Introduction
p. 21-27
Texte intégral
LE CONTEXTE DE LA SAISINE : ÉVOLUTION DE LA QUESTION POSÉE
1Dans une première saisine datée du 21 mai 2007, le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie limitait la question posée à l’expertise collégiale au domaine des énergies renouvelables. Il s’agissait d’apporter aux « acteurs et décideurs du secteur de l’énergie un outil de travail précieux pour l’élaboration du projet de schéma de développement équilibré de l’énergie électrique, de la Programmation pluriannuelle d’investissements pour la production électrique (PPIPE) et, bien évidemment, pour l’élaboration par Enercal d’un schéma du transport de l’énergie électrique ».
2Le cadre de l’expertise a été par la suite considérablement élargi et enrichi. À l’issue de l’atelier initial organisé à Nouméa les 15 et 16 octobre 2008 en présence de l’ensemble des parties prenantes, l’angle choisi a été celui de « l’énergie dans le développement de la Nouvelle-Calédonie », cela dans la perspective affirmée de renseigner le plus complètement possible le volet énergie du Schéma d’aménagement et de développement pour 2025 qui, conformément à l’article 211 de la loi organique qui régit le Territoire, doit être adopté fin 2009. Cet ouvrage livre donc un tableau complet des connaissances scientifiques disponibles permettant de définir la politique de l’énergie, entendue comme incluant la question des émissions de gaz à effet de serre, et de hiérarchiser les priorités de l’action des diverses autorités, collectivités et acteurs dans ces domaines.
3Outre les considérations objectives portant sur la nécessité de répondre aux enjeux croissants de dépendance énergétique et de maîtrise de l’énergie, on retiendra que cette évolution de la commande résulte de l’excellent dialogue entretenu entre les autorités publiques de la Nouvelle-Calédonie et l’organisme de recherche qu’est l’Institut de recherche pour le développement.
LES DONNÉES PARTAGÉES PAR LES EXPERTS SUR LA SITUATION DE LA NOUVELLE-CALÉDONIE
4Puisqu’il s’agissait de préparer, en mobilisant le potentiel de la recherche, les décisions futures en matière de développement, il importait pour les experts à l’œuvre de bien connaître la situation actuelle du pays sur les plans économique, énergétique, politique et social. Le bilan énergétique de la Nouvelle-Calédonie, point de départ de notre expertise, fait l’objet d’un chapitre à part que le lecteur trouvera dans les pages suivantes.
5Au plan économique, rappelons rapidement quelques données, issues pour une grande part du projet « Nouvelle-Calédonie 2025 » dont les experts ont tiré largement profit. Un territoire peu dense (10 habitants/km2), très largement marqué par le développement de la Province Sud et de l’agglomération nouméenne (60 % du total de la population) qui, à elle seule, concentre l’essentiel des activités. Un indéniable dynamisme démographique puisque près de la moitié de la population a moins de 25 ans.
6Sur le plan industriel, le secteur du nickel domine l’économie du Territoire depuis des décennies, avec plus de 95 % des exportations en valeur, et détermine la plus grande part des besoins énergétiques de la Nouvelle-Calédonie. Aujourd’hui, on estime que la variabilité économique du nickel, les évolutions technologiques qui en réduisent l’utilisation (d’ores et déjà près de la moitié du nickel utilisé par la métallurgie serait du nickel de recyclage) et la forte dépendance du pays à son égard sont autant de facteurs de risques qui pourraient être limités par la recherche de voies de diversification.
7La Nouvelle-Calédonie connaît, depuis 1998, une forte croissance économique avec une augmentation annuelle moyenne du PIB de plus 3,5 % qui a permis la création d’un nombre important d’emplois (plus 4,3 % par an en moyenne), notamment dans le secteur tertiaire dominant, même si le pays n’est pas en situation de plein emploi (le chômage touche 7 % de la population active). Néanmoins, à l’exception des rémunérations les plus basses, dont le salaire minimum (SMG), qui ont connu une réelle progression (entre 15 et 20 %), l’ensemble des salaires, du privé comme du public, ont régressé en francs constants au cours des neuf dernières années (source : Institut national de la statistique et Direction du travail, mars 2009).
