Quelle gouvernance de ces domaines ? Quels rôles pour les différents acteurs ? L’approche juridique
p. 365-380
Texte intégral
1La gouvernance organise la coopération entre le corps politique, l’administration, la société civile et le monde économique. Par ailleurs, chez la plupart de ceux qui, au sein du secteur public comme au sein du secteur privé, emploient le terme de gouvernance, celui-ci désigne avant tout un mouvement de « décentrement » de la prise de décision, avec une multiplication des lieux et des acteurs impliqués dans cette décision. Il renvoie à la mise en place de nouveaux modes de régulation, plus souples et fondés sur le partenariat entre différents acteurs.
2De ces définitions se dégagent deux orientations, l’une relative à la capacité des institutions à réglementer et à gérer, l’autre relative à l’évolution des institutions elles-mêmes dans un objectif d’amélioration de la prise de décision. La problématique de l’énergie et du climat dans le développement de la Nouvelle-Calédonie nécessite une réponse suivant ces deux orientations. La réflexion développée ici se situe dans le contexte statutaire actuel de la Nouvelle-Calédonie, à savoir un statut de souveraineté partagée avec transfert de compétences selon un processus défini par l’accord de Nouméa de 19981.
LES PRINCIPAUX ACTEURS DU SECTEUR DE L’ÉNERGIE EN NOUVELLE-CALÉDONIE
3Les principaux acteurs ont été décrits dans la partie introductive du rapport. Nous considérerons ici uniquement ceux qui ont à être directement introduits dans une analyse de caractère juridique : ce sont le gouvernement du Territoire, l’État, les Provinces, les communes, les sociétés distributrices d’électricité, EEC (filiale GDF-Suez) et la SAEM (Société anonyme d’économie mixte), et le producteur d’électricité Enercal.
La Dimenc, créée en 20042, a dans ce domaine un rôle clé. Elle assure, pour le compte de l’État, de la Nouvelle-Calédonie et des trois provinces, le contrôle et la promotion de l’industrie en Nouvelle-Calédonie dans une perspective de développement durable (par délégation ou par convention). De plus, son directeur est conseiller industriel du Haut-commissaire de la République.
Le CTME n’est pas un service administratif permanent, mais se réunit trois à quatre fois par an. Il est composé de représentants du gouvernement, des assemblées des provinces, du Congrès, des maires, de l’ADEME, de la direction de l’agriculture et de la forêt et de la paierie du Territoire. Son secrétariat est assuré par le directeur de la Dimenc. Il gère le Fonds de concours pour la maîtrise de l’énergie en Nouvelle-Calédonie (FCME), et subventionne l’acquisition de matériels, comme des installations photovoltaïques et des aérogénérateurs en sites isolés exclusivement, et finance des études de diagnostics énergétiques ou de faisabilité ainsi que des travaux de maîtrise de l’énergie. Parallèlement, il mène des actions de sensibilisation et d’information. Grâce à son concours, un grand nombre d’installations et d’actions en faveur de la maîtrise de l’énergie ont été réalisées.
Les Programmes territoriaux de maîtrise de l’énergie (PTME) élaborés par le CTME sont cofinancés par l’ADEME et par la Nouvelle-Calédonie (à hauteur de 50 % chacune) par l’intermédiaire du Fonds territorial de maîtrise de l’énergie (FTME) dont la mise en œuvre est définie par une convention annuelle. Les ressources de la Nouvelle-Calédonie émanent d’une taxe parafiscale sur l’essence de 0,6 F.CFP/l perçu par les douanes.
LA RÉPARTITION DES COMPÉTENCES ACTUELLES DES AUTORITÉS PUBLIQUES DANS LE DOMAINE DE L’ÉNERGIE ET DE L’ENVIRONNEMENT INDUSTRIEL
4Si la loi organique (LO) attribue la compétence en matière de réglementation électrique à la Nouvelle-Calédonie, ainsi que celles relatives aux hydrocarbures, les économies d’énergie ne sont pas citées dans le texte ni les énergies renouvelables. Dans ces nouveaux domaines, peu ou pas réglementés jusqu’ici et non affectés à une autorité, la question de la répartition des compétences doit être soulevée, car ils sont fortement interdépendants avec la protection de l’environnement, elle-même soumise à des compétences très enchevêtrées. Le recours au principe de l’activité dominante doit pouvoir permettre d’octroyer la compétence à l’une ou l’autre des collectivités.
