Les stratégies d’insertion internationale de la Nouvelle-Calédonie
p. 321-335
Texte intégral
1Cette démarche présente deux contraintes principales et complémentaires qui la rendent tout à fait originale. D’une part, cette insertion devrait être cohérente sur le question de l’énergie, vis-à-vis de laquelle la Nouvelle-Calédonie partage les mêmes enjeux que les pays émergents de la grande région Asie-Pacifique, et sur les aspects liés aux changements climatiques, qui la placent dans une situation singulière. D’autre part, la Nouvelle-Calédonie ne détient pas, en 2009, les compétences de politique étrangère, exercées par l’État français : la loi organique lui reconnaît uniquement la possibilité de devenir membre associé ou observateur d’organisations internationales, une compétence qui doit néanmoins être soumise à l’accord de la France.
LES RELATIONS INTERNATIONALES DE LA NOUVELLE-CALÉDONIE
2D’un point de vue régional, la Nouvelle-Calédonie participe, ou directement ou par l’intermédiaire de la France ou encore avec la France, à différentes organisations. Il peut s’agir de forums intéressants pour avancer conjointement sur les questions d’énergie et de climat, en affichant une position cohérente. Ces relations formelles sont organisées par l’État français, principalement par le Haut-Commissariat et le ministère de l’outre-mer qui associent les représentants de la Nouvelle-Calédonie à certaines réunions. Les relations de fait entre la Nouvelle-Calédonie et d’autres États du Pacifique, du fait des migrations de populations, des relations commerciales, des proximités culturelles, des échanges scolaires, des investissements croisés, ne semblent pas faire l’objet d’une stratégie systématique.
LES ORGANISATIONS RÉGIONALES : L’ÉNERGIE RATTRAPÉE PAR L’ENVIRONNEMENT
3La Nouvelle-Calédonie participe à plusieurs organisations régionales. Celle dont le champ de compétences est le plus grand est la Commission du Pacifique Sud (CPS) qui comprend les îles du Pacifique, y compris les grands pays (Australie, Nouvelle-Zélande, États-Unis), mais il existe d’autres instances dont les compétences se recoupent en partie. Des regroupements sont à l’étude pour mieux utiliser les moyens disponibles.
La Commission du Pacifique Sud (CPS)
4Il s’agit de la plus ancienne des institutions de coopération régionale dont la Nouvelle-Calédonie fait partie, comme la Polynésie française, à titre individuel. La CPS aborde trois domaines principaux : la terre (agriculture, forêt, sécurité alimentaire, etc.), la mer (pêche, navigation, océanographie) et la société (démographie, santé). Les questions énergétiques ne sont pas abordées en tant que telles, mais sont introduites dans les réflexions sur le changement global. Cependant l’essentiel des discussions porte sur la vulnérabilité des îles face aux changements environnementaux.
5La CPS ne s’intéresse pas pour le moment aux questions énergétiques dans leur globalité : il s’agit plutôt de formes classiques de coopération pour le développement, à partir de programmes ciblés et financés. Un rapport de 2006 souligne toutefois la parenté des problèmes environnementaux entre les îles du Pacifique et insiste notamment sur les problèmes d’accès à l’énergie et sur la dépendance énergétique de la plupart des îles.
La commission de géosciences appliquées du Pacifique Sud – South Pacific applied Geoscience Commission (Sopac)
6Cette commission a abordé plusieurs aspects constitutifs de l’énergie, en particulier à travers le Pacific Islands Energy Policy and Strategic Action Plan (PIEPSAP), un programme qui a porté, entre 2004 et 2008, sur la formulation des politiques énergétiques, le développement des énergies renouvelables et l’efficacité énergétique. Les équipes ont conseillé les petits États insulaires dans la formulation de leurs politiques énergétiques, mais la Nouvelle-Calédonie n’a pas participé à cette réflexion.
Le programme régional océanien de l’environnement – Pacific Regional Environment Program (PROE)
7Cette organisation environnementale se penche également sur le changement climatique et ses impacts sur les États insulaires du Pacifique, sans aborder réellement le problème des émissions de GES.
