La géopolitique de l’énergie1
p. 283-299
Texte intégral
DEMANDES ÉNERGÉTIQUES ET STRATÉGIES DE SÉCURITÉ
1Les statistiques globales de consommation de l’énergie montrent une croissance tirée par le grand ensemble Asie-Pacifique. La Nouvelle-Calédonie fait partie de ce grand ensemble qui comprend les pays riverains de l’ouest du Pacifique, la Péninsule indochinoise, l’Inde, le Pakistan et l’Océanie, mais pas les États de l’est du Pacifique – pourtant leurs principaux partenaires commerciaux – ni la Russie dont la façade Pacifique accueille de nombreux projets de développement énergétiques.
2Depuis la fin des années 1980, la consommation de cette grande région a été multipliée par deux et demi, soit une croissance qui n’est dépassée que par celle du Moyen-Orient, dont le volume total est moins important. Autrement dit, le grand ensemble Asie-Pacifique représente les deux tiers de l’augmentation de la consommation d’énergie mondiale, passée en vingt ans de 7 600 Mtep à 11 000 Mtep (BP). Sa consommation de pétrole a dépassé celle de l’Europe, en 1992, et celle de l’Amérique du Nord, en 2006. Sa consommation totale d’énergie primaire a dépassé celle de l’Amérique du Nord, au début des années 2000.
3Cet accroissement est dû principalement au triplement de la consommation chinoise (1 800 Mtep en 2007), les autres pays de la région connaissant aussi d’importantes augmentations, en particulier le Japon, la Corée du Sud, la Thaïlande et la Malaisie.
4Les besoins sont couverts en premier lieu par le charbon qui représente presque la moitié de la consommation d’énergie primaire, mais c’est le gaz qui augmente le plus vite, même s’il ne représente en 2007 que 10 % de la consommation. À ce niveau de généralité, les énergies renouvelables non conventionnelles ne sont pas statistiquement significatives.
5Ce grand ensemble est par nature divers, tant par la taille des États que par leurs priorités en matière d’énergie. Tous partagent cependant une préoccupation pour la sécurité de leurs approvisionnements : au développement économique énergétivore sans ressources nationales significatives du Japon et de la Corée du Sud, s’ajoutent les demandes des pays émergents qui posent le problème de l’accès aux ressources. D’où des situations de concurrence, des stratégies agressives ou la recherche d’accords et de solutions communes, bilatérales ou multilatérales.
6Par ailleurs, alors que le marché mondial du pétrole s’était structuré historiquement selon les complémentarités entre pays producteurs de l’Opep et pays consommateurs regroupés dans l’OCDE, le grand ensemble Asie-Pacifique est loin d’être aussi lisible. L’Australie fait partie de l’OCDE, mais c’est le principal exportateur d’énergie pour l’ensemble de la région ; les alliances régionales comme l’ASEAN sont partielles et l’Apec comprend également les États-Unis et certains pays latino-américains.
7La Nouvelle-Calédonie s’inscrit en plein dans ces évolutions régionales, à la fois par la croissance rapide de ses besoins énergétiques portée par l’accroissement de l’activité économique et de la demande des ménages. Comme dans les autres pays de la région, c’est le charbon qui a été choisi pour les satisfaire. En ce sens, son modèle énergétique se rapproche, de fait, plus de celui des économies émergentes de l’ensemble Asie-Pacifique que de l’Europe ou des petites îles.
L’organisation des échanges régionaux des énergies
Le pétrole et les produits pétroliers : en Nouvelle-Calédonie, un potentiel sous-exploité
8Malgré les efforts réalisés en exploration et production, le grand ensemble Asie-Pacifique est relativement moins bien doté en pétrole que les grandes régions productrices déjà connues. En 2007 comme en 1997, ce grand ensemble représente un peu moins de 4 % des réserves mondiales et un peu moins de 10 % de la production. Depuis dix ans, la production a reculé en Australie et en Indonésie et a augmenté significativement en Thaïlande et au Vietnam dont les réserves ont aussi considérablement augmenté. Des ressources pourraient également se trouver au large de la Nouvelle-Calédonie dans la Zone économique exclusive (ZEE) (cf. encadré).
