Malaisie
Un faux air d’épilogue politique à l’ombre de la pandémie
Malaysia - A false air of political epilogue in the shadow of the pandemic
p. 290-319
Résumé
As in 2020, Malaysia faced a difficult situation in 2021. Following a steady deterioration, the Covid-19 pandemic peaked at the end of August, with multiple social consequences for the population. However, the country has since regained economic growth and succeeded in its national vaccination campaign. Yet, due to dissensions within the majority, the controversial management of the health crisis by the government precipitated the resignation of Prime Minister Muhyddin Yassin, replaced by Ismail Sabri Yaakob, a member of UMNO which was removed from power in 2018. The victory of the party and its allies in two important electoral tests sounded the true epilogue of the democratic transition of May 2018. Nevertheless, various indicators plead for a more nuanced analysis, beyond the fact that the partisan reshuffle initiated in February 2020 remains uncertain before the next general election.
Entrées d’index
Mots-clés : Malaisie, Pandémie, Gouvernement, Transition démocratique, UMNO
Keywords : Malaysia, Pandemic, Government, Democratic transition, UMNO
Texte intégral

1En mai 2020, tandis que la Malaisie était sous un régime de confinement strict, la chanteuse Siti Nurhaliza sortait un nouveau titre, Basyirah, dédié aux personnes en première ligne de la lutte contre le Covid-191. Les paroles au lyrisme sombre étaient assez en accord avec le ton de la période. Non seulement le pays était alors affecté plus qu’ailleurs en Asie du Sud-Est par la pandémie, mais il avait traversé peu avant une crise politique majeure, qui avait mis fin prématurément à la transition démocratique conduite par l’Alliance de l’espoir (Pakatan Harapan)2. Malgré tout, la chanson de l’icône de la variété malaisienne s’achevait sur une note positive, « espérant que la douleur soit porteuse de joie [bonnes nouvelles] » (semoga kepedihan membawa basyirah). Néanmoins, force est de constater que cette aspiration est restée déçue en 2021.
2Le début de l’année a d’abord été marqué par une forte dégradation de la situation sanitaire qui, après une accalmie et des variations, a atteint son pic à la fin du mois d’août, avec des conséquences multiples éprouvant encore davantage la population. Sur fond de dissensions dans la majorité, cela a aussi précipité un remaniement ministériel et le retour d’un membre de l’Organisation nationale des Malais unis (UMNO) – l’omnipotent parti nationaliste malais écarté du pouvoir en 2018 après 61 ans ininterrompus – à la direction du gouvernement, en remplacement de Muhyiddin Yassin (Parti unifié indigène de Malaisie ou BERSATU).
3Sur la base des résultats de deux tests électoraux significatifs, beaucoup d’observateurs ont vu dans cette nouvelle étape le véritable épilogue de l’alternance parlementaire historique de mai 2018, au sens propre comme au figuré. Néanmoins, divers indicateurs plaident pour une analyse plus nuancée, au-delà du fait que la recomposition partisane amorcée en février 2020 demeure encore incertaine.
Nouvelle saison à rebondissements du feuilleton politique post-Malaysia Baru
4En 2021, le feuilleton politique qui avait mis fin à la période dite de Malaysia Baru (Nouvelle Malaisie) a connu une autre saison à rebondissements. Après la chute du gouvernement de l’Alliance de l’espoir de Mahathir Mohamad en février 2020, la situation sanitaire aurait pu amener la classe politique à une forme d’union nationale de circonstance derrière le nouvel exécutif. Mais c’est précisément l’inverse qui est advenu. Fragilisé par les difficultés de la lutte contre la pandémie de Covid-19, Muhyiddin Yassin, défié par une faction de l’UMNO essentielle au maintien de sa courte majorité, a fini par être contraint à la démission en août. Cela a permis au parti nationaliste malais de retrouver le sommet du pouvoir, avec la nomination d’Ismail Sabri Yaakob au poste de Premier ministre, conforté par le verdict des urnes dans deux élections locales aux résultats très observés.
Épisode 1 : un Premier ministre en sursis, contraint à la démission
5Après la recomposition parlementaire qui a provoqué la démission de Mahathir Mohamad et la mise en minorité des élus restés fidèles à l’Alliance de l’espoir, sous la conduite d’Anwar Ibrahim, la situation politique est loin de s’être stabilisée. Outre des intrigues et des retournements sur presque tous les bancs, la faction la plus revancharde des députés de l’UMNO, sous la férule de son président, l’ancien vice-Premier ministre Zahid Hamidi, a rapidement adopté une attitude de défiance envers Muhyiddin Yassin. Le soutien de cette clique minoritaire était pourtant indispensable au maintien du gouvernement, en raison d’une majorité ténue. Officiellement, la discorde est née d’une insatisfaction quant au poids de l’UMNO dans les équilibres de la coalition dirigeante. Officieusement, elle relevait d’une hostilité envers le Premier ministre, considéré comme un traître et inflexible dans sa volonté d’écarter des responsabilités l’ancienne garde rapprochée de Najib Razak, associée au déshonneur du scandale financier de 1MDB, dont il avait réaffirmé le souhait d’expurger le passif sur tous les plans, y compris judiciaire3.
6Malgré la réprobation de nombre d’élus et de ministres de l’UMNO, l’appareil du parti s’est enferré dans un jeu dangereux de guerre des nerfs avec Muhyiddin Yassin, qui a culminé en décembre 2020 avec des déclarations de retrait, non suivi d’effets, de la confiance du parti au Premier ministre. Cependant, la dégradation de la situation épidémique constatée dans les premiers jours de l’année 2021, a conduit le roi, après un refus quelques mois auparavant, à accepter le 12 janvier la demande du chef du gouvernement de décréter une période d’état d’urgence pour faciliter la lutte contre le rebond de la pandémie. Prévue pour durer jusqu’au 1er août, elle était toutefois assortie de la possibilité d’être suspendue plus tôt sous conditions. En dépit de cette garantie, la décision a suscité de vives critiques, beaucoup considérant que sa motivation était principalement politique. En effet, entraînant la suspension du Parlement, elle a offert un sursis provisoire à l’exécutif.
7Néanmoins, la trêve a été de courte durée pour Muhyiddin Yassin. De plus en plus fragilisé par le mécontentement croissant de la population envers la gestion sanitaire, sa capacité à conserver une autorité légitime sur sa courte majorité n’a cessé de se réduire au fil des mois4. En juillet, il a tenté une manœuvre pour réassurer sa position en consentant à nommer un vice-Premier ministre, ce qu’il s’était jusqu’alors refusé à faire, quand bien même cela avait toujours été l’usage précédemment, en la personne du ministre de la Défense Ismail Sabri Yaakob, issu des rangs de l’UMNO. Toutefois, cela n’a pas suffi à calmer la défiance du parti. Début août, l’étau s’était encore resserré autour de lui quand l’opposition s’est rassemblée pour exiger son départ, afin de protester contre son ordre arbitraire d’annuler la dernière journée de la session spéciale de la chambre basse du Parlement, de nouveau autorisée à siéger avec la levée de l’état d’urgence. Au passage, l’épisode a procuré une rare occasion au camp adverse, lui aussi divisé, de se montrer uni, Anwar Ibrahim et Mahathir Mohamad ayant mis opportunément de côté leurs différends pour apparaître ensemble au premier rang de la manifestation organisée de manière symbolique sur la place de l’indépendance à Kuala Lumpur. Cette décision du Premier ministre d’ajourner le débat parlementaire était une ultime tentative pour repousser l’inéluctable échéance de son éviction, alors qu’une série de tensions institutionnelles avec le roi, rendues publiques, lui avait aussi fait perdre notoirement son soutien. Finalement, le 16 août, après 17 mois dans ses fonctions – un record de brièveté dans l’histoire contemporaine du pays –, Muhyiddin Yassin a annoncé sa démission contrainte dans une allocution télévisée.
