L’énergie dans les discours et les pratiques
p. 47-62
Texte intégral
ÉTAT DES LIEUX DES DISCOURS ACTUELS VIS-À-VIS DE L’ÉNERGIE ET DE LA MDE EN NOUVELLE-CALÉDONIE
1Les discours actuels vis-à-vis de l’énergie, auxquels on peut avoir accès, émanent principalement d’acteurs qui ont un intérêt direct pour les questions énergétiques. En revanche, on ne sait pas grand-chose de ce que dit et pense la majorité des habitants de Nouvelle-Calédonie puisqu’il n’existe pas d’enquête sociologique ou anthropologique sur le sujet. Il est néanmoins possible d’émettre quelques hypothèses élaborées à partir des travaux anthropologiques sur les questions d’environnement, de mines et de forêts sèches en Nouvelle-Calédonie, d’une revue de presse que nous avons réalisée au sein du quotidien Les Nouvelles Calédoniennes, et des discussions que nous avons eues lors de notre mission du mois de mars 2009 à Nouméa.
2La question des pratiques pose des problèmes similaires. En effet, il n’existe pas davantage d’études décrivant et analysant les pratiques en matière d’énergie et de MDE des différentes catégories de la population. Si une enquête de l’Isee sur les modes de consommation des ménages est en cours au moment de rédiger ce rapport, le travail de cette expertise a souffert d’un manque de données sur le sujet.
Le discours critique des associations
3Les associations écologistes critiquent fortement les choix énergétiques du gouvernement, accusés de favoriser uniquement les industriels de la mine au détriment des habitants et de l’environnement, d’être responsables de la très forte dépendance énergétique de la Nouvelle-Calédonie et d’entraver le développement des énergies renouvelables et de la MDE pour lequel elles militent.
4L’association Action Biosphère dénonce ainsi une collusion entre l’État français, le gouvernement de Nouvelle-Calédonie, les opérateurs d’électricité et les industriels de la mine. Ces derniers bénéficient en effet de tarifs préférentiels pour l’achat de kWh, alors que les ménages, même les plus modestes, paient l’électricité au prix fort, ce qui, pour l’association, s’apparente à une subvention déguisée à laquelle s’ajoute encore le cadeau fiscal de la détaxe du fioul et du charbon à l’importation. Selon Action Biosphère, le prélèvement d’une somme infime sur la tonne importée de charbon et de fioul permettrait pourtant d’alimenter un fonds très conséquent ; affecté à l’aide à l’investissement pour le développement des énergies renouvelables (solaire, éolien), celui-ci permettrait de satisfaire les besoins en électricité des ménages.
5Le réseau d’associations et de citoyens écologistes Ensemble pour la planète (EPLP) pointe, quant à lui, l’extrême dépendance énergétique de la Nouvelle-Calédonie vis-à-vis des énergies fossiles, liée au choix d’un développement économique uniquement centré sur l’industrie minière et la métallurgie du nickel. EPLP souligne l’absence de relais politique sur ces questions énergétiques et brandit la menace d’une crise énergétique majeure à venir, liée à la raréfaction et à la hausse des prix des énergies fossiles.
6Ensemble pour la planète propose de sortir progressivement (dans les 30-40 ans à venir) de cette économie fondée sur le nickel ; de développer une économie (industrie de transformation locale, tourisme local, agriculture, sylviculture, recyclage des déchets…) et une production énergétique alternatives ; de doter la Nouvelle-Calédonie d’un véritable plan de maîtrise de la consommation d’énergie et de développement des énergies renouvelables, à l’instar de celui de la Réunion ; d’adopter des mesures incitatives (tarif de rachat du kWh, subventions, prêts à taux réduit) pour permettre à tout un chacun de produire sa propre électricité ; et, pour les industriels, de compenser le CO2 qu’ils émettent. Considérant que le développement des énergies renouvelables doit être un objectif prioritaire, l’association propose également d’adopter des mesures permettant la mise en place et le développement du photovoltaïque raccordé au réseau, comme la fixation d’un prix de rachat incitatif du kWh solaire et des mesures d’aide à l’investissement (70 % du coût d’une installation photovoltaïque), et de sensibiliser les consommateurs à la maîtrise de l’énergie.