5L’examen de répartition des compétences (cf. CD-ROM) conduit aux quelques remarques suivantes.
Les compétences de l’État se limitent au contrôle des stocks stratégiques pétroliers, à celui des grands barrages au titre de la réglementation en matière de sécurité civile (article 21, III, 5 de la loi organique) et, pour les mines, aux substances utiles à l’énergie atomique.
Les compétences sur le contrôle des grands barrages pourraient être transférées de l’État à la Nouvelle-Calédonie afin d’assurer une cohérence quant à la gestion de ces activités au titre de l’eau ou de l’électricité. Le transfert des compétences en matière de sécurité civile n’est toutefois envisagé qu’après modification de la LO, ainsi qu’il en a été décidé lors du Comité des signataires, le 8 décembre 2008. Le rapport Viret3 explicite les différentes problématiques liées à ce domaine. Aucune autre compétence directe en matière énergétique n’est actuellement conservée par l’État.
Les communes ont quant à elles les compétences de droit commun des collectivités locales de même niveau en métropole dont, notamment, la concession de distribution électrique et une compétence de droit commun en matière de pollutions.
Les Provinces ont de nombreuses responsabilités de réglementation et de contrôle dans le domaine de l’environnement et des espaces naturels.
La Nouvelle-Calédonie n’a aucune compétence générale en matière de changement climatique, comme on l’a vu dans la précédente partie. En revanche, elle a des obligations environnementales de droit commun en matière de gaz à effet de serre puisque les dispositions du code de l’environnement relatives à la lutte contre l’intensification de l’effet de serre s’appliquent explicitement à elle.
6Ainsi, la Nouvelle-Calédonie et la Dimenc, en son sein, fixent les normes techniques de transport et de distribution et les communes fixent le cahier des charges des concessions. Cette situation, qui était compliquée à gérer sur le terrain, a fait l’objet d’une clarification à travers une récente modification de la loi organique.
De l’analyse de cet état des lieux, nous souhaitons retenir six aspects essentiels
Compte tenu de ce qui précède, l’enchevêtrement des compétences ne paraît pas être aujourd’hui une difficulté majeure dans le domaine de l’énergie en Nouvelle-Calédonie. C’est ce que prouve le faible contentieux dans le domaine (une donnée confirmée lors de notre audition avec le conseiller d’État Jean-François Merle, le 22 avril 2009). La seule question qui méritait d’être tranchée concerne la construction des lignes électriques de distribution, ce qui a été fait avec une récente modification de la loi organique.
Le découpage est plus imbriqué dans le domaine environnemental qui a des conséquences non négligeables sur le droit de l’énergie. Les compétences concernant l’intégration des enjeux environnementaux et énergétiques dans les politiques de la Nouvelle-Calédonie sont en effet partagées entre la Nouvelle-Calédonie et les Provinces. Le flou existant sur les responsabilités respectives des communes et des Provinces en matière de documents d’urbanisme ainsi que le peu de principes directeurs peuvent avoir une influence indirecte sur les orientations énergétiques. Il apparaît donc aussi nécessaire, tant pour le secteur de l’énergie que pour celui de l’environnement, de clarifier les compétences en matière environnementale. Bien que l’expertise n’ait pas cette vocation, elle ne peut faire l’économie d’une alerte sur cet aspect. Nous avons souligné plus haut le poids et les délais qu’entraînerait une modification de la loi organique. Néanmoins, sans que cela doive paralyser les initiatives, il nous semble qu’il serait pertinent d’engager une réflexion relative à une telle modification pour régler la question des compétences dans le domaine de l’environnement.
Si les niveaux de responsabilités paraissent non adaptés, la mutualisation de compétences au sein d’une seule administration, la Dimenc, est une solution pratique. La réglementation des activités polluantes, de l’eau, des études d’impact et des enquêtes publiques, qui portent sur des domaines de grande technicité nécessitant une centralisation des compétences, sont de la responsabilité des Provinces, alors qu’elles nécessitent un niveau plus global d’implication afin d’impulser de la cohérence. Toutefois, cette administration qui agit à la fois pour le compte du gouvernement, de l’État et des Provinces, n’a pas une responsabilité pleine et directe ; elle est face à des orientations qui ne sont pas clairement définies par une politique ou un texte fondateurs et qui peuvent s’avérer divergentes ou, à tout le moins, non cohérentes entre elles.