9La demande croissante de pétrole en Asie-Pacifique (East of Suez) face à la relative médiocrité des ressources met ce grand ensemble en concurrence avec les consommateurs européens et nord-américains (West of Suez) pour accéder au pétrole du Moyen-Orient. Cela justifie la recherche active de ressources pétrolières nouvelles en Asie-Pacifique, dans laquelle sont engagées toutes les grandes compagnies internationales. Des découvertes ont été faites en off shore, ce qui provoque différentes tensions entre États : c’est particulièrement le cas de la délimitation de la ZEE chinoise. Pour la Nouvelle-Calédonie, les espaces les plus prometteurs se trouvent à l’ouest de la Grande Terre, proches de la limite avec la ZEE australienne.
10L’organisation des échanges de produits pétroliers est plus complexe que celle des marchés pétroliers, puisqu’il y a un plus grand nombre de produits répondant à des spécifications différentes. La Nouvelle-Calédonie qui ne dispose pas de raffinerie est donc dépendante de ces disponibilités, même si du pétrole est découvert dans sa ZEE. Qui plus est, sa demande en produits de raffinage, dominée jusqu’à présent par la demande en fioul pour la centrale de Prony, devrait diminuer avec la mise en service des centrales au charbon et se réorienter vers les produits plus légers pour le transport terrestre, routier et maritime.
11Les capacités de raffinage se concentrent chez les grands pays consommateurs, particulièrement la Chine et le Japon. Les raffineries australiennes ont interrompu leurs livraisons pour la Nouvelle-Calédonie, car elles vendent intégralement leurs produits sur le marché australien, obligeant les importateurs néo-calédoniens à s’approvisionner à Singapour.
Que sait-on de la géologie de la zone, en termes de ressources énergétiques ?
La zone économique exclusive (ZEE) de Nouvelle-Calédonie se situe entre deux provinces pétrolières importantes faisant l’objet d’exploitation, la Papouasie Nouvelle-Guinée au nord et la Nouvelle-Zélande au sud. Ces trois régions ont un héritage géologique commun reconnu pour son potentiel pétrolier. La Nouvelle-Calédonie et les bassins sédimentaires off shore de sa ZEE sont sous-explorés, mais le contexte géodynamique, à l’origine des grands traits structuraux de la Nouvelle-Calédonie, est globalement favorable à la génération et au piégeage des hydrocarbures. Les bassins sédimentaires à potentiel pétrolier sont de trois types :
■ Les bassins sédimentaires de la côte ouest de la Grande Terre sont en position très favorable pour l’accumulation des hydrocarbures, puisque c’est dans cette zone que l’on trouve généralement des structures géologiques préservées susceptibles de former des pièges. Le système étudié montre qu’il y a eu des générations d’hydrocarbures, en grande majorité du gaz, mais qu’il reste à identifier de bons réservoirs et des pièges permettant des accumulations de gaz susceptibles d’être commercialisées. Tout le monde s’accorde à dire qu’il faut acquérir de nouvelles données géologiques et géophysiques pour bien évaluer ces bassins on shore, ainsi que leurs prolongements en mer. L’IFP recommande de surcroît une exploration détaillée du lagon ouest, qu’il considère comme un des thèmes d’exploration pétrolière les plus intéressants. La région du Grand Passage au nord de l’île présente le même type d’intérêt.
■ Le bassin sédimentaire de la Nouvelle-Calédonie : ce bassin deep off shore contient les épaisseurs sédimentaires les plus importantes de la ZEE (jusqu’à 8 km) et a fait l’objet de nombreuses campagnes de géologie-géophysique, sans que toutefois un forage d’exploration pétrolière ait pu être réalisé. Ces études montrent que la partie nord du bassin de Nouvelle-Calédonie a un substratum constitué de croûte continentale, comparable à celle de la côte ouest néo-calédonienne, où l’existence d’un système pétrolier actif a été démontrée. Vu l’ampleur du bassin et les épaisseurs sédimentaires, les quantités d’hydrocarbures liquides et gazeux générées pourraient être assez considérables. Le problème majeur réside dans l’importante tranche d’eau qui rend les coûts d’exploration très élevés. Cette tranche d’eau diminue en se rapprochant de la ride de Farway qui est une zone non moins intéressante.
