Première partie. Mindanao : terre promise, terre de violences
p. 15-82
Texte intégral
1Mindanao, deuxième île des Philippines (94 630 km²), évoque des sentiments contradictoires chez les Philippins. Pour les uns, cette terre est un véritable eldorado, qualifié de Terre promise par le président Manuel Quezon (1935-1941). De fait, dotée de sols très fertiles et d’abondantes ressources naturelles, l’île de Mindanao joue un rôle majeur dans l’économie nationale (100 % de la production du caoutchouc, 87 % des ananas, 78 % des bananes, 74 % du café et 76 % des réserves aurifères, 57 % du nickel et 44 % du cuivre). Cependant, ces richesses sont contrôlées par quelques firmes nationales, internationales et quelques grands propriétaires terriens. Pour d’autres, le nom de Mindanao est surtout synonyme de violence, d’insécurité, de guerre et plus récemment de terrorisme. Ces représentations négatives de l’île renvoient immanquablement aux populations autochtones musulmanes ou Moro.
2L’islam, de rite sunnite, est la seconde religion des Philippines (5 % des Philippins, 4,4 millions d’individus, recensement 2007), très loin derrière le catholicisme mais majoritaire dans la Région autonome musulmane située dans la partie occidentale de Mindanao. Mobilisant une histoire de résistance aux colonisations espagnole et américaine et s’appuyant sur leur particularisme religieux, les Moro mènent, depuis le début des années 1970, une lutte armée contre le pouvoir central, pour la libération de leur territoire ancestral ou Bangsamoro (nation moro).
3Quels sont les facteurs contemporains ayant favorisé l’émergence de ces mouvements armés ? Quelles sont les dynamiques internes de ces mouvements ? Quelles sont les réponses apportées par l’État philippin ?
1 - La ruée vers la Terre promise
Les sultanats de Mindanao et de Sulu
4Les populations musulmanes du Sud des Philippines se répartissent en treize groupes ethniques dont les trois principaux (90 % du total) développèrent de florissants sultanats. Les Tausug (ou « peuple des courants »), tout d’abord, habitent l’archipel de Sulu, un ensemble insulaire de plus de 300 îles et îlots dont l’île de Sulu (la capitale est Jolo), et l’île de Tawi Tawi (partie la plus méridionale des Philippines). Sur cet archipel s’était développé, à partir du milieu du XIVe siècle3, le sultanat de Sulu dont l’influence s’étendait, au XVIIIe siècle, jusqu’à Palawan, au nord de Bornéo (actuel Sabah), à l’île de Basilan, et à certaines portions de la péninsule de Zamboanga (carte 2). Les Maguindanao (ou « peuple de la plaine inondée ») ensuite, sont localisés le long du fleuve Pulangi et de ses affluents dans la plaine de Cotabato (centre de Mindanao). Le long de ce fleuve, se développèrent, à partir du début du XVIe siècle, deux principaux sultanats4 : le sultanat de Maguindanao dont le centre était situé à l’aval du fleuve sur le delta (capitale Cotabato) et s’étendait jusque dans la péninsule de Zamboanga et le sultanat de Buayan occupant l’amont du fleuve dont la capitale était Bakat (actuelle ville de Datu Piang). Dans son extension maximale, aux XVIIIe et XIXe siècles, le sultanat de Buayan contrôlait un vaste territoire s’étendant jusqu’à l’actuelle ville de General Santos et à la région côtière de Davao (carte 2). Enfin, les Maranao (« peuple du lac »), plus récemment islamisés (au cours du XVIIIe siècle), fondèrent, autour du lac de Lanao (actuelle province de Lanao del Sur), à 800 mètres d’altitude, une multitude de petits sultanats (le lac Lanao est souvent surnommé « le lac aux mille sultans »). Les Maranao contrôlaient non seulement la région du lac mais aussi la zone côtière de l’actuelle province de Lanao del Norte et certaines parties du golfe Moro (les Iranun ou Ilanun sont des Maranao habitant autour du golfe Moro).
5L’histoire des relations entre les sultanats et les colonisateurs espagnols peut être brièvement résumée comme une alternance de raids moro sur les populations habitant les provinces des Visayas et de Luzon et d’expéditions punitives des Espagnols aboutissant à des traités de paix entre les deux parties. Ainsi, pour des raisons de logistique, les Espagnols rentraient sur Luzon et il s’ensuivait une période de paix fragile entre les protagonistes. Cette période de paix était généralement entrecoupée de conflits entre les sultanats ou au sein même de ces derniers (crises de succession des sultans souvent) et les Espagnols, appelés à l’aide par l’une des parties en conflit, tentaient de s’imposer, créant plus de tensions entre les Moro. Par ailleurs, à partir du XVIIIe siècle des groupes de navigateurs chevronnés, et indépendants des sultans, les Iranun et les Samal5, se spécialisèrent dans les raids sur les communautés des Visayas, de Luzon mais aussi le long des côtes de la mer des Célèbes et de la mer de Chine méridionale. Bien que n’ayant aucun contrôle sur ces « pirates », les sultans étaient accusés par les Espagnols de ne pas respecter les accords de paix précédents et la guerre reprenait. L’introduction des navires à vapeur dans la mer de Sulu en 1840 bouleversa le rapport de force en faveur des Espagnols, et les raids moro cessèrent définitivement à partir des années 1860. À la fin du XIXe siècle, malgré leur suprématie technologique, les Espagnols ne contrôlaient que quelques garnisons à Jolo, à Tawi Tawi et le long du fleuve Pulangi. Les Maranao du lac Lanao, isolés, échappaient très largement au contrôle des Espagnols6.
6Ainsi, lorsque les Espagnols cédèrent aux Américains, les Philippines, par le traité de Paris du 10 décembre 1898, les régions des sultanats de Mindanao et de Sulu gardaient encore une certaine autonomie7, voire une indépendance dans le cas des sultanats maranao. Mindanao et Sulu étaient alors considérés, par les populations colonisées des Visayas et de Luzon, comme des terres lointaines et dangereuses où vivaient des populations barbares pratiquant la piraterie et des razzias pour les esclaves. À la fin du XIXe siècle, les personnes indésirables pour le régime espagnol, comme les prisonniers politiques, les prostituées ou les prisonniers de droit commun étaient exilés sur Sulu et Mindanao.
Les colonies agricoles gouvernementales et les migrations spontanées
7La période d’administration américaine (1898-1946) fut marquée par de violentes campagnes dites de pacification dans les régions musulmanes (l’armée américaine massacra 600 Tausug dont une majorité de femmes, d’enfants, de vieillards lors de la bataille de Bud Dajo en 1906 par exemple)8 et par l’imposition de lois sur la propriété foncière, discriminatoires envers les populations autochtones. Ainsi, en 1902, la loi 718 considérait comme nulles et non avenues toutes les transactions foncières, non sanctionnées par le gouvernement, réalisées par les sultans et datu9 moro ainsi que par les chefs des tribus non chrétiennes10. En 1919, la loi 926 autorisait les individus à acquérir 24 hectares sur le domaine public et les corporations 1024 hectares mais les populations non chrétiennes ne pouvaient accéder à plus de 10 hectares – une limite ramenée à 4 hectares sous le Commonwealth (1935-1946)11. Ces mesures discriminatoires, qui visaient à attirer des pionniers des régions des Visayas et de Luzon ainsi que des compagnies agro-industrielles pour le développement de Mindanao, s’accompagnèrent, dès 1912, de projets de colonies agricoles. Pourtant, les migrations chrétiennes vers Mindanao furent, durant cette période coloniale, quantitativement limitées par d’importants obstacles. Ces obstacles étaient d’ordre sanitaire (forte prévalence de la malaria), physique (infrastructures quasi inexistantes) ou psychologique (peur de se rendre sur une île aussi mystérieuse que terrifiante).
8Cependant, après la Deuxième Guerre mondiale, le nouvel État indépendant, confronté à l’immense tâche de reconstruire l’économie du pays d’une part et à une révolution paysanne de grande ampleur dans le centre de Luzon (mouvement Huk, 1946-1954)12 d’autre part, considérait l’île de Mindanao comme une soupape de sécurité. Les migrations vers les vastes espaces peu peuplés de la Terre promise étaient alors perçues tout à la fois comme des outils de développement économique national, d’intégration des populations indigènes dites minoritaires (musulmanes ou non) dans la nation philippine, et de contre-insurrection pour les provinces en révolte de Luzon. En allégeant la pression démographique des campagnes des provinces des Visayas et de Luzon, l’État reculait l’échéance d’une profonde réforme agraire dont les politiciens nationaux, issus pour la plupart de la classe des grands propriétaires terriens, ne voulaient pas.
9Les programmes gouvernementaux d’implantations de colonies agricoles, lancés en 1912, renforcés en 1939, furent alors poursuivis d’une manière intensive de 1946 à 1963. Entre février 1939 et octobre 1950, la National Land Settlement Administration (NLSA) implanta 8 300 familles de pionniers dans la vallée de Koronadal et ouvrit la vallée voisine d’Allah (Cotabato) à la colonisation. En 1950, la NLSA, criblée de dettes et en proie à la corruption, fut remplacée par la Land Settlement Development Corporation (LASEDECO). Cette dernière, en trois ans, installa 1 500 familles principalement dans la province de Cotabato. En 1954, le président Magsaysay fonda la National Resettlement and Rehabilitation Administration (NARRA) avec un triple objectif : 1) aider la colonisation des régions peu peuplées du pays, 2) transformer les paysans sans terre en petits et moyens propriétaires 3) permettre aux Huk qui se rendaient au gouvernement de démarrer une nouvelle vie dans le Sud du pays (projets de l’Economic Development Corporation, EDCOR). Entre 1954 et 1963, l’agence, dont les projets étaient, eux aussi, centrés principalement sur la province de Cotabato (Dulawan, Daguma, Koronadal, Allah, Carmen, Tulunan et Columbio), relocalisa 11 000 familles13. Ainsi, au total, entre 1939 et 1963, plus de 20 000 familles de pionniers de Luzon et des Visayas furent transférées dans la province de Cotabato.
10Ces projets de colonisation intérieure, subventionnés et encadrés par l’État, devinrent les noyaux durs sur lesquels se développa une multitude de villes, attirant des vagues massives de migrants indépendants (non aidés par l’État) à la recherche d’une vie meilleure. Ces migrations spontanées n’épargnaient que peu de provinces de Mindanao. Entre 1948 et 1960, les provinces de Bukidnon, Davao et Cotabato avaient les taux de croissance les plus élevés des Philippines, juste derrière la région de Manille (tableau 1).
11Les migrations nettes sur l’île de Mindanao représentèrent plus d’1,2 million de personnes entre 1948 et 1960. Ces migrants s’établirent majoritairement dans les provinces de Cotabato et Davao (63 %).
Tableau 2 - Destination des migrants sur Mindanao (1948-1960)
Provinces | Migration nette (1948-1960) | % total migration |
Agusan | 92 971 | 7,4 |
Bukidnon | 105 002 | 8,4 |
Cotabato | 410 065 | 32,7 |
Davao | 379 309 | 30,3 |
Lanao | 164 694 | 13,2 |
Misamis occidental | -43 895 | -3,5 |
Misamis oriental | -131 882 | -10,5 |
Surigao | -13 055 | -1 |
Zamboanga Norte | 45 307 | 3,6 |
Zamboanga Sur | 243 633 | 19,6 |
Total | 1 252 149 | 100 |
12Ces flux migratoires s’accompagnèrent d’une ruée vers les terres disponibles. Entre 1947 et 1948, le département de l’agriculture reçut 9 737 demandes pour l’obtention de titres de propriété sur des terres situées à Mindanao et couvrant 76 438 hectares. Entre 1949 et 1950, ces demandes explosèrent, passant à 29 756 pour une superficie de 222 474 hectares. Dans le même temps, les titres de propriété approuvés passèrent de 1 245 (24 042 hectares) à 6 564 (70 872 hectares) en 1949-195014.
Les impacts socioculturels des migrations
13L’une des conséquences majeures de cet afflux de migrants fut la transformation radicale de la composition ethnico-religieuse de l’île de Mindanao En 1939, la province de Cotabato, par exemple, pouvait être divisée en deux espaces distincts (carte 3). Au nord, les populations musulmanes (Maguindanao) dominaient la plaine du Pulangi, depuis Kabacan jusqu’à Cotabato City, ainsi que les régions autour du marécage de Ligawasan et du lac Buluan. Selon le recensement de 1939, 90 % des Maguindanao de Cotabato étaient concentrés dans cette région (130 894 personnes) et formaient le premier groupe ethnique de la province (49 %).
14Aux Maguindanao, il convient d’ajouter les Iranum localisés dans la région côtière au nord de Parang mais aussi dans les régions intérieures, sur les pentes des volcans qui séparent Lanao de Cotabato (municipalités de Barira, Buldon et Banisilan). Au total, 54 % de la population de Cotabato se réclamaient de l’islam.
15Au sud et à l’est de cette région islamique, les plaines, montagnes et régions côtières étaient habitées majoritairement par des populations semi-nomadiques, non islamisées comme les Blaan, Manobo, Teduray, et Bagobo (confondues de nos jours dans le terme général de Lumad ou « indigène non islamisé »).
16Les Lumad formaient à cette époque 28 % de la population de Cotabato. À la veille du lancement des projets de la NLSA, les populations chrétiennes, venues de Luzon et des Visayas, restaient encore marginales sur l’ensemble de Cotabato à l’exception notable de sa capitale (Cotabato City), des sites de colonisation agricole ouverts entre 1916 et 1920 (Pikit et Midsayap) et de Kidapawan, bastion du protestantisme américain. Les chrétiens ne formaient alors que 16 % de la population (essentiellement Tagalog, Ilocano et Cebuano).
17Les cartes suivantes présentent la situation en 1970 (cartes 4 et 5). Le contraste est saisissant. En l’espace de vingt ans (1950-1970), les territoires ancestraux des Lumad furent littéralement envahis par les vagues de migrants. Ces derniers devinrent majoritaires dans 35 municipalités sur 50.
18La confiscation des terres ancestrales des Lumad, soit par le gouvernement (domaine public) soit par des agents privés (individus et compagnies), devint monnaie courante, et les Lumad se retrouvèrent dans la situation de squatteurs sur leurs propres terres. N’ayant pas la même conception de la terre (elle n’a pas de valeur monétaire) et ignorant les arcanes juridiques pour obtenir un titre de propriété, les groupes indigènes non islamisés cédaient leurs terres aux migrants pour une poignée de pesos. Ces territoires étaient d’autant plus convoités qu’ils étaient situés généralement en zone montagneuse et possédaient les principaux gisements miniers de Mindanao mais aussi la majeure partie des forêts à exploiter, un avantage (ou désavantage) que n’avaient pas les populations musulmanes vivant en plaine. Les compagnies minières et forestières, nationales et internationales rivalisaient pour l’obtention de concessions d’exploration et d’exploitation des ressources naturelles. Après l’obtention de ces permis, ces compagnies expulsaient les populations habitant dans le périmètre de la concession avec l’aide, si besoin, de la constabulary (gendarmerie) et de milices privées. Elles développaient ensuite des systèmes de routes forestières permettant de transporter les ressources. Ces systèmes routiers rendaient ainsi accessibles des régions autrefois inaccessibles. Les migrants suivaient les compagnies et s’installaient le long des routes, défrichant les terres, et déplaçaient d’autres populations. Ce schéma se répétait à Mindanao15.
19Les Lumad, pratiquant, pour la plupart, le semi-nomadisme, quittaient les espaces nouvellement occupés par les migrants et s’installaient un peu plus loin. Préférant la stratégie du déplacement à celle de la confrontation, ces populations montagnardes ont souvent été oubliées dans les analyses sur Mindanao au profit de leurs voisins musulmans qui résistaient relativement mieux aux vagues migratoires.
20La population chrétienne de Sulu, par exemple, ne dépassait pas 4 % de la population totale en 1970 (15 848 dont 12 383 catholiques sur 425 617 habitants) et était concentrée à Jolo (la capitale provinciale), dans la colonie EDCOR de Balimbing (Tawi Tawi) et sur l’île de Bongao (Tawi Tawi). L’île de Sulu, exiguë, densément peuplée et n’ayant que peu de terres disponibles, attirait une population chrétienne travaillant essentiellement dans le secteur tertiaire : fonctionnaires (militaires, enseignants, etc.), ouvriers et dockers sur le port de Jolo, professions libérales et quelques rares entrepreneurs.
21Sur l’île de Mindanao, le cœur des sultanats maranao, autour du lac Lanao (province de Lanao del Sur16) resta majoritairement maranao (92 %). Les populations chrétiennes de cette province (37 000 sur 455 508 habitants) se concentrèrent essentiellement à Marawi City (capitale de la province, 10 114 au total), sur le site de la colonie EDCOR de Wao (11 035) et dans les deux municipalités côtières de Malabang (principal port régional, 6 987) et Balabagan (5 071). À l’inverse, les vieux sultanats maranao de Balo-i et de Onayan ouest, situés dans la province de Lanao del Norte, se trouvèrent envahis par les populations migrantes qui s’installèrent massivement sur le littoral, le centre industriel d’Iligan et surtout, à l’ouest, dans la vallée fertile de la Kapatagan. Là, la population chrétienne, soutenue et protégée par le sultan Umpa, déplaça les 7 000 Maranao et passa de 8 000 personnes en 1941 à 93 000 personnes en 1960.
