que les hyphes de nombreux champignons mycorhiziens arbusculaires tels que Geosiphon pyrifome (Schüssler et al., 1994), Endogone flammicorona (Bonfante-Fasolo et Scannerini, 1977) ou Gigaspora margarita (Bianciotto et al., 1996) hébergeaient des microorganismes type bactérie (Bacterium-Like Organisms, BLOs). Chez certaines espèces de Gigaspora et de Scutellospora, Bianciotto et al. (2003) ont montré que ces endosymbiotes appartenaient à un nouveau taxon chez les ß-protéobactéries. Ces bactéries sont observées à tous les stades du cycle de développement des champignons mycorhiziens à arbuscules en particulier dans les spores et dans le mycélium intracellulaire et extramatriciel (Minerdi et al., 2002). Quelques études réalisées sur les champignons ectomycorhiziens ont révélé l’existence de bactéries intracellulaires (Mogge et al., 2000 ; Bertaux et al., 2003) mais l’utilisation de la microscopie électronique n’a pas permis de déterminer avec précision l’environnement dans lequel évoluent ces endosymbiotes et plus particulièrement l’état de viabilité des cellules dans lesquelles ces bactéries ont été détectées. Pour les couples symbiotiques à ECM, Pinus strobusEndogone flamicorona (Bonfante-Fasolo et Scannerini, 1977), Picea abies – ‘Type F’ Ectomycorhizae – (Buscot et al., 1994) et Pinus sylvestris-Suillus bovinus (Nurmiaho-Lassila et al., 1997), les endobactéries sont détectées dans des cellules vivantes. Dans le cas du couple Fagus sylvatica et Lactarius rubrocinctus, ces bactéries n’ont été observées que dans les cellules sénescentes (Mogge et al., 2000). En utilisant la technique d’hybridation in situ, Bertaux et al. (2005) ont montré que des endobactéries, principalement des α-protéobactéries, étaient présentes en abondance dans les ECM, le mycélium extramatriciel et les fructifications de Laccaria bicolor S238N. Sur des modèles tropicaux, une expérience a été réalisée en inoculant des spores de Pisolithus albus dans le substrat de culture d’Acacia mangium (Duponnois et Lesueur, 2004). Après 3 mois de culture, aucune ECM n’a été détectée au niveau des systèmes racinaires d’Acacia mangium, mais le substrat de culture était largement colonisé par des bactéries appartenant au groupe des Pseudomonas fluorescents. Après 6 mois de culture, ces bactéries n’avaient pu être détectées dans le substrat de culture alors que des ECM de P. albus avaient été observées sur les systèmes racinaires d’A. mangium. Pour expliquer la présence et le développement de ces bactéries dans le substrat de culture pourtant préalablement désinfecté, les auteurs ont émis l’hypothèse que les Pseudomonas fluorescents étaient localisés au niveau des spores du champignon. Toutefois, le rôle de ces endosymbiotes dans le cycle de développement du champignon reste encore totalement inconnu.
14Il est couramment admis que les champignons ectomycorhiziens ont des capacités enzymatiques limitées pour pouvoir dégrader des molécules complexes (ex. : cellulose, lignine). Les apports de carbone sont assurés par la plante hôte via les produits de la photosynthèse. La phase pré-symbiotique constitue donc une étape critique dans l’établissement de la symbiose puisque le champignon se développe principalement en utilisant ses réserves nutritionnelles intrinsèques. Les BAM pourraient fournir aux symbiotes des composés carbonés simples qu’ils pourraient facilement métaboliser et ainsi faciliter leur développement saprophytique dans le sol. En utilisant un test simulant les carences minérales et carbonées que rencontrent les symbiotes lors de leur développement dans le sol, Duponnois (1992) a observé que la capacité d’une bactérie à stimuler ou inhiber la croissance saprophytique de différents champignons ectomycorhiziens était fortement corrélée à son effet sur l’établissement de la symbiose ectomycorhizienne. Duponnois et Garbaye (1990) ont émis l’hypothèse que dans un environnement carencé en nutriments, les BAM peuvent promouvoir la croissance saprophytique du champignon selon deux voies principales : (1) un effet trophique direct via la production par la bactérie d’acides organiques facilement métabolisables par le champignon (ex. : acide citrique, acide malique), (2) un effet indirect via la dégradation de molécules toxiques pour les symbiotes (ex. : dégradation des substances phénoliques toxiques pour Paxillus involutus). De plus, les BAM peuvent émettre des composés gazeux qui stimulent ou inhibent la croissance des hyphes (Garbaye et Duponnois, 1992). Le dioxyde de carbone pourrait jouer un rôle majeur dans ces phénomènes d’interaction trophique. En effet, il a été préalablement démontré que, en fonction de sa concentration, le CO2 peut améliorer ou non la croissance de différentes espèces fongiques (Imolehin et Grogan, 1980 ; Le Tacon et al., 1983). D’autres composés peuvent également être impliqués comme l’éthylène, des alcools, des amines, des composés sulfurés ou des acides gras de faible poids moléculaire (Duponnois, 1992). Dans l’état actuel de nos connaissances sur le sujet, la principale voie d’action susceptible d’expliquer l’effet BAM reste la voie trophique où le champignon est alimenté en substrats carbonés lors de sa phase saprophytique. Garbaye (1994) et Frey-Klett et al. (2007) ont également évoqué d’autres mécanismes susceptibles d’être impliqués dans l’« effet BAM ». Par exemple, les BAM pourraient stimuler la production de composés phénoliques comme l’hypaphorine et améliorer l’agressivité du symbiote vis-à-vis de la plante hôte.