7Le discours de l’association de consommateurs UFC Que Choisir présente des similitudes avec celui des associations écologistes, mais il est moins radical et moins axé sur la critique du développement minier et de l’industrie métallurgique. En matière énergétique, il se distingue par la place accordée à la MDE, tant dans le secteur de l’équipement des ménages et des modes de consommation que de l’habitat.
8UFC Que Choisir regrette que la MDE ne soit pas davantage évoquée par les pouvoirs publics, alors qu’il existe pourtant d’importants gisements potentiels d’économies d’énergie. Par exemple, avec la mise en place de tarifs avantageux pour l’électricité la nuit (tranches creuses) et la création de normes pour l’étiquetage des produits d’équipement des ménages en fonction de leur rendement électrique.
9Quant au développement des énergies renouvelables, il se heurte, selon l’association, à de fortes résistances locales, tant de la part d’Enercal que du gouvernement de Nouvelle-Calédonie qui soutient financièrement l’opérateur. En matière d’habitat, il n’existe pas non plus d’incitations en faveur des économies d’énergie ou de respect des normes HQE, alors que l’habitat « traditionnel », tant kanak que caldoche, était auparavant bien mieux adapté au climat.
10UFC Que Choisir stigmatise également l’attitude ambivalente des Néo-Calédoniens qui dénoncent les choix énergétiques de leur pays, acceptent mal d’être l’un des plus gros producteur de CO2 de la planète, mais continuent d’acheter des véhicules polluants comme les 4X4 et surconsomment de l’électricité (piscine, climatiseurs, etc.). Toutefois, l’association décèle quelques changements dans la prise de conscience environnementale grâce à la diffusion du film d’Al Gore sur l’effet de serre, qui aurait eu un très fort impact en Nouvelle-Calédonie, et à internet qui offre aux Néo-Calédoniens une fenêtre sur le monde. Dans cette évolution, les médias locaux jouent, depuis une dizaine d’années, un rôle non négligeable.
Participation des médias à la prise de conscience environnementale
11Afin de connaître le discours des médias néo-calédoniens sur les questions énergétiques et la maîtrise de l’énergie, nous avons réalisé une revue de presse sur le site internet des Nouvelles Calédoniennes sur la période 2002-2009, à partir des mots-clés « consommation énergie » et « maîtrise énergie ».
12Quatre-vingt-dix articles évoquent, d’une manière ou d’une autre, les questions énergétiques, qu’elles concernent la Nouvelle-Calédonie, des pays voisins comme le Vanuatu, Samoa, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, ou l’Europe et les États-Unis. La question des énergies renouvelables vient en tête des sujets traités, en particulier concernant l’installation de fermes éoliennes et la relance de la filière coprah à Ouvéa (biomasse), avec une légère baisse d’intérêt pour les années 2004 à 2006. Vient ensuite le thème classique de la production d’électricité et de son transport dans le pays, traité de façon uniquement factuelle. En revanche, à partir d’une recherche avec les mots-clés « énergie et mines », les articles rencontrés adoptent un ton plus critique sur les pollutions de l’air émises par la centrale à charbon de Prony et par l’usine de Doniambo. Viennent ensuite, en troisième position, des textes sur les questions énergétiques et environnementales en dehors de la Nouvelle-Calédonie ; si l’année 2002 est, sur ce point, marquée par l’événement du Sommet de la Terre, l’année 2008 voit un intérêt nouveau pour ce que font les pays du Pacifique Sud en matière d’énergies renouvelables.
13En 2007, la diffusion du film d’Al Gore va impulser un intérêt affirmé pour le réchauffement climatique et l’effet de serre, et va donner lieu à de nombreuses manifestations et débats. Par contre, la question de la maîtrise de la demande en énergie n’occupe qu’une place marginale dans Les Nouvelles Calédoniennes, avec cependant un intérêt soudain, en 2007, lié à l’installation par EEC de nouveaux compteurs électriques (dits « confort ») chez les particuliers, permettant de faire des économies d’énergie (on mentionne à cet égard la construction d’une école respectant les normes HQE à Ducos).
Ambivalence des discours et pratiques des Néo-Calédoniens
14Là aussi, en l’absence d’enquêtes sur le sujet, nous nous bornerons à émettre plusieurs hypothèses qui devront nécessairement être validées ultérieurement.