Les première et deuxième parties du rapport montrent la difficulté à construire des réglementations et des tarifications s’imposant aux opérateurs publics et privés. Faut-il rééquilibrer le jeu des acteurs pour traiter cette question de manière plus équitable ? Le poids dominant des opérateurs par rapport à celui des régulateurs est souvent considéré comme un frein à la mise en œuvre d’une réglementation adaptée. C’est ce qui a conduit la France (dans le cadre des règlements européens) à mettre en place une Commission de régulation de l’énergie (la CRE), et à dissocier la gestion du réseau de transport électrique dans une filiale d’EDF (la RTE).
Lorsqu’un corpus de réglementations est mis en place, il y a nécessité d’un réel contrôle sur leur mise en œuvre afin de garantir leur efficacité ; les moyens humains de contrôle doivent donc être suffisants.
En ce qui concerne le climat, la dimension « environnement industriel » ne recouvre pas tous les thèmes. La gestion des territoires pour la production de biomasse est en relation étroite avec la politique agricole et forestière : il faut en introduire les acteurs correspondants dans le processus de production des politiques.
PROPOSITIONS D’ORIENTATIONS EN MATIÈRE DE GOUVERNANCE
7Afin de donner une véritable impulsion au secteur de l’énergie et de la réduction des émissions de GES dans le développement de la Nouvelle-Calédonie, la mise en place de nouvelles formes de régulation peut être envisagée. Une redéfinition, si elle est envisagée, de la répartition des compétences entre les quatre niveaux de responsabilités devrait se fonder sur un certain nombre de principes, dont :
la taille des projets et les relations avec les usagers (qu’ils soient de dimension très locale ou non) ;
le savoir-faire acquis dans tel ou tel domaine par tel ou tel niveau de l’administration ;
l’objet même des compétences en cause : compétence d’investissement pour l’avenir, compétence de gestion de services, d’édiction de normes générales ;
la compétence structurante au niveau de la Nouvelle-Calédonie, par exemple en matière fiscale ou de fonction publique. Une vision d’ensemble structurante doit être élaborée dans ces domaines, dont l’exécution peut ensuite être confiée aux Provinces ;
la cohérence des attributions pour en faciliter la mutualisation (par exemple, la Nouvelle-Calédonie est déjà compétente en matière de mines, de domaine public, de propriété foncière, de PPI et d’électricité) ;
les attributions de compétences n’ayant pas directement le même objectif mais qui sont fortement imbriquées entre elles, afin de favoriser leur optimisation (par exemple, attribuer les compétences sur le changement climatique à l’autorité chargée de l’énergie).
8Nous avons traité deux enjeux pouvant servir de références au chantier de cette redéfinition des compétences : les instruments de la coordination entre les acteurs de l’énergie et du climat et, en s’inspirant des exemples étrangers, le renforcement possible de l’autorité administrative en charge de la régulation du secteur.
LA COORDINATION DANS LE DOMAINE DE L’ÉNERGIE
9Elle a débuté avec la création de l’Observatoire de l’énergie et du Comité consultatif de l’énergie, en 2008, qui participent désormais à la réflexion sur les décisions dans le domaine de l’énergie. La Dimenc joue un rôle de coordination technique pour ces différentes initiatives.
10Selon les informations que nous avons obtenues, l’Observatoire de l’énergie prend actuellement la forme d’une base de données construite par Enerdata Services, qui est alimentée et mise à jour par le site internet de la Dimenc et qui permet également de répondre aux diverses demandes de statistiques qui lui sont adressées. Quant au Comité consultatif de l’énergie, il fera intervenir un représentant des différentes collectivités (la Nouvelle-Calédonie, les 3 Provinces, les maires), un représentant de l’ADEME et un autre de la Dimenc. Son programme de travail n’est pas encore fixé.
11La poursuite de l’effort de coordination est liée à la mise en place d’orientations de politique énergétique ainsi que recommandé plus haut. En outre, des partenariats ou collaborations peuvent et doivent être développés, comme cela a pu être fait ponctuellement, afin de mettre en œuvre les recommandations des deux premières parties. L’ADEME a un accord-cadre avec chacune des Provinces. Quant au partenariat sur le volet énergie, il existe depuis 1983, suite à la création de l’AFME. Ajoutons qu’une analyse fonctionnelle de la gestion du réseau électrique pourrait être utile (l’augmentation des producteurs d’énergie renouvelable intermittente renforce ce besoin).