Établissement
Contrôle génétique
15La formation de l’ECM se traduit par de profondes modifications d’ordre morphologique, anatomique et physiologique de la racine (Martin et al., 2001 ; Marmeisse et al., 2004). La différenciation de cet organe nouveau résulte de plusieurs événements touchant les deux partenaires notamment l’agrégation des hyphes formant le manteau fongique, la disparition des poils absorbants, la multiplication des racines latérales, l’allongement radial des cellules de l’épiderme et la réorganisation du métabolisme des deux partenaires (Tagu et al., 2001 ; Duplessis et al., 2002). La structure de base des ECM est identique alors qu’il existe des morphotypes différents. Cela suggère l’existence d’un programme de différenciation commun de l’ECM. Si l’on se référait aux relations entre bactéries fixatrices d’azote et légumineuses, il s’établirait des signaux de « reconnaissance » assurant un dialogue moléculaire entre les deux partenaires de la symbiose ectomycorhizienne (Perret et al., 2000). L’échange de médiateurs moléculaires serait sous le contrôle génétique des deux partenaires. La découverte de protéines SR (symbiosis-regulated proteins) dont la synthèse est régulée par la symbiose entre Eucalyptus globulus et Pisolithus tinctorius, confirme que l’activation et/ou la répression de certains gènes accompagnent la différenciation de l’ECM (Hilbert et Martin, 1988 ; Hilbert et al., 1991 ; Kim et al., 1999). L’expression de 11 à 23 % des gènes analysés est régulée lors de l’interaction E. globulus-P. tinctorius (Voiblet et al., 2001). Cependant, aucun gène spécifique n’a été mis en évidence lors de l’établissement de la symbiose ectomycorhizienne. Par ailleurs, des protéines pariétales fongiques (ex. : hydrophobines) intervenant dans la morphogénèse et la pathogénicité des champignons sont synthétisées plus intensément dans les ECM que dans le mycélium végétatif. Ces protéines pourraient jouer un rôle important dans l’attachement et l’agrégation des hyphes aux racines. Plus récemment, le séquençage complet du génome du champignon Laccaria bicolor a révélé environ 20 000 gènes, dont plusieurs centaines n’avaient jamais été identifiées et pourraient jouer un rôle fondamental dans la mise en place de la symbiose (Martin et al., 2008). En effet, certains gènes codent pour des protéines de petites tailles secrétées (SSPs pour small secreted proteins) dans l’interface symbiotique et semblent intervenir dans le dialogue moléculaire entre les deux partenaires. L’absence de gènes codant des enzymes de dégradation de la paroi végétale suggère que L. bicolor est capable de vivre dans la racine de la plante hôte sans l’agresser. En revanche, ce champignon possède l’équipement enzymatique qui lui permet de participer au recyclage de l’azote de la litière. L. bicolor aurait donc une double activité symbiotique et saprophytique qui lui confèrerait un avantage évolutif.
