Chapitre 1
Construction de la catégorie « entrepreneur » (doanh nhân)
p. 15-33
Texte intégral
1Une analyse portant sur les dirigeants d’entreprise à l’heure de l’ouverture et de l’intégration internationale s’inscrit par définition dans une évolution sur le long terme. C’est pourquoi il semble délicat de ne considérer en l’occurrence que la période inaugurée par le vie congrès du PCVN, ou congrès du đổi mới, et de ne pas impliquer un bref rappel des différentes étapes liées à l’avènement de cette catégorie sociale au cours de l’histoire politico-économique du pays. Les élites d’aujourd’hui trouvent en effet leur origine, leur savoir, leur fortune et leur pouvoir dans celles d’hier. L’année 1986, marquant la mise en œuvre de la politique du « changer pour faire du neuf », a ainsi simultanément ouvert une ère de rupture et de continuité.
1 - L’héritage confucéen et l’impact du colonialisme
2Dans la tradition vietnamienne ancienne, les activités touchant aux « affaires commerciales » (kinh doanh buôn bán) étaient définies de manière assez rigide au travers d’un code à forte influence confucéenne. La domination chinoise, de plus de dix siècles, a laissé des traces difficilement effaçables. Dans le premier ouvrage en quốc ngữ (langue nationale, caractérisée par l’écriture romanisée du vietnamien) sur l’histoire générale du Viêt Nam, écrit en 1919 et publié pour la première fois en 1921, l’historien Trần Trọng Kim (2000 : 9) remarquait :
« Notre peuple a contracté d’une façon très profonde la civilisation chinoise, de sorte que, même s’il s’est plus tard affranchi de la dépendance de la Chine, il s’est condamné à en subir l’influence. Avec le temps, cette dernière est devenue notre propre génie national, dont, malgré la volonté d’aujourd’hui d’y parvenir, il ne sera pas si facile d’effacer un jour toutes les traces. »
3Ce syncrétisme culturel serait largement corroboré par l’analyse des faits historiques. Avant l’arrivée des troupes françaises en 1858 et la création de l’administration coloniale, la société féodale vietnamienne accordait à la catégorie des gens appartenant à la sphère des affaires un rang inférieur sur l’échelle sociale. Dans la classification hiérarchique des professions (sĩ, nông, công, thương), les commerçants (thương nhân) se trouvaient en quatrième place, en dessous des artisans (công), puis des agriculteurs (nông) et des intellectuels (sĩ) positionnés en amont. Au sein d’une société traditionnelle basée sur l’agriculture (dĩ nông vi bản), l’État définissait clairement des politiques visant à valoriser les activités agricoles (trọng nông), mais aussi à contraindre les activités commerciales (ức thương). Dans un tel cadre, les affaires commerciales étaient indéniablement limitées, non seulement par la dimension rudimentaire des infrastructures et le caractère d’autosuffisance de l’économie agricole, mais surtout par la perception négative que la société portait à leur égard. Méprisant le profit (lợi), l’œil confucéen ne voyait dans les hommes ou les femmes d’affaires que des « petites et mauvaises gens », des « escroqueurs », des « malhonnêtes » ; le terme con buôn (marchand), souvent utilisé pour nommer cette catégorie peu enviée, traduit toutes les dimensions du mépris social exprimé vis-à-vis de ce type d’activités (Trần Hữu Quang, 2001 : 41 et 53). Parlant d’us et coutumes vietnamiennes, l’érudit Phan Kế Bính (1875‑1921), pour qui la prospérité d’un pays dépendait bien de la prospérité de son commerce, garda en 1915 un regard bien critique sur, entre autres, les limites socioculturelles des activités commerciales (Phan Kế Bính, 2005 : 335‑339). Il en résulte que pendant longtemps cette mentalité a contraint de façon indirecte le développement de l’économie d’échange marchand et, de ce fait, la formation et le développement de la catégorie des entrepreneurs.
4Le décrochage partiel de l’emprise culturelle chinoise s’est produit pendant la colonisation française. L’adaptation de la société à l’économie capitaliste introduite au Viêt Nam ébranlait, sans conteste, la nature de l’économie traditionnelle. La construction et la modernisation des infrastructures, l’installation des premiers ateliers et usines, l’utilisation de nouvelles techniques et technologies occidentales, le développement de la production et de la vente de marchandises sont autant de facteurs réunis pour encourager l’émergence, bien que timide, de la catégorie des entrepreneurs vietnamiens qui est propre à une économie capitaliste.
5Un regard rétrospectif nous montre que parmi les entrepreneurs les plus connus du Viêt Nam à l’époque coloniale figuraient Lương Văn Can, Bạch Thái Bưởi, Nguyễn Sơn Hà, Trịnh Văn Bô, Trương Văn Bền, etc. Des ouvrages récents font ainsi redécouvrir au grand public le lettré Lương Văn Can (1854‑1927), connu non seulement en tant qu’ardent patriote à l’esprit moderniste, qui fut notamment en 1907 le directeur de l’école privée Đông Kinh Nghĩa Thục, mais aussi comme l’architecte de la ligne de commerce de marchandises reliant la région de Ha Noi au marché cambodgien. Ses réflexions exposées en 1925 au sujet des affaires dans Kim cổ cách ngôn [Adages anciens et modernes] (Lương Văn Can, 2011)7 sont désormais considérées comme les premiers écrits vietnamiens sur ce qu’on appelle l’éthique ou la culture des affaires. Lương Văn Can ne manquait pas de pointer les principales causes du mauvais développement du commerce et de l’économie vietnamiens à l’époque, auxquelles les entrepreneurs étaient étroitement associés :
absence d’articles de commerce ;
absence de sociétés commerciales ;
absence de persévérance ;
manque d’énergie ;
absence de respect du métier ;
absence de formation commerciale ;
faiblesse en communication ;
mépris des produits locaux8.
