Thaïlande. Le mythe de l'unité implose
p. 255-267
Texte intégral
1La Thaïlande, où le monde politique est traditionnellement dominé par des cliques de politiciens affairistes ou d'anciens militaires s'appuyant sur des réseaux de clientèle, a connu en 2009 un phénomène d'ampleur considérable : la consolidation de deux puissants mouvements sociopolitiques – les chemises jaunes et les chemises rouges – guidés, non pas par d'étroits intérêts à court terme, mais par des idées et une vision de ce que devrait être, selon eux, l'avenir du pays. Les stratégies de ces deux mouvements opposés, lesquels reflètent dans leur composition et leurs aspirations la profonde inégalité sociale et économique du pays, pour essayer de traduire leur vision dans les faits vont constituer la toile de fond de l'évolution politique de la Thaïlande dans les prochaines années.
2Le mouvement des chemises jaunes avait émergé en 2006, mais s'était profondément modifié dans les derniers mois de 2008, lors de la longue lutte pour mettre à bas les divers gouvernements dirigés par des commanditaires de l'ancien Premier ministre Thaksin Shinawatra, condamné pour abus de pouvoir et réfugié à l'étranger depuis août 2008. La militarisation progressive du mouvement, l'utilisation de tactiques violentes et l'instrumentalisation de l'image du roi Bhumibol Adulyadej avaient découragé certains des représentants des groupes de la société civile, lesquels avaient été les premiers à se joindre à la campagne contre Thaksin. Cette désaffectation était aussi une réaction au rejet par le principal leader du mouvement Sondhi Limthongkul du principe démocratique « une personne, une voix » et son mépris affiché pour les provinciaux et les classes les moins favorisées de la population. En 2009, le gros des forces des chemises jaunes s'est recentré sur les classes moyennes de Bangkok – membres des professions libérales, enseignants, petits entrepreneurs, retraités, fonctionnaires, employés – qui constituent le cœur d'audience des publications du groupe de presse de Sondhi Limthongkul, avec, en appui, « l'armée du Dhamma », c'est-à-dire les disciples de la secte bouddhique ascétique Santi Asoke emmenés par l'ex-gouverneur de Bangkok Chamlong Srimuang. Ils réclament un système politique qui empêche les abus de pouvoir des gouvernants et limite la corruption. Modernes, éduqués, cosmopolites, ils considèrent aussi que leur voix doit être prépondérante dans le débat politique. L'avenir du pays, pensent-ils, doit être modelé selon leur vision.
3La puissance du mouvement des chemises rouges n'est devenue apparente qu'à partir de janvier 2009, quand les premiers grands rassemblements ont été organisés dans le centre de Bangkok pour protester contre « l'illégitimité » du gouvernement dirigé par le nouveau Premier ministre Abhisit Vejjajiva, élu le mois précédent à la suite d'un jeu d'alliances parlementaires. Le mouvement comprend deux courants : les partisans enthousiastes de Thaksin, qui demandent sa réhabilitation et son retour en politique, et ceux qui s'opposent au coup d'État de septembre 2006 et à la dérive antidémocratique qu'a connue depuis le pays (établissement d'une constitution antiparlementaire, rôle dominant des militaires, politisation du système judiciaire). D'un point de vue sociologique, les chemises rouges sont issues des pauvres des villages du Nord-Est et de l'extrême Nord, mais aussi des classes moyennes provinciales – propriétaires terriens, commerçants, petits entrepreneurs –, lesquelles s'étaient enhardies politiquement sous le gouvernement de Thaksin. S'y ajoutent les migrants de province venus travailler à Bangkok comme vendeurs ambulants ou chauffeurs de taxi et toute une frange de l'intelligentsia des villes – enseignants, ONG, membres de la société civile – révulsée par le discours anti-égalitaire de l'Alliance du Peuple pour la Démocratie, l'appellation officielle du mouvement des chemises jaunes. Les chemises rouges réclament l'instauration d'un système démocratique équitable et représentatif, non biaisé en faveur des élites urbaines.