16Par ailleurs, la différenciation de l’ECM est également modulée par des facteurs trophiques. Par exemple, des composés phénoliques retrouvés dans les exsudats racinaires seraient impliqués dans l’établissement de la symbiose ectomycorhizienne chez les eucalyptus (Wiemken et Boller, 2002). En effet, les exsudats racinaires stimulent la croissance mycélienne de certaines souches de Pisolithus à des concentrations très faibles (Lagrange et al., 2001). Certains métabolites fongiques (ex. : hypaphorine) induits par la plante hôte interrompent l’élongation des poils absorbants, mais n’induisent pas la formation de racines latérales courtes observées lors de la colonisation de la plante hôte (Béguiristain et Lapeyrie, 1997 ; Ditengou et Lapeyrie, 2000). L’hypaphorine fongique, molécule antagoniste de l’acide indole-3-acétique (AIA), a donc une activité morphogène inhibitrice de l’allongement des poils absorbants lors de l’établissement de la symbiose (Ditengou et al., 2000). L’hypaphorine serait une molécule signal régulant la différenciation de l’ECM. Les champignons synthétisent également de l’AIA qui stimule la formation des racines latérales (Marmeisse et al., 2004). À cet égard, l’utilisation de l’acide tri-iodobenzoïque (TIBA), inhibiteur du transport d’AIA, empêche la formation non seulement des racines latérales induites par le champignon, mais aussi des fibrilles glycoprotéiques fongiques qui interviennent dans l’attachement du champignon avec la plante hôte (Rincón et al., 2003). Ces glycoprotéines pourraient être des lectines impliquées dans la reconnaissance des deux partenaires (Guillot, 1997). Les stimulis et les régulateurs qui déterminent les événements morphogénétiques de l’établissement de la symbiose sont encore peu connus.
Spécificité d’hôtes
17Dans les écosystèmes forestiers, une espèce d’arbre peut héberger plusieurs espèces de champignons, voire plusieurs individus ou genets de la même espèce, et une espèce de champignon peut coloniser plusieurs espèces d’arbres (Molina et al., 1992 ; Taylor et al., 2000 ; Dahlberg, 2001 ; Bruns et al., 2002). La symbiose ectomycorhizienne est en effet remarquable par sa faible spécificité entre partenaires et par sa grande diversité fongique. Par exemple, le chêne sessile peut être colonisé par plusieurs dizaines d’espèces fongiques (Diédhiou et al., 2010 a). Néanmoins, il existe quelques exceptions comme l’aulne dont la spécificité est limitée à une dizaine de champignons et Pisonia grandis, seul exemple de plante photosynthétique qui montre une spécificité très étroite avec quelques espèces de Thelephora (Chambers et al., 1998 ; Tedersoo et al., 2009).
18En revanche, les plantes sans chlorophylle (ex : Monotropaceae, Orchidaceae) montrent en général une spécificité très étroite vis-à-vis des champignons ectomycorhiziens qui rappelle des interactions du type plantes parasites (Bruns et al., 2002 ; Selosse et al., 2006). C’est le cas de deux Orchidaceae, Cephalanthera austinae et Corallorhiza macula, exclusivement associées respectivement avec des Thelephoraceae et Russulaceae. Les déterminants de la spécificité des plantes achlorophylliennes vis-à-vis de leurs partenaires fongiques ne sont pas bien élucidés.
19Il existe différents niveaux de spécificité des champignons vis-à-vis de leurs hôtes dans la symbiose ectomycorhizienne (Trappe, 1977 ; Molina et al., 1992 ; Newton et Haigh, 1998 ; Den Bakker et al., 2004). On trouve des espèces de champignons qui manifestent une préférence, voire une spécificité étroite vis-à-vis de leurs plantes hôtes. Elles sont qualifiées de spécialistes. Par exemple, Lactarius deliciosus, L. deterrimus et L. salmonicolor sont spécifiques respectivement de Pinus sylvestris, P. abies et Abies alba (Giollant et al., 1993). Des champignons présentent une spécificité étroite vis-à-vis d’un genre ou d’une famille de plantes. Par exemple, Rhizopogon spp. et Suillus spp. sont des champignons presque exclusivement associés aux Pinaceae et parfois aux Monotropaceae (Massicotte et al., 1994 ; Molina et Trappe, 1994 ; Kretzer et al., 1996 ; Taylor et Bruns, 1997 ; Taylor et al., 2002). D’autres espèces fongiques ont, au contraire, des gammes d’hôtes larges. Elles sont qualifiées de généralistes. C’est le cas des champignons tels que Pisolithus tinctorius, Scleroderma verrucosum, Thelephora terrestris, Paxillus involutus et Amanita muscaria (Trappe, 1962 ; Sanon et al., 2009). Au sein d’un même genre, on trouve des espèces spécialistes et des espèces généralistes. Par exemple, le genre Paxillus comprend des espèces généralistes (ex. : P. involutus) et des espèces spécialistes (P. filamentosus et P. rubicundulus) inféodées à l’aulne (Hedh et al., 2008). Il peut aussi exister pour les champignons généralistes une variabilité intraspécifique dans leur aptitude à s’associer et à améliorer la croissance d’une même espèce de plantes hôtes. Par exemple, la variabilité intraspécifique entre souches de P. involutus dans l’aptitude à coloniser des racines de Betula est associée à l’expression différentielle de gènes régulant la symbiose (Le Quéré et al., 2004). L’analyse par hybridation sur une puce d’ADN a permis d’identifier des groupes de gènes spécifiquement exprimés dans les interactions compatibles ou incompatibles plante/champignon.
