Indonésie. Le lézard et le crocodile
p. 151-175
Texte intégral
1L’année 2009 restera en Indonésie l’année où la lutte anti-corruption s’est emballée et a, peut-être, atteint ses limites. L’affrontement homérique mettant aux prises, d’une part, la commission d’éradication de la corruption (KPK, soutenue dans son combat par la presse et l’opinion publique) et, d’autre part, le parquet général et la police a largement éclipsé les importantes échéances électorales de l’année. Sous l’expression désormais consacrée de lutte entre le petit lézard (cicak, en fait un margouillat) et l’imposant crocodile (buaya) ce conflit entre les forces nouvelles de la réforme radicale et celles, plus anciennes, d’un conservatisme de faux-semblants a dominé l’ensemble de l’actualité.
2Le lent retour à l’État de droit, entrepris depuis 1998, passait en effet par la nécessaire éradication d’une « culture de la corruption » qui gangrène l’ensemble de l’économie et de la société indonésienne. Les mesures volontaristes prisent en ce sens depuis 2003 ont conduit à des résultats probants, mais ont également ébranlé le fragile édifice politique du pays au sein duquel une partie des anciennes élites de l’Ordre nouveau – et leurs habitudes – tenait encore une place de premier rang. Acculés par une série d’enquêtes menaçant les plus hauts échelons de leur hiérarchie, la police et le parquet ont alors élaboré un incroyable complot visant à mettre hors d’état de nuire les principaux responsables de la KPK. Les implications politiques de l’affaire, les hésitations du président Susilo Bambang Yudhoyono, tiraillé entre son soutien aux réformateurs et ses liens avec les anciennes élites aux abois, ont conféré une ampleur dramatique à cette affaire dont l’issue, à la fin de l’année, demeurait incertaine.
1- Une campagne atone et une réélection triomphale
3À l’approche de ce troisième scrutin depuis la chute de Suharto, en 1998, l’Indonésie a contemplé, comme lors des échéances précédentes, avec un étonnement mêlé de fierté le gigantisme que lui confère son statut de « troisième démocratie du monde ». 161 millions d’électeurs, répartis en 550 000 bureaux de vote, étaient appelés à choisir, parmi 11 225 candidats, leurs représentants au sein de l’Assemblée nationale et des trente-trois parlements provinciaux. Trente-huit partis nationaux présentaient des candidats, auxquels il faut ajouter les six partis locaux autorisés à concourir pour l’élection du parlement d’Aceh, conformément aux Accords d’Helsinki de 1995. Pourtant, malgré ces chiffres pléthoriques, la campagne ne réussit pas à passionner les Indonésiens : rapidement marquée par une victoire annoncée du parti du président Susilo Bambang Yudhoyono, elle ne parvint pas à faire émerger des enjeux politiques et sociaux susceptibles de mobiliser les électeurs. La quasi-totalité des formations politiques proposa des programmes sans aspects saillants, inspirés par une idéologie aussi consensuelle que paresseuse, mêlant une rhétorique nationaliste de circonstance à une invocation très conventionnelle des valeurs morales et religieuses. La seule exception apparente à cette atonie politique fut le retour sur la scène politique du général en retraite Prabowo Subianto. Gendre de Suharto, il avait incarné, dans les dernières années de l’Ordre nouveau, cette politique du pire conduite par une partie de l’armée qui avait mené le pays au bord du chaos. Le rôle joué par les unités qu’il commandait dans certains des plus sombres épisodes de la transition vers la démocratie, ses liens avec des courants islamistes radicaux auraient dû, en bonne logique, lui interdire tout avenir politique une fois la démocratie stabilisée. Mais c’était sans compter avec l’étonnante capacité d’oubli de l’étroite société politique indonésienne. Une amnésie également illustrée par la participation au scrutin du général Wiranto, ancien chef d’État-major des forces armées, régulièrement mis en accusation par les défenseurs des droits de l’homme pour son rôle dans les massacres au Timor Oriental. La volonté de consensus à tout prix, observée l’an dernier lors de la mort de Suharto, valut à ces deux hommes de pouvoir mener une campagne tranquille et populiste, autour de thèmes agrariens, sans être frontalement attaqués sur leur passé par les autres candidats. Pourtant les provocations ne manquèrent pas. Prabowo choisit ainsi comme vice-président de son parti, le Gerindra, un ancien directeur adjoint des services secrets, Muchdi Purwopranjono, accusé du meurtre, en 2004, d’un célèbre militant des droits de l’homme. Fondateur d’une association de recherche des personnes disparues, Munir avait révélé l’implication des Forces spéciales (dont Muchdi était l’un des responsables) dans l’enlèvement et l’assassinat, en 1997-1998, de treize activistes critiques de l’Ordre nouveau. L’acquittement de Muchdi, à la fin de l’année dernière, et ce malgré des charges écrasantes pesant contre lui, avait choqué l’opinion publique et mis en lumière le rôle trouble du parquet général dans cette affaire.
4L’improbable ticket que Prabowo forma en vue de la présidentielle avec Megawati Soekarnoputri, illustra, jusqu’à l’absurde, ce refus de regarder le passé en face qui caractérise aujourd’hui la vie politique indonésienne. Fille de Soekarno, le père de l’indépendance, elle-même ancienne présidente, Megawati avait été une farouche opposante au régime de l’Ordre nouveau. Les fonds sans limites dont sembla disposer Prabowo jouèrent certainement un rôle dans cette opportune réconciliation. Cependant, la présence sur les listes du Gerindra de Pius Lustrilanang et Andi Arief, deux des rares activistes qui soient revenus vivants des enlèvements conduits par les Forces spéciales (Kopassus), témoigna de quelque chose de beaucoup plus profondément ancré dans la mentalité indonésienne : une sorte de syndrome de Stockholm collectif d’un pays encore quelque peu désemparé par le relâchement de l’étreinte de la dictature et refusant de se pencher sur ses vieux démons, de peur qu’ils ne se réveillent.