8On note aussi la très grande dépendance du pays à l’égard des importations, y compris dans des domaines aussi essentiels que les produits agricoles et les énergies fossiles. En Nouvelle-Calédonie, la vie est d’ailleurs particulièrement chère. Selon l’étude publiée par le cabinet Syndex, en 2009, le taux de marge d’exploitation du commerce serait passé de 48,6 % en 1998 à 61,1 % en 2007, largement au-dessus des chiffres métropolitains.
9Le secteur public qui représente 34,9 % de l’emploi salarié est largement impliqué dans le développement, initié ou accompagné dans les provinces par les sociétés d’économie mixtes provinciales depuis la signature des Accords de Matignon-Oudinot. Le tissu des entreprises est partagé entre quelques très grandes entreprises et une multitude de petites entreprises, sans qu’il n’existe de véritable palier intermédiaire. En dehors du nickel, du tourisme et de l’aquaculture, l’activité des entreprises calédoniennes est presque entièrement tournée vers le marché intérieur et subit un ensemble de contraintes spécifiques, comme l’éloignement et l’insularité, des ressources insuffisantes en main-d’œuvre qualifiée et une monnaie, le franc pacifique, très peu reconnue au niveau international.
10Une série d’atouts peuvent cependant constituer l’assise du développement de nouveaux secteurs de la Nouvelle-Calédonie : les ressources naturelles, l’inscription de son lagon au patrimoine mondial de l’humanité, un tissu industriel développé, la relative proximité de l’Asie dont le poids économique est considérable, et la situation dans le Pacifique (les échanges régionaux avec l’Australie et la Nouvelle-Zélande tendent à augmenter).
11À noter enfin, au plan environnemental, que les moyens alloués en matière de traitement des déchets, de gestion de l’eau et de l’assainissement, de la protection de la biodiversité, de la maîtrise de la demande d’énergie et des énergies renouvelables demeurent encore assez faibles.
12Aux plans politique et social, les Accords de Matignon de 1988 ont su répondre à la question essentielle posée par le problème calédonien : comment permettre aux Kanaks indépendantistes d’acquérir des lieux de pouvoir chez eux, où ils sont devenus minoritaires. L’Accord de Nouméa, de 1998, a systématisé le nouveau modèle en vigueur, d’une originalité sans précédent dans l’histoire de la République : une démocratie consensuelle au lieu d’une démocratie majoritaire, un gouvernement composé à la proportionnelle des groupes du congrès assemblant tous les groupes politiques et un transfert progressif des compétences de l’État vers la Nouvelle-Calédonie. C’est ainsi que depuis dix ans, le gouvernement pluraliste fonctionne suivant ce que le professeur Jean-Yves Faberon, professeur à l’université de Montpellier, appelle un « consensus obligé » voulu entre les uns et les autres.
13Avec le projet Nouvelle-Calédonie 2025, qui dépasse la mise en œuvre de l’Accord de Nouméa, le futur schéma d’aménagement et de développement de la Nouvelle-Calédonie devrait offrir un cadre structurant pour la conception des politiques publiques. Répétons que c’est bien dans ce cadre que se situe notre expertise. Mais, actuellement, la définition des compétences faites par la loi organique pose d’importantes difficultés (insécurité juridique pesant sur certains textes, discussions complexes sur qui dispose de quelle compétence normative, absence de procédure pour sécuriser ce qui fait pourtant consensus, etc.). Dans le domaine qui nous intéresse, il existe une relative ambiguïté sur les responsabilités des différents acteurs puisque l’énergie et l’environnement concernent à la fois les provinces, certaines municipalités, le gouvernement de Nouvelle-Calédonie et l’État.
