Chapitre 4. Terres, forêts et productions : le défi d’une population toujours croissante
p. 185-251
Texte intégral
1Depuis la fin des guerres, les hautes terres du Cambodge et du Viêt Nam vivent une métamorphose de grande envergure en terme d’occupation humaine, de structures socio-économiques et politiques qui se répercute sur le vécu des habitants, autochtones et migrants. Elle entraîne également une profonde réaffectation des ressources existantes.
4.1. LE CHANGEMENT DE PAYSAGE HUMAIN : UNE NOUVELLE PRESSION SUR LA TERRE
2Les hauts plateaux sont perçus par les dirigeants vietnamiens et cambodgiens comme des réceptacles possibles des excédents de population des plaines. S’il est vrai que les densités y sont toujours moindres, l’arrivée des migrants, accentuée par la croissance naturelle, entraîne une hausse brutale et rapide de la pression démographique. La terre, autrefois abondante, devient plus rare.
3Au Viêt Nam, cette pression est partout sensible. L’augmentation de la population n’est cependant pas également répartie dans l’ensemble des hauts plateaux ni même à l’intérieur de chaque province ; elle dépend pour beaucoup des zones où les migrants choisissent de s’installer.
4En 1976, la densité moyenne sur les hautes terres était de 20 habitants par kilomètre carré, pour une moyenne nationale de 148 habitants par kilomètre carré318. A la fin des années 1970, les migrants restaient concentrés le long des corridors de pénétration formés par les routes et dans les centres urbains. Dans ce qui était alors la province de Gia Lai – Công Tum (Kontum), les migrations sont très localisées, notamment à Pleiku, avec 250 habitants par kilomètre carré, ou à Kontum, avec 300 habitants par kilomètre carré. Dans les districts ruraux reculés, les densités ne dépassaient toujours pas 5 à 10 habitants par kilomètre carré319.
5Entre 1976 et le début des années 1990, la densité moyenne sur les hautes terres vietnamiennes passe à environ 50 habitants par kilomètre carré320. Les migrants ne se cantonnent plus aux villes et à leurs environs. Dans certains districts ruraux, notamment dans le Dak Lak, la densité dépasse la moyenne nationale, soit plus de 200 habitants par kilomètre carré321.
6Au Cambodge, l’ampleur des migrations étant sans commune mesure avec celle du Viêt Nam, les densités restent beaucoup plus faibles : 2 habitants par kilomètre carré au Mondolkiri, 7 habitants par kilomètre carré dans la province de Stung Treng, 9 habitants par kilomètre carré au Ratanakiri, 24 habitants par kilomètre carré dans la province de Kratié où les implantations sont essentiellement concentrées le long du Mékong322. Certaines zones subissent néanmoins désormais de fortes pressions, notamment au centre du Ratanakiri. Dans le district de Labansiek, où se trouve Banlung, le chef-lieu provincial, la densité atteint 84 habitants par kilomètre carré.
4.2. LES CHANGEMENTS DU PAYSAGE ÉCONOMIQUE : FIXER LES ESSARTEURS
7Dans ce nouveau contexte démographique, l’essartage tel qu’il est pratiqué par les aborigènes commence à poser problème. Les essarteurs recherchent en priorité les zones où les densités sont inférieures à 10 habitants par kilomètre carré. C’est en effet seulement dans ce contexte que peuvent être garantis des cycles de rotation de dix à quinze ans tout en préservant des espaces de forêt dense pour la chasse et la cueillette. Au-delà de 30 à 50 habitants par kilomètre carré, en fonction des sols et du couvert végétal, l’essartage devient même totalement impossible. La rotation est trop courte et ne permet plus à la forêt de se régénérer, ce qui amène un épuisement des sols et une baisse des rendements. Ce seuil critique est aujourd’hui atteint pratiquement partout au Viêt Nam et sur une grande partie du plateau tampuon au Ratanakiri, dans des zones où l’essartage donnait de bons résultats et permettait avant-guerre de nourrir une population importante.