LES RENFORCEMENTS POSSIBLES DE LA CAPACITÉ DE RÉGULATION, DANS UNE PERSPECTIVE D’INTÉGRATION DES DIMENSIONS ÉNERGIE ET CLIMAT
12Dans un domaine d’action collective comme l’énergie et le climat et, plus généralement, l’environnement, il ne suffit pas de disposer d’un observatoire et d’un comité permanent regroupant les acteurs principaux pour avoir une bonne gouvernance. La capacité à piloter et à préparer les décisions doit être assurée par une structure administrative forte.
13Plusieurs solutions sont envisageables, entre lesquelles il ne nous appartient évidemment pas de choisir : depuis la poursuite de l’organisation actuelle, que l’on corrigerait aux marges (en particulier, en augmentant les moyens), jusqu’à la création d’une autorité indépendante, distincte à la fois de la Nouvelle-Calédonie et des Provinces (structure que l’on imagine mal dans le contexte institutionnel et politique actuel du Territoire). Entre ces deux options, la mise en place de structures plus ou moins autonomes a été expérimentée par plusieurs pays.
14Quelle que soit la structure choisie, son champ de compétences doit, si possible, englober à la fois l’énergie et le climat et comprendre toutes les composantes de l’énergie : les énergies fossiles, les énergies renouvelables, l’électricité, le gaz ainsi que les mines, mais aussi la maîtrise de l’énergie et celle des gaz à effet de serre.
15Forte de cette vision globale, une telle structure pourra appréhender les aspects contradictoires d’un secteur comme celui de l’énergie, et intégrer les économies d’énergie et la maîtrise des émissions de gaz à effet de serre dans sa politique générale.
Quelques exemples de structures administratives autonomes
16De telles structures existent ainsi au Canada (avec l’Agence de l’efficacité énergétique, qui est une agence d’État avec personnalité morale, ou avec l’Office national de l’énergie, un organisme fédéral indépendant), en France (l’Autorité de sûreté nucléaire ou la Commission de régulation de l’énergie, qui sont des autorités administratives indépendantes) ou encore à Malte. La création de ces agences, de statuts différents, répond au souci de disposer de structures (légères ?) qui chapeautent plusieurs fonctions pour plus d’efficacité.
17L’exemple de l’île de Malte retient plus particulièrement l’attention : il s’agit de la Malta ressources Authority, instituée par une loi de 2000 (cf. annexe de « Quel cadre pour une politique de l’énergie et du climat au service du développement de la N.-C. ? » dans le CD-ROM) Tout en ayant une personnalité morale, elle est directement liée au ministre responsable des Ressources minières, énergétiques et de l’Eau. C’est ce dernier qui nomme les membres de l’Autorité ; celle-ci a des missions très larges et pour fonction de réglementer, de contrôler et de réviser le fonctionnement et les activités dans ses domaines de compétences.
18Dans le domaine spécifique de l’énergie, elle a pour mission de promouvoir, encourager et réglementer le développement et l’utilisation de toutes les formes d’énergie et d’encourager l’utilisation des sources d’énergie alternatives, par le biais de taxes sur les énergies non renouvelables et de subventions pour la production à partir d’énergies renouvelables. Elle a également pour mission de gérer la distribution et la vente de pétrole. Ses ressources sont multiformes – taxes, impôts, prêts publics. Ajoutons qu’elle est composée de huit personnes et possède trois composantes : énergie, eau et minerai4.
19D’autres structures administratives existent également, sans personnalité morale, sur le modèle de l’Agence France nucléaire international ou de l’Agence Iter France (cf. CD-ROM) : ces agences disposent d’une autonomie administrative et budgétaire ; elles ont des missions précises, mais sont intégrées dans une structure publique existante. L’intérêt de ces agences est qu’elles sont autonomes, même si elles sont sous tutelle directe de l’organisme au sein duquel elles sont intégrées ; elles s’appuient d’ailleurs sur les moyens humains et fonctionnels dudit organisme, ce qui leur permet de mutualiser les fonctions support.