22Quant aux Maguindanao de la plaine de Cotabato, leur situation variait grandement en fonction de leur localisation géographique (carte 5). Au nord du fleuve Pulangi, dans les municipalités de Pigkawayan, Libungan et Midsayap, vieux territoires de forêts du sultanat de Buayan, les 11 000 Maguindanao ne représentaient plus qu’une minorité. Les populations migrantes d’avant la Deuxième Guerre mondiale, sous la protection du datu Piang, défrichèrent les forêts de Midsayap puis, avec l’intervention de l’État postcolonial, développèrent la région. Le système routier, reliant les principaux centres de population (essentiellement chrétiens), évitait les régions maguindanao. Les Maguindanao de Pigkawayan et Midsayap, situés au sud de ces municipalités, se retrouvèrent ainsi marginalisés. De plus, cette marginalité géographique fut renforcée par de profondes inégalités économiques. Une étude de 1972 concernant trois villages de Pigkawayan montrait que les riziculteurs musulmans ne possédaient pas de titre de propriété sur les terres qu’ils cultivaient. Ils adoptèrent une nouvelle variété de riz mais n’eurent accès ni aux engrais, ni aux herbicides ni aux tracteurs17. Contrairement aux agriculteurs chrétiens, les musulmans, trop éloignés du centre urbain de Pigkawayan, ne recevaient aucune aide du gouvernement. Cette zone de contact entre Maguindanao et Ilonggo (le principal groupe de migrants dans cette région) devait se transformer dans les années 1970 en une ligne de front.
23À l’inverse, au sud du Pulangi (rive gauche), les populations maguindanao restaient très largement majoritaires (99,9 % par exemple dans la municipalité de Datu Piang) avec les exceptions notables de Cotabato City (capitale de la province jusqu’en 1960), Sultan sa Barongis (capitale de la province après 1960) et de la ville de Kabacan. Celle-ci, située aux confins du sultanat de Buayan18, se transforma rapidement en un bastion de migrants Ilocano et Ilonggo19.
24Enfin, à partir des années 1960, les compagnies d’exploitation forestière partirent à l’assaut des forêts situées sur la chaîne volcanique séparant Cotabato et Lanao del Sur, ouvrant un front pionnier. De nombreux migrants suivirent et s’installèrent sur les terres ancestrales des Iranum (la municipalité d’Alamada et le Nord de la municipalité de Carmen). Ceux-ci prendront leur revanche au début des années 197020. Les vagues de migrants spontanées, entre 1946 et 1970, transformèrent en profondeur la mosaïque ethnique de Mindanao. La disparition rapide des territoires ancestraux des Moro et des Lumad coïncide avec une internationalisation de l’islam philippin. Les questions du territoire ancestral et de l’islam deviennent le moteur du séparatisme moro contemporain.
2 - De la renaissance de l’islam au séparatisme moro
25La présence de missionnaires musulmans étrangers n’est pas un phénomène nouveau sur Sulu et Mindanao. Les autorités américaines surveillaient de près, par exemple, le village de Taluksangay (Zamboanga) dont le leader était hadji Nuno, un Samal-balangingi21. En 1905, Nuno s’établit avec son groupe dans ce village de Zamboanga et durant vingt ans transforma sa communauté en bastion du panislamisme et des activités religieuses sur Mindanao et Sulu22. Le sheik Abdula Abdurrahim, venant probablement d’Indonésie ou de Malaisie, vivait dans ce village mais prêchait le Coran dans l’ensemble des régions musulmanes de Mindanao et de Sulu. D’un point de vue religieux, les autorités américaines le décrivaient comme ayant une influence considérable chez les Moro23. Après la Deuxième Guerre mondiale, des missionnaires étrangers furent employés dans les madari (écoles coraniques) fondées par l’élite traditionnelle moro. Ainsi, en 1949, les missionnaires indonésiens Taja Omar et Abdulgani Sindag, tous deux éduqués dans la prestigieuse université Al Azhar du Caire (Égypte), travaillaient dans la madrasa du député Manalao Mindalano (Malabang, Lanao del Sur24). À la fermeture de cette école, en 1951, Taja Omar devint le directeur d’une autre madrasa fondée par le maire Abubakar de Jolo. Abdulgani Sindag, accompagné de l’ustadz (enseignant) Ibrahim Sharief, prit la direction de l’école coranique du datu Bara Lidasan de Parang (Cotabato25).
26Les activités de ces missionnaires s’inscrivaient dans le programme d’actions de la Muslim Association of the Philippines (MAP), réactivée en 1949 sous la présidence du député de Sulu, Ombra Amilbangsa26. L’association se donnait alors comme objectifs de s’occuper du bien-être des musulmans philippins à Manille et de propager l’islam sur l’île de Luzon27.
L’esprit de Bandung
27Cependant, le tournant dans l’histoire de la MAP fut incontestablement la conférence des pays non alignés d’avril 1955 à Bandung (Indonésie) réunissant 29 pays africains et asiatiques. Lors de cette conférence, le sénateur Ahmad Domocao Alonto28 rencontra le président égyptien Gamal Abdel Nasser et celui-ci promit de contribuer à l’éducation des Moro. Selon l’universitaire Nasser A. Marohomsalic, Alonto rentra aux Philippines avec l’idée de mettre en application le projet de Nasser d’une grande confédération panislamique des États musulmans et de libérer ces États de la colonisation étrangère. La MAP, présidée alors par Alonto, organisa, à la suite de Bandung, des conférences internationales annuelles (1955-1958) accueillant de hauts dignitaires du monde musulman. Ces conférences aidaient les musulmans des Philippines à se percevoir non plus seulement comme une minorité au sein d’un pays majoritairement catholique mais comme membres à part entière de l’umma – la communauté musulmane.
28Ces conférences permirent de collecter des fonds pour réparer les mosquées, éduquer localement des jeunes Moro mais aussi les envoyer étudier en Égypte et recevoir une cinquantaine de missionnaires égyptiens à Mindanao Sulu. La MAP établit en 1957 le bureau de l’éducation afin de sélectionner et d’envoyer de jeunes Moro à l’université Al-Azhar du Caire. Le premier groupe fut envoyé en 1958. Le second programme éducatif entre la MAP et le Caire consistait en des bourses pour des études à l’académie militaire du Caire. À partir de 1961, un quota de 15 étudiants par an fut réservé pour les Moro des Philippines. Cette année-là, le sénateur Alonto recruta 14 jeunes Maranao et un Tausug de Basilan. Sur place, ils étaient formés aux idéaux révolutionnaires de Nasser. Le plan du sénateur Alonto et de son ami, le sheik Abdul Hamid Camlian de Basilan (son fils Abdula faisait partie du groupe) était d’intégrer les nouveaux diplômés dans l’armée des Philippines. Forts de leur expérience, ils auraient mené une révolution, comme Nasser quelques années auparavant. Pour cela, le député Rascid Lucman (beau-frère du sénateur Alonto et descendant du sultanat de Bayang, Lanao del Sur), chargé du comité des affaires militaires au parlement, devait s’occuper de l’intégration des jeunes militaires dans différentes unités de l’armée et de la police. Cette formation militaire participait d’un grand plan de subversion des Philippines visant à créer un État indépendant dans le Sud29.
29L’activisme de la MAP, et le développement de révoltes localisées30 favorisèrent une prise de conscience du gouvernement sur le malaise des minorités nationales. Le rapport de la commission parlementaire sur la question des minorités culturelles de 1954 préconisa la création d’une agence spécialisée dans l’intégration de ces minorités dans la nation. Cette agence fut créée en 1957 sous le nom de Commission on National Integration (CNI). Ses objectifs étaient ambitieux. Chargée d’intégrer les minorités culturelles de Luzon à Mindanao, la CNI devait développer l’économie (industrie, agriculture, artisanat), les infrastructures (irrigation, barrages, électricité, routes), relocaliser les minorités sans terres, développer les écoles et les activités civiques et surtout octroyer des bourses aux étudiants les plus méritants issus des minorités pour leur ouvrir les universités de Manille31. Si les objectifs étaient ambitieux, les moyens étaient faibles. Le budget, voté par les députés, ne dépassait pas 2,5 millions de pesos par an32. De tous les programmes de la CNI, celui des bourses universitaires fut, sans aucun doute, le plus réussi (tableau 3).
30Les populations non islamisées des montagnes de Luzon et de Mindanao n’atteignant à l’époque que très rarement le lycée, la plupart des boursiers étaient musulmans33. Ces étudiants se retrouvaient dans l’association des boursiers de la CNI, et dans la Muslim Students Association of the Philippines34. Véritable melting pot des groupes ethniques musulmans, ces associations furent créées, à l’origine, dans un but d’échanges et de socialisation. Cependant, l’opposition à la guerre du Vietnam à partir de 1965 et la question des migrations incontrôlées sur Mindanao contribuèrent à politiser les étudiants musulmans. Si l’association des boursiers de la CNI considérait que la solution au problème de Mindanao était de mettre en place un système fédéral, d’autres organisations étudiantes étaient plus radicales. Le National Coordinating Council for Islamic Affairs (NACCIA), par exemple, sous le patronage du député Raschid Lucman, menaça, en 1967, le gouvernement d’une lutte armée si celui-ci continuait d’encourager les flots de migrants et les activités de déforestation sur Mindanao35.
Le massacre de Jabidah : un tournant dans l’histoire des Moro
31Si dès le début des années 1960 une partie de l’élite traditionnelle maranao (Alonto, Lucman), yakan (Camlian) et tausug (Abubakar), avait planifié la création d’un État islamique, l’affaire de Corregidor (île au large de la province de Cavite, Luzon), joua sans aucun doute le rôle de détonateur.
32À partir de juillet 1962, le président Diosdado Macapagal (1962-1965) revendiqua officiellement le territoire de Sabah, une revendication qui reposait sur des arguments historiques. Alors que l’administration Macapagal proposait inlassablement de régler ce contentieux devant la Cour internationale de Justice, cette offre fut systématiquement bloquée par la Grande-Bretagne puis par la Fédération de Malaisie. Frustré par ces fins de non-recevoir, son successeur, le président Marcos (1965-1986), planifia l’opération Merdeka (« indépendance », emploi du vocable indonésien) une vaste entreprise de subversion de Sabah36.
33L’opération Merdeka tourna au fiasco et fut dévoilée à la presse le 21 mars 1968 par le sénateur Benigno « Ninoy » Aquino et ses proches amis, les députés Raschid Lucman (Lanao del Sur), Salipada K. Pendatun (Cotabato) et Salih Ututalum (Sulu). Cette opération, supervisée par Marcos lui-même, visait à semer le chaos sur place, saboter les infrastructures vitales, organiser des groupes alliés puis appeler les troupes régulières philippines pour contrôler Sabah. L’objectif était de pousser la Malaisie à accepter de régler ce contentieux aux Nations unies. Cependant, au cours de la seconde phase de l’entraînement sur l’île de Corregidor (la première phase était sur l’île de Simunul, Tawi Tawi), une partie des 180 recrues qui devaient former le commando Jabidah, se révolta. Les mutins, essentiellement des Tausug, renoncèrent au projet car ils n’avaient pas été payés depuis le début de leur entraînement (décembre 1967). Les contestataires furent alors brutalement massacrés par leurs supérieurs, à l’exception de Jibin Arula. Celui-ci échappa par miracle au massacre et se retrouva à Cavite, fief du gouverneur Montano, ennemi juré du président Marcos. C’est à partir du témoignage d’Arula que l’affaire fut portée à la connaissance du public37.
34Les conséquences du massacre de Jabidah furent considérables. Les relations diplomatiques furent une nouvelle fois rompues avec Kuala Lumpur (la première fois, c’était en 1963). Le premier ministre malaisien Tunku Abdul Rahman invita secrètement son ami le député Raschid Lucman dans la capitale. Lors de cette réunion, à laquelle participait, entre autres, le Chief Minister de Sabah (Chef de l’éxécutif de Sabah), Tun Mustapha bin Harun, il fut convenu que la Malaisie allait former 10 000 jeunes musulmans des Philippines à la guérilla, fournir 10 000 armes et un approvisionnement continu en munitions. En échange de cette logistique, les chefs musulmans de Mindanao et de Sulu devaient oublier la revendication sur Sabah38. De retour aux Philippines, et fort du soutien malaisien, Lucman contacta le député Salipada Pendatun (alors président de la MAP) afin d’organiser le recrutement et l’envoi en Malaisie, pour leur formation militaire, de jeunes musulmans. C’est dans ce contexte, que l’ancien gouverneur de Cotabato, datu Udtog Matalam Sr (beau-frère du député Salipada Pendatun) publia le 1er mai 1968, à Pagalungan, le premier manifeste du Muslim Independance Movement (MIM). Dans ce document, Matalam demandait ouvertement la création d’un État islamique. Cet État devait comprendre les provinces de Cotabato, Davao, Zamboanga, Zamboanga City, Basilan, Lanao, Sulu, Palawan et les eaux maritimes afférentes39. Dans l’article 4 de la Constitution du MIM, Matalam prônait le jihad afin d’intégrer le domaine musulman au dar-al-islam (territoire islamique). Enfin, la sharia et les lois coutumières devaient être appliquées sur l’ensemble du territoire40. Les chefs du MIM étaient chargés de recruter les jeunes musulmans de Manille, Mindanao et Sulu puis de les envoyer suivre leur formation militaire en Malaisie41. Le premier groupe, composé de 90 jeunes (appelés les Top 90), quitta Malabang (Lanao del Sur) entre la fin de l’année 1968 et le début 1969, puis se rendit sur l’île Pangkor en Malaisie pour y suivre un entraînement de plus d’un an à la guérilla, avec des instructeurs britanniques (officiellement, des mercenaires). Lors de leur arrivée sur Pangkor, sept des Top 90 organisèrent secrètement un comité. Il était composé de Nur Misuari président, Abul Khayr Alonto (neveu du sénateur Alonto, vice-président), et de cinq autres membres dont Jimmy Lucman (neveu de Raschid Lucman), Caloy Bandaying, Utoh Salahuddin, Ramit Hassan et Salih Wali (les trois étaient liés à la famille Camlian de Basilan42). Les liens familiaux entre les membres des deux mouvements étaient nombreux. Ce comité clandestin forma le premier noyau dur du Moro National Liberation Front (MNLF). Le MNLF naquit le 17 mars 1968 mais se formalisa donc l’année suivante sur l’île de Pangkor.
35Nur Misuari est un Samal, né sur l’île de Kabingaan (au sud de Jolo) en 1939. Sa famille était de condition modeste, vivant de la pêche, mais son père était aussi le panglima (représentant) du sultan Esmael Kiram II (1950-1974). Nur Misuari, brillant élève à Jolo et ayant les contacts politiques de son père, obtint une bourse de la CNI pour aller étudier à l’université des Philippines43. Diplômé de sciences politiques en 1962, il devint instructeur au département de sciences politiques de cette même université en 196744. Militant anti-impérialiste et antiaméricain, il fonda, avec sa femme, Desdemona Tan, Jose Maria Sison et d’autres, l’organisation étudiante maoïste Kabataang Makahayang (KM, Jeunesse Patriotique) qu’il quitta quelque temps plus tard45. En 1967, il fonda la Muslim Nationalist League et publia le Philippine Muslim News46. Son organisation s’intégra à l’Union of Islamic Forces and Organizations (UIFO) créée par le député Lucman au lendemain du massacre de Jabidah47. Misuari était alors chargé d’organiser les manifestations anti-Marcos devant le palais présidentiel.
36L’homme responsable de l’organisation de cette opération du MIM était Hashim Salamat48. Issu d’un clan du sultanat de Buayan (Pagalungan, Maguindanao) et neveu du député Salipada K. Pendatun, il partit en pèlerinage à la Mecque avec son autre oncle, Abubakar Pendatun en 1958, puis commença en 1959 un cursus de théologie islamique à l’université d’Al Azhar. Au cours de ses études au Caire, il fréquenta de nombreux mouvements révolutionnaires, laïques et religieux, fut élu président de la Philippine Muslim Students Association et enfin secrétaire général de l’Organization of Asian Students49. Fortement marqué par le penseur radical égyptien Sayyid Qutb, Salamat fonda, au Caire, en 1965, un groupe séparatiste composé, entre autres, du médecin Mohammed Salih Loong (originaire de Sulu), de Ustadz Abdulbaki Abubakar (originaire de Sulu) et de Sharif Habib Mohsin Julabbi (un Tausug de Zamboanga50). De retour aux Philippines, il utilisa sa position de bibliothécaire comme couverture, pour développer des activités au sein du MIM et de sa propre organisation, le Manvarul Islam. En 1972, Salamat reçut une formation militaire en Malaisie avec le second groupe appelé Top 300, puis intégra le comité central du MNLF après l’imposition de la loi martiale le 21 septembre 1972, avant de créer son propre mouvement, le Moro Islamic Liberation Front (MILF) en 1978.
37Les 90 jeunes cadres du nouveau mouvement séparatiste, le Bangsa Moro Liberation Front (BMLF51) créé par le sénateur Alonto et le député Lucman rentrèrent aux Philippines début 1970 et furent chargés de former à l’art de la guérilla leurs camarades restés au pays. Les combattants formés localement appartenaient à la catégorie F-4 (pour le BMLF, les F-1 étaient les Top 90, les F-2 étaient les Top 300 envoyés eux aussi en Malaisie en 1972, et les F-3 étaient formés en Libye52). Cette catégorie F-4 prenait des noms variés en fonction de sa localisation. Ainsi, à Cotabato ou à Lanao, les F-4, sous le patronage du MIM et de l’organisation Ansar El Islam (« serviteur de l’islam »)53 respectivement, étaient connus sous le nom de Black Shirts (chemises noires) du fait de leurs uniformes sombres. À Zamboanga et à Basilan, les F-4 s’appelaient les Green Guards du nom de l’organisation dirigée par les Camlian et à Sulu on les connaissait sous le nom de PARKAI, une organisation dirigée par Nur Misuari54. Au total, Raschid Lucman a estimé qu’entre 1970 et 1972 environ 30 000 combattants avaient été formés localement dans les divers camps d’entraînement du BMLF55. Au départ, concentrés sur leur entraînement, ces groupes évitaient les combats et gardaient profil bas. Leur première grande expérience de combat fut la bataille de Buldon (province de Maguindanao) qui eut lieu en août 197156.