14La question foncière est, elle aussi, d‘ordre politique et social. Le statut de la propriété foncière est complexe, en particulier en raison de la revendication coutumière sur la terre néo-calédonienne qui fonde l’identité kanak. Sur le terrain, les experts en ont mesuré la complexité dont il faut nécessairement tenir compte pour l’accès éventuel aux biomasses forestières pour substituer les combustibles fossiles ou le stockage de CO2 dans des puits de carbone.
15Notons aussi, malgré l’absence d’enquête d’opinion sur le sujet, qu’il n’y a pas encore de véritable prise de conscience de la contrainte environnementale et énergétique. Pourtant, la Nouvelle-Calédonie affiche de hautes ambitions, dans ce domaine, marquées notamment par le récent classement de la barrière de corail au patrimoine mondial de l’humanité. Des actions ont déjà été entreprises, comme le travail de sensibilisation mené par l’ADEME et la Dimenc dans le cadre du CTME sur la haute qualité environnementale (HQE) dans l’habitat. La jeune université de la Nouvelle-Calédonie, de son côté, a mis en place un dispositif d’enseignement très orienté vers la formation de géologues, à destination des employeurs principaux de l’administration et des entreprises du nickel. Autant dire que le Territoire a un rôle évident à jouer sur ce plan et a besoin de trouver des alliés. La Nouvelle-Calédonie pourrait même, en développant ses relations dans ce domaine avec l’Australie, devenir un laboratoire innovant sur les questions de sécurité énergétique, d’économies d’énergie et d’énergies renouvelables pour l’ensemble de la région Pacifique Sud, et en retirer des avantages industriels conséquents. C’est la vocation de la présente expertise collégiale que de contribuer, à son niveau, à cet ambitieux dessein.
LES CINQ PARTIES DE L’EXPERTISE
16Pour apporter des réponses aux principaux enjeux que sont la sécurité énergétique, la protection de l’environnement (réduction des gaz à effet de serre notamment) et l’insertion régionale de la Nouvelle-Calédonie à travers la question énergétique, le collège des experts a élaboré un plan logique en cinq grandes parties conforme à la liste des questions initiale qui lui a été soumise. Chacun, sous la responsabilité d’un coordinateur, se structure lui-même en deux parties : un état des lieux documenté adapté à la question traitée et des recommandations classées par priorité et par échéance.
17Les références de la littérature scientifique et de la littérature grise sur le sujet peuvent être consultées dans le CD-ROM.
La maîtrise de l’énergie : un enjeu majeur pour le développement durable de la Nouvelle-Calédonie et sa sécurité énergétique
18En tous lieux, la maîtrise de l’énergie offre une marge de manœuvre considérable et peut avoir des conséquences importantes sur les autres composantes d’une politique énergétique. Il était donc légitime d’aborder l’expertise par ce premier axe en apportant l’ensemble des connaissances du secteur, en particulier concernant l’efficacité énergétique des équipements dans le bâtiment (climatisation, notamment). Réduire la consommation d’énergie suppose aussi une modification des comportements : il y donc lieu de préciser à la fois le diagnostic, les outils pour agir (éducation à l’environnement et sensibilisation aux écogestes) et les signaux possibles (tarifaire, réglementaire, fiscal) pour promouvoir la maîtrise de l’énergie.
Les nouvelles technologies en matière de production et de stockage d’énergie
19Il s’agit ici de présenter l’ensemble des nouvelles technologies de production (marines et terrestres) et de stockage de l’énergie, d’analyser leur impact, sur l’emploi notamment, et d’étudier leur faisabilité pour la Nouvelle-Calédonie, compte tenu des données de milieux et des contraintes liées à l’occupation du territoire. Dans la partie précédente, on s’intéresse également au contexte réglementaire dans la mesure où il peut influencer fortement le développement des énergies renouvelables (solutions et différenciations tarifaires et fiscales, systèmes d’aide).
