L'utilisation éventuelle des biomasses ligno-cellulosiques importées et produites localement pour substituer du charbon dans la production de nickel
p. 239-243
Texte intégral
1Quelle est la possibilité de réduire les émissions de GES en remplaçant le charbon par d'autres sources d'énergie, en particulier par des biomasses ligno-cellulosiques ? Celles-ci devraient sans doute être importées en grande partie, mais aussi reposer pour une petite part sur des productions locales, éventuellement grandissantes si l'aménagement du territoire néo-calédonien le permet.
2L'industrie du bois génère couramment son électricité avec du bois et il existe aussi, aux États-Unis notamment, de nombreuses centrales électriques à bois avec des puissances généralement plafonnées à 49 MW. Il en existe aussi en Europe : ainsi, la centrale électrique de la ville de Liège qui fonctionnait autrefois au charbon pulvérulent utilise maintenant des granulés de bois importés par bateau. À Copenhague, on utilise des granulés de paille à la place du charbon et les Pays-Bas étudient également très sérieusement les possibilités d'importation de bois pour améliorer leurs bilans de GES. Il est prévu d'installer une grande centrale thermique sur le port de Rotterdam. En Pologne, des centrales électriques à charbon ont réalisé des investissements pour remplacer au moins 20 % de ce combustible par du bois depuis que les émissions de CO2 sont passées à 20 € la tonne.
LE NICKEL, UNE INDUSTRIE TRÈS INTENSIVE EN CARBONE
3Le meilleur procédé de production de nickel émet presque autant de GES par tonne que la production d'une tonne d'aluminium, qui émet elle-même dix fois plus de GES que la production moyenne d'une tonne d'acier. Avec la mise en service de deux nouvelles unités, les émissions vont encore augmenter. Il est donc important de trouver les moyens de les réduire, notamment en adoptant des process industriels plus performants. On pourrait donc envisager, le moment venu, de remplacer les anciennes usines par de nouvelles plus performantes. Mais les nouveaux investissements nécessaires ne pourront s'envisager que lorsque les installations seront devenues obsolètes, ou si la pénalité par tonne de CO2 émise augmentait au point de rendre rentable le renouvellement anticipé des anciennes installations.
4Dans le courant de la prochaine décennie, il sera possible de réduire les émissions de GES avec un changement de combustibles. Et à un stade ultérieur, éventuellement après 2020, on pourrait également coupler l'utilisation des biomasses avec le stockage géologique de CO2. Les émissions de CO2 du charbon deviendraient alors nulles et celles des biomasses négatives. Mais il faut sans doute insister sur le fait que la première phase peut être réalisée indépendamment de la faisabilité du stockage géologique.
L'INTÉRÊT DES BIOMASSES LIGNO-CELLULOSIQUES PAR RAPPORT AU CHARBON DANS LES CENTRALES ÉLECTRIQUES ET LES USINES MÉTALLURGIQUES
5Les émissions de gaz carbonique par tep d'énergie primaire varient avec les combustibles : à rendement de chaufferie identique, le charbon émet 40 % de plus de CO2 que le pétrole et 87 % de plus que le gaz naturel. Toutes choses étant égales par ailleurs, les productions de chaleur à partir de déchets ligno-cellulosiques, de produits ligno-cellulosiques renouvelés (bois herbes, etc.), de gaz naturel ou de pétrole, sont donc beaucoup plus intéressantes qu'à partir du charbon. Le remplacement dans tout le processus industriel du charbon par des biomasses ligno-cellulosiques renouvelées permettrait d'éviter l'émission d'environ 4,5teqCO2 par tep. Or, la production d'une tonne de nickel nécessite actuellement entre 4,5 tep et 6 tep de charbon.
6Selon la source d'énergie primaire employée pour produire de l'électricité - lignite, charbon, fioul, gaz naturel, biomasses, uranium, vent ou centrales hydrauliques -, les émissions peuvent passer de 400g à 1 kg de CO2 par kWhe (un tableau complet des émissions de CO2, selon la source d'énergie primaire employée, figure dans le CD-ROM).
7Par kWh électrique produit, les émissions des biomasses n'atteignent que 4,4 % de celles du charbon (46g de CO2 contre 1 022 g de CO2). La production d'électricité, avec gazéification et en cycle combiné à partir du charbon ou de la biomasse, est également plus favorable pour le climat lorsqu'on utilise de la biomasse renouvelée, parce que cette dernière est quasiment neutre du point de vue du climat et que l'épuration des fumées d'une centrale à charbon demande plus d'énergie que celles des fumées issues des biomasses. À raison d'un apport de 5 % ou 15 % de biomasses, on peut réduire les émissions de gaz à effet de serre d'une centrale à charbon, respectivement de 6,7 % et de 22,4 % par kWh électrique produit.