Épisode 2 : le retour au premier plan de l’UMNO
8Tandis que Muhyiddin Yassin était chargé d’assurer l’intérim en attendant la désignation de son successeur, le roi a entamé des consultations élargies pour résoudre l’équation difficile de trouver une personnalité capable de gouverner avec une majorité stabilisée dans un contexte épidémique tendu rendant impossible la tenue d’élections générales, qui auraient pourtant eu le mérite de clarifier la recomposition parlementaire. Comme en février 2020, Anwar Ibrahim a plaidé pour sa cause comme candidat unique déclaré de l’opposition, mais il n’a pas réussi à rassembler un nombre suffisant d’élus, les anciens membres de l’Alliance de l’espoir qui avaient fait défection pour lui barrer l’accès au pouvoir refusant invariablement de lui prêter allégeance. Dans le bloc rival hétérogène, de fait majoritaire, l’option de désigner un autre membre du parti de Muhyiddin Yassin ayant été écartée pour les mêmes raisons qui avaient conduit à sa mise en minorité, il ne restait donc plus que la solution de trouver un profil consensuel au sein de l’UMNO.
9À l’issue de tractations, c’est le choix de maintenir le fragile équilibre politique de l’équipe en place qui s’est dégagé, à travers la nomination le 20 août du vice-Premier ministre sortant Ismail Sabri Yaakob. Il fut investi le lendemain, devenant ainsi le 9e titulaire de la fonction depuis l’indépendance, mais le 3e en cours de mandature, du jamais vu auparavant. Avec l’accord du roi, il ne s’est pas soumis à un vote de confiance pour contraindre à la discipline sa majorité aux marges précaires et échapper aux éventuelles surenchères de quelques élus récalcitrants. De plus, pour consolider son assise parlementaire, le Premier ministre a nommé dès le mois de septembre Muhyiddin Yassin à la présidence du National Recovery Council (MPN), l’organe interministériel chargé de coordonner la stratégie de sortie de crise pandémique du pays, ce qui a lui a permis de retrouver un rôle de premier plan. Ce choix pouvait sembler maladroit, tant la gestion de la situation sanitaire des autorités avait été décriée, mais il avait pour but d’éviter au nouveau Premier ministre les mêmes déboires que son prédécesseur, en étant cette fois-ci pris en otage par son parti (BERSATU). En dehors de cela, le gouvernement a été reconduit avec la même équipe, à l’exception de quelques ajustements politiques. Parmi eux, Hishammuddin Hussein, figure de l’UMNO, cumulant près de 25 ans de carrière ministérielle, est passé du portefeuille des Affaires étrangères à celui de la Défense, qu’il avait déjà occupé (2013-2018) et que détenait précédemment Ismail Sabri Yaakob, devenant implicitement le numéro deux du cabinet parmi les quatre senior ministers désignés en l’absence de vice-Premier ministre.
10Le retour de l’UMNO au sommet de l’État, après sa défaite aux élections de mai 2018, a suscité de nombreux commentaires dans le pays et à l’étranger5. Pour beaucoup, en mettant fin à ce qui apparaissait rétrospectivement comme une parenthèse, il marquait l’épilogue de la transition démocratique amorcée avec la victoire de l’Alliance de l’espoir. Pourtant, cette lecture linéaire est à relativiser du point de vue du processus de renouvellement des élites en Malaisie et s’inscrit davantage comme une étape dans la dynamique d’évolution difficile d’un système institutionnel et politique très installé, avec ses accélérations contradictoires et ses reculs ambivalents. Depuis l’indépendance, jamais le pays n’a eu de Premier ministre qui ait construit son parcours et acquis sa légitimité à gouverner hors de l’UMNO. En effet, malgré leur nomination respective sous une autre étiquette en 2018 et 2020, Mahathir Mohamad et Muhyiddin Yassin en sont de purs produits : le premier en a été l’incarnation pendant ses 22 premières années de leadership et le second, vice-Premier ministre entre 2009 et 2015, en a été un poids lourd. C’est également le cas pour Anwar Ibrahim, ancien dirigeant déchu du parti, qui a occupé en 1997, durant un congé de deux mois à l’étranger de Mahathir Mohamad, les fonctions de Premier ministre par intérim6. Ainsi, au-delà de la symbolique de la présence de l’UMNO au gouvernement, c’est avant tout dans les orientations narratives et concrètes de son action, en miroir des transformations sociétales et du contexte régional, que se jouent les enjeux de l’avenir de la Fédération. Et à cet égard, le pouvoir en place, dans son rapport aux attentes de la population, n’est pas exactement comparable à celui d’avant la rupture – elle était aussi relative – provoquée par les élections générales de 2018.
Épisode 3 : le verdict des urnes
11La nomination du nouveau gouvernement n’a pas mis fin aux querelles politiciennes dans les différents camps. Dans l’État de Malacca, le retrait du soutien de trois élus locaux, dont un indépendant, au ministre en Chef issu de l’UMNO, a conduit à sa mise en minorité. Pour clarifier la situation, la décision controversée de dissoudre l’assemblée législative locale a été actée, ce qui a provoqué une élection anticipée le 20 novembre. Ce test électoral était à hauts risques pour l’exécutif car il devait indiquer une tendance de l’évolution des rapports de force entre les blocs adverses, mais aussi à l’intérieur de la majorité. En effet, ses deux composantes principales à l’échelle de la péninsule malaise – le Front national (Barisan Nasional), composé par l’UMNO et ses supplétifs ; l’Alliance nationale (Perikatan Nasional), formée autour de BERSATU et du Parti islamique pan-malaisien (PAS) – ont décidé de concourir sous leurs propres couleurs pour se compter. Pour limiter la portée du scrutin en cas d’échec, le Premier ministre, souhaitant se montrer entièrement dédié à la gestion des affaires du pays, s’est tenu en retrait des remous des préparatifs. En l’absence de Zahid Hamidi, en soins à l’étranger, Najib Razak, toujours populaire auprès du noyau dur des militants de l’UMNO, a été très présent durant cette séquence en sa qualité de président du Conseil consultatif du Front national.
12À l’issue d’une campagne électrique, et dans un contexte marqué par une abstention notable, le Front national a remporté les élections avec 38,39 % des voix. Il a surclassé l’Alliance de l’espoir (35,65 %), mais aussi son partenaire et rival de l’Alliance nationale. Cette dernière, conduite par Muhyiddin Yassin, a perdu son pari de faire une percée en ne parvenant à obtenir que deux élus, malgré un score honorable (24,47 %). L’UMNO et ses alliés ont franchi la barre symbolique des deux tiers des sièges du Parlement local (21 sur 28), contre cinq pour l’opposition, qui avait pourtant conquis l’État en 2018. Le Parti de la justice du peuple (PKR) d’Anwar Ibrahim a même tout simplement été évincé de la nouvelle assemblée.
13Le 18 décembre, le scrutin pour le renouvellement de l’assemblée législative du Sarawak, dont l’échéance initialement prévue avait été décalée de quelques mois en raison de l’état d’urgence sanitaire, a confirmé le regain électoral du bloc gouvernemental. En effet, le cartel de partis régionaux qui étaient membres du Front national jusqu’en 2018, mais qui lui restent associés sous une bannière commune indépendante (Gabungan Parti Sarawak) en prônant une meilleure reconnaissance des États de Bornéo dans l’ensemble fédéral, a réalisé une performance. Il a remporté 76 des 82 sièges, contre deux pour l’Alliance de l’espoir et quatre pour un parti local d’opposition, à la faveur d’une machinerie partisane efficace sur le terrain, qui a aussi fait la différence avec une abstention élevée. En attendant les prochaines élections générales, les citoyens, comme à Malacca, ont fait le choix sans enthousiasme, dans un contexte incertain, de l’ordre, de la stabilité et des vieux réflexes de patronage politique qui garantissent des subsides en temps de crise, tandis que l’opposition, qui a beaucoup déçu, a peiné à convaincre, y compris ses soutiens7.
Économie et société à l’heure de la routine pandémique
14Fin 2021, la Malaisie affichait le taux de mortalité lié au Covid-19 le plus élevé des États de l’ASEAN, avec près de 1 000 décès par million d’habitants8. Ce mauvais résultat, en partie imputable à la gestion erratique de la situation sanitaire par les autorités, a occasionné de nombreuses restrictions pour la population une grande partie de l’année. Elles n’ont pu être assouplies qu’à la faveur d’une campagne vaccinale efficiente. Vivant à l’heure de la routine pandémique, l’économie du pays, aidée notamment par d’importantes mesures de soutien, est malgré tout sortie de la récession en profitant de la reprise mondiale. Toutefois, cela n’a pas empêché une aggravation conséquente des problématiques sociales.
