Laos. Développement versus Environnement ? Le coût du « progrès » pour le Laos
p. 177-199
Texte intégral
1- Les SEA Games, la vitrine du changement pour le Laos
1Du 9 au 18 décembre 2009, le Laos accueillera pour la première fois la 25e édition des South-East Asian Games, plus connue sous le nom de SEA Games. Fondés en 1959, les SEA Games rassemblent tous les deux ans les onze pays d’Asie du Sud-Est et poursuivent la même volonté que les Jeux Olympiques, à une échelle régionale, de saisir le prétexte sportif pour rapprocher les pays sur le plan diplomatique mais aussi économique. En effet, cet événement sert non seulement la dynamique de développement du pays d’accueil à travers à la construction des infrastructures manquantes, mais surtout de plan de communication qui permettra de changer son image afin d’attirer les investisseurs et les touristes. En l’occurrence, le message envoyé par le Laos est d’afficher sa volonté d’être partie prenante de la scène régionale et sa capacité en tant que « petite nation socialiste » à embrasser les voies de la modernisation. Le gouvernement ambitionne d’ailleurs de sortir du groupe des Pays les moins avancés d’ici 2020.
2Les moyens n’ont pas été lésinés pour construire le futur stade et refaire les routes de Vientiane qui fêtera au même moment son 450e anniversaire. Mais en regardant de plus près, la tenue des Jeux révèle en fait la fragilité économique du Laos et met en lumière les contradictions et les tiraillements d’une stratégie de développement qui donne à réfléchir sur les coûts à payer pour rentrer dans le « progrès » et la « modernité ». En effet, pour pouvoir assurer l’organisation des jeux, le Laos a dû réduire le nombre d’épreuves, faute d’infrastructures suffisantes, mais il a surtout eu besoin de l’aide de ses voisins – dont certains ne participent pas aux Jeux – pour construire les équipements sportifs. Ainsi, la Chine a prêté plus de 100 millions de dollars pour construire un stade de 20 000 places, le court de tennis ainsi que la piscine olympique ; la Corée du Sud a financé le centre de taekwondo et le terrain de golfe, tandis que le Japon a financé la salle où se tiendront les épreuves de judo. Quant aux pays voisins participants, la Thaïlande a promis 2,9 millions de dollars et l’entraînement des sportifs laotiens dans douze disciples ; le Viêt Nam a mis 19 millions de dollars pour construire le village des jeux, soit huit bâtiments de dix étages pour accueillir les 4 000 athlètes et qui serviront de dortoirs pour 8 000 étudiants après les Jeux. Enfin, Singapour a offert ses techniciens informatiques ainsi que des professeurs d’anglais pour former les équipes de volontaires, pour la plupart des étudiants.
3Il est important de souligner que cette aide n’était pas dénuée d’intérêt et que ces accords, conclus le plus souvent de manière opaque, sont symptomatiques de la politique de développement promue par le gouvernement du Laos qui consiste à « transformer la terre en capital » pour attirer les investisseurs étrangers à travers l’octroi de concessions à des conditions très attractives. Ainsi, du côté vietnamien, le Groupe Hoang Anh Gia Lai (HAGL) en charge de la construction du village des athlètes a offert 4 millions de dollars et prêté les 15 autres millions, dans le cadre d’un prêt sans intérêt sur trois ans qui sera remboursé, d’après le président de la compagnie, sous forme de bois et d’investissements divers. En retour, le gouvernement laotien a autorisé HAGL à explorer le potentiel minier (fer et cuivre) dans le sud du Laos et lui a octroyé 10 000 hectares supplémentaires de concessions dans la province d’Attapeu pour développer des plantations d’hévéa ainsi que deux usines de transformation de latex avec un objectif de production fixé à 400 000 tonnes par an à partir de 2012. En effet, HAGL a déjà investi 25 millions de dollars dans la construction d’une usine de transformation du bois et planté 5 000 hectares d’hévéa dans la même province. HAGL espère exporter plus de 120 millions de dollars de latex et de bois par an à partir d’Attapeu. À terme, HAGL projette d’investir 100 000 millions de dollars au Laos, principalement dans l’hévéa, l’hydroélectricité, les mines et le développement d’un complexe commercial à Vientiane.