■ Le bassin de Farway et ses bordures : l’ouest du bassin de la Nouvelle-Calédonie, la ride et le bassin de Farway, puis la ride de Lord Howe, semblent réunir eux aussi des conditions favorables à la génération et au piégeage d’hydrocarbures. Les campagnes de géophysique Faust et ZoNéCo 5 ont permis non seulement de confirmer l’intérêt du style structural et de l’épaisseur sédimentaire du bassin de Farway et de ses bordures, mais aussi de mettre en évidence la présence d’un important réflecteur sismique interprété comme la base d’un niveau d’hydrate de gaz, d’une extension de 80 000 km2. Mais la présence de ces hydrates de gaz reste à prouver par un forage d’exploration.
Conclusion
Il est important d’acquérir de nouvelles données géologiques et géophysiques pour finir de bien évaluer les bassins sédimentaires on shore et leurs prolongements en mer. L’inventaire de structures géologiques pouvant piéger des hydrocarbures, à terre, ou recouvertes par une faible tranche d’eau (lagons ouest et nord), restent à faire. Pour la partie deep off shore, on ne pourra vraiment se prononcer qu’à partir des premiers forages d’exploration. C’est probablement les bordures du bassin de Farway qui seront les premières cibles d’exploration. Ces zones, où la bathymétrie est la moins forte, semblent présenter des structures géologiques susceptibles de piéger des hydrocarbures ayant migré et provenant des parties profondes du bassin de Farway. Avec la montée du prix du baril en 2008, l’industrie pétrolière internationale a montré un regain d’intérêt pour ces prospects à fort potentiel, mais à coûts d’exploration élevés.
L’évaluation du potentiel pétrolier des bassins deep off shore de la Nouvelle-Calédonie ne peut se faire que dans un cadre régional, et leur exploration sera probablement menée en collaboration avec les pays voisins. La Ride de Lord Howe, qui est concomitante aux ZEE de Nouvelle-Calédonie et d’Australie, a été présentée récemment comme un prospect pétrolier, dont l’exploration sera conditionnée surtout par l’évolution du prix du baril.
12L’une des questions clés concernant la fourniture de carburants est celle des spécifications. En 2006, l’Australie a modifié ses normes, pour aller dans le sens d’une plus grande rigueur environnementale. Malgré ces exigences et le fait que les capacités de raffinage soient utilisées, l’Australie prévoit de pouvoir importer le carburant dont elle a besoin des principaux raffineurs de la région, particulièrement de Singapour, de Taïwan, d’Inde et de Corée du Sud. L’amélioration des raffineries asiatiques leur permet déjà de respecter la nouvelle norme australienne et devrait évoluer vers les normes européennes.
13D’après un rapport destiné au ministère australien des Ressources de l’Énergie et du Tourisme, de nouvelles capacités de raffinage sont en construction. En Inde, Reliance Petroleum a mis en service à Jamnagar une raffinerie d’une capacité de 600 kbj qui double les capacités existantes dans ce port du Gujarat. Il s’agit d’une raffinerie complexe qui peut raffiner des pétroles lourds et produire des carburants de qualité pour l’exportation. Au Vietnam, la raffinerie de Dung Qhat doit commencer ses opérations, en 2008 ; la construction de deux autres raffineries devrait suivre. En outre, des plans d’expansion ou de construction de raffineries existent pour Taïwan et pour les pays du Golfe qui devraient approvisionner sans problème les marchés asiatiques. Inversement, l’Australie a diminué ses capacités de raffinage et celles de la Nouvelle-Zélande sont limitées alors que la demande a augmenté. Ainsi, les pays de l’Océanie devront importer de plus de plus de produits pétroliers des raffineries asiatiques.
14La question de la sécurité des routes maritimes (en particulier le passage du détroit de Malacca) est souvent posée. Il s’agit d’un passage très étroit qui pourrait être coupé en raison d’actes de guerre ou de terrorisme ou, plus simplement, à cause d’un problème technique comme l’échouage d’un pétrolier, par exemple.
15Ce risque ne semble pas préoccuper les importateurs australiens qui comptent sur les routes maritimes alternatives si un problème survenait. Certains passages (Ormuz) sont inévitables : ils représentent un enjeu mondial qui dépasse largement la Nouvelle-Calédonie. L’usage des routes maritimes alternatives ne va cependant pas de soi, et même si elles pouvaient être utilisées pour desservir l’Océanie, le problème de l’approvisionnement des raffineries de Singapour, sans lesquelles les capacités de raffinage régionales ne pourraient faire face à la demande, continuerait de se poser.