4Le cadre posé, nous pouvons survoler les événements politiques de l'année. Parvenu au pouvoir après une attente de près de huit ans comme chef de l'opposition, Abhisit Vejjajiva donne l'impression de prendre un bon départ. « Ce dont la Thaïlande a besoin, dit-il alors, c'est d'une période de stabilité pour retrouver le calme politique. » Le mot d'ordre est celui de la « réconciliation nationale » : les Thaïlandais sont invités à se montrer modérés, à oublier leurs différends pour retrouver une unité harmonieuse. Malgré les appels phone in de Thaksin, qui, de Hong Kong ou de Dubai, tente de galvaniser les foules de chemises rouges contre le nouveau gouvernement, Abhisit conserve sa sérénité et évite de céder à la provocation. Il préside avec brio en mars au Sommet des leaders de l'Asean à Hua Hin, réhabilitant quelque peu l'image de la Thaïlande sérieusement affectée par l'occupation des aéroports de Bangkok par les chemises jaunes fin 2008. Malgré leurs rassemblements, les chemises rouges semblent marginalisées, perdues sans leur leader dont le territoire se restreint de plus en plus : interdit de séjour en Grande-Bretagne, puis au Japon, il sillonne la planète dans son jet privé, un passeport nicaraguayen en poche.
5Cette tranquillité trompeuse va imploser, de manière assez inattendue à partir de la fin mars. Le 26 mars, environ 30 000 chemises rouges se rassemblent autour du Palais du gouvernement et y installent un campement permanent, avec écrans géants, service d'ordre, échoppes où sont vendus souvenirs et panoplies du militant pro-Thaksin (applaudisseurs en forme de pied ou de cœur, tee shirts...) et bustoilettes. Beaucoup sont venus de provinces dans des autocars affrétés par des députés pro-Thaksin, mais les migrants travaillant à Bangkok sont aussi en force. Dans un discours sur écran géant, Thaksin déclare que « l'individu disposant d'un pouvoir charismatique hors de la Constitution » qu'il a accusé en 2006 d'avoir interféré dans le travail de son gouvernement est Prem Tinsulanonda, le président du Conseil privé du roi. Tout le monde avait compris depuis longtemps à qui Thaksin faisait allusion, mais le fait de nommer publiquement le « conspirateur », symbole d'une élite bureaucratique attachée à un statu quo inégalitaire, provoque un effet cathartique sur la foule des chemises rouges. Autour du Palais du gouvernement, les discussions vont bon train sur l'arrogance des élites, sur les injustices subies et les vexations infligées, sur la collusion entre bureaucratie, militaires et classes moyennes de Bangkok pour monopoliser le pouvoir. Elles sont relayées dans les provinces par le réseau des radios communautaires et par la station de télévision DTV, qui émet depuis janvier. Des blocages ont sauté ; des sentiments, longtemps refoulés, s'expriment dans un climat passionnel. Par milliers, des paysans venus du Nord-Est, des motos-taxis des banlieues s'arment de bâtons et se postent en faction près du Palais du gouvernement, dans l'attente d'un assaut des forces ennemies. Un mot fait son apparition « amathiyathipatai » ou « oligarchie bureaucratique », terme jusque-là confiné au milieu universitaire. Condensé en « amat », il en vient à symboliser l'injustice d'un système dominé par les élites.
6Thaksin saisit l'opportunité pour provoquer une épreuve de force. Celui qui, lorsqu'il était Premier ministre, avait déclaré que « la démocratie n'est qu'un moyen mais pas une fin en elle-même » se transforme en chantre des valeurs démocratiques. Il appelle chacun à le rejoindre « pour faire une révolution populaire afin d'obtenir la vraie démocratie pour le peuple ». Le 9 avril, les chauffeurs de taxi bloquent le rond-point stratégique du Monument de la Victoire, dans le nord de Bangkok. Les chemises rouges établissent des barrages de contrôle aux sorties de la ville. Le 11 avril, des centaines de chemises rouges débordent quelques escadrons de police désemparés et pénètrent dans l'hôtel Royal Cliff Beach Resort de Pattaya, où se tient le Sommet élargi de l'Asean (les dix de l'Asean, plus la Chine, la Corée du Sud et le Japon). L'état d'urgence est décrété sur Pattaya et Bangkok et les chefs d'État et de gouvernement de la région sont évacués en hélicoptère. Pendant deux jours, Bangkok est la scène d'affrontements sporadiques entre forces de sécurité et chemises rouges. Tirant en l'air ou utilisant des grenades lacrymogènes, les policiers anti-émeutes tentent d'éviter un dérapage violent. Les militants pro-Thaksin cherchent vainement à briser l'encerclement en lançant des autobus enflammés sur les rangs de policiers et en faisant exploser des bouteilles de gaz. Cette période de l'année étant celle du nouvel an thaï, ou songkran, ces affrontements se déroulent à quelques kilomètres des endroits où touristes et Thaïlandais s'aspergent joyeusement d'eau selon la tradition.