Une gestion erratique de la situation sanitaire sauvée par une campagne vaccinale efficiente
15Durant toute l’année 2021, la Malaisie a vécu au rythme de la pandémie de Covid‑19, qui comme en 2020, a durement touché le pays. Après un pic atteint en janvier, elle a été de nouveau dans une trajectoire épidémique ascendante à partir de la fin du mois de mars, avec quelques variations conjoncturelles à la baisse, jusqu’à enregistrer un record du nombre de contaminations quotidiennes le 26 août, soit 24 599 cas, après une hausse continue entamée le 21 juin. Entre les restrictions décidées à l’échelle fédérale et au niveau local sans grande coordination, l’impression d’un manque constant d’anticipation, certaines décisions changeantes perçues comme incohérentes et les entorses de personnalités aux règles édictées, pourtant contrôlées avec fermeté par la police, la gestion gouvernementale de la situation sanitaire a été jugée sèchement par la population. Ayant intégré de longue date, non sans fierté, le discours un rien patriotique des autorités sur le développement solide de la Fédération, elle a surtout mal réagi aux images terribles du constat de la saturation des hôpitaux publics au plus fort de la crise. La solution prise dans l’urgence de négocier l’accueil de malades par les établissements privés pour tenter de contenir le nombre des décès a sonné comme une douloureuse prise de conscience des vulnérabilités d’une nation qui s’est pensée pendant un temps à l’abri des aléas subis par les États occidentaux, qu’elle regardait avec étonnement et sévérité.
16Néanmoins, par contraste, la seule source relative de satisfaction de la population à l’égard de la gestion de la pandémie par le gouvernement est venue de son pari de miser sur une stratégie de vaccination offensive, malgré quelques controverses durant sa mise en œuvre (accès des migrants, approvisionnements, soucis logistiques ponctuels, désinformation, etc.). Elle a été incarnée par Khairy Jamaluddin (voir son portrait), ministre de la Science, de la Technologie et de l’Innovation, récompensé pour son action en devenant ministre de la Santé dans le cabinet d’Ismail Sabri Yaakob. Ainsi, le 10 octobre, les autorités malaisiennes ont annoncé un taux de couverture vaccinale complète de 90,02 % de la population adulte du pays, ce chiffre atteignant 94,8 % avec les personnes en attente d’une seconde injection, tandis que la suite de la campagne pour les adolescents, avant celles des enfants de plus de cinq ans, et le rappel d’une troisième dose, était engagée9. Bien qu’ayant signé un protocole de coopération médicale avec la Chine pour un accès prioritaire à ses vaccins, en échange d’un partage de données, la Fédération a majoritairement privilégié le recours à ceux de Pfizer/BioNTech et d’AstraZeneca, avec un mixte de commandes, qui n’ont pas toutes été honorées, des livraisons via le programme COVAX et des dons (États-Unis, Japon).
Une économie très soutenue par la puissance publique et qui sort de la récession
17Comme en 2020, l’économie malaisienne a fait l’objet d’un soutien public massif, tenant autant à la gouvernance paternaliste et clientéliste de l’État, notamment à l’égard des Malais musulmans, qu’au traitement social des conséquences de la pandémie10. Dès le 18 janvier 2021, le Premier ministre a ainsi annoncé un plan d’aide de 15 milliards RM (4,9 milliards $ US), dont une partie était néanmoins une réaffectation de fonds précédemment débloqués, tandis que deux tiers de la population entamaient une seconde semaine de restrictions partielles des déplacements. Le 28 juin, le gouvernement a dévoilé son quatrième programme d’accompagnement des entreprises et des ménages en six mois, cette fois pour un montant de 150 milliards RM (36,2 milliards $ US)11. Il est intervenu au lendemain d’une décision de prolonger les mesures de confinement et de limitation des activités qui étaient en vigueur depuis le 12 mai, tant que la moyenne hebdomadaire des contaminations quotidiennes ne serait pas repassée sous la barre des 4 000 cas. Toutes ces mesures, et d’autres, ont fait bondir la dette publique à 65 % du PIB – elle était de 52,5 % en 2019 – et ont eu un effet sur la hausse de l’inflation, qui s’établissait à 2,3 % de moyenne pour les onze premiers mois de l’année selon la Banque nationale. Cependant, elles ont permis à l’économie de renouer avec la croissance en 2021, estimée entre 3 % et 4 %, en profitant de la reprise mondiale, malgré un troisième trimestre en berne du fait des mesures sanitaires strictes qui ont beaucoup pénalisé l’activité. Au début du quatrième trimestre, le taux de chômage du pays était revenu à son niveau d’avant la crise (4,3 %), ce qui s’est traduit par un rebond de la consommation de détail, à son plus haut depuis le printemps. Par ailleurs, en octobre, une forte augmentation des importations et des exportations, dopées par la demande internationale soutenue en biens électriques et électroniques, a été observée.
18Dans ce contexte favorable, le Fonds monétaire international estimait à l’automne le taux de croissance de la Fédération à 6 % en 2022, quand la Banque mondiale l’établissait à 5,8 %, deux prévisions conformes à celle des autorités, qui tablent sur un chiffre entre 5,5 % et 6,5 % selon l’évolution de la situation épidémique. Le 29 octobre, le gouvernement a présenté le projet de budget 2022, aisément adopté à l’issue d’un compromis avec l’opposition, faisant suite à des appels répétés, y compris du roi, pour une concorde nationale dans l’intérêt du pays après le triste spectacle des querelles politiciennes au plus fort de la crise sanitaire. Pour consolider la reprise, ce budget atteint un record de dépenses (332,1 milliards RM), malgré une légère baisse prévue du déficit budgétaire par rapport à 2021, estimée à 6 % sur la base de recettes fiscales en hausse. Il accorde une priorité au soutien des ménages, aux mesures d’incitations économiques et aux investissements durables, dans la droite ligne du 12e Plan quinquennal adopté par le Parlement en octobre.
Une aggravation des problématiques sociales
19Malgré le niveau élevé de l’aide directe distribuée par la puissance publique à la population et au tissu économique, la crise sanitaire a eu des conséquences sociales importantes, qui ont particulièrement touché, comme ailleurs, les plus vulnérables. Tout d’abord, l’anxiété engendrée par les incertitudes de la situation, à la fois diverses et souvent cumulatives selon les catégories considérées, ainsi que les mesures répétées de confinement, partiel ou strict, ont eu un impact délétère sur la santé mentale des habitants du pays, notamment dans les zones urbaines et chez les jeunes. Les appels auprès des numéros de détresse et d’écoute, dont plusieurs ont été mis en place depuis 2020 pour répondre à la demande croissante, ont connu une forte augmentation, comme le nombre de cas de dépression ou de suicides, qui ont presque doublé entre 2019 et 2021, avec une incidence pour moitié chez les 15-18 ans12.
20Les travailleurs pauvres ou précaires, en particulier ceux qui étaient en première ligne dans les hôpitaux, le commerce, les services, ou encore les industries prioritaires, mais également ceux qui vivent d’activités de subsistance très impactées par les restrictions sanitaires, ont été singulièrement éprouvés. Leur situation a jeté une lumière crue sur les inégalités et les disparités de revenus importantes dans le pays, en rappelant aux autorités la nécessité d’œuvrer davantage à la cohésion de la population active, dans un contexte de décrochage entre les profils qualifiés et les autres, alors que la hausse du niveau de vie affecte la classe moyenne urbaine, dont la progression du pouvoir d’achat ralentit. Ainsi, à côté des mesures du nouveau Plan quinquennal qui affiche dans ses objectifs prioritaires la modernisation économique et la lutte contre la pauvreté, des dispositions spécifiquement destinées aux salariés ont été actées. Dans son discours du 1er mai, Muhyiddin Yassin a annoncé une série de décisions, allant d’une revalorisation du salaire minimum à des pistes de réforme du droit du travail (extension à 90 jours du congé maternité, etc.), en passant par une montée en puissance de nouveaux dispositifs de recherche d’emploi et des propositions améliorant la formation continue.