6Ces écrits présentent également, au côté du parcours de Lương Văn Can, celui du célèbre Bạch Thái Bưởi (1874‑1932), une des quatre personnalités renommées de la bourgeoisie nationale du Viêt Nam au début du xxe siècle. Ce grand armateur, « roi du transport fluvial », est aussi connu dans d’autres domaines d’activités tels que l’exploitation minière, la construction ou encore l’imprimerie9. À titre illustratif, son nom a été adopté pour baptiser un port maritime de Quang Ninh ainsi qu’un club des entrepreneurs à Ha Noi.
7D’une façon plus générale, une large partie des entrepreneurs s’était formée dans la société coloniale d’avant la Révolution d’août 1945, mais restait néanmoins peu nombreux. En effet, faute d’une position économique et politique clairement définie, ce groupe ne pouvait devenir une force sociopolitique indépendante. Des statistiques dévoilent la fragilité d’une communauté bourgeoise nationale dont l’effectif ne dépassait pas 2 000 individus, représentant environ 0,1 % de la population vietnamienne à la fin des années 1920 (Vũ Tiến Dũng, 2010 : 19). À l’époque coloniale, dans une société traditionnellement confucéenne et où se pratiquait un favoritisme certain vis‑à‑vis des entreprises métropolitaines, l’essor de l’entrepreneuriat vietnamien était aussi fragile que son développement instable (Nguyễn Thị Lan , 2008 : 17-21).
2 - Les cadres de l’État-Parti
8Au lendemain de la guerre d’indépendance, le Viêt Nam, tout comme les autres « démocraties populaires », suivit le modèle soviétique de développement, caractérisé notamment par la planification centralisée, le soutien au développement de l’industrie lourde, la collectivisation, l’exode rural, mais aussi l’urbanisation.
9Le choix du « progrès » nécessitait aux divers échelons décisionnels des personnes qualifiées et des cadres adaptés. La mobilisation extensive des ressources en faveur de la construction du pays était caractérisée par le développement rapide de l’instruction, notamment de l’enseignement supérieur et technique, par le biais de la solidarité entre pays frères socialistes. Dès le début des années 1950, l’envoi d’étudiants dans des filières en Union soviétique, en particulier vers des formations techniques, s’effectuait à un rythme régulier. Essentiellement quantitatif, cet effort s’est prolongé jusqu’en 1990. Au côté d’élites recrutées principalement selon le critère du « mérite révolutionnaire » (thành tích cách mạng) durant les premières décennies de l’indépendance, c’est dans la population des diplômés que se forgera, au fur et à mesure, une « nouvelle » partie des élites, qu’il s’agisse de l’intelligentsia technique, universitaire ou de l’encadrement de l’industrialisation. Les écoles de cadres du Parti joueront un rôle de sélection ultime pour les plus hautes positions dans l’État et dans l’économie, autrement dit pour la couche structurante du régime.
10Cela dit, la situation vietnamienne est singulière en raison des années de guerre qui partagèrent le pays en deux jusqu’en 1975, année de sa réunification. Ainsi, entre 1945 et 1975, deux modèles économiques coexistaient, socialiste au Nord et capitaliste au Sud, ayant pour point commun une dépendance marquée à l’égard de l’extérieur10.
11Deux étapes de développement marquèrent les premiers pas de l’État socialiste au nord. Au cours de la première décennie du régime, lorsque l’État procédait à la construction des premières infrastructures matérielles et à la consolidation des bases idéologiques du socialisme, le recrutement des « cadres‑dirigeants » (cán bộ lãnh đạo) de la sphère politique, mais aussi économique, était principalement guidé par des « critères de classe » (tiêu chí thành phần chủ nghĩa). Dans cette optique, la mobilité sociale ascendante était principalement effective pour les catégories d’ouvriers et surtout, pour les paysans pauvres et prolétaires des campagnes (thành phần bần cố nông).
12Ce mode de recrutement des élites connut des changements non négligeables lorsqu’intervint la phase de développement de la grande production socialiste (nền sản xuất lớn xã hội chủ nghĩa), du milieu des années 1960 jusqu’au milieu des années 1970. Outre des critères de classe qui restaient toujours valables, la nomination des cadres-dirigeants mettait également l’accent sur le double critère selon lequel le candidat à l’élite devait être « à la fois rouge et spécialiste » (vừa hồng vừa chuyên). « Rouge » doit être compris dans le sens du critère politique ; le candidat est choisi parmi les membres du Parti et doit rester absolument loyal vis-à-vis du marxisme-léninisme. Sa qualification professionnelle et son niveau de spécialisation doivent être également confirmés. L’appartenance au Parti passe, toutefois, en priorité. Cela dit, pour faire partie de l’élite, il n’était pas strictement nécessaire d’être membre du Parti, bien que cela fût plus que souvent le cas. Le degré de rigidité des critères d’accession aux fonctions dirigeantes était conditionné par l’importance du niveau décisionnel. Le Parti, en s’appuyant en général sur son département des cadres du Comité central, gérait ces postes au niveau central, ce même fonctionnement se reproduisant au niveau local. L’existence parallèle et simultanée à tout échelon des deux systèmes, à savoir le Parti et le pouvoir étatique, constitue un exemple probant du rôle structurant du premier. Au niveau central, aux côtés des ministères (représentants de l’Administration publique) se trouvent les différentes commissions fonctionnelles du Parti telles que les commissions de l’Idéologie et de la culture, des Affaires économiques, ou encore des Relations extérieures.
13Dans ce contexte sociopolitique, le modèle d’organisation politique était transposé assez fidèlement dans le milieu économique. Au sein des entreprises (publiques), se trouvait au sommet le duo fonctionnel : le directeur de l’entreprise (giám đốc), chargé des questions de la production, et le secrétaire du Parti (bí thư), chargé de mission du Parti. Dans le cadre de cette combinaison visant à favoriser la coordination au profit de l’entreprise, le secrétaire du Parti jouait pratiquement le rôle d’encadrement et d’orientation. Les mécanismes du Đảng lãnh đạo, Nhà nước quản lý (le Parti dirige, l’État gère) se reproduisaient quasiment à la lettre dans les entreprises. Le secrétaire du Parti était automatiquement consulté pour toute activité relative à la vie de l’entreprise : de la production jusqu’au développement de la structure.