5Les résultats des élections législatives du 9 avril furent marqués, avant tout, par une relativement faible participation et par l’importance des votes blancs ou nuls. Avec seulement 123 millions de votants et plus de 16 % de votes invalides, le « groupe blanc » (golput) devint le premier parti d’Indonésie. S’expliquant à la fois par d’importants dysfonctionnements dans la composition des listes électorales, par la complexité du scrutin et par un certain désintérêt à l’égard de l’élection, ce phénomène ne remit pas en cause la validité du suffrage populaire. Il témoigna cependant d’une certaine rupture entre la classe politique et le peuple qui ne manqua pas de soulever l’inquiétude de nombreux observateurs. Alors que les candidats, y voyant sans doute avant tout un intérêt personnel ou clanique, n’avaient jamais été aussi nombreux à briguer un siège au sein d’une assemblée – certains s’endettant même au-delà du raisonnable – les électeurs, eux, ne semblèrent pas percevoir de réels enjeux en termes de changements possibles. Ce relatif désamour est à rapprocher d’un autre phénomène : la victoire, face à des politiciens chevronnés, de personnalités sans aucune expérience. Ce phénomène de « tabloïsation de la politique » (fenomena penabloidan politik) concerna aussi bien des acteurs que les rejetons des grands leaders du pays, élus sur leur seul nom.
6Hormis ces réserves, le scrutin du 9 avril confirma l’ancrage démocratique de l’Indonésie : le populisme d’extrême-droite, malgré l’imposante couverture publicitaire et médiatique dont il avait bénéficié, échoua assez lourdement : le Parti de la Grande Indonésie, (Gerindra) de Prabowo et le Parti de la conscience du peuple (Hanura) de Wiranto, avec respectivement 4,6 % et 3,9 % des voix, restèrent bien en deçà de leurs objectifs. À l’inverse, le Parti démocrate du président sortant Susilo Bambang Yudhoyono, accomplit, quant à lui, une performance remarquable en rassemblant près de 22 % des voix, contre 7,5 % en 2004. En distançant très nettement ces deux principaux concurrents, le Golkar et le Parti démocratique indonésien de lutte (PDIP), tous deux autour de 15 %, il s’installa confortablement au sommet de la hiérarchie politique du pays.
7Le dernier enseignement majeur de ces élections législatives fut le recul important de l’islam politique. Alors que les partis musulmans avaient rassemblé près de 38 % des voix lors des élections législatives de 1999 et de 2004, leur score global tomba à 28 % cette année. Ce net déclin doit être rapproché de la captation réussie par les partis nationalistes des valeurs islamiques que les partis musulmans prétendaient incarner seuls jusque-là. L’adoption par les représentants des partis séculiers (Golkar, PDIP, Parti démocrate) de thèmes visant à la restauration d’un ordre moral d’inspiration religieuse, tant au niveau national (loi sur la pornographie) que local (décrets criminalisant le non-respect des obligations religieuses), semble avoir contenté un électorat lassé de l’opposition entre courants religieux et nationalistes qui a longtemps structuré la vie politique indonésienne. Parmi les partis se revendiquant de l’islam, seul le Parti de la justice et de la prospérité (PKS), avec 8 % des votes, vit son score légèrement progresser par rapport à l’élection de 2004. Bien que très inférieur à son objectif de 20 %, cette réussite relative le plaça en tête des formations religieuses et fit de lui un partenaire incontournable de la coalition présidentielle.
8La période qui sépara les élections législatives du premier tour de l’élection présidentielle confirma les inquiétudes des observateurs : une large partie de la classe politique, sans se préoccuper aucunement de questions de programme, se livra à un ballet aussi étourdissant qu’inconséquent pour la composition des tickets président/vice-président appelés à se présenter devant les électeurs. Toutes les combinaisons possibles furent évoquées dans un ballet de limousines et de rencontres nocturnes dans les grands hôtels de Jakarta, donnant la très nette impression que seule comptait désormais la conquête du pouvoir et de ses avantages. Dans cette atmosphère quelque peu délétère le président sortant, sut néanmoins prendre une certaine hauteur en choisissant pour vice-président un homme austère, peu connu du grand public et sans soutien partisan, mais reconnu pour son intégrité et ses compétences économiques. Ancien ministre des Finances de Megawati, puis gouverneur de la banque d’Indonésie, Boediono imposa sa rigueur et sa connaissance des dossiers face aux autres candidats à la vice-présidence. Les partis musulmans de la coalition qui avaient un temps protesté contre ce choix, espérant un candidat issu de leurs rangs, durent s’incliner. La campagne présidentielle qui opposa le duo SBY-Boediono à ceux rassemblant Megawati-Prabowo et Kalla-Wiranto ne dissipa l’impression de vacuité suscitée par les législatives. Les concurrents du président se cantonnèrent dans un registre assez démagogique en cherchant par de vibrants appels à un meilleur partage des richesses à rattraper l’avance incontestable qu’avait pris en ce domaine le chef de l’État grâce à quelques mesures opportunistes (mais concrètes) durant l’année écoulée. Contredite par la présence à ses côtés d’un homme incarnant, pour beaucoup d’Indonésiens, les formidables détournements de fonds de l’ère Suharto, l’ancienne présidente Megawati ne parvint pas à rendre crédible l’idée d’une alternative en ce domaine. De même, les attaques du duo Kalla-Wiranto posant fièrement sur leurs affiches aux côtés de leurs épouses voilées – et reprochant ainsi implicitement à SBY et Boediono, dont les femmes ne portent pas le voile, leur manque de religion – ne semblèrent pas émouvoir outre mesure les électeurs. Le 8 juillet, le chef de l’État et son colistier en rassemblant, dès le premier tour, 60 % des suffrages, assénèrent à leurs concurrents une victoire sans appel.
2- Une opposition absente, un gouvernement plus partisan que prévu
9Le rapport de force politique désormais clarifié à un point jamais atteint ces dernières années, la démocratie indonésienne du faire face à un problème inédit : celui d’une opposition désormais inexistante. L’important recul du PDIP et du Golkar (qui avaient rassemblé respectivement 34 % et 22 % des voix lors du précédent scrutin de 2004) provoqua d’importantes tensions en leur sein. Faute de représenter une réelle alternative idéologique à la coalition victorieuse, nombreux furent ceux qui, dans leurs rangs appelèrent à la rejoindre. Le président eut alors beau jeu de rappeler lui-même la nécessité d’une opposition pour le bon fonctionnement des institutions, une déclaration qui allait prendre tout son sel quelques mois plus tard. Il ne résista pas cependant à la tentation de jouer un bon tour à sa plus farouche ennemie politique (Megawati qui refuse de le rencontrer depuis qu’il s’était présenté contre elle en 2004 et qui a boudé sa cérémonie d’investiture) en permettant l’élection du mari de cette dernière, Taufiq Kiemas, à la tête du parlement (MPR).