21La main-d’œuvre étrangère qui n’a pas pu quitter la Malaisie, notamment illégale, nombreuse dans le pays et dont la situation est régulièrement dénoncée par des ONG, a également payé un lourd tribut durant la crise sanitaire. Elle a perdu une grande partie de ses moyens de subsistance sans pouvoir prétendre à la compensation des aides publiques, quand elle n’a pas encore été davantage exploitée dans certaines industries. L’agence Reuters a d’ailleurs révélé le 1er juillet que le Département d’État américain avait dégradé la Fédération à l’échelon le plus bas dans son rapport annuel sur le trafic des êtres humains en raison de la situation des travailleurs migrants dans les plantations de palmiers à huile. Cela faisait déjà suite à des condamnations similaires un an auparavant par les États-Unis concernant les usines de fabrications de gants en latex qui tournaient à plein régime avec l’explosion de la demande mondiale au début de la pandémie de Covid-1913. Comme une preuve éclairante des forts contrastes sociaux en Malaisie, cela est venu ternir le bon résultat de son classement dans l’Index mondial de la démocratie 2020, établi par The Economist (The Economist Intelligence Unit’s Democracy Index), dans lequel elle progresse à la 39e place – la première à l’échelle de l’Asie du Sud-Est – avec une note de 7,19/10, son meilleur score depuis la création de l’outil en 2006.
Un apparent retour en arrière politique à nuancer
22La nomination d’Ismail Sabri Yaakob au poste de Premier ministre et les victoires électorales de l’UMNO et de ses alliés lors des scrutins locaux de Malacca et du Sarawak pourraient laisser penser à un simple retour en arrière, après l’échec de l’expérience de gouvernement de l’Alliance de l’espoir. Pourtant, cette lecture est à nuancer. En effet, malgré les effets de la pandémie de Covid-19 et les aléas politiques, plusieurs tendances constatées après mai 2018 sont toujours notables en termes d’acquis démocratiques, tant au niveau institutionnel qu’à l’échelle de la société. Par ailleurs, l’action extérieure des autorités est restée inscrite dans la continuité, notamment s’agissant de la stratégie diplomatique avec la Chine.
Des contre-pouvoirs qui continuent à s’affirmer
23Malgré le caractère idéologique conservateur et pro-malais de la coalition dirigeante, la crainte de régressions démocratiques marquées, après les avancées amorcées par l’Alliance de l’espoir, s’est en partie dissipée – avec toutefois des réserves – au regard de l’affirmation continue des contre-pouvoirs institutionnels au gouvernement. Comme depuis 2018, le roi a de nouveau joué un rôle important dans le débat public. Certes, ses appels à la responsabilité de la classe politique ou à une forme d’union nationale durant les moments difficiles de la gestion de la pandémie n’ont pas été précisément entendus, mais il n’est pas resté en retrait, comme cela a souvent été le cas auparavant, assumant son magistère de garant de l’intérêt général. C’est à ce titre qu’il n’a d’ailleurs pas hésité à faire connaître publiquement son souhait éminemment politique de voir révoquer l’état d’urgence avant la date limite de son terme ou son irritation devant quelques libertés protocolaires de l’exécutif à son égard, compliquant la tâche de Muhyiddin Yassin avec qui ses relations s’étaient dégradées. De plus, comme en février 2020, il a été impliqué au premier plan pour conduire les discussions qui ont permis la nomination du nouveau Premier ministre. À défaut d’une autre solution, le souverain, qui est aussi le sultan du Pahang, avait une préférence pour Ismail Sabri Yaakob, originaire du même État, ce qui a conforté les ralliements sur son nom durant les tractations précédant son choix.
24L’institution judiciaire a également montré des signes notoires d’indépendance, en dépit des pressions auxquelles elle est soumise. Alors que l’entrée en fonction d’Ismail Sabri Yaakob en août faisait craindre des manœuvres de l’UMNO pour limiter les poursuites contre Najib Razak, ce dernier a écopé d’une nouvelle sentence par un tribunal début septembre. À l’issue d’un recours qu’il avait déposé contre la décision en première instance, il a été condamné en appel à verser 1,69 milliard RM (400 millions $ US) au Trésor public malaisien en arriérés d’impôt sur le revenu dans le cadre d’une procédure civile de recouvrement, de même que son fils Nazifuddin à hauteur de 37,6 millions RM (9 millions $ US).
25Par ailleurs, la présence du PAS dans la coalition gouvernementale, qui détient notamment le portefeuille des Affaires religieuses, a été l’occasion, entre autres, d’une offensive contre les musulmans LGBT (annonce en janvier d’une volonté de durcir la syariah locale, création d’une task force spéciale à visée répressive) et d’une proposition controversée en septembre de renforcer le « contrôle de la propagation » des croyances religieuses non musulmanes. Cependant, dans le sillage des protestations des ONG de défense des droits humains et en dépit de la sensibilité des questions relatives à l’islam dans le pays, la justice a envoyé au contraire un message de tolérance. Tout d’abord, en février, un panel de neuf juges de la Cour fédérale a invalidé pour inconstitutionnalité les dispositions relatives aux « relations sexuelles contre-nature » de la loi de 1995 de l’État du Selangor sur les infractions pénales islamiques. Rappelant que les législations étatiques ne pouvaient pas empiéter sur des domaines couverts par des normes fédérales, en l’occurrence le Code pénal national (non religieux), cette décision a ouvert une brèche pour l’abrogation de dispositions similaires en d’autres endroits. Puis, en mars, la Haute Cour de Kuala Lumpur a annulé l’interdiction de l’usage vernaculaire du terme « Allah » pour désigner « Dieu » dans les bibles ou les productions chrétiennes locales. Même si le gouvernement a annoncé faire appel de l’arrêt, cette annulation a eu un grand retentissement, incarnant le nouvel épisode marquant d’un combat, devenu un symbole, qui dure depuis 198614.
Une société partagée entre résignation et revendications
26Malgré la demande bien réelle d’ordre et de stabilité de la majorité de la population, dont une partie s’est résignée au retour au pouvoir de l’UMNO en attendant des jours meilleurs, le seuil d’intolérance d’une large frange à des pratiques de gouvernement peu vertueuses ou trop liberticides, qui avaient amené à la victoire de l’Alliance de l’espoir, est resté inchangé. En mars, à l’appel de plusieurs ONG, une manifestation a été organisée devant le Parlement pour demander la levée de l’état d’urgence et l’abrogation d’une ordonnance criminalisant les « fake news » relatives à la pandémie de Covid-19, y voyant une législation arbitraire destinée à faire taire les critiques contre la gestion publique de la crise sanitaire. Par ailleurs, au printemps, le hashtag « Kerajaan Gagal » (failed government), témoignage de la défiance envers la classe politique au plus fort de la dégradation de la situation épidémique, est devenu viral dans les conversations et sur les réseaux sociaux, s’affichant même sur des t-shirts ou encore en lettres de peinture sur les murs15. Parmi d’autres protestations, fin juillet, quelques jours après une grève de médecins dans plusieurs hôpitaux afin de dénoncer la précarité de l’emploi dans le secteur médical, un rassemblement de plusieurs centaines de participants, bravant les restrictions en vigueur, a eu lieu à Kuala Lumpur pour réclamer la démission de Muhyiddin Yassin.
27Toute majorité, indépendamment de son orientation idéologique, est désormais comptable d’une action qui ne peut plus se déployer sans prendre en compte les revendications plus exigeantes de la population. Ainsi, en dépit de l’apparent recul démocratique qu’a constitué le coup d’État parlementaire de février 2020, l’expérience de Malaysia Baru, bien que brève, a banalisé l’idée de l’alternance et amorcé un changement durable de rapport des citoyens à la classe politique, et réciproquement. Des choses allant dans ce sens ont été perceptibles depuis l’entrée en fonction d’Ismail Sabri Yaakob. Ce dernier a par exemple nommé auprès de lui Azalina Othman (voir son portrait), avocate au tempérament bien trempé et figure peu consensuelle à l’intérieur de l’UMNO, comme Conseillère spéciale pour la justice et les droits humains, envoyant un signal d’ouverture fort. Ennemie déclarée de la bigoterie, elle a ainsi déclaré que « le patriarcat n’avait plus sa place » pour saluer le rejet par la justice d’une discrimination de genre jugée inconstitutionnelle. En l’occurrence, il s’agissait d’une demande de suspension, pourtant initiée par le gouvernement, de la décision d’un tribunal de reconnaître l’attribution automatique de la nationalité du pays aux enfants nés d’une mère malaisienne, comme c’est le cas pour ceux avec un père malaisien. Même si elle n’est pas tenue à la solidarité gouvernementale, la liberté de ton qui est laissée à Azalina Othman, comme à d’autres à l’image de Khairy Jamaluddin, est une évolution intéressante à souligner. Les deux élus ont d’ailleurs un parcours assez parallèle et des personnalités relativement singulières en comparaison de leurs collègues de l’UMNO16. Anciens espoirs montants du parti au début des années 2000, ils ont connu des déboires dans leur propre camp, qui ont forgé leur stature et en font des incarnations d’une génération renouvelée de dirigeants.