Le Conseil de coopération économique du Pacifique – Pacific Economic Cooperation Council (PECC)
8Le PECC (Pacific Economic Cooperation Council) est une organisation tripartite regroupant des personnalités des affaires et de l’industrie, des gouvernements et du monde académique de 26 économies du Pacifique.
9Cette organisation est le lieu privilégié de discussions des sujets concernant le développement et l’intégration économique de la région Asie-Pacifique. Elle repose sur un large réseau composé des 26 comités du PECC, incluant un membre associé qu’est la France au travers de ses territoires du Pacifique (Nouvelle-Calédonie, Polynésie française et Wallis-et-Futuna). Son rôle est de permettre une meilleure coopération et coordination dans les domaines du commerce, de l’investissement, des finances, de l’industrie, des ressources humaines… et de fournir des informations et un support analytique aux groupes de travail de l’Apec (Asia-Pacific Economic Cooperation). Les objectifs de promotion de la coopération économique transpacifique sont couverts par diverses task forces dont l’une conduite par le comité français est spécifiquement axée sur les énergies renouvelables et la gestion de l’eau.
Asia Pacific Economic Cooperation (Apec) : une vision stratégique de l’énergie
10À la différence du PECC, l’Apec est une institution régionale comprenant 21 pays membres de l’océan Pacifique notamment les pays émergents du Pacifique et les grandes puissances (États-Unis, Canada, Japon, Corée du Sud). En effet, l’Apec défend le libre-échange entre ses membres et souhaite parvenir, à brève échéance, à supprimer toutes les barrières aux échanges et aux investissements entre les pays membres – une position cohérente avec la domination des États-Unis sur ce forum.
11En même temps, l’Apec est l’organisation internationale qui a l’approche la plus complète sur les questions énergétiques, dans l’objectif de garantir la sécurité de l’approvisionnement de ses membres. Il existe des groupes de suivi de la situation énergétique à court et à moyen termes et diverses instances d’échange. L’initiative Nautile, en particulier, rapproche les acteurs de l’énergie de différents pays pour partager références et instruments de prospective : cette construction d’une vision commune sur les problèmes énergétiques de la zone et son partage entre les responsables est tout à fait essentielle – la Nouvelle-Calédonie ne peut l’ignorer.
12L’Apec organise aussi des simulations de crise énergétique dans les pays membres en vue d’élaborer des réponses communes par la mutualisation des stocks. Ces derniers sont en principe plus importants dans les pays membres de l’OCDE (ils doivent respecter la recommandation de l’AIE de 100 jours de stocks) que dans les petits États qui ne disposent pas de capacités de stockage.
13Participer à ces initiatives, éventuellement comme observateur, pourrait être intéressant pour la Nouvelle-Calédonie qui s’apparente à bien des égards aux pays émergents du Pacifique.
LA COOPÉRATION BILATÉRALE
14La Nouvelle-Calédonie a peu de coopérations bilatérales formalisées avec les pays de la région, même s’il existe de nombreuses relations avec l’Australie, la Nouvelle-Zélande et les petites îles du Pacifique dont l’immigration est importante, particulièrement de Wallis-et-Futuna. Il s’agit bien évidemment d’une problématique qui dépasse celle de l’énergie, mais dans laquelle l’énergie peut prendre place.
15La France dispose de différents outils de coopération, particulièrement avec l’Australie et la Nouvelle-Zélande, à commencer par son réseau diplomatique. Les relations scientifiques et technologiques entre la France et l’Australie sont particulièrement fournies, soutenues par plusieurs programmes. D’autre part, la France se propose de renforcer ses relations de coopération avec les pays océaniens, en s’appuyant sur les collectivités d’outre-mer et en utilisant les moyens du Fonds européen de développement (FED).
16La Nouvelle-Calédonie pourrait certainement tirer parti de ces différents programmes pour bénéficier à la fois des dynamiques de recherche en sciences et en technologies avec l’Australie et la Nouvelle-Zélande, et pour servir de point d’appui aux actions de développement en faveur des autres îles du Pacifique.