15On observe tout d’abord l’existence de discours critiques à l’encontre des pollutions atmosphériques émises par l’usine de Doniambo et le fait d’être un des plus gros émetteurs de CO2 de la planète semble poser problème aux Néo-Calédoniens. Ce qui démontre une prise de conscience vis-à-vis des questions de pollution, de réchauffement climatique et d’effet de serre ; intérêt corroboré par le succès du film Une vérité qui dérange, largement diffusé en Nouvelle-Calédonie en décembre 2006. D’ailleurs, les actions de sensibilisation menées notamment par l’ADEME paraissent plus efficaces lorsqu’elles utilisent le support du cinéma. Autre constatation : il n’y a apparemment pas de problème d’acceptation des éoliennes de la part de la population et les discours sont généralement très favorables aux énergies renouvelables.
16On observe aussi l’existence de discours critiques devant l’insuffisance, voire l’absence, de pratiques et de politiques environnementales de la part des opérateurs miniers et du gouvernement. Les vifs conflits qui ont opposé les Kanaks au projet de l’usine de Goro Nickel en témoignent amplement. Mais, dans le même temps, les Néo-Calédoniens s’abstiennent de critiquer leurs propres modes de consommation énergétivores (achat de 4X4 polluants, suréquipement, habitat, etc.). On entend même souvent dire que les économies d’énergie dans la distribution publique d’électricité, les modes de consommation des ménages ou les moyens de transport sont tout à fait négligeables, et donc inutiles, au regard des dépenses considérables d’énergie effectuées par l’exploitation des mines.
17Précisons tout de même que si l’industrie minière est la cible de nombreuses critiques, le projet d’usine du Nord est cependant bien accepté par la population, kanak notamment, en raison du développement économique et de la création des milliers d’emplois qu’elle est censée engendrer, contribuant ainsi au rééquilibrage entre le Nord et le Sud.
Des préoccupations nouvelles dans les discours des acteurs publics
18Un article des Nouvelles Calédoniennes, daté du 11 septembre 2008, rend compte d’une évolution sensible des politiques gouvernementales en matière énergétique. En effet, le projet de développement du réseau électrique pour les sept prochaines années met en avant les énergies renouvelables, l’autonomie en approvisionnement et les tarifs.
19« (…) Les objectifs sont au nombre de quatre : garantir la sécurité de l’approvisionnement, réduire la dépendance envers l’extérieur, assurer un prix compétitif et limiter les impacts sur l’environnement. Pour toutes ces raisons, les énergies renouvelables seront au cœur de la réforme, par le biais d’une politique volontariste, c’est-à-dire des investissements et une réglementation qui favoriseront l’éolien, le photovoltaïque et l’énergie hydraulique. »
20Néanmoins, la question de la MDE occupe encore une place marginale dans les préoccupations gouvernementales, en dépit du lancement en 2005 de l’opération EcoCal, un projet de maîtrise de l’énergie dans les logements Néo-Calédoniens.
21Les Provinces, quant à elles, sont compétentes en matière d’environnement. La Province Sud a mis en place en mars 2009 un nouveau code de l’Environnement qui stipule que « les exigences de la protection de l’environnement et de la lutte contre l’intensification de l’effet de serre doivent être intégrées dans la définition et la mise en œuvre des politiques et actions provinciales, en particulier afin de promouvoir le développement durable ». Il précise également que, « dans le cadre des ICPE soumises à régime d’autorisation ou de déclaration, des prescriptions peuvent être émises, de manière générale ou au cas par cas, concernant la maîtrise de l’énergie ou les émissions de GES (via les notions de meilleure technologie disponibles et de prescriptions concernant des émissions de polluants) ». Dans cette même optique, la Stratégie de la Province Sud pour le développement durable, datée également de mars 2009, comprend un premier axe intitulé « Lutte contre le changement climatique et réduction de la dépendance énergétique ». Des actions y sont énoncées dans les domaines du développement des énergies renouvelables, la diminution des émissions de GES et la mesure et la prévision des répercussions locales du changement climatique (par exemple, mettre en place un référentiel local d’urbanisme durable, introduire les ENR dans le logement social (100 % des nouveaux logements équipés en solaire thermique, promouvoir des opérations avec du solaire photovoltaïque), étudier l’opportunité d’une taxe carbone provinciale, etc). Et enfin, les codes des aides à l’investissement en Province Sud intègrent eux aussi des mesures allant dans le sens de la MDE.