7Mais le 13 au soir, quand des milliers de militaires venus des provinces voisines marchent sur le Palais du gouvernement, la majorité des chemises rouges évacuent, grimpant à bord d'autobus fournis par la municipalité pour rentrer dans leur province. Deux personnes ont été tuées lors d'affrontements entre Bangkokois et chemises rouges. Thaksin, qui a joué son va-tout, a perdu cette bataille et peut-être même la guerre. En affirmant à la presse internationale que « soixante personnes ont été massacrées », en l'absence de la moindre preuve, il se déconsidère définitivement. Nombre de députés qui s'étaient ralliés derrière lui, lui tournent le dos. Aux yeux d'une bonne partie de la communauté internationale, il est devenu un agitateur dangereux et irresponsable. A-t-il vraiment voulu amorcer une profonde transformation politique ou cherchait-il à exercer un chantage sur le gouvernement pour récupérer une partie de sa fortune ? Thaksin semble n'avoir jamais perdu de vue ses intérêts financiers et avoir, comme souvent, mêlé ses affaires propres et le jeu politique. Dans un entretien accordé au Figaro pendant ces journées mouvementées, il explique que ses objectifs sont « la démocratie, symbole de la liberté, de l'égalité et de la fraternité, comme vous les Français ! Ensuite, il est aussi nécessaire que je parvienne à récupérer mes actifs qui ont été gelés ».
8Les événements de songkran créent un choc profond au sein de la société thaïlandaise. Les chemises rouges ont été vaincues, mais elles ont pris conscience de la force collective qu'elles représentent. Elles savent qu'elles sont capables de se faire entendre et même d'ébranler le pouvoir en place. Les classes moyennes de Bangkok ont découvert avec stupéfaction qu'en dessous de la surface tranquille de la vie quotidienne, une vive colère bouillonnait parmi les classes les moins favorisées du pays. Elles réalisent que l'unité tant affirmée du pays est plus un slogan incantatoire qu'une réalité. La frayeur du gouvernement a été telle, qu'après songkran, la loi sur la sécurité intérieure (qui donne des pouvoirs étendus à l'armée) sera décrétée à chaque fois que les chemises rouges annonceront une manifestation.
9Parallèlement, le gouvernement renforce sa stratégie de réconciliation nationale. Le Commandement opérationnel pour la sécurité intérieure ou Isoc, qui est effectivement dirigé par le chef de l'armée de terre, organise des campagnes de propagande par voie d'affichage et sur Internet visant, notamment en utilisant l'image bienveillante de la monarchie, à inciter les Thaïlandais à s'éloigner de la politique. L'idée est de raviver l'unité mythique du peuple thaï, sans pour autant s'attaquer aux racines du conflit. L'une de ces campagnes incitent les jeunes à « aimer la société de modération » ; une autre demande : « Que pouvez-vous faire pour montrer votre amour pour le Roi ? ». Le gouvernement semble toutefois avoir compris que la fracture profonde de la société thaïlandaise, mise en exergue par la crise de songkran, ne pourra pas être réduite par de simples slogans.
10Après l'échec du soulèvement, les chemises rouges, en désespoir de cause, adoptent une tactique largement utilisée par leurs adversaires chemises jaunes depuis 2006 : le recours à l'intervention royale. Ils mènent une campagne nationale pour promouvoir une pétition sollicitant un pardon royal pour la condamnation de Thaksin à deux ans de prison pour abus de pouvoir. La pétition recueille un nombre record de 3,5 millions de signatures ; elle est présentée solennellement au Palais Chitrlada de Bangkok en août 2009. Cette démarche est vivement critiquée par les membres du gouvernement, mais aussi par nombre d'universitaires et de leaders des chemises jaunes. Ils considèrent que cette pétition a été lancée « pour de mauvaises raisons », qu'elle est « immorale », qu'elle « traîne la monarchie dans le champ politique », oubliant que selon la Constitution de 2007, le droit de déposer une pétition auprès du roi est un droit inconditionnel et absolu pour tout citoyen. Ironiquement, beaucoup des critiques les plus fervents sont ceux-là mêmes qui avaient demandé en 2006 au roi de démettre Thaksin de son poste de Premier ministre et de nommer un remplaçant, impliquant résolument la « plus haute institution » dans la crise politique.
