Les options techniques, les enjeux, atouts et contraintes
p. 340-364
Texte intégral
1Des travaux d’expertise présentés précédemment, il ressort qu’il existe en Nouvelle-Calédonie un fort potentiel de maîtrise de l’énergie dans les secteurs résidentiel et industriel : une réduction de la consommation d’énergie est possible, mais cela a un coût et suppose une évolution des modes de production, de construction et de consommation.
2Il existe aussi un fort potentiel de développement des énergies renouvelables et de nouvelles technologies : certaines des énergies nouvelles développées dans le monde offrent des possibilités à la Nouvelle-Calédonie, comme cela a déjà été amorcé pour l’éolien et la production d’électricité photovoltaïque. Mais la biomasse accessible souffre de la dispersion de sa production et de la contrainte foncière, ce qui rend difficile son exploitation malgré un potentiel technique renouvelable, sans doute non négligeable. Des moyens de stockage devraient être développés, tout particulièrement le stockage hydraulique gravitaire si l’existence de potentiels techniques est confirmée.
3Il est apparu utile de tenter une synthèse sur la maturité des différentes techniques de maîtrise de l’énergie, de nouvelles productions et de captage du CO2.
4Même en adoptant une politique incitative dans les deux domaines précédents, le niveau de consommation est tel, qui est dû aux grandes entreprises métallurgiques notamment, que la demande en énergie ne saurait être couverte par les énergies renouvelables ; dès lors, la nécessité d’une production à grande capacité reste nécessaire.
5Enfin, la Nouvelle-Calédonie ne peut faire l’économie de la prise en compte de la protection de l’environnement et des gaz à effet de serre dans le contexte régional et international.
L’ANALYSE TECHNICO-ÉCONOMIQUE RÉVÈLE QUELQUES PRIORITÉS
6À ce stade, il serait utile de pouvoir disposer d’éléments objectifs permettant d’orienter les futures décisions publiques. L’analyse technico-économique, complémentaire des options techniques, peut aider à identifier les priorités en introduisant la dimension économique. Classiquement, celle-ci sert à évaluer et comparer les coûts des options disponibles, puis à les organiser, par ordre de mérite, dans un cadre de rationalité économique qui vise à minimiser le coût global de réalisation.
7Il n’a pas été possible ici de mettre en œuvre cette démarche car la collecte des informations nécessaires à cette analyse n’entrait pas dans le cadre de notre expertise collégiale. Pour apporter néanmoins des éléments complémentaires à l’analyse, nous avons complété l’identification des principales options techniques par une estimation pour chacune d’entre elles des enjeux et des coûts représentés. Concrètement, nous avons estimé les potentiels techniques de production ou d’économie d’énergie (ou de CO2 dans le cas du stockage) associés à chaque option ; nous avons également évalué les dépenses globales auxquelles il faudrait consentir pour mobiliser ces quantités d’énergie.
8Chaque variable a été estimée sur une échelle à trois niveaux : faible, moyen, élevé. Cette analyse, essentiellement qualitative, ne prétend pas à la rigueur scientifique, mais elle s’appuie dans la mesure du possible sur des connaissances issues d’autres expériences. Nous avons enfin complété cette analyse par une estimation des contraintes et atouts associés à chaque option, pour faire apparaître un critère de difficulté de mise en œuvre qui intègre à la fois la disponibilité des technologies, la faisabilité des politiques et les bénéfices associés (économies d’énergie, par exemple).
9On observe ainsi qu’une option telle que la maîtrise de l’énergie dans le parc de bâtiments anciens présente un potentiel d’économie d’énergie très important, que le coût de cette rénovation est élevé (mais susceptible de générer des économies dont profitent les consommateurs) et sa mise en œuvre très complexe (la réglementation thermique dans le parc existant est difficile à imposer et est relativement lente à produire ses effets). Inversement, une option comme l’instauration du bonus/malus sur l’achat de véhicules individuels présente des enjeux moins importants, mais elle est peu coûteuse et relativement simple à mettre en œuvre.
10Nous avons complété cette première analyse purement qualitative par une tentative de hiérarchisation sous la forme d’un graphique (figure 15). Le schéma reprend pour l’essentiel les informations figurant dans le tableau 9 et intègre, en plus, la dimension de la faisabilité que nous avons choisi de faire coïncider avec une prise en compte de la dimension temps. Concrètement, les options relativement simples à mettre en œuvre et immédiatement disponibles apparaissent en gras ; sont en noir les options moins faciles et non immédiatement disponibles, mais qui présentent une probabilité raisonnable de réalisation, et les options plus prospectives et incertaines, ou susceptibles de produire des résultats sur le long terme.
11On voit ainsi apparaître au moins trois grands groupes d’options qu’il conviendrait d’examiner :
- les options qui présentent des enjeux très importants pour des coûts qui restent modérés (la maîtrise de l’énergie dans l’industrie, l’eau chaude sanitaire solaire, le photovoltaïque) ou des enjeux plus importants encore, mais pour des coûts plus élevés (rénovation thermique de l’habitat existant) ;
- les options qui présentent des enjeux peut-être un peu moins importants mais qui ne posent pas de difficultés majeures de mise en œuvre : la réglementation thermique dans le neuf, la MDE pour l’éclairage et l’électroménager, la rénovation du parc public de bâtiments, le développement de l’éolien, etc. ;
- enfin, les options pour lesquelles les enjeux sont à priori plus modestes ou mal connus, mais dont les coûts estimés sont assez faibles : sobriété énergétique notamment, mais également le bonus-malus pour les véhicules particuliers ou le développement des transports scolaires.
12À l’inverse, il conviendrait, selon cette analyse, de laisser pour l’instant de côté les options situées dans la partie supérieure gauche du graphique qui sont plus coûteuses et dont les enjeux sont limités. C’est le cas, par exemple, de l’énergie thermique des mers ou des biocarburants issus des algues, options qui apparaissent aujourd’hui à la fois coûteuses et dont les enjeux sont incertains.