20Dans les deux cas, il conviendrait d’associer un conseil exécutif collégial, comme le Comité consultatif de l’énergie, en intégrant à la fois les autorités concernées actuelles, mais aussi les autorités coutumières, afin que l’énergie devienne une problématique commune et consensuelle dans une perspective de développement durable, avec des mandats à moyen terme, renouvelables une seule fois et, éventuellement, une présidence tournante.
21Dans la situation de la Nouvelle-Calédonie, et dans le prolongement de l’existence de la Dimenc et de son partenariat original avec l’ADEME au sein du CTME, il faut affirmer le besoin d’un pilotage cohérent dans la préparation et la mise en œuvre des politiques de l’énergie et du climat. Quelle que soit la forme de cette capacité de pilotage, elle doit permettre la préparation des stratégies et des programmes, la définition des règlementations et leur mise en œuvre.
22Dans cette optique, il faut souligner l’importance de la liaison des politiques de l’énergie avec celles du climat, et les liens à établir avec celles concernant l’utilisation du territoire pour l’agriculture, la forêt et la production de biomasse.
23Il ressort de l’étude des organisations administratives existantes, notamment au sein des micro-États, que l’énergie est en général réglementée dans le respect de l’environnement, mais n’est pas nécessairement confiée aux mêmes autorités. Toutefois, la tendance dans de nombreux pays est actuellement à associer l’énergie et le climat – c’est ce que la France a fait en créant le ministère chargé de l’Écologie, de l’Énergie, du Développement durable et de la Mer, ainsi que des négociations sur le climat (le MEEDDM).
24La création des Dreal (Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement) dans les régions françaises va dans le même sens, même si les leviers des politiques pour l’agriculture et la forêt manquent à cet ensemble.
25Concernant la réorganisation des compétences entre les communes, les Provinces et la Nouvelle-Calédonie en matière de réglementation de l’énergie et du climat, les cas de la Nouvelle-Zélande et des îles Fidji peuvent être utiles : ces compétences sont octroyées à la même autorité, comme en France. Mais pour parvenir à cette solution en Nouvelle-Calédonie, une modification de la loi organique de 1999 serait nécessaire.
26Quoi qu’il en soit, la question du climat et de la lutte contre les GES est plus globale que celle de la protection de l’environnement au niveau local et doit être regroupée ou mutualisée avec celle de l’énergie. L’observation des émissions des gaz à effet de serre (de tous les gaz) doit être assurée dans cette logique. À ce jour, la compétence relative à la lutte contre l’effet de serre appartient à l’État (les articles du code de l’environnement sont applicables à la Nouvelle-Calédonie), mais sa mise en œuvre concrète n’a pas encore eu lieu (des articles législatifs du code de l’environnement sur la lutte contre les GES pourraient être mis en application par voie réglementaire).
QUELS SONT LES PROCESSUS D’ÉLABORATION DES DÉCISIONS PUBLIQUES ? L’APPROCHE SOCIOPOLITIQUE
27Comment et selon quels processus doit-on élaborer aujourd’hui la décision publique alors que la méfiance est souvent forte dans l’opinion, que l’expertise issue de la recherche se veut davantage accessible et que le débat public est prôné comme indispensable ?
28La Nouvelle-Calédonie fait l’expérience d’une démarche originale et ambitieuse pour l’élaboration du « Schéma d’aménagement et de développement de la Nouvelle-Calédonie », engagée en mars 2008, et rythmée par des conférences des acteurs, à Koné le 14 mai 2008, et au centre Tjibaou, le 5 mars 2009.
29Le chapitre qui suit propose d’apporter quelques éléments d’expériences extérieures à la Nouvelle-Calédonie, pour inciter à prolonger cette expertise collégiale sous la forme d’un processus, dans l’esprit de la démarche de l’élaboration du Schéma d’aménagement et de développement.
Dans la « fabrication » des décisions, l’expertise et le débat cherchent leur place
30Avec Lucien Sfez5, nous disons qu’une décision est le résultat d’un processus, d’une élaboration, qui ne se limite pas à la boîte crânienne d’un prétendu « décideur » tout puissant. C’est en fait la traduction de l’anglais decision making, le verbe to make voulant bien dire « fabriquer ».