20D’un point de vue écologique, la connaissance de la spécificité d’hôte des champignons peut déterminer le choix de la souche fongique appropriée pour la mycorhization contrôlée et avoir des conséquences pratiques importantes lorsqu’on introduit un arbre exotique dans un continent éloigné (Garbaye et al., 1988 ; Bâ et al., 2010). Par exemple, une souche de P. tinctorius isolée d’un pin d’Amérique du Nord s’avère moins agressive sur Eucalyptus urophylla qu’une souche de P. tinctorius d’origine australienne (Malajczuk et al., 1990). Burgess et al. (1994) ont montré que la variabilité intraspécifique chez P. tinctorius pouvait également s’exprimer au niveau fonctionnel sur E. grandis. L’aptitude d’un champignon à former des ECM peut aussi varier en fonction de l’âge de la plante hôte (Bâ et al., 1994 b). Une souche de Pisolithus sp., qui développe une relation d’incompatibilité (ex. : épaississements pariétaux, digitations pariétales) avec de jeunes plants d’A. africana âgés de quinze jours, est, cependant, tout à fait capable de former des ECM sensu stricto sur des jeunes plants âgés de six mois. Un délai de mycorhization similaire est observé entre A. quanzensis et Pisolithus sp. (Munyanziza et Kuyper, 1995).
21Quoi qu’il en soit, la spécificité d’hôtes des champignons ectomycorhiziens in situ est moins large qu’elle ne l’est in vitro. Un champignon est capable de faire des ECM in vitro avec un grand nombre de plantes hôtes au voisinage desquels il ne fructifie pas ou ne forme pas d’ECM in situ (Malajczuk et al., 1982 ; Molina et Trappe, 1994). Cette réduction du spectre d’hôtes in situ résulte de facteurs abiotiques (ex. : température) et (ou) biotiques (statut précoce ou tardif des champignons, compétition entre champignons, micro-organismes auxiliaires ou antagonistes) (Kabré, 1982 ; Mason et al., 1983 ; Garbaye et al., 1988 ; Bâ et al., 1991 ; Duponnois et Garbaye, 1991 a).
Fonctionnement
22Grâce au réseau ectomycorhizien, l’ECM assure une bonne alimentation de la plante hôte en eau, macro-éléments (ex. : P, N, K) et oligo-éléments (ex. : Zn, Cu). En retour, la plante autotrophe fournit aux champignons hétérotrophes des photosynthétats (C) nécessaires à leur métabolisme. Cependant, les mycorhizes monotropoïdes et certaines mycorhizes arbutoïdes et orchidoïdes peuvent développer des interactions trophiques inversées (Smith et Read, 2008). Par exemple, chez les mycorhizes monotropoïdes, la plante hôte non chlorophyllienne, Monotropa hypopitys, dite mycotrophe, reçoit, sans retour, des substrats carbonés du champignon (ex. : bolet). La plante achlorophyllienne se comporterait donc en « tricheur » vis-à-vis du champignon (Selosse, 2000). Ce dernier est alimenté en carbone grâce aux ECM qu’il contracte avec un arbre photosynthétique (comme le pin) se développant à proximité. Autrement dit, le pin fournit du carbone à M. hypopitys (d’où son nom de « suce-pin ») par le biais des réseaux ectomycorhiziens du bolet. À l’échelle de l’écosystème et du peuplement, les arbres adultes peuvent faciliter, par le biais des réseaux ectomycorhiziens préexistants, la croissance des jeunes plantules via deux voies d’action principales : (1) les champignons déjà nourris par les arbres représentent un inoculum peu coûteux en photosynthétats pour les plantules (Onguene et Kuyper, 2002) ; (2) des transferts de substrats carbonés et azotés sont possibles entre arbres et plantules en régénération (Simard et al., 1997 b). De tels échanges sont établis chez des Orchidaceae achlorophylliennes dites mycohétérotrophes et des Orchidaceae partiellement chlorophylliennes ou mixotrophes qui, en plus de leur photosynthèse, s’alimentent en carbone et azote issus de voisins photosynthétiques (Tedersoo et al., 2007). Les communautés fongiques contribuent ainsi au fonctionnement et à la régénération des écosystèmes forestiers (van der Heijden et al., 1998, 2009).