16Autrement dit, des tensions passagères sur les routes maritimes ou à la suite de problèmes techniques dans les raffineries asiatiques peuvent affecter l’approvisionnement de la Nouvelle-Calédonie, dont les réserves de carburant sont limitées. En effet, alors que les dispositions légales prévoient des stocks stratégiques égaux à 20 % de la consommation (73 jours), ceux-ci ne dépassent pas 60 jours en raison de l’insuffisance des capacités de stockage.
Le gaz : la Nouvelle-Calédonie est à l’ écart de ce marché
17Depuis une vingtaine d’années, le gaz s’affirme à l’échelle mondiale comme un combustible relativement abondant et moins polluant que les hydrocarbures liquides. Il a été privilégié par les grands consommateurs qui ont fait des investissements substantiels dans la construction de terminaux de regazéification et investi en conséquence pour utiliser cette énergie, plus propre que les hydrocarbures (moitié moins de CO2 à contenu énergétique égal).
18Les réserves sont très inégalement réparties dans le monde et sont relativement modestes dans la région. Les principales sont en Indonésie avec un peu moins de 100 000 milliards de pieds cube, ce qui place ce pays au treizième rang mondial. Cependant l’AIE prévoit une assez forte augmentation de la production, particulièrement pour l’Australie qui devrait rester exportatrice de gaz pour au moins une décennie. La part de l’Asie-Pacifique est supérieure à celle qu’elle représente pour le pétrole, et sa croissance est plus rapide, particulièrement en Inde, en Birmanie, au Pakistan, en Thaïlande et en Australie.
19L’augmentation de la part du gaz dans les consommations de ce grand ensemble répond à la réorganisation complète des échanges à partir du développement de terminaux d’expédition et de réception de Gaz naturel liquéfié (GNL). Il s’agit pour le moment d’une technologique qui n’est pas adaptée pour la Nouvelle-Calédonie dont le marché est trop petit pour les solutions existantes.
20Le Japon a construit ses premiers terminaux de réception de gaz dès le début des années 1970 et dispose, en 2007, d’une trentaine de terminaux de réception. Il a été suivi par la Corée du Sud, qui s’est équipée à partir des années 1980. La République populaire de Chine et Taïwan ont suivi dans les années 2000. Enfin, des projets sont en cours pour la réception de gaz en Thaïlande et à Singapour.
21Le commerce de gaz se fait en grande partie entre les pays de l’Asie-Pacifique. La Corée du Sud achète un peu moins de la moitié de son gaz à des fournisseurs régionaux, mais pour les autres importateurs cette part est bien plus élevée. Inversement, les producteurs de la région vendent exclusivement à ces grands consommateurs régionaux.
22Les projets actuels portent sur le développement de terminaux de gazéification dans tous les pays déjà exportateurs de la région, avec notamment un très fort développement pour l’Australie, ainsi que la création de nouveaux terminaux au Pérou et à Sakhalin (Russie) pour approvisionner le bassin Pacifique. D’autre part, il existe de grands projets de gazoducs internationaux avec notamment la création d’un réseau de gazoducs entre États de l’Asie du Sud et l’extension de réseaux entre la Russie et la Chine. Ces grands projets n’émergent que lentement, freinés par le manque de confiance entre partenaires, mais n’en restent pas moins des thèmes centraux qui structurent les relations interétatiques et le fonctionnement des instances formelles d’intégration. Selon les prévisions de l’AIE, la Chine qui reçoit son gaz de l’Australie devrait compléter cette source dans les prochaines décennies, par des importations provenant de Russie et d’Asie centrale.
23Même si la Nouvelle-Calédonie est pour le moment – et sans doute pour longtemps – à l’écart de ce marché, il n’en reste pas moins que le développement de la production et de la commercialisation du gaz a plusieurs effets importants pour sa propre situation. Tout d’abord, la part croissante du gaz dans les bilans énergétiques des autres pays de la région soulage d’autant les pressions sur les hydrocarbures liquides et le charbon. Ensuite, l’usage du gaz permet un moindre accroissement des émissions de CO2 des autres pays de la région, ou leur diminution si le gaz se substitue à d’autres carburants, soulignant par contraste la trajectoire défavorable de la Nouvelle-Calédonie. Enfin, le commerce du gaz, qui justifie de lourds investissements en terminaux GNL et gazoducs, consolide des relations privilégiées entre partenaires et des solidarités de fait entre les pays de la région, sans que la Nouvelle-Calédonie y participe.