14Globalement, la négation de l’économie de marché par le système de gestion économique planifié, centralisé et bureaucratique se traduisait par l’absence d’entreprises et d’entrepreneurs tels qu’on a l’habitude d’en rencontrer dans le monde occidental (Vũ Quốc Tuấn , 2001 : 307).
15Les élites entrepreneuriales étaient tout d’abord des dirigeants d’entreprises publiques, promus dans le cadre du statut général des fonctionnaires de l’État et soumis aux critères de recrutement précédemment exposés. Elles occupaient finalement une fonction plutôt mue (par les directives des instances de tutelle) qu’agissante (sur l’organisation, l’encadrement et le développement de l’entreprise), dans des structures créées, financées et gérées par les autorités centrales. Le respect des plans et quotas de production annuels prénégociés était le critère le plus important dans l’évaluation de leur performance. Au sein d’un tel système, les chefs d’entreprise étaient généralement peu soucieux de leur niveau d’efficacité gestionnaire. D’autant plus que leur salaire, comme celui de tout fonctionnaire, s’améliorait automatiquement en fonction de l’ancienneté.
16Qu’en était-il de la situation des entrepreneurs dits « capitalistes privés »11 (tư bản tư doanh) ? Effectivement, cette catégorie d’entrepreneurs à « rééduquer » selon l’orientation socialiste fit justement l’objet d’un vaste projet de rééducation, introduit dès les années 1950 dans le Nord et par la suite au Sud, au lendemain de la réunification nationale. Ce projet, renforçant la collectivisation, s’articulait autour de deux grands axes : la nationalisation des industries et le regroupement des paysans, des commerçants et des artisans au sein des coopératives (hợp tác xã). En avril et en juin 1959 à Ha Noi, la xvie session du CC du iie congrès du Parti focalisait ainsi ses discussions sur la coopérativisation de l’activité agricole, d’une part, et la réforme socialiste de l’industrie et du commerce liés au secteur privé, d’autre part. La résolution issue de ces réunions indiquait clairement des modalités à suivre, visant à lever les « contradictions » auxquelles la construction de l’économie socialiste devait faire face.
« [Le programme vise à] ramener les entreprises capitalistes privées à la typologie du niveau bas et moyen puis élevé du capitalisme d’État, notamment sous la forme d’entreprises mixtes avec participation de l’État, et à transformer le régime d’appropriation capitaliste essentiellement en régime de propriété étatique et, sur cette nouvelle base de relations sociales de production, convertir graduellement le bourgeois national en travailleur.
[…] Les politiques concrètes visant la mise en pratique de différentes formes de rééducation ont été préconisées lors de la session, à savoir : faire l’inventaire et estimer la valeur totale des biens ; fixer des politiques et des taux d’intérêts ; donner du travail aux bourgeois et à leurs familles, etc. Il a également été précisé que : au cours de la réforme de l’industrie et du commerce capitalistes privés, nous devons “nous appuyer sur le public ouvrier, être étroitement solidaire avec les travailleurs, éduquer et rééduquer les bourgeois, lutter avec détermination contre les éléments réactionnaires antisocialistes, anti-patrie et anti-peuple”.
[…] La réforme socialiste de l’économie capitaliste privée et de la classe bourgeoise nationale est une lutte révolutionnaire, une lutte des classes difficile et complexe12. »
17La construction du socialisme ainsi généralisée à l’ensemble du pays à partir de 1975 coûtera cher au régime centralisé et planifié de gestion économique. La rééducation des entrepreneurs appartenant à la sphère du « capitalisme privé » a fait perdre la confiance du peuple, car elle touchait à la catégorie même des bourgeois nationaux ayant largement contribué à la Révolution13. Le plan « X2 », mis en œuvre dès septembre 197514, fut à l’origine des vagues de réfugiés fuyant le pays, ou plus exactement le régime, parmi lesquels figuraient nombre d’entrepreneurs, déjà massivement en exode au Sud au lendemain des accords de Genève en 1954. Dans la continuité de ce processus, le rapport politique du CC du IVe congrès du PCVN du 20 décembre 1976 n’arrangea rien. Les opérations de (re)cadrage s’y durcissaient verbalement. Dans la perspective de la grande production socialiste, trois grandes révolutions devaient être menées de concert : celle des relations de production, celle des sciences et techniques ainsi que celle de la culture et de l’idéologie. Au cœur de la révolution des relations de production, la réforme des composantes économiques non-socialistes se réalisait par la résorption de celles-ci au sein des unités de grande production socialiste dans les différents domaines de l’économie : de l’industrie au commerce en passant par l’agriculture, les transports et communications, les finances et la banque (PCVN, 2004 : 558). Đặng Phong (2010 : 100), un des grands historiens de l’économie vietnamienne, faisait ressortir, avec des termes justes, l’essence de cette pensée économique :
« Le combat [idéologique] “qui gagne contre qui” s’opérait également dans le cadre de la construction de la grande production socialiste. Le Viêt Nam pouvait parvenir à la richesse et à la puissance par la réalisation d’une grande production socialiste dotée d’un rendement nettement supérieur à celui de la production capitaliste, de la production privée, de la production individuelle. »
18On remarque que les modalités de réforme des « anciennes relations de production » et de consolidation des « relations de production socialistes » étaient expliquées, sans détour, par la résolution du même congrès.