Les Ilagas et l’internationalisation de la lutte moro
38Face aux rumeurs insistantes que le MIM de l’ancien gouverneur de Cotabato, Udtog Matalam, recrutait des centaines de musulmans pour un entraînement militaire d’une part et face à l’explosion de violence qui secoua la municipalité de Upi (province de Maguindanao) à partir de juillet 197057 d’autre part, les sept maires des municipalités majoritairement catholiques de la vallée de Cotabato organisèrent la milice paramilitaire des Ilagas (« rats » en ilonggo) en septembre 1970. Les quelques très rares anciens miliciens qui ont bien voulu répondre à nos questions, ont expliqué que leurs groupes furent créés, à l’origine, dans un but d’autodéfense des populations migrantes58.
39Les milices Ilagas étaient organisées à l’échelle de la municipalité et placées sous le commandement d’un proche des maires (fils, petit-fils, neveux et cousins germains). Les organisateurs passaient dans les collèges et lycées et recrutaient des adolescents. Nos interlocuteurs se souviennent d’avoir été séduits par les buts de l’organisation, présentés dans leurs écoles respectives (ils avaient entre 14 et 18 ans à l’époque). Ces objectifs étaient de défendre leurs familles et leurs terres et de faire barrage à l’islamisation forcée ou à l’expulsion des communautés chrétiennes. Les jeunes recrues furent formées au tir et suivirent un entraînement physique, encadrées par des instructeurs de la police municipale (la police municipale était aux mains des maires jusqu’à la loi martiale) et dans un cas, par un officier de la Philippine Constabulary (Police philippine), cousin d’un conseiller municipal. Puis, lorsqu’ils furent considérés comme aptes physiquement, ces jeunes gens reçurent un entraînement dit spirituel.
40Cet entraînement spirituel, mené par un certain kumander Julio (un Ilonggo), visait à apprendre aux jeunes recrues l’utilisation des antinganting ou talismans. Ceux-ci, formés d’incantations en latin, étaient censés protéger les guerriers contre les balles de leurs ennemis et les rendre invulnérables (les musulmans avaient aussi leurs amulettes mais avec des incantations arabes). Cette invincibilité avait cependant des limites : un guerrier blessé ou tué, selon le kumander Julio, était un homme qui avait douté du pouvoir de protection de Dieu à travers l’amulette. Nos interlocuteurs se souviennent encore de cette phrase de leur guide spirituel et ajoutent, avec un certain cynisme, que Julio n’avait pas dû suffisamment croire en son propre enseignement puisqu’il fut tué au combat à la fin de l’année 1971. Les jeunes Ilagas étaient ensuite chargés des missions de ronda (ronde de nuit) et de patrouilles au sein de leurs municipalités. Les plus aguerris et les plus aventureux pouvaient, cependant, opter pour leur incorporation dans des unités d’élite des Ilagas. Ces unités étaient mobiles (non rattachées à une municipalité particulière) et avaient pour mission d’attaquer certaines communautés musulmanes soupçonnées de se préparer à la guerre, suivant l’adage qu’il valait mieux prévenir que guérir. Les hommes de ces commandos étaient fanatisés lors de séances ritualisées dont le cannibalisme était partie intégrante59. Lors de ces séances, les adeptes commençaient par boire un breuvage, composé d’herbes venues des montagnes (récoltées aussi par les Manobo dans leurs propres rituels traditionnels), qui leur donnait des hallucinations et un sentiment de toute-puissance, les inhibitions disparaissaient. Puis, après une certaine période de rituels divers et variés, de discours pour galvaniser les adeptes, un homme pouvait être sacrifié. Cet homme était généralement un guerrier musulman capturé lors d’une expédition Ilaga, ou qui s’était aventuré un peu loin dans les territoires tenus par les chrétiens. D’après nos interlocuteurs, le foie était la partie la plus prisée, car selon les croyances traditionnelles, celui-ci est le lieu où réside l’âme du guerrier. En mangeant cet organe, les Ilagas s’imprégnaient ainsi de la force guerrière de leurs ennemis. Nos interlocuteurs, qui ont participé activement à ces séances macabres, nous ont expliqué qu’à l’époque ils étaient très jeunes, naïfs et fanatisés et qu’ils étaient terrorisés par la rumeur selon laquelle ils pouvaient devenir la prochaine victime sacrifiée s’ils n’obéissaient pas aux ordres.
41Les atrocités commises par les Ilagas ne se limitaient pas aux rituels macabres d’un passé révolu. Le raid sur un village musulman faisait partie de leur endoctrinement. Les instructeurs expliquaient que punir un Moro coupable de crimes ne servait à rien car son clan, immanquablement, répliquerait. Il était donc nécessaire de s’attaquer au clan dans son entier, y compris les femmes et les enfants. Un village maguindanao étant typiquement composé de un ou deux clans, les Ilagas s’attaquaient à la structure villageoise de leurs ennemis. Cette doctrine conduisit à une longue liste de massacres.
42Le massacre le plus tristement célèbre se déroula le 19 juin 1971 dans le petit village de Manili (municipalité de Carmen, Cotabato). En représailles à des attaques sur les communautés chrétiennes et manobo de villages voisins, un groupe d’Ilagas habillés en gendarmes (l’uniforme de la Constabulary s’achetait au marché noir de Cotabato City) fit irruption à Manili. Sous le prétexte d’une conférence de paix, les Ilagas rassemblèrent dans la mosquée la population du village confiante puis ils ouvrirent le feu et jetèrent des grenades sur la foule. 70 personnes furent tuées (dont 29 femmes et 13 enfants) et 17 gravement blessées. Dix autres personnes furent massacrées dans la cour de l’école.
43Le massacre de Manili eut un impact considérable, un impact international, tout d’abord, puisque le colonel Kadhafi, apprenant la nouvelle par la B.B.C., décida de rendre prioritaire son soutien militaire et logistique au BMLF60. En juillet 1971, le ministre de l’Information libyen, Salih Bouyasir, en voyage à Manille pour une conférence sur « La paix mondiale à travers l’éducation », réunit secrètement les principaux chefs musulmans des Philippines. Lors de cette réunion, ces politiciens promirent de s’unir pour défendre l’islam et refuser tout poste dans le gouvernement Marcos61. En échange, la Libye octroyait aux chefs moro une première aide financière de 4,4 millions de pesos (environ 600 000 dollars) afin d’aider les victimes des Ilagas (Manili et autres) et d’acheter un terrain de 5 hectares à Quezon City pour construire une mosquée et un centre islamique. Pour gérer cette aide, les chefs moro fondèrent l’Islamic Directorate of the Philippines (IDP). Selon Marohomsalic, si l’IDP était une organisation officielle humanitaire, sa face clandestine était une structure de support et un conduit pour les fonds financiers destinés à la rébellion moro62. Ainsi, les jeunes révolutionnaires du BMLF comme Nur Misuari, Abul Khayr Alonto, Hashim Salamat et d’autres furent chargés des opérations humanitaires de l’IDP à Sulu, Lanao, et Cotabato respectivement.
44L’impact du massacre de Manili fut également national. Accusée de génocide moro par le BMLF et Kadhafi aux Nations unies et à l’Organisation de la Conférence islamique (OCI), l’administration Marcos mit sur pied la Task Force Pagkakaisa, formée de militaires de l’armée de terre et chargée de rétablir l’ordre dans la province de Cotabato, en neutralisant les divers groupes armés comme les Ilagas mais aussi les armées privées des politiciens musulmans telles les P.U.S.A. de Cotabato63 et les Barracudas de Lanao64. En moins d’un an d’activité (juin 1971 à avril 1972), la Task Force mena 111 combats qui se soldèrent par 137 morts pour les Moro, 64 pour les Ilagas ; 37 blessés pour les Moro et 27 pour les Ilagas ; 22 prisonniers65 pour les Moro et 27 pour les Ilagas.
3 - Révolutions, schismes et cooptations
Le MNLF prend le contrôle de la révolution
45Le 21 septembre 1972, la loi martiale fut imposée pour répondre, entre autres, à la situation chaotique de Mindanao et de Sulu. S’agissait-il d’un prétexte ? Marcos expliqua que les violences sur Mindanao avaient fait déjà plus de 3 000 victimes dont 1 000 civils et 2 000 combattants chrétiens et musulmans. De plus, 500 000 personnes avaient été blessées, déplacées ou s’étaient retrouvées sans abri, paralysant l’activité économique des îles de Mindanao et de Sulu66. La proclamation fut immédiatement suivie par l’arrestation des chefs de l’opposition, la fermeture des médias et l’instauration du couvre-feu. Le chef du BMLF, Raschid Lucman échappa de peu aux militaires, dirigés par le général Fabian Ver (un cousin du président Marcos), en se cachant chez son ami et partenaire en affaires, Abdul Karim Sidri67. Celui-ci, dont le nom chrétien (avant sa conversion à l’islam) était Benigno « Nonoy » Romualdez Abella, était non seulement le responsable des finances du Bangsa Moro Liberation Front mais aussi le neveu d’Imelda Marcos, la femme du président68. Ainsi, si le général Ver avait découvert des documents très compromettants sur les activités du Bangsa Moro Liberation Front dans la maison de Lucman, il était loin d’imaginer que celui-ci était caché par le neveu de la première dame des Philippines. Raschid Lucman s’échappa des Philippines en octobre 1972 et se réfugia à Kuala Lumpur (Malaisie). Cependant, à sa grande surprise, il fut placé en résidence surveillée par les autorités malaisiennes69. Ses anciens bienfaiteurs, la Malaisie et la Libye, s’étaient détournés du Bangsa Moro Liberation Front et soutenaient désormais un mouvement jusqu’alors clandestin, le Moro National Liberation Front (MNLF), dirigé par Nur Misuari, son plus proche collaborateur et homme de confiance.
46Le coup d’État interne de Misuari et de son groupe n’a jamais été expliqué d’une manière satisfaisante. Les historiens du Moro National Liberation Front déplorent les scissions internes à leur mouvement, sans jamais dire comment eux-mêmes avaient réussi cette opération. Selon Che Man, Misuari s’était rendu en Libye, peu après la loi martiale70, pour gérer la logistique des armes et de l’argent promis par le colonel Kadhafi. Avec l’aide d’Hashim Salamat, il avait convaincu les Libyens de canaliser cette aide vers le MNLF. L’hypothèse de Che Man est que le programme du MNLF qui projette la création d’une nation moro (Bangsamoro) et l’élimination de l’élite traditionnelle considérée comme l’un des maux de la société musulmane des Philippines, serait plus proche idéologiquement du gouvernement révolutionnaire libyen que le BMLF dominé par l’élite aristocratique musulmane71.
47On pourrait aller plus loin. Si le BMLF avait un programme clair, rendu public par le MIM, visant à établir un État islamique sur Mindanao, Sulu et Palawan, il pouvait apparaître comme contre-révolutionnaire pour les éléments les plus radicaux. En effet, les chefs du BMLF, pratiquement tous des membres du parti libéral (opposition à Marcos), avaient passé des accords secrets avec leurs collègues non musulmans (ou certains d’entre eux) du même parti. Macapanton Abbas notait par exemple que lorsque les Top 90 rentrèrent en 1970 à Malabang (Lanao del Sur) après leur entraînement en Malaisie, ils furent accueillis non seulement par les chefs du BMLF mais aussi par le sénateur Benigno « Ninoy » Aquino, l’ennemi juré du président Marcos72. Il existe des photos, dans une collection privée, montrant Ninoy Aquino serrant les mains des Top 90. Cela peut paraître surprenant mais il faut rappeler que la hantise du sénateur Aquino, durant cette période, était que le président Marcos réussît à imposer la loi martiale et à se maintenir au pouvoir. Ayant une ambition au moins aussi élevée que son ennemi, Ninoy Aquino aida à organiser des fronts armés anti-Marcos. Il est maintenant bien établi que le sénateur et certains de ses collègues s’allièrent au parti communiste de Jose Maria Sison. La plantation Luisita (Tarlac, Luzon) appartenant aux Cojuangco mais gérée par Ninoy Aquino, servait de camp d’entraînement pour la New People’s Army (NPA)73. Il n’est donc pas étonnant que le sénateur Aquino se soit aussi allié avec ses très proches amis Lucman et Pendatun. L’amitié entre ces hommes était forte, sans doute trop forte pour les radicaux du MNLF. Nur Misuari et Hashim Salamat pouvaient ainsi facilement présenter le BMLF comme un simple front de politicos désabusés par Marcos mais prêts à revenir dans le rang dès la chute du dictateur.
48Fort du soutien logistique financier et militaire de la Libye et de la Malaisie, le Moro National Liberation Front s’imposa progressivement dans la lutte révolutionnaire moro. Par convention, les historiens font débuter la révolution moro le 21 octobre 1972 à Marawi City, lorsque, un mois exactement après la déclaration de la loi martiale, un groupe de rebelles et de policiers prit d’assaut puis occupa pendant quelques heures le camp Keithley défendu par 28 gendarmes. À partir de décembre 1972, la révolution se propagea à Sulu puis en février 1973 à Cotabato. En quelques mois, les forces rebelles, loyales ou non à Nur Misuari, prirent le contrôle des zones rurales du Centre et de l’Ouest de Mindanao ainsi que de Sulu et de Tawi Tawi. Sans entrer dans les détails des innombrables batailles, quelques estimations statistiques permettent, cependant, de montrer l’ampleur du conflit. Entre 1970 et 1996, plus de 100 000 personnes furent tuées par les combats dont probablement 60 000 environ pour la seule période 1970-197674, et 55 000 personnes furent blessées75. Le général Abat évalue à 166 984 le nombre de familles de Mindanao déplacées dans la première période des hostilités, soit près d’un million de personnes. De 1973 à 1976 les pertes militaires (morts ou blessés) se seraient élevées à environ 10 % du total des troupes de l’armée de terre présentes à Mindanao76. Le président Marcos lui-même avoua en 1980 qu’environ 11 000 soldats avaient été tués entre 1972 et 198077. Au total, selon le député Eduardo Ermita, membre du comité de négociation pour la paix avec le MNLF en 1996, et ancien général, les troupes gouvernementales auraient eu 30 % de pertes de 1970 à 1996. Le ministère de la Défense aurait dépensé quelques 73 milliards de pesos dans ce conflit entre 1970 et 1996, c’est-à-dire une moyenne de 40 % de son budget78. Les pertes du côté des forces révolutionnaires sont évaluées à 50 %. À titre d’exemple, lors de la seule bataille de Tran (Lebak, Cotabato), qui eut lieu entre mars et août 1973, 833 rebelles furent tués contre 94 militaires et 168 paramilitaires79.
La politique d’attraction : ou comment coopter les commandants locaux
49Si les combats furent intenses jusqu’au milieu des années 1970, le front moro ne tarda cependant pas à se lézarder. Basé, localement, sur un système de clans dont les loyautés vont à des commandants locaux (field commanders) et pas forcément à une idéologie élaborée par des intellectuels et des cadres vivant le plus souvent en exil au Moyen-Orient (Arabie saoudite, Libye, Égypte), le Moro National Liberation Front entra dans une période d’intenses rivalités internes. La première défection massive vers le gouvernement se déroula en octobre 1973 à Sulu. Huit chefs de premier plan (surnommés les Magic 8), dirigés par le Dr Mohammed Salih Loong, et leurs milliers d’hommes, se rendirent au gouvernement80. Le Dr Loong, qui n’avait jamais accepté la tutelle de Nur Misuari (trop marxiste et trop autoritaire à son goût), accusa ce dernier de distribuer les armes d’une façon politisée, favorisant ses commandants loyaux au détriment des Magic 881. Ces derniers furent amplement récompensés pour leur défection. Le président Marcos les nomma à des postes clefs afin de neutraliser localement le MNLF, créant de nouvelles dynasties politiques (non liées à l’aristocratie de Sulu82) à l’échelle de la province ou des municipalités. De nos jours, ces familles contrôlent encore très largement ces municipalités.