4.2.1. L’essartage vu comme un obstacle au développement national
8Les autorités vietnamiennes et cambodgiennes ont du mal à concevoir que, dans des circonstances normales, les mouvements des montagnards sont limités au territoire de leur village323. L’essartage entraîne, il est vrai, une dispersion et une flexibilité géographique des populations. La localisation des villages dépend de critères religieux, de la présence de l’eau et d’une certaine proximité avec les cultures. Les essarts se déplaçant, le village lui-même se déplace à l’intérieur de son territoire lorsque les champs sont situés trop loin. Traditionnellement, les villages sont souvent à l’écart des grands axes de communication. Enfin, pendant près de la moitié de l’année, les habitants partent vivre dans leur maison d’essart, à l’intérieur de forêts susceptibles de devenir des refuges.
9Les autochtones sont donc couramment perçus comme des groupes nomades324 qu’il était urgent de sédentariser pour répondre à au moins deux objectifs : mieux contrôler les villages et obliger les aborigènes à abandonner l’essartage considéré à la fois comme destructeur et comme peu productif.
10S’agissant de la question du contrôle, il a été longtemps très difficile pour les agents de l’Etat d’exercer une réelle surveillance dans les zones d’occupation aborigène. Les cartes d’occupation des sols devenaient vite obsolètes et dénombrer les habitants tenait du tour de force. Pour deux pays qui entendent exercer un contrôle serré de la population, l’essartage et ses conséquences sont naturellement conçus comme des problèmes.
11On notera en outre que les normes de la propriété foncière, telle qu’elles sont conçues en Occident et par les Etats cambodgien et vietnamien, sont inapplicables à une société d’essarteurs. Délimiter la terre et lui attribuer un propriétaire paraît dénué de sens dans un monde où chacun défriche son champ et n’en est détenteur que le temps où il le travaille, soit deux, trois ou quatre ans avant qu’il ne le délaisse pour le laisser revenir au domaine collectif du village. Les règles précises peuvent varier d’un groupe à un autre, voire d’un village à un autre, mais ce schéma reste dominant. Il est donc bel et bien impossible de désigner définitivement un propriétaire pour chaque parcelle, d’en fixer précisément les limites, et donc d’émettre des titres de propriété et de mettre en place un impôt foncier en conséquence. Il s’agit là d’un casse-tête juridique auquel se heurtent sans plaisir les administrateurs, mais aussi les conseillers et les experts de l’aide internationale.
12La défiance de l’Etat vis-à-vis de l’essartage explique qu’il le présente comme un mode de production agricole archaïque et peu rentable325. Le discours dénigrant cette technique d’exploitation du sol est très répandu chez les décideurs cambodgiens, vietnamiens et même occidentaux. L’essartage empêcherait d’atteindre l’équilibre alimentaire et mettrait donc en danger les populations qui, par obscurantisme, continueraient à le pratiquer. Sous la colonisation française, cette rhétorique s’est construite parallèlement à la tentative de prise de contrôle des territoires aborigènes, et ce en dehors de toute étude agronomique sérieuse.
13Ce « point de vue d’expert » n’a pourtant pas toujours fait l’unanimité. Dès 1910, un ingénieur agronome français en mission dans l’arrière-pays de Kratié avait de l’essartage une toute autre perception :
« Ce mode de culture qui peut paraître primitif et même barbare est cependant fort rationnel, si on réfléchit aux conditions très spéciales dans lesquelles se trouvent ces populations (…). Le riz de montagne a les mêmes exigences que les céréales d’Europe, c’est-à-dire a besoin pour pousser de matière minérale décomposée. Or, les cendres provenant de l’incinération de la forêt donnent précisément les matières minérales nécessaires et lorsqu’elles sont épuisées, les récoltes ne peuvent plus venir et le terrain doit être abandonné326 ».