13Le photovoltaïque et le solaire thermodynamique appellent des commentaires particuliers. Ces technologies sont aujourd’hui encore très coûteuses, et l’on peut s’étonner de les retrouver ici positionnées dans une zone de coûts moyens. En réalité nous avons tenu compte des perspectives de baisses de coûts très conséquentes qu’elles offrent. S’il subsiste sur le solaire thermodynamique certaines incertitudes sur les coûts futurs (cf. « Les nouvelles technologies en matière de production et de stockage d’énergie », p. 115), les baisses observées depuis de nombreuses années et les progrès techniques attendus sur le PV indiquent que les coûts vont continuer à baisser. Quant au solaire thermodynamique, le stockage thermique intégré à ces systèmes représente une caractéristique favorable pour faciliter son intégration au réseau ; en outre, la dynamique importante de développement de cette filière devrait conduire à des baisses significatives de coût.
14Des progrès sont aussi attendus sur l’oxy-combustion, par exemple, mais cette technologie fonctionne en système, et le stockage géologique présente encore des incertitudes fortes quant à sa faisabilité. Seul le photovoltaïque fait donc l’objet d’un traitement particulier pour tenir compte des progrès techniques attendus.
15Pour conclure, insistons sur le fait qu’il s’agit là d’un angle de lecture qui privilégie la dimension technico-économique. D’autres dimensions doivent être prises en compte, notamment au chapitre de la faisabilité et de l’acceptabilité des politiques : la question foncière ou des problèmes de gouvernance ; des perspectives de coopération régionale ou de recherche et développement peuvent également conduire à reconsidérer les choix suggérés ci-dessus.
16Enfin, cette analyse économique par technologie a d’autres limites.
- Certaines mesures de nature technologique ne doivent pas se mettre en œuvre isolément, mais en association à d’autres, en particulier de nature organisationnelle ou de tarification. Ainsi, l’établissement d’un signal prix (bonus-malus ou vignette annuelle) sur les véhicules particuliers gros consommateurs de carburants présente une plus grande efficacité s’il est accompagné du développement des transports publics.
- Pour pouvoir être généralisées, des technologies, même considérées comme matures dans d’autres contextes, doivent faire l’objet de programme de démonstration, pour mise au point technique et économique. Citons, par exemple, l’utilisation de la biomasse dans l’industrie, ou le solaire thermodynamique.
- Le coût net des opérations qui induisent des économies d’énergie ou des réductions d’émissions de GES dépend, bien entendu, du prix des énergies et du carbone économisés ; une forte augmentation des prix pourrait justifier la mise en œuvre de certaines opérations qui peuvent sembler aujourd’hui trop coûteuses.
17Par ailleurs, nous devons souligner que la prise en compte du contexte de la Nouvelle-Calédonie nous a conduit à considérer comme difficiles à adapter certaines des pistes qui sont souvent citées ailleurs comme prometteuses. Plusieurs raisons à cela : la situation à distance des grands flux mondiaux et la relative petite taille de son marché intérieur (qui proscrivent, par exemple, la solution du gaz naturel). La difficulté d’accès au foncier pour des projets exigeant une emprise foncière importante et à la main-d’œuvre nécessaire à des projets agricoles ou forestiers est également à prendre en compte.
18Plus généralement, le secteur de l’énergie et des gaz à effet de serre évolue beaucoup, sur tous les plans (technologiques, économiques, réglementaires, dans les pratiques) et à toutes les échelles (depuis les particuliers, les communes, jusqu’à la planète) ; il est donc essentiel d’en avoir un suivi permanent. La Nouvelle-Calédonie doit se doter d’une capacité de veille sur ces sujets, au-delà de ce qui existe déjà.
LA QUESTION ÉNERGÉTIQUE EST LIÉE AUX CHOIX D’AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE
19En Nouvelle-Calédonie, la maîtrise de l’étalement urbain du Grand Nouméa semble être une priorité. Le plan d’urbanisme et le plan de déplacement urbain indiquent les mesures à prendre à cet effet. Leur mise en œuvre demandera une intégration plus forte des politiques suivies par les différentes communes de l’agglomération. Les promoteurs du Schéma de cohérence de l’agglomération de Nouméa, le Scan, en sont bien conscients. Le renforcement du pôle VKP (Voh-Koné-Poumbout) avec la mise en service de l’usine du nord est un enjeu important puisqu’on a là l’occasion, en réfléchissant en amont sur l’urbanisme, la construction et les transports, de créer d’emblée une ville adaptée et peu gourmande en énergie.
Les plans climat territoriaux : un outil au service du développement
La réalisation de plans énergie climat a été lancée en France métropolitaine comme une façon d’apporter des réponses locales aux enjeux d’économie d’énergie et de lutte contre le changement climatique, tout en tenant compte des conditions spécifiques des territoires. Il existe une méthodologie proposée par l’ADEME pour la réalisation de ces plans, déjà mise en œuvre dans plusieurs grandes agglomérations métropolitaines (Nantes, Grenoble, Lyon, Paris, Rennes, etc.). Le Grenelle de l’environnement en prévoit la généralisation aux collectivités d’outre-mer.
Un plan énergie climat repose sur une approche fine du profil énergétique du territoire concerné. C’est l’occasion d’évaluer avec précision les consommations énergétiques et les émissions des bâtiments, de certains secteurs (par exemple, le transport) ou encore le fonctionnement des services publics (écoles, mairies, hôpitaux), et de proposer des améliorations.
Pour que les mesures proposées soient cohérentes, cette démarche implique la participation des acteurs locaux. En ce sens, c’est aussi le moyen d’introduire les problématiques de consommation d’énergie et de changement climatique dans le débat public en s’appuyant sur des diagnostics.