10Au total, les élections de 2009 démontrèrent tout autant l’attachement des Indonésiens à la démocratie que les faiblesses de sa pratique. Comme l’expliqua benoîtement l’un des responsables de la Commission électorale (critiquée pour avoir favorisé la platitude des débats télévisés) l’argumentation, la critique et la confrontation d’idées demeuraient étrangères à une culture politique encore marquée par une conception très javanaise du pouvoir, fondée sur la recherche de l’harmonie et du consensus. Les vrais affrontements eurent lieu en coulisse, lors de ce que la presse qualifia de « campagne noire » (Kampanye Hitam) où tous les coups étaient permis.
11Le 22 octobre était annoncée la composition du nouveau gouvernement. On attendait un cabinet plus technique que politique dans la mesure où, contrairement à son précédent mandat, le président disposait cette fois d’une assise parlementaire plus large. Pourtant, malgré un renouvellement de deux tiers des effectifs, près de la moitié des portefeuilles allèrent à des alliés politiques du président, sans considération de leurs compétences particulières dans leur domaine d’action. Le poste de ministre coordinateur de l’Économie revint ainsi à Hatta Rajasa, artisan du ralliement du Parti du mandat (PAN, musulman modéré) à la candidature de SBY, au détriment de Sri Mulyani – l’une des personnalités du précédent gouvernement les plus appréciées des milieux économiques internationaux – qui conservait toutefois le portefeuille des Finances. Plus encore, dans le domaine désormais très sensible de la justice et des droits de l’homme, le choix d’un autre politicien du PAN, Patrialis Akbar, qui ne s’était jusqu’alors jamais signalé pour son intérêt particulier pour la matière inquiéta les observateurs.
3- D’importantes questions sociales et environnementales demeurent en suspens
12Accaparée par les manœuvres d’appareils, la scène politique officielle laissa de côté des problèmes sociaux pourtant toujours patents. En dehors de la culture du consensus évoquée plus haut, l’absence de partis politiques de gauche remettant en cause l’ordre social établi, contribua certainement à cet état de fait. Encore très marquée par la propagande anticommuniste de l’Ordre nouveau (qui avait accompagné puis suivi l’élimination physique de toute la gauche marxiste indonésienne), la population demeurait toujours extrêmement méfiante à toute idéologie d’inspiration socialiste. Hormis les dénonciations largement incantatoires du néolibéralisme, les critiques et solutions régulièrement avancées par les organisations non gouvernementales ne trouvèrent que peu d’échos lors de la préparation des échéances électorales.
13Pourtant les sujets engageant l’avenir à long terme de l’Indonésie ne manquaient pas. Début 2009 une série d’indicateurs, parus dans la presse, soulignaient à la fois les progrès accomplis en matière de lutte contre la pauvreté mais également des évolutions plus inquiétantes. L’accroissement démographique se poursuit désormais à un rythme soutenu : l’indice de fécondité a augmenté depuis quelques années pour atteindre 2,6 % début 2009. Si la tendance n’est pas rapidement inversée, l’Indonésie comptera 350 millions d’habitants en 2050, alors que les objectifs de développement prévoyaient de stabiliser la population à 300 millions à cette date. Une autre enquête montrait que le système d’éducation indonésien continuait à se dégrader en termes relatifs : l’Education Equity, indice publié par l’Unesco, plaçait le pays en 71e position sur les 129 pays étudiés, soit un net recul par rapport aux années précédentes (62e en 2007, 58e en 2006). Par ailleurs, les écarts de richesse continuaient de s’accroître en Indonésie : le coefficient de Gini, mesurant l’inégalité des revenus étant passé de 0,311 en 1999 à 0,368 en 2008.
14Plusieurs affaires très médiatisées sont venues d’ailleurs souligner la dureté des rapports sociaux en Indonésie. En juin une mère de famille, Prita Mulyasari avait été placée en détention provisoire et encourait une peine de six ans de prison pour avoir envoyé, à dix de ses amis, un courrier électronique relatant ses déboires avec un hôpital privé. Les poursuites pénales furent finalement abandonnées mais en décembre, un tribunal civil la condamnait à payer 21 000 dollars de dommages et intérêts à l’établissement hospitalier. En novembre, la presse et l’opinion publique prirent également fait et cause en faveur d’une vieille dame pauvre et illettrée d’une petite ville de Java-Central que la police et le parquet entendaient poursuivre pour trois fèves de cacao dérobées dans un champ. Ces affaires, contrastant avec le peu d’efficacité de la justice dans des affaires comme l’assassinat de Munir ou les détournements de fonds de Tommy Suharto, suscitèrent une importante mobilisation de la société civile : plusieurs manifestations furent organisées en faveur de Prita Mulyasari, son groupe de soutien sur le réseau Facebook rassembla 400 000 personnes et une gigantesque quête était en cours à la fin de l’année pour lui permettre de s’acquitter de sa condamnation.
15Plusieurs évènements, liés à l’état préoccupant de nombreuses infrastructures du pays, contribuèrent, cette année encore, à souligner la dureté des rapports sociaux. La presse eut ainsi l’occasion de souligner en maintes occasions que les conditions de vie très difficiles dans les grandes villes (Jakarta étant décrite comme « plus cruelle qu’une belle-mère ») pesaient surtout sur les petites gens. Bien souvent, en effet, seule la richesse permet d’échapper aux carences des autorités publiques du fait d’une privatisation croissante de l’espace (centres commerciaux, isolats urbains à la périphérie des grandes villes,..) ou par la possibilité d’acheter des générateurs pour faire face aux coupures d’électricité. Une catastrophe survenue le vendredi 27 février à Tanggerang, une banlieue de Jakarta, vint douloureusement rappeler les conséquences dramatiques de la faible efficacité des politiques d’intérêt général. Mal entretenue, la digue d’un important réservoir d’eau céda en pleine nuit, entraînant la mort de plus d’une centaine de personnes. Les différents responsables de collectivités locales et d’agences gouvernementales chargées de l’entretien de ce type de réservoir se renvoyèrent la responsabilité de la catastrophe, certains osant même évoquer un désastre naturel. En ce domaine l’Indonésie ne fut pas, cette année encore, épargnée par la nature puisque deux importants tremblements de terre frappèrent l’Archipel en septembre. Le premier, au sud de Java fit plusieurs dizaine de victimes, le second, qui dévasta la ville de Padang, à l’ouest de Sumatra, le 30 septembre, détruisit 114 000 maisons et causa la mort de 1 200 personnes. À l’occasion de ces drames, cependant, les observateurs signalèrent une réaction plus rapide et mieux coordonnée des autorités nationales et locales que lors des précédentes catastrophes du même type.