11La position d'Abhisit Vejjajiva devient d'autant plus difficile que les chemises jaunes, qui l'avaient aidé à se hisser au pouvoir fin 2008, se retournent maintenant contre lui. Quelques jours après la crise de songkran, une tentative d'assassinat a lieu contre Sondhi Limthongkul, le leader des chemises jaunes. Persuadé que le chef de la police nationale, le général Patcharawat Wongsuwan, bloque l'enquête visant à identifier les meurtriers, Sondhi exerce des pressions sur Abhisit pour que celui-ci destitue l'officier. En accédant aux demandes de Sondhi, le Premier ministre se met à dos une majorité de la direction de la police qui, par deux fois, rejette son choix pour le poste de chef de la police. Ne disposant que d'une faible majorité parlementaire, en porte-à-faux avec les deux principaux courants d'opinion du pays, Abhisit voit sa marge de manœuvre de plus en plus réduite.
12L'affaire du temple de Préah Vihear, sur la frontière entre la Thaïlande et le Cambodge illustre combien le gouvernement se retrouve tributaire des contingences de la politique intérieure même en ce qui concerne son positionnement diplomatique. Ce temple khmer du XIe siècle avait été attribué par la Cour internationale de justice au Cambodge en 1962, une décision qui n'a jamais été véritablement acceptée en Thaïlande par l'armée, le ministère des Affaires étrangères et la plupart des politiciens. Lorsque l'Unesco a accepté d'inscrire ce temple sur sa Liste du patrimoine mondial en juillet 2008, une bouffée de nationalisme avait refait surface en Thaïlande, alimentée non seulement par les leaders des chemises jaunes, mais aussi par des politiciens du parti Démocrate (alors dans l'opposition) comme Abhisit Vejjajiva et Kasit Piromya. Devenus respectivement Premier ministre et ministre des Affaires étrangères en décembre 2008, ils peuvent d'autant plus difficilement renier leurs harangues nationalistes prononcées quelques mois plus tôt que les chemises jaunes veillent au grain. Par surenchère nationaliste, le gouvernement thaïlandais en vient à adopter une position diplomatique intransigeante en posant la délimitation de la frontière (qui est au point mort depuis des décennies, les deux pays s'appuyant sur des cartes différentes) comme préalable à toute discussion sur la gestion commune du temple, dont le principal accès se trouve du côté thaïlandais.
13Revenu au pouvoir grâce à la « trahison » de Newin Chidchob, un ancien lieutenant de Thaksin, le parti Démocrate est conscient qu'une nouvelle élection risquerait de donner le pouvoir au parti Phuea Thai (Parti pour les Thaïlandais), dernier avatar du Thai Rak Thai fondé en 1998 par Thaksin. Soucieux de voir les fruits de son coûteux plan de relance économique (trente milliards d'euros), le gouvernement semble enclin à laisser traîner la réforme de la Constitution anti-parlementaire de 2007, prélude indispensable à un nouveau scrutin. On se retrouve dans une situation assez similaire à celle de la période 1997-2001, lorsque le démocrate Chuan Leekpai, porté au pouvoir sans passer par la voie des urnes, avait redressé l'économie thaïlandaise et ramené une certaine stabilité politique, avant de dissoudre l'Assemblée pour permettre l'organisation d'un nouveau scrutin. En 2009, un compromis qui permettrait un apaisement durable des tensions nécessiterait probablement de tout autres mesures de la part du gouvernement d'Abhisit Vejjajiva. Au lieu d'amender la Constitution de 2007, rédigée par une assemblée sélectionnée par les putschistes qui avaient renversé Thaksin, il serait plus logique et politiquement plus efficace de reprendre le texte de la Constitution libérale de 1997 et d'en pallier les faiblesses qui avaient permis à Thaksin d'instaurer un pouvoir répressif et autoritaire. L'amnistie des quelque 220 politiciens des partis dissous Thai Rak Thai, Parti du pouvoir du peuple, Parti Chart Thai et Parti Matchimatiphathai s'impose également : quel pays au monde dissout les partis politiques à tour de bras comme la Thaïlande ces dernières années ? Avec une constitution basée sur celle de 1997 mais renforcée et la remise à zéro des compteurs sur le plan politique, de nouvelles élections pourraient être organisées. Mais Abhisit Vejjajiva, et les quelques personnes influentes qui l'entourent et le conseillent – Chuan Leekpai, le chef de l'armée Anupong Paochinda – ne semblent pas enclins à suivre cette voie.
