Conclusions. L’implémentation d’une idéologie dans l’aide humanitaire en réponse aux catastrophes naturelles, une genèse holiste du monde
p. 110-112
Texte intégral
1Autour de la relation entre les victimes de catastrophes comme le tsunami de 2004 ou le cyclone Nargis et les organisations qui se mobilisent pour les aider se cristallisent des enjeux de différentes natures. Les catastrophes, en détruisant, laissent la voie libre à l’installation de projets de développement qui sont par nature acceptés comme positifs et nécessaires. Et pour cause, ils ont pour but de transformer ce qui est considéré comme n’étant « pas encore bien », en ce qui « est bien » selon une vision morganienne du développement des sociétés. Finalement, il ne s’agit jamais de reconstruire ce qui a été détruit, mais plutôt de construire un nouveau monde aux contours préétablis par les préceptes d’une communauté internationale fortement influencée par la pensée occidentale, favorisant des politiques locales et nationales pour lesquelles le bien-être des récipiendaires de l’aide est loin d’être le but principal.
2C’est là que se trouvent les clés des enjeux qui sous-tendent le développement car, entouré d’une aura positive, celui-ci permet l’épanouissement de diverses formes d’idéologie qui ont comme point commun le fait qu’elles appartiennent aux « plus forts ». Encore faut-il un contexte favorable pour pouvoir les mettre en pratique, et en ceci les catastrophes naturelles présentent plusieurs avantages et fournissent un terrain fertile. Subites et idéologiquement neutres, contrairement à une guerre par exemple, elles laissent des terrains vierges où les victimes ont tout perdu sans avoir le temps de s’y préparer. Elles sont réceptives à toute forme d’aide qui puisse leur faire remonter la pente, car du jour au lendemain leur vie a basculé, et c’est la rapidité de ce choc qui ouvre les portes à une aide humanitaire dont le but déclaré est d’aller bien plus loin que la simple reconstruction pour tracer le chemin du développement.
3Les idéologies que l’aide révèle, même si elles diffèrent, ne sont pas contradictoires. Comme nous l’avons vu, en Thaïlande entraîner un nomade à la vie sédentaire et à la société de consommation, pour son bien naturellement, a aussi l’avantage de le rendre plus contrôlable par l’Etat grâce à une dépendance envers lui dictée par les taxes, l’enregistrement de la population, la scolarité des enfants. Il en va de même pour le pêcheur de l’Irrawaddy chez qui on remplace les structures économiques traditionnelles par le microcrédit, le rendant dépendant d’une structure « officielle » tout en l’éloignant des systèmes traditionnels qui lui ont jusque-là assuré une indépendance certes précaire (quoique) mais socialement pertinente. Loin d’être contradictoires, les résultats se complètent étonnamment bien.
4D’autre part, dans un pays à la mauvaise gouvernance comme la Birmanie, l’holisme de l’humanitaire permet de transformer les catastrophes en une arme politique visant à critiquer la dictature car l’universalité des valeurs mises en avant justifie un entrisme difficilement critiquable.
5Ainsi, si les enjeux qu’a l’Occident dans la reconstruction après le tsunami ou le cyclone répondent à une idéologie libérale contenue dans les préceptes de l’IDH et du consensus de Washington, en Thaïlande et en Birmanie il s’agit, outre de s’enrichir en récupérant les terrains, d’uniformiser les identités et d’exacerber le sentiment d’appartenance nationale. Le propre de la machine humanitaire est de propager son modèle, entraînant dans son sillon toujours plus d’adeptes aptes à transmettre à leur tour ses valeurs. La dynamique du développement est rôdée et structurellement incompatible avec l’innovation et la complexité humaine car elle sécrète ses propres outils de contrôle (batteries d’indicateurs servant à la fois à créer et à mesurer) qui lui permettent, à partir de centres distants, d’uniformiser les périphéries lointaines selon leur modèle.
6Ce sont donc de véritables légions humanitaires qui, une fois le terrain ouvert par les catastrophes, s’y sont précipitées armées de leurs outils idéologiques pour organiser une occupation à long terme d’espaces peu accessibles auparavant, car l’intervention n’y était pas justifiée. Les résultats, ignorés par les indicateurs car non calculables, sont ceux que nous avons décrits dans le texte : paupérisation de la population, perte des terrains, perte de repères identitaires, affaiblissement des structures économiques traditionnelles… Les populations culturellement fortes et au grand pouvoir d’adaptation comme les nomades réussissent, comme elles l’ont toujours fait, à élaborer des stratégies pour s’accommoder de cette nouvelle présence et même à en tirer un profit que les développeurs ignorent ; néanmoins, qu’en sera-t-il à long terme ? Comment va évoluer l’aide et, avec elle, l’utilisation qu’en font des États comme la Birmanie ou la Thaïlande ?
7La machine humanitaire est aujourd’hui en marche en Asie du Sud-Est, le terrain a été aplani et dans les terres dévastées par les éléments elle peut reconstruire le monde à son image… ceci prendra plus de sept jours mais le temps et l’argent ne sont pas un problème, la genèse a commencé : une genèse holiste du monde.
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