« L’économie publique doit être renforcée pour rapidement gagner la suprématie dans la production et la distribution. Quant aux entreprises capitalistes privées, leur réforme socialiste passe principalement par la voie d’entrepreneuriat mixte avec participation de l’État […]. Le commerce capitaliste doit être supprimé immédiatement15. »
19Force était toutefois de constater que le caractère intransigeant de ces réformes n’avait guère empêché la revigoration du secteur privé. La prolifération combinée à la débrouillardise dans le domaine des activités économiques du secteur privé, notamment des « petits commerces », ne faisaient que creuser davantage encore le fossé entre les mots et les choses (Đặng Phong, 2010 : 141-154).
20L’année 1979 marqua le début d’une prise de conscience de la part des autorités politiques de la réalité économique, nettement moins prometteuse qu’elles ne l’avaient escompté.
« Toute la société devenait alors un marché où il n’était possible ni d’acheter ni de vendre. Lorsque les marchandises n’étaient pas suffisantes et les fuites entre les étapes intermédiaires de la distribution trop importantes, le commerce d’État se transformait en une sorte de faveur royale accordée aux consommateurs16. »
21L’état de l’économie ne pouvait être pire. Dès le VIe plénum du IVe congrès du PCVN en août 1979, on préconisa de corriger les erreurs dans la gestion socioéconomique. Il s’agissait alors de donner une touche nouvelle à la planification et d’améliorer les politiques économiques en faveur du développement de la production17. Le chemin restait toutefois encore long à parcourir avant d’arriver au congrès du đổi mới et pour provoquer un changement dans les discours, puis à le concrétiser au fur et à mesure dans les actes. Ainsi, Đặng Phong considérait-il les opérations de « remise en ordre » durant « les années d’horreur » 1983-1984 comme étant un « recul idéologique » en matière de politique économique nationale (2013 : 238‑255). Parmi les nombreuses directives et résolutions destinées à « optimiser » la gestion socio‑économique, l’auteur décrivait le caractère aléatoire d’une campagne nommée « Z.30 » déclenchée par « le [pouvoir] central » et consistant en des enquêtes, des mises en examen et la confiscation des fortunes dites « illicites » (2013 : 253).
« Au travers de l’affaire Z.30, on remarque à cette époque la résurgence d’une tendance d’extrême-gauche, déjà présente durant la période des réformes agraires ou de la rééducation de la bourgeoisie au Nord comme au Sud, et qui exerçait une influence néfaste sur la vie socio-économique. »
3 - Le « renouveau » (đổi mới)
22En 1986, confronté à une situation économique de déclin source de répercussions négatives sur l’ordre social, le VIe congrès du Parti a pris la résolution d’engager le pays dans le đổi mới18. Ce processus a véritablement marqué un tournant pour entamer un nouveau chapitre de l’histoire du Viêt Nam.
23Le đổi mới est cependant apparu avant son acte de naissance officiel. Fortement poussé par des mouvements venant « d’en bas », qui ont touché la sensibilité de personnalités issues de la sphère dirigeante, il a d’abord été conçu dans l’idée de répondre à des impératifs socioéconomiques. Parallèlement, il a été porté par les changements de l’environnement politique international, et notamment les vagues de réformes menées par d’autres pays socialistes.
24Nguyễn Duy Quý, alors directeur du Centre national des sciences sociales et humaines, ancien membre du CC du PCVN, a caractérisé l’avènement du đổi mới au Viêt Nam à travers ce double mouvement : « par le bas » – ce par quoi il entendait le dynamisme des entreprises en particulier, et du peuple en général – et « par le haut », à partir des décisions politiques du Parti et de l’État19. L’analyse de l’origine du đổi mới exige ainsi la prise en compte rigoureuse de cette corrélation entre « le bas » et « le haut ». Autrement dit, son émergence ne peut être appréhendée qu’à partir de ces deux dimensions inséparables l’une de l’autre : des pressions émanant de l’intérieur d’une part, liée à la gestion de la situation socioéconomique à l’échelle nationale, et des pressions extérieures d’autre part, avec l’embargo économique, les conflits politico-militaires et l’isolement politique du pays sur la scène internationale.
25Le Viêt Nam n’avait pas beaucoup de choix. Au croisement de ce double mouvement et ainsi confronté à de nouveaux défis, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, l’État-parti ne pouvait rester indifférent, au risque de voir sa propre légitimité mise en cause.
26La pénurie et l’insécurité sociale devinrent de plus en plus pressantes sur le politique, déchiré entre la pratique et la théorie. Sous l’apparence d’une parfaite unité nationale (đại đoàn kết dân tộc), que la presse vietnamienne considérait comme la force de tout le Parti et de tout le peuple, se cachait la complexité d’un combat qui divisait alors le centre et la périphérie d’une part, et le centre lui-même, d’autre part. Comme le général Mai Chí Thọ n’hésitait pas à le révéler, « la lutte entre le réformisme et le conservatisme se déroule de façon assez rude20 ».
27Le dynamisme du Sud constituait une référence pour toute discussion sur les réformes dans le domaine économique. On parlait des initiatives, dans le milieu des affaires de la grande mégalopole, parrainées par son secrétaire du Comité du Parti de Ho Chi Minh-ville Nguyễn Văn Linh, puis son successeur Võ Văn Kiệt : le bureau des études économiques créé à partir de 1982 regroupait initialement quelques spécialistes de l’économie capitaliste et parvenait en 1986 à réunir nombre d’intellectuels venant de tout le pays autour des études sur đổi mới tư duy kinh tế (la nouvelle pensée économique)21 ; des réunions d’affaires au cours desquelles les dirigeants politiques étaient invités à écouter les rapports des entreprises. La fameuse réunion qui se tint à Da Lat en juillet 1983 (on la nomme « l’événement de Da Lat ») entre des hommes d’affaires et des dirigeants politiques comme Trường Chinh, Phạm Văn Đồng et Võ Chí Công, est devenue depuis une référence parmi les éléments catalyseurs du đổi mới. Le succès de cette réunion dépassa les résultats escomptés. Lê Xuân Tùng, ancien membre du Bureau politique, parle d’une profonde prise de conscience des « méfaits du mécanisme de gestion centralisateur, bureaucratique et subventionniste » et de la détermination des dirigeants à le supprimer graduellement22. Dans un autre document, on évoque une réunion non moins « événementielle », connue sous le nom de la « réunion Phuoc Long », qui a été jugée profonde et efficace en tant que message aux dirigeants du pays. Cette rencontre à laquelle participaient notamment Phạm Văn Đồng, Phạm Hùng et Nguyễn Văn Linh, fut organisée par la Fédération vietnamienne du textile en avril 1984 à Ho Chi Minh-ville dans le campus de l’entreprise Phuoc Long. Le directeur de la fédération n’avait pas hésité à présenter des propositions qui furent considérées à l’époque comme hors norme, à savoir de confier directement le rôle de planificateur aux entreprises qui maîtrisaient le mieux leurs propres capacités de production et les besoins du marché, de les laisser vendre leurs produits au prix du marché, de verser des salaires basés sur la productivité et de supprimer le régime tem phiếu (coupons d’achat à la place du salaire)23. Ce contact avec le terrain a aidé les hommes politiques à avoir une idée plus claire de la direction dans laquelle il fallait engager les réformes.