Le charbon : la Nouvelle-Calédonie tire parti des dynamiques régionales
24C’est le charbon qui soutient la croissance de la consommation d’énergie en Asie-Pacifique. Considéré comme « l’énergie du xixe siècle », le charbon est en passe de devenir celle du xxie. Délaissée par les États qui voyaient dans le charbon plus un problème social et environnemental, qu’une solution pour leur sécurité énergétique, son exploitation dépend largement des compagnies privées qui l’ont considérablement modernisée. Il s’agit d’un produit très différencié, les qualités de charbon pouvant avoir des usages industriels (charbon sidérurgique, coke) ou thermiques (charbon vapeur). Ce pondéreux requiert des installations logistiques spécifiques qui se transforment parfois en goulots d’étranglement. Il a plutôt mauvaise presse sur le plan environnemental, une réputation qui doit beaucoup à son passé, qui n’est plus entièrement justifiée depuis que les nouvelles technologies permettent de réduire les émissions de cendres et de poussière (mais pas encore celles de CO2).
25L’Indonésie et l’Australie sont les principaux fournisseurs de charbon sur les marchés régionaux et exportent principalement vers le Japon et la Corée du Sud. L’Indonésie est en mesure de dépasser l’Australie pour les exportations, car sa demande interne est moindre. La Chine exporte également du charbon thermique sur les marchés régionaux, mais les volumes sont en baisse : ils sont passés de 73 Mt, en 2003, à 45 Mt, en 2007, et devraient continuer à décroître. Ces exportations, provenant principalement des provinces du nord, sont compensées par des importations par les provinces du sud provenant des pays voisins (Vietnam, Indonésie). La croissance de la demande de charbon en Chine pourrait d’ailleurs amener l’État chinois à restreindre ses exportations de charbon. La mise en service des centrales en construction au Japon, en Corée du Sud à Taïwan et à Hong Kong devrait se traduire par une croissance soutenue de la demande de charbon. Conséquence : on pourrait aboutir à des tensions temporaires sur le marché du charbon et à des fluctuations de prix, mais, à moyen terme, les producteurs disposent de réserves suffisantes pour faire face à l’accroissement de la demande.
26L’importance de la demande du Japon et, secondairement, de la Corée du Sud en fait un déterminant essentiel de la demande totale de la région qui influence directement les prix. Toutefois, le système de prix de référence, basé sur des contrats à long terme entre les exportateurs australiens et les électriciens japonais, a été progressivement abandonné au profit d’achat au prix du marché, déterminé à partir du prix FOB d’un chargement à Newcastle. L’amélioration des centrales thermiques japonaises et coréennes autorise l’emploi d’une plus grande variété de charbons que par le passé, ce qui ouvre des marchés aux producteurs. Même après la mise en service des centrales prévues, la Nouvelle-Calédonie restera un petit importateur de charbon, comparé aux principaux marchés du Pacifique.
27D’après les projections de l’Energy Information Administration (2009), l’Australie devrait devenir le premier exportateur mondial de charbon vapeur et de charbon sidérurgique, devant l’Indonésie, suivie par l’Afrique du Sud, la Colombie et le Venezuela. La construction de nouveaux terminaux portuaires et l’extension des installations de Newcastle sont essentielles pour garantir la croissance de ces exportations, actuellement limitées par la saturation des infrastructures d’expédition. Des programmes sont en cours pour augmenter les capacités de charge de Newcastle, en augmentant les capacités du terminal existant et en créant un nouveau terminal qui fera passer la capacité du port d’environ 110 Mt/an à 140 puis 170 Mt/an.