À Grenoble, par exemple, le plan climat s’est appuyé sur un bilan énergétique de l’agglomération, réalisé en 1999, pour fixer des priorités et des lignes d’action thématiques. Les engagements du plan climat ont été souscrits par différents acteurs locaux (collectivités, OPAH, ADEME, fournisseurs d’électricité, etc.) pour une action concertée.
Il existe encore peu d’études sur les résultats obtenus par ces démarches, en termes d’infléchissement des tendances de croissance à la consommation. Elles ont cependant le mérite d’être une avancée pour mettre l’aménagement du territoire au service des économies d’énergie et de la lutte contre le changement climatique1.
20En complément de l’aménagement du territoire proprement dit, une réglementation devrait être rapidement élaborée et appliquée en matière d’environnement dans les constructions et le bâtiment. Du fait de sa croissance démographique et de ses besoins en logements, la Nouvelle-Calédonie présente en effet une opportunité pour mettre en œuvre les techniques et les conceptions les plus récentes en matière de conservation de l’énergie.
21Le bilan carbone des urbanisations nouvelles, tel qu’il a été pratiqué pour les ZAC de Panda et Dumbéa-sur-mer, est une première étape qui montre l’importance des enjeux. La méthodologie de ces bilans carbone pourrait être affinée et adaptée au cadre calédonien, et systématiquement utilisée comme un préalable à la réalisation de ce type de projets.
22L’aménagement du territoire a aussi pour objectif habituel de lutter contre la désertification et de maintenir les populations dans leur cadre de vie. C’est le choix qui a été fait en Nouvelle-Calédonie avec les investissements destinés à améliorer les conditions de vie dans les villages et les tribus. L’extension du réseau électrique déjà en grande partie réalisé va dans ce sens. Elle présente l’intérêt de favoriser la mutualisation des ressources et la connexion de nouveaux dispositifs de stockage et de production.
LA PROBLÉMATIQUE FONCIÈRE DOIT ÊTRE PRISE EN COMPTE
23Les options sur l’énergie impliquent l’implantation d’infrastructures à vocation de production ou de distribution d’énergie, nécessairement localisées sur un territoire donné, qui peuvent être des éoliennes, des usines à coprah ou à charbon, un barrage hydroélectrique, des poteaux électriques, une plantation de forêts pour faire de la biomasse, etc. Quelles que soient ces options, elles vont immobiliser une partie du foncier. Autant dire que leur mise en œuvre va en partie dépendre des règles d’accès à ce foncier et donc du statut de la terre.
24Or, en Nouvelle-Calédonie, du fait de la colonisation européenne, la question foncière est au cœur de conflits et de tensions majeurs, bien étudiés par de nombreux travaux en sciences sociales. Sur l’ensemble du territoire, il existe trois types de statuts fonciers : la propriété privée, la propriété publique ou domaniale et les terres coutumières. Chacun de ces statuts est régi par des règles de propriété et d’accès différents. Les terres coutumières, régies par la coutume, ne peuvent être ni vendues ni cédées, ni saisies ni touchées par une prescription.
25La répartition géographique de ces différentes terres varie considérablement selon les provinces. La Province des îles est constituée à 97 % de terres coutumières, il n’y a pas de propriété privée sur cet archipel. Inversement, les terres coutumières en Province Sud ne représentent que 9 % du total et 24 % en Province Nord. À l’échelle territoriale, le plus grand propriétaire foncier est le gouvernement de Nouvelle-Calédonie qui possède 47,9 % des terres.
26Dans les îles, tout aménagement et toute implantation se feront sur des terres coutumières, ce qui implique un processus de négociation spécifique : il faut en effet obtenir l’autorisation des « maîtres de la terre ». Les problèmes de fonctionnement de l’usine de coprah d’Ouvéa renvoient en partie – mais en partie seulement – à la problématique foncière. Les travaux en sciences sociales ont en effet montré que l’accès aux terres dites coutumières ne posait pas de problème tant qu’il n’y avait pas de véritable enjeu économique. Mais dès qu’un projet touristique, agricole ou d’une autre nature, comporte un enjeu économique fort, de nombreuses résistances et blocages surviennent. Il existe cependant des fermes éoliennes implantées sur des terres coutumières, dans les îles Loyauté (Lifou) ou dans le nord de la Grande Terre. Dans le Grand Nouméa, le lien entre options sur l’énergie et problématique foncière est davantage lié au coût important du foncier qui peut entraver la réalisation de projets et d’équipements.
27Les enjeux fonciers ont donc toute leur importance. L’expertise n’a pu en faire une analyse détaillée qui sortait de son champ ; cependant, en première approche, on pourrait émettre les hypothèses suivantes pour chacune des trois situations :
- dans les zones rurales, la place de la propriété publique devrait autoriser les principaux équipements à emprise foncière liés à l’énergie (petits barrages, parcs éoliens, centrales solaires) ;
- dans le Grand Nouméa, la politique urbaine nécessite une politique de réserves foncières accompagnée des outils correspondants de l’action publique ;
- la question de la production de biomasse pour l’énergie demeure la plus problématique : la politique de l’énergie rejoint celle de la production agricole et forestière et de l’autonomie du Territoire.
QUELS MOYENS D’ACTION POUR METTRE EN ŒUVRE UNE POLITIQUE DE L’ÉNERGIE ET DU CLIMAT ?
La nécessité d’orientations générales traduites juridiquement
28De l’analyse du secteur et des besoins en énergie, ressort la nécessité d’adopter des orientations générales car il n’existe pas actuellement d’objectifs énergétiques, cohérents et globaux fixés au plus haut niveau de la Nouvelle-Calédonie2. Envisager une loi d’orientation sur l’énergie fixant les grands principes et les objectifs de la politique énergétique de la Nouvelle-Calédonie, quel qu’en soit le contenu, devrait donc être une première étape primordiale afin de donner une impulsion politique, soutenue juridiquement dans un cadre cohérent et réfléchi. Rappelons que la loi de programme de 2005 qui fixe les orientations de la politique énergétique française n’est pas applicable à la Nouvelle-Calédonie.