17Il ne s’agit pas seulement d’un enjeu d’image, mais, plus largement, de placer la Nouvelle-Calédonie de façon favorable par rapport aux énergies renouvelables non conventionnelles et aux solutions innovantes de transport dans l’archipel et dans les villes, comment autant d’apports au développement des petits États insulaires. Inversement, la Nouvelle-Calédonie ne peut envisager d’apparaître comme l’un des principaux émetteurs de GES par habitant, dans un ensemble où les changements environnementaux planétaires apparaissent extrêmement menaçants, sans proposer aussi des solutions de réduction des GES et/ou d’adaptation aux changements environnementaux.
LA NOUVELLE-CALÉDONIE ET LES NÉGOCIATIONS INTERNATIONALES SUR LE CLIMAT
Les modalités d’insertion de la Nouvelle-Calédonie dans le cadre régional, en dehors du protocole de Kyoto
18Les émissions de GES en Nouvelle-Calédonie proviennent principalement de l’industrie du nickel et de ses autres activités économiques. Avec la montée en puissance de la production de nickel – la mise en route de deux nouvelles usines –, les émissions de GES ne peuvent qu’augmenter.
19En adoptant diverses mesures, les émissions des autres activités pourraient sans doute diminuer, mais ne compenseront pas l’augmentation des émissions résultant de la production accrue de nickel, car celles-ci ne se stabiliseront probablement que vers 2015 ou 2020. Il sera alors possible de commencer à afficher des objectifs de réduction des émissions de GES pour l’ensemble de la Nouvelle-Calédonie. D’ici là, il peut donc être utile d’avoir un affichage des émissions distinguant celles qui sont attribuables à la production du nickel de celles résultant des autres activités. La décision 14 CP7, adoptée dans le cadre des Nations unies pour l’Islande, permet de justifier cette distinction.
Pour les activités ne concernant pas la filière de production de nickel
20Comme toutes les villes ou régions du monde, la Nouvelle-Calédonie peut réduire ses émissions de GES de manière volontaire et le faire savoir. Les villes et les Provinces pourraient sans doute aussi engager des actions de coopération dans le cadre de jumelages avec d’autres villes ou pays de la région.
21À ce stade de la réflexion, il est également possible de s’inspirer de la communication nationale de l’Islande qui comprend huit chapitres. Le premier décrit les spécificités nationales de l’Islande et le deuxième livre des informations sur les inventaires de GES du pays et sur les évolutions en cours. Le troisième chapitre fait état des politiques et mesures adoptées dans le pays pour réduire ou limiter les émissions de GES (on y examine les secteurs de la production d’énergie, des transports, des pêches, de l’industrie, des déchets et de l’agriculture, ainsi que les actions relatives à la séquestration de carbone et les recherches en cours). Le quatrième chapitre présente des scénarios d’évolution des émissions, qui tiennent compte des politiques et mesures envisageables. Le cinquième concerne les impacts des changements climatiques et les adaptations envisagées. Le sixième chapitre se réfère à la façon dont l’Islande s’acquitte de ses obligations envers les pays en développement (aide publique et transferts de technologies). Le septième mentionne les recherches et observations relatives au climat, et le dernier évoque les politiques de communication en direction de la population.
Pour les activités concernant la filière de production de nickel
22N’ayant pas, sous ce scénario, d’engagement contraignant de réduction ou de limitation de ses émissions de GES, la Nouvelle-Calédonie n’aurait pas à compenser les augmentations d’émissions résultant de la production de nickel. Mais, il pourrait cependant être utile de mettre en avant, s’ils étaient retenus, les projets de recherche sur la séquestration géologique du CO2 proposés dans « Les émissions et les réductions de gaz à effet de serre en Nouvelle-Calédonie ». La mise au point de ce type de technologie apparaît indispensable si l’on veut diviser par deux les émissions mondiales de GES d’ici à 2050.
23En cas de succès, il sera possible de continuer à utiliser du charbon, l’une des ressources fossiles les plus abondantes et les moins chères du monde. Elle est notamment abondante en Australie et en Indonésie : il y aurait là des bénéfices mutuels justifiant des programmes conjoints. Cela pourrait ensuite conduire à des transferts de technologies de captage et de stockage vers d’autres régions du monde, par exemple vers la Papouasie-Nouvelle-Guinée.
Le protocole de Kyoto ne s’applique pas à la Nouvelle-Calédonie
24Actuellement, la Nouvelle-Calédonie n’a pas à appliquer les dispositions du protocole de Kyoto. Le principe en la matière est que les traités internationaux, dont la France est partie, s’appliquent sur l’ensemble de son territoire, y compris à l’outre-mer, sauf mention contraire expresse.