Tableau 4 - Le MNLF : synthèse chronologique (1968-1984)
Dates | Événements |
21 mars 1968 | Révélations du massacre de Jabidah par le sénateur Aquino |
1er mai 1968 | Création du Muslim Independant Movement (MIM) par Udtog Matalam Sr |
Début 1969 | Création clandestine du Moro National Liberation Front (MNLF) sur l’île de Pangkor (Malaisie) ; Nur Misuari en devient le chef ; 90 jeunes Moro sont formés à la guérilla |
1970-1972 | Formation de 30 000 combattants moro par le Bangsa Moro Liberation Front (BMLF) |
Septembre 1970 | Création de la milice Ilaga à Cotabato |
19 juin 1971 | Massacre de Manili |
Juillet 1971 | La Libye soutien officiellement le BMLF |
21 septembre 1972 | Déclaration de la loi martiale par le président Marcos |
21 octobre 1972 | Début du conflit entre le MNLF et le gouvernement à Marawi City |
Octobre 1973 | Le groupe du Dr Mohammed Salih Loong (Magic 8) se rend au gouvernement. C’est la première défection au sein du MNLF |
23 décembre 1976 | Signature des accords de Tripoli entre le MNLF et le gouvernement philippin sous l’égide de la Libye |
Mai 1977 | Le MNLF obtient le statut d’observateur au sein de l’OCI et devient le seul représentant des Moro pour cette organisation |
Décembre 1977 | Hashim Salamat se sépare du MNLF et crée le Nouveau MNLF |
1983 | Dimas Pundato se sépare du MNLF et crée le MNLF-Reformist |
1984 | Hashim Salamat rebaptise son mouvement Moro Islamic Liberation Front (MILF) |
50Les hommes de ces chefs furent alors intégrés dans des organisations paramilitaires (appelées Special Police Forces à Sulu) et chargés de chasser le MNLF sur leurs territoires respectifs. En échange, le gouvernement Marcos et ses successeurs (d’Aquino à Arroyo) eurent tendance à fermer les yeux sur les exactions, la terreur (notamment depuis 1986 et les élections) et les activités criminelles (trafic de drogue, dont les métamphétamines appelées ice ou shabu aux Philippines, par exemple83) commises par les Magic 8 et leurs armées privées. Ces seigneurs de guerre se considèrent très largement au-dessus des lois car comme le résumait parfaitement Julabbi en 1975 : « Le gouvernement philippin nous doit reconnaissance et gratitude pour la chute soudaine du mouvement, résultat de notre retour vers la république84 ». Les Magic 8 n’oublient jamais de rappeler cette dette morale à leurs critiques du Nord, expliquant que Sulu serait déjà indépendante s’ils ne s’étaient pas rangés du côté du gouvernement.
51L’hémorragie des cadres locaux du MNLF s’accéléra à partir de la signature du traité de Tripoli en 1976 entre le gouvernement philippin et le MNLF sous l’égide de la Libye. Le travail de sape du mouvement, appelé par le gouvernement Marcos « politique d’attraction », fut si efficace qu’en 1980 plus de 30 000 rebelles avaient obtenu une amnistie du gouvernement et bénéficièrent, pour certains, de projets de développement. Ces anciens rebelles furent par ailleurs utilisés par Marcos dans sa guerre psychologique avec l’Organisation de la Conférence islamique qui reconnaissait, en 1977, le MNLF comme seul représentant des Moro, en lui accordant une place d’observateur au sein de l’organisation85. Perdant militairement sur le terrain mais politiquement renforcé, le Moro National Liberation Front organisa un groupe d’opérations spéciales en 1978. Ce groupe, sous la supervision du chef d’état-major du MNLF, Mel Ham Alam (Tausug de Zamboanga), se spécialisa entre autres, dans les enlèvements d’étrangers, au retentissement majeur dans les médias nationaux et surtout internationaux86. Ces activités politiques (les rançons étaient faibles à l’époque et les otages bien traités) visaient d’une part à démontrer au monde arabe qu’il fallait encore compter sur le MNLF sur place et d’autre part à embarrasser Marcos et ses alliés musulmans. Le groupe était dirigé par Alexander Marohombsar Lagawa, et ses activités d’enlèvements furent organisées par son cousin Allandoni Marohombsar (les Marohombsar sont une famille aristocratique de Ganassi, province de Lanao del Sur). Après la chute de Ferdinand Marcos en 1986, certains membres de ce groupe firent des enlèvements politiques un commerce sans but idéologique. Amnistié par l’administration Aquino (comme de nombreux autres commandants du MNLF), le groupe de Marohombsar vendit ses compétences à des politiciens en quête de financements électoraux, à des policiers corrompus ou bien travailla pour lui-même.
52Ainsi, le frère d’Allandoni Marohombsar, Faisal Marohombsar, devenu le chef de la sécurité de la MSU, Mindanao State University de Marawi City (sa sœur Emily était la présidente de l’université87) s’associa à la fin des années 1980 avec un ancien commandant du MNLF, Abogado Bago (alias commandant Mubarak, de la province de Maguindanao) et ils relancèrent les enlèvements88. En l’espace de quelques années, le groupe aurait kidnappé environ 76 personnes et amassé 100 millions de pesos (environ 4 millions de dollars). Si Mubarak fut tué en 1992, son cousin, Musa Ali (de la municipalité de Kabuntalan, province de Maguindanao) et Marohombsar poursuivirent leurs activités, ciblant particulièrement les hommes d’affaires sino-philippins de Cotabato. Musa Ali fut assassiné en 1999, après s’être rendu plusieurs fois à la police nationale et avoir même été un informateur de la Task Force anti-kidnappings de Cotabato. Mayangkang Saguile (cousin de Musa Ali), Faisal Marohombsar et Tahir Alonto (cousin d’Hashim Salamat, président du Moro Islamic Liberation Front, MILF) formèrent alors le redoutable groupe du Pentagone dont la base d’opérations est aujourd’hui encore située autour du marécage de Ligawasan (Maguindanao). Depuis sa création vers 2000, plus de 50 personnes ont été enlevées par ce groupe. Le Pentagone89, par ailleurs, rackette les compagnies de transport de la région, les plantations, etc. Le Pentagone est encore très actif malgré la mort présumée de son chef Tahir Alonto en 2003.
Les schismes du MNLF : des mouvements de guérilla « traditionnels »
53Si le Dr Mohammad Salih Loong avait très tôt dénoncé le comportement autoritaire de Nur Misuari, et s’était désolidarisé du Moro National Liberation Front, son ami Hashim Salamat, plus mesuré et plus patient, avait fait passer les objectifs de la révolution au-dessus des querelles de personnes. Cependant, à partir de 1976, Salamat, numéro 2 du mouvement en charge des affaires étrangères, ne cachait plus ses frustrations en privé. Il accusait Nur Misuari de noyauter le comité central du MNLF en y plaçant ses proches, tous des Tausug, au détriment des Maguindanao et des Maranao. Misuari était aussi accusé de contrôler, sans partage, le comité des finances du MNLF.
54Hashim Salamat projeta alors de prendre la place de Misuari et de réorganiser le MNLF, afin de rééquilibrer la représentativité des différents groupes ethniques et de démocratiser le système de prise de décisions en appliquant un modèle plus collégial. Dans ce coup d’État interne au MNLF, Salamat avait un soutien considérable chez les Maguindanao de Cotabato et les Maranao de Lanao, notamment chez les ouléma90, l’aristocratie locale et les commandants locaux. Les pères fondateurs de la révolution moro, Raschid Lucman et Salipada Pendatun, en exil en Arabie saoudite, voyaient dans ce coup la possibilité de reprendre le contrôle de la révolution91. Le projet fut cependant retardé par les négociations, fin 1976 à Tripoli, entre le gouvernement et le MNLF.
55C’est en décembre 1977 qu’Hashim Salamat annonça officiellement sa rupture avec Nur Misuari. Cette rupture se justifiait, en plus des arguments évoqués, selon Salamat, par le fait que : « Le leadership du MNLF s’éloigne des fondations, méthodologies, et objectifs de l’islam et se dirige très rapidement vers des orientations marxistes et maoïstes ». Salamat tenta alors de faire reconnaître son mouvement, le nouveau MNLF, auprès de l’Organisation de la Conférence islamique (OCI). Frustré par les refus systématiques de l’OCI (qui ne souhaitait reconnaître que le MNLF), Hashim Salamat rebaptisa en 1984 son organisation, Moro Islamic Liberation Front (MILF). La seconde rupture interne importante du MNLF intervint lorsque l’OCI tenta, à partir de 1979, d’unifier les différentes factions moro. Cette entreprise de médiation séduisit fortement Dimas Pundato, le vice-président du MNLF et cousin de Raschid Lucman. Pundato et ses partisans tentèrent alors de convaincre Nur Misuari de la nécessité de s’unir aux factions Lucman-Pendatun et Salamat. Misuari, croyant à un nouveau coup et persuadé d'être le seul à pouvoir diriger le MNLF, expulsa Pundato et ses partisans du MNLF. Pundato créa en 1983 le Moro National Liberation Front Reformist Movement et s’allia quelque temps avec son cousin Lucman avant de rejoindre le gouvernement de Cory Aquino en 1988.
Les nouveaux schismes du MNLF : mouvements radicaux ou banditisme ?
56L’arrivée au pouvoir de Cory Aquino, après la révolution pacifique d’Edsa en février 1986, avait relancé l’espoir d’un règlement du conflit avec le MNLF. Ninoy Aquino, le mari de Cory Aquino, avait promis, avant son assassinat en 1983, une véritable autonomie des régions musulmanes. Dès septembre 1986, le MNLF et le gouvernement déclarèrent un cessez-le-feu et engagèrent les négociations en 1987 en Arabie saoudite. Ces négociations aboutirent, en 1996, sous l’administration du président Fidel Ramos (1992-1998), à un accord de paix signé entre le gouvernement et le MNLF. Cependant, les éléments radicaux au sein du MNLF refusèrent toute négociation avec le gouvernement, considérant Nur Misuari comme un « pantin » de l’administration.
57Parmi ces éléments radicaux du Moro National Liberation Front, il faut nommer Abdurajak Janjalani, dont le mouvement Abu Sayyaf fut découvert par les Occidentaux lors de l’enlèvement de Sipadan en 2000. Abdurajak Janjalani naquit en 1963 dans le village de Tabuk (Isabela City, Basilan) d’un père tausug (Abubakar Janjalani) et d’une mère chrétienne ilonggo (Vilma Montano). La famille Janjalani est aisée, propriétaire de terres et de biens immobiliers à Basilan. Leurs six enfants font leurs études à l’école catholique des clarétains (Saint Antonio Maria Claret) dirigée par le père Angel Calvo. Mais, la vie d’Abdurajak bascula, lorsque, par l’intermédiaire de son oncle, l’enseignant Hussein Manatad, responsable de la mosquée de Tabuk, il obtint une bourse du gouvernement saoudien en 1981 pour étudier le droit islamique à l’université mecquoise d’Ummul-Qura. De retour à Basilan en 1984, imprégné de wahhabisme92, il enseigna et prêcha dans les mosquées et les écoles coraniques. Son charisme, ses sermons prônant le retour à un islam purifié et le jihad contre les chrétiens, séduisirent des membres du MNLF qui pensèrent que Janjalani prendrait un jour la tête du mouvement93. Cependant, dès 1986, le jeune homme charismatique commença à questionner ouvertement Nur Misuari et sa politique de rapprochement avec l’administration Aquino. Janjalani demandait l’arrêt des pourparlers de paix et l’indépendance totale de Mindanao. En 1987, il fut envoyé par le MNLF en Libye pour approfondir ses études islamiques. Ce fut durant ses trois années d’études à l’université islamique de Tripoli qu’il parvint à convaincre plusieurs de ses camarades de créer un nouveau groupe de moudjahidin.
Tableau 5 - Les mouvements séparatistes et autonomistes : Synthèse chronologique (1986-2011)
Dates | Événements |
Septembre 1986 | Cessez-le-feu entre le MNLF et le gouvernement de Cory Aquino |
1987 | Début des négociations entre le MNLF et le gouvernement en Arabie saoudite |
Novembre 1989 | Création de la Région autonome musulmane (ARMM) |
1990 | Création du groupe Abu Sayyaf par Abdulrajak Janjalani |
11 août 1991 | Premier attentat revendiqué par Abu Sayyaf contre le navire M/V Doulos au port de Zamboanga City |
2 septembre 1996 | Accord de paix entre le MNLF et le gouvernement Ramos |
23 avril 2000 | Prise d’otages de Sipadan par les Abu Sayyaf |
mars à juillet 2000 | Offensive militaire sur les camps du MILF. Le camp Abubakar, quartier général du MILF est pris par le gouvernement le 12 juillet 2000 |
Février 2003 | Offensive militaire contre le nouveau quartier général du MILF à Buliok (Pikit). Hashim Salamat, chef du MILF, meurt le 13 juillet |
5 août 2008 | Le MILF et le gouvernement Arroyo sont prêts à signer le mémorandum d’accords sur le territoire ancestral des Moro (MOA-AD) à Kuala Lumpur (Malaisie) |
Septembre 2008 | Le MOA-AD est rejeté par la Cour suprême des Philippines |
23 novembre 2009 | Massacre de Maguindanao |
2009-octobre 2011 | Les négociations entre le MILF et le gouvernement sont au point mort |
4 octobre 2011 | Le commandant Kato est exclu du MILF et crée une nouvelle organisation séparatiste : Le Bangsamoro Islamic Freedom Movement (BIFM) |
58Selon Abraham Iribani, membre du secrétariat du MNLF en charge des négociations de paix, basé à Tripoli à cette époque, la stratégie du jeune agitateur était de faire croire à ses camarades qu’ils avaient été envoyés en Libye par Misuari, sur la demande de Kadhafi, afin de combattre au Soudan94. Apparemment, la manipulation de Janjalani fonctionna si bien que les étudiants étaient au bord de la mutinerie95. De retour à Basilan en 1990, Janjalani fonda le Al-Harakatul al Islamiyah (AHAI ou le Mouvement islamique) avec ses deux frères Hector et Kadhafi, deux ustadz du Moro National Liberation Front, Wahab Muhammad Akbar et Bachir Jailini ainsi que le jeune Aldam Tilao alias Abu Sabaya96. Le groupe des fondateurs ne serait pas complet sans deux autres personnages. Le premier, Edwin Angeles, était le numéro 2 du mouvement, un ami proche d’Hector Janjalani, dont le père était un catholique originaire de Bulacan (Luzon) et sa mère, une Tausug de Jolo, et fortement suspecté par les analystes d’être un agent infiltré par l’armée97. Le second était un étudiant activiste, Abdul Asmad, chef des renseignements du groupe. Asmad était lié à Jamal Mohammad Khalifa, beau-frère d’Osama Bin Laden et président de la branche philippine de l’organisation caritative International Islamic Relief Organization d’Arabie saoudite (IIRO).
59La première action de l’émir Abdurajak Janjalani fut l’attentat revendiqué du navire M/V Doulos, amarré au port de Zamboanga City en 1991 (6 morts et 32 blessés). Ce navire était la propriété de missionnaires américains, membres du groupe protestant Born Again Christian. Ce fut à partir de cet attentat qu’Abdurajak signa ses revendications sous le nom de guerre Abu Sayyaf, du nom d’un fameux résistant afghan durant la guerre contre les Soviétiques (Abdul Rasul Sayyaf). Depuis, les médias et l’armée ont gardé ce surnom pour définir ce groupe. Selon les services de renseignements philippins, les unités appartenant à la mouvance Abu Sayyaf (implantée à Basilan et Sulu) auraient perpétré, entre 1991 et l’an 2000, 378 activités terroristes, comprenant attentats, embuscades et raids. Parallèlement, et durant cette même période, ces mêmes groupes auraient commis quelque 640 enlèvements impliquant un total de 2 076 victimes98. Ces statistiques doivent être prises avec précaution. Elles montrent toutefois que les enlèvements débutèrent dès la création du mouvement. En outre, si des organisations terroristes internationales, comme Al Qaida (via l’IIRO) ont pu, à certains moments, financer Abu Sayyaf, ces financements furent très largement insuffisants99. Ces statistiques montrent aussi la continuité de l’activité. L’idée selon laquelle les guerriers d’Abu Sayyaf passeraient par différentes phases, de moudjahidin (jusqu’à la mort de Janjalani en 1998), au banditisme (sous la direction de son frère Kadhafi Janjalani), puis au terrorisme (après le 11 septembre 2001) puis retourneraient au banditisme (à partir de l’année 2008), n’est pas fondée100. Ces activités criminelles (trafics de drogue, enlèvements) sont en fait menées de front avec des activités terroristes – à l’instar de la Jemaah Islamiyah101, en Indonésie, qui se finance en partie en attaquant des banques et des bijouteries.
60La difficulté d’établir une limite nette entre activités criminelles et activités terroristes peut être illustrée par l’enlèvement de Sipadan. Le 23 avril 2000, le groupe de Ghalib Andang alias commandant Robot prit en otage 22 personnes de 7 nationalités différentes. Utilisant habilement les médias internationaux, Abu Sabaya, le porte-parole du groupe, exigea la création d’un État islamique, la cessation des opérations militaires sur Basilan, l’instauration d’une commission chargée d’étudier la question des mauvais traitements infligés aux Philippins musulmans dans l’État de Sabah (Malaisie), l’exclusivité pour les Philippins musulmans de la mer de Sulu comme zone de pêche, etc. Ces revendications politiques, dignes d’un moudjahid, furent cependant très vite oubliées par les représentants du groupe, au profit des millions de dollars de rançon versés généreusement par la fondation Kadhafi (dirigée par Saif al-Islam, fils du colonel). Les raisons de cet enlèvement sont moins connues. Le groupe de Robot a-t-il voulu kidnapper des étrangers au nom du jihad international ? Les enquêtes menées par les services de renseignements malaisiens et philippins aboutirent à la conclusion que cet enlèvement avait d’abord été lié à des conflits d’affaires102. Selon le général Almonte, le groupe du commandant Robot avait envoyé un chargement, sans doute important, de méthamphétamines (crystal meth, ice ou shabu) à des clients de la police de Sabah. Apparemment, les policiers corrompus refusèrent de payer l’ensemble ou une partie de la marchandise et Robot organisa l’opération de Sipadan pour se venger. Les 8 otages malaisiens furent séparés des autres otages et Lee Peng Wee (alias Wee Peng Din), alors assistant du président Estrada pour les affaires économiques de Mindanao, fut chargé de négocier exclusivement pour eux. La rançon pour les otages malaisiens correspondait à la somme due par les policiers de Sabah avec sans doute un petit bonus. Lee Peng Wee était lui-même soupçonné d’être le principal importateur à Zamboanga des composants chimiques entrant dans la fabrication du shabu (certains de ces produits servent aussi au traitement des algues utilisées dans l’industrie agroalimentaire, principale activité économique de Sulu103). Dans cette querelle entre mafieux, les otages occidentaux et philippins étaient en quelque sorte la cerise sur le gâteau.