14Les rendements à l’hectare sont très variables d’une année sur l’autre et d’un milieu à un autre. Les terres rouges boisées, telles qu’on les rencontre sur les plateaux du Ratanakiri, du Mondolkiri ou du Dak Lak, permettent des rendements de 1,5 tonne à 3,5 tonnes de paddy à l’hectare selon les années327. Ce résultat est loin d’être négligeable si l’on note que dans les basses terres du Nord du Ratanakiri, les rendements ne dépassent guère 2 tonnes à l’hectare sur des champs permanents328.
15Les essarts abritent de surcroît des cultures particulièrement variées. Il n’est pas rare qu’apparaissent sur le même champ plusieurs sortes de paddy, mais aussi du maïs, des légumineuses, des fruits, des plantes textiles comme la ramie ou le coton et des tubercules qui augmentent d’autant la production des essarteurs. Au Cambodge, les rendements des essarts sont bien souvent supérieurs à ceux des rizières inondées dans lesquelles les paysans n’utilisent pas d’engrais. En revanche, la culture du riz sec est très fragile. Un retard ou une absence de pluie peut réduire la récolte à néant. Les épis ne sont protégés contre les insectes par aucune nappe d’eau. De plus, les semis étant faits en forêt, les jeunes plants sont susceptibles d’être détruits par des prédateurs – oiseaux, suidés ou cervidés.
16Dans les basses terres, des rendements de 4 à 6 tonnes à l’hectare sont possibles sur de bonnes terres avec un appoint de fertilisants et un système d’irrigation adapté. On le voit à Battambang au Cambodge ou dans les deltas vietnamiens. Mais affirmer que la riziculture inondée est par essence « supérieure » à l’essartage n’a guère de sens. Les contextes géographique, pédologique et climatique, tout comme la situation socioculturelle, jouent un rôle majeur dans le choix d’un mode de culture.
17Autre motif de récrimination de l’administration : l’essartage contribuerait largement à la destruction des forêts, les agriculteurs itinérants s’employant à saccager méthodiquement leur environnement. Au Cambodge, le plan de développement provincial du Ratanakiri pour 1998-2000 est, de ce point de vue, explicite : « Il y a des coupes d’arbres pour l’essartage et la surexploitation qui causent des désastres naturels tous les ans, tels que des ouragans, des inondations, des destructions de maisons de paysans, de récoltes et du système existant d’irrigation329 ». L’ethnologue vietnamien Ðặng Nghiêm Vạn affirme de son côté, sans d’ailleurs se référer à aucune étude agronomique, que l’essartage est toujours voué à l’échec. Le cycle essart-forêt ne pourrait ainsi fonctionner que 4 ou 5 fois avant d’épuiser les sols, de les dénuder et d’obliger les habitants à changer de résidence330.
18En fait, le système de roulement « champs exploités - jachère longue » s’est avéré sur la longue durée assez peu destructeur pour les sols comme pour l’environnement naturel. Les essarteurs défrichent en priorité des portions de forêt qui ont déjà servi à faire des essarts dix à quinze ans auparavant331. Entre-temps, la forêt s’est partiellement reconstituée.
19L’historique d’un village d’essarteurs mnong depuis plus de 110 ans a pu être reconstitué et les résultats obtenus contredisent à l’évidence la thèse de Ðặng Nghiêm Vạn. Le village de Pou Gler, sur le plateau du Mondolkiri, exploite les mêmes terres depuis les premières années du XXe siècle, soit l’équivalent de sept à dix cycles de rotation. Or, les réserves de forêt existent toujours332. Dans les années 1890, le village était plus à l’ouest, dans la plaine, mais il a dû se déplacer, non pas parce que les terres sont devenues stériles – elles sont encore aujourd’hui couvertes de forêt333 – mais parce que les Mnong ont préféré refluer vers les hauteurs face à l’avancée des colons khmers334. Ainsi de vastes espaces exploités par les essarteurs dans le temps long sont toujours densément boisés, alors que les arbres disparaissent rapidement et définitivement des zones de rizières. Sous certaines conditions, la culture itinérante sur brûlis avec rotation est donc probablement le mode de production agricole qui permet le meilleur maintien du couvert forestier335.