28En juin 1986, nommé membre permanent au secrétariat du Comité central du Parti, Nguyễn Văn Linh devint un assistant incontournable du Secrétaire général Trường Chinh dans la préparation des documents du VIe congrès, congrès du đổi mới.
29Une lecture attentive du rapport politique du CC présenté le 15 décembre 1986 par Trường Chinh révèle une prise de conscience quant à la situation économique vietnamienne et aux changements affectant l’environnement extérieur. Critiquant le mode de gestion centralisée, bureaucratique et subventionniste qui, depuis plusieurs années, non seulement ne donnait pas d’élan au développement, mais affaiblissait au contraire « l’économie socialiste », le Parti développa une politique d’encouragement des investissements étrangers au Viêt Nam. Le 29 décembre 1987, une première loi sur l’investissement au Viêt Nam fut adoptée par l’Assemblée nationale. Son article 4 précisait que les investisseurs étrangers pouvaient désormais investir au Viêt Nam sous la forme de contrat de coopération d’affaires, d’entreprise conjointe ou d’entreprise à capital 100 % étranger24. Nombre d’observateurs, à l’instar de Đặng Phong (2013 : 348), voyaient dans cette ouverture la fin d’une « vision discriminatoire » du capitalisme.
30Le đổi mới, accompagné de sa politique d’ouverture annoncée par Trường Chinh, qui n’en était pourtant pas le plus chaud partisan et qui était considéré comme « l’idéologue » par les uns, « le conservateur » par les autres25, ne voulait pas dire que tout allait fondamentalement changer. Officiellement, la « construction du socialisme » restait à l’ordre du jour. Mais, paradoxalement, les liens mêmes qui reliaient le Viêt Nam à l’Union soviétique, symbole du socialisme, l’ont amené vers l’Occident. La perestroïka soviétique et les crises dans les pays socialistes poussèrent effectivement le Viêt Nam à se sauver lui‑même.
31Pouvant s’apparenter à une porte ouverte vers l’extérieur, le VIe congrès du Parti communiste du Viêt Nam se traduisait comme la prise de conscience de la nécessité des « réformes » pour redresser l’économie en faillite.
32Plus tard, parlant du renouveau vietnamien considéré comme « une série d’actions révolutionnaires » en réponse aux exigences du moment et du long terme, Hà Đăng, rédacteur en chef du journal Nhân dân [Le Peuple] (1987-1992), a fait comprendre que ce processus n’était pas fermé sur lui-même mais ouvert sur les autres expériences (chinoises et soviétiques), ce qui lui conférait en effet une souplesse par rapport à chacune de ses étapes, mais cela toujours conformément à des principes constants : « changer pour faire du neuf, en ne changeant pas de couleur [politique] », « changer pour faire du neuf, en ne changeant pas d’orientation26 ». Le renouveau ne devait ressembler en aucun cas à une rupture et constituait, tout au moins pour ses élites, « la solution de la continuité27 ».
33Ainsi, pour être « réformateur » au Viêt Nam on n’en demeurait pas moins fidèle au Parti, même s’il s’agissait d’un Parti qu’il fallait renouveler, moderniser, démocratiser. Au niveau organisationnel, nous remarquons que les réformes ont toujours été accompagnées d’un équilibre entre les réformateurs et les conservateurs au sein du Parti. Au mois de juin 1988, Đỗ Mười, originaire du Nord, membre du Bureau politique à l’issue du VIe congrès en 1986 et considéré comme l’un des défenseurs du dogme, fut nommé président du Conseil des ministres28 face au nouveau secrétaire général du Parti Nguyễn Văn Linh, celui qui ne manquait pas de proposer des réformes à chaque fois que l’occasion s’en présentait29. Il est intéressant d’observer que déjà en 1987, Nguyễn Văn Linh avait remis en cause la stratégie économique du « saut de l’étape capitaliste », qui était à ses yeux « irréaliste et nuisible ». Or, c’était cette mutation qui, depuis les Luận cương chính trị (thèses politiques) présentées en octobre 1930 à Hong Kong par Trần Phú, premier secrétaire général du Parti communiste indochinois, puis renforcées par l’économie de guerre et prolongées en 1977 par le IVe Plan, légitimait les fondements conceptuels du développement socialiste vietnamien30.
34Force est de constater que ce renouvellement de l’appareil politique dégageait déjà le chemin de la sortie de l’immobilisme, c’est‑à‑dire la possibilité de prendre en main les problèmes économiques par un compromis d’acteurs renés dans un cadre nouveau, même si la nouvelle époque semblait « perdre pied » en raison d’une « grave pénurie du personnel remplaçant pour les postes clés » (PCVN, 2007 : 251).
35Le bain de l’après- » 86 » était bouillonnant. Une série de politiques concrètes voyaient le jour sous l’impulsion de femmes et d’hommes du terrain.