61Cependant, si pour certaines factions du groupe Abu Sayyaf, comme celle du groupe du commandant Robot, les activités criminelles semblent être une fin en soi104, ce serait une erreur que de définir les Abu Sayyaf comme un simple groupe de malfaiteurs. Si tel était le cas, comment pourrait-on expliquer qu’après plusieurs années d’assistance militaire américaine dans le cadre de « la guerre contre la terreur », ces hors-la-loi contrôlent encore plus de 160 barangay sur Basilan et Sulu en 2010 (sur un total de 665)105 ? Certes, l’assistance américaine a permis, notamment grâce aux drones, de capturer ou de tuer un certain nombre de chefs Abu Sayyaf, mais si l’estimation de 160 est proche de la réalité, cela indique un soutien local important. La difficulté majeure pour combattre ce mouvement est liée à son extrême décentralisation permettant à la trentaine de clans, tausug et yakan106, qui en composent le noyau dur, d’agir d’une manière totalement autonome sur leurs territoires respectifs107. Ainsi, si l’émir meurt, des querelles de succession peuvent avoir lieu (et ce fut le cas après la mort d’Abdurajak en 1998), mais les unités locales poursuivent leurs activités.
62La plupart des chefs d’Abu Sayyaf sont d’anciens commandants du Moro National Liberation Front mécontents de la position défendue par Misuari en faveur de l’autonomie. Les liens familiaux entre ces anciens commandants du MNLF et les commandants restés loyaux à Misuari, et donc alliés au gouvernement depuis 1996, sont encore très forts. Ainsi, par exemple, Radullan Sahiron était un commandant important du MNLF dans la région de Patikul (Sulu). Puis, convaincu par Abdurajak Janjalani, il devint un commandant Abu Sayyaf. En 1998, à la mort d’Abdurajak, Sahiron épousa sa veuve et prit les fonctions de chef d’état-major des Abu Sayyaf. En 2007, à la mort de Kadhafi Janjalani, il devint l’émir du mouvement. Or, depuis des années, l’une des filles de Sahiron était mariée avec Tahil Sali, l’adjoint du chef du MNLF à Sulu (MNLF Lupah Sug State Revolutionary Committee). C’est pourquoi, Tahil Sali, à plusieurs reprises, protégea son beau-père contre les offensives militaires gouvernementales.
63Dans le contexte de Sulu, et plus généralement des Philippines, la famille et le clan restent l’institution la plus importante. Un officier du renseignement peut ainsi dire que les liens entre les deux groupes « sont plus personnels qu’idéologiques. Ce sont des liens fraternels. Particulièrement à Sulu, bastion du MNLF, ils sont tous de la même famille, c’est un important facteur108 ». La logique des liens familiaux se prolonge dans l’ensemble de la société de Sulu. Ainsi, le commandant Albader Parad, qui s’était fait connaître en kidnappant en 2008 la journaliste philippine Ces Drilon et son équipe de la télévision ABS-CBN puis en janvier 2009 trois membres de la Croix-Rouge internationale, était le neveu du chef des renseignements de la police provinciale de Sulu, Muhilmi Ismula. Comme certains analystes l’ont souligné, Parad n’aurait probablement pas réussi cette opération sans ses liens familiaux109. Le nom d’Abu Sayyaf est ainsi, répète-t-on souvent à Sulu, une étiquette, imposée par des agents extérieurs, qui n’a aucun sens localement. On ne se dit pas membre d’Abu Sayyaf mais loyal à tel commandant (pour des raisons familiales généralement), lequel commandant peut être étiqueté Abu Sayyaf par l’armée.
64Lorsque la pression est importante (offensives militaires), des supporters de commandants Abu Sayyaf peuvent se transformer du jour au lendemain en membres du MNLF et ainsi devenir légitimes aux yeux de l’État. Cette mobilité entre le MNLF et les groupes se réclamant d’Abu Sayyaf explique en grande partie les fluctuations statistiques données par les militaires aux médias : d’environ 600 hommes au milieu des années 1990, les groupes Abu Sayyaf seraient passés à 1 270 hommes grâce aux rançons de Sipadan, puis furent estimés fin 2009 à environ 391 combattants110. Comment 391 combattants peuvent-ils contrôler 160 barangay (avec une moyenne de deux à trois combattants par village) ? Ce mystère n’a jamais été expliqué par les « experts » en terrorisme. L’armée ne donne pas les critères de ces chiffres et les médias ne les demandent jamais. Étant donné l’enchevêtrement clanique et familial entre les Abu Sayyaf et la société de Sulu, il semble parfaitement illusoire d’imaginer qu’un jour les Abu Sayyaf puissent disparaître, anéantis par la « guerre contre la terreur ». Ces groupes pourront changer de nom, mais les acteurs resteront. Peut-être qu’un jour, dans un futur plus ou moins proche, une administration philippine entamera des pourparlers de paix avec des chefs Abu Sayyaf plus raisonnables. L’administration qui prendra ce risque devra alors s’entourer de toutes les précautions nécessaires en matière de communication avec la population, les hommes politiques, les militaires et les autorités américaines. Mais pour l’instant, ce scénario de politique-fiction pourrait être interprété comme de la provocation. Certains sur place y songent pourtant.
65Le mouvement Abu Sayyaf s’est aussi dès le début associé à des balik islam fondamentalistes. Les balik islam ou « retours à l’islam » (terme désignant les Philippins convertis à l’islam) avancent l’idée que la religion dominante des Philippines avant la colonisation espagnole était l’islam. Le phénomène prit de l’ampleur lorsque, dans les années 1970, l’administration Marcos lança sa politique volontariste d’émigration notamment vers l’Arabie saoudite dont les besoins en main-d’œuvre étaient et sont encore considérables. Pour des raisons variées (allant de la stratégie d’embauche à la quête spirituelle) des expatriés philippins se convertirent à la religion mahométane de leur pays d’accueil111. Ces balik islam sont estimés à 220 000112.
66Si l’immense majorité d’entre eux sont de paisibles musulmans, tentant de vivre leur foi dans un pays majoritairement catholique, quelques fondamentalistes se sont alliés aux Abu Sayyaf. Ces alliances ne sont pas seulement idéologiques mais aussi matrimoniales. Ainsi, l’un des plus proches collaborateurs d’Abdurajak Janjalani était Juvenal Bruno (tué en 1999), un converti à l’islam de Cagayan de Oro City (Mindanao). Deux nièces de Bruno étaient mariées à deux chefs clefs du mouvement. La première, Zainad Lim Dungun, était mariée à Kadhafi Janjalani, frère d’Abdurajak. La seconde, Amina Lim Dungun, était l’une des femmes d’Abu Sulayman, porte-parole des Abu Sayyaf de 1998 jusqu’à sa mort en 2007113. Une troisième nièce, Lorraine Lim Dungon, était la femme d’Hilarion del Rosario Santos III alias Ahmed Santos, l’un des fondateurs en 2001 du Rajah Solaiman Mouvement (RSM) et de l’organisation Fi Sabibilillah. Cette organisation, basée sur une île au large de Pangasinan (Santos est d’une famille de riches propriétaires terriens de cette province) fit l’objet d’un raid en 2003 durant lequel la police découvrit un camp d’entraînement et une cache d’armes. En revanche, les membres du RSM se sont fait connaître par plusieurs attentats dont le plus meurtrier fut celui du Super Ferry 14, le 28 février 2004, qui tua 100 personnes114. Le poseur de la bombe, Redento Cain Dellosa, un balik islam, était un cousin des Janjalani par la branche maternelle des Montano d’Iloilo. Aux Philippines, et à Mindanao en particulier, comme le résume clairement un policier spécialiste du terrorisme : « Si vous faites un arbre généalogique des principaux chefs du mouvement radical islamiste, vous obtiendrez quelque chose comme une toile d’araignée étroitement tissée115 ».
4 - L’autonomie de la Bangsamoro en question
La Région autonome musulmane : une autonomie sous contrôle
67L’embargo pétrolier imposé, fin 1973, par le roi Faysal d’Arabie saoudite aux pays qui soutenaient Israël (dont les Philippines) d’une part, et le refus du gouvernement américain d’aider militairement l’administration Marcos dans sa lutte contre le MNLF d’autre part, furent deux facteurs décisifs qui poussèrent le président Marcos à entamer des négociations de paix avec Nur Misuari116, des négociations qui aboutirent à la signature du traité de Tripoli le 23 décembre 1976. Dans ce traité, il était décidé que le territoire de la nation moro, ou Bangsamoro, se composerait désormais de 13 provinces dont toutes les provinces de la région administrative IX (Basilan, Sulu, Tawi Tawi, Zamboanga del Sur, Zamboanga del Norte et toutes les villes) et de la région XII (Lanao del Norte, Lanao del Sur, Maguindanao, North Cotabato et Sultan Kudarat et les cities) ainsi que les provinces de Palawan, South Cotabato et Davao del Sur (carte 6).
68L’accord, très général, donnait le droit aux musulmans d’établir leurs propres cours de justice basées sur la sharia, leurs écoles et universités, leurs propres systèmes administratifs, économiques et financiers (banque islamique) et de créer une force spéciale de sécurité régionale (police). Si l’exploitation des minerais et autres ressources naturelles restait de la compétence du gouvernement central, un pourcentage raisonnable des revenus était accordé à la Région autonome. Cependant, le dernier article (article 16), imposé par Marcos, autorisait le gouvernement philippin à rendre opérationnel cet accord seulement dans le cadre de la Constitution et du processus constitutionnel. L’article 16 permettait ainsi au président Marcos d’interpréter librement l’application de l’accord. De fait, le 17 avril 1977, les habitants des 13 provinces étaient conviés à un référendum – une mesure qui allait à l’encontre de l’esprit de l’accord de Tripoli117. Les habitants des régions IX et XII devaient se prononcer sur l’unification de leurs deux régions afin de créer cette Région autonome unique demandée par l’accord de Tripoli. Les habitants des trois autres provinces furent interrogés sur leur volonté ou non de rejoindre cette nouvelle entité. Le choix de la population de répondre négativement à ces deux questions fut à l’origine de la création de deux régions dites autonomes (comprenant dix provinces) et du retour de la guerre avec le MNLF.
69Les gouverneurs des deux régions autonomes n’ayant aucun pouvoir de décision, ils ne pouvaient qu’entériner les plans de développement économique décidés par le président Marcos et son gouvernement.
70L’Autonomous Region in Muslim Mindanao (ARMM) fut créée en 1989 par l’administration Aquino et le Congrès (loi 6734118). Seules les quatre provinces majoritairement musulmanes de Lanao del Sur, Maguindanao (sauf Cotabato City), Sulu et Tawi Tawi, votèrent en faveur de leur autonomie à l’occasion du référendum de novembre 1989. Cette nouvelle entité, dont le territoire apparaît bien en deçà des conditions spécifiées par l’accord de Tripoli (13 provinces) et même des deux régions autonomes de Marcos (10 provinces), fut immédiatement boycottée par le Moro National Liberation Front. Il fallut attendre l’accord de paix signé le 2 septembre 1996 par le gouvernement Ramos et le MNLF pour que Nur Misuari acceptât de reconnaître l’ARMM et en devînt même le troisième gouverneur (1996-2001). L’accord de 1996 prévoyait, entre autres, l’expansion de l’ARMM et un renforcement de son autonomie dans le respect de la souveraineté nationale. Lors du référendum de 2001, seules la province de Basilan (sauf Isabela City) et Marawi City avaient opté pour leur intégration dans la Région autonome (voir carte 1). Le Congrès, de son côté, vota la loi 9054 censée intégrer tous les articles du traité de paix de 1996 et remplacer ainsi l’ancienne loi 6734. La plupart des analystes s’accordent sur l’échec de l’autonomie de la région : la dépendance financière vis-à-vis de l’État est sans doute la raison principale.
71Une étude de 2007 montre qu’entre 2001 et 2005, la région a reçu plus de 76 milliards de pesos (plus d’un milliard d’euros, sans compter l’aide internationale119). Cette somme substantielle est pourtant trompeuse puisque si 35 % (26,9 milliards de pesos) sont directement versés par l’État à la région pour ses besoins opérationnels annuels, 40 % (30,7 milliards de pesos) sont transférés directement aux collectivités locales de l’ARMM (provinces, municipalités, barangay) au titre de l’Internal Revenu Allotment (IRA). En effet, depuis la loi de décentralisation de 1991, l’État reverse sous cette forme d’IRA, à toutes les collectivités locales du pays, 40 % de ses revenus liés aux taxes et impôts collectés à l’échelle nationale. Ces 30 milliards de pesos échappent donc au contrôle du gouvernement régional autonome et ce dernier se retrouve donc dans la situation paradoxale d’être moins bien doté financièrement que les collectivités locales qui le composent. 16 % (13 milliards de pesos) du total proviennent de l’État pour financer ses départements dont les programmes concernent l’ARMM (agriculture, etc.) et 3,4 % (2,6 milliards de pesos) sont versés aux députés de l’ARMM, sous la forme des fonds d’intervention parlementaires (pork barrels120). Enfin, la région a reçu de l’État, durant cette période, 1,3 milliard de pesos (1,7 %) au titre des travaux publics et 1,8 milliards de pesos (2,3 %) au titre des taxes prélevées par l’État dans l’ARMM. Le produit de ces taxes a en effet été redistribué, sur le même principe que l’IRA, aux collectivités locales de l’ARMM (35 %), à la Région autonome (35 %), l’État gardant la différence (30 %). Au total donc, l’État contrôle toujours 99,96 % des flux financiers de l’ARMM (hors aide internationale) et la région ne dispose dans les faits réellement que de 39 % de ces flux ; le 0,04 % (32 millions de pesos) restant correspond aux ressources propres de l’ARMM composées de taxes sur les véhicules et autres droits à payer.
72En outre, 84 % du budget servent à payer les salaires des milliers de fonctionnaires, contractuels et consultants En l’an 2000, par exemple, l’Autonomous Region of Muslim Mindanao n’employait pas moins de 19 000 personnes et représentait de la sorte la première administration des Philippines, dépassant de loin toutes les administrations nationales121. Il ne reste donc qu’une part très faible (15 %) pour la maintenance des opérations (voyages officiels, fournitures de bureau, etc.) et surtout pour les investissements dans la région (1 %122). Ainsi, en 20 ans d’existence, la Région autonome s’est transformée en une agence de l’emploi (principal employeur de l’ARMM) mais n’a pas pu améliorer la situation de la population locale qui reste l’une des plus pauvres des Philippines. La région est devenue la « vache à lait » des clans au pouvoir, y compris du MNLF quand il l’exerça (gouverneur Nur Misuari 1996-2001 ; gouverneur Parouk Hussin 2001-2005). Le népotisme domine et les gouverneurs et leurs collègues ont mis au point de nombreuses stratégies pour détourner l’argent public. Le gouverneur Zaldy Ampatuan (2005-2009) et son père, Andal Ampatuan (gouverneur de la province de Maguindanao jusqu’en 2009) ont, par exemple, développé le système de downloading (téléchargement), un système qui existait déjà avant eux. Le downloading consiste pour l’ARMM, après avoir pris connaissance d’un projet étatique, à envoyer un intermédiaire auprès du haut fonctionnaire en charge du dossier et à négocier les « commissions » entre trois acteurs : fonctionnaire, intermédiaire et gouverneur. Les projets les plus lucratifs sont ceux des départements des travaux publics et de l’agriculture. Après ces tractations, il ne reste généralement que 40 % des fonds disponibles pour le projet. Depuis le massacre de Maguindanao du mois de novembre 2009 perpétré par les Ampatuan, une enquête est menée par le comité de l’audit (COA) pour savoir si la pratique du downloading a bien, avec le trafic de shabu notamment, été l’une des sources principales d’enrichissement du clan Ampatuan.
73L’Autonomous Region of Muslim Mindanao est aujourd’hui totalement sous le contrôle de l’État et le peu de financement qui reste sous l’autorité de la région est détourné par les politiciens qui la gouvernent. Cette autonomie restreinte frustre tous les acteurs de la vie économique et politique de la région, renforçant les stéréotypes sur les Moro : ces derniers seraient incompétents pour gérer eux mêmes leurs propres affaires. Cet échec nécessite de repenser l’autonomie, sa définition et sa représentation. Les pourparlers de paix entre le gouvernement et le Moro Islamic Liberation Front ont ouvert la possibilité d’une nouvelle forme d’autonomie, la Bangsamoro Juridical Entity (BJE).