La réduction des gaz à effet de serre et les moyens de compensation
20Là aussi, on se propose de recenser toutes les technologies existantes (ou en recherche) de captage et de stockage de CO2, avec un éclairage particulier sur les outils d’évaluation du stock. Parmi les moyens de compensation, on s’intéressera à l’utilisation éventuelle des biomasses forestières pour substituer des combustibles fossiles (charbon), couplée à la séquestration géologique dans le cas des sites fortement émetteurs de CO2 (industries, centrales électriques). On traitera également des aspects économiques de la réduction des émissions de CO2 en évaluant les coûts à moyen et long termes des différentes options de captage et de stockage.
La géopolitique de l’énergie et la coopération régionale
21Il s’agit ici d’étudier les scénarios d’approvisionnement en combustibles fossiles et la façon dont ils peuvent affecter la sécurité énergétique de la Nouvelle-Calédonie. À partir de là, on explorera toutes les dimensions de la coopération régionale énergétique (échange d’expériences et de compétences, accès aux ressources). Un éclairage particulier sera apporté aux scénarios possibles d’insertion de la Nouvelle-Calédonie dans la dynamique internationale de la convention des Nations unies pour le climat, ainsi qu’à l’analyse juridique des obligations internationales qui y sont liées et à leur impact sur la gouvernance.
La gouvernance de l’énergie en Nouvelle-Calédonie
22En fonction de tout ce qui précède, quelles peuvent être les responsabilités des différents acteurs, institutionnels et privés – communes, provinces, congrès, gouvernement, État, producteurs, concessionnaires ? Cet axe s’intéressera à l’ensemble des aspects juridiques (dispositifs réglementaires), économiques, fonciers et d’aménagement du territoire des différents scénarios envisagés pour la politique énergétique de la Nouvelle-Calédonie. On y inclura des propositions sur la formation et le développement des compétences techniques et l’amorçage de marchés (par le biais d’incitations à la création d’entreprises) dans les domaines concernés.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Substances naturelles en Polynésie française
Stratégies de valorisation
Jean Guezennec, Christian Moretti et Jean-Christophe Simon (dir.)
2006
L’énergie dans le développement de la Nouvelle-Calédonie
Yves Le Bars, Elsa Faugère, Philippe Menanteau et al. (dir.)
2010
La lutte antivectorielle en France
Didier Fontenille, Christophe Lagneau, Sylvie Lecollinet et al. (dir.)
2009
Le mercure en Amazonie
Rôle de l’homme et de l’environnement, risques sanitaires
Jean-Pierre Carmouze, Marc Lucotte et Alain Boudou (dir.)
2001
Diasporas scientifiques
Comment les pays en développement peuvent-ils tirer parti de leurs chercheurs et de leurs ingénieurs expatriés ?
Rémi Barré, Valeria Hernández, Jean-Baptiste Meyer et al. (dir.)
2003
La dengue dans les départements français d’Amérique
Comment optimiser la lutte contre cette maladie ?
Raymond Corriveau, Bernard Philippon et André Yébakima (dir.)
2003
Agriculture biologique en Martinique
Quelles perspectives de développement ?
Martine François, Roland Moreau et Bertil Sylvander (dir.)
2005
Lutte contre le trachome en Afrique subsaharienne
Anne-Marie Moulin, Jeanne Orfila, Doulaye Sacko et al. (dir.)
2006
Les espèces envahissantes dans l’archipel néo-calédonien
Un risque environnemental et économique majeur
Marie-Laure Beauvais, Alain Coléno et Hervé Jourdan (dir.)
2006
Les ressources minérales profondes en Polynésie française / Deep-sea mineral resources in French Polynesia
Pierre-Yves Le Meur, Pierre Cochonat, Carine David et al. (dir.)
2016
Le développement du lac Tchad / Development of Lake Chad
Situation actuelle et futurs possibles / Current Situation and Possible Outcomes
Jacques Lemoalle et Géraud Magrin (dir.)
2014