16Les questions d’environnement firent également en plusieurs occasions, la une de la presse. Le désastre de Sitoardjo (Java-Est) semble avoir connu, en septembre, un épilogue politique qui laisse entière la question écologique. En septembre, l’Assemblée nationale sortante décida, en effet, que le désastre avait une cause naturelle et n’engageait donc pas la responsabilité de la société Lapindo, propriété de Aburizal Bakrie, alors l’un des plus éminents ministres du gouvernement. Rappelons que lors d’une conférence internationale, organisée par la London Geological Society, seuls trois des soixante-quatorze experts présents avaient accrédité la thèse de Lapindo, selon laquelle le tremblement de terre de Yogyakarta, survenu deux jours auparavant, constituait la cause première de la catastrophe. L’immense majorité des autres avaient confirmé que le forage sans précaution effectué par la société pétrolière était bien à l’origine du phénomène. Conforté par ce vote de l’Assemblée exonérant son groupe de toute responsabilité, Aburizal Bakrie put s’emparer de la direction du Golkar, abandonnée par l’ancien vice-président Yusuf Kalla après ses revers électoraux.
17Toujours au chapitre de l’environnement, l’Indonésie eut, tout au long de l’année, maille à partir avec les organisations écologistes dénonçant sa politique de plantation massive de palmiers à l’huile. En dehors de la disparition progressive de toute forêt primaire, cette pratique est en effet une source majeure de pollution. Dans plusieurs régions de l’Archipel, dont le sol est constitué de tourbières, le défrichage par brûlis libère des quantités énormes de gaz carbonique, un phénomène qui place l’Indonésie au 3e rang mondial des émetteurs de C02, (derrière les EU et la Chine), alors qu’elle ne serait que 20e sans cela. Ce sont donc une grande partie des fondements du développement économique du pays qui sont aujourd’hui en question.
4- Une économie relativement épargnée par la crise
18La crise économique mondiale toucha l’Indonésie à la toute fin 2008 : en décembre les exportations chutaient de 20 %, la bourse avait perdu près de 50 % de sa valeur et la rupiah plongeait. Cependant, comme l’avaient espéré les experts, le rebond fut rapide et le marasme mondial épargna finalement assez largement une économie très tournée sur son marché intérieur et moins ouverte que celle de ses voisins aux investissements étrangers (qui ne représentent que 0,3 % du PIB contre 3 % en Thaïlande, 7 % à Singapour et 9 % au Viêt Nam). Le secteur bancaire, assaini après la crise de 1997-1998, résista à la tourmente, l’inflation qui était repartie à la hausse en 2008 (9,8 %) devrait se stabiliser à moins de 5 % à la fin 2009. La consommation, demeurée ferme une grande partie de l’année, limita le recul de la croissance (prévision 4,3 % pour 2009, contre 6,1 % en 2008) et augurait un redémarrage rapide de l’économie en 2010. Surtout, l’emploi continua à augmenter à un rythme plus rapide que les entrées sur le marché du travail et bien qu’une grande partie des créations de postes aient relevé du secteur informel, ce dynamisme, couplé à la politique de redistribution du gouvernement, permit la poursuite de la baisse du taux de pauvreté (14,6 % contre 15,2 % en 2008). Ce relatif dynamisme s’est vu consacré par l’OCDE qui, en mars, plaçait l’Indonésie dans le groupe des économies dites émergentes (désormais les BRIICS, où elle rejoignait la Russie, l’Inde, la Chine, le Brésil et l’Afrique du Sud) tout en mettant en garde le pays contre son protectionnisme rampant.
5- Une décentralisation aux résultats inégaux
19Le processus de décentralisation qui avait marqué la décennie précédente a connu une pause en 2009. Les transferts d’argent et de compétences prévus par les lois adoptées à partir de 1999 avaient suscité l’engouement des élites locales pour la création de nouvelles collectivités (provinces ou départements). Grâce aux impôts locaux et surtout aux importantes affectations de ressources de l’État, ce sont en effet désormais, près de 65 % des dépenses publiques qui passent par les 33 provinces, les 398 départements et 83 communautés urbaines, que compte le pays. Depuis quelque temps cependant, certains observateurs s’inquiétaient de la multiplication des projets de création de nouvelles collectivités et des tensions qu’ils suscitaient. Un drame, survenu début février, a donné au gouvernement l’occasion de marquer une pause dans un mouvement qui semblait s’être quelque peu emballé. Lors d’une manifestation organisée par les partisans de la création d’une province de Tapanuli, Abdul Aziz Angkat, président de l’assemblée régionale de Sumatra-Nord (dont dépend la région en question) fut violemment pris à partie par les manifestants et succomba d’une crise cardiaque. L’enquête montra le rôle trouble joué par certaines élites locales : l’un des dirigeants qui avait payé les manifestants pour qu’ils intimident le président fut d’ailleurs condamné à une lourde peine d’emprisonnement.
20Toujours concernant les questions relatives aux liens entre centre et périphéries, les deux anciennes provinces rebelles de l’Archipel, Aceh et la Papua, confirmèrent, cette année encore, la divergence de leurs destins. En Aceh, les élections témoignèrent de l’ampleur du chemin parcouru depuis le renouveau du processus de paix en 2005, des progrès favorisés par l’incroyable manne financière déversée sur la région après le tsunami de décembre 2004. Conformément aux Accords d’Helsinki, et par dérogation au droit électoral, des partis locaux furent autorisés à concourir aux scrutins locaux. Le Partai Aceh, rassemblant d’anciens membres du mouvement indépendantiste Gam désormais convertis à la politique d’autonomie du gouvernement, confirma sa solide implantation. Depuis les élections des exécutifs locaux en 2006 et 2007, il détenait déjà le poste de gouverneur de la province ainsi que dix postes de chef de département sur vingt et un. La campagne de 2009 s’accompagna cependant d’une vague de violence et d’intimidation qui frappa particulièrement les représentants du Parti d’Aceh (vingt-sept attaques sur trente-deux et cinq meurtres). Ces attaques furent sans doute orchestrées par des éléments gravitant dans l’orbite de l’armée indonésienne, dont les représentants critiquèrent à plusieurs reprises la très large autonomie accordée à la province qu’ils considèrent comme une atteinte à l’unité nationale. Le scrutin lui-même se déroula cependant dans le calme et le Parti d’Aceh remporta trente-trois des soixante-neuf sièges au parlement provincial. Pour ce qui est des représentants au Parlement national (un scrutin auquel les partis locaux ne pouvaient prétendre), le grand gagnant fut le Parti démocrate, qui remporta six des treize sièges en jeu. Les électeurs assimilèrent donc le parti du président SBY au succès du processus de paix, à la grande déception du Golkar du vice-président Jusuf Kalla qui s’était pourtant personnellement très impliqué dans la résolution du conflit. Un choix que confirma la présidentielle lors de laquelle Susilo Bambang Yudhoyono rassembla 93 % des voix.