La région Bangsamoro Juridical Entity (BJE)
74Dix années de négociations entre le MILF et le gouvernement philippin (1997-2007), entrecoupées par deux offensives militaires majeures (2000 et 2003), se sont soldées par un document clef, le Memorandum of Agreement on the Ancestral Domain (MOA-AD) du 5 août 2008. La nouvelle région autonome, la Bangsamoro Juridical Entity (BJE), se définissait jusqu’alors par son territoire terrestre et maritime. Le territoire terrestre se composait du noyau dur formé par l’actuelle Autonomous Region of Muslim Mindanao ainsi que de six municipalités de Lanao del Norte ayant opté, au référendum de 2001, de rejoindre la région autonome. À cela s’ajoutait 2 196 barangay (villages) contigus de l’ARMM. Ces barangay étaient divisés en deux catégories. Dans la catégorie A (737 villages), les habitants pouvaient se prononcer en faveur de leur intégration à la BJE, lors d’un référendum organisé dans l’année qui devait suivre l’accord final entre les deux parties. Les habitants des barangay de la catégorie B (1 459 villages) pouvaient s’exprimer en faveur de leur rattachement à la BJE après au moins 25 ans d’intenses programmes de développement réalisés par l’État. Dans les deux cas, les référendums devaient être supervisés par les Nations unies. À ce territoire terrestre, dont la superficie dépendait des résultats des deux référendums, s’ajoutait le territoire maritime de la BJE. Ce territoire maritime suivait les principes internationaux du droit de la mer (UNCLOS), reconnaissant à la BJE le droit d’établir une zone maritime interne s’étendant jusqu’à 15 kilomètres de ses côtes et une zone maritime territoriale s’étendant au-delà des 15 kilomètres jusqu’aux baselines (ou lignes de base, délimitant la mer territoriale d’un État) de l’archipel123.
75Le document du 5 août 2008 définissait un nouveau principe de souveraineté partagée entre la BJE et l’État philippin. La BJE obtenait le contrôle de l’exploration, exploitation et production de toutes les ressources naturelles se trouvant sur son territoire terrestre et maritime. Concernant d’éventuelles découvertes de gaz et de pétrole, il était entendu que la BJE et l’État se partageraient les revenus selon la règle 75/25 en faveur de la BJE. Ainsi, contrairement à l’Autonomous Region of Muslim Mindanao, la BJE réussit à obtenir le contrôle de l’ensemble des ressources naturelles y compris les ressources stratégiques comme les hydrocarbures, les fleuves, les lacs, toutes les sources potentielles d’énergie et l’octroi et la révocation des concessions forestières, etc. L’ARMM n’avait aucun contrôle sur ces ressources stratégiques. Les représentants de la BJE avaient l’autorisation d’ouvrir des missions commerciales situées dans des pays étrangers amis des Philippines, et pouvaient dorénavant participer à des conférences internationales dont les thèmes étaient liés au territoire de la BJE. Enfin, il revenait également à cette dernière de mettre en place ses propres institutions politiques, économiques et financières, judiciaires, sa police et sa force de sécurité interne, etc.
76L’administration Macapagal et le MILF, qui firent tous deux preuve d’une grande ouverture d’esprit (le MILF reconnaissait la souveraineté des Philippines, et l’administration acceptait de réfléchir au-delà de la Constitution), avaient jugé nécessaire de garder secret ce document avant la signature finale le 5 août 2008 à Kuala Lumpur (Malaisie). À la faveur d’une fuite, le texte fut finalement divulgué par les médias trois jours avant la signature, provoquant de nombreuses protestations. Au premier rang de ses opposants, il y avait les politiciens des provinces les plus affectées par le MOA-AD (voir carte 7), mais aussi l’opposition à l’administration Macapagal qui la soupçonnait de vouloir utiliser le MOA-AD pour manipuler la Constitution et rester au pouvoir. Face à ces protestations variées, le MOA-AD fut finalement temporairement enterré par une décision de la cour suprême saisie par les opposants. Les magistrats reconnaissaient la nécessité de trouver une formule qui pût régler le conflit dans le sud du pays, mais notaient que le principe de souveraineté partagée, reconnaissant officiellement un statut autonome dans l’État (pouvant peut-être un jour conduire à l’indépendance), n’était pas possible dans l’actuelle Constitution des Philippines. La cour suprême ne fermait donc pas les portes au principe même, mais il fallait d’abord amender la Constitution et non l’inverse.
77Si ce texte fut donc momentanément rejeté par les hauts magistrats, il n’en demeure pas moins qu’il deviendra la référence de toutes les négociations à l’avenir.
78Il est difficile d’imaginer que le MILF puisse accepter moins que ce que le MOA-AD proposait. La balle est donc dans le camp du gouvernement Aquino ou de ses successeurs pour ouvrir le dossier épineux de la révision de la Constitution et instaurer un système fédéral124. Les deux parties se doivent aussi de réaliser un dialogue sérieux avec les habitants chrétiens, musulmans et les animistes (Lumad) potentiellement affectés par un accord de paix125. Ce manque de dialogue fut à l’origine du retour à la guerre entre août et décembre 2008. De leur côté, le MILF et le MNLF doivent impérativement s’unifier, car à terme, l’Autonomous Region of Muslim Mindanao doit disparaître, remplacée par la BJE ou une structure équivalente. Or, l’ironie est que Nur Misuari et le MNLF ont critiqué le projet de la BJE, considérant que le gouvernement devait d’abord honorer ses engagements liés à l’accord de paix de 1996. Misuari considérait, semble-t-il, la BJE plus comme une structure rivale de l’ARMM que comme un aboutissement des 40 ans de lutte moro commencée par son mouvement et terminée par le MILF.
Les Lumad : les grands oubliés ?
79En préambule du MOA-AD, les parties définissaient le peuple de la Bangsamoro comme étant composé non seulement de Moro mais aussi de tous les peuples indigènes habitant l’île de Mindanao, l’archipel de Sulu et Palawan au moment de la colonisation. Ainsi, les peuples indigènes non islamisés de Mindanao (Lumad) se voyaient imposer une nouvelle identité, sans même avoir été consultés. Plus inquiétant encore, le document reconnaissait que le droit de gouvernement du peuple de la Bangsamoro dérivait de l’autorité suzeraine des anciens sultanats musulmans, ces derniers ayant eu des territoires bien définis, des institutions politiques, des relations diplomatiques et commerciales, etc. comme les États modernes. Ce document ne faisait donc aucune référence aux institutions des Lumad, ni même à leurs territoires. Or, les quelque 110 groupes ethnolinguistiques au niveau national (dont les Lumad de Mindanao), qualifiés de minorités culturelles ou populations montagnardes (Hill tribes) ou peuples indigènes non musulmans, ont à leur disposition, depuis 1997, un outil législatif leur permettant de faire reconnaître leurs territoires ancestraux. Cette loi, l’Indigenous People Rights Act (IPRA), permet à ceux qui en font la demande, après une longue procédure complexe supervisée par la National Commission of Indigenous Peoples (NCIP), de recevoir un Certificate of Ancestral Domain Titles (CADT). Les titulaires d’un CADT, via un Conseil des anciens, peuvent contrôler, théoriquement, les ressources naturelles de leurs territoires, réguler l’entrée des migrants ou refuser des projets d’exploitation minière ou forestière entre autres exemples (selon le principe du Free and Prior Informed Consent ou accord réalisé librement et en toute connaissance de cause126). Autour de 3 millions d’hectares ont ainsi été délimités en CADT depuis 1997, profitant à plus d’un demi-million d’habitants au niveau national.
80Les Lumad, affectés au plus haut point par le MOA-AD, ont donc protesté. Plus de 200 chefs (sur environ 500 recensés à Mindanao) se sont réunis à Cagayan de Oro à la fin du mois d’août 2008. Dans leur déclaration officielle, ils reconnaissaient le droit des Moro à l’autodétermination mais revendiquaient une identité séparée de la Bangsamoro127. En affirmant que Mindanao n’appartient pas qu’aux Moro, les timuay (chefs traditionnels) demandaient au gouvernement d’accélérer le processus de délimitation de leurs domaines ancestraux (pour les exclure de la future entité musulmane). Ils demandaient aussi à être réellement représentés dans les prochaines négociations. Cependant, tous les chefs traditionnels ne partageaient pas le même point de vue. Le terme Lumad est bien pratique car il regroupe 18 groupes ethniques de Mindanao et donne l’impression d’une unité (comme pour les Moro d’ailleurs) qui n’existe pas en réalité. Les chefs traditionnels sont divisés, non seulement sur les plans linguistique, culturel mais aussi clanique et idéologique. Leurs territoires sont convoités non seulement par l’État, les compagnies minières et forestières mais aussi par les forces révolutionnaires de la National People’s Army (NPA, bras armé du parti communiste). Les chefs appartenant à des ONG proches du parti communiste, comme l’organisation Kalumaran, soutenaient le projet car ils y voyaient la possibilité de l’autodétermination des Lumad au sein de la BJE. Bref, les chefs tribaux sont divisés et il n’existe pas de porte-parole des Lumad, mais de multiples voix estimant parler en leur nom.
81Les autorités musulmanes, tant intellectuelles que politiques, argumentent que dans un passé préislamique, les populations tribales et les populations musulmanes de Mindanao ne formaient qu’un peuple. L’arrivée de Shariff Kabunsuan (vers 1515) et le début de l’islamisation des populations de Cotabato créèrent la fracture historique entre les deux peuples. Un chef local, Tabunaway, accepta l’islam et devint le descendant des Maguindanao. Son frère, Mamalu, à l’inverse, refusa la conversion, s’enfuit dans les montagnes et devint le descendant des populations animistes teduray et manobo. Non sans un certain aplomb, Mohagher Iqbal (alias Salah Jubair), chef de l’équipe des négociateurs du MILF, expliquait que le destin avait permis aux Moro de devenir « les grands frères » des peuples indigènes, ces derniers étant « les petits frères » ou protégés. Les Moro, ayant adopté l’islam, permettraient la naissance d’une civilisation et d’institutions inégalées dans l’ensemble des Philippines. De leur côté, les groupes tribaux, s’étant attachés à leurs terres, coutumes et croyances ancestrales, avaient donc besoin du bras protecteur du grand frère. De plus, protégés et protecteurs avaient passé, au cours du temps, des accords de paix appelés localement Tampuda hu Balagen, Diyandi, Pakang, Sapa, etc.128. Bref, les protégés devaient suivre leurs grands frères, et ne pas renier les accords conclus par leurs ancêtres.
82Cette belle histoire, racontée régulièrement dans les forums consacrés au processus de paix, est silencieuse sur certains aspects de l’histoire des relations entre les protégés et les protecteurs. La principale omission concerne, bien sûr, les raids effectués dans les villages des « protégés » par les « protecteurs » des sultanats de Maguindanao et Buayan, dans le but de capturer des esclaves, à partir de la deuxième moitié du XIXe siècle. Ce contentieux entre les deux groupes n’est pas si lointain. Comme le notait Rudy B. Rodil, un spécialiste des Lumad et, ironiquement, un membre de l’équipe des négociateurs du MOA-AD du côté du gouvernement, le folklore des Teduray et Manobo considère les Moro comme leurs véritables ennemis129. Le père Albert Alejo, spécialiste des Lumad à l’université d’Ateneo de Davao, confirme la difficulté de faire asseoir à une même table des Lumad et des Moro pour discuter des questions de paix et de territoires ancestraux, tant la mémoire collective des premiers est encore douloureuse130.
83Les territoires des Lumad sont l’objet d’un enjeu considérable qui n’a pas échappé au MILF. Mohagher Iqbal lui-même, dans son ouvrage, décrit les territoires des « protégés » comme la dernière frontière contenant la plupart des richesses naturelles du pays, suscitant l’envie131. Bien sûr, il accuse le gouvernement de vouloir manipuler les minorités culturelles afin d’accaparer leurs ressources. L’accusation peut, cependant, être renvoyée au MILF, qui sans ces territoires n’aura juridiction que sur des espaces maritimes restreints et des espaces terrestres peu pourvus en matières premières. L’exploration pétrolière n’en est qu’à ses débuts dans la mer de Sulu et, dans la région du marécage de Ligawasan (province de Maguindanao132), a été arrêtée en l’an 2000, pour des raisons de sécurité. Depuis 2009-2011, les représentants du MILF font une offensive de charme à destination des Lumad, leur promettant de régler leurs problèmes dès que la Bangsamoro obtiendra son autonomie. Comme l’expliquait, en 2006, Abhoud Syed Lingga, directeur de l’Institute of Bangsamoro Studies et membre du MILF : « Le MILF n’a aucune revendication sur les territoires ancestraux des Lumad, mais nous n’aurons qu’une autorité politique sur ceux-ci133 ». Les Lumad doivent donc rester des protégés (sakop en maguindanao qui peut aussi se traduire par « vassal ») sous la suzeraineté des Moro... Le MOA-AD a donc ravivé une mémoire collective encore émotionnellement forte.
Conclusion
84Les migrations massives spontanées d’après-guerre sur Mindanao coïncidèrent avec le développement d’un islam militant, s’alimentant de courants islamiques et marxistes maoïstes, favorisé par les échanges internationaux avec le Moyen-Orient et le développement de bourses d’études à Manille. Les élites traditionnelles furent essentielles dans la formation des organisations révolutionnaires. Les jeunes radicaux autour de Misuari fondèrent leur propre structure clandestine au sein même du Bangsa Moro Liberation Front. Si les schismes et les cooptations du mouvement révolutionnaire moro purent, à court terme, réduire la dynamique de violence sur le terrain, ils contribuèrent aussi à rendre plus complexes les solutions de paix. Le Moro National Liberation Front s’était rangé du côté du gouvernement en 1996 mais ce dernier ne pouvait pas répondre à toutes ses demandes sous peine de ne plus rien avoir à négocier avec l’organisation rivale, le Moro Islamic Liberation Front134. L’Organisation de la conférence islamique tente, depuis la fin des années 1970, de pousser les deux mouvements à s’unifier, mais sans résultat concret. Par ailleurs, ces schismes et ces cooptations générèrent l’apparition de mouvements violents, qualifiés de terroristes, mais en marge, aussi, de la grande criminalité. Ces groupes se réclamant de l’obédience séparatiste Abu Sayyaf se satisferont-ils des résultats obtenus par un éventuel accord entre le Moro Islamic Liberation Front et le gouvernement ? Ou bien garderont-ils leur volonté séparatiste ? Une chose est certaine, évidente, mais trop souvent oubliée, les accords de paix ne pourront aboutir sans un dialogue constant avec les populations concernées par les projets. S’il est normal de garder confidentielles les discussions entre les négociateurs, il est aussi nécessaire, au bout d’un certain temps, de communiquer, non pas seulement avec les intellectuels des universités, mais aussi avec les simples tao (gens) dont la vie quotidienne pourrait être radicalement transformée. La communication ne règle pas tout mais peut éviter de se retrouver dans une impasse.
Notes de bas de page
3 Le missionnaire arabe Abu Bakr fut le fondateur du sultanat de Sulu. Les sultans de Sulu descendraient de lui. Voir Cesar A. Majul, Muslims in the Philippines, University of the Philippines Press, Quezon City, 1999 [3e edition], p. 12.
4 Un troisième sultanat mineur, le sultanat de Kabuntalan, apparut à la fin du XVIIIe siècle. Situé à Kabuntalan (actuelle ville de Tumbao), ce sultanat joua le rôle d’espace tampon entre les deux principaux sultanats souvent en conflit. Les familles aristocratiques de ces trois sultanats revendiquent, dans leurs tarsila (généalogie), un ancêtre commun : Sharif Muhammad Kabungsuwan. Ce dernier, issu de la dynastie royale de Johore, serait arrivé avec ses hommes vers 1515 à Malabang (actuelle municipalité de la province de Lanao del Sur) et introduisit à grande échelle l’islam dans l’ouest de Mindanao. En se mariant avec des filles de chefs locaux, Kabungsuwan obtenait la double légitimité religieuse et politique. Ainsi, les familles dirigeant le sultanat de Maguindanao seraient les descendants directs du Sharif et de sa femme Angintabo (fille d’un chef de Malabang). Du mariage de Potri Mahmor (fille de Kabungsuwan et de sa première épouse, Potri Tonina) naquit la dynastie du sultanat de Buayan. Les familles régnantes des trois sultanats sont donc très liées et de nombreux conflits de succession ont eu lieu à travers l’histoire.
5 Les Samal vivent dans l’archipel de Sulu, notamment sur l’île de Tawi-Tawi mais aussi le long des côtes de Zamboanga et de Sabah. Les Samal, de nos jours, pratiquent la pêche et la plongée (les Tausug sont des agriculteurs et des commerçants). L’un des groupes Samal, les Badjao, sont des nomades de la mer, vivant sur leurs navires.
6 La garnison de Marawi fut érigée en 1895, trois ans avant le départ des Espagnols.
7 Par le traité de juillet 1878, le sultan de Sulu Jamalul Alam (1862-1881) renonçait à sa souveraineté sur l’archipel et laissait la politique étrangère aux Espagnols, mais en échange, il gardait le contrôle de l’administration interne du sultanat (dont le combat contre la piraterie), et le gouvernement espagnol s’engageait à ne pas interférer dans les coutumes, lois et religion des Tausug. Le sultanat de Sulu était considéré comme un protectorat et non une colonie. Cet état de fait ne fut reconnu par les autres puissances coloniales, Grande-Bretagne et Allemagne qu’en 1885. Par le protocole de 1885, la Grande-Bretagne et l’Allemagne reconnaissaient la souveraineté des Espagnols sur Sulu. En échange, l’Espagne renonçait à toute revendication sur le Nord de Bornéo (Sabah). Ce dernier territoire avait été cédé (ou loué) par le sultan Jamalul Alam à la British North Borneo Company en janvier 1878.
8 Les opérations militaires se poursuivirent jusqu’en 1913 sur Sulu et Cotabato et jusque dans les années 1930 chez les Maranao.
9 Un individu reçoit le titre de datu (prince, dérivé du mot malais datuk ou dato ; bai ou princesse pour les femmes) soit par hérédité s’il appartient à l’une des familles aristocratiques des sultanats soit par acquisition, l’individu ayant montré des qualités personnelles exceptionnelles. Aujourd’hui, ce titre de noblesse peut être « acheté » par un individu qui a une ambition politique par exemple ou qui recherche simplement le prestige conféré par ce titre.