29L’Autorité compétente en matière de politique énergétique est la Nouvelle-Calédonie. Dès lors, deux supports juridiques peuvent être envisagés : la loi du pays ou la délibération du Congrès (cette dernière ayant un caractère réglementaire). C’est la première qui parait le mieux à même de définir de telles orientations de politique énergétique, car elle serait adoptée par le Congrès réunissant l’ensemble des acteurs concernés après avis du Conseil d’État. Toutefois, la loi organique de 1999 a défini de façon stricte la liste des matières dans lesquelles une loi de pays peut intervenir, et l’énergie n’en fait pas partie.
30Reste alors deux possibilités :
- s’il est possible de recourir à une modification de la loi organique n° 99-209 relative à la Nouvelle-Calédonie (ce que l’expertise ne peut apprécier, mais il est aisé d’imaginer qu’une telle modification est soumise à des délais longs et à une procédure lourde), de solliciter l’insertion de l’énergie à l’article 99 de cette loi fixant la liste des domaines des lois de pays et, dans ce cadre renouvelé, voter une loi de pays ;
- recourir à une délibération du Congrès – ce qui n’aura pas la même force juridique. Le schéma d’orientation minier a été pris de cette manière et apparaît toutefois suffisant pour obtenir l’adhésion de tous les acteurs.
31Cet acte juridique fondateur devrait, bien évidemment, être soumis à concertation de tous les acteurs locaux concernés et du public, par exemple sur le modèle des conférences d’acteurs associées à la préparation du Schéma de développement de la Nouvelle-Calédonie. Ce serait en effet l’occasion de convoquer un cadre de débat avec la population permettant une information et une prise de conscience de tous les partenaires. La politique énergétique définie pourrait être utilement complétée et renforcée par l’élaboration d’un code de l’énergie de la Nouvelle-Calédonie, sur le modèle de ce qui a été réalisé avec le code minier.
32Compte tenu de ce qui est développé dans les parties précédentes, les orientations de politique énergétique pourraient s’articuler autour de trois objectifs généraux, qu’il serait d’ailleurs bon de chiffrer :
- rendre l’habitat et les transports plus économes et veiller à l’efficacité énergétique des industries ;
- produire localement autant d’énergie qu’en consomment les particuliers et les services ;
- préparer l’insertion internationale de la Nouvelle-Calédonie, en particulier en l’introduisant progressivement dans le processus de lutte contre les émissions de gaz à effet de serre, par des accords de recherche et développement.
33Notons que le projet de loi de programmation de la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement3 prévoit dans son article 56 des orientations énergétiques pour la Nouvelle-Calédonie. Il s’agit d’une disposition applicable à l’État auquel incombe l’objectif de coordination, mais non impérative pour la Nouvelle-Calédonie. Cet article 56 affiche les orientations suivantes :
- « parvenir à l’autonomie énergétique, en atteignant, dès 2020, un objectif de 50 % d’énergies renouvelables dans la consommation finale au minimum ;
- développer les technologies de stockage de l’énergie et de gestion du réseau pour augmenter la part de la production d’énergie renouvelable intermittente afin de conforter l’autonomie énergétique des collectivités territoriales d’outre-mer ;
- engager, dans le même temps, un programme de maîtrise des consommations qui se traduira par l’adoption, dès 2012, d’un plan énergie climat dans chaque collectivité ;
- adopter une réglementation thermique adaptée qui encourage la production d’eau chaude sanitaire solaire dans les bâtiments neufs et d’électricité photovoltaïque dans ceux qui doivent être climatisés, qui favorise la réduction de la climatisation au profit de l’isolation et de la ventilation naturelle et la production d’électricité photovoltaïque dans ceux qui doivent être climatisés, et mobiliser les pôles de compétitivité concernés sur les enjeux énergétiques de l’outre-mer ;
- dans les zones enclavées notamment, assurer un égal accès de tous les citoyens à l’électricité et, en particulier pour la Guyane, prendre les mesures d’adaptation nécessaires ; pour la Guyane, étendre les réseaux de transports et de distribution d’électricité et faciliter et accélérer les autorisations de raccordement des unités décentralisées de production électrique. »
34La Nouvelle-Calédonie peut donc s’appuyer sur ces orientations et/ou en définir de nouvelles, cet article n’étant pas impératif pour ce qui la concerne. Il se conclut d’ailleurs par : « L’État veillera à la cohérence de son action avec la Nouvelle-Calédonie et les collectivités qui la composent et les collectivités d’outre-mer régies par l’article 74 de la Constitution, selon les orientations figurant au présent article ».
Les actions d’éducation et de sensibilisation pour un changement des pratiques
35La très grande majorité de la population, y compris les décideurs et les élus, a une grande méconnaissance du sujet de l’énergie. C’est à la lumière de ce constat, largement partagé dans le monde, que nous proposons quelques orientations en vue d’améliorer l’éducation à l’énergie.
36Sans vouloir stigmatiser les comportements de consommation, il faut néanmoins insister sur le fait qu’en Nouvelle-Calédonie, comme dans nombre de pays, les dynamiques de consommation et les émissions de gaz à effet de serre ne vont pas dans le sens de leur réduction d’un facteur 4, considéré aujourd’hui comme l’objectif à atteindre (hors pays émergents). Cet objectif nécessaire, mais très difficile à atteindre, nécessite de profonds changements de perception et de comportements, qu’il faut tenter d’initier dès le plus jeune âge, d’où l’importance des actions en direction des jeunes.
37Nous suggérons de mettre en place, à différents niveaux et pour différents publics, des actions de formation/information qui peuvent être aisément entreprises. Une première étape pourrait être la formation de formateurs et/ou de conférenciers, les enseignants constituant sans doute le public le plus indiqué pour cela. La mise en place de ces formations est certainement l’étape la plus délicate car il faut trouver les bons mécanismes d’incitation et identifier les formateurs initiaux. Un appel à candidature pourrait être lancé à l’initiative du vice rectorat de Nouvelle-Calédonie.