21Par contraste avec les indéniables progrès réalisés au nord de Sumatra, la partie indonésienne de la grande île de Papouasie demeura, en 2009, à l’écart du développement et des préoccupations nationales. Les quelques concessions accordées depuis la Reformasi (droit au drapeau papou en 2000, autonomie spéciale en 2001) n’ont que très marginalement amélioré la situation. Les facteurs à l’origine du malaise papou (migrations de masse, marginalisation économique et comportement brutal des forces de sécurité) demeurent et le gouvernement est revenu sur le droit d’utiliser les symboles de l’identité papoue. Les migrants (essentiellement javanais) qui ne représentaient que 4 % de la population au début des années 1970, en constitueraient aujourd’hui près de la moitié. Leur attachement à une limitation de l’autonomie de la province contribua sans doute à expliquer le succès du Golkar dans la province.
6- Corruption : l’ultime affrontement ?
22L’incroyable affaire opposant la Commission d’éradication de la corruption (KPK) aux plus hautes autorités du parquet et de la police a entièrement dominé les premiers mois du second mandat du président Susilo Bambang Yudhoyono. Les ingrédients de cette histoire aussi complexe que rocambolesque qui a tenu le pays en haleine depuis le début du mois de septembre sont multiples. Sur le fond, nous l’avons dit, il s’agit avant tout d’une violente réaction des anciennes élites acculées par l’audace croissante d’une KPK soutenue par la presse et l’opinion publique. Le bilan de la commission, formée en 2003, est à bien des égards, impressionnant. Grâce à son patient travail d’enquête, fondé sur de larges pouvoirs d’investigations, la KPK a permis la condamnation de plus de 150 élus des assemblées nationale et régionales. De hauts responsables du parquet, comme le procureur Urip Tri Gunawan, de nombreux officiers de police, et même le beau-père du fils du chef de l’État furent ainsi condamnés à de lourdes peines d’emprisonnement. L’efficacité de la commission est apparue d’autant plus nettement que, dans le même temps, les tribunaux ordinaires, eux aussi en charge de la lutte contre la corruption se sont montrés d’une inefficacité remarquable. Étant elle-même l’institution indonésienne la plus corrompue, comme l’ont montré une série d’indicateurs publiés dans l’année, la justice a le plus grand mal à lutter contre un mal qui la ronge. Les dysfonctionnements manifestes du parquet dans plusieurs affaires symboliques lui ont valu critiques et soupçon de favoritisme. Au tout début de l’année 2009, l’incapacité des services du procureur général à fournir aux autorités britanniques un dossier convaincant, afin de récupérer 36 millions d’euros appartenant à Tommy Suharto, lui ont permis de récupérer ses fonds. Blanchi dans cette affaire de corruption, le fils de l’ancien dictateur a pu ainsi tenter de revenir au premier plan de la vie politique et briguer, sans succès toutefois, la présidence du Golkar.
23L’affaire de la KPK débuta véritablement en mai avec l’arrestation de son président, Antasari Azar, accusé par la police d’avoir organisé l’assassinat d’un homme d’affaires, Nasrudin Zulkaraen. Ce dernier, luimême impliqué dans des agissements suspects, aurait menacé de révéler la liaison (supposée) d’Antasari avec sa troisième femme. Lors des interrogatoires du président de la KPK, celui-ci aurait affirmé à la police que plusieurs de ses collaborateurs auraient reçu de l’argent d’un homme d’affaires, Anggoro Widjaja. Propriétaire de Masaro radiokom, Anggoro était impliqué dans une affaire de corruption liée à un contrat de télécommunication avec le ministère de la Forêt. Selon les policiers, deux des vice-présidents de la KPK auraient tardé à prononcer contre Anggoro une interdiction de sortie du territoire, permettant ainsi sa fuite à Singapour. Fin septembre, les deux magistrats incriminés, Chandra M. Hamzah et Bibit S. Riyanto, furent mis en examen puis arrêtés quelques semaines plus tard. Décapitée, la Commission anti-corruption, semblait alors en passe de perdre tout le crédit dont elle bénéficiait jusque-là, ce qui rendit d’autant plus aisée la préparation d’un projet de loi visant à lui retirer l’essentiel de ses pouvoirs d’investigation. En quelques semaines, l’affaire connut cependant un retournement spectaculaire. Les deux principaux témoins à charge affirmèrent avoir été subornés par la police. Lors du procès d’Antasari, le commissaire Williardi Wizar révéla ainsi que ses supérieurs lui avaient demandé de compromettre Antasari dans le meurtre de Nasrudin Zulkaraen. Par ailleurs, Ari Mulady, homme de main du frère d’Anggoro expliqua, lui aussi, avoir été chargé d’impliquer les deux vice-présidents de la KPK par un faux témoignage. Fin octobre, plusieurs journaux publièrent la transcription d’écoutes de discussions, datant de juillet, entre d’une part des responsables du parquet et des officiers de police et, d’autre part, Anggoro et son frère. Ces écoutes révélaient l’existence d’un complot, alors en préparation, visant les responsables de la KPK. Le commissaire général Susno Duadji, l’un des principaux artisans de cette machination, était alors sous étroite surveillance de la KPK. La Commission le soupçonnait en effet d’avoir reçu 100 000 dollars d’un riche homme d’affaires, Boedi Sampoerna afin de permettre à ce dernier de récupérer une partie de ses avoirs déposés auprès de la banque Century dont il sera question un peu plus loin.