Une politique étrangère inscrite dans la continuité
28En 2021, a fortiori en l’absence d’échéances diplomatiques majeures, la politique étrangère du pays est restée inscrite dans la continuité, notamment s’agissant de ses liens avec la Chine, qui focalisent l’attention dans un contexte régional toujours tendu. Dans le sillage du rééquilibrage amorcé en 2018, après les excès constatés durant le dernier mandat de Najib Razak, la position malaisienne a été maintenue. Elle vise à entretenir une relation privilégiée avec Pékin, certes accommodante, mais sans dépendance excessive par le recours à une stratégie de hedging pragmatique pour préserver sa souveraineté.
29En dépit d’une baisse par rapport à 2019, les chiffres officiels publiés en 2021 ont confirmé que la Chine avait conservé sa première place de pourvoyeur d’Investissements directs étrangers en Malaisie en 2020 (28,2 %)17, loin devant Singapour (15,5 %) et les Pays-Bas (10,9 %). Le gouvernement a clairement affiché son souhait de conserver cette manne dans la perspective du rebond de l’économie mondiale, en particulier dans les domaines bénéficiant de transferts de technologie pour accompagner la montée en gamme de son système productif. Ainsi, il a invité les entreprises chinoises à investir davantage localement dans les secteurs industriels de pointe (chimie, domotique, biotechnologies, etc.) à l’occasion d’une table ronde bilatérale dédiée à ce sujet en avril.
30Néanmoins, parallèlement, après l’arrestation de pêcheurs chinois à l’automne 2020 pour protester contre les incursions répétées de navires de la RPC dans son espace maritime, la Malaisie n’a pas changé de cap dans son rapport de force toujours mesuré, mais ferme, avec Pékin, pour contenir ses ambitions en mer de Chine méridionale. Dès lors, le 22 juin 2021, trois semaines après l’intrusion controversée d’une formation de seize avions de transport chinois dans son espace aérien (Bornéo) durant un exercice dans des zones disputées, elle a répliqué en officialisant un appel d’offres international pour renouveler une partie de la flotte de la Royal Malaysian Air Force (RMAF). Il vise à l’acquisition de dix avions de combat légers (LCA), utilisés à des fins défensives, et de huit aéronefs d’entraînement (FLIT).
31En outre, par la voix d’Ismail Sabri Yaakob, la Malaisie est le premier pays de l’ASEAN à avoir exprimé ses réserves, et aussi ses craintes, après l’annonce de la création du partenariat stratégique AUKUS, ayant entraîné la décision de l’Australie de renoncer à se doter de sous-marins français au profit d’appareils à propulsion nucléaire de technologie américaine18. Toutefois, cette position n’est pas à interpréter comme un signe d’alignement avec la Chine. Elle témoigne de la position de la Fédération en faveur d’un équilibre entre les grandes puissances, dont elle estime que les rivalités se font au détriment des intérêts des autres États. Par conséquent, elle privilégie structurellement une gestion mesurée des différends régionaux, passant par la coopération et une modération de la course aux armements, pour préserver la stabilité, condition nécessaire à la réalisation de son objectif prioritaire d’une « prospérité par l’interdépendance pacifique ». C’est aussi pour cette raison que Muhyiddin Yassin a effectué en mars une tournée diplomatique en Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis afin de resserrer des liens bilatéraux distendus depuis 2018, notamment avec le royaume saoudien, même si ce voyage n’était pas dénué d’arrière-pensées politiques sur le plan intérieur.
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32L’année 2021 s’est terminée en Malaisie, comme elle avait débuté, dans un contexte pour le moins morose. D’une part, à la mi-décembre, les premiers cas de personnes atteintes par le variant Omicron ont été recensés, faisant craindre une nouvelle flambée épidémique, tandis que la Fédération avait toujours à cette période le nombre de contaminations quotidiennes le plus élevé de l’ASEAN derrière le Vietnam. D’autre part, elle a été touchée par des inondations d’une rare ampleur. Elles ont affecté la partie orientale de la péninsule malaise exposée à la mousson d’hiver, mais aussi ses régions occidentales. Alors qu’un second épisode de pluies diluviennes était encore attendu, le bilan provisoire du premier faisait état de 48 morts, 5 disparus et plus de 71 000 déplacés à la date du 28 décembre, ce qui le distinguait déjà comme l’événement météorologique le plus dévastateur dans le pays depuis 2014.
33La gestion particulièrement décriée du désastre par les autorités – négligence dans la mise en place de mesures préventives ; alertes tardives ; manque de réactivité face à l’urgence ; mauvaise coordination des secours ; engagement aléatoire de moyens jugés inappropriés – a constitué la première turbulence pour Ismail Sabri Yaakob. Face aux critiques et au désarroi des sinistrés, le Premier ministre a d’ailleurs admis des dysfonctionnements dans la réponse des pouvoirs publics et promis des décisions de différents ordres pour les éviter à l’avenir19. Au-delà, cet épisode a révélé le retard important pris par la Fédération dans la prévention des risques environnementaux, alors que le réchauffement de la planète fait peser une menace accrue sur les espaces régulièrement soumis à des phénomènes pluvieux soutenus, comme c’est le cas avec la mousson. Habituellement, ses principales manifestations ont lieu chaque année dans les régions rurales de la partie orientale de la péninsule malaise, dont l’État fédéral, signe de la fracture territoriale du pays, se désintéresse relativement. Ce constat se double d’une vision fataliste ancrée que les inondations en ces endroits sont un aléa de la nature nourricière, expression de la volonté divine, qui a toujours été et avec lequel les populations locales ont appris à vivre. Sauf que la particularité de la séquence météorologique extrême de décembre 2021 réside dans le fait qu’elle a surtout causé des dégâts dans des zones urbaines densément peuplées, notamment au Selangor et à Kuala Lumpur sur la côte ouest de la Malaisie occidentale, ou à Kuantan (Pahang) à l’est, affectant des habitants de la classe moyenne qui ne tiennent pas pour responsable la transcendance, mais le gouvernement et son action défaillante.
34Cela a rappelé avec une banalité crasse à la coalition dirigeante, qui commençait déjà à prendre pour un blanc-seing ses succès électoraux intermédiaires, qu’elle était attendue sur sa capacité à apporter des réponses sérieuses aux défis majeurs du pays, au-delà de sa promesse de stabilité et de prospérité. Et parmi eux, figure la question écologique, négligée depuis le début de la pandémie de Covid-19, alors que la sensibilité de la population à cet enjeu s’est encore renforcée avec les problématiques sanitaires et de santé publique. Certes, dans la perspective des prochaines élections générales, qui pourraient avoir lieu en 2022, la mise en ordre de bataille de chaque camp et la solidité des alliances nouées vont être un facteur déterminant de la victoire. Néanmoins, désormais, le personnel politique ne pourra plus faire l’économie d’un programme crédible pour satisfaire les aspirations des citoyens, élevées après deux années difficiles. C’est sans doute là le principal héritage de l’ère de Malaysia Baru, dont l’apparent épilogue, et malgré la recomposition partisane anarchique qu’elle a engendrée, a en réalité permis à la Fédération de franchir une étape de démocratisation irréversible, toujours en décantation.
Annexe
Fiche Malaisie
Nom officiel : Fédération de Malaisie
Capitale : Kuala Lumpur
Superficie terrestre : 330 345 km²
Population (Department of Statistics Malaysia, est. 2021) : 32 700 000 hab.