38Les programmes scolaires pourraient dès lors intégrer, de façon modeste, une formation à l’énergie. Les aspects énergétiques qui y seraient traités mériteraient d’ailleurs de faire partie plus largement d’une sensibilisation au développement durable, problématique qui dépasse le cadre de l’énergie mais dont c’est une composante majeure. L’initiative française des « thèmes de convergence4 », instituée par le ministère de l’Éducation nationale au niveau du collège, offre un exemple à suivre. Il s’agit de disséminer, au sein des enseignements disciplinaires, quelques thèmes importants pour le développement de la citoyenneté, dont l’énergie.
39Concernant les publics adultes, des conférences grand public et des expositions animées par des personnes compétentes constituent sans doute la meilleure approche.
Quelques pistes
40Nous proposons (cf. annexe dans le CD-ROM) un ensemble de connaissances en matière d’énergie, dans le contexte du développement durable, qu’il nous semble important d’aborder et d’adapter.
41Les liens entre énergie et développement durable sont très forts et d’une intense actualité, c’est pourquoi nous pensons que le préalable à une formation citoyenne est ce que nous appellerons sans effet la « conscience planétaire et temporelle ». L’objectif est simplement de permettre de comprendre dans toute sa relativité la place de l’homme sur la terre et dans l’univers, et ses interactions avec sa planète.
42Les aspects temporels sont également importants pour comprendre comment l’atmosphère et notre biosphère ont évolué et se sont formées par une interaction forte entre l’énergie et les matières premières, dans laquelle la vie a joué un rôle majeur. La vie, notamment végétale, a façonné l’atmosphère pour sa propre expansion. Elle a subi diverses catastrophes naturelles – l’évolution est loin d’être un long fleuve tranquille.
43Sur tous ces plans, la perception temporelle de l’évolution de la vie en général aide beaucoup à comprendre les notions d’évolution de la population humaine et de changement climatique, et offre l’avantage de permettre de relativiser la place de l’homme sur terre. Devraient être davantage connus, et donc explicités dans toute formation, les notions physiques minimales (comprendre et distinguer l’énergie et la puissance), l’économie de l’énergie et les économies d’énergie, les ressources pour l’énergie, les impacts environnementaux et les écobilans des différentes solutions.
44Les vulnérabilités d’une civilisation exploitant trop d’énergie sont mal perçues : il faut donc également les mettre en évidence, les plus fragiles dans un monde désormais globalisé étant celles du gaz, de l’électricité et du transport de marchandises.
45Il est en tout cas indispensable que les citoyens de la planète prennent conscience de leur impact environnemental et de la solidarité qui doit les lier devant la fragilité de leur écosystème.
La formation aux métiers, le soutien à la création d’entreprises, le potentiel de R&D auquel il est nécessaire d’avoir accès
46Une étude récente du Boston Consulting Group note que 60 % environ des emplois induits par les mesures annoncées pour l’ensemble de la France dans le cadre du Grenelle de l’environnement sont dans le bâtiment, les autres étant dans les infrastructures de transports et, dans une moindre mesure, dans les énergies renouvelables. En l’absence d’une évaluation économique de mesures potentielles, on peut penser que cette proportion en faveur du bâtiment serait probablement encore plus élevée en Nouvelle-Calédonie. Ce constat nous a conduits à mettre ici l’accent sur le bâtiment.
La formation des acteurs dans le bâtiment
47L’efficacité énergétique n’est pas qu’une question de techniques et de technologies ; sa mise en œuvre nécessite des professionnels sensibilisés et bien formés. Or, le périmètre de la maîtrise de l’énergie touche des domaines très variés : production énergétique, énergies renouvelables, éclairage public, isolation, menuiseries, protection solaire, froid, climatisation, ventilation, appareils électriques, maintenance, etc. Dans ces domaines, l’acquisition de nouvelles compétences ou fonctions s’impose à toutes les échelles d’intervention.
Quelles compétences environnementales intégrer en phase de programmation ?
- À l’échelle urbaine, le souci de l’efficacité énergétique dans les bâtiments doit être introduit le plus en amont possible. Les principaux enjeux sont d’ordre structurel : problématique transport/habitat, orientation des voiries/affectation des parcelles vis-à-vis des éléments climatiques. Les urbanistes doivent se faire épauler par des conseils formés à l’Analyse environnementale urbaine (AEU) et capables de simuler les impacts climatiques pour mieux définir les morphologies urbaines optimales et la meilleure affectation des parcelles (tertiaire/résidentiel). Cette approche environnementale peut être complétée par un bilan carbone dans l’aménagement des écoquartiers (comme cela a pu être fait, par exemple, pour la ZAC de Dumbéa) qui permet de suivre à intervalles réguliers l’évolution du projet. En matière d’éclairage public, les principes de la MDE doivent être intégrés dans les plans lumières et dans les cahiers des charges par des spécialistes en éclairage formés au développement durable.
- Dans les bâtiments neufs, la phase de programmation est déterminante pour fixer les objectifs énergétiques et environnementaux. Des études de faisabilité établies par des spécialistes en énergies renouvelables peuvent aider le maître d’ouvrage à prendre les meilleures décisions environnementales dans un cadre économique maîtrisé. L’obtention d’un label de haute efficacité énergétique ou environnementale fait intervenir des auditeurs de certification qui vont contrôler les engagements effectifs de la maîtrise d’ouvrage.
- Dans les bâtiments existants, introduire de l’efficacité énergétique nécessite au préalable un audit énergétique pour optimiser les interventions et échafauder les meilleurs scénarios énergétiques et environnementaux de réhabilitation. En Nouvelle-Calédonie, actuellement seul un bureau d’étude est formé à ce type de prestation, et quatre ont signé la charte du CTME. Étant donné que le plus fort gisement énergétique se situe dans l’existant, ce métier est appelé à se développer considérablement.