25Lors de la publication du protocole de Kyoto, par décret du 22 mars 2005, la France a émis une déclaration qui exclut de son application les territoires d’outre-mer au motif qu’ils ne font pas partie de la Communauté européenne. Pourtant, le protocole indique bien dans son article 26 « qu’aucune réserve ne peut être faite au présent protocole ». D’où des interrogations soulevées par cette déclaration de la France ; interrogations qui se sont avérées finalement inutiles en droit, mais utiles à la compréhension de l’applicabilité territoriale du protocole de Kyoto.
26En effet, la clause territoriale du traité de Rome de 1957 instituant la Communauté européenne précise que ses dispositions sont applicables aux départements français d’outre-mer, aux Açores, à Madère et aux îles Canaries. Les pays et territoires d’outre-mer font, quant à eux, l’objet d’un régime spécifique d’association, mais le traité de Rome ne leur est pas applicable. Dès lors, la Nouvelle-Calédonie ne se voit pas appliquer le droit communautaire.
27La France demeure toutefois responsable de la Nouvelle-Calédonie au titre de la Convention sur le climat : c’est ainsi qu’elle déclare sous la Convention l’ensemble des émissions, y compris de la Nouvelle-Calédonie, conformément aux règles des Nations unies.
28Ajoutons par ailleurs que les articles L. 229-1 à L. 229-4 du code de l’environnement français relatifs à l’effet de serre et à la prévention des risques liés au réchauffement climatique s’appliquent bien en Nouvelle-Calédonie.
Comment la Nouvelle-Calédonie pourrait-elle, si elle le souhaitait, intégrer les négociations sur le climat ?
29Après 2012, la Nouvelle-Calédonie pourrait souhaiter intégrer les négociations sur le climat de manière à afficher une position plus forte à l’échelle internationale et régionale quant à sa participation aux réductions des émissions de GES, et à bénéficier des mécanismes associés. Quels en seraient les différents scénarios ?
Scénario n° 1 : le statu quo
30En ne faisant rien, la Nouvelle-Calédonie ne sera pas dans l’illégalité au plan juridique puisque les textes ne lui sont pas applicables. Actuellement, elle remplit ses obligations envers la Convention via la France, car seuls des pays peuvent devenir membres des Nations unies. Sous ce scénario, la Nouvelle-Calédonie est dispensée de prendre des engagements formels de limitation ou de réduction de ses émissions. Ce qui rend évidemment inutile le recours aux mécanismes de flexibilité de Kyoto pour compenser des émissions. À court terme, cela la dispense de réaliser des inventaires supplémentaires des variations de stocks de carbone dans les sols et dans les forêts pour remplir les obligations sous les articles 3.3 et 3.4 du protocole.
31Les grandes entreprises fortement émettrices de CO2, comme la filière nickel ou la production centralisée d’électricité, sont de ce fait en dehors du périmètre considéré par le Plan national d’affectation des quotas de la France. D’où l’impossibilité de vendre ou d’acheter des droits d’émissions et de participer à des projets MDP ou MOC (Mise en œuvre conjointe) à des pays ayant ratifié le protocole de Kyoto.
32Rien n’empêche cependant ces entreprises utilisant des quantités importantes de charbon de financer, si elles le souhaitent, des projets dans les pays en développement pour y réduire des émissions, sous réserve évidemment de l’accord des pays hôtes, mais en dehors des engagements internationaux du protocole de Kyoto. Elles pourraient également, si elles voulaient améliorer leur image de marque, acheter des réductions d’émissions sur un marché volontaire.
33Comment pourrait-on justifier ce statu quo ? Remarquons tout d’abord que les industries fortement intensives en carbone ont un poids considérablement plus élevé dans l’économie de la Nouvelle-Calédonie que dans les grands ensembles ou pays (États-Unis, Europe, France, etc.). Dans le cas des États-Unis, elles ne représentent que 6 % des émissions totales de CO2, 3 % de l’activité économique et 2 % des emplois. En Nouvelle-Calédonie, la situation est fort différente : en 2006, le nickel y représentait la moitié, voire plus, des émissions de GES, 11 % de la valeur ajoutée et 97 % (en valeur) des exportations.