4Du côté chinois, en contrepartie du prêt accordé pour la construction du stade, le gouverneur de la China Development Bank (CDB) aurait négocié dans le courant 2006 une concession de 1 640 hectares dans les marais du That Luang, sur une durée de cinquante ans, avec extension possible sur vingt-cinq ans, pour y développer une nouvelle ville moderne. L’accord aurait été signé en novembre 2006 lors de la visite officielle de Hu Jintao au Laos. Or, cet espace se trouve être un haut lieu symbolique du nationalisme laotien, abritant la pagode bouddhique du That Luang, l’emblème national du Laos, ainsi que l’Assemblée nationale. La joint-venture composée essentiellement de trois compagnies chinoises dirigées par Suzhou Industrial Park Overseas Investment Co et d’un partenaire laotien qui possède seulement 5 % des parts, aura pour mission de reproduire le modèle de développement de la ville de Suzhou lancé par cette même compagnie en 1992, fondé sur l’implantation d’une zone industrielle « hi-tech ». Mais des rumeurs sur la naissance d’un Chinatown avec un peuplement de 50 000 Chinois ont commencé à circuler au sein de la population, et le mécontentement populaire grandissant a obligé les autorités à s’expliquer publiquement sur le projet en février 2008. Le ministre Somsavat Lengsavad a défendu le projet en garantissant une compensation pour tous les habitants et contesté les rumeurs d’une migration chinoise massive. Il semblerait qu’au sein du parti, certains membres seraient également mécontents des largesses accordées aux Chinois, d’autant plus qu’ils auraient été tenus à l’écart des décisions et n’auraient appris la nouvelle qu’au moment de l’annonce officielle. En mars 2008, c’est au tour du maire de Vientiane, Sinlavong Khoutphaythoune, de réitérer les bienfaits du projet face aux critiques persistantes, en mettant en avant, non sans ironie, un volet environnemental qui viserait à préserver les zones humides du That Luang. Une étude conjointe conduite en 2004 par World Wildlife Funds (WWF) et International Union for Conservation of Nature (IUCN) montrait pourtant l’importance de cette zone qui alimente non seulement plus de 3 000 foyers sur dix-sept villages, mais protège également la ville des inondations en devenant un réservoir pour le surplus d’eau pendant la saison des pluies. Les biens et services liés aux marais dégageraient une valeur de 5 millions de dollars par an et les dégâts occasionnés en cas d’inondations s’élèveraient à 18 millions.
2- La question brûlante de l’impact social et environnemental des grands projets
5Or, la question des inondations est devenue un problème récurrent ces dernières années pour toute la région. En effet, en août 2008, les villages situés sur les berges du Mékong, aussi bien au Laos, en Birmanie ou dans le nord de la Thaïlande ont été gravement inondés. À Vientiane, les habitants n’avaient pas connu une telle montée du Mékong depuis 1966. Les fonctionnaires et l’armée se sont retrouvés en état d’alerte, réquisitionnés pour rehausser les rives du Mékong avec des sacs de sable. Les pays touchés ainsi que les ONG de défense de l’environnement ont alors pointé la responsabilité sur la Chine dans les lâchés d’eau effectués par les trois barrages construits en amont sur le cours principal du Mékong qui auraient contribué à aggraver les inondations. Au total, ce sont 75 000 hectares de terres agricoles qui ont été inondés au Laos, dont 50 000 ont été particulièrement endommagés, et 243 340 personnes qui ont été affectées dans 1 145 villages, à travers treize provinces du pays.
6Les débats environnementaux et la question des impacts socioéconomiques soulevés par le développement des grands projets deviennent de plus en plus aigus dans un pays où 80 % de la population sont dépendants des ressources naturelles pour leur existence. Les ONG dénoncent le problème de l’expropriation des terres, la fragilisation des populations liées à la monoculture de l’hévéa, la déforestation qui touche de plus en plus les zones naturelles protégées, accentuant les phénomènes d’érosion et par conséquent les risques d’inondation. L’autre cible des débats concerne les barrages et leurs impacts sur les écosystèmes halieutiques dans la mesure où la pêche constitue une ressource vitale pour la population. Ces critiques sont d’autant plus gênantes que le Laos ambitionne de devenir la « batterie de l’Asie du Sud-Est », notamment grâce à Nam Theun II, le plus gros projet de barrage au monde. Particulièrement critiqué par les ONG et des activistes en raison des conséquences sociales et environnementales provoquées en aval du barrage, l’inauguration de Nam Theun II est prévue le 15 décembre 2009. La centrale, gérée par une joint-venture (NTPC) entre le gouvernement du Laos, EDF et deux compagnies thaïes, sera en capacité de produire 1 088 MW d’électricité, dont 95 % seront destinés à l’exportation vers la Thaïlande, et devrait rapporter deux milliards de dollars en taxes et dividendes durant les vingt-cinq premières années d’exploitation. Mais dans un premier temps, les revenus devraient être faibles. En 2010, 11 millions de dollars de royalties sont prévus et sont déjà affectés au financement des secteurs de l’éducation et de la santé.
7Malgré tout, d’autres voix plus officielles commencent à se faire entendre dans la région concernant l’impact négatif des barrages et leur lien avec les inondations. En effet, en octobre 2009, à la suite du typhon Ketsana qui a frappé le Viêt Nam, le Cambodge, les Philippines et le sud du Laos, faisant des centaines de morts, des milliers de personnes déplacées et plusieurs centaines de millions de dollars de pertes (72 850 personnes touchées pour la seule province d’Attapeu au Laos), le ministre adjoint de l’Agriculture et du Développement rural vietnamien a mis en cause publiquement le rôle des réservoirs des barrages hydroélectriques dans l’aggravation des inondations1. D’après les habitants d’Attapeu, il semblerait que les lâchés d’eau du barrage Xekaman auraient également contribué à aggraver la situation.
3- Café équitable ou bauxite dans les Boloven ? Le combat de David contre Goliath
8L’avantage comparatif du Laos réside incontestablement dans la richesse de ses ressources naturelles (bois, eau, mines). Cependant, exploités dans une vision de court terme, ces mêmes atouts se retournent finalement contre les populations, privées en dernier lieu des ressources vitales pour leur existence. Les projets de développement soutenus ces dernières années par les organisations internationales et les ONG tentent de proposer une alternative durable à travers la promotion d’une agriculture paysanne, respectueuse de son environnement, mais cette logique ne fait pas le poids face aux projets industriels alimentés par la manne des investissements étrangers. C’est le cas entre autres des projets dans le nord du Laos de la GTZ, la coopération allemande, dont les années de travail auprès des villageois ainsi que les routes construites vont être réduites à néant par le futur barrage de la Nam Tha, financé par les Chinois. Au sud du Laos, la pérennisation de la filière café sur le plateau des Boloven risque fort d’être compromise par l’exploitation de la bauxite, un minerai hautement toxique, alors que l’AGPC, l’Association des groupements de producteurs de café, soutenue par l’Agence française de développement (AFD), vient juste de recevoir la certification « équitable et bio ». Aujourd’hui, le café représente la principale culture pour 15 000 foyers et 80 % de leurs revenus2. Mais les quelque 20 à 25 tonnes de café produit chaque année, générant près de 33 millions de dollars de revenus pour le pays pèsent peu face au secteur minier qui représente 50 % de la totalité des exportations. Malgré la crise financière de l’automne 2008 qui a provoqué une baisse sensible des prix des matières premières, les investissements dans le secteur minier ont légèrement baissé au cours de l’année 2008 (102 066 035 dollars contre 115 270 631 en 2007), mais ont littéralement explosé au cours des huit premiers mois de 2009 pour atteindre plus de 2,2 milliards de dollars, passant ainsi devant le secteur de l’hydroélectricité.
9Cette explosion s’explique par la position particulière de la Chine qui a profité de la crise financière pour racheter les entreprises leader dans le domaine minier. D’après les études menées en 2009 conjointement par la Fondation Heinrich Böll Stiftung, WWF et International Institute for Sustainable Development, sur le rôle de la Chine dans la Région du Grand Mékong3, les fusions et acquisitions à l’étranger par les compagnies privées et étatiques chinoises dans le secteur minier s’élevaient en 2008 à 52,1 milliards de dollars et à 16,3 milliards uniquement pour les deux premiers mois de 2009. Concrètement, au Laos, la compagnie australienne OZ Minerals, opérateur des mines d’or et de cuivre à Sepon, s’est finalement fait racheter au début de l’année 2009 par la compagnie étatique China Minmetals, pour 1,2 milliard de dollars. Les besoins en matières premières de la Chine pour satisfaire la demande intérieure expliquent son intérêt récent pour le Laos et la Région du Grand Mékong en général, dont la richesse du potentiel minier a été jusque-là inexplorée et qui offre l’avantage de la proximité géographique.
10Après plusieurs années d’études sur le potentiel en bauxite du Plateau des Boloven, un accord de joint-venture a finalement été signé le 29 octobre 2009 entre la compagnie « SARCO » (Sino Australian Resources Laos), et « LSI » (Lao Service Incorporation) pour passer à la phase d’exploitation sur 14 500 hectares dans le district de Paksong, dans la province de Champassak. La construction d’une centrale de transformation en aluminium de 3 000 hectares est également prévue dans la province d’Attapeu. SARCO est elle-même une joint-venture entre « ORD », une compagnie australienne qui possède 49 % des parts et « NFC » (China Nonferrous Metal Industry's Foreign Engineering and Construction) qui en possède 51 %. Une cérémonie officielle s’est tenue en novembre 2009 à Pékin pour célébrer le démarrage de la nouvelle phase de développement du projet. SARCO possédera 51 % des parts de la nouvelle joint-venture et restera l’opérateur du projet, tandis que LSI aura 49 % des parts et devra rendre compte auprès du gouvernement du Laos. Ce nouvel accord remplace tous les précédents, accordant ainsi une concession de trente ans au lieu des cinquante ans initialement prévus en septembre 2008. Le projet, d’un montant total de 4 milliards de dollars, prévoit aussi la construction d’une centrale hydroélectrique de 1 320 KW pour approvisionner l’usine de transformation. Le démarrage de l’exploitation devrait commencer en 2011 et pourrait produire dans un premier temps jusqu’à 600 000 tonnes d’aluminium par an. La production pourrait toutefois être quadruplée si la compagnie parvenait à augmenter la production d’électricité à 5 000 KW.
11Pour l’instant, le discours officiel du gouvernement est de maintenir côte à côte le développement des deux filières, celui du café et de la bauxite. Mais en l’absence de transparence des procédures et des régulations, rien ne permet de vérifier comment ces compagnies vont s’engager à réduire les impacts sociaux et environnementaux du développement minier, alors que les conséquences vont être considérables sur les conditions de vie des habitants résidant aussi bien le long des rivières qu’en aval.
4- La stratégie « casino »
12À côté de la politique de transformation de la terre en capital à travers l’exploitation des ressources naturelles, le gouvernement du Laos a parallèlement misé sur le développement de complexes touristiques centrés sur les casinos afin d’attirer exclusivement une clientèle étrangère car les citoyens laotiens n’ont pas le droit de jouer de l’argent. Intégrées au sein de zones économiques spéciales, ces villes-casinos ont en fait formé de véritables enclaves aux frontières thaïes et chinoises. Le premier projet de zone économique spéciale nommé « Golden Boten City » a démarré en novembre 2004 à Boten, sur la frontière sino-lao. L’objectif de la première phase, d’un montant de 103 millions de dollars, était de construire un grand complexe touristique et un centre d’affaires. En réalité, en 2007, c’est un casino aux allures de logements sociaux qui a surgi au milieu de la forêt tropicale, entouré de magasins et d’entrepôts, pour la plupart encore inoccupés. Sorte d’enclave chinoise de 1 640 ha en territoire laotien, cette concession de trente ans, renouvelable deux fois, accordée par les plus hauts responsables politiques du pays, est en fait la continuité géographique de Mohan, autre zone franche démarrée en même temps que Boten pour développer le commerce international dans le Yunnan. À Boten, quelques milliers de commerçants, prostitués et croupiers chinois sont venus s’installer dans cette « ville-casino », contre une poignée de Laotiens, habitant les préfabriqués construits juste à côté de « l’hôtel de luxe » ; la monnaie utilisée est le yuan et les produits consommés sur place sont tous importés de Chine. On peut y acheter des objets pornographiques, pourtant interdits au Laos et assister à des spectacles de cabaret animés par des « Kateuy », des transsexuels venus de Thaïlande. Le casino attire en majorité des joueurs professionnels qui travaillent pour le compte de patrons chinois basés en Chine et qui peuvent suivre leur mise sur Internet. Seuls quelques résidents de la province de Luang Namtha ainsi que les travailleurs des ONG accusent discrètement le gouvernement de vendre le pays aux Chinois ou constatent avec amertume que cette concession fait déjà partie de la Chine. Le propriétaire du casino de Boten serait en fait le fameux Lin Mingxian, plus connu sous le nom de Sai Leun, ancien commandeur de la Région Spéciale no 4, dans l’Etat shan, et actuel chef de Mongla, ville à la frontière sino-birmane, encore aux commandes d’une milice forte de 2 000-3 000 hommes (National Democratic Alliance Army – NDAA). Il a financé la plupart des casinos de la ville dès les années 1990 avec l’argent de la drogue. Après la fermeture de ses casinos en janvier 2005 par les autorités chinoises qui voulaient arrêter l’hémorragie de capitaux détournés par les officiels chinois, il est venu investir à Boten.
13À deux cents kilomètres de Boten, un autre casino a été officiellement inauguré le 9 septembre 2009 à Ton Pheung, dans la zone économique spéciale du Triangle d’or, dans la province de Bokéo, qui faisait encore partie, il y a quelques années à peine, du principal foyer de production d’opium dans le monde. Une concession de cinquante ans extensible sur vingt-cinq ans a été accordée à la société chinoise Dok Ngeokham (de Macao) pour développer dans un premier temps l’hôtelcasino d’une surface de 837 hectares, dont la première phase du projet est évaluée à 85 millions de dollars. L’État possède 20 % des parts du projet et espère attirer un million de touristes par an et plus de 300 compagnies. La compagnie Dok Ngeokham compte investir 2 240 millions de dollars pour développer les infrastructures de la zone économique spéciale du Triangle d’or qui devrait s’étendre sur 3 000 hectares d’ici 2020 : école, bibliothèque, hôpital, banque, hôtel, musée, et parcours de golfe sont au programme4. La zone devrait être équipée dans le futur d’un aéroport, d’infrastructures routières, d’eau et d’électricité. D’après le Vientiane Times, plus de mille personnes travaillent dans la zone dont cent Laotiens. Ce sont principalement des ouvriers birmans et chinois qui sont venus travailler pour accélérer l’ouverture du casino. Cinq mille personnes devraient travailler prochainement dans cette zone. Selon les journalistes thaïs, Sai Leun serait également parmi les investisseurs de Ton Pheung5.
14Sur le plan social, on peut s’interroger sur l’impact de ces zones économiques spéciales qui ont peu recours à la main-d’œuvre laotienne et fonctionnent de manière autonome. En fait, ces projets ne font que révéler l’autre grande contradiction dans laquelle se trouve le Laos en ce qui concerne la gestion de ses ressources humaines. D’une part, le marché du travail au Laos est effectivement réduit et souffre d’un manque de qualifications et doit par conséquent faire appel à la maind’œuvre étrangère (chinoise, vietnamienne, birmane). D’autre part, la jeunesse se retrouve à migrer en Thaïlande, souvent illégalement, pour obtenir un travail mieux rémunéré dans la construction, l’agriculture ou les services. Une ouvrière textile gagne environ 135 dollars à Bangkok alors qu’elle touche moins de 40 dollars au Laos. Le dernier rapport du Pnud (2006) estimait entre 200 000 et 300 000 le nombre de travailleurs laotiens en Thaïlande. La migration touche plus généralement le sud du Laos, et les provinces de Savannakhet et de Champassak en particulier, où le passage par le Mékong ainsi que l’existence de liens familiaux ancestraux facilitent le projet migratoire.
15C’est pourquoi, en raison du manque cruel de main-d’œuvre qualifiée au Laos, quand il a fallu construire le stade des SEA Games, l’entreprise de construction chinoise du Yunnan a dû importer plusieurs milliers de travailleurs chinois. De même, si le gouvernement a nié tout plan d’installation chinoise massive autour du That Luang, la seule population laotienne ne suffirait pas à faire vivre et tourner la nouvelle ville. On peut déjà le constater à travers différents projets qui ont fleuri à travers le pays, à l’instar du premier centre commercial San Jiang, ouvert en août 2007 à Vientiane, qui serait selon son directeur Ding Guo Jiang « le plus grand marché de produits chinois d’Asie du Sud-Est », où les deux tiers des trois cents boutiques sont tenus par des commerçants chinois.
5- La déception des corridors de développement et le poids de la contrebande6
16Sur le plan régional, l’intégration du Laos au GMS (Greater Mekong Subregion) à travers la construction des deux principaux corridors Est-Ouest et Nord-Sud qui traverse le pays devait être une opportunité pour sortir de son enclavement et tirer profit de sa situation géographique pour devenir le carrefour des routes commerciales de la région. Pourtant, un an après l’ouverture du corridor Nord-Sud, les bénéfices semblent encore incertains, principalement à cause du pont manquant entre Houaysay et Chiang Khong. Mais l’absence de logistiques obéissant aux standards internationaux et la complexité des procédures administratives concourent également à freiner le décollage du commerce international le long de ce corridor. Le Laos est accusé de ne pas s’impliquer suffisamment dans la mise en application des accords de libre-échange transfrontaliers (CBTA – Cross-Border Trade Agreements) signés en 2007 afin de simplifier les procédures et supprimer les barrières tarifaires. Plusieurs raisons peuvent expliquer cette apparente passivité : le Laos est peu disposé à abandonner ses recettes tarifaires car il craint de ne pas gagner sur le commerce de transit. Le nouveau système de commerce international soulève effectivement la question de la capacité du Laos à créer des activités de services liées au commerce le long du corridor (services d’import-export et de transport, entrepôts, etc.). S’il n’arrive pas à créer un tissu entrepreneurial local, il risque de se limiter à regarder les camions passer et à payer un coût environnemental et social bien supérieur aux bénéfices de la route. Enfin, alors que ces nouvelles autoroutes permettent de relier en quelques heures les pays de la région entre eux en passant par le Laos, il est toujours très difficile de se déplacer à l’intérieur du pays : il faut encore deux jours de voyage en bus pour faire Vientiane-Houaysay par exemple.
17Parallèlement aux corridors, le commerce transfrontalier informel et la contrebande de bois ou d’espèces sauvages demeurent prégnants, facilités par la collusion entre les importateurs, les douaniers, les militaires et les officiels de la province. Ainsi, le passage des marchandises est systématiquement sous-enregistré, la différence gagnée sur les taxes étant partagée entre l’importateur et les agents locaux de l’État.
18Ces dernières années, le ministère de l’Agriculture et des Forêts a constaté une forte augmentation de la contrebande de bois, touchant principalement les zones naturelles protégées. Même si la loi interdit l’exportation de bois brut, l’État, à travers ses agents locaux et l’armée, est le principal acteur de ce commerce illégal qui permet de combler les déficits du budget, de financer les équipements militaires ou tout simplement de s’enrichir personnellement.
19En juillet 2009, un procureur a essayé de poursuivre des officiels impliqués dans la contrebande de bois et la vente illégale de concessions, mais il a dû rapidement abandonner les charges devant le manque de coopération des différents ministères. Finalement, ces officiels se sont simplement engagés à ne pas recommencer et ceux qui avaient commis des crimes plus graves ont été mutés7.
20En ce qui concerne le trafic d’espèces sauvages, l’ouverture du corridor Nord-Sud a en fait relié le Laos, un des centres de la biodiversité les plus riches au monde, au marché le plus demandeur de ces espèces, la Chine. Plus de la moitié de la biodiversité nationale du Laos se trouve au niveau des frontières. Certains commerçants chinois se sont spécialisés dans le commerce d’espèces sauvages en avançant de l’argent aux chasseurs et braconniers pour poser leurs pièges et leur garantissant un marché. Les NTFPs (produits forestiers non ligneux) et la chasse d’animaux sauvages constituent une source d’exportation rentable pour les habitants du Nord qui passent les frontières sans contrôle particulier en tuk-tuk, en bus ou à pied, car les douaniers ne sont pas formés pour contrôler ce type de commerce. Surtout, les habitants ne considèrent pas qu’ils commettent un acte illégal en faisant le commerce d’espèces sauvages car ils le pratiquent depuis des siècles.
6- Le faible impact de la crise au Laos
21La grande inconnue à la fin de l’année 2008 était la question de l’impact de la crise financière sur le Laos, largement dépendant de l’aide internationale et des investissements étrangers. Il s’avère que le Laos a mieux survécu à la crise que ses voisins, en grande partie parce que l’économie du pays est encore fortement orientée vers le marché intérieur, les industries tournées vers l’exportation sont naissantes et son exposition aux capitaux extérieurs est encore limitée. Pour les experts de la Bad (Banque asiatique du développement), il n’y a pas eu de crise financière au Laos car les banques laotiennes ne prêtent pas d’argent. Grâce aux revenus de l’hydroélectricité, du cuivre, de l’or et du tourisme, le Laos a connu une croissance économique forte autour de 7-7,5 % ces deux dernières années. Avec une chute des prix du cuivre en 2008-2009, le taux de croissance a légèrement baissé en 2008, passant de 7,5 à 7 %. Le gouvernement reste toutefois optimiste et espère même atteindre un taux de croissance de 7,5 % pour 2009. Si le dernier rapport de la Banque Mondiale de juin 2009 reconnaît que l’économie réelle n’a pas vraiment été affectée, elle estime cependant que l’impact de la crise financière globale se fera plus ressentir en 2009, pronostiquant un ralentissement de la croissance à 5 %. L’économie nationale s’est effectivement bien comportée jusque-là, comme en témoigne la compagnie étatique Lao Brewery, fabricant de la fameuse « Beer Lao » qui a enregistré une croissance de 6 à 7 % de ses ventes au cours des six premiers mois de l’année 2009. Plus généralement, l’économie nationale a été stimulée par un « mini boom immobilier » lié à la construction de nouvelles routes et d’hôtels à Vientiane, dans le cadre de la préparation des SEA Games et la célébration du 450e anniversaire de la capitale.
22Mais l’envers du décor reste inquiétant car le déficit fiscal s’est fortement creusé en 2009 en raison des dépenses engagées pour les SEA Games (2,9 milliards de dollars de dettes publiques à la fin 2008) et le manque à gagner lié à la chute des prix du cuivre et des produits agricoles due à la crise financière (-16,5 % des exportations pour le premier trimestre 2009). Le rétablissement du marché asiatique constitue donc la clé de la croissance économique du Laos dans la mesure où 85 % des exportations sont dirigés vers l’Asie.
23Toutefois, la grande surprise de l’année 2009 est l’explosion des IDE alors que l’on s’attendait à une baisse sensible des investissements étrangers. Au cours des huit premiers mois de 2009, le ministère du Plan et de l’Investissement a approuvé 4,2 milliards de dollars de projets, soit presque le quadruple des investissements de l’année 2008 qui s’élevaient à 1,2 milliard de dollars. La majorité des investissements ont été réalisés dans le secteur minier, hydroélectrique, dans les plantations d’hévéa ainsi que l’industrie légère, comme le textile et l’assemblage des équipements électriques. Le Viêt Nam se retrouve pour la seconde année consécutive à la tête des investisseurs étrangers, avec des projets proposés évalués à 1,4 milliard de dollars. La Chine se place en seconde position avec un peu plus de 905 millions de dollars et la Thaïlande prend la troisième place.
24Cette explosion des investissements étrangers pourrait s’expliquer par le travail de promotion réalisé par le ministère du Plan et de l’Investissement pour inciter les étrangers à investir au Laos. Concrètement, cela a abouti à la modification de la loi sur les investissements étrangers et nationaux en juillet 2009. Cette nouvelle loi constitue sans aucun doute l’événement majeur de l’année 2009 car elle permet désormais à tout investisseur étranger qui investit plus de 300 000 dollars au Laos d’acquérir un droit de propriété. Les procédures d’investissement sont également simplifiées, le dossier est désormais soumis à un seul service, en l’occurrence le ministère du Plan et de l’Investissement, qui se charge de travailler avec les autres ministères concernés pour obtenir l’approbation du projet. Le véritable changement amené par la nouvelle loi est qu’elle donne les mêmes droits aux étrangers qu’aux nationaux. Ces avancées juridiques font partie des efforts poursuivis par le Laos pour entrer à l’OMC en 2010. Au même moment, le 10 octobre 2010 prochain, le gouvernement prévoit de lancer sa première place boursière, en présentant dix compagnies.
7- Les perspectives pour 2010
25Ces dernières années, le Laos a pris des orientations de développement qui sont en train de bouleverser en profondeur le pays. Une classe moyenne voit le jour à Vientiane et dans les autres centres urbains du pays qui peut désormais jouir de l’accès à la consommation et aux nouvelles infrastructures. Mais cette population urbaine constitue une infime minorité et le fossé avec la population rurale ne cesse de grandir à mesure que le gouvernement avance dans sa politique de « mise en valeur du territoire », conseillée et financée en grande partie par ses frères communistes.
26Le train des réformes s’accélère. Ces grands projets de plantations et d’industries minières ou hydroélectriques font indubitablement avancer le pays vers la voie du développement économique, mais à quel prix pour la population et l’environnement ? La question des impacts sociaux et environnementaux des grands projets est plus que jamais inséparable de ces derniers, d’autant plus dans un pays comme le Laos où la majorité de la population est encore dépendante des ressources naturelles pour sa survie. La modification de la loi sur les investissements ainsi que la réforme des titres de propriété seront à suivre particulièrement car ces mesures vont de pair avec la reterritorialisation du pays, imposée par la planification des grands projets, avec une prise de conscience que la terre commence à manquer. Il s’agira aussi d’évaluer ce que l’organisation des SEA Games aura apporté en termes de changement d’image et de retombées économiques permettant de rentabiliser les investissements importants consentis.