20L’accroissement démographique pose naturellement le problème de l’augmentation des surfaces cultivées et du raccourcissement de la durée du cycle de rotation essart-forêt. La végétation n’a plus guère le temps de se reconstituer entre deux rotations. Pire, les essarteurs doivent souvent se résoudre à défricher des zones de forêt primaire, fractionnant et réduisant la forêt dense, qui est remplacée par une forêt secondaire moins riche. Ce problème se pose aujourd’hui sur une grande partie des hauts plateaux vietnamiens et sur le plateau des Tampuon au Ratanakiri.
21Si l’on doit donc faire grief à l’essartage, ce n’est pas tant à son adaptation au milieu qu’il faut faire référence mais à son inadéquation relative à une politique d’aménagement du territoire qui confronte les essarteurs à de nouveaux venus dont le flux invalide leur méthode culturale ancestrale.
4.2.2. Les politiques de sédentarisation
22L’idée de fixer les villages autochtones afin de mieux les contrôler remonte à la campagne de pacification menée par l’armée française dans les années 1930. Quelques villages suspects du Haut-Chhlong ont alors été déplacés près des axes routiers. Après les indépendances, ce sont cette fois des politiques de sédentarisation à grande échelle qui ont été mises en œuvre au Viêt Nam et au Cambodge.
23Dès l’arrivée de Ngô Ðình Diệm au pouvoir336, un rapport sur le programme de développement foncier se montre très explicite sur ce point : « La politique de développement foncier doit inciter [les autochtones] à se regrouper dans des centres choisis à proximité de leur ancien habitat et les habituer petit à petit à une vie sédentaire avec de nouvelles méthodes agricoles, tels que le défrichement mécanisé, l’utilisation de fertilisants chimiques et la culture de plantes industrielles337 ». De son côté, le Sangkum Reastr Niyum cambodgien demande aux aborigènes du Cambodge d’abandonner « leur nomadisme traditionnel338 ».
24En 1957, le chef du directoire régional pour l’agriculture à Saigon indique à l’ethnologue Gerald Hickey qu’il considère l’essartage comme « arriéré et gaspilleur » et qu’il compte forcer 200 familles montagnardes à s’installer définitivement sur 200 hectares339.
25Lors de l’inauguration du village modèle de Pu Det près de Sen Monorom, le prince Sihanouk paraît tout aussi convaincu de la nécessité de la sédentarisation : « Nos Khmer Loeu ignoraient autrefois les méthodes rationnelles de culture. Ils se contentaient de cultures sur brûlis, mettant le feu aux forêts les unes après les autres, se déplaçant d’un endroit à un autre dès que la terre cultivée devenait stérile, stérilité qui survenait rapidement avec ce système de culture340 ». Au Cambodge comme au Viêt Nam, on propose aux essarteurs d’aller vivre dans des villages modèles où ils pourront côtoyer des colons des plaines qui pourront leur enseigner d’autres techniques agricoles – riziculture humide ou cultures commerciales.
26C’est ainsi que dès le début des années 1960, plusieurs milliers de Khmer Loeu ont été relocalisés au Srok341 Chhlong Loeu (aujourd’hui le Mondolkiri) et ailleurs, y compris dans un projet modèle à environ quarante kilomètres au nord de Kratié sur la route nationale 17. Sur la route d’O-Rang à partir de Lapalkei, 18 villages ont été installés le long de la route principale et de nombreux autres Khmer Loeu ont été mis en communication par la construction de routes d’accès et par des regroupements plus rationnels342.