34Par ailleurs, tous les pays producteurs de nickel n’ont pas les mêmes obligations. La Nouvelle-Calédonie est actuellement le premier exportateur mondial de nickel oxydé. Cuba, le Brésil, les Philippines et l’Indonésie et quelques autres pays de la ceinture tropicale n’appartenant pas à l’annexe B du protocole (donc actuellement non soumis à des contraintes de réduction de leurs émissions) en exportent aussi. La Corée du Sud importe du minerai de Nouvelle-Calédonie et exporte des produits contenant du nickel. En revanche la Russie, le Canada et l’Australie, qui produisent du nickel sulfuré, font partie de l’annexe B : ces pays doivent donc réduire leurs émissions de GES.
35Cette situation est-elle tenable à long terme ? Cela dépendra des pressions que pourraient exercer la communauté internationale, les pays voisins et les pays producteurs et exportateurs de nickel, dont les usines pourraient devoir réduire leurs émissions. Il faudrait donc, dans le cadre des accords de Kyoto post 2012, être attentif aux évolutions des pays exportateurs et aux facilités (octroi de droits d’émissions gratuits, fiscalité allégée, etc.) qu’ils pourraient accorder à leurs industries fortement intensives en carbone.
Scénario n° 2 : La Nouvelle-Calédonie souhaite intégrer les discussions relatives au protocole de Kyoto
36Dans les conditions actuelles, cette intégration ne peut se faire qu’avec la France qui, seule, a le statut international d’État et est habilitée à conclure des traités dans le cadre des Nations unies ou avec d’autres États. La République est libre d’associer telle ou telle institution territoriale à la négociation, voire à la procédure préalable à la ratification ou à l’approbation de tels traités, mais non à la conclusion d’accords.
37Mais cela pose un problème symétrique de celui évoqué plus haut : si la France signe le prochain protocole dans le cadre de l’Union européenne, comme pour le protocole de Kyoto, la Nouvelle-Calédonie en sera exclue. La seule possibilité serait sans doute d’intégrer la révision du protocole à venir, qui entrera en vigueur en 2012. Pour cela, il conviendra d’obtenir une disposition qui permette à la France d’intégrer une composante de son territoire à statut spécifique, tout en lui permettant de poursuivre, le cas échéant, ses engagements en tant qu’État membre de l’Union européenne et, donc, dans le cadre d’engagements conjoints avec les autres États membres. Ou alors il lui faudra négocier des engagements spécifiques à la Nouvelle-Calédonie, mais distincts des engagements français, même si l’accord est signé par la France pour la Nouvelle-Calédonie.
38Les négociations relatives à Kyoto soulèveront la question de la mutualisation de ses quotas avec ceux de la France métropolitaine : compte tenu du statut de la Nouvelle-Calédonie et si l’Union européenne l’acceptait, il conviendrait de négocier pour la Nouvelle-Calédonie des quotas spécifiques distincts des français, ce qui permettrait en outre de responsabiliser les acteurs du Territoire, même si la France, à titre individuel, en resterait responsable en tant qu’État. Dans tous les cas, la Nouvelle-Calédonie aurait intérêt à être associée aux négociations, au sein de la délégation française.
39Dans ce scénario, deux modalités d’insertion peuvent être envisagées.
Avec un accès au marché de droits d’émissions de l’Union européenne, la Nouvelle-Calédonie devra réaliser les divers inventaires demandés, notamment ceux relatifs aux utilisations et aux changements d’utilisation des terres. Elle devra donc limiter ou réduire ses émissions, comme la France métropolitaine, mais hors du « partage du fardeau » européen ; comme l’Europe ; et suivant des modalités particulières à négocier. Les augmentations d’émissions accordées à la Nouvelle-Calédonie devraient alors être compensées par des réductions d’émissions plus fortes au niveau de la France métropolitaine ou de l’Europe.