28La situation de la Nouvelle-Calédonie ne diffère pas de celle de la grande région dans laquelle elle s’insère. Elle a d’ailleurs adopté les mêmes spécifications que l’Australie pour les carburants. La croissance de la demande énergétique, portée par l’activité industrielle et les demandes des ménages, et le recours au charbon sont conformes à la tendance générale. Sa petite taille l’empêche de bénéficier des possibilités du GNL et du nucléaire, l’oblige à dépendre également des capacités de raffinage extérieures et empêche les acheteurs calédoniens de peser sur les prix. Cette situation n’est pas forcément défavorable eu égard à la croissance des capacités de raffinage prévues, à l’instauration de normes plus rigoureuses pour les carburants et à l’augmentation des capacités d’exportation des producteurs de charbon. Elle plaide pour un suivi attentif des évolutions régionales, notamment pour s’aligner sur les spécifications de carburants correspondant au meilleur compromis entre la facilité d’acquisition et la minimisation des pollutions, et pour tirer parti des dynamiques se mettant en place au niveau régional pour organiser les activités dans le domaine de l’énergie.
LA SITUATION ÉNERGÉTIQUE DES ÉTATS DE LA RÉGION
L’Australie : une politique énergétique particulièrement active
29Avec le développement du charbon et du gaz, mais aussi de l’uranium, l’Australie renforce sa position d’exportateur d’énergie sur les marchés régionaux. Il existe une conscience forte que le maintien de marchés d’exportation pour le charbon australien passe nécessairement par des solutions technologiques allant dans le sens du « charbon propre ».
30Le pays lui-même consomme beaucoup d’énergie puisque se combinent des activités à très forte demande énergétique (les mines, en particulier), de grandes distances pour le transport et des formes d’urbanisme de faible densité, associées à l’usage des véhicules individuels avec un goût certain pour les grosses cylindrées. Ne disposant que de peu de ressources hydrauliques utilisables pour la production d’énergie et refusant le développement d’une filière nucléaire, la production d’électricité est pour l’essentiel thermique et repose principalement sur des centrales à charbon.
31L’un des débats les plus vifs concernant l’énergie en Australie a porté sur la ratification et la mise en application du protocole de Kyoto, auquel le pays n’a adhéré qu’en 2007, après l’arrivée au pouvoir des travaillistes et du Premier ministre Kevin Rudd. Ces derniers ont repris largement à leur compte les propositions de l’économiste R. Garnaut, auteur d’un rapport sur les possibilités de réduction des GES pour un État qui en émet beaucoup, et sera particulièrement affecté par le changement climatique (notamment les sécheresses auxquelles sont imputés les grands incendies de l’été 2008-2009).
32Il existe toutefois une forte opposition des industriels à l’instauration de mesures coercitives de réduction des émissions de GES. Vu le poids économique des activités à forte consommation énergétique, ces arguments ne peuvent être ignorés. Le gouvernement actuel propose une réduction très progressive des émissions de GES, et privilégie les recherches sur le captage et le stockage de CO2.
33La politique énergétique de l’Australie est partagée entre les États et le niveau fédéral (Commonwealth). Bien qu’il s’agisse d’une économie libérale dans la tradition de la libre entreprise, le secteur de l’énergie n’en est pas moins piloté à ces différents niveaux, avec une forte prise en compte des intérêts des parties prenantes. Le département de l’énergie a ainsi lancé, en 2009, la rédaction d’un livre bleu sur l’énergie, document de réflexion devant servir à orienter la politique énergétique dans les prochaines années ; en outre, des études spécifiques portent sur la vulnérabilité de l’approvisionnement en combustibles liquides.
34L’Australie est particulièrement active dans le développement de ses ressources énergétiques : recherche et l’exploration du pétrole et du gaz, campagnes pour fournir aux investisseurs des données sur les potentiels géologiques du pays, programmes de recherche sur la géothermie, programme de promotion des énergies renouvelables (la production d’énergie éolienne est passée de 0,6 PJ en 2001-2002 à 22,5 PJ en 2006-2007 pour un parc installé de 1 250 MW), etc. L’action publique passe aussi par le soutien à des programmes de recherches public-privé pour développer de nouvelles technologies.
35Des travaux de recherche de haut niveau sont menés par le centre de Newcastle du CSIRO, organisme public de recherche fonctionnant sur projets, ainsi que dans des laboratoires universitaires, en association avec des entreprises privées. Toutefois, la plus grande part de la recherche est menée par les compagnies privées dont les dépenses en R&D ont beaucoup augmenté depuis le début de la décennie.
36Les technologies privilégiées sont le solaire de concentration (le potentiel solaire de l’Australie est énorme), le captage et le stockage du CO2, un enjeu majeur pour l’industrie du charbon et la gestion intelligente des réseaux (smart grids).