24Malgré les évidences, aussi bien le parquet que la police firent corps avec ceux de leurs responsables impliqués dans le complot. Longtemps accusé d’inaction, le président Susilo Bambang Yudhoyono nomma début novembre une commission d’enquête, « l’équipe des 8 », composée de plusieurs de ses proches conseillers et de personnalités incontestées dans le domaine de la lutte contre la corruption. Le rapport détaillé que la commission rendit public quelques semaines plus tard était accablant. Il confirmait l’existence d’une entente entre les responsables de plusieurs institutions d’État visant à mettre hors d’état de nuire les dirigeants de la KPK et exigeait que des sanctions soient prises contre le commissaire Susno Djuadji et le procureur général adjoint, Abdul Hakim Rotonga. Ces deux personnalités avaient, entre-temps, démissionné mais ne faisaient l’objet d’aucune mesure disciplinaire. Au-delà de ces cas individuels, la commission d’enquête dénonçait l’existence d’une « mafia judicaire » composée de fonctionnaires indélicats et d’intermédiaires crapuleux et appelait à une réforme en profondeur des services du parquet et de la police. La première étape de l’affaire s’acheva donc sur une victoire sans appel de la KPK : bien que maintenant sa version initiale des faits, le parquet, dans une déclaration dont le ridicule n’échappa à personne, accepta, « au nom de l’unité nationale », d’abandonner toute poursuite contre Chandra et Bibit qui furent triomphalement réinstallés dans leurs fonctions début décembre. Le procès criminel d’Antasari, était, quant à lui toujours en cours.
25Pour autant, les remous autour de la lutte anticorruption ne cessèrent pas et le conflit entra dans une seconde phase, beaucoup plus politique, centrée cette fois autour du scandale de la banque Century. Gravement fragilisé par la crise financière de l’automne, ce modeste établissement bancaire était, en novembre 2008, au bord du dépôt de bilan. Craignant que sa faillite n’entraîne la chute de l’ensemble du système bancaire indonésien, la banque centrale et le ministère des Finances mirent sur pied un plan de sauvetage d’un montant initial de 68 millions de dollars mais qui, finalement, coûta dix fois plus au contribuable indonésien. Un rapport de l’agence suprême d’audit révéla qu’une partie de ces sommes avait été utilisée, de manière illégale, au profit de certains des clients importants de la banque. Parmi ces derniers, figuraient Boedi Sampoerna, l’homme d’affaires dont les relations avec le commissaire Susno Duadji avaient été à l’origine du complot contre la KPK. Or, ce riche héritier de l’une des plus grandes fabriques de cigarettes du pays, avait aussi été l’un des principaux contributeurs de la précédente campagne du président SBY en 2004. Les partis d’opposition, en particulier le Golkar et le PDI-P, dont de nombreux responsables avaient été impliqués ces dernières années dans des affaires de corruption, virent naturellement dans cette affaire l’occasion de prendre une revanche politique sur l’équipe au pouvoir et exigèrent la création d’une commission d’enquête parlementaire. Sans s’en prendre directement au chef de l’État, les critiques visèrent particulièrement les deux responsables du gouvernement qui symbolisaient jusque-là une lutte opiniâtre contre la corruption : l’ancien président de la banque centrale et désormais vice-président, Boediono, et la ministre des Finances, Sri Mulyani tous deux à l’origine du sauvetage controversé de la banque Century. Le nouveau président du Golkar, le richissime homme d’affaires Aburizal Bakrie, semblait ainsi bien décidé à se venger de Sri Mulyani, qui s’était opposée, l’an dernier, à une intervention de l’État en faveur de ses propres sociétés.
26L’attitude du président SBY était, début décembre, au cœur de toutes ces spéculations.
27Pour la première fois il se trouvait mis en cause, par une partie de la presse et des activistes qui s’interrogeaient sur la lenteur et le peu de vigueur de ses réactions. La manière finalement très javanaise, dont il géra l’affaire, ménageant les uns et les autres, permit cependant à la vérité d’éclater sans que la justice et la police ne soient (trop) directement humiliées. Laissant à la presse et à l’opinion publique le soin de défendre avec virulence les partisans de la réforme, il se plaça habilement en position d’arbitre. Dans les semaines à venir, la fermeté de son soutien à Boediono et à Sri Mulyani et, surtout la mise en œuvre, ou non, des indispensables réformes au sein du parquet et de la police, seront autant d’éléments permettant d’apprécier la réalité du « jihad contre la corruption » auquel il appelait début décembre.
7- Islam : l’apaisement confirmé malgré les attentats
28Le 17 juillet au matin, après quatre années sans attaques terroristes majeures, l’Indonésie était à nouveau frappée au cœur de sa capitale. Deux attentats suicides, presque simultanés, secouaient deux hôtels de luxe à Jakarta, le Marriott, déjà frappé en 2003, et le Ritz-Carlton faisant sept morts (en plus des terroristes) et une cinquantaine de blessés. La police confirma rapidement que l’attentat avait été perpétré par un groupe dissident de l’organisation Jemaah Islamiyah, organisé autour de l’insaisissable Noordin Mohammad Top. Ce citoyen malaisien, recherché depuis plusieurs années par les forces du département spécial 88 (Densus 88), en charge de la lutte antiterroriste, avait déjà joué un rôle important dans l’organisation des précédents attentats. Au lendemain du drame, une formidable chasse à l’homme s’engagea à travers Java. L’enquête progressa rapidement : dès le mois d’août, une première cache fut prise d’assaut par les forces de l’ordre. Le 17 septembre, la police parvint enfin à retrouver et à éliminer Noordin M. Top et plusieurs de ses complices, au terme d’un siège de seize heures qui tint le pays en haleine. Quelques jours auparavant, le Densus 88 avait démantelé une autre cellule du même groupe qui préparait un attentat à la voiture piégée, visant cette fois le chef de l’État.