Fiche Laos
27Capitale : Vientiane
28Superficie : 236 800 km²
29Population : 6 834 942
30Langue : Lao
Données politiques
31Nature de l'Etat : république
32Nature du régime : communiste
33Suffrage : A partir de 18 ans, universel
34Chef de l'Etat : Président Lieutenant Général Saignason Choummali (depuis 2006)
35Premier ministre : Bouphavanh Bouasone (depuis 2006)
36Vice Président : Volachit Boun-gnang (depuis 2006)
37Ministre des Affaires étrangères : Thongloune Sisoulith
38Echéances : Elections présidentielles et législatives en mai 2011
Données démographiques et sociologiques
39Principaux groupes ethniques (2005) : Lao (55 %) ; Khmou (11 %) ; Hmong (8 %) ; autres groupes ethniques (26 %)
40Religions : Bouddhistes (67 %) ; Chrétiens (1,5 %) ; autres (31.5 %)
41Taux de croissance démographique (2008) : 2,1 %
42Espérance de vie (2008) : 56,68 ans
43Taux de fertilité (2008) : 4,41
44Taux de natalité (2008) : 33,94 ‰
45Taux de mortalité (2008) : 10,78 ‰
46Taux de mortalité infantile (2008) : 77,82 ‰
47Taux d'alphabétisation (> 15 ans) (2001) : 68,7 %
48Urbanisation (2008) : 31 %
49Indice de développement humain : 0,619 (133e rang, 2007) ; 0,485 (143e rang, 2000)
Indicateurs économiques
50Monnaie : Kip (1 euro = 12,34 kips le 16.12.09)
51Balance des paiements courants (2008) : 25,78 milliards $ US
52Pourcentage de la dette extérieure dans le PIB (2007) : 84,4 % (3,337 milliards $ US)
53PIB par habitant ou per capita (2008) : $ 2.100
54Taux de croissance du PIB (2008) : 7,5 %
55Répartition du PIB par secteur d’activité (2008) : agriculture (39.2 %) ; industrie (34.3 %) ; services (26.5 %)
56Taux d'inflation (2008) : 8,6 %
57Taux de chômage (2005) : 2,4 %
58Population sous le seuil du niveau de pauvreté (2005) : 37 %
59Volume des IDE entrant (flux) (2008) : 228 millions $ US
60Volume des IDE entrant (cumulés ou stocks) (2008) : 1,048 millions $ US
61Volume des IDE sortant (flux) (2008) : n. c
62Volume des IDE sortant (cumulés ou stocks) (2008) : 20 millions $ US
63Principaux partenaires commerciaux (2009) : Viêt Nam, Chine, Thaïlande, Corée du Sud
64Importations (2008) : 1,384 milliards de US$
65Principaux produits importés (2008) : machinerie et équipement ; véhicules ; carburants ; biens de consommation
66Exportations (2008) : $ 1,163 milliards de US$
67Principaux produits exportés (2008) : produits en bois ; café ; électricité ; étain ; cuivre
Notes de bas de page
1 « Deputy minister blames reservoirs for worsening floods », Thanh Nien News. com, 10 octobre 2009.
2 J. Galindo & B. Sallée, Participative analysis of coffee supply chain in Lao PDR, Vientiane, 2007.
3 cf. Rethinking Investments in Natural Resources: China’s Emerging Role in the Mekong Region mais aussi Understanding China’s Role in the Mekong, In search of Aluminum: China’s Role in the Mekong Region, 2009.
4 « Chinese firm to sink US$ 2,240m into northern economic zone », Vientiane Times, 14 septembre 2009.
5 « Casinos in Mongla closed », Shan Herald, 10 septembre 2009.
6 Pour plus d’information, cf. Danielle TAN, “Du Triangle d’Or au Quadrangle économique : acteurs, enjeux et défis des flux illicites transfrontaliers”, Notes de l’IRASEC, à paraître.
7 « Prosecutors fail to bring corrupt officials to trial », Vientiane Times, 1er juillet 2009.
Auteur
Doctorante en science politique au Céri/Sciences Po. Sa thèse porte sur l’analyse des réseaux chinois dans le Nord Laos et les recompositions sociales et territoriales que ces nouvelles mobilités génèrent. Cette recherche s’intègre dans le cadre du programme Transiter « Dynamiques transnationales et recompositions territoriales, approche comparative Amérique centrale et Asie du Sud-Est » financé par l’ANR.
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