10 Ces tribus non chrétiennes et non musulmanes mais autochtones au nombre d’environ 18 à Mindanao étaient appelées tribus païennes par les Américains et considérées comme encore plus archaïques que les Moro. De nos jours, ces groupes ethniques sont rassemblés sous le terme générique de Lumad.
11 Rudy B. Rodil, « Ancestral Domain: a central issue in the Lumad struggle for self determination in Mindanao », in Turner, Mark et alii, Mindanao: Land of Unfulfilled Promise, New Day Publishers, Quezon City, 1992, p. 236-237.
12 L’Armée du peuple contre les Japonais (Hukbong Bayan Laban sa mga Hapon, ou Huk) fut formée en 1942 dans la plaine centrale de Luzon (provinces de Tarlac, Pampanga, Nueva Ecija) pour lutter contre l’occupation japonaise. Bras armé du parti communiste philippin (obédience marxiste), les Huk, dirigés par Luis Taruc, entrent en dissidence contre l’État central de 1946 à 1954. À partir des années 1970, le nouveau parti communiste (obédience maoïste) dirigé par Jose Maria Sison, prend la succession des Huk.
13 Frederick L. Wernstedt, Joseph Earle Spencer, The Philippine Island World: a Physical, Cultural and Regional Geography, University of California Press, Berkeley, 1967, p. 550.
14 Patricio N. Abinales, Making Mindanao, Ateneo de Manila University Press, Quezon City, 2000, p. 99.
15 R. B. Rodil, 1992, op. cit., p 239-240.
16 La province de Lanao del Sur fut séparée de Lanao del Norte en 1959.
17 . Thomas M. Mckenna, Muslim Rulers and Rebels, Anvil Publishing Inc, Manille, 2002, p. 116-177.
18 Au-delà de Kabacan, les populations sont manobo ou mixtes manobo-maguindanao comme à Carmen.
19 Les Ilocano viennent des provinces Ilocos de Luzon. Les Ilonggo sont originaires de l’île de Panay dans les Visayas. Le principal datu de Kabacan, datu Mantawil, avait la réputation d’accueillir à bras ouverts les migrants afin que ceux-ci développent les terres sous sa juridiction. Entretien avec le professeur Maniaga Mantawil, Kabacan, 10 mai 2009.
20 Entretien avec le professeur Maniaga Mantawil, Kabacan, 10 mai 2009.
21 Hadji Nuno était un chef des Samal-balangingi, un groupe ethnique qui vivait sur l’île de Balangingi située au nord de l’île de Sulu. Les Balangingi terrorisaient les habitants des Visayas au XIXe siècle, organisant de vastes opérations de razzias. En 1848, les forteresses des Balangingi furent rasées par une expédition espagnole et la population de l’île fut déportée dans la province d’Isabela (nord de Luzon). Hadji Nuno fut cependant autorisé à rentrer à Mindanao à la fin du XIXe siècle.
22 Michael Ong Mastura, The rulers of Magindanao in Modern History (1515-1903), Research Project no 5, Philippine Social Science Council, Modern Philippine History Program, Pasay City, janvier 1979, p. 193.
23 Samuel K. Tan, The Filipino Muslim Armed Struggle (1900-1972), Filipinas Foundation Inc, Metro Manila, 1977, p. 189.
24 Nasser A. Marohomsalic, Aristocrats of the Malay Race: A History of the Bangsa Moro in the Philippines, VJ Graphics Arts Inc, Makati City, 2001, p. 148.
25 Marohomsalic, 2001, ibid., p. 149.
26 À l’origine, cette association, appelée Society of the Indian Muslim, fut créée en 1926 par des Indiens du Pendjab résidant à Manille. Elle fut renommée Muslim Association of the Philippines en 1934. Dissoute durant la Seconde Guerre mondiale, l’association fut réactivée en 1949. Voir Akiko Watanabe, Migrations and Mosques: The Evolution and Transformation of Muslim Communities in Manila the Philippines, Working Papers Series no 37, Afrasian Center for Peace and Development Studies, Ryukoku University, Otsu, 2008, p. 7.
27 Parmi les réalisations de la MAP il faut noter la fondation de l’Islamic Center de Quiapo en 1964 et la création du village musulman de Maharlika à Taguig (près de Manille), les deux principaux centres de l’islam à Manille.
28 Ahmad Domocao Alonto (1914-2002), sénateur de 1955 à 1961, était le fils d’Ayaula Alonto, sultan de Ramain Ditsaan (Lanao del Sur) lui-même sénateur en 1941.
29 Marohomsalic, 2001, op. cit., p. 150-157 et Norodin Alonto Lucman, Moro Archives: A History of Armed Conflicts in Mindanao and East Asia, FLC Press Inc, Quezon City, 2000, p. 301.
30 De 1946 à 1955, le hadji Kamlon organisa une rébellion dans la municipalité de Luuk (Sulu). Cette rébellion avait ses origines dans la Seconde Guerre mondiale. Ce conflit concernait au départ des clans musulmans. L’intervention militaire et la politique nationale envenimèrent la situation, transformant un conflit local en une catastrophe nationale. Il en alla de même de la rébellion du datu Tawan Tawan dans la province de Lanao del Norte (1947-1950).
31 Leothiny S Clavel, They are also Filipinos: Ten Years with the Cultural Minorities, Bureau of Printing, Manille, 1969, p. 19-20.
32 Les députés impliqués personnellement dans l’exploitation forestière et minière ou proches de ces lobbies, bloquaient toute augmentation du budget (la loi autorisait un budget de 5 millions de pesos).
33 La plupart des commissaires de la CNI furent eux aussi musulmans : Makdi Alonto (frère du sénateur Alonto) entre 1957 et 1959, Lugum Uka (Sulu) entre 1959 et 1961, Gabriel Dunuan (Kalinga, Luzon) entre 1962 et 1965, Mamintal Tamano (Lanao del Sur) entre 1965 et 1970, Mama Sinsuat (Maguindanao) entre 1970 et 1975.
34 Macapanton Y Abbas Jr, « Is a Bangsa Moro State within a Federation the Solution? », Ateneo Law Journal, vol. 48 (290), Quezon City, 2003, p. 316-317.
35 Abbas Jr, 2003, ibid., p. 317.
36 L’idée de prendre par la force Sabah remontait au début des années 1950 lorsque le commodore Alcaraz conseillait au ministre de la Défense Ramon Magsaysay (futur président, 1953-1957) d’envoyer des commandos sur Sabah et d’en prendre le contrôle. Magsaysay oubliera le projet une fois président. Voir Ernesto O. Rodriguez, Commodore Alcaraz, First Victim of President Marcos, Vantage Press, New York, 1986, p. 177-178.
37 Les recrues qui n’avaient pas participé à la mutinerie (la majorité) furent évacuées de Corregidor avant le massacre et continuèrent leur formation dans des camps des forces spéciales sur Luzon. Au début des années 1970, elles furent envoyées en première ligne dans les provinces de Cagayan et Isabela (Luzon) pour combattre la National People’s Army (NPA, bras armé du parti communiste philippin).
38 Norodin Lucman, 2000, op. cit., p. 303. Cet auteur, utilisant les archives de son père, Raschid Lucman, ne donne pas de date précise pour cette réunion si ce n’est qu’elle s’est déroulée au début de l’année 1968. Nous n’avons pas pu établir sa date, mais nos informateurs à Cotabato, nous ont expliqué que cette réunion déclencha la création du Muslim Independance Movement de l’ancien gouverneur Matalam le 1er mai 1968. Raschid Lucman était très occupé par l’enquête de Jabidah mais durant la semaine sainte les travaux parlementaires s’arrêtèrent. Donc cette réunion dut probablement se dérouler entre le 8 avril et le 15 avril 1968.
39 MIM documents no 1, « Manifesto », in Alunan C. Glang, Muslim Secession or Integration?, R.P. Garcia Publishing Co, Quezon City, 1969, p. 103.
40 MIM document no 1-A, « Constitution and by laws of the Muslim Independence Movement of the Philippines », in Alunan Glang, Quezon City, 1969, p. 107.
41 Khalid Al Walid, Pag Jihad sin Bangsamoro Ha Babaan sin MNLF [Le jihad du Bangsamoro sous la présidence du MNLF], document du MNLF non publié, cité par Abraham Iribani, GRP-MNLF Peace Talks 1992-1996, Thesis, National Defense College of the Philippines, no 1336, Quezon City, 2000, p. 100.
42 Marohomsalic, 2001, op. cit., p. 166.
43 Un audit réalisé en 1962 montre que les standards de sélection sont flous et qu’il est nécessaire d’avoir de bonnes relations politiques pour obtenir une bourse. Voir Clavel, op. cit., 1969, p. 27-28.
44 Solomon Kane, La Croix et le Kriss : violences et rancœurs entre les chrétiens et musulmans dans le Sud des Philippines, Irasec-Les Indes savantes, Bangkok-Paris, 2006, p. 57.
45 T.J.S. George, Revolt in Mindanao, Oxford University, Londres, 1980, p. 197. Jose Maria Sison devient le fondateur et dirige le parti communiste philippin depuis 1967.
46 George, 1980, ibid., p. 199.
47 Abbas Jr, 2003, op. cit., p. 317. L’UIFO est une fédération des organisations musulmanes nationales sous la présidence du député Raschid Lucman.
48 Conversations avec des membres de la famille d’Hashim Salamat, à Cotabato, le 26 juillet 2007.
49 Kane, 2006, op. cit., p. 66.
50 Conversations avec des membres de la famille d’Hashim Salamat, à Cotabato, le 26 juillet 2007.
51 Rebaptisé dans les années 1970 la Bangsa Moro Liberation Organization (BMLO). Le BMLF avait été conçu comme une organisation parapluie visant à unifier tous les groupes musulmans ayant des objectifs séparatistes.
52 Lucman, 2000, op. cit., p. 304.
53 L’organisation Ansar El Islam fut créée par le sénateur Alonto en 1969 afin de réformer la population de Lanao del Sur selon le Coran.
54 Marohomsalic, 2001, op. cit., p. 169.
55 Lucman, 2000, op. cit., p. 161.
56 Salah Jubair, Bangsamoro: A Nation under endless Tyranny, IQ Marin, Kuala Lumpur, 1999, p. 141.
57 Ce conflit violent (103 personnes tuées et 36 blessées entre juillet et novembre 1970) opposa dans un premier temps de petits propriétaires fonciers ilonggo dirigés par Feliciano Luces alias « kumander Toothpick » et leurs alliés de l’ethnie Teduray contre la famille des Sinsuat (puissant clan maguindanao dirigeant la ville de Upi), pour des raisons foncières et personnelles (la famille de Luces fut massacrée par les Sinsuat en mars 1970). À partir de 1971, le conflit prit une tournure politique. En effet, Manuel Tronco, un ancien gendarme, ami des Luces se porta candidat aux élections municipales (parti libéral) contre les Sinsuat alliés du président Marcos (parti nationaliste).
58 Seulement six d’entre eux ont bien voulu répondre à certaines de nos questions. Le leitmotiv de ceux qui s’y sont refusés est « cela ne sert à rien de remuer la boue, c’est le passé, il faut oublier ». La discussion qui suit sur les Ilagas ne repose donc que sur six témoignages de « repentis » (comme ils se sont présentés) et ne prétend donc pas faire la lumière sur l’ensemble du mouvement. Nous tentons seulement d’apporter quelques informations sur un sujet totalement tabou chez les intellectuels. Aucune étude n’existe à ce jour sur ce mouvement.
59 Un Ilaga tristement célèbre est Norberto Manero Jr alias « kumander Bucay » de Tulunan (North Cotabato). En avril 1985, le groupe de Bucay tue le prêtre italien Tullio Favali, considéré comme trop communiste, et mange des parties de sa cervelle. Bucay et son groupe sont arrêtés fin 1985. Fin 1987 ils sont jugés et condamnés à la prison à perpétuité. En 1999, Bucay reçoit un pardon conditionnel du président Estrada (on s’interroge toujours sur la raison de ce pardon, probablement des liens datant de Marcos) et rentre à Tulunan. De nos jours, il est le chef de la sécurité des cockpits (fermes d’élevage de coqs de combat) du fameux champion de boxe Manny Pacquiao à General Santos City. Son frère, qui a tué le prêtre, est le responsable de la sécurité de la plantation Dole à Polomok, province de South Cotabato.
60 Dès 1970, le colonel Kadhafi promit au député Raschid Lucman, en visite au Moyen-Orient, l’envoi de 2000 armes pour le BMLF en 1971. Ces armes ne furent pas envoyées aux Moro mais au Pakistan en guerre avec l’Inde à cause du Bangladesh.
61 Norodin Alonto Lucman, Moro Archives: A History of Armed Conflicts in Mindanao and East Asia, FLC Press Inc, Quezon City, 2000, p. 161.
62 Nasser A. Marohomsalic, 2001, op. cit., p. 218.
63 P.U.S.A est un acronyme utilisant la première lettre des noms des trois principaux clans maguindanao, Pendatun-Sinsuat-Ampatuan, et en y ajoutant le U afin de faire un jeu de mot, pusa veut dire « chat » en filipino.
64 Les P.U.S.A. et les Barrucadas ont souvent été confondus avec les Black Shirts du BMLF. En fait, les hommes des deux premières organisations ont été formés par le BMLF, puis comme la plupart étaient des policiers municipaux, ils retournèrent au service des politiciens musulmans.
65 Lieutenant Colonel Espinosa, A reexamination of the government efforts to restore internal stability in the Cotabato situation, CGSC-Joint Command, Camp Aguinaldo, Quezon City, 1972, p. 112.
66 Proclamation 1081, 21 septembre 1972.
67 Le député Salipada Pendatun était aux États-Unis au moment de l’imposition de la loi martiale. D’autres n’ont pas eu la même chance. Par exemple, Macapanton Abbas fut arrêté et incarcéré. Abbas s’était rendu en Arabie saoudite en février 1972 et avait plaidé la cause des Moro devant l’OCI (3e conférence). Voir Macapanton Y Abbas, « Is a Bangsa Moro State within a Federation the solution », Ateneo Law Journal, vol. 48 (290), 2003, Quezon City, p. 319.
68 Beatriz Romualdez Francia, cousine de Karim Sidri, expliquait que celui-ci s’était converti à l’islam « afin de retrouver ses racines philippines et devenir un vrai Asiatique ». En 1975-76, Karim Sidri devint l’intermédiaire entre le colonel Kadhafi et l’administration Marcos lors des négociations de l’accord de Tripoli. Beatriz Romualdez Francia, Imelda: a Story of the Philippines, Solar Publishing Corp, Manille, 1989, p. 89 et 207.
69 Lucman, 2000, op. cit., p. 161.
70 Juste après l’imposition de la loi martiale, Misuari, recherché par les forces de sécurité, se réfugia chez Udtog Matalam à Pagalungan. Conversations avec des membres de la famille Matalam.
71 W. K. Che Man, Muslim Separatism: The Moros of Southern Philipines and the Malays of Southern Thailand, Ateneo de Manila University Press, Quezon City, 1990, p. 78-79. Les positions, au sein du BMLF, se répartissaient entre les principaux clans musulmans liés aux sultanats maranao (les Lucman et Alonto de Lanao), de Buayan (les Pendatun, Matalam, Sangki de Cotabato), et de Sulu (les Kaluang et Abubacar de Sulu) et leurs enfants, neveux et cousins respectifs.
72 Macapanton Y Abbas, 2003, op. cit., p. 318.
73 Voir à ce sujet l’excellent article de Lisandro Claudio, http://www.gmanews.tv/story/198820/ninoy-networked-with-everyone-reds-included
74 Rufa Cagoco Guiam, « Mindanao: Conflicting Agendas, Stumbling Blocks, and Prospects Toward Sustainable Peace », in Annelies Heijmans, Nicola Simmonds et Hans Van de Veen (éds), Searching for Peace in Asia Pacific: An Overview of Conflict Prevention and Peace Building Activities, Lynne Rienner Publishers, Londres, 2004, p. 487.
75 B. R. Rudil, Kalinaw Mindanaw: The story of the GRP-MNLF peace process 1975-1996, Alternate Forum for Research in Mindanao (AFRIM), Davao City, 2000, p. 9.
76 Abat, 1977, op. cit., p. 15-16.
77 Rufa Cagoco Guiam, 2004, op. cit., p. 487.
78 B. R. Rudil, 2000, op. cit., p. 8-9.
79 Major General Fortunato Abat, The Day we nearly lost Mindanao: The Cemcom Story, 3e édition, à compte d’auteur, Quezon City, 1999, p. 114.
80 Le Dr Mohammad Salih Loong fut médecin en Arabie saoudite et un pionnier avec Hashim Salamat de l’organisation de la révolution islamique de 1965 au Caire. 81 Loong Mohammad Salih, « A sort of resolution presented by Habib Mohsin Julabbi, who has been one of the brains and organizers of the Mindanao secessionist movement (MNLF) », in Zamboanga Peace Talks, 17-19 avril 1975, non publié, p. 254. Loong commence ses études de médecine aux Philippines puis les termine au Caire (Égypte).
81 Loong Mohammad Salih, « A sort of resolution presented by Habib Mohsin Julabbi, who has been one o the brains and organizers of the Mindanao secessionist movement (MNLF) », in Zamboanga Peace Talks, 17-19 avril 1975, non publié, p. 254. Loong commence ses études de médecine aux Philippines puis les termine au Caire (Égypte).
82 Jusqu’à l’imposition de la loi martiale, les politiciens de Sulu étaient, par le sang ou par mariage, liés au sultan de Sulu. Ces politiciens traditionnels, ayant pour la plupart fui Sulu pour se réfugier à Manille ou à l’étranger, seront remplacés par les Magic 8.