27La politique de sédentarisation trouve son apothéose sous les Khmers rouges. En 1973, ceux-ci forcent une grande partie des montagnards à descendre dans les vallées pour pratiquer la riziculture inondée. Les directives générales pour les civils et les militaires réduisent alors l’agriculture à la riziculture irriguée, seule capable d’assurer le succès de la révolution. Les directives générales pour les civils et les militaires proclament alors : « le rôle et le programme des brigades de choc sont : 1) sur les champs de bataille de première ligne, il faut construire des barrages, creuser des canaux, construire des diguettes autour des rizières et arracher les souches des arbres343 ».
28Au Viêt Nam, la politique de relocalisation s’intensifie dans les années 1960, d’une part pour obliger les aborigènes à abandonner l’essartage, mais surtout pour satisfaire aux exigences stratégiques fixées par le conflit. Gerald Hickey, dont on sait les liens avec les services de renseignements américains, rédige alors plusieurs rapports pour inciter les décideurs sud-vietnamiens et américains à renoncer à ces programmes, en vain344.
29Dès 1968, le Viêt Nam du Nord socialiste prévoit pour sa part « la sédentarisation alliée à la coopération agricole pour les compatriotes pratiquant encore le nomadisme345 ». Cette politique s’inscrit dans une rhétorique complexe. C’est ainsi qu’en 1984, le ministère vietnamien des forêts définit la sédentarisation comme une transformation des mœurs, à des fins socialistes, destinée notamment à « stabiliser les niveaux de vie, les façons de penser et [à susciter] de bonnes solidarités346 ». Mais si les effets supposés néfastes de l’essartage sur les forêts sont également mis en exergue, les cadres vietnamiens justifient aussi la sédentarisation des aborigènes par les impératifs de sécurité.
30Il convient de souligner que l’enjeu pour les dirigeants vietnamiens porte moins sur les résultats agricoles véritables de l’essartage que sur les moyens de renforcer un pays affaibli par trente années de guerre et de divisions. L’anthropologue Oscar Salemink précise que « du point de vue de la gouvernance, la “vérité” du discours officiel concernant leur mode de vie “nomade” et leurs pratiques agricoles “arriérées” n’a pas d’intérêt347 ». Le mot d’ordre est bien la reconstruction de la nation nouvellement réunifiée.
31Les hauts plateaux ravagés par les bombardements deviennent en outre le lieu idéal d’expérimentation du modèle socialiste. Dans un ouvrage sur le développement de la région, un comité de rédacteurs de la province du Dak Lak propose une analyse du problème de la sédentarisation basée sur les conceptions historiques et évolutionnistes qu’il souhaite inscrire dans la réflexion marxiste :
« Vivant dans un environnement forestier, les villages des ethnies du Dak Lak disposent d’un espace étendu au sein duquel ils poursuivent leurs activités productives en suivant les méthodes de l’essartage, en lien direct avec le milieu naturel. (…) Tant que le niveau de la population reste bas et que les surfaces défrichées n’occupent qu’une proportion réduite de la surface totale, l’essartage traditionnel n’influence ni les conditions de production, ni l’environnement, ni le niveau de vie des gens : la forêt repousse rapidement après chaque saison des pluies, la fertilité naturelle des sols épuisés par les récoltes est restaurée par des moyens naturels, la main de l’homme n’est pas nécessaire.
Plus on se penche sur l’histoire, plus il est facile de s’en convaincre. Mais si les forces productives organisées stagnent ainsi pendant trop de générations, l’augmentation de la population (naturelle et mécanique) révèlera les faiblesses de la culture sur brûlis traditionnelle. Les récoltes faciles promises par l’essartage dans tous les villages et à travers les siècles, surchargent les sols et épuisent leur fertilité naturelle, réduisant la productivité de la terre. La forêt n’a pas le temps de se régénérer, et plus on s’écarte des villages, plus on trouve les sources d’eau taries. L’équilibre écologique est définitivement rompu. Les conditions de production et de vie deviennent de plus en plus difficiles, les hommes de plus en plus pauvres. Comme Karl Marx l’a écrit, il en résulte des effets sociaux négatifs profonds348. »
32L’analyse doctrinale renforce ici le souci récurrent d’augmenter la population des hauts plateaux par de constants flux migratoires afin de rapprocher le Tây Nguyên des autres régions du pays. Le « contact culturel avec les Việt » visant à briser l’isolation des hauts plateaux « joue un rôle très important dans l’application de la politique de sédentarisation349 ».