La Nouvelle-Zélande : les énergies renouvelables représentent un tiers de l’énergie totale
37L’approvisionnement énergétique de la Nouvelle-Zélande repose sur des ressources nationales (charbon, gaz, pétrole, hydroélectricité) qui ne sont toutefois pas suffisantes pour éviter de recourir à des importations de pétrole et, de plus en plus, de produits pétroliers. La production de pétrole et de gaz a décliné, à partir de 1997, avec l’épuisement des gisements de Maui, mais a repris, depuis 2004, sur les gisements de Pohokura, Waihapa, Piakau et Stadford.
38Les énergies renouvelables prennent une part très importante puisqu’elles représentent environ un tiers de l’énergie totale et les deux tiers de l’électricité. Cette situation exceptionnelle s’explique en partie par les conditions favorables du pays pour les installations éoliennes, géothermiques et hydroélectriques. Il n’existe pas d’aides spécifiques pour les énergies renouvelables, hormis l’attribution de crédits de carbone aux projets dans le cadre de la politique nationale de réduction des émissions de GES. Les usages domestiques (chauffe-eau solaires) ont été fortement développés. Toutefois, en l’absence d’incitations financières, la croissance de la consommation énergétique se fait surtout à partir des ressources fossiles, si bien que la part des renouvelables a tendance à diminuer.
39En 2002, la Nouvelle-Zélande a ratifié le protocole de Kyoto et s’est engagée dans des programmes de contrôle de ses émissions de GES, avec une certaine difficulté à appliquer les mesures de réduction, car près de la moitié des émissions de GES provient de l’agriculture. L’idée d’une taxe carbone ayant été abandonnée pour ne pas nuire à la compétitivité des industries, la Nouvelle-Zélande privilégie désormais la mise en place d’un marché des permis d’émission.
40En 2007, le pays a adopté une stratégie énergétique, à l’horizon 2050, prévoyant notamment le renforcement des énergies renouvelables, dont la compétitivité relative serait supérieure à celle des énergies fossiles du fait des coûts associés aux émissions de GES. Outre les énergies déjà existantes, la stratégie insiste sur le potentiel de biomasse et les biocarburants pour les besoins du transport.
LES GRANDES ENTREPRISES
Les acteurs du pétrole et du gaz : entreprises privées et compagnies nationales
41Le marché du pétrole a été longtemps dominé par les grandes compagnies intégrées provenant d’Europe et d’Amérique du Nord (« les sept sœurs ») qui sont aujourd’hui largement concurrencées par les grandes compagnies des pays producteurs, des compagnies de taille moyenne et celles de pays consommateurs qui participent à leur stratégie de sécurisation des ressources énergétiques.
42Cette concurrence est particulièrement vive en Asie-Pacifique où se combinent croissance rapide des besoins énergétiques et zones nouvelles d’exploration et de production. On y repère aussi bien les grands groupes mondiaux, comme ailleurs, mais également des compagnies nationales des pays producteurs et consommateurs, ainsi que des entreprises privées originaires de la région et qui y développent leurs activités. Certains groupes miniers, comme BHP Billiton, sont aussi présents dans la production de pétrole et de gaz en Australie.
Les acteurs du charbon et de la mine
43L’organisation du marché du charbon est bien différente de celle du pétrole et du gaz. Pendant la seconde moitié du xxe siècle, le charbon n’était plus une ressource stratégique mondiale comme par le passé, elle ne l’est demeurée que dans certains États (Allemagne de l’Est, États-Unis, Russie, Chine) qui y avaient recours pour satisfaire les besoins nationaux. Ailleurs, les politiques publiques ont davantage porté sur la fermeture de mines que sur le maintien de l’activité. Inversement, les producteurs ont cherché des débouchés au charbon en réduisant leurs coûts.
44Cette évolution a redessiné la carte mondiale du charbon en favorisant les grands gisements exploitables à faible coût. Les grandes entreprises productrices ne sont pas aussi diversifiées sur le plan géographique que les producteurs de pétrole et de gaz. Parmi les principaux producteurs mondiaux, on trouve des groupes nationaux, comme Coal India (Inde) et Shenhua (Chine), qui réalisent toute leur production dans un seul pays et principalement pour leurs besoins nationaux. Le géant charbonnier mondial Peabody n’est que peu diversifié : il extrait environ 200 Mt aux États-Unis et seulement 10 Mt en Australie, mais il est actif sur les marchés internationaux et le trading.