36Le 14 novembre 1987, la décision n° 217/HDBT signée de Võ Văn Kiệt allait ouvrir une ère nouvelle concernant la gestion des activités des entreprises publiques. Le texte d’application joint à cette décision précisait dans son article premier : « L’entreprise [publique] a le droit à l’autodétermination dans l’élaboration et la mise en oeuvre du plan, à long, moyen et court terme, de ses affaires et activités de production31 ». Avec davantage de liberté et de flexibilité dans leur fonctionnement – achats, production, vente, ressources humaines (l’article 47 stipulait le passage graduel du recrutement sous statut de la Fonction publique au recrutement sous contrat de travail à durée indéterminée, à durée déterminée et temporaire), stratégie, marketing, contrôle et pilotage, etc. – les entreprises publiques n’avaient désormais qu’une triple obligation en termes de rendement, de qualité des produits et de contribution au budget de l’État.
37Dans un contexte de pénurie généralisée, l’arrêté n° 27/HDBT en date du 9 mars 1988 portant sur la promulgation des dispositions relatives à l’économie individuelle32 et à l’économie privée dans les domaines de la production industrielle, des services industriels, de la construction et du transport, permettait largement de libérer les forces de production jusque‑là opprimées.
« Les unités économiques individuelles et privées sont des unités économiques autogérées ayant leurs propres moyens de production et capitaux, s’autodéterminant en matière de production et étant elles-mêmes responsables de leur revenu tant en termes de profit que de perte. Tout citoyen vietnamien possédant des capitaux, des moyens de production, des techniques et qualifications, des capacités de travail et n’étant pas cadre, fonctionnaire en exercice de l’État ou membre de coopérative, a le droit d’organiser des activités de production et d’entreprendre des affaires dans le cadre des unités économiques individuelles et privées33. »
38N’étant plus sous le joug d’incessantes interdictions, interrogations, arrestations, confiscations, voire détentions, comme en témoignait le cas du « Roi du Pneu », les unités économiques privées se développaient plus favorablement.
39Dans le même sens, le 9 mars 1988 fut également marqué par l’adoption d’un autre texte non moins important concernant l’économie familiale dans les domaines de la production et des services de production. L’arrêté n° 29/HDBT rendait ainsi légales des activités économiques familiales jusqu’alors déjà couramment mais clandestinement pratiquées, et encourageait ouvertement leur développement.
« Vua Lốp » : Nguyễn Văn Chẩn ou l’histoire d’un ancien « Roi du Pneu » vietnamien
Monsieur Nguyễn Văn Chẩn (1926-2013), originaire de Nga Son, Thanh Hoa, n’avait comme bien qu’un étang de liserons d’eau. En 1954, déterminé à trouver des moyens pour quitter la pauvreté tenace qui s’accrochait à sa famille, Chẩn laissa femme et enfants pour gagner la ville avec, en poche, l’argent de la vente de son étang de légumes. À Ha Noi, il alla travailler pour un atelier de fabrication de sandales en caoutchouc faites à partir de pneus de voitures endommagés. Quelques années plus tard, ses économies permirent à toute sa famille de se réunir et de s’installer dans la capitale. Maîtrisant les secrets du métier, en 1959, il monta sa propre affaire. Les commandes affluaient. Obtenant de meilleures ventes à Ha Noi et dans nombre de provinces du Nord, son atelier se développait à vitesse grand V et sa prospérité ne passait pas inaperçue. C’était là, hélas pour lui, le début de la spirale judiciaire. Figurant sur la liste « Z.30 » des fortunes illicites, il enchaîna des périodes de confiscations de biens et de mises en détention. L’opiniâtreté et la volonté étaient cependant au rendez-vous et permirent à cet homme de bien renégocier chacun de ses nouveaux départs.
Chẩn, répertorié comme « bourgeois émergent », objet direct de la campagne de rééducation, avait le sens de l’innovation dans les veines. Ses stylos en plastique recyclé abondaient sur le marché et se vendaient sans aucune difficulté grâce à leur prix raisonnable et à leur bonne qualité. En contrepartie de cette satisfaction personnelle, l’entrepreneur voyait ses matériaux et outils confisqués et était condamné à 30 mois d’incarcération. Chaque sortie de prison était accompagnée d’une nouvelle idée pour Chẩn. Les gens faisaient la queue dès le petit matin pour acheter ses bocaux, bouteilles et bidons de gel de réparation de crevaison de pneus et de chambres à air. Au début de l’année 1980, son entreprise produisit des pneus de bicyclette portant le nom « Quyết thắng » [Décidé à vaincre]. Ses pneus se virent décerner en mai 1982 un certificat de qualité par le conseil scientifique et technique du comité populaire de Ha Noi ainsi que la médaille de bronze à l’exposition Réalisations économiques et techniques du Viêt Nam (Giang Vo 1983). Depuis, les habitants de Ha Noi surnomment Chẩn « le Roi du Pneu ». Cependant, au mois de juillet 1983, il fut de nouveau poursuivi en justice avec confiscation de la totalité de ses biens : maison, outils et moyens de production. Vivant en cachette, « le Roi du Pneu » commença son « périple » à la recherche de ses biens et honneur perdus. Le premier septembre 1990, les autorités de Ha Noi lui rendirent sa maison. Chẩn dut tout de même attendre encore longtemps pour ne se voir restituer qu’une partie de ses biens.
« L’économie familiale est la forme économique liée aux composantes publiques et collectives [...]. Les personnes exerçant des activités économiques familiales doivent être ouvriers, fonctionnaires en exercice, membres de coopératives qui effectuent des heures complémentaires, en dehors du service règlementé au sein de leur organisme ou unité collective, et ce avec leur père, mère, épouse/époux et enfants n’étant pas en âge de travailler34. »
40Nguyễn Văn Linh n’hésitait pas à pointer du doigt l’usage du très intimidant terme de « rééducation » : « la manière de réformer simpliste, brutale suivant l’ancien mode conduit à [l’anéantissement] des forces de production de l’économie individuelle, de l’économie capitaliste privée, qui sont par nature bien utiles à notre société actuelle » (PCVN, 2007 : 502). Lors de la VIe session du CC du VIe congrès du 20 au 29 mars 1989, plusieurs questions furent vivement débattues : de la structure économique globale à l’organisation et au fonctionnement du système politique, en passant par les plus houleuses discussions portant sur la structure économique à plusieurs composantes et la compatibilité entre le statut de membre du Parti et l’économie dite « capitaliste privée ». De nouvelles perspectives se dessinaient : timides mais plus rassurantes en contexte de crise.
« À propos de la structure économique à plusieurs composantes, [...] [nous reconnaissons] l’existence et le développement des composantes économiques privées [...]. Nous sommes convaincus qu’avec le nouveau mécanisme [de gestion économique], l’économie publique voit graduellement son rôle clé valorisé, les mérites de ses rendement, qualité, efficacité vantés [...], étant capable de fédérer et d’attirer les autres composantes économiques et servant de satellite pour les accompagner dans l’orbite socialiste.
Concernant la question relative aux activités économiques capitalistes effectuées par un membre du Parti, les statuts ont bien stipulé que les membres du PCVN devaient “travailler sans exploiterˮ. Ces derniers temps, nombreuses sont les opinions présentées par la presse et dans les conférences autour du sens du terme exploitation [...]. En tout cas, un membre du PCVN ne pourra [...] vivre principalement par l’exploitation du surtravail [...]. Prochainement, le CC [du Parti] et le Conseil des ministres fixeront le règlement précisant les domaines d’activités économiques concrets auxquels un membre du Parti pourra participer » (PCVN, 2007 : 501-503).
41Avec le lancement du đổi mới, lors du VIe congrès du PC en 1986, l’économie vietnamienne, laboratoire des réformes, se voit graduellement transformée d’un régime de gestion centralisateur et dirigiste à ce que l’on appelle désormais une « économie de marché à orientation socialiste ». Les objectifs de modernisation et d’industrialisation du pays, ainsi que l’ouverture et l’intégration internationales, bouleversent peu à peu le paysage économique national et induisent des évolutions de la part de ses acteurs.
Notes de bas de page
7 Cet ouvrage de Lương Văn Can sorti pour la première fois en 1925 a été totalement photographié et réédité en 2011 par les éditions Thời Đại en collaboration avec le Club des entrepreneurs de Saigon.
8 Voir Ouvrage collectif (sans auteur connu), (2009 : 17-18).
9 Ibid., p. 18-20. Voir également Trần Quốc Dân, (2003 : 68-69).
10 Pour une vision d’ensemble du parcours économique vietnamien depuis l’indépendance du pays, deux ouvrages peuvent être cités à titre d’exemples : Melanie Beresford (1988), Marie-Sybille de Vienne (1994).
11 Dans le contexte vietnamien de cette période, on saisira aisément la connotation péjorative du terme « privé » appliqué au secteur économique, en contraste de la valeur positive attribuée au secteur étatique et coopératif largement portée par l’idéologie officielle. Au sein d’un système économique où l’État contrôlait le capital et où la quasi-totalité des moyens de production était, sur le plan juridique, propriété de l’État, le « capitalisme privé » ou l’initiative privée étaient étouffés au profit du « capitalisme d’État ». En outre, le mode de gestion économique centralisateur ne pouvait guère favoriser l’autonomie des unités d’exploitation, notamment celles qui possédaient des moyens de production relevant de la propriété dite « non socialiste ». Les préjugés idéologiques étaient alors à l’origine de mesures de pressions économiques et administratives visant le maintien du secteur privé dans les strictes limites voulues.
12 XVIe session (élargie) du CC du Parti, IIe congrès, du 16 au 30 avril et du 1er au 10 juin 1959.
13 Voir les témoignages en 2006 du journaliste Đinh Phong, membre du comité de Ho Chi Minh-ville du Front de la Patrie du Viêt Nam, ancien directeur adjoint de la Télévision de Ho Chi Minh-ville : « Kê biên tài sản » [La déclaration écrite des biens], Việt Báo Việt Nam [Le journal du Viêt Nam], 15 avril 2006, (http://vietbao.vn/Phong-su/Ke-bien-tai-san/40132736/263/).
14 Voir surtout la description détaillée de la campagne de réforme industrielle et commerciale dans l’ouvrage de Đặng Phong (2013 : 116-124).
15 Résolution du IVecongrès du PCVN, en date du 20 décembre 1976.
16 Voir la contribution de Xuân Trung et Quang Thiện : « Mua như cướp, bán như cho » [Acheter comme voler, vendre comme donner], Xuân Trung, Quang Thiện et coauteurs (2006 : 23-30). D’ailleurs, le pouvoir d’achat était bien « encadré » non seulement par une pénurie quasi permanente de marchandises mais aussi par un régime de salaires dont 70 % prenait la forme de coupons d’achats.
17 Les résultats de ce plénum sont parfois vus comme les premiers signes de changement dans la pensée économique au niveau du pouvoir central. La contribution de Xuân Trung et Quang Thiện : « Những thông điệp gửi tới Ba Đình » [Les messages à l’attention de Ba Dinh], Xuân Trung, Quang Thiện et coauteurs (2006 : 73-80) et Phạm Gia Đức, Lê Hải Triều (2001 : 64-68). Adam Fforde et Stefan de Vylder (1996 : 138-141) présentent une analyse écopolitique de cette période de transition illustrant la prise de conscience de la pesanteur du mode plannifié de gestion économique et la mise en œuvre progressive de modifications à pas prudents vers une économie beaucoup plus ouverte. Selon ces auteurs, les activités de la fin des années 1970 n’entraient nullement dans le cadre des « plans » et exerçaient une pression productrice sur les changements dans les secteurs fortement subventionnés de l’économie.