29Ces évènements confirmèrent ce que les spécialistes savaient déjà : bien qu’affaiblie par un important travail policier, l’Indonésie demeurait sous la menace de réseaux encore capables de mobiliser plusieurs centaines d’extrémistes. Plusieurs attentats avaient été déjoués l’an dernier et on savait que Noordin M. Top et ses comparses s’employaient à recruter et former des candidats au « martyre ». Bien qu’ayant immédiatement suscité l’intérêt de la presse internationale (qui consacra à l’affaire une couverture sans commune mesure avec celle des élections), les attentats de juillet n’eurent cependant pas les effets escomptés par leurs auteurs : la bourse de Jakarta et la rupiah, chancelantes quelques heures durant, reprirent, dès le lendemain, leurs cours initiaux. Le tourisme n’enregistra aucune annulation importante et l’année se termina par une progression de plus de 15 % dans le secteur. Même la communauté d’affaires internationale, un temps échaudée, repris bien vite le chemin de l’Indonésie et de ses grands hôtels. Surtout, les réactions dans le pays témoignèrent clairement de l’évolution de la population à l’égard de la violence religieuse. La police bénéficia de l’aide active de la population et progressa rapidement dans ces enquêtes grâce à des dénonciations circonstanciées. La ville de Bogor et la province de Banten offrirent même des récompenses à ceux de leurs concitoyens qui favorisaient le travail des forces de l’ordre. La relative sympathie dans l’opinion publique dont avait pu bénéficier les auteurs des premiers attentats, semblait désormais bien loin. La traque de Noordin M. Top prit des accents nationalistes, de nombreux commentateurs soulignant plus volontiers sa nationalité malaisienne que son combat au nom de l’islam. Plus étonnant encore, plusieurs des familles des suspects arrêtés ou abattus présentèrent leurs excuses à la nation et l’inhumation des dépouilles donna lieu à des querelles totalement inédites. L’enterrement, en novembre 2008, des trois terroristes exécutés pour leur participation à l’attentat de Bali de 2002 avait suscité des manifestations en leur honneur : de nombreuses voix s’étaient élevées réclamant qu’ils soient reconnus comme des martyrs, et une tentative, avortée, de création des cimetières des héros de l’islam avait même vu le jour. Un an plus tard, les réactions furent bien différentes : sous le regard bienveillant des forces de police, des foules se rassemblèrent dans plusieurs des villes de Java central dont étaient originaires les terroristes pour refuser qu’ils y soient inhumés.
30Ces changements doivent être analysés dans une perspective plus large qui a vu l’attitude des musulmans indonésiens à l’égard de l’islam radical évoluer graduellement depuis plusieurs années. Une enquête, parue à la toute fin de l’année 2008, confirma ainsi que, malgré la persistance d’une certaine intolérance, les dirigeants d’écoles coraniques en Indonésie ne percevaient plus leur pays comme un lieu d’affrontement nécessaire. Ainsi, alors que 39 % des responsables de pesantren interrogés reconnaissaient toujours à Oussama Ben Laden la qualité de jihadiste au nom de l’islam, seulement 3 % d’entre eux, considérant la situation actuelle de l’Indonésie, étaient prêts à accorder le même qualificatif aux terroristes de la Jemaah Islamiyah.
31En dehors des attentats de juillet, l’action des groupes islamistes radicaux a encore continué à décroître en 2009. Surtout, la critique publique de leurs actions est désormais possible. Le travail pédagogique des grandes organisations musulmanes modérées ainsi que la répression policière en sont, dès lors, grandement facilités. En juin, par exemple, chose totalement impensable il y a encore quelques années, une mosquée fondamentaliste a été prise d’assaut par une foule en colère exigeant sa fermeture. Le ramadhan, qui était traditionnellement un moment privilégié pour l’action des milices défendant la bonne moralité islamique s’est, comme l’année dernière, déroulé dans le calme. Ironie du sort on a même signalé une manifestation des propriétaires d’établissements nocturnes, protestant contre la fermeture qui leur est imposée durant cette période. Faisant (involontairement ?) preuve d’un certain sens de l’humour, les participants à cette marche de protestation purent faire valoir tranquillement que la fermeture de leurs établissements leur causait une perte de revenus qui leur interdisait de remplir correctement leurs obligations religieuses durant le mois sacré.
32Au plan politique, ce recul des thèmes islamistes a été beaucoup plus net que les années précédentes. Hormis l’échec relatif des partis se revendiquant de l’islam signalé plus haut, plusieurs projets symboliques n’ont pu voir le jour. Une proposition de loi visant à rendre obligatoire (et non plus facultatif comme c’est le cas aujourd’hui) la mention du label halal sur un certain nombre de produits de grande consommation a finalement été abandonnée. L’adoption au mois d’août, par le parlement (sortant) d’Aceh, d’un règlement (qanun) visant, conformément à la charia, à criminaliser l’adultère et l’homosexualité a suscité une levée de boucliers dans tout le pays. Les lourdes peines, en particulier la lapidation en cas d’adultère, prévues par ce texte ont valu de sévères critiques à ses initiateurs. Le gouverneur d’Aceh a refusé de promulguer le texte et des voix de plus en plus nombreuses se sont élevées, jusqu’au sein du gouvernement pour réclamer la suppression des nombreux décrets régionaux inspirés par la loi islamique qui bien qu’ils ne soient souvent jamais appliqués, ternissent l’image de l’islam indonésien.
8- Relations extérieures : le renouveau d’un nationalisme agressif à l’égard de la Malaisie
33L’islam ne semblant plus jouer son rôle d’exutoire des passions nationales, un autre thème, celui des emprunts malaisiens à la culture indonésienne, est venu cette année alimenter la fougue des défenseurs de l’identité et leur goût pour les manifestations théâtrales.
34Au plan international, le début de l’année 2009, marqué par la visite d’Hilary Clinton, avait pourtant été placé sous le sceau du consensus. Lors de sa première tournée à l’étranger, la secrétaire d’État américaine reçut un accueil particulièrement chaleureux, dans la lignée de l’enthousiasme suscité, en novembre, par l’élection de Barack Obama, « l’enfant du pays ». Le contraste entre l’ambiance débonnaire qui présida aux entretiens et aux bains de foule de cette visite et l’atmosphère crispée, ultrasécuritaire et marquée par de nombreuses manifestations d’hostilité lors de la précédente venue de Georges Bush fut saisissant. Tiraillée entre son alliance traditionnelle avec les États-Unis et ses obligations de solidarité vis-à-vis du monde musulman, l’Indonésie exprimait son soulagement de voir ces deux objectifs à nouveaux compatibles.
35En mai, la tenue de la World Ocean Conference, à Manado (Célèbes) plaça l’Indonésie sur le devant de la scène. Au-delà de nombreuses déclarations d’intention, cette manifestation eut pour principal résultat de faire valider une initiative dite du triangle de corail, à laquelle l’Indonésie était associée, visant à la prise en compte des espaces océaniques et de leur capacité à absorber le carbone, dans les discussions prévues au sommet de Copenhague sur le réchauffement climatique. Avec plus de 5 millions de km2 d’espaces maritimes, l’Indonésie souhaitait ainsi pouvoir faire oublier ses mauvaises performances en la matière due, comme on l’a vu, à sa politique de déforestation massive.