45En Australie, la production de charbon est le fait de trois types d’entreprises : des groupes charbonniers australiens spécialisés qui n’exploitent de gisements qu’en Australie (Anglo Coal), un grand conglomérat australien très diversifié (Westfarmer), des spécialistes du charbon et les trois grands groupes miniers diversifiés BHP Billiton, Xstrata et Rio Tinto.
46Le tableau des acteurs du charbon est évolutif : les grandes compagnies pétrolières qui possédaient des actifs miniers (BP, Shell) les ont en effet cédés à des entreprises minières. Ce désengagement qui a eu lieu dans les années 1990 s’explique par la baisse de rentabilité des mines de charbon et a ouvert la porte aux groupes miniers mondiaux qui ont procédé dans les dernières années à de nombreuses opérations de fusion et d’acquisition.
47Les entreprises japonaises consommatrices de charbon (Mitsui, Mitsubishi) sont présentes dans le capital de certains groupes et de certaines mines, ce qui leur permet de renforcer la sécurité de leurs approvisionnements. Le groupe Vale, autre géant minier, n’exploite pas encore de mines de charbon, mais il a ouvert une unité de négoce en Australie. Il développe actuellement (2009) deux mines de charbon, l’une au Mozambique et l’autre, en association avec la firme australienne Aquila, dans le Queensland, qui devrait entrer en production en 2011.
48La production indonésienne est organisée différemment, avec la présence de nombreuses entreprises locales qui s’appuient sur les réseaux commerciaux de Glencore-Xstrata et de BHP Billiton, ce qui leur a permis de pénétrer de façon agressive les marchés d’Asie-Pacifique.
49Contrairement aux marchés pétroliers, qui ont été largement organisés par les producteurs contrôlant une ressource stratégique, les marchés du charbon sont plutôt le théâtre de la concurrence entre fournisseurs pour trouver des débouchés – ce qui est une situation plus favorable pour les acheteurs. Malgré cela et le développement de marchés spots, les principaux acheteurs emploient différentes stratégies pour s’assurer le contrôle d’une partie des ressources : prises de participation aux activités de production, contrats d’approvisionnements à long terme, regroupement dans des grands groupes diversifiées (qui sont d’ailleurs leaders ou associés aux usines de nickel prévues en Nouvelle-Calédonie).
50La Nouvelle-Calédonie ne peut intervenir directement sur l’organisation des marchés énergétiques d’échelle régionale, mais pourrait le faire indirectement par ses participations dans les sociétés minières et énergétiques (SLN, Koniambo, Enercal). Elle peut aussi trouver en Nouvelle-Zélande et, surtout, en Australie des situations comparables par certains aspects à la sienne, qui ont donné lieu à des solutions intéressantes ou à des travaux de recherche dont elle pourrait bénéficier.
Notes de bas de page
1 Les informations de ce chapitre proviennent des organismes internationaux (Agence internationale de l’énergie, Apec, World Energy Council), nationaux (Energy information administration, Abare, IFP, ministères nationaux) et d’entreprises (BP, Total) et de consultants (Oil and Gas journal, Petroleum Economist).
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Comment optimiser la lutte contre cette maladie ?
Raymond Corriveau, Bernard Philippon et André Yébakima (dir.)
2003
Agriculture biologique en Martinique
Quelles perspectives de développement ?
Martine François, Roland Moreau et Bertil Sylvander (dir.)
2005
Lutte contre le trachome en Afrique subsaharienne
Anne-Marie Moulin, Jeanne Orfila, Doulaye Sacko et al. (dir.)
2006
Les espèces envahissantes dans l’archipel néo-calédonien
Un risque environnemental et économique majeur
Marie-Laure Beauvais, Alain Coléno et Hervé Jourdan (dir.)
2006
Les ressources minérales profondes en Polynésie française / Deep-sea mineral resources in French Polynesia
Pierre-Yves Le Meur, Pierre Cochonat, Carine David et al. (dir.)
2016
Le développement du lac Tchad / Development of Lake Chad
Situation actuelle et futurs possibles / Current Situation and Possible Outcomes
Jacques Lemoalle et Géraud Magrin (dir.)
2014