22Le discours porté par la Province Nord, moins urbaine et industrialisée que la Province Sud, s’inscrit clairement dans une logique de développement durable avec la mise en avant des richesses naturelles, de la biodiversité et de l’écotourisme. Quant à celui des Iles, il est orienté vers le développement des énergies renouvelables (éolien notamment) et du coprah avec l’huilerie d’Ouvéa – qui connaît néanmoins des problèmes de fonctionnement récurrents en raison des difficultés d’approvisionnement liées aux questions foncières (cf. « Quel cadre pour une politique de l’énergie et du climat au service du développement de la Nouvelle-Calédonie ? », p. 337). Notons qu’un schéma de l’énergie est en cours de constitution dans les îles Loyauté.
23La Province Sud abrite les deux tiers de la population de Nouvelle-Calédonie dans un tissu urbain qui ne cesse de se densifier et qui relie les villes de Nouméa, Dumbéa, Mont-Dore et Païta. En dépit de l’émergence d’une intercommunalité en Nouvelle-Calédonie (le syndicat intercommunal du Grand Nouméa a été créé en 2006), il n’existe pas encore de politique intercommunale en matière énergétique. Au regard du rythme de développement très rapide du Grand Nouméa, les pouvoirs publics tentent avant tout de gérer l’urgence en répondant aux besoins primaires d’habitat (contre la surpopulation et le développement des squats) et de transport, notamment.
24Enfin, l’ADEME, présente depuis 1981 en Nouvelle-Calédonie et qui dépend directement du gouvernement français, a essentiellement un rôle de conseil et d’accompagnement dans la mise en œuvre des politiques publiques dans les domaines de l’environnement, de l’énergie et du développement durable. Elle participe notamment au Comité territorial pour la maîtrise de l’énergie qui gère le fonds de Concours pour la maîtrise de l’énergie alimenté à parité par l’ADEME et le gouvernement de Nouvelle-Calédonie.
Le discours en retrait des opérateurs d’électricité
25Les deux opérateurs d’électricité, EEC et Enercal, sont peu motivés par la maîtrise de la demande en énergie et manifestent un intérêt essentiellement pour la réduction ou la maîtrise de la pointe. EEC reconnaît des comportements « gaspilleurs », mais estime que l’évolution des comportements ne relève pas de ses attributions.
26En 2007, EEC a fait réaliser une étude sur la biomasse qui confirme l’existence d’un potentiel pour des plantations énergétiques, mais souligne l’absence de volonté politique pour la mise en place d’une telle filière. Dans un article paru le 1er juillet 2007 dans le magazine en ligne Made’In, son directeur, Yves Morault, insiste sur la nécessité de développer et d’utiliser les énergies renouvelables et de s’engager sur la voie de la MDE, domaine dans lequel, dit-il, « il existe de grandes quantités d’énergie à économiser ».
ÉTAT DES LIEUX DES PRATIQUES : LA CONSOMMATION DES MÉNAGES EN MATIÈRE ÉNERGÉTIQUE
27La question des pratiques actuelles vis-à-vis de l’énergie renvoie d’abord aux modes de consommation des ménages, sujet sur lequel nous manquons cruellement de données, l’enquête de l’Isee ne devant paraître qu’après notre expertise. Cette enquête quantitative gagnerait d’ailleurs à être suivie d’une enquête qualitative sur la diversité et la disparité des modes de consommation des habitants en matière d’énergie.
28Elle renvoie aussi aux modes de consommation des acteurs publics et privés, domaines où les informations font également défaut. Ce qui est, en revanche, mieux connu, ce sont le contenu des politiques publiques et les données quantitatives en matière de production et de consommation d’électricité qui font l’objet du chapitre « La situation énergétique » (p. 29).
29Selon les quelques données disponibles (qui, on l’a dit, demandent à être actualisées), le niveau de consommation, à prix courant, des ménages calédoniens a crû de 34 % entre 1990 et 1997, soit un taux annuel moyen de 4 %, alors que sur la période, le taux d’inflation annuel moyen avoisinait 2 %. Au cours de cette période, la structure de la consommation s’est modifiée, la part des services ayant gagné 4 points, alors que celle des produits industriels divers s’est réduite. Dans le même temps, le budget consacré à l’énergie s’est accru passant de 2,5 à près de 4 % des dépenses des ménages.