Quelles compétences environnementales intégrer en phase de conception et de réalisation ?
- La maîtrise d’œuvre d’un projet de bâtiment réunit une équipe pluridisciplinaire : architectes, bureaux d’études, économistes, paysagistes… Sous l’impulsion des démarches bioclimatiques et HQE, les maîtres d’ouvrage et les maîtres d’œuvre ont compris l’intérêt de la participation très en amont de l’ensemble des compétences pour une réelle optimisation économique et environnementale des projets. Pour mieux assister les architectes, des spécialistes HQE permettent de formaliser le management environnemental en phase de conception et de réalisation. Au-delà de ces aspects organisationnels, ces bureaux d’études HQE accompagnent l’équipe de conception pour optimiser l’enveloppe sur les volets lumière naturelle, acoustique, confort hygrométrique et consommation énergétique, consommation d’eau, etc.
- Les grands groupes du BTP, conscients de l’importance des enjeux énergétiques et environnementaux, s’organisent actuellement pour qualifier leurs entreprises et sous-traitants sur les techniques liées à l’écoconstruction et l’écogestion. Ils ciblent prioritairement des opérations de constructions neuves.
- Au niveau des entreprises de second œuvre constituées la plupart du temps de PME et artisans, l’intégration des dimensions environnementales et énergétiques via des formations spécialisées est très peu répandue. Pourtant, dans le secteur de la réhabilitation, ces PME et artisans vont devoir jouer un rôle fondamental, mais ils ne sont pas encore préparés ni formés aux techniques d’écorénovation, ni capables de fournir une offre globale et qualitative de services intégrant plusieurs corps de métiers. Le cloisonnement des métiers étant particulièrement préjudiciable en matière efficacité énergétique.
Comment renforcer les compétences énergétiques et environnementales en Nouvelle-Calédonie ?
48Les thématiques porteuses de l’environnement et l’opportunité de la HQE pour réactualiser les pratiques sont un moyen de fédérer les différents corps de métiers autour de nouvelles perspectives de développement et de rebattre les cartes en matière de compétences.
49Ainsi, la formation au bilan carbone lancée en 2007 à l’initiative de l’ADEME a permis à plusieurs bureaux d’élargir leur offre de prestations et de susciter une véritable demande, tant auprès des entreprises que pour des projets urbains. Les sensibilisations et formations HQE programmées en septembre 2009 à destination des maîtres d’ouvrages et des maîtres d’œuvre constituent une bonne base pour renforcer les connaissances et redynamiser l’intérêt de la profession pour la HQE. Cette action devra être prolongée de sessions d’approfondissement en fonction des demandes des maîtres d’ouvrages et des maîtres d’œuvre (architectes et BET), mais surtout être étendue aux entreprises.
50La formation des entreprises est un challenge d’une autre ampleur, tant les types de métiers sont nombreux. La maîtrise des nouvelles technologies, les connaissances des solutions techniques adaptées, la connaissance transversale des questions énergétiques seront, dans un futur proche, les compétences les plus recherchées. Chaque corps de métier devra avoir une connaissance des autres postes de rénovation (objectif de décloisonnement) et aura une mission de conseil auprès de ses clients pour s’adapter à la nouvelle demande. Pour atteindre ces objectifs ambitieux, les organismes-support à mobiliser sont les associations de professionnels, les syndicats professionnels, les chambres de commerce et de métiers.
51Créer des synergies entre certains corps de métiers est probablement le plus difficile à réaliser. Pour la filière des installateurs de climatisation individuelle, on pourra s’appuyer sur les expériences de Qualiclim en Guyane et d’Opticlim à la Réunion qui ont permis une montée en compétence des installateurs.
52On pourra utilement consulter dans le CD-ROM un tableau de l’état des lieux et des actions de formation, de consolidation ou d’accompagnement qu’il serait souhaitable de mener à court et moyen termes.
Le potentiel de R&D auquel il faut avoir accès
53Pour atteindre leurs objectifs sur l’énergie et le climat, il est essentiel que les acteurs néo-calédoniens aient accès à ces connaissances nouvelles. De notre point de vue, plusieurs voies sont à utiliser en même temps.
54Il serait bien utile de mettre en place un dispositif de veille sur les technologies identifiées dans le cadre de cette expertise, sur le retour d’expérience international, sur les aspects économiques sociaux et organisationnels. Ce dispositif aurait pour fonction de mettre à jour les connaissances rassemblées ici tout en mobilisant progressivement les experts de Nouvelle-Calédonie. Nous y incluons également l’analyse critique de toutes les connaissances sur les expériences de production de biomasses non alimentaires déjà réalisées en Nouvelle-Calédonie.
55Elle pourrait aussi chercher à participer aux programmes de recherche lancés par des agences en France, en Europe, ou en Australie et en Nouvelle-Zélande sur des thèmes qui peuvent l’intéresser, mais non spécifiques à son territoire. Cela concerne, par exemple, des projets ANR comme Habisol (PV et habitat solaire), Stock-E (stockage d’énergie), EESI (Efficacité énergétique des systèmes industriels). C’est déjà le cas pour un programme engagé sur la recherche des causes des feux de forêt.
56Cela conduira à établir des liens avec les organisations australiennes visitées à l’occasion de cette expertise collégiale : CSIRO5 Newcastle (efficacité énergétique, captage du carbone), CO2CRC6 (Carbon capture and storage), solaire à ANU7.