8La co-combustion du charbon avec des biomasses est déjà pratiquée en bien des endroits : aux Pays-Bas, des centrales à charbon de 250 MW utilisent (pour environ un dixième de la puissance) des bois de rebut et des fientes de poulets pulvérisés ; à l'île de la Réunion et à l'île Maurice, on utilise du charbon en complément de la bagasse, en dehors de la période de disponibilité de cette dernière.
9Les grandes chaufferies municipales de Finlande, par exemple de la ville de Jyvàksla, coproduisent de la chaleur et de l'électricité à partir de bois et de tourbe.
10L'entreprise Arcelor (devenue Arcelor Mittal) a aussi lancé, en 2000, un programme de recherche (Ulcos, Ultra Low CO2 steel) pour remplacer le charbon minéral dans la production de fonte brute par du charbon de bois, comme au Brésil. Mais le surcoût de la carbonisation du bois ne se justifie actuellement encore que pour la production d'acier de haute qualité.
LA FAISABILITÉ TECHNIQUE D'UNE CO-UTILISATION DE CHARBON ET DE BIOMASSES LIGNO-CELLULOSIQUES SÈCHES
11La co-combustion de bois et de charbon dans de grandes chaufferies reste théoriquement la solution la plus économique, mais ce n'est pas la solution la plus performante sur le plan énergétique. Pour optimiser les rendements, mieux vaut théoriquement brûler les combustibles solides dans des chaufferies différentes et centraliser la production de chaleur.
D'où proviendraient ces biomasses ligno-cellulosiques ?
12Elles pourraient provenir de biomasses ligno-cellulosiques renouvelables (comme des déchets) ou actuellement non récoltées. On pourrait aussi en produire davantage en Nouvelle-Calédonie sous certaines conditions (cf. « Les nouvelles technologies en matière de production et de stockage d'énergie », p. 115) On peut estimer que les productions des taillis d'eucalyptus pourraient ainsi fournir de 10 à 121 de matière sèche par hectare1, soit environ 4ttep. En fertilisant bien ces peuplements, on pourrait sans doute arriver à produire sur un hectare l'énergie nécessaire à la production de 1 tonne de nickel. Pour les 200 0001 de nickel produites en 2007, il faudrait donc environ 200 000 ha de forêts très productives (soit 500 0001 de matière sèche, un peu moins que les besoins d'une grande usine de pâte à papier) pour fournir l'énergie nécessaire à la production de nickel à très bas niveau d'émissions. Or, on ne pourrait sans doute installer en Nouvelle-Calédonie, dans le meilleur des cas, que quelques centaines d'hectares de forêts très productives et exploitables mécaniquement. Pour le restant des besoins, qui augmenteront avec la mise en service prochaine des deux nouvelles unités, il faudrait par conséquent s'appuyer sur des importations de biomasses tout en continuant à utiliser du charbon.
13Comme les usines de pâtes à papier, ces unités de production pourraient importer du bois par bateau - bois rond, plaques grises de bois (copeaux non écorcés), ou encore granulés ou briquettes de bois. La Nouvelle-Zélande, le Canada et le Brésil pourraient sans doute fournir de tels produits le moment venu. Sous les tropiques, on ne sait en général que faire de certaines productions de biomasses ligno-cellulosiques. Mais, là encore, quand on vise un marché mondial, la faisabilité réelle dépend du coût de récolte des produits et de celui de leur transport jusqu'à l'usine ou au port (le coût économique et le coût énergétique du transport par bateau en général très faible).
14La substitution partielle du charbon par des biomasses pourrait donc devenir très rapidement intéressante en Nouvelle-Calédonie, même avec des biomasses pour partie importées. Une étude de faisabilité pourrait estimer à partir de quel prix de la tonne de CO2 évitée et à partir de quel prix du bois importé l'opération pourrait devenir bénéficiaire. Il faut aussi dès maintenant envisager la possibilité de mise en place d'aires de stockage, des systèmes de transferts et de conditionnement des biomasses dans les usines qui en consommeraient. Pour rester économiquement compétitives, elles doivent être manipulées le moins souvent possible et leur récolte doit être mécanisable.
15À un stade ultérieur, sans doute après 2020, on pourrait combiner la production d'énergie à partir des biomasses végétales avec le stockage géologique. Là encore, des simulations économiques pourraient s'avérer utiles.
16Les études de préfaisabilité et de faisabilité pourraient être cofinancées par les industriels, Enercal et le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie.
Notes de bas de page
1 Au Brésil, on peut arriver à des accroissements moyens par ha et par an allant jusqu'à 401 de matières sèches dans l'État de San Paulo. Des productions moyennes de 20t de matières sèches sont maintenant courantes quand la fertilisation et le régime pluviométrique sont adéquats.
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