30Selon les Tableaux de l’économie calédonienne (TEC) publiés par l’Isee, la croissance économique s’est traduite par une amélioration du niveau de vie moyen de la population, confirmée par plusieurs indicateurs dont l’évolution du taux d’équipement des ménages en biens durables. Les services sont le principal poste de dépenses et pèsent pour près de la moitié dans la consommation des ménages. Ils se répartissent à raison de 20 % pour les produits agro-alimentaires, 20 % pour les produits industriels divers et 7 % pour les produits énergétiques. La part de l’énergie dans le budget des ménages est donc passée de 2,5 % en 1990 à 7 % en 2006.
31Depuis quelques décennies, les ménages calédoniens se sont rapidement équipés en électroménager et en biens liés à la consommation. Ainsi, en 2004, ils disposent presque tous d’un réfrigérateur, d’un lave-linge, d’un congélateur, et plus d’un tiers des ménages possède un ordinateur – avec toutefois de fortes disparités selon les Provinces. La climatisation domestique a également pris de l’ampleur puisque plus du quart des ménages en est équipé.
32En 2004, 74 % des ménages calédoniens disposent d’au moins une voiture contre 62 % en 1989 et 6 % possèdent un deux-roues à moteur (à noter cependant qu’un quart des ménages ne dispose d’aucun moyen de transport individuel). Enfin, 13 % des ménages ont un bateau à moteur (22 % en Province Nord où l’activité de pêche est importante).
33La consommation en électricité par habitant a été, en 2000, de 2,523 MWh/an dans la Province du Sud, contre 0,745 et 0,603 MWh/an respectivement dans les Provinces du Nord et des îles. On observe donc des différences significatives dans la consommation d’électricité entre les habitants de la Province Sud, urbanisée et où les Kanaks sont minoritaires, et ceux des Provinces Nord et des îles, rurales et peuplées majoritairement de Kanaks. En 2004, le PIB par habitant dans la Province des îles Loyauté était inférieur de moitié à celui de la Province Nord, et ce dernier lui-même était inférieur d’un tiers à celui de la Province Sud.
34Les questions de MDE se posent donc avec plus d’acuité en Province Sud qu’en Province Nord et dans les îles Loyauté, en raison d’un taux d’équipement en biens électroménagers supérieur, de la densité du tissu urbain et des problèmes de transport, d’habitat et d’urbanisme. Il paraît cependant important que les Provinces Nord et Iles Loyauté anticipent les évolutions à venir.
ÉTAT DE L’ART SUR LES DISCOURS ET LES PRATIQUES EN MATIÈRE DE MAÎTRISE DE LA DEMANDE EN ÉNERGIE EN DEHORS DE LA NOUVELLE-CALÉDONIE
La maîtrise de l’énergie en France
L’État : réglementation et aides fiscales
35Les politiques françaises de MDE ont réellement débuté en réaction aux chocs pétroliers de 1974, puis de 1979. Au départ, l’implication de l’État a donc été justifiée au nom de la dépendance française au regard de ses approvisionnements énergétiques. Par la suite, les crédits affectés à la maîtrise des consommations ont pu viser, de façon conjoncturelle, la relance des activités du bâtiment. De même, les actions de MDE ont parfois été liées à des politiques sociales, par exemple pour l’utilisation du Fonds spécial grands travaux pour la rénovation des logements sociaux.
36À partir des années 1990, la motivation environnementale prend de l’importance – en témoigne la loi n° 96-1236 du 30 décembre 1996 sur l’air et l’utilisation rationnelle de l’énergie – et se trouve renforcée ensuite du fait des engagements internationaux de la France (par exemple, le protocole de
37Les interventions directes de l’État en faveur de la maîtrise de la demande en énergie sont pour la plupart aujourd’hui regroupées dans le Plan Climat qu’il doit soumettre régulièrement à la Commission européenne. Elles sont construites autour de deux axes principaux : les réglementations et les aides
38Les principales réglementations dans le domaine des économies d’énergie sont :
- la réglementation thermique (dès 1974) pour tous les nouveaux bâtiments ;
- les réglementations sur les chaudières et les installations de combustion, complétées par le Plan national d’allocation des quotas (PNAQ) et par l’inspection régulière des chaudières et des systèmes de climatisation ;
- l’étiquetage des appareils électrodomestiques ; le changement d’heure saisonnier (heure d’été/heure d’hiver) instauré en 1975. Les principales aides fiscales sont : les crédits d’impôts pour les particuliers pour des investissements améliorant les performances énergétiques des bâtiments ;
- la TVA réduite à 5,5 % pour les travaux d’amélioration du parc ancien ;
- le régime d’amortissement exceptionnel en faveur des entreprises pour
- les matériels destinés à économiser de l’énergie ou à la production d’énergie renouvelable ;
- le financement des investissements d’économies d’énergie par crédit-bail.