57Les recherches en sciences humaines et sociales portant sur l’énergie ne sont pas très riches en France, en dehors de quelques spécialistes économiques bien connus et de quelques laboratoires (Grenoble, Montpellier), mais il s’agit d’un domaine en développement. Il existe néanmoins des pistes de recherche qui pourraient profiter à la Nouvelle-Calédonie, notamment :
- sur les usages de l’énergie qui sont à l’évidence très mal documentés, à commencer par la connaissance élémentaire des consommations des ménages en fonction de différents paramètres (urbain/rural, riche/pauvre, etc.). C’est un aspect essentiel si on veut travailler sur les tarifs ;
- sur les conflits et discours s’agissant de l’énergie : de quelles façons sont-ils construits, comment les questions autour de l’énergie deviennent-elles des points de conflits entre différents groupes sociaux ?
- sur la situation régionale et les positions nationales touchant les thèmes de l’énergie et du climat.
58Il serait judicieux également de proposer la Nouvelle-Calédonie comme terrain de recherche aux agences et organismes sur des thèmes spécifiques. Ainsi sur le stockage géologique, nous proposons que des travaux soient conduits sur le potentiel des péridotites, en élargissant les programmes réalisés (en France le programme ANR GeoCarbone s’est terminé en 2008, mais de nombreux programmes existent à l’échelle internationale, en particulier en Australie avec le CO2CRC).
59Enfin trois thématiques nous semblent pouvoir faire l’objet d’un investissement de R&D propre à la Nouvelle-Calédonie, qui pourraient lui conférer une renommée internationale :
- La réalisation d’un habitat à faible impact environnemental dans le contexte tropical : climatisation, écomatériaux, énergie (en particulier en relation avec le programme ANR Habisol).
- Les techniques et modes d’organisation des réseaux électriques avec forte proportion d’ENR, à production intermittente, dans des ensembles isolés ou insulaires de 1 000 à 500 000 habitants – les technologies et les modes d’organisation sont en effet en quasi-totalité conçus pour une distribution en grands ensembles de centaines de millions d’habitants.
- La production de biomasse alimentaire et non alimentaire (y compris forêt) en situation tropicale de pays développé : agronomie, foresterie, économie des entreprises, politique agricole et forestière. Pour cela, il est nécessaire de disposer de parcelles expérimentales représentatives permettant de déterminer les capacités réelles de production et de récolte des biomasses dans les conditions néo-calédoniennes. Ce type de recherche ne peut être réalisé qu’en Nouvelle-Calédonie. C’est pourquoi nous suggérons d’affecter des moyens humains à cette thématique, par exemple à l’IAC.
60À l’image de ce qui a été fait pour le Groupement d’intérêt public du Centre national de recherche technique « Nickel et son Environnement » (CNRT), des moyens d’appel d’offre de R&D pourraient être prévus sur ces trois thèmes. En outre, ce centre technique dont l’objectif est d’améliorer la valorisation des ressources minières de la Nouvelle-Calédonie dans une perspective de développement durable, pourrait aussi avoir un volet « efficacité énergétique pour l’industrie du nickel ». Le Programme ANR EESI peut être un appui.
61Sur un des thèmes présentés ci-dessus on pourrait aussi envisager la création d’un pôle de compétitivité, rassemblant des forces de recherche, des entreprises et, éventuellement, des organismes de formation. Il reste toutefois à examiner si les forces en présence sont actuellement suffisantes pour s’engager dans cette voie.
Les instruments réglementaires, tarifaires et fiscaux
Les instruments économiques ou réglementaires sur lesquels s’appuyer pour mettre en œuvre une politique énergétique et climatique en Nouvelle-Calédonie
62La première recommandation en matière d’instrument de politique énergétique pour maîtriser la demande d’énergie consiste à rétablir un signal tarifaire qui oriente les choix des agents (gestionnaires, industriels, consommateurs, etc.) en fonction des coûts réels des différentes sources d’énergie. Concrètement, cela signifie une remise à plat des structures tarifaires existantes, pour supprimer les éventuelles distorsions tarifaires ou subventions non justifiées par l’existence d’externalités environnementales.
63La suppression des écarts de fiscalité entre le diesel et l’essence relève de cette logique, si l’écart de prix n’est pas justifié par un écart de coûts ou d’impact sur l’environnement. De même, pour l’électricité, les subventions dont bénéficient certaines catégories d’usagers devraient être progressivement réduites, car elles dissuadent des investissements sur des technologies alternatives qui seraient collectivement préférables ; par exemple, les subventions à l’électricité dans l’hôtellerie sont des contre incitations aux économies d’énergie dans ce secteur.
64En complément, dans le cadre d’une politique énergétique tenant compte de la contrainte climatique, il est nécessaire d’intégrer dans le signal tarifaire une composante « valeur du carbone » qui répercute l’impact sur le changement climatique dans les prix des différentes énergies.
65Le rétablissement d’un signal tarifaire reflétant les coûts n’exclut pas la mise en place d’incitations économiques pour soutenir des filières ou technologies émergentes, par exemple lorsque celles-ci réduisent la consommation d’énergies fossiles et les dépenses énergétiques et limitent les émissions de GES. On pense en particulier à des subventions directes ou à des dispositifs de crédits d’impôts pour des investissements relativement importants, comme la rénovation thermique dans l’existant ou en faveur de technologies dont la diffusion reste inférieure à l’optimum social (capteurs solaires, par exemple).
66Pour des équipements nécessitant des investissements plus limités – éclairage basse consommation ou électroménager performant – les dispositifs d’étiquetage énergétique ont fait la preuve de leur efficacité. Ils peuvent être assortis de primes ponctuelles à l’achat en faveur des équipements les plus efficaces et complétés, ultérieurement, par des niveaux minimum de performance qui suppriment progressivement du marché les équipements les plus consommateurs (exemple des réfrigérateurs en Europe).
67La question de l’utilisation de Certificats d’économie d’énergie (CEE) échangeables a été posée. Avant de disposer d’un système de CEE on peut envisager, par exemple, d’imposer des objectifs d’économie d’énergie aux opérateurs énergétiques sans pour autant instaurer de certificats, dispositif relativement lourd pour sa mise en place et sa gestion.