33Par ailleurs, le gouvernement du Viêt Nam nouvellement réunifié considère que le maintien d’une région aussi stratégique dans une sorte d’exception culturelle n’est guère acceptable. A la fin des années 1970, les incursions des Khmers rouges et le relatif succès du mouvement Fulro lui ont confirmé la nécessité d’un meilleur contrôle de la population. La sédentarisation vise à éloigner les montagnards de la forêt, et donc d’une dangereuse liberté, pour les soumettre à l’influence et au contrôle des Việt. Le colonel Nguyễn Thắng confirme clairement l’importance de cette politique dans la stratégie de défense du territoire national :
« Dans beaucoup d’endroits, la terre reste vide et sans habitant ni production. L’ennemi se sert de ces points faibles pour infiltrer et détruire notre frontière. La plupart des membres des minorités ethniques qui vivent dans les zones frontalières ont des relations ethniques et familiales avec les habitants des pays voisins, ce qui rend la question des passages de frontière très compliquée et difficile. Le contrôle de la sécurité politique et de l’ordre social change de façon complexe car l’ennemi et les mauvais éléments de l’autre côté de la frontière s’emploient souvent à échafauder de vils complots. D’une part, ils envoient des gens faire de l’essartage de notre côté de la frontière, afin d’occuper lentement notre terre pour pouvoir annoncer qu’elle appartient à leur pays. Et d’autre part, ils profitent des relations transfrontalières et des villages près de la frontière pour entrer en contact avec des bases clandestines, pour organiser leurs forces et mobiliser les agents qu’ils pourront nous opposer350 ».
34Pour contrer les « ennemis », le colonel Nguyễn Thắng propose tout naturellement de fixer les aborigènes dans leur village351. Les fermes d’Etat jouent alors un rôle important352. Les terres des autochtones ont été confisquées entre 1975 et le début des années 1980 puis réparties de nouveau entre les familles aborigènes et les migrants en fonction des besoins estimés par les cadres des fermes d’Etat et des coopératives. Le géographe Frédéric Fortunel estime que les surfaces des exploitations des Eddé du district de Ea Tam près de Ban Ma Thuột ont ainsi été divisées par 2 à 8353. Dans ce contexte, les possibilités d’essartage sont drastiquement limitées, celui-ci exigeant de vastes superficies dont la grande majorité est laissée en jachère. Pour rendre la transition plus supportable, les ingénieurs agronomes des fermes d’Etat ont reçu la mission de conseiller les indigènes sur les possibles cultures de substitution.
35Au Cambodge, dans le Sud du Mondolkiri, des groupements coopératifs de paysans aborigènes, les krom samaki354, ont été créés dans les années 1980. Au Ratanakiri, seuls les Brou-Kavet vivant dans la zone stratégique située près de la frontière avec le Laos ont été déplacés vers la vallée de la Sésan. La création du parc national de Virachey empêche depuis leur retour sur leurs terres ancestrales355. Au tournant du XXIe siècle, les objectifs de sédentarisation et leurs justifications restent inchangés. Le plan de développement provincial du Ratanakiri pour 1998-2000 postule que d’ici 2007, « l’essartage aura été réduit et finalement éradiqué356 ».
36Dans un entretien accordé en novembre 2000, le gouverneur du Mondolkiri nous confiait également qu’il voulait fixer les minorités. Des agents du gouvernement sont envoyés dans les villages pour pousser les aborigènes à abandonner l’agriculture itinérante et à fixer leurs villages près des routes. Le ministère de l’Agriculture joue un rôle pilote en organisant des formations sur l’utilisation des engrais. Ni l’essartage, ni le déplacement du village ne sont encore formellement interdits, mais un train de mesures a été pris pour rendre l’un et l’autre malaisés.