39Par ailleurs, l’État a aussi un rôle d’exemplarité et se doit donc de mener des actions dans ses propres bâtiments et d’adapter ses procédures de commandes d’équipements. Enfin, il soutient également la recherche dans le domaine de la maîtrise de l’énergie.
L’ADEME : conseil et sensibilisation
40La promotion de la maîtrise de l’énergie est aujourd’hui l’une des cinq missions confiées à l’ADEME. Dans ses deux dernières grandes campagnes de sensibilisation, l’agence confirme la place importante des préoccupations environnementales dans les motivations à promouvoir les économies d’énergie, suivant et influençant à la fois l’opinion sur ce point. Ainsi lors de la « chasse au gaspi » de la fin des années 1970, le slogan était : « En France, on n’a pas de pétrole, mais on a des idées. » En 2001, il devient : « Préservez votre argent. Préservez votre planète », et, en 2004 : « Économies d’énergie, faisons vite ça chauffe. »
41L’ADEME a participé au Grenelle de l’environnement en étant, entre autres, membre du groupe de travail intitulé « Lutter contre les changements climatiques et maîtriser l’énergie ». À la demande du ministère du Développement durable (Meddaat), elle est devenue un opérateur clé en charge, notamment, du fonds Chaleur pour développer la production de chaleur à partir d’énergies renouvelables, et du fonds Démonstrateur de recherche sur les nouvelles technologies de l’énergie.
42L’ADEME a mis en place un dispositif d’aides à la décision (pré-diagnostic, étude de faisabilité, accompagnement au montage de projet) et propose des solutions pour faciliter le financement de projets d’amélioration de l’efficacité énergétique des entreprises. Elle développe également une politique partenariale pour faire relayer ses efforts et encourager les démarches d’autres acteurs, tant publics que privés. Enfin, elle lance des appels à projets pour favoriser l’émergence de nouvelles solutions performantes, puis leur diffusion et mise sur le marché.
43Le dispositif d’aides à la décision existe aussi pour les collectivités, mais il est orienté sur les questions liées aux bâtiments et vers l’assistance aux maîtres d’ouvrage. Quant à son rôle auprès des particuliers, il consiste à sensibiliser, à relayer et/ou diffuser l’information, et à proposer un conseil de proximité par le biais des Espaces info énergie. Par ailleurs, l’ADEME mène des actions dans les écoles en faveur de l’éducation à l’environnement.
EDF : tarification, mission de service public, offre des de services et R&D
44La première motivation d’EDF en matière de MDE a été d’optimiser le recours aux centrales de production en ajustant la demande grâce à une structure tarifaire basée sur les coûts marginaux, et ce, dès 1954, avec la mise en place du tarif vert. L’application du principe de la péréquation tarifaire fait que l’entreprise a intérêt à œuvrer pour la maîtrise des consommations dans les zones où il lui coûte cher d’acheminer ou de produire de l’électricité.
45Par ailleurs, la situation de surcapacité du fait de l’important programme électronucléaire a paradoxalement encouragé l’amélioration de l’isolation des logements et des performances du chauffage électrique. Les activités de MDE ont alors eu des motivations commerciales : gagner des parts de marché pour un usage concurrentiel de l’énergie. À noter aussi que les activités de MDE ont été un moyen pour EDF de valoriser son image, notamment pour contrebalancer les contestations des anti-nucléaires.
46À partir de 1993, EDF signe avec l’ADEME des accords-cadres triennaux qui portent notamment sur la maîtrise de la demande d’électricité. Les actions réalisées dans ce cadre intègrent à la fois des motivations économiques et environnementales.
47L’ouverture à la concurrence de la vente d’électricité vient ensuite modifier la donne puisque EDF n’est plus en situation de monopole et que son nouveau statut lève le principe de spécialité, ce qui l’autorise à diversifier ses activités. Ses activités de MDE répondent dès lors à deux motivations : la redéfinition de ses missions de service public et le besoin de se différencier de ses concurrents en développant des activités de service.