68Les idées suivantes sont certainement à approfondir :
- fixation d’objectifs chiffrés (quantités, et rythme de réduction) aux opérateurs énergétiques, les associant ainsi aux actions d’économie d’énergie ;
- rassembler dans un catalogue les différentes mesures d’économies d’énergie avec leurs impacts.
69Mais la mise en place d’un dispositif de CEE ne paraît pas indispensable pour cela. Le retour d’expérience sur ces dispositifs est par ailleurs encore trop limité pour conseiller d’engager aujourd’hui la Nouvelle-Calédonie dans cette voie.
70Enfin, la réglementation reste indispensable pour améliorer à moyen terme la performance énergétique dans les secteurs résidentiel et tertiaire, car on sait que le signal tarifaire seul ne permet pas d’atteindre le niveau de performance énergétique souhaitable. Dans un premier temps, la réglementation s’applique exclusivement à la construction neuve, mais on peut imaginer de l’étendre également aux opérations de réhabilitation et de rendre obligatoire la mise aux normes de performance thermique lors de la vente de biens immobiliers.
71Dans le domaine des transports, outre la remise à plat de la fiscalité sur les carburants et l’introduction d’une taxe carbone, les outils envisagés dans une première phase sont de l’ordre de l’information et des incitations économiques : adoption de l’étiquetage énergétique pour les véhicules éventuellement associés à un dispositif de bonus/malus. Sur le moyen terme, des programmes complémentaires destinés à soutenir ou faire émerger une offre de moyens de déplacement alternatifs peuvent être nécessaires, qui s’appuient sur des investissements publics (transport public en site propre, pistes cyclables, etc.), des démarches volontaires (plans de déplacements d’entreprises) et/ou des réglementations (plans de déplacements urbains).
72En ce qui concerne les nouvelles sources d’énergie, l’adoption d’un dispositif de prix garantis, assorti d’une obligation d’achat par le distributeur nous semble être l’option à privilégier pour les technologies matures comme l’éolien, l’hydraulique et le photovoltaïque. L’expérience accumulée en Europe a montré que ce dispositif pouvait être particulièrement efficace pour soutenir le développement des sources d’énergie renouvelable. Cela n’exclut pas des aides complémentaires à l’investissement (type défiscalisation), mais l’économie des projets doit venir principalement des prix d’achats du kWh, l’aide à l’investissement ne constituant qu’un complément.
73L’intérêt de ce dispositif est qu’il permet de moduler les tarifs pour soutenir en priorité certaines filières. Ainsi, il est possible de mettre en place un tarif d’achat qui favoriserait, par exemple, le photovoltaïque intégré au bâtiment plutôt que les centrales de puissance. Dans tous les cas, il est indispensable de définir le tarif en fonction des coûts réels de production, de limiter la durée des contrats d’achat (15 ans, par exemple) et d’introduire un dispositif de décroissance des tarifs d’achat.
74Les tarifs d’achats créent les conditions économiques favorables au développement des investissements de production renouvelable. Ils ne suppriment pas pour autant toutes les barrières à ce développement, en particulier les problèmes de raccordement au réseau qui doivent faire l’objet d’actions spécifiques (réglementation).
75Pour des technologies comme l’énergie des océans, la géothermie ou le solaire thermodynamique, des programmes plus classiques de R&D sont une étape indispensable. Les acteurs de l’énergie peuvent participer à des travaux qui seraient conduits en Nouvelle-Calédonie, en Australie ou ailleurs, ou au moins assurer une veille. Après ce premier temps, les programmes de démonstration sont ensuite à privilégier. Pour l’éolien off shore et la production d’électricité à partir de la biomasse (si cette dernière option était considérée), les prix garantis ne devraient être stabilisés qu’après une première phase de démonstration pour valider les choix technologiques.
76Pour la production d’eau chaude sanitaire solaire, l’expérience internationale suggère également les pistes à suivre pour soutenir le développement de la filière. Dans les pays où cette technologie est devenue standard, la diffusion initiale s’est appuyée sur des subventions, sous formes d’aides directes ou de crédits d’impôts associés à des dispositifs complémentaires tels que des prêts bonifiés ou, éventuellement, des systèmes de tiers investisseurs. Lorsque les conditions économiques le permettent, un dispositif réglementaire peut prendre le relais des incitations financières et imposer le recours à cette technologie dans toutes les constructions neuves ou réhabilitations, si les caractéristiques techniques l’autorisent.
77La mise au point d’objectifs pour chacun de ces thèmes doit être accompagnée d’un dispositif de monitoring pour suivre l’efficacité des actions engagées et vérifier la conformité des trajectoires avec les objectifs.
Notes de bas de page
1 Cf. http://www.ale-grenoble.org/28-le-plan-climat-local.htm
2 Le projet relatif à la programmation pluriannuelle des investissements, constituant la réforme du secteur électricité, a échoué fin 2008 ; dans le cadre d’une délibération du Congrès définissant la politique énergétique de la Nouvelle-Calédonie, son contenu pourrait y être intégré.
3 Loi n° 2009-967 du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement (1). L’article concernant la Nouvelle-Calédonie est le 56, JORF n° 0179 du 5 août 2009 page 13031 texte n° 2.
4 Sur cette initiative, cf. le site http://eduscol.education.fr/D0217/actes_themes_de_convergence.htm ; cf. aussi pour d’autres applications pédagogiques dans tous les secteurs disciplinaires le site http://www.snv.jussieu.fr/vie/programmes/themesconvergencecollege.htm
5 CSIRO est le Commonwealth Scientific and Industrial Research Organisation en Australie. Il a plusieurs centres, dont celui de Newcastle qui est dédié à l’énergie.
6 CO2CRC est le Cooperative Research Centre for Greenhouse Gas Technologies (CO2CRC) qui réalise des recherches en coopération sur le captage et le stockage géologique du CO2 (Carbon capture and storage, ou CCS).
7 ANU : Australian National University, installée à Canberra, Australie.
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