31Les responsables des décisions publiques demandent souvent beaucoup à l’expertise issue de la recherche. On l’a vu dans toutes les crises sanitaires ou environnementales, de même lorsqu’un Premier ministre a déclaré : « je suivrai strictement les avis des chercheurs ». Ce qui a eu pour effet de paralyser leurs avis…
32Si la décision se fonde sur une rationalité scientifique, ce n’est pas le seul élément à prendre en compte ! On ignore, en particulier, très souvent le fait que la rationalité scientifique se construit dans des limites qui ne couvrent pas tous les aspects de la question posée : elle est bornée par les données apportées, les compétences rassemblées et les imperfections des échanges entre spécialistes…
33Les limites du dialogue entre experts et décideurs se constatent régulièrement. Les acteurs à un titre ou à un autre (entreprises, usagers, voisins, partenariat, élus des collectivités territoriales) réclament leur place. Les processus d’enquêtes publiques ont montré leurs limites qui sont liées à leur genèse : il s’agissait à l’origine de légitimer la possibilité de limiter le droit de propriété privée, droit constitutionnel et sacré.
34D’où une demande d’information publique et de participation à l’élaboration des décisions, à travers des débats publics. Différentes formes en ont été données. Nous en relevons deux en France, bien documentées.
La conférence de citoyens, organisée à Paris en juin 1998, par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et techniques (OPECST), portait sur le thème : « L’utilisation des organismes génétiquement modifiés en agriculture et dans l’alimentation ». La démarche a effectivement permis, notamment grâce au relais médiatique, une implication des citoyens dans les débats politiques. Mais ses conclusions n’ont pas été reprises…
Les débats publics désormais consacrés au niveau législatif depuis la loi du 27 février 2002 sur la démocratie de proximité, et organisés par la Commission nationale du débat public (CNDP), dont certains portent maintenant sur des politiques (avec le cas des déchets radioactifs, en 2006) et non plus seulement sur des projets. Dans les expériences que la France a connues, le débat reste un objectif en soi, mal relié aux étapes qui l’ont précédé et sans que le processus de la suite soit bien connu. L’exemple du débat public sur le choix du site d’un 3e aéroport dans la région parisienne est typique de cela. Les questions portaient en fait beaucoup plus sur « pourquoi un 3e aéroport ? » ! La même aventure a été vécue lors du débat préalable à la décision de construction de l’EPR à Flamanville.
35Il y a donc des limites au débat, qui ne prend sens que dans un système de décisions.
36La CNDP en exprime le souci, quand elle demande un dossier clair du maître d’ouvrage qui explicite les raisons de la proposition faite ou des alternatives proposées au débat, et quand elle exige qu’une décision soit prise au vu des résultats du débat. C’est reconnaître aussi qu’il y a des étapes dans l’élaboration des décisions.
37Ainsi l’expertise issue de la recherche et le débat public cherchent encore, chacun de leur côté, leurs relations avec la décision publique.
Pour une ingénierie des processus de décision adaptée à notre temps
38Nous affirmons qu’il n’est plus possible de se contenter d’améliorer les relations entre « recherche » et « décideur public » pour réussir une gestion des risques dits bio-sociaux – et, plus largement, toute politique publique. Il faut bâtir des processus impliquant tous les acteurs, par étape, fondés sur une recherche proactive (en particulier sur l’analyse des impacts des nouvelles technologies), laissant le temps au débat.
39Parce que l’on ne peut plus décider les actions publiques comme avant, dans l’après-guerre au temps des pénuries ou de crises graves, s’impose une prise de décisions au sein d’une stratégie élaborée dans une relation entre trois groupes d’acteurs : les responsables des politiques publiques, les experts et chercheurs, les représentants des partenaires intéressés de la société dite civile. Cela exige un double mouvement l’un vers l’autre de l’univers de la décision et de celui de la recherche, au sein de ces processus, en intégrant les préoccupations des uns et des autres, de tous les partenaires, acteurs économiques et citoyens.
40Le Schéma d’aménagement et de développement de la Nouvelle-Calédonie correspond bien, dans sa définition, dans son agenda et dans le rôle donné aux acteurs, à ce type de processus. La méthode, qui consiste à s’appuyer sur l’élaboration en commun de scénarios pour le futur, permet de mieux dégager les points d’accord ou de désaccord, en créant des moyens de communication entre les scientifiques, les autorités responsables et le public.