Alimentation hydrique
23La symbiose mycorhizienne permet à la plante d’améliorer son régime hydrique grâce au réseau ectomycorhizien (ex. : hyphes, cordons mycéliens, rhizomorphes) qui augmente la surface de contact entre le sol et le système racinaire (Duddridge et al., 1980 ; Garbaye et Guehl, 1997 ; Smith et Read, 2008 ; Warren et al., 2008). Le réseau ectomycorhizien (ex. : rhizomorphes) est souvent considéré comme une voie de moindre résistance pour le déplacement de l’eau, car il diminue considérablement la résistance aux flux des solutés entre le sol et la plante (Safir et al., 1971). Des études morphologiques ont révélé que les structures mycéliennes sont adaptées aux mouvements de l’eau entre le champignon et la plante (Brownlee et al., 1983). Par exemple, les rhizomorphes sont formés d’hyphes dont la structure (peu cloisonnée), le diamètre (6 à 20 µm), et la conductivité hydraulique (> 27 cm h-1) sont comparables à ceux des vaisseaux du xylème des végétaux supérieurs, ce qui permet aux hyphes d’être de bons conducteurs d’eau (Duddridge et al., 1980). Dans le manteau dépourvu d’éléments conducteurs, l’eau emprunte le symplasme et parfois l’apoplasme pour atteindre ensuite le cytoplasme des cellules racinaires (Leake et al., 2004).
24Les améliorations induites par la symbiose dans la gestion de l’eau pour la plante ne se limitent pas seulement à son approvisionnement, car les ECM sont aussi directement impliquées dans la tolérance de la plante à la salinité et à la sécheresse (Bandou et al., 2006). La salinité provoque un double stress hydrique et ionique sur les plantes. Scleroderma bermudense aide Coccoloba uvifera à mieux se préserver des éléments toxiques (Na+ et Cl-) en ayant un rôle de filtre, tout en améliorant dans le même temps le potentiel hydrique foliaire. Dans des sols à faible potentiel hydrique, les hyphes sont capables d’abaisser suffisamment leur potentiel osmotique pour s’alimenter en eau au bénéfice de la plante. La symbiose ectomycorhizienne est également impliquée dans des mécanismes de contrôle de la régulation stomatique et de l’ajustement osmotique de la plante (Cromer, 1935 ; Davet, 1996). Elle permet aux plantes de mieux absorber le potassium dont le rôle osmorégulateur est bien établi (Lindhauer, 1985).
Nutrition minérale et organique
25Les plantes ectotrophes dépendent d’abord de leurs réserves cotylédonaires pour leur croissance juvénile (Marshall et Kozlowski, 1976 ; Mulligan et Patrick, 1985 ; Kitajima, 2002). Au stade cotylédonaire, elles sont colonisées par des champignons ectomycorhiziens, mais n’en dépendent pas pour leur croissance (Bâ et al., 1994 c). Les plantes à petites graines ont tendance à épuiser plus rapidement leurs réserves cotylédonaires que les plantes à grosses graines (Allsopp et Stock, 1992). Une fois les réserves épuisées, les plantes doivent prélever directement du sol les ressources nécessaires à leur croissance (Kitajima, 2002). Pour cela, la majorité des plantes ont besoin des mycorhizes. Par exemple, la dépendance des plantes vis-à-vis des MA est inversement corrélée à la taille et au contenu en phosphore des cotylédons (Allsopp et Stock, 1992 ; Zangaro et al., 2000 ; Zangaro et al., 2003). Elle est d’autant plus importante que les sols sont pauvres en certains nutriments majeurs (ex. : N, P) notamment dans les régions tropicales.