Langue officielle : Bahasa Malaysia (malaisien)
Religion d’État : islam
Données politiques
Nature de l’État : monarchie fédérale
Nature du régime : monarchie constitutionnelle élective (roi élu tous les 5 ans parmi les 9 souverains/sultans de la Fédération)
Suffrage : universel (à partir de 18 ans)
Chef de l’État : Al-Sultan Abdullah Ri’ayatuddin Al-Mustafa Billah Shah (2019-2024), sultan du Pahang
Premier ministre : Ismail Sabri Yaakob (depuis août 2021)
Ministre des Affaires étrangères : Saifuddin Abdullah (depuis août 2021)
Ministre de la Défense : Hishammuddin Hussein (depuis août 2021)
Président de l’Assemblée nationale : Azhar Azizan Harun (depuis juillet 2020)
Échéances : élections législatives en 2023 (au plus tard)
Indicateurs démographiques et sociologiques
Principaux groupes ethniques (Department of Statistics Malayia, 2e trimestre 2021) : la population se compose de 91,7 % de citoyens et 8,3 % de non-citoyens. Les citoyens se répartissent, en part de la population totale, entre les Malais (majoritaires) et diverses composantes indigènes (69,8 %), les Chinois (22,4 %), les Indiens (6,8 %), et les autres (1 %).
Religions (CIA-The World Factbook, est. 2010) : musulmans (61,3 %), bouddhistes (19,8 %), chrétiens (9,2 %), hindous (6,3 %), confucianistes, taoïstes et autres religions traditionnelles chinoises (1,3 %), autres (0,4 %), sans religion (0,8 %) et non spécifiés (1 %).
Chronologie
JANVIER 2021
20 – Le vice-ministre des Affaires religieuses (PAS) confirme l’intention du gouvernement de proposer une révision du Syariah Courts (Criminal Jurisdiction) Act 1965 (ou Act 355) visant la communauté musulmane LGBT pour alourdir les peines encourues, élargir le cadre des poursuites aux usages des réseaux sociaux et faciliter les procédures contre les personnes transgenres.
29 – Le ministère des Travaux publics malaisien présente son plan stratégique pour la période 2021-2025, destiné à accompagner la relance de l’économie du pays et la réalisation des objectifs de développement de l’horizon 2030. Ce plan de modernisation, qui se décline en quatre grands volets, insiste notamment sur le renforcement de la connectivité régionale et un usage accru des technologies numériques dans la construction et la maintenance des infrastructures.
FÉVRIER 2021
24 – Après avoir accepté le 12 janvier la proposition du Premier ministre de déclarer l’état d’urgence jusqu’au 1er août pour faciliter la gestion de la pandémie de Covid-19, ce qui permet à l’exécutif de légiférer par ordonnance, le roi indique dans un communiqué que le Parlement a, malgré tout, la possibilité de siéger pendant cette période à un moment qu’il jugerait opportun. Il rappelle que cela ne nécessite légalement qu’une décision de sa part, après avis favorable du chef du gouvernement. En prenant ainsi position, il fait peser une pression supplémentaire sur Muhyiddin Yassin, en difficulté avec sa majorité.
MARS 2021
6 - 11 – Muhyiddin Yassin effectue une tournée diplomatique en Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis pour resserrer des liens bilatéraux distendus depuis 2018. Divers accords sont actés, dont la création d’un Conseil de coordination saoudo-malaisien pour discuter des dossiers d’intérêt commun et du renforcement des coopérations entre les deux pays. Ce déplacement est aussi un moyen pour le Premier ministre, loin du tumulte de la situation en Malaisie, de regagner un peu de crédit auprès de la communauté malaise (visite symbolique à Médine en tenue pieuse blanche, etc.).
16 – Après des rumeurs persistantes, Anwar Ibrahim confirme qu’il a eu des échanges avec plusieurs dirigeants de l’UMNO pour envisager une possible coopération dans la perspective des prochaines élections générales. Néanmoins, il minimise l’importance politique de ces discussions qui restent à un stade exploratoire. Toutefois, un mois plus tard, la diffusion d’un enregistrement pirate d’une prétendue conversation complice au sujet d’un plan secret d’alliance entre lui et Zahid Hamidi, le président de l’UMNO, aussitôt démentie par les deux protagonistes, sème le trouble parmi les partenaires de l’Alliance de l’espoir, mais aussi dans la majorité.
19 – La Corée du Nord déclare rompre ses relations diplomatiques avec la Malaisie, deux jours après l’extradition du pays d’un citoyen nord-coréen vers les États-Unis. En réaction, la Fédération exige de Pyongyang la fermeture de son ambassade à Kuala Lumpur.
AVRIL 2021
1er – Lors d’une visite à Pékin, le ministre des Affaires étrangères annonce lors d’un point presse avec son homologue chinois que la Malaisie et la Chine ont acté le renforcement de leur coopération de sortie de crise pandémique, notamment en reconnaissant mutuellement leurs certificats de vaccination afin de faciliter la reprise des voyages entre les deux pays.
30 – Une centaine de jeunes Malaisiens organise pendant le ramadan une manifestation d’un genre nouveau en venant rompre symboliquement le jeûne assis sur la route qui mène au Parlement pour demander sa réouverture et la fin de l’état d’urgence.
MAI 2021
17 – Dix jours après la condamnation ferme par le gouvernement d’une attaque israélienne contre des civils devant la mosquée Al-Aqsa de Jérusalem, et la réaffirmation de sa position en faveur d’une solution à deux États dans le conflit israélo-palestinien, le roi appelle les Malaisiens à prier pour la Palestine, indépendamment de leur religion. Il les invite aussi à soutenir la cause des Palestiniens et les efforts de la Malaisie, comme ceux de l’Organisation de coopération islamique (OCI), pour lui trouver une issue favorable.
24 – À Kuala Lumpur, une collision entre deux rames de métro à la station KLCC, qui dessert les tours Petronas, fait plus de 200 blessés, dont 47 dans un état grave. Une enquête est ouverte pour déterminer les causes de cet incident inédit qui frappe l’opinion publique.
JUIN 2021
28 – Le Premier ministre annonce un nouveau plan de soutien à l’économie d’un montant de 150 milliards RM (36,2 milliards $ US).
JUILLET 2021
07 – Muhyiddin Yassin consent à nommer un vice-Premier ministre en la personne du ministre de la Défense Ismail Sabri Yaakob (UMNO).
AOÛT 2021
16 – Muhyiddin Yassin annonce dans une allocution télévisée, qu’ayant perdu le soutien d’une majorité de parlementaires, il en tire les conséquences en démissionnant de ses fonctions. Peu après, les services du roi confirment que ce dernier, qui a rencontré plus tôt le Premier ministre, a accepté la démission de son gouvernement.
20 – Le roi nomme Ismail Sabri Yaakob au poste de Premier ministre. Il est soutenu par la même majorité que celle de Muhyiddin Yassin et permet à l’UMNO de revenir au sommet du pouvoir après sa défaite historique aux élections de mai 2018.
26 – La Malaisie enregistre son record du nombre de contaminations quotidiennes depuis le début de la pandémie de Covid-19 avec 24 599 cas.
SEPTEMBRE 2021
04 – Le Premier ministre nomme Muhyiddin Yassin à la présidence du National Recovery Council (MPN), l’organe interministériel en charge de coordonner la stratégie et les actions de sortie de crise pandémique du pays.
OCTOBRE 2021
05 – Après des tensions diplomatiques entre Kuala Lumpur et Pékin pour des faits similaires à l’automne 2020, le gouvernement convoque l’ambassadeur de Chine pour protester contre de nouvelles incursions de navires chinois dans la ZEE de la Fédération.
07 – Le Premier ministre Ismail Sabri Yaakob franchit son premier obstacle parlementaire en parvenant à faire adopter aisément le 12e Plan quinquennal malaisien, préparé par son prédécesseur, qui l’avait dévoilé le 1er mars. Parmi ses priorités, la transition écologique de l’économie, les investissements dans les nouvelles technologies ou encore la réduction de la pauvreté et des inégalités intercommunautaires figurent au premier rang.
18 – La quarantaine pour les voyageurs vaccinés autorisés sous conditions à entrer en Malaisie est réduite à sept jours. Cette mesure, qui a fait suite une semaine plus tôt à la levée des restrictions de circulations interétatiques et vers l’étranger des citoyens malaisiens avec une couverture vaccinale complète, s’inscrit dans le plan de réouverture progressive du pays. Le gouvernement avait aussi donné précédemment son approbation pour le retour par étapes de 32 000 travailleurs migrants du secteur agricole, majoritairement des Indonésiens.