Deux autres exemples
41Deux cas, assez proches de celui de « L’énergie dans le développement de la Nouvelle-Calédonie » peuvent éclairer la suite à donner à cette expertise collégiale : l’élaboration des plans d’exposition aux risques inondation dans la moyenne vallée du Rhône (département de la Drôme) et la définition du programme Ecophyto pour la réduction par deux de l’usage des pesticides en France.
L’élaboration des plans d’expositions aux risques inondation dans la moyenne vallée du Rhône
42L’élaboration des PPR Inondations est fondée sur un processus de décision, avec une identification des 3 groupes d’acteurs retenus ci-dessus : les instances de décision, les maires, le département et l’État ; les instances d’étude et d’expertise ; les instances de concertation avec toutes les parties prenantes.
43Un Comité territorial de concertation a été créé, avec un animateur spécialisé chargé de faire reformuler les questions et de passer la parole pour que la participation soit réelle. Un cahier de séance est élaboré par le groupe des experts dont le secrétariat est assuré par la Diren Rhône-Alpes.
44Il faut retenir de ce cas l’importance de l’organisation tripolaire, avec le pilotage politique du processus, particulièrement délicat quand plusieurs autorités doivent coordonner les efforts, le groupe des acteurs et, enfin, l’association d’une expertise organisée.
La définition du programme Ecophyto pour la réduction par deux de l’usage des pesticides en France
45L’expertise collective réalisée en 2005 par l’Inra et le Cemagref6 a révélé que peu de connaissances étaient acquises sur l’utilisation des pesticides et les risques associés. Plus ou moins en lien avec cette expertise, plusieurs décisions ont été prises, dans le cadre d’un plan interministériel de réduction des risques liés aux pesticides 2006-2009, dit le PIRRP.
46Pour connaître les voies possibles de réduction significative de l’usage des pesticides, les ministères concernés ont décidé d’une étude de deux ans (dite Ecophyto R&D) sur l’élaboration de scénarios de rupture plus ou moins radicale par rapport aux pratiques courantes actuelles, et sur la définition d’un système nouveau, plus complet, d’acquisition et de diffusion de références, en rapport avec l’objectif affiché.
47Une attention particulière a été apportée à la structuration des acteurs. On y retrouve à peu près le dispositif tripolaire défini plus haut :
l’Inra est chargé de coordonner les experts ;
un comité de pilotage, qui se réunit tous les deux mois, regroupe les directions des ministères concernés de l’Agriculture et de l’Écologie, responsables de porter la décision ;
un comité d’orientation regroupe les acteurs potentiels, en tant qu’institutions.
48Il faut retenir de ce cas la relation entre une expertise collégiale et la préparation des décisions sur un sujet difficile. L’expertise permet de poser un problème, d’en fournir la structure à partir de laquelle les acteurs peuvent mieux se saisir du sujet, et renseigne des scénarios possibles pour atteindre un objectif, lui-même donné en conclusion du Grenelle de l’environnement.
Prolonger l’expertise par un processus d’élaboration des politiques de l’énergie et du climat
49Des expériences et travaux théoriques en nombre donnent des perspectives à une élaboration des décisions qui fasse appel à une meilleure mobilisation de l’expertise – en particulier, celle issue de la recherche – et permette un dialogue enrichissant entre toutes les parties. C’est un enjeu très important pour bâtir une société démocratique dont le développement soit fondé sur la connaissance. C’est essentiel pour que la confiance se construise dans des choix de plus en plus techniques et sensibles. C’est indispensable pour que les acteurs autonomes rentrent bien dans la même logique d’action collective.
50Nous proposons donc que l’expertise collégiale sur « L’énergie dans le développement de la Nouvelle-Calédonie » soit prolongée par un processus, dans l’esprit de ce qui se fait pour le Schéma d’aménagement et de développement de la Nouvelle-Calédonie. Il devra s’appuyer sur une expertise, le plus possible localisée sur son territoire, apte à assurer les approfondissements considérés comme indispensables, au vu des insuffisances repérées par l’expertise, ou qui se dégageront des discussions à venir.
51Recommandation : mettre en route un processus de définition d’une politique de l’énergie et du climat, associant les acteurs concernés, mobilisant une expertise la plus locale possible, avec un pilotage légitime, et s’appuyant sur les résultats de l’expertise, complétée par des études plus précises sur les points qui le méritent, selon les orientations principales et les objectifs généraux retenus.