14La création en juin 2009 par l'Alliance du Peuple pour la Démocratie d'une formation politique, baptisée le parti Nouvelle Politique et dirigée par Sondhi Limthongkul, permet toutefois d'espérer une diminution des manifestations violentes des chemises jaunes (qui ont, depuis la formation du parti, adopté le vert). Bien que l'Alliance du Peuple pour la Démocratie n'ait pas été dissoute, il est logique de penser que Sondhi et ses lieutenants vont se concentrer sur la campagne électorale à venir et exprimer leurs revendications au travers du système parlementaire. Tributaire d'un leader en exil qui n'a plus grand-chose à perdre, les chemises rouges n'ont pas donné d'indication de vouloir aussi se transformer en parti politique. L'échec du soulèvement d'avril laisse pourtant peu d'autres options. Un tel saut nécessiterait toutefois que le mouvement se détache de Thaksin, s'organise sous la direction de nouveaux leaders charismatiques et parvienne à unifier les courants disparates qui le composent.
15Les tensions politiques tout au long de l'année ont relégué la situation dans les trois provinces à majorité musulmane du Sud au second rang des préoccupations gouvernementales. Beaucoup espéraient toutefois que l'arrivée au pouvoir du parti Démocrate, bien implanté dans cette région, allait permettre de progresser vers une solution politique après l'approche brutale et sécuritaire de Thaksin Shinawatra et de ses successeurs à la tête du gouvernement. L'énorme majorité des musulmans du Sud veulent que leur région reste intégrée à la Thaïlande, mais souhaitent que leur espace culturel et religieux soit respecté et aimeraient disposer de plus de marge de manœuvre pour prendre en main leurs propres affaires. Seul Abhisit semblait, en effet, en position de prendre des décisions audacieuses et politiquement risquées en entamant des discussions sur un statut d'autonomie politique. Il n'en a rien été. Le gouvernement a largement délégué à l'armée le soin de gérer la région, laquelle continue à mettre en avant des forces paramilitaires peu disciplinées face aux insurgés.
16Les événements des deux derniers mois de 2009 ont toutefois témoigné d'un sérieux regain de tension politique, qui laisse à penser que l'année 2010 sera particulièrement mouvementée et que les manifestations de rues y tiendront au moins autant de place que les manœuvres pré-électorales. Organisé fin octobre dans les stations balnéaires de Hua Hin et de Cha Am, le sommet de l'Association des Nations d'Asie du Sud-Est et les rencontres associées avec six pays partenaires – qui avaient été annulés lors des émeutes d'avril à Pattaya – se sont déroulés sans incident majeur sous la présidence du Premier ministre thaïlandais Abhisit Vejjajiva. La Thaïlande y a regagné un peu de son lustre régional, bien que, pour tenir à distance les chemises rouges, le gouvernement ait dû imposer sur la région une loi sur la sécurité intérieure et déployé 18 000 militaires et policiers, transformant ces paisibles lieux de vacances en camp retranché.
17En novembre, la nomination par le Premier ministre cambodgien Hun Sen de Thaksin Shinawatra comme conseiller économique du gouvernement cambodgien a entraîné une rapide détérioration des relations bilatérales. Jetant de l'huile sur le feu, Hun Sen s'est répandu en déclarations provocatrices, affirmant que la condamnation de Thaksin pour abus de pouvoir en 2008 était “politique” et qu'il ne voyait “rien de respectable” dans le système judiciaire thaïlandais. Bangkok et Phnom Penh ont rappelé leurs ambassadeurs respectifs et des diplomates ont été expulsés de part et d'autre. Venu prendre ses fonctions et remercier son “cher ami” Hun Sen au Cambodge, Thaksin a reçu une cinquantaine de parlementaires du parti Pheua Thai et des centaines de chemises rouges, dans une atmosphère très émotionnelle. Le 15 novembre, les chemises jaunes organisaient une manifestation face au Grand Palais de Bangkok, accusant Thaksin d'être un “traître à la patrie” et Hun Sen d'avoir “insulté la dignité de la Thaïlande d'une manière impardonnable”. La controverse provoquée par sa nomination a fermement replacé Thaksin au centre de l'échiquier politique thaïlandais. Il pourra, à chaque fois qu'il le souhaitera, déstabiliser à partir du Cambodge le gouvernement d'Abhisit Vejjajiva, en vertu de ce qui apparaît comme un pacte conclu entre Hun Sen et Thaksin et dont l'objectif final est un retour de ce dernier au pouvoir.