37Contre du riz ou des aides en espèces, il est demandé aux autochtones de creuser des puits, de construire des écoles et des dispensaires en bois ou en dur et de tracer des routes. Une fois ces infrastructures en place, il est plus difficile pour les habitants de changer l’emplacement de leur village pour se rapprocher des essarts comme ils pouvaient le faire auparavant. S’ils veulent maintenir leur système agricole, ils sont astreints à de longues marches pour se rendre sur leurs champs357. De plus, si la culture sur brûlis n’est pas interdite dans le Mondolkiri, il est désormais défendu de procéder à de nouveaux défrichements. Pour compléter le dispositif, un bureau du cadastre a ouvert en novembre 2000. Pour le gouverneur, il s’agit d’attribuer chaque terre à un propriétaire privé ou à l’Etat, afin d’éviter toute rotation de surfaces cultivées358. Des cartes doivent être dressées et les parcelles délimitées de manière définitive.
38Ces programmes bénéficient dans une large mesure de l’aide internationale. L’Union européenne, la Croix rouge, le Programme alimentaire mondial, le Programme des Nations unies pour le développement et plusieurs ONG occidentales servent d’opérateurs dans le cadre de la politique de sédentarisation des aborigènes initiée par le gouvernement cambodgien.
39Le soutien apporté aux essarteurs qui acceptent de modifier leurs modes de production varie en fonction des régions. Au Viêt Nam, le gouvernement les finance directement, en investissant notamment dans les programmes d’irrigation. Au Cambodge, les programmes internationaux comme le PNUD/CARERE359 ou le HCR dans le cas des réfugiés apportent des aides360. Des bœufs ou des buffles pour les labours ainsi que des semences peuvent être distribués ou prêtés.
4.2.3. Fixer les populations : quels résultats ?
40Les résultats de la politique de sédentarisation sur les hauts plateaux du Viêt Nam varient considérablement d’un endroit à l’autre. Oscar Salemink estime que les objectifs ont été atteints sur les terres rouges des provinces de Lâm Ðổng ou du Dak Lak et autour de la ville de Pleiku (province de Gia Lai). En revanche, dans le reste de Gia Lai et dans la province de Kontum, l’arrivée des migrants et l’accaparement des terres ont plutôt poussé les aborigènes à s’enfoncer dans les montagnes361. Ðặng Nghiêm Vạn déplore pour sa part que le gouvernement vietnamien ne parvienne pas à éradiquer l’essartage et les déplacements de villages qui y sont liés362. Pour lui, « le pouvoir populaire a apporté des améliorations fondamentales aux populations montagnardes, mais n’a pas réussi à les libérer complètement du mode de vie et de pensée créé par la pratique du rẫy363 (essartage) ».
41Certains, tels les Mnong de Lak ou les Bahnar d’Ayun Pa, pratiquent la riziculture humide depuis des générations alors que d’autres sont freinés dans leur démarche par un environnement défavorable. On souligne le manque d’eau qui peut amener les villageois à déplacer leurs champs « fixes ». Ce type de difficultés érode la confiance que les aborigènes peuvent avoir dans les nouvelles pratiques importées des plaines364. Mais si les autochtones apparaissent très attachés à l’essartage, partie intégrante de leur culture, celui-ci semble néanmoins en très net recul au Viêt Nam. Selon les chiffres officiels, les politiques de sédentarisation s’avèrent bel et bien efficaces. En 1996, il ne serait plus resté que 46 000 essarteurs dans l’ensemble des quatre provinces du Tây Nguyên et 12 000 familles auraient été « stabilisées » en 1997365.
42Là où les autochtones sont fixés, on observe une transformation très nette des modes de vie. Dans le district de Chu Pah (Gia Lai), protégé jusqu’en 1995 des arrