Hô Chi Minh-Ville : les tuniques de Minh Hanh
Paru dans Fase no 9 de septembre 2006
p. 147-150
Texte intégral
1L’aventure a démarré en 1994. « L’argent a commencé à circuler un peu. Beaucoup de jeunes ont alors souhaité changer de style, s’habiller différemment ; mais ils ne savaient pas comment s’y prendre », raconte Minh Hanh. Elle se lance alors dans la haute couture pour les femmes. Puis dans la confection en créant, pour le compte de la municipalité de Hô-Chi-Minh-Ville, une société, Legamex, qu’elle dirige depuis. « Le premier centre de mode de l’histoire du Viêt Nam », dit-elle.
2Sa principale base de travail est l’ao dài, la tunique traditionnelle vietnamienne. Le succès et la notoriété suivent : un premier défilé de mode en 1997 au Japon, couronné par un prix, puis Paris, Pusan, Berlin, la Chine, de nouveau le Japon, Manille, Singapour... Qui ne serait pas impressionné par les nouvelles allures qu’elle donne à cet habit classique, par leur sensualité, leur beauté ? Mais, au Viêt Nam, la mode est un domaine inconnu et Minh Hanh s’est retrouvée face à un parcours de combattant. « Sept jours sur sept, de 8h du matin à minuit, encore aujourd’hui », dit-elle.
3Minh Hanh est attablée chez Brodard, un café de la rue Dông Khoi, et les sonneries de son portable signalent régulièrement l’accumulation des messages. « La haute couture, poursuit-elle, doit être en avance sur son temps, mais elle doit le faire sur des fondations, sur une culture ». Elle a choisi l’ao dài parce que cette tunique est vietnamienne — et qu’elle est à la fois « très moderne, très simple, très sexy et très romantique ». « C’est une source d’inspiration pour aujourd’hui et pour le futur ».
4Cette tunique a évolué avec le temps. Un petit coup de fil et une collaboratrice lui apporte un gros catalogue sur l’ao dài, qu’elle a elle-même édité. En parcourant des clichés, parfois jaunis, elle souligne qu’avant la deuxième guerre mondiale, la tunique « n’était pas si moulante, plutôt droite et confortable ». « De la soie pour les riches, du coton pour les pauvres ». Elle devient très étroite dans les années 1960, « avec un col très relevé, long ». Le vêtement est seyant mais peu confortable.
5Des variantes sont introduites. La célèbre, redoutable et jolie Madame Nhu, belle-sœur du président Ngô dinh Diêm, supprime le col et le remplace par un décolleté pudique, en arrondi. Plus tard, dans les années 1970, apparaît la tunique courte, juste en dessous du genou, qui dévoile un large pan du pantalon. Après la fin de la guerre, les nouvelles autorités en découragent le port, sauf dans les réceptions officielles pour étrangers.
6La situation se retourne en 1988 quand le port de l’ao dài devient obligatoire pour les élèves des écoles secondaires et les enseignantes. Les écolières affichent une tunique blanche. Mais les tuniques des réceptions, des mariages, du jour de l’an vietnamien, très souvent coupées dans des tissus de fibres synthétiques, sont peu heureuses, avec leurs couleurs criardes et leurs broderies de mauvais goût.
7Minh Hanh est donc contrainte de tout reprendre à zéro. Elle s’inspire beaucoup des broderies du Nord et de celles des minorités ethniques. « Ma mère m’a raconté que, quand j’avais cinq ou six ans, je passais mon temps avec les gens des minorités ethniques ». Son père, un officier, était alors en garnison à Pleiku, sur les Hauts Plateaux du Sud. « J’admirais les couleurs fortes et contrastées des habits des minorités, très amusantes, très vivantes, très gaies ».
8« Petite, j’étais déjà douée pour la broderie, m’a dit ma mère. J’habillais moi-même mes poupées et, à l’âge de douze ans, j’ai taillé ma première tunique ». « La vie était dangereuse. À Pleiku, nous avions un abri sous notre logement, à cause des tirs d’obus de mortier », se rappelle-t-elle. Par la suite, son père est muté à Huê puis à Da-Nang, dans le centre du Viêt Nam. Lors de l’offensive communiste finale de 1975, le père évacue femme et enfants vers Saigon où il les rejoindra plus tard avant de passer, lui-même, près de dix ans en « rééducation ». Minh Hanh est alors âgée de quatorze ans.
9Ce qui la préoccupe le plus, aujourd’hui, est la formation des designers. « Nos créations sont exportables. Les talents ne manquent pas. Mais les jeunes designers ne peuvent pas produire. Ils ont des idées mais ne savent pas quoi en faire ». La raison ? « Il n’y pas de centre de formation. Les designers manquent de bases. Ils apprennent peu à peu mais lentement. Nous disposons des talents, des matériaux, de la volonté, d’une demande mais nous n’avons pas d’enseignement. Les jeunes designers ne connaissent même pas les grands noms de la mode. Ils ignorent jusqu’au terme de haute couture ».
10« La mode, dit-elle, est très démodée. Les magazines de mode sont médiocres. Certes, l’accès à l’internet encourage un peu le mouvement mais c’est insuffisant : ce sont des clichés sans explication de texte. Les jeunes designers ont beau avoir fait cinq ans d’études supérieures, ils doivent tout apprendre par eux-mêmes ou à l’étranger. Ils ont beau être diplômés, ils viennent me demander de leur enseigner. Je dois tout reprendre à partir de zéro ». Le problème est que le Viêt Nam est encore pauvre et que les autorités y perçoivent la haute couture comme un luxe inutile.
11Minh Hanh a obtenu un coup de main de l’Institut français de la mode, qui organise depuis 2004 des ateliers sur place avec l’appui de l’Association française d’action artistique. « Après avoir participé à ces ateliers, les jeunes designers qui ont déjà des boutiques ont vu leurs ventes augmenter », dit-elle. Les ateliers vont se poursuivre. Elle n’a pas l’intention de renoncer. « Je veux continuer parce que je suis vietnamienne, que je veux préserver mon identité, mon humanité ».
12Elle organise, pour les jeunes stylistes doués, des défilés de mode et, chaque année, un « Viêt Nam Collection Grand Prix ». Une autre manifestation, à l’intention des créateurs confirmés, est la « Viêt Nam Fashion Week ». Son mensuel Môt (Mode) a réuni un jury — des designers et des journalistes — qui attribue des prix annuels. Le jeune chanteur Kasim Hoang Vu a reçu, en 2005, celui de l’artiste le mieux habillé. Une demi-douzaine de célébrités du show-business et de la télévision, dont une très belle chanteuse, ont partagé le prix de la personne la plus mal vêtue.
13Minh Hanh lorgne Hanoï, une ville qui, à ses yeux, serait un meilleur centre de haute couture que Saigon. « Pour des tas de raisons : un climat moins chaud ; la qualité des matériaux du nord ; les plus beaux modèles, des femmes de 1,71 m à 1,80 m, de standard international, même s’il faut entièrement les former ; l’héritage culturel », dit-elle. « C’est dans les villages autour de Hanoï que je trouve les plus belles broderies », ajoute-t-elle, comme si elle rêvait. « La haute couture est ma vie. Je pense qu’au Viêt Nam, même s’il faut du temps, la haute couture est une belle aventure ».
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