Fiche Thaïlande
18Capitale : Bangkok
19Superficie : 51 120 km²
20Population : 65 905 410
21Langue : Thaï
Données politiques
22Nature de l'Etat : Monarchique
23Nature du régime : Constitutionnel
24Suffrage : A partir de 18 ans, universel et obligatoire
25Chef de l'Etat : Roi Bhumibol Adulyadej (Rama IX) (depuis 1946)
26Premier ministre : Abhisit Vejjajiva (depuis 2008)
27Ministre des Affaires étrangères : Kasit Piromya
28Ministre de l’Intérieur : Chaovarat Chanweerakul
29Echéances : Elections législatives en décembre 2011
Indicateurs démographiques et sociologiques
30Principaux groupes ethniques (2006) : Siamois (Thaïs du centre) (25 %), Thaïs du Nord Est (Isaan, Thaï-Lao) (30 %), Thaïs du Sud (4 %), Mons et Khmers (2,3 %), Malais (3 %), Karens, Hmongs, Miens, Akhas, Lahus, Lisus (0,9 %), Chinois (10,5 %), Vietnamiens (0,2 %), Indiens (0,1 %) Religions : Bouddhistes (94.6 %), Musulmans (4.6 %), Chrétiens (0.7 %)
31Taux de croissance démographique (2008) : 1,1 %
32Espérance de vie (2008) : 69,6 ans
33Taux de fertilité (2008) : 1,65
34Taux de natalité (2008) : 18,2 ‰
35Taux de mortalité (2008) : 13,4 ‰
36Taux de mortalité infantile (2008) : 21‰
37Taux d'alphabétisation (au-dessus de 15 ans) (2000) : 93,9 %
38Taux d’urbanisation (2008) : 33 %
39Indice de développement humain : 0,783 (87e rang, 2007) ; 0,762 (70e rang, 2000)
Indicateurs économiques
40Monnaie : bahts (1 euro = 48,32 bahts le 16.12.09)
41Balance des paiements courantes (2008) :-1,049 milliard $ US
42Pourcentage de la dette extérieur dans le PIB (2007) : 26,5 % (65,09 milliards $ US)
43PIB par habitant ou per capita (2008) : 7.613 $ US
44Taux de croissance du PIB (2008) : 2,6 %
45Répartition du PIB par secteur d’activité (2008) : Agriculture (11,6 %) ; Industrie (45,1 %) ; Services (43,3 %)
46Taux d'inflation (2008) : 5,5 %
47Taux de chômage (2008) : 1,4 %
48Population sous le seuil du niveau de pauvreté (2004) : 10 %
49IDE entrant (flux) (2008) : 1,091 millions $ US
50IDE entrant (cumulés ou stocks) (2008) : 10,4850 millions $ US
51IDE sortant (flux) (2008) : 2,835 millions $ US
52IDE sortant (cumulés ou stocks) (2008) : 10,857 millions $ US
53Principaux partenaires commerciaux (2008) : Etats Unis, Union européenne, Japon, Chine
54Importations (2008) : 157,3 milliards $ US
55Principaux produits importés (2008) : biens d’équipement ; biens intermédiaires ; matières premières ; carburants
56Exportations (2008) : 174,8 milliards $ US
57Principaux produits exportés (2008) : textile ; pêche ; riz ; caoutchouc ; bijoux ; automobiles ; appareils électriques
Auteur
Journaliste indépendant basé en Thaïlande depuis 1989. Il travaille pour Radio France Internationale, Libération, le quotidien suisse Le Temps, Marianne et TV5. Co auteur avec Nicolas Revise de Armée du peuple, Armée du Roi (Irasec/L'Harmattan, 2002), il est aussi l'auteur de La longue marche des Chrétiens khmers (CLD, 2004), l'histoire des Catholiques du Cambodge au travers des récits des missionnaires des MEP. Il prépare pour l’Irasec un ouvrage sur le mouvement séparatiste malais du Sud de la Thaïlande.
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