83 Documents militaires vus par l’auteur, Camp Aguinaldo, Quezon City.
84 Julabbi, 1975, op. cit., p. 255.
85 Resolution no 2/8-P, « Granting, as an exceptional measure, the status of observer to the Moro National Liberation Front », Eighth Islamic Conference of Foreign Ministers, Tripoli, Libye, 16-22 mai 1977.
86 Marohomsalic, 2001, op. cit., p. 260-261. Ce groupe pratique aussi l’assassinat, le braquage de banques et autres activités criminelles à impact médiatique.
87 Emily Marohombsar a condamné publiquement à plusieurs reprises les activités de son frère, le décrivant comme le mouton noir de la famille.
88 Luz Rimban, The many lives of the Pentagon Gang, Philippine Center for Investigative Journalism, vol. IX, no 1, Quezon City, janvier-mars 2003, p. 2-3.
89 En 2002, Faisal Marohombsar fut arrêté à Manille puis, après s’être échappé de prison avec la complicité de policiers, il fut tué dans une fusillade à Cavité.
90 L’alim (pluriel ouléma) est un savant en théologie islamique
91 Le BMLF prit le nom de Bangsa Moro Islamic Liberation Organizations vers la fin des années 1970.
92 Le wahhabisme saoudien est une doctrine ultra-orthodoxe de l’islam sunnite, développée par l’imam Mohammed ibn Abd el Wahhâb (1703-1792), visant le retour à l’islam « pur » des origines. Les missionnaires saoudiens venant à Mindanao sont souvent choqués de voir la coexistence de l’islam et des pratiques préislamiques chez les populations moro. L’islam populaire (qui a son corollaire dans le catholicisme populaire philippin) est encore très imprégné, par exemple, par le monde des esprits et entre fréquemment en conflit avec la « pureté » du wahhabisme. Par ses origines marxistes, le MNLF est toujours resté très discret sur la question religieuse dans sa revendication d’une nation moro. Ce thème n’est pas central à telle enseigne que le porte-parole et négociateur du MNLF avec le gouvernement jusqu’en 1996 était le pasteur protestant Absalom Cerveza de Cagayan de Oro City. L’un des très proches conseillers de Nur Misuari était un catholique de la province de Misamis occidental, Atanasio Vercide. Pour Nur Misuari, les citoyens de la Bangsamoro sont constitués des habitants ayant des racines à Mindanao avant 1945 (avant la colonisation d’après-guerre) et de tous ceux qui, arrivés plus tard, adhèrent à son projet.
93 Marites Danguilan Vitug et Glenda M. Gloria, Under the Crescent Moon: Rebellion in Mindanao, Ateneo Center for Social Policy and Public Affairs and Institute for Popular Democracy, Quezon City, 2000, p. 211. Dans l’un de ses sermons, Janjalani se distinguait du MNLF en opposant le jihad (guerre sainte) à la révolution. Selon lui, la révolution n’existe pas dans le Coran, seul le jihad est un commandement de Dieu. Le révolutionnaire peut négocier avec l’ennemi, adopter les idéologies de Lénine, Staline, Karl Marx, Mao Tse Tung, Fidel Castro, Che Guevarra, Hitler ou Mussolini. Pour le jihadiste, à l’inverse, la négociation est impossible et l’indépendance n’a de sens que si les lois du Coran sont imposées aux populations. Aucune idée humaine n’est acceptable dans ce combat. Ainsi, Janjalani percevait le MNLF comme un mouvement non islamique, séculier (marxiste), trop accommodant vis-à-vis des populations chrétiennes de Mindanao et prêt à vendre son âme en négociant avec le gouvernement. Voir Mehol K. Sadain, An International Perspective on the Philosophy of Islamic Fundamentalism: Designing a Philippine Framework for its Positive Utilization, Foreign Service Institute, Pasay City, 1993, p. 50. Janjalani fut pendant quelques années un membre actif de l’organisation Tablighi Jamaat (Association pour la prédication) jusqu’à son exclusion à la fin des années 1980 (parce que considéré comme trop radical par les représentants de l’association). Cette organisation, fondée en 1926 en Inde, s’implanta dans la province de Lanao del Sur dans les années 1960 avec l’arrivée de sept missionnaires pakistanais à Marawi City. Voir Nasser A. Marohomsalic, Aristocrats of the Malay Race: A History of the Bangsa Moro in the Philippines, VJ Graphics Arts Inc, Quezon City, 2001, p. 159. Elle prend, cependant, son essor dans les années 1980. Elle a pour but le renouveau spirituel des populations musulmanes et se considère comme l’équivalent des groupes charismatiques catholiques ou des églises évangéliques protestantes. S’implantant dans les communautés locales, les missionnaires construisent des mosquées, enseignent dans les écoles coraniques et développent des groupes de réflexion sur la foi islamique. Pour ses détracteurs, les Tablighi, qui assument leur fondamentalisme (mais refusent le radicalisme), sont le principal vivier de recrutement pour les organisations terroristes internationales. Les Tablighi, qui seraient entre 11 000 et 20 000 membres aux Philippines (principale organisation transnationale islamique aux Philippines) sont sous la surveillance des militaires. Voir Rommel C Banlaoi, Transnational Islam in the Philippines, in NBR project report, Transnational Islam in South and Southeast Asia: Movements, Networks, and Conflict Dynamics, avril 2009, p. 177-179. Le choix de Marawi City (souvent appelée la capitale islamique des Philippines) comme lieu de la première assemblée internationale de la Tablighi Jamaat en juin 2009 est un indice de la grande vitalité de ce mouvement aux Philippines.
94 Solomon Kane parle d’une opération au Tchad qui fut annulée à cause de Janjalani. Voir Solomon Kane, op. cit., p. 86-87. Si l’on en croit Abraham Iribani, cette opération n’exista que dans la tête de Janjalani. Voir Marites Danguilan Vitug, 2000, op. cit., p. 211.
95 Marites D. Vitug, 2000, ibid., p. 211.
96 Kane, 2006, op. cit., p. 87. Wahab Akbar quitte rapidement le mouvement car il veut en être le chef. Akbar rejoint le gouvernement et est élu en 1998 gouverneur de Basilan. Il est élu en juin 2007 député de Basilan mais est assassiné en novembre de cette même année sur le parvis du parlement.
97 La famille Angeles est présente à Jolo depuis la période coloniale américaine et plusieurs membres se sont mariés avec les familles aristocratiques de Jolo.
98 Rommel C. Banloi, Al-Harakatul Al Islamiyyah: Essays on the Abu Sayyaf Group, Philippine Institute for Political Violence and Terrorism Research (PIPVTR), Quezon City, 2008, p. 4.
99 Dans sa dernière interview avant sa mort en 2007, l’émir Kadhafi Janjalani explique que son frère a reçu 6 millions de pesos de la part de Jamal Khalifa et l’IIRO. Voir http://newsinfo.inquirer.net/inquirerheadlines/nation/view/20070122-44761/A_last_extended_interview_with_Janjalani
100 Voir Rommel C. Banloi, 2008, op. cit, p. 15. Rommel Banloi, directeur du PIPVTR est l’un des adeptes de cette théorie.
101 La Jemaah Islamiyah ou communauté islamique, est un mouvement terroriste indonésien
102 Entretien avec le général Jose Almonte (ancien directeur de la NICA entre 1992 et 1998), 12 septembre 2004.
103 Général Jose Almonte, 12 septembre 2004 et voir http://www.sunstar.com.ph/2003/04/09/news/doj.orders.smuggle.raps.v..lee.peng.wee.html
104 Robot n’avait pas l’aval de Kadhafi Janjalani pour l’opération Sipadan. Janjalani ne participa aux négociations. Robot fut tué dans une fusillade à l’intérieur de la prison de « haute sécurité » en 2005. Entretien avec le général Jose Almonte, 12 septembre 2004.
105 Général Francisco N. Cruz, Defeating Abu Sayyaf Group: The strong and urgent need for an ideological response, Philippine Institute for Political Violence and Terrorism Research, Policy Brief no 3, Quezon City, avril 2010, p. 5.
106 Les Yakan sont le groupe musulman majoritaire sur l’île de Basilan (408 520 habitants dont 41 % Yakan, recensement 2007).
107 Entretiens avec Inday Espina Varona, éditeur en chef du magazine Philippine Graphic.
108 Inday Espina-Varona, « Brothers in arms », Philippine Graphic, Makati, 28 février 2005, p. 25.
109 Parad fut tué en février 2010. Il était encore un adolescent lors de la prise d’otages de Sipadan en 2000.
110 Général Francisco N. Cruz, 2010, op. cit., p. 4.
111 L’International Islamic Relief Organization (IIRO) dirigée par Jamal Mohammad Khalifa était, jusqu’en 2006, l’organisation la plus active en matière de conversion des Philippins tant en Arabie saoudite qu’aux Philippines. Khalifa fonda aussi en 1990 l’International Relief and Information Center (IRIC) dont l’objectif était de propager le « vrai » islam (wahhabisme) aux Philippines et de convertir les chrétiens. En 2006, le gouvernement philippin gela les avoirs de l’IIRO pour ses liens supposés avec Abu Sayyaf et d’autres groupes terroristes internationaux. Voir Rommel C. Banloi, « Transnational Islam in the Philippines », in NBR project report, Transnational Islam in South and Southeast Asia: Movements, Networks, and Conflict Dynamics, The National Bureau of Asian Research, Seattle, avril 2009, p. 181.
112 Vivienne SM Angeles, The Middle East and the Philippines: Labor Migration and the Remaking of Philippine Islam, Lassalle University, Manille, non daté, http://www.usna.edu/MiddleEast/AME/Papers/Vivienne%20Angeles%20Paper.pdf
113 Inday Espina-Varona, 28 février 2005, op. cit., p. 24.
114 Le groupe de Santos servit aussi, par exemple, d’agents de renseignements pour préparer l’enlèvement de Dos Palmas (Palawan) en 2001 effectué par Abu Sabaya.
115 Inday Espina-Varona, 2005, ibid., p. 24.
116 B. R. Rodil, Kalinaw Mindanaw: The Story of the GRP-MNLF Peace Process 1975-1996, Alternate Forum for Research in Mindanao (AFRIM), Davao City, 2000, p. 2-4. Marcos ne voulait pas internationaliser le conflit qu’il considérait comme une affaire à régler entre Philippins. Marcos ne fit donc pas appel aux États-Unis (qui auraient pu intervenir directement dans le conflit au nom de l’accord de défense de 1950 entre les deux pays) mais il voulait que ces derniers modifient le type de matériel transféré aux Philippines. Jusqu’à cette date, les transferts correspondaient à du matériel adapté à la lutte contre la contrebande et non à une révolution. Marcos se rendit par trois fois personnellement sur la base de Clark afin de faire pression sur la hiérarchie militaire américaine. Frustré par les refus américains, il lança son programme de développement d’une industrie d’armement basée à Bataan et demanda la renégociation des bases américaines. Le principal fournisseur d’armes des Philippines durant cette période était Israël. Les États-Unis ne voulaient pas s’aliéner leurs alliés des pays du Golfe dont l’Arabie saoudite. Les Philippines ne pèsent pas lourd dans ce jeu diplomatique américain (entretiens avec Merlin Magallona, ancien sous-secrétaire du département des affaires étrangères (2001-2002) et directeur du département de droit international à l’Université des Philippines).
117 Il est convenu, à l’origine, entre Kadhafi et Marcos, que le gouvernement intérimaire de la Région autonome comprenant le MNLF, et non le gouvernement central, ait la charge du référendum. Voir Marohomsalic, 2001, op. cit., p. 237-238.
118 La Constitution de 1987 prévoit aussi la création de la Région autonome de la Cordillère centrale de Luzon. Cependant lors du référendum de 1990, seule la province de Ifugao accepta l’autonomie. Lors du second référendum de 1998, seule la province d’Apayao vota positivement, les six autres provinces s’y opposèrent. L’ARMM est donc la seule région autonome des Philippines.
119 Sur cette question et les données qui suivent : Emilia T. Boncodin and Teresita Quintos-Deles, Towards Strenthening the Fiscal Capabilities of ARMM, a Policy Paper, INCITEgov, 2007, p. 37-44.
120 Les pork barrels, ou fonds d’intervention parlementaires, financent les projets des parlementaires (travaux publics, etc.) dans un but électoraliste. Le terme est originaire des États-Unis.
121 Marites Danguilan et Glenda M. Gloria, op. cit., 2000, p. 78. Certains chiffres sont avancés pour 2009 : il y aurait au moins 29 000 employés et contractuels de nos jours. Une enquête est en cours sur ce sujet car il n’y a pas de statistiques fiables. De nombreux « employés » ne viennent au bureau que les deux jours du mois où ils reçoivent leur salaire (les Philippins reçoivent leur salaire le 15 et 30 du mois).
122 Emilia T. Boncodin et Teresita Quintos-Deles, 2007, op. cit., p. 45.
123 Voir l’article de Mary Ann Palma, « L’identité maritime », in William Guéraiche (dir.), Philippines contemporaines, Irasec-Les Indes savantes, Paris, à paraître.
124 Le mouvement citoyen pour une fédération des Philippines, dirigé par Jose V. Abueva (ancien président de l’université des Philippines) et le sénateur Aquilino Pimentel (Mindanao), propose un fédéralisme reposant sur les expériences de la Malaisie, de l’Inde, du Mexique, du Canada, de l’Australie et de l’Allemagne. Dans ce système fédéral, les Philippines seraient organisés en 11 États (dont la Bangsamoro) ayant tous les pouvoirs sauf ceux de la monnaie, défense, affaires étrangères, immigration, douanes, cour suprême, etc. L’idée d’une fédération des Philippines est ancienne (fin du XIXe siècle) mais s’est toujours heurtée aux « jacobins » peu enclins à laisser trop de pouvoir aux clans familiaux qui contrôlent les provinces.
125 Il y eut des réunions d’informations de 2006 à 2008 organisées par le MILF et le gouvernement mais ces réunions se déroulèrent dans les universités de Mindanao et concernaient de petits groupes d’intellectuels. Les informations étaient générales et les villageois ne furent pas invités. De nombreux riziculteurs de la province de North Cotabato que nous avons interrogés ont ressenti un profond mépris de la part de l’administration Macapagal.
126 Théoriquement car la NCIP est souvent accusée, à tort ou à raison, par les ONG et autres organisations populaires (People’s Organisations) de favoriser l’entrée des compagnies minières et forestières dans le territoire, en s’assurant que le Conseil des anciens lui est favorable.
127 « The Cagayan de Oro Declaration on the Memorandum of Agreement on Ancestral Domain of the GRP-MNLF », Peace Panel, 27 août 2008.
128 Salah Jubair, The Long Road to Peace: Inside the GRP-MILF Peace Process, Institute of Bangsamoro Studies, Cotabato City, 2007, p. 101-103.
129 Rudy B. Rodil, Whose Ancestral Domain is Mindanao-Sulu and Palawan ?, Lecture à la 13e session annuelle d’été sur les cultures de Mindanao et de Sulu, Dansalan College Foundation Inc, Marawi City, 8 mai 1987.
130 Conversations avec Albert Alejo SJ, 10 novembre 2008.
131 Salah Jubair, 2007, op. cit., p. 108. Les régions lumad de Mindanao ont les principales réserves d’or, argent, plomb, zinc, cuivre, nickel, etc. Le gisement de Tampakan (South Cotabato), par exemple, situé sur le territoire ancestral des Blaan (groupe Lumad de la province de South Cotabato), est la plus grande réserve polymétallique d’Asie. L’exploration n’en est qu’à ses débuts.
132 Il existe un mythe, amplifié par les jeunes officiers rebelles ayant dirigé la mutinerie d’Oakwood, selon lequel l’administration Macapagal aurait lancé les opérations militaires contre le MILF en 2003 pour prendre le contrôle du marécage supposé regorger de gaz. En fait, il n’y a jamais eu de recherches pétrolières dans ce marécage contrôlé par le MILF. Les premières recherches, commencées en 1994, concernent un forage dans la municipalité de Sultan Sa Barongis (Maguindanao) située près du marécage. Ce forage n’a pas donné d’indices gaziers mais pétroliers. Malheureusement, la compagnie nationale PNOC dut cesser ses activités d’exploration en l’an 2000, pour des raisons de sécurité. La population est persuadée de dormir sur un fabuleux gisement de gaz car il y a de temps à autre des émanations de méthane qui s’enflamment, comme dans les grands marécages. Mais pour l’heure, le marécage est une source de biodiversité extraordinaire protégée par un parc national (présence du crocodile philippin) et source d’alimentation fondamentale pour les habitants des provinces de Maguindanao, North Cotabato et Sultan Kudarat.
133 http://www.mindanews.com/index.php ?option =com_content&task =view&id =576
134 Depuis le début du mois d’octobre 2011, le Moro Islamic Liberation Front s’est lui-même divisé avec l’exclusion du commandant Ameril Kato. Ce dernier dirige plusieurs milliers d’hommes dans le centre de Mindanao et s’oppose, depuis le fiasco de la BJE en 2008, aux pourparlers de paix entre le MILF et le gouvernement. Gardant la ligne dure du séparatisme, Kato a fondé le Bangsamoro Islamic Freedom Movement (BIFM) et son bras armé, les Bangsamoro Islamic Freedom Fighters (BIFF). Le commandant Kato est un ustadz ayant fait ses études théologiques en Arabie saoudite. Jusqu’au milieu des années 1990, il prêchait dans les écoles coraniques de Davao avant de rejoindre le MILF. Il a 67 ans (en 2011).
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