21 – Les États-Unis interdisent les importations du fabricant de gants malaisien Supermax Corporation en raison de pratiques présumées de travail forcé. L’entreprise est la quatrième du pays à faire l’objet d’une telle décision des autorités américaines pour les mêmes motifs au cours des quinze derniers mois.
NOVEMBRE 2021
02 – La discussion du projet de budget 2022 débute au Parlement. Il prévoit un record de dépenses (332,1 milliards RM ou 80 milliards $ US).
20 – La coalition du Front national remporte les élections au Parlement local de Malacca et sort renforcée du scrutin qui avait été convoqué après la défection de deux de ses élus et d’un parlementaire indépendant, lui faisant perdre sa courte majorité acquise à la faveur de la recomposition politique de 2020.
DÉCEMBRE 2021
08 – Malgré les craintes d’une intervention du gouvernement pour faire pression sur la justice, une Cour d’appel rejette le recours formulé par Najib Razak concernant la sentence de la Haute Cour de Kuala Lumpur prononcée contre lui en 2020 dans le principal volet de l’affaire 1MDB. Il avait été condamné à une peine de douze ans de prison et à une amende de 210 millions de RM (51,9 millions $ US), commuable en cinq années supplémentaires d’incarcération en cas de défaut de paiement. Ses conseils ont annoncé sa décision de se pourvoir en cassation auprès de la Cour fédérale. Alors que l’ancien Premier ministre est encore poursuivi dans quatre autres procès pour corruption, ce verdict complique sa volonté de retour au premier plan politique, après son implication remarquée durant la campagne pour les élections au Parlement local de Malacca.
18 – Lors du scrutin pour le renouvellement de l’assemblée d’État du Sarawak, un cartel de partis régionaux (Gabungan Parti Sarawak), allié au Front national, remporte une victoire sans appel (61,26 % des voix), lui permettant d’obtenir 76 des 82 sièges, dans un contexte d’abstention élevée (près de 40 %). L’Alliance de l’espoir ne parvient à conserver que deux parlementaires, tandis qu’une organisation formée en 2018 par des dissidents locaux (Parti Sarawak Bersatu) émerge avec quatre élus revendiquant leur indépendance par rapport aux coalitions nationales.
27 – Le ministère de la Santé malaisien indique que le taux de couverture vaccinale complète (deux doses) contre le Covid-19 de la population adulte du pays atteint désormais 97,6 %. Il est également de plus de 90 % pour les adolescents.
Portraits

Khairy Jamaluddin Abu Bakar, ministre de la Santé
Né en 1976, Khairy Jamaluddin Abu Bakar est issu de la haute bourgeoisie malaise. Après un cursus secondaire dans une école internationale de Singapour, il étudie à Oxford, puis obtient un master en théorie juridique et politique (University College London). Il entame une éphémère carrière de journaliste, avant de devenir Special Officer du vice-Premier ministre Abdullah Badawi, dont il épouse la fille en 2001. Lorsque son beau-père accède au poste de Premier ministre en 2003, son influence auprès de lui et sa notoriété, dont il abuse avec prétention, en font la cible de toutes les critiques. Néanmoins, sous la pression de rumeurs d’adultère, il est contraint de démissionner dès 2004. Il entre alors au service du groupe financier ECM Libra, où il facilite une affaire importante avec l’État, puis se voit proposer le rachat à un prix sous-estimé de parts de la société, à la faveur d’un prêt consenti par ses fondateurs. Le scandale est étouffé, mais il alimente les suspicions de son entrisme au sommet du pouvoir, dont il incarne les errements de l’époque.
En 2008, il est élu député de la circonscription de Rembau (Negeri Sembilan), où son grand-père était une figure, et remporte en 2009 la présidence de la branche des jeunesses de l’UMNO, malgré l’hostilité de l’appareil du parti. Najib Razak ayant remplacé Abdullah Badawi, Khairy Jamaluddin est contraint à une forme d’humilité. Il cultive toutefois sa différence en exprimant sa défiance envers plusieurs décisions liberticides de son camp sur les médias et s’illustre dans des débats avec des personnalités de la société civile ou de l’opposition. Il a aussi été l’acteur principal de l’un des courts-métrages (Meter) du collectif 15Malaysia, un projet culturel de quinze réalisateurs proposant une lecture critique de la société malaisienne. Il y incarne, non sans autodérision, un politicien reconverti en chauffeur de taxi exalté et obsessionnel avec le football, dont il est un fan notoire. Sous la pression de la censure, les films n’ont pas été diffusés à la télévision malaisienne, mais ont connu un succès en ligne et à l’étranger. En 2013, réélu dans son fief et dans ses fonctions au sein de l’UMNO, il est nommé ministre de la Jeunesse et des Sports.
Assagi et resté parlementaire en 2018, Khairy Jamaluddin se distingue en montrant le visage d’un opposant responsable à l’Alliance de l’espoir. Il gagne en respectabilité et la presse se fait souvent l’écho de ses déclarations. Ainsi, en 2020, Muhyiddin Yassin le choisit parmi les membres de l’UMNO appelés à entrer au gouvernement pour le portefeuille de ministre de la Science, de la Technologie et de l’Innovation. Démontrant ses compétences à l’épreuve de la tourmente de la pandémie de Covid-19, il est désigné pour mettre en place et coordonner le Programme national d’immunisation (PICK). Investi et bon communiquant, le succès de la stratégie vaccinale du pays, qui contraste avec la gestion publique décriée de la situation sanitaire, lui est attribué. Cela lui permet de franchir un cap de popularité et de crédibilité, qui amène Ismail Sabri Yaakob à lui confier en août 2021 le poste sensible de ministre de la Santé dans la nouvelle équipe dirigeante, dont il est devenu un pilier.

Azalina Othman Said, Conseillère spéciale du Premier ministre pour la justice et les droits humains
Azalina Othman Said est née en 1963 dans le Johor et a passé son enfance à Penang, où elle a fait sa scolarité primaire dans une école catholique. Après un début d’études supérieures en administration publique (UiTM), elle obtient une licence de droit (University of Malaya), puis un master dans la même discipline en 1990 (LSE, Londres). En parallèle d’une brillante carrière d’avocate, elle anime plusieurs émissions d’information à la télévision.
Elle est repérée par Mahathir Mohamad, qui parraine son entrée en politique. En 2000, elle prend la responsabilité du Civil Action Bureau de l’UMNO, une structure destinée à attirer de jeunes talents. Le Premier ministre la nomme aussi au Conseil suprême du parti, qu’elle n’a pas quitté depuis, et lui confie en 2001 la mission de créer une branche des jeunesses féminines (Puteri UMNO), dont elle devient la première présidente élue en 2002, ce qui lui octroie l’un des six postes de la vice-présidence de l’UMNO. Cependant, son ascension est freinée par des accusations de corruption et d’homosexualité, qui deviennent virales.
Bien que plus discrète, Azalina Othman ne renonce pas à sa carrière politique et remporte en 2004 une circonscription fédérale dans le Johor (Pengerang). Elle devient alors ministre de la Jeunesse et des Sports, une première pour une femme. Réélue en 2008, elle est nommée ministre du Tourisme. Mais un an plus tard, se démarquant des codes assignés aux femmes publiques malaises, dont le port du voile, elle est évincée du gouvernement lorsque Najib Razak prend les commandes du pays dans un contexte difficile pour l’UMNO.
Écartée du sommet du pouvoir, elle conserve toutefois son siège de parlementaire en 2013 et affirme son engagement féministe. Elle s’affranchit aussi des contingences pour assumer une apparence avec des traits stéréotypés masculins, malgré les non-dits sur son orientation sexuelle. Pris dans le scandale de l’affaire 1MDB, Najib Razak la rappelle comme ministre en charge de la justice en 2015 pour serrer les rangs de l’UMNO derrière lui.
En 2020, Azalina Othman est la première femme à accéder à la vice-présidence de la chambre basse du Parlement, où son autorité durant les débats est remarquée. Cependant, peu consensuelle et critiquée par les élus les plus conservateurs, elle est exfiltrée de cette fonction pour être nommée conseillère spéciale du Premier ministre pour la justice et les droits humains en octobre 2021. Ce poste hors cadre lui offre la liberté de laisser s’exprimer son franc-parler, y compris quand son opinion va à l’encontre d’une partie de son camp, et lui confère de nouveau un rôle politique conforme à son crédit dans la population, qui la redécouvre avec intérêt.