40Les industries du nickel et le producteur d’électricité centralisée de la Nouvelle-Calédonie qui utilisent d’importantes quantités de combustibles fossiles seraient alors invités sans doute à réduire ou à limiter leurs émissions dans le cadre des PNAQ. Ils pourraient, à cette fin, recourir à des économies d’énergies et à des réductions d’émissions de CO2 au sein de leur entreprise, ou faire appel aux mécanismes de flexibilité de Kyoto (MDP ou MOC et marchés de droits d’émissions).
41Si les droits d’émissions sont vendus aux enchères, au moins partiellement, par l’Union européenne, comme c’est envisagé pour 2012, les entreprises néo-calédoniennes devraient en principe en acheter. Mais combien ? De quelles exonérations pourront-elles bénéficier ? Peut-on mettre en avant la nécessité d’équilibrer la balance commerciale ou le statut particulier de la Nouvelle-Calédonie pour obtenir des droits d’émissions gratuits, voire des exonérations partielles ou totales ? Peut-on démontrer par ailleurs qu’il existe des risques de délocalisation de l’activité ou de concurrence déloyale, si ces entreprises devaient acheter des droits d’émissions ? Une procédure est actuellement ouverte en ligne, au niveau de la Commission, pour recueillir des avis sur cette question.
42Il existe depuis décembre 2008, un « paquet climat » pour l’Europe et des engagements de réduction des émissions d’ici à 2020 d’au moins 20 % par rapport à 1990. Si d’autres pays s’engageaient également, l’Union européenne pourrait même afficher des ambitions plus fortes de réductions de ses émissions.
43Dans ces conditions que pourrait réellement obtenir la Nouvelle-Calédonie de l’Union européenne ? Serait-il possible de mettre en place un partage, avantageux pour elle, du fardeau européen, comme en 1997 ? En l’absence d’un tel partage, qui devrait alors compenser les augmentations d’émissions de la Nouvelle-Calédonie ? Sans doute la France métropolitaine.
Sans accès au marché des droits d’émissions de l’Union européenne, l’une des options du scénario précédent pour réduire les émissions disparaît. L’accès à des marchés volontaires resterait-il alors fermé pour la Nouvelle-Calédonie ? La réponse est vraisemblablement oui. Mais c’est un point qu’il conviendrait sans doute de mettre sur la table, lors de négociations avec la France et l’Union européenne, et qui pourrait constituer un argument pour faciliter l’accès de la Nouvelle-Calédonie au marché européen (donc pour revenir au scénario n° 1). En revanche, la question du partage du fardeau entre la France métropolitaine et la Nouvelle-Calédonie demeurerait.
Une approche comparable à celle de l’Islande pour la période post 2012
44La Nouvelle-Calédonie pourrait aussi adopter une approche imitée de celle de l’Islande, un petit pays adhérent aux Nations unies qui a beaucoup de points communs avec elle. Les approches retenues dans le cadre des négociations de Kyoto ne convenaient pas à l’Islande : faute de pouvoir modifier l’approche générale, les Nations unies ont donc adopté la décision 14 CP7. Le lecteur pourra se faire une idée des obligations de ce pays au regard de la décision 14 CP7 en consultant la Communication nationale de l’Islande aux Nations unies, sur le site
http://www.umhverfisraduneyti.is/media/PDF_skrar/Icelands_Fourth_National_Communication_and_Report_on_Demonstrable_Progress.pdf
45En se référant à cette décision et en agissant comme l’Islande, mais sans adhérer formellement au protocole de Kyoto, la Nouvelle-Calédonie pourrait montrer, au niveau de la région Asie-Pacifique comme au niveau international, que cette approche est parfaitement légitime, car conforme aux décisions prises dans le cadre du protocole de Kyoto.
46Une telle démarche ne supposerait pas nécessairement une adhésion formelle et directe aux Nations unies ; elle impliquerait, en revanche, de satisfaire progressivement à toutes les obligations de la Convention et du protocole de Kyoto révisées pour la période post 2012, notamment les inventaires sous les articles 3.3 et 3.4.
47Dans ce scénario, il faudrait donc rester attentif aux nouvelles contraintes et opportunités susceptibles d’apparaître. Il faudrait également savoir si et comment la décision 14 CP7 sera reconduite après 2012 et quels engagements prendra alors l’Islande.