CONCLUSION
52Au service des actions possibles dans les domaines que sont l’habitat, les transports, la production d’énergie et l’industrie métallurgique, l’analyse technico-économique permet de donner quelques priorités : les solutions techniques n’ont pas toutes le même coût ni la même échéance. L’aménagement du territoire et la prise en compte des contraintes foncières permettent de bâtir des réponses durables sur le long terme.
53S’agissant des moyens d’action possibles, il est indispensable que les orientations générales soient traduites juridiquement, que des actions d’éducation et de sensibilisation soient généralisées, et que les instruments réglementaires, tarifaires et fiscaux soient mobilisés.
54Les acteurs de l’énergie et du climat ont besoin de l’appui de la formation aux métiers, tout particulièrement dans le domaine du bâtiment, avec les démarches de haute qualité environnementale. L’action économique en faveur des entreprises pourrait également être un levier bien utile, même si nous n’avons pas eu la possibilité d’en approfondir les modalités. Enfin, la Nouvelle-Calédonie doit avoir accès à un potentiel de R&D au service des activités qui concernent l’énergie et le climat.
55Concernant la gouvernance, l’approche juridique a permis de montrer des pistes pour une répartition des responsabilités et quelles coordinations il convient de mieux organiser. L’approche sociopolitique, ensuite, a permis de définir le processus qui pourrait utilement prolonger cette expertise collégiale – puisque celle-ci n’a pas vocation à établir des priorités opérationnelles ni à livrer des programmes d’action clé en main…
RECOMMANDATIONS
56Pour le détail des recommandations exposées ci-dessous, le lecteur pourra se reporter aux fiches de recommandations rassemblées à la fin de la synthèse, après la partie « Conclusion et recommandations ».
1. Mettre en route un processus de définition d’une politique de l’énergie associée à celle du climat :
mobilisant une expertise structurée, la plus locale possible, s’appuyant sur les résultats de l’expertise, et complétée par des études plus précises sur les points qui le méritent, selon les orientations principales et les objectifs généraux retenus ;
avec un pilotage légitime par une autorité publique ;
associant les acteurs concernés, au sein d’un comité d’orientation.
Transformer les conclusions du processus de définition d’une politique de l’énergie et du climat par une délibération du Congrès.
2. Lancer la définition d’un plan climat pour chaque Province, pour le Grand Nouméa et la zone VKP (Voh-Koné-Pouembout).
3. Inscrire les productions de biomasse non alimentaires dans des politiques de développement pour réduire la dépendance de la Nouvelle-Calédonie en matière alimentaire, forestière et énergétique, tout en contribuant à la réduction des émissions mondiales de GES.
4. Engager un travail de clarification des responsabilités des acteurs publics sur l’environnement et les impacts sur le climat : il s’agit de construire une répartition des compétences adaptée à ces nouveaux enjeux.
5. Définir les priorités des actions de maîtrise de l’énergie, de développement des ENR et de réduction des émissions, en introduisant des critères de coûts et d’impacts.
6. Soutenir les filières industrielles et de service liées à la production et à la maîtrise de l’énergie, adaptées à la dimension de la Nouvelle-Calédonie : la formation aux métiers, l’action économique en faveur des entreprises, le potentiel de R&D auquel il faut avoir accès.
7. Mettre les instruments économiques ou réglementaires au service de la politique de l’énergie et du climat.
8. Engager un programme d’actions d’éducation et de sensibilisation pour favoriser un changement des pratiques.
Notes de bas de page
1 Pour une analyse plus approfondie sur le contexte juridique, économique et politique, cf. la Revue juridique, politique et économique de Nouvelle-Calédonie, depuis son 1er n° jusqu’au 13e, dirigée par le professeur Jean-Yves Faberon.
2 En 1973, est créé le « Bureau des mines ». Après de nombreuses appellations, il est renommé « Service des mines et de l’énergie » en 1981 et devient Dimenc en 2004.
3 Le transfert de compétences à la Nouvelle-Calédonie en matière de sécurité civile, Jean Viret, août 2008, 73 p.
4 Pour plus d’informations : http://www.mra.org.mt/home.shtml
5 La décision, L. Sfez,Que sais-je 2181, 3e édition corrigée, décembre 1994.
6 « Pesticides, agriculture et environnement, réduire l’utilisation des pesticides et en limiter les impacts environnementaux », décembre 2005
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