48L’action d’EDF est principalement fondée sur le rôle décisif du signal tarifaire donné au client. La tarification marginaliste vient du fait que l’électricité est un produit non stockable et que les moyens de production sont utilisés de manière à répondre à la demande instantanée. Or cette demande est irrégulière, notamment en fonction des heures de la journée et des saisons. Ces fluctuations sont caractérisées par la courbe de charge du système électrique qui trace la puissance totale appelée en fonction du temps. La demande est ainsi traditionnellement découpée en trois domaines : la base (puissance moyenne appelée plus de 6 000 h/an), la semi-base (durée d’appel intermédiaire) et la pointe (puissances appelées aux moments critiques). Les capacités de production sont donc choisies en fonction de la structure de cette charge avec, pour chaque catégorie, des coûts différents, moins élevés en base et plus élevés en pointe.
49La péréquation tarifaire et l’objectif d’accès à l’énergie pour tous conduisent EDF à réaliser des programmes locaux de maîtrise de la demande en électricité sous la forme de campagnes d’information et de promotion pour des équipements performants (par exemple, les lampes à basse consommation). L’entreprise développe également une culture commerciale de la MDE en proposant à ses clients une offre de services. Pour les entreprises, ce sont les bilans annuels personnalisés et les conseils éclairage et climatisation ; pour les collectivités, les offres Citélia avec les diagnostics Optimia ; et pour les particuliers, des conseils et simulations sur Internet ou par téléphone, les campagnes Gesteco dans certaines régions pilotes avec un pack MDE, et l’offre Vivrélec pour les usages thermiques de l’électricité.
50EDF dispose enfin d’un important centre de R&D dont un des axes est de développer de nouvelles technologies performantes pour des procédés industriels ou pour des équipements pour les ménages.
Les acteurs privés : entreprises et cabinets de consultants spécialisés
51Pour ces acteurs privés, la motivation principale est, bien sûr, économique. Dans une moindre mesure peuvent intervenir des motivations environnementales et/ou d’image. Leur objectif est de développer leur activité en proposant à leurs clients des produits et services.
52Certaines associations peuvent aussi jouer un rôle dans les activités de MDE qui sont souvent associées aux Espaces info énergie ou aux agences locales de l’énergie. Leurs motivations dépendent de leurs objectifs propres, mais sont en général de nature environnementale, sociale et/ou citoyenne.
53Et enfin, en métropole, les collectivités territoriales sont des acteurs majeurs en matière de MDE.
Perspectives et enjeux actuels
54Au niveau des politiques publiques, il a fallu attendre la ratification par la France du protocole de Kyoto, en 2000, pour voir s’initier deux nouveaux programmes annonçant la relance des politiques de maîtrise de l’énergie : le Plan national de lutte contre le changement climatique (le PNLCC, aujourd’hui remplacé par le Plan Climat) complété par le Plan national d’amélioration de l’efficacité énergétique (le PNAEE).
55Cette relance connaît aujourd’hui un second souffle car les questions de prix des énergies et de sécurité d’approvisionnement reviennent au premier plan avec la volatilité du prix du pétrole et la perspective de sa raréfaction. Dans ce contexte, la France suit d’abord les orientations fixées par les différentes directives européennes. Les principales mesures engagées ont été de renforcer les crédits d’impôts pour les investissements de maîtrise de l’énergie et le lancement par l’ADEME d’une nouvelle campagne de sensibilisation (« Faisons vite ça chauffe »), plus ambitieuse et surtout plus concrète. Le Grenelle de l’environnement marque, en matière de MDE, une étape importante.
56Tout semble ainsi montrer qu’en France les activités de MDE vont connaître une période faste dans les années à venir, mais les défis à relever sont différents de ceux de la période d’après les chocs pétroliers de 1973 et 1979 :
- inscrire les actions dans la durée et, pour ce faire, intégrer les questions de maîtrise des consommations dans l’ensemble des processus de décisions ;
- soutenir les activités de MDE dans un nouveau contexte de marché ouvert à la concurrence qui remet en cause la répartition des rôles et les modes d’intervention possibles ;
- structurer les politiques d’actions en s’appuyant sur les différents niveaux territoriaux ;
- développer de nouvelles stratégies (les certificats d’économie d’énergie en font partie) pour atteindre les gisements diffus qui sont devenus l’enjeu majeur de la maîtrise des consommations d’énergie et s’attaquer aux secteurs pour lesquels il est plus difficile d’intervenir (logements anciens, PME-PMI, etc.).