48L’avantage de cette solution serait de rendre compatible le développement industriel de la Nouvelle-Calédonie avec l’esprit de la lutte contre le changement climatique au niveau planétaire. Il n’y aurait pas à acheter de droits d’émissions. L’inconvénient, sans doute mineur dans ce cas, serait de ne pas pouvoir réaliser de projets de MDP ou de mise en œuvre conjointe, mais la réalisation de projets volontaires reste toujours possible en dehors du cadre formel des Nations unies.
49À noter également une analogie avec le Groenland qui vient d’obtenir, en 2009, son autonomie. Ce pays est dans une situation comparable à celle de la Nouvelle-Calédonie puisqu’il est également en dehors de l’Union européenne depuis 1985. Il serait donc utile de s’informer régulièrement des intentions du gouvernement de ce pays et de l’état de ses négociations avec le Danemark, notamment concernant les engagements pris pour la période post 2012.
50Dans tous les cas, la Nouvelle-Calédonie pourrait parfaitement, si elle le souhaitait, effectuer des communications sur le climat inspirées de celles de l’Islande ; celles-ci pourraient, le moment venu, s’insérer dans les communications nationales de la France aux Nations unies.
Les conséquences d’une démarche d’intégration aux discussions pour la gouvernance en Nouvelle-Calédonie
51Les aspects « climat » et « gaz à effet de serre » n’ont pas encore fait l’objet d’une attribution explicite et, en matière de protection de l’environnement, la répartition des compétences est floue, peu lisible et l’enchevêtrement complexe entre les quatre niveaux de responsabilités – État, Nouvelle-Calédonie, Provinces et communes. Une autorité devrait se voir attribuer ces questions qui requièrent nécessairement des moyens humains et financiers spécifiques.
52Bien que la lutte contre les gaz à effet de serre et le changement climatique fassent partie de la protection de l’environnement, il ne semble guère approprié d’attribuer cette compétence aux Provinces, dans la mesure où il s’agit d’une compétence de politique territoriale globale qui doit être centralisée. En outre, les questions relatives au changement climatique ne peuvent ni être soumises à réglementation ni à des initiatives différentes et non homogènes au sein d’un même territoire. Cette attribution de compétence ne pourra être effective juridiquement que par une insertion explicite dans la loi organique de 1999.
53Dès lors, sur le plan de l’organisation administrative, la Nouvelle-Calédonie pourrait soit créer un service spécifique, soit insérer cette compétence au sein d’un service existant, comme celui de l’énergie qui deviendrait « énergie et climat », puisque les discussions sur ces deux thèmes sont fortement liées (cf. les exemples actuels de plans énergie-climat). Ce service devrait également prendre en compte les activités agricoles et forestières qui entrent dans la comptabilité globale des émissions de GES.
CONCLUSION
54La Nouvelle-Calédonie peut agir sur différents tableaux pour conforter sa sécurité énergétique, accéder aux technologies de pointe et renforcer sa crédibilité internationale, tout en préservant la compétitivité de ses industries exportatrices.
55En ce sens, il serait utile d’aborder de façon globale toutes les questions de relations internationales, comme le font d’ailleurs toutes les régions de France métropolitaine – avec d’autres priorités et d’autres perspectives. L’effet de levier du réseau diplomatique français est un puissant atout pour agir efficacement dans les intérêts du territoire.
56Assumer cette position cohérente suppose une réflexion préalable et l’existence en Nouvelle-Calédonie d’une capacité d’expertise à la fois sur les thèmes conjoints de l’énergie et du climat et sur les modalités de l’action internationale dans une situation juridiquement complexe. Cela implique également de repenser la gouvernance du secteur énergie-climat : c’est ce que propose la dernière partie de la synthèse.
RECOMMANDATIONS
57Pour le détail des recommandations exposées ci-dessous, le lecteur pourra se reporter aux fiches de recommandations rassemblées à la fin de la synthèse (p. 387), après la partie « Conclusion et recommandations ».
581. Structurer un pôle de compétences locales sur le contexte régional dans les domaines de l’énergie (y compris sur les énergies importées ou qui pourraient l’être, comme le bois et les biomasses) et du climat, avec l’appui éventuel de l’Université et des institutions de recherche présentes en Nouvelle-Calédonie et dans le Pacifique. Créer ou soutenir des programmes spécifiques de recherche (thèses, mémoires).
