La résurgence des clivages ethniques menace l’élan de la Malaisie
Paru dans Fase no 12 de décembre 2006
p. 29-31
Texte intégral
1D’abord, une bonne nouvelle : les exportations demeurant solides, le taux de croissance de l’économie malaisienne en 2006 devrait frôler les 6 %, contre 5,2 % l’année précédente. Ce qui n’est pas si mal. Malheureusement, le tableau général est moins brillant. En 2005, alors que les investissements étrangers ont augmenté de 45 % en Asie du Sud-Est, ils ont baissé de 14 % en Malaisie. Avant la crise financière régionale de 1997-1998, la Malaisie se plaçait au sixième rang mondial des récipiendaires d’investissements étrangers. Elle se retrouve aujourd’hui, selon la Cnuced, au soixante-deuxième rang.
2La Malaisie ne recule pas mais bouge de moins en moins. Depuis une quinzaine d’années, les investissements étrangers y sont, en moyenne, de quelque quatre milliards d’euros par an. La marée est étale et, cette année, des pays comme l’Indonésie ou le Viêt Nam attirent davantage. La bourse est morose et la remise en cause, en avril 2005, de certaines mesures prises à la suite de la crise financière — y compris le lien du ringgit avec le dollar — ne suffit pas à relancer la machine.
3Le problème : le modèle malaisien n’est plus performant. La Fédération est très riche en ressources et offre l’avantage de ne pas être trop peuplée avec seulement 26 millions d’habitants. Le gaspillage, notamment par l’État, y a donc été amorti et le revenu par tête y reste le plus élevé de la région, à l’exception, bien entendu, de celui de la cité-État voisine de Singapour.
4En 1971, au surlendemain donc des émeutes raciales de 1969, Kuala Lumpur avait introduit la Nouvelle économie politique (NEP) dont l’objectif était d’aider la majorité malaise — 60 % de la population — à rattraper son retard, notamment sur les minorités chinoise (25 %) et accessoirement indienne (7 %). Vingt ans plus tard, l’objectif — 30 % des richesses — n’avait pas été atteint et la NEP n’a pas été démantelée. Aujourd’hui, le gouvernement estime que les Bumiputeras— ou « fils du sol », dans l’immense majorité les Malais musulmans — ne contrôlent encore que 18,7 % des richesses et que la NEP doit donc être maintenue.
5Ces conclusions sont controversées. Un récent rapport du Center for Public Policy Studies a provoqué un tollé, parmi l’élite malaise, en calculant que la fortune malaise représentait jusqu’à 45 % du total, donc que la barrière des 30 % avait été franchie depuis longtemps, rendant la NEP caduque. Ce rapport a été aussitôt retiré de la circulation et le président du Centre, un Chinois, a démissionné en signe de protestation. Le débat sur l’opportunité de la NEP a été, une nouvelle fois, éludé.
6La NEP a permis, sans nul doute, de relever le niveau de vie des Malais. Mais elle a également favorisé la constitution d’une élite malaise très riche, très influente et qui s’accroche naturellement à ses privilèges. Dans un système où les partis suivent généralement des lignes ethniques, l’Umno (Organisation nationale des Malais unis) joue le rôle de formation dominante. Depuis plus de quatre décennies, elle a dirigé tous les gouvernements sous la houlette du Barisan national, un Front au sein duquel elle est associée à des partis plus faibles, chinois, indien et autres.
7L’absence d’appétit pour la définition d’un nouveau modèle de développement vient de là. Lors du dernier congrès de l’Umno, à la mi-novembre, plusieurs orateurs ont évoqué avec verve — et sans grande raison — la défense des intérêts des Malais et du statut spécial de leur religion, l’islam, au sein de la Fédération. Les appels à l’unité nationale se sont un peu perdus dans la masse de ces interventions pour la première fois rapportées intégralement par un circuit de télévision qui compte trois millions d’abonnés.
8Le plus grave risque est la polarisation raciale : les Malaisiens ont tendance à se replier sur leurs communautés et leurs églises. Le gouvernement a déjà été invité à abandonner le projet d’une Commission de conciliation, chargée de faciliter la compréhension entre les religions, en raison de l’opposition virulente de musulmans. Un autre risque est que la redistribution des richesses, par l’État central, ne s’effectue pas en fonction de critères nationaux — l’aide aux plus démunis, y compris minoritaires — mais raciaux.
9Les Malaisiens devraient se concentrer sur les moyens de rester concurrentiels et créatifs dans une région dynamique. Au lieu de cela, un orateur, lors du congrès de l’Umno, a brandi son criss, poignard malais à lame sinueuse, dans sa défense des Malais et de l’islam. Même les relations entre les membres du Barisan national en sont devenues acerbes.
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