La maîtrise de l’énergie dans les DOM : des actions ponctuelles mais d’envergure
57Comme les zones rurales, les zones insulaires ont été des terrains propices aux actions de MDE du fait de la péréquation tarifaire. Ces actions s’y sont d’autant plus développées que le déficit pour EDF y devenait important, en particulier dans les départements d’outre-mer. Les actions MDE y ont donc été un des axes prioritaires des conventions EDF-ADEME car elles constituaient un terrain où les intérêts des deux acteurs convergeaient.
58Quelques actions locales de grande envergure ont été réussies, comme la diffusion de près d’un million de lampes à basse consommation : 150 000 à la Réunion en 1989, 350 000 en Guadeloupe et 346 000 en Martinique en 1992, 73 000 en Guyane ; des résultats environ 10 fois supérieurs aux opérations locales de ce type menées en métropole. Autres exemples : la promotion des chauffe-eau solaires et du label Ecodom pour améliorer les performances énergétiques des bâtiments neufs.
59Sur les vingt dernières années, le développement économique de l’île de la Réunion s’est accompagné d’une croissance soutenue des consommations d’énergie dont la demande a été multipliée par 2,5, celle de l’électricité ayant même quadruplé. Il était donc urgent de mettre en œuvre une politique régionale très ambitieuse de maîtrise de l’énergie et de recours aux énergies renouvelables pour la production d’électricité : c’est ce que propose le Plan régional des énergies renouvelables et d’utilisation rationnelle de l’énergie (Prerure) qui prévoit la constitution à moyen terme de trois centrales ENR ou mégawatts, MDE ou mégawatts et stockage. Un deuxième programme « d’actions opérationnelles pour des résultats visibles sur les dix prochaines années » vise à réduire le plus possible les besoins en électricité à travers douze actions fortes qui sont principalement du domaine de la maîtrise de l’énergie.
60La Réglementation thermique DOM (RT DOM), limitée au secteur logement, peut être un point de départ pour réaliser une RT calédonienne. Elle correspond en fait à un EcoCal édulcoré, avec des compléments sur les aspects ventilation. Par ailleurs, pour ce qui concerne le secteur tertiaire, il sera utile de s’inspirer de la démarche Perene qui, basée sur une étude détaillée du climat réunionnais, apporte des éclairages intéressants en matière de ratios de consommations et de référentiels pour les différents secteurs tertiaires. Compte-tenu des grandes similitudes entre le climat calédonien et le climat réunionnais, certains résultats sont transposables, mais cela ne dispense pas de la nécessité de produire des études statistiques ou instrumentées sur les consommations réelles par secteur et de définir une carte climatique avec des données de référence par région. Pour simplifier, l’application d’une RT DOM, ainsi que les démarches logement et tertiaire, devront être homogénéisées en termes d’indicateurs objectifs à atteindre et développées concomitamment.
PROPOSITIONS POUR FAIRE ÉVOLUER LES DISCOURS ET LES PRATIQUES DES NÉO-CALÉDONIENS VERS DAVANTAGE DE MAÎTRISE DE L’ÉNERGIE
61Il faut agir au niveau politique d’abord, car c’est là que se situe le principal levier en matière de MDE. Comment sensibiliser les élus à cet enjeu ? Par des actions de sensibilisation, de formation, en leur présentant les expériences existant ailleurs, en leur exposant les finalités et les potentialités, etc. L’ADEME est peut-être l’acteur le mieux placé pour effectuer ce travail, mais en Nouvelle-Calédonie elle ne dispose que de moyens limités.
62Parallèlement, il faut aussi agir au niveau de l’ensemble des acteurs du pays. Il conviendrait d’abord de préconiser une enquête anthropologique, donc qualitative, portant sur les discours et les pratiques des Néo-Calédoniens en matière d’énergie. Complément indispensable des enquêtes statistiques de l’Institut de la statistique et des études économiques (Isee), cette approche qualitative permettrait de comprendre les points de vue des habitants du pays, leurs choix de consommation, les logiques qui les sous-tendent, leurs attentes, leurs jugements, etc. On pourrait également préconiser une enquête sur les discours des différents médias néo-calédoniens sur les questions énergétiques (revue de presse, journaux télé, émissions de radios, etc.).
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