L’élaboration de représentations communes et vérifiées sur le contexte régional paraît être un préalable. Il s’agit d’un objectif transversal allant de la formation à la citoyenneté (dans quel environnement régional vivons-nous ?), jusqu’à la formation des dirigeants de différents niveaux et de différents milieux (entreprises, éducation, gouvernement, etc.). Les initiatives prises dans le domaine des échanges scientifiques à l’échelle du Pacifique vont dans ce sens, de même que les relations existant entre les organismes de formation et de recherche de Nouvelle-Calédonie et leurs homologues de France métropolitaine et d’autres pays.
592. Envisager tous les scénarios d’insertion de la Nouvelle-Calédonie dans les négociations sur le climat. Constituer une capacité de veille, à commencer par le suivi des négociations sur le climat, dès décembre 2009 à Copenhague. Évaluer la possibilité de réaliser un plan climat et un inventaire des émissions pour la Nouvelle-Calédonie (cf. également la recommandation n° 1 dans « Les émissions et les réductions d’émissions de gaz à effet de serre en Nouvelle-Calédonie », p. 193).
La Nouvelle-Calédonie a intérêt à réfléchir à la façon dont elle souhaite s’insérer dans les négociations sur le climat, en adéquation avec les processus en cours. La complexité des dossiers rend nécessaire un apprentissage qui peut commencer en nommant un chargé de mission pour suivre les négociations de Copenhague et en capitalisant les expériences.
60De même, la Nouvelle-Calédonie peut commencer à travailler à son propre inventaire, en suivant les formats existants, de manière à évaluer les connaissances disponibles et à en acquérir.
613. Construire une action internationale forte et cohérente avec la diplomatie française. Tirer parti des relations existantes, notamment des relations bilatérales dans les domaines de l’énergie et du climat avec les réseaux de recherche et d’éducation. Faire des propositions innovantes sur ces questions dans les forums régionaux. Mettre à disposition des États insulaires les expériences de la Nouvelle-Calédonie. Aborder la coopération régionale (Australie, Nouvelle-Zélande) sous l’angle de la recherche pétrolière et, éventuellement, du stockage géologique de CO2.
La Nouvelle-Calédonie peut bénéficier du réseau diplomatique français et des relations informelles existantes pour construire une politique cohérente de coopération régionale dans les domaines de l’énergie et du climat. Ce qui lui permettra à la fois de disposer des meilleures technologies – notamment pour le captage et le stockage de CO2 – mais aussi de confronter ses propres démarches aux initiatives des pays de la région, et de promouvoir les innovations dans les domaines de l’énergie et du climat. Ce n’est qu’à cette condition qu’elle pourra jouer dans le Pacifique Sud le rôle moteur qui lui revient en raison du niveau élevé de son revenu par habitant.
624. Renforcer la sécurité énergétique dans le cadre régional. Évaluer la possibilité de coopérer avec les pays de l’Apec dans le domaine de l’énergie. Réaliser des exercices conjoints sur la sécurité énergétique (gestion de crise). Encadrer de façon appropriée les activités des entreprises du domaine de l’énergie, notamment l’exploration pétrolière.
La Nouvelle-Calédonie se trouve dans une situation comparable à celle de ses voisins, du point de vue de sa vulnérabilité/sécurité énergétique. Elle a donc tout intérêt à mutualiser avec eux, autant que possible, les outils, les instruments de gestion et, le cas échéant, les procédures de réponse à des crises éventuelles.
63La Nouvelle-Calédonie pourrait participer comme observateur à certains forums régionaux orientés énergie-climat pour bénéficier de leurs dynamiques, mais aussi adopter des mesures de régulation pensées en fonction des positions de ses voisins, qu’ils soient partenaires ou concurrents.
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L’énergie dans le développement de la Nouvelle-Calédonie
Ce livre est cité par
- Gay, Jean-Christophe. (2014) La Nouvelle-Calédonie, un destin peu commun. DOI: 10.4000/books.irdeditions.34157
- (2020) Alimentation et nutrition dans les départements et régions d’Outre-mer/Food and nutrition in the French overseas departments and regions. DOI: 10.4000/books.irdeditions.36727
L’énergie dans le développement de la Nouvelle-Calédonie
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