Arrêt sur image

Timah ou le whisky de la colère : une énième controverse politicienne autour de l’islam qui donne la gueule de bois aux Malaisiens en pleine sortie de crise sanitaire
© Timah Whiskey
En dehors des initiés, peu de personnes connaissaient le whisky tourbé Timah, le premier du genre récemment produit en Malaisie, avant le 28 octobre 2021. Ce jour-là, lors d’un débat parlementaire, une députée du PKR, portant une revendication exprimée par l’Association des consommateurs de Penang, dénonce le nom du spiritueux et exige son remplacement. Selon elle, il serait blasphématoire et source de confusion sur le caractère licite du breuvage pour les musulmans en utilisant le diminutif familier du patronyme Fatimah. Elle déclare même qu’il s’apparente « à boire des femmes malaises ». L’attention portée à la marque est venue de l’exposition publique de cette dernière à la suite de plusieurs concours internationaux dans lesquels elle a été primée, une reconnaissance inédite pour un alcool malaisien. L’affaire est devenue virale sur les réseaux sociaux, avant d’être abondamment relayée par les médias, à la faveur des réactions politiques qu’elle a suscitées. En pleine préparation du scrutin local de Malacca, le fait que la controverse ait été initiée par une élue de l’État ne doit rien au hasard. Elle visait à instrumentaliser une nouvelle fois la variable islamique pour supposément tenter de séduire l’électorat malais en débordant la majorité sur le terrain de la légitimité religieuse. L’Alliance de l’espoir a donc adopté une stratégie qu’elle ne cessait de dénoncer lorsqu’elle était au pouvoir. Cependant, la manœuvre s’est retournée contre ses instigateurs, qui ont fait l’objet de multiples railleries et commentaires consternés, dans le contexte grave de la sortie difficile du pays de la crise sanitaire. Toutefois, embarrassé et divisé sur le sujet, le gouvernement a incité l’entreprise productrice, Winepak Corporation, à considérer la possibilité d’un changement d’appellation dudit whisky, même si elle s’est expliquée sur sa signification qui, loin de faire référence à l’islam, est une évocation du Capitaine Speedy (représenté sur l’étiquette de la bouteille), un explorateur britannique qui s’illustra parmi ses nombreuses aventures dans un district du Perak célèbre pour ses mines d’étain (timah), métal qui est un symbole de la Fédération. Ironie de l’histoire, le breuvage s’est trouvé immédiatement en rupture de stocks, ayant suscité un attrait local – comme une revanche sur la bêtise politicienne – dont le PDG sino-malaisien de la société n’aurait pas pu mieux rêver.
Notes de bas de page
1 https://www.youtube.com/watch?v=0eVSk-JYtpM
2 David Delfolie, « Échapper à la gueule du crocodile pour tomber dans celle du tigre », in Christine Cabasset et Claire Thi-Liên Tran (dir.), L’Asie du Sud-Est 2021. Bilan, enjeux et perspectives, Bangkok-Paris, Irasec-Les Indes savantes, p. 279-308.
3 Muhyiddin Yassin a été l’un des artisans de la victoire de l’Alliance de l’espoir en 2018, après avoir rompu avec l’UMNO, dont il était un vétéran, dans le sillage des conséquences politiques de l’affaire 1MDB.
4 Mehdi Laghrari, « En Malaisie, la pandémie exacerbe les tensions politiques », Les Échos, 4 août 2021.
5 Brice Pedroletti, « En Malaisie, le retour aux affaires du parti UMNO », Le Monde, 21 août 2021.
6 Pendant cette période, Anwar Ibrahim a d’ailleurs laissé un souvenir plus que contrasté de sa manière de gouverner, qui ne manque jamais d’être rappelé, exemples à l’appui, par ses détracteurs.
7 Source : CSIS, Southeast Asia Covid-19 Tracker. https://www.csis.org/programs/southeast-asia-program/projects/southeast-asia-covid-19-tracker
8 Bridget Welsh, « Special report. Sarawak hornbills sing », Between the Lines, 19 décembre 2021.
9 Alifah Zainuddin, « Malaysia lifts ban on interstate, overseas travel in transition to endemic phase, The Diplomat, 11 octobre 2021.
10 Le 5 octobre 2021, le ministère des Finances malaisien a confirmé que, toutes mesures confondues, un peu plus de 330 milliards RM (78 milliards $ US) avaient été engagés à la date du 24 septembre pour soutenir les ménages et les entreprises depuis le début de la pandémie de Covid-19. Selon les chiffres d’une étude de la série Perspective de l’ISEAS – Yusof Ishak Institute (Issue 2021, N°92), le pays présentait en milieu d’année le second ratio de dépenses de crise par habitant de l’ASEAN derrière Singapour.
11 Amir Yusof, « PM Muhyiddin unveils additional RM150 billion stimulus package as Malaysia extends total lockdown », CNA, 28 juin 2021.
12 Hazlin Hassan, « Covid-19 lockdown sees rising mental health concerns among teen in Malaysia », The Straits Times, 9 août 2021.
13 Mei Mei Chu et A. Ananthalakshmi, « U.S. to downgrade Malaysia to worst tier in trafficking report », Reuters, 1er juillet 2021.
14 « Malaysia High Court rules Christians can use ‘Allah’ », BBC News, 11 mars 2021.
15 Faye Kwan, « Don’t make a hash of #KerajaanGagal, Putrajaya told », Free Malaysia Today, 21 avril 2021.
16 En 1999, Azalina Othman a animé la version malaise un peu moins médiatisée que celle en anglais présentée par Khairy Jamaluddin d’un nouveau talk show politique, Dateline Malaysia (NTV7), qui a fait sensation en abordant des sujets sensibles avec un ton polémique. Détonante dans le paysage audiovisuel local, l’émission n’a pas duré. Par ailleurs, tandis que la première s’est émancipée de certaines pesanteurs sociales malaises, le second, fils d’un diplomate de renom, a grandi à l’étranger et a vécu des années étudiantes de grande liberté. De cette époque, subsistent des photos évocatrices circulant sur la toile ou les réseaux sociaux, comme ce célèbre cliché partagé sur son compte Instagram le montrant, cheveux longs noués et dreadlocks, échanger avec Mahathir Mohamad lors de sa visite sur le campus d’Oxford en 1996. Entre autres épisodes disruptifs dans sa carrière, en 2017, sa participation comme membre de l’équipe masculine de polo malaisienne – victorieuse – aux Jeux d’Asie du Sud-Est, alors qu’il était en charge de leur organisation en tant que ministre de la Jeunesse et des Sports, a suscité la curiosité, mais aussi des critiques et des questions sur sa légitimité sportive.
17 Selon le MIDA, en 2020, le montant des IDE chinois en Malaisie s’est élevé à 18,1 milliards RM (4,3 milliards $ US).
18 Stephen Dziedzic, « Malaysia warns Australia nuclear submarine project could ‘provoke other powers’ in Asia », ABC News, 18 septembre 2021.
19 « ’Where’s the help?’: Malaysia PM under fire after deadly floods », Aljazeera, 28 décembre 2021.
Auteur
David Delfolie est enseignant et chargé de mission Inclusion à Sciences Po Lille. Il est aussi codirecteur de l’Institut Pondok Perancis (Kuala Lumpur), chercheur associé à l’Irasec et membre du comité éditorial de la revue Moussons. Parmi ses publications, on peut citer « La stratégie malaisienne d’optimisation diplomatique avec la Chine » (Revue diplomatique, 2021), « Décentrer le regard sur les « Printemps arabes » à partir de l’expérience de l’Asie du Sud-Est » (Le jeu de l’oie, 19, 2021), « Quand l’espace public se met au diapason. La politisation sonore en Malaisie, entre enjeux idéologiques et clivages partisans » (Politiques de communication, hors-série 1, 2017), ainsi que Malaisie-Chine : une « précieuse » relation (Carnets de l’Irasec, 2016) avec Nathalie Fau et Elsa Lafaye de Micheaux, avec lesquelles il a également codirigé l’ouvrage collectif Malaisie contemporaine (Irasec-Les Indes savantes, 2021).
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