26L’orthophosphate ou phosphate inorganique (Pi) est la source principale de phosphore pour les végétaux (Mousain, 1989). Son absorption est significativement améliorée par la symbiose ectomycorhizienne grâce à la prolifération des hyphes mycéliens qui augmentent considérablement le volume de sol prospecté par les racines (Alexander, 1983 ; Abuzinadah et Read, 1986 ; Finlay et al., 1992 ; Lee et Alexander, 1994 ; Read, 1997 ; Garbaye et Guehl, 1997 ; Moyersoen et al., 1998 ; Landeweert et al., 2001 ; de Grandcourt et al., 2004). En effet, le prélèvement du P, peu mobile dans le sol, par les plantes est plus rapide que son renouvellement dans la solution du sol. Il se crée alors une zone d’épuisement en P autour des racines. Le champignon est capable de prélever du P bien au-delà de la zone d’épuisement grâce au réseau ectomycorhizien. L’absorption du P par les hyphes est réalisée contre son gradient de concentration selon un transport actif secondaire. Il s’accumule dans la vacuole des hyphes du manteau fongique dont la concentration en cet élément peut doubler en 24 h (Smith et Read, 2008). Le phosphore s’accumule sous forme de polyphosphates inorganiques disponibles pour la plante (Bowen, 1973 ; Tinker et al., 1992). Grâce à leurs activités phosphatasiques acides, les champignons ectomycorhiziens hydrolysent des substrats phosphatés (ex. : phosphates d’inositol, polyphosphates inorganiques) peu accessibles directement aux plantes dépourvues d’ECM (Bowen et al., 1975 ; Colpaert et Van Laere, 1996). Ils peuvent aussi solubiliser des phosphates peu solubles par l’excrétion de protons (Lapeyrie et al., 1991).
27Comme pour le phosphore, l’azote assimilable par la plante est limité dans les écosystèmes forestiers, car les processus de minéralisation sont en général lents (Keeney, 1980 ; Read, 1991 ; Read et Perez-Moreno, 2003). Dans ce contexte, les ECM permettent à la plante d’améliorer l’absorption et l’assimilation de l’azote inorganique sous forme d’ammonium et de nitrate (Plassard et al., 1986, 2002). Certaines formes d’azote organique (ex. : azote organique de l’humus, protéines) peuvent être rendues accessibles aux plantes grâce aux activités protéasiques des champignons ectomycorhiziens (Rygiewicz et al., 1984 ; Finlay et al., 1988, 1992 ; Keller, 1996 ; Boukcim et Plassard, 2003). Les ECM jouent également un rôle important dans l’absorption d’autres éléments minéraux du sol (ex. : potassium, calcium, magnésium) et de certains oligoéléments (ex. : cuivre, zinc) (Bradley et al., 1981 ; Le Tacon et al., 1984 ; Cordell, 1997 ; Blaudez et al., 2000). Elles peuvent avoir un effet protecteur des plantes en accumulant des métaux lourds et participer ainsi aux processus de phytoremédiation des sols.
28Toutefois, les champignons se différencient dans leur aptitude à mobiliser du phosphore et de l’azote sous forme organique pour leurs plantes hôtes (Abuzinadah et Read, 1989 a, b ; Dighton et al., 1990, 1993 ; Dighton et Coleman, 1992 ; Conn et Dighton, 2000). Des travaux récents sur la symbiose ectomycorhizienne ont révélé des différences remarquables des champignons sur la base de leurs activités enzymatiques mobilisatrices de P et de N (fig. 6) (Buée et al., 2005 ; Courty et al., 2005). Ces propriétés enzymatiques leur confèrent une aptitude à se maintenir et à se disséminer dans le sol (Read, 1991 ; Bending et Read, 1997 ; TEDERSOO et al., 2003 ; Read et Perez-Moreno, 2003). Abuzinadah et Read (1986) avaient d’ailleurs proposé une classification des champignons ectomycorhiziens en fonction de leur capacité à utiliser des sources d’azote organique en particulier des protéines. Ainsi, les champignons tels que Suillus bovinus, Amanita muscaria ou Paxillus involutus, qui utilisent facilement les protéines comme source exclusive d’azote, sont décrits selon la terminologie anglo-saxonne comme « protein-fungi » par opposition aux « non-protein fungi » tels que Laccaria laccata ou Lactarius rufus, qui présentent une capacité plus réduite pour cataboliser ces composés. Entre ces deux groupes se trouvent d’autres champignons tels que Pisolithus tinctorius décrits comme catégorie intermédiaire (Cairney, 1999 ; Anderson et al., 1999). Cependant, chez de nombreux champignons, d’importantes variations intraspécifiques ont été observées dans leur aptitude à utiliser des acides aminés comme sources d’azote (Laiho, 1970 ; Finlay et al., 1992 ; Keller, 1996), rendant cette classification très complexe (Anderson et al., 1999). Des études plus approfondies sur les activités enzymatiques des champignons ectomycorhiziens demeurent aujourd’hui nécessaires pour mieux comprendre leur fonction et leur distribution dans les sols forestiers.