36Au-delà de ces évènements assez consensuels, les relations extérieures de l’Indonésie en 2009 resteront marquées par un renouveau nationaliste. Favorisé par la préparation des élections, il s’est particulièrement manifesté par un regain des tensions avec la Malaisie voisine. Plusieurs sordides affaires de mauvais traitements, infligés à des ressortissants indonésiens installés dans le pays voisin, choquèrent l’opinion publique. En juin l’histoire de Manohara Odelia-Pinot, un ancien mannequin mariée à dix-sept ans au prince héritier de l’État malais du Kelantan, fit les gros titres de la presse et occasionna une première crise diplomatique. Recluse, régulièrement droguée et violée par son époux selon elle, la jeune épouse avait réussi à échapper à la surveillance des gardes du corps de ce dernier, durant un séjour à Singapour. Du fait de la qualité éminente de l’époux, les autorités malaises nièrent tout en bloc, provoquant la colère des Indonésiens d’autant plus que plusieurs cas semblables, mais touchant cette fois des travailleurs immigrés, venaient de défrayer la chronique. L’Indonésie décida alors de suspendre l’envoi de tout nouveau travailleur chez son voisin et demanda la révision d’un accord sur les migrations de travail signé en 2006. Près de deux millions d’Indonésiens travaillent en Malaisie, mais près de 40 % d’entre eux n’ont pas de documents légaux : la plupart sont employés comme domestiques ou dans le secteur de la construction. Fin août, la Malaisie accepta finalement de leur garantir un salaire minimum, puis, quelques semaines plus tard, améliora leur protection légale, ils pourraient désormais conserver leur passeport et ainsi fuir, au besoin, un employeur indélicat.
37Les quelques progrès réalisés en la matière n’épuisèrent cependant pas les rancœurs indonésiennes. On reprocha à la Malaisie une série d’emprunts à la culture de l’Archipel pour faire la promotion de son tourisme. Au grand dam des défenseurs de l’identité nationale, plusieurs danses régionales indonésiennes avaient ainsi été utilisées pour vanter les charmes de la Malaisie. Fin août, des associations indonésiennes affirmèrent que l’hymne national malaisien était en fait le plagia d’un keroncong, une chanson traditionnelle écrite par un ensemble de Bandung, en 1956. Il apparut par la suite que l’œuvre originale qui avait inspiré les deux versions incriminées était une chanson du musicien français Pierre-Jean de Béranger, composée à la fin du XIXe siècle. En septembre, la reconnaissance du batik par l’Unesco comme héritage culturel de l’humanité mit un peu de baume au cœur des Indonésiens. Cependant, la surenchère nationaliste à l’égard de la Malaisie se poursuivit. Plusieurs manifestations eurent lieu à Jakarta et, en octobre, un groupuscule prétendit préparer une invasion à partir du Sarawak, l’un des États malais de Bornéo. Des voix s’élevèrent cependant pour appeler les Indonésiens au calme et à la raison. En septembre, un éditorial du journal Tempo s’interrogeait sur les motivations de ce renouveau du nationalisme agressif des Indonésiens à l’égard de leur voisin, une attitude qui rappelait la période dite de confrontation, au début des années 1960. Nourrie par un complexe d’infériorité à l’égard d’un voisin très proche culturellement, mais dont le développement a été beaucoup plus rapide, cette fièvre nationaliste témoignait avant tout de l’inquiétude d’un pays quant à sa capacité de prendre sa place dans le concert des nations sans pour autant se faire dépouiller des éléments jugés essentiels de son identité.
Fiche Indonésie
38Capitale : Jakarta
39Superficie : 1 904 569 km²
40Population : 240 271 522 (est. 2009)
41Langue officielle : bahasa Indonesia
Données politiques
42Nature de l’Etat : République
43Nature du régime : présidentiel
44Suffrage : A partir de 18 ans, universel
45Chef de l’Etat : Président M. Susilo Bambang Yudhoyono (depuis 2004)
46Vice Président : M. Jusuf Kalla (depuis 2004)
47Ministre des Affaires étrangères : M. Nur Hassan wirajuda
48Ministre de l’Intérieur : M. Madriyanto
49Echéances : Tenue d’élections legislatives en 2014
Indicateurs démographiques et sociologiques
50Principaux groupes ethniques : Javanais (40,6 %), Sundanais (15 %), Madourais (3,3 %), Minangkabau (2,7 %), Betawis (2,4 %), Bugis (2,4 %), Bantenais (2 %), Banjar (1,7 %)
51Religions (2000) : Musulmans (86,1 %), Protestants (5,7 %)
52Taux de croissance démographique (2008) : 1,3 %
53Espérance de vie (2008) : 70,76 ans
54Taux de fertilité (2008) : 2,31
55Taux de natalité (2008) : 18,84 ‰
56Taux de mortalité (2008) : 6,25 ‰
57Taux de mortalité infantile (2008) : 29,97 ‰
58Taux d’alphabétisation (> 15 ans) (2004) : 73,6 %
59Taux d’urbanisation (2008) : 52 %
60Indice de développement humain : 0,734 (111e rang, 2007) ; 0,684 (110e rang, 2000)
Indicateurs économiques
61Monnaie : roupie indonésienne (1 euro = 13,74 roupies indonésiennes le 16.12.09)
62Balance des paiements courants (2008) : 604 millions $ US
63Pourcentage de la dette extérieure dans le PIB (2007) : 33,9 % (140,8 milliards $ US)
64PIB par habitant ou per capita (2008) : 3.900 $ US
65Taux de croissance du PIB (2008) : 6,1 %
66Répartition du PIB par secteur d’activité (2006) : agriculture (14,4 %) ; industrie (48,1 %) ; services (37,5 %)
67Taux d’inflation (2008) : 9,9 %
68Taux de chômage (2008) : 8,4 %
69Taux de population vivant sous le seuil du niveau de pauvreté (2006) : 17,8 %
70IDE entrant (flux) (2008) : 7.919 millions $ US
71IDE entrant (cumulés ou stocks) (2008) : 67.044 millions $ US
72IDE sortant (flux) (2008) : 5.900 millions $ US
73IDE sortant (cumulés ou stocks) (2008) : 27.233 millions $ US
74Principaux partenaires commerciaux (2008) : Japon, Singapour, Chine, Etats Unis
75Importations (2008) : 116 milliards $ US
76Principaux produits importés (2008) : machines et équipements ; produits chimiques ; carburants ; denrées alimentaires
77Exportations (2008) : $ 139,3 milliards $ US
78Principaux produits exportés (2008) : pétrole ; gaz ; riz ; appareils électriques ; contreplaqué ; textile ; caoutchouc
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