18 Dans son discours d’ouverture au VIe congrès du PCVN, Nguyễn Văn Linh, membre du Bureau politique, soulignait : « Seul le renouveau permettra de voir correctement et totalement la vérité, de saisir les facteurs positifs à faire valoir, de trouver les erreurs à corriger », tout en prenant conscience que « transformer l’œuvre révolutionnaire tout entière suivant l’orientation du renouveau est un long processus », PCVN (1987 : 7-8).
19 Voir Nguyễn Duy Quý (2002 : 49-60).
20 Voir la contribution de Mai Chí Thọ : « Những kỷ niệm sâu sắc về đồng chí Nguyễn Văn Linh » [De profonds souvenirs au sujet du camarade Nguyễn Văn Linh], Mai Chí Thọ et coauteurs (2003 : 83-86).
21 Le travail de ce groupe d’étude et de conseil se focalisa sur les réformes dans le secteur bancaire, les finances publiques, l’épargne nationale et les investissements étrangers, le commerce extérieur ou encore les relations internationales. Le professeur Nguyễn Xuân Oánh (2003 : 392-397), membre du groupe, a fait comprendre dans « Nợ tang bồng trang trắng vỗ tay reo » [L’homme, après s’être acquitté des devoirs envers la société, avec joie applaudit], quelques pages dédiées à Võ Văn Kiệt, l’enjeu dans la conceptualisation du đổi mới dont la formulation devait être recherchée avec une extrême prudence avant toute chose. On prenait soin de ne pas parler de « l’économie de marché » en lui préférant l’expression « économie ouverte ». Le terme đổi mới ne fut officiellement utilisé qu’à partir de 1985.
22 Voir la contribution de Lê Xuân Tùng : « Ấn tượng sâu sắc về đồng chí Nguyễn Văn Linh » [De profondes impressions envers le camarade Nguyễn Văn Linh], Mai Chí Thọ et coauteurs (2003 : 92).
23 Voir la contribution de Xuân Trung et Quang Thiện : « Những thông điệp gửi tới Ba Đình » [Les messages à l’attention de Ba Dinh], Xuân Trung, Quang Thiện et coauteurs (2006 : 74-78).
24 Loi sur l’investissement étranger au Viêt Nam en date du 29 décembre 1987, disponible sur : (http://vbqppl.moj.gov.vn/vbpq/Lists/Vn%20bn%20php%20lut/View_Detail.aspx?ItemID=2567).
25 Voir Pierre-Richard Feray (1992 : 104). Le rôle historique de Trường Chinh a été longuement présenté dans le passage sur le virage idéologique 1984-1985 de l’ouvrage bien documenté de Đặng Phong (2013 : 258-285).
26 Voir Hà Đăng, « Ðổi mới, một quá trình cách mạng » [Ðổi mới, un processus révolutionnaire], Nhân dân [Le Peuple], 30 septembre 2005, disponible en ligne sur (http://www.nhandan.com.vn/).
27 Voir Yann Bảo An, Benoît de Tréglodé (2004 : 117-148).
28 Pourtant, c’était Võ Văn Kiệt qui avait assuré l’intérim de Phạm Hùng, mort en mars 1988, jusqu’à la première session annuelle de l’Assemblée nationale.
29 Nguyễn Văn Linh était également connu comme « monsieur N.V.L » ce qui à la fois représentait les initiales de son nom et voulait dire, selon ses propres explications, « nói và làm » (dire et faire). Le 25 mai 1987, apparut à la une du quotidien Nhân dân [Le Peuple] un article signé de « N.V.L », intitulé « Những việc cần làm ngay » [Les impératifs]. Une rubrique porta depuis ce titre dans le journal : un vrai forum dédié à l’époque au đổi mới. Son contenu fut largement relayé par nombre de journaux, la radio et la télévision. Voir la contribution de Trần Lâm : « Nguyễn Văn Linh với sự nghiệp đổi mới đất nước, đổi mới báo chí » [Nguyễn Văn Linh et l’œuvre de renouveau du pays et de la presse], Mai Chí Thọ et coauteurs (2003 : 203-219).
30 Avec les Thèses politiques, le Parti s’était donné une orientation économique proche du modèle stalinien de « développement par étapes », volontariste, productiviste, étatique. Ce modèle se proposait, entre autres, de « sauter l’étape du développement capitaliste », c’est-à-dire de passer sans transition d’un mode de production « féodal » ou « colonial » au mode de production « socialiste ». S’ajoutait également à cette recette une idée-force érigée en dogme, en Asie, par Mao Zedong : placer l’idéologie au poste de commandement économique. Les réformes en vigueur depuis 1986 ont tenté d’inverser la tendance.
31 Décision du Conseil des ministres n° 217/HDBT en date du 14 novembre 1987 portant promulgation des dispositions relatives à la planification et à la gestion socialistes des activités des entreprises publiques.
32 On note une diversité d’unités économiques ne faisant pas partie de l’économie d’État (autrement dit publique). Cette diversité n’a pas facilité la compréhension de la séparation, dans toutes ses dimensions, entre le « public » et le « privé » et est devenue, au contraire, l’élément fortement complexificateur de la politique menée à l’égard du secteur non étatique et/ou non collectif. En ce sens, certains segments se dissocient de l’économie privée et forment une économie dite « individuelle », par exemple dans le contexte de l’artisanat ou des exploitations agricoles indépendantes (en dehors des coopératives).
33 Arrêté du Conseil des ministres N° 27/HDBT en date du 9 mars 1988 portant promulgation des dispositions relatives à l’économie individuelle et à l’économie privée dans les domaines de la production industrielle, des services industriels, de la construction et du transport.
34 Arrêté du Conseil des ministres n° 29/HDBT en date du 9 mars 1988 portant promulgation des dispositions relatives à l’économie familiale dans les domaines de la production et des services de production.
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