Importance des réseaux ectomycorhiziens
29Dans les écosystèmes forestiers tempérés et tropicaux, les champignons ectomycorhiziens généralistes (ex. : Thelephoraceae et Russulaceae) sont dominants et peuvent relier plusieurs espèces d’arbres (Horton et Bruns, 1998 ; Peay et al., 2009 ; Diédhiou et al., 2010 b). En effet, leurs hyphes peuvent former un réseau ectomycorhizien liant des arbres et plantules de la même espèce (Brownlee et al., 1983) et (ou) d’espèces différentes (Molina et al., 1992 ; Arnebrant et al., 1993 ; Ishida et al., 2007) et ainsi assurer le transfert d’azote et de carbone entre plantes (fig. 7) (Duddridge et al., 1980 ; Finlay et Read, 1986 ; Ekblad et Huss-Danell, 1995 ; Watkins et al., 1996 ; Simard et al., 1997 a, b; Mckendrick et al., 2000 b). Dans ce contexte, les jeunes plants d’espèces ectotrophes, liés aux arbres matures de la même espèce ou d’espèces différentes par un réseau ectomycorhizien, vont dans certains cas améliorer leur croissance et leur survie (Alexander et al., 1992 ; Newbery et al., 2000 ; Onguene et Kuyper, 2002). Les arbres ectotrophes d’Afrique tropicale ont la particularité de vivre en communauté pouvant atteindre une dizaine d’espèces différentes et abriter une importante régénération naturelle (Newbery et al., 2000 ; Onguene et Kuyper, 2002 ; Diédhiou et al., 2010 b). Les réseaux ectomycorhiziens constituent aussi une source d’inoculum pour la régénération naturelle à partir de semis ou de rejets de souches (Deacon et Fleming, 1992 ; Read, 1992 ; Amaranthus et Perry, 1994 ; Lerat et al., 2002). Connell et Lowman (1989) ont émis l’hypothèse que la monodominance des Dipterocarpaceae dans diverses forêts humides du Sud-Est asiatique serait liée à la capacité de leurs jeunes régénérations à former des ECM via le réseau ectomycorhizien préexistant des plantes mères. Horton et al. (1999) ont comparé la survie de jeunes plants de Pseudotsuga dans des peuplements d’Arctostaphylos (arbre mycotrophe) et d’Adenostoma (arbre non mycotrophe) soumis aux mêmes conditions environnementales et édaphiques. Il est apparu que la survie de ces jeunes plants était plus élevée au contact d’Arctostaphylos grâce au réseau ectomycorhizien qu’il développe. Par ailleurs, il a été démontré que les transferts d’azote bidirectionnels entre un arbre fixateur d’azote, Casuarina cunninghamiana, et un arbre non fixateur, Eucalyptus macula, sont stimulés grâce au réseau ectomycorhizien développé par une souche de Pisolithus sp. (He et al., 2004). Les réseaux ectomycorhiziens joueraient donc un rôle déterminant dans la régénération naturelle, la nutrition et la survie des arbres mycotrophes (Leake, 1994 ; Mckendrick et al., 2000 a, b). Il apparaît évident que les réseaux ectomycorhiziens influencent fortement la composition, le fonctionnement et l’évolution des communautés des champignons ectomycorhiziens et de leurs plantes hôtes (Perry et al., 1992 ; Leake et al., 2001 ; Leake et al., 2004 ; Simard et al., 2002, 2004 ; Booth, 2004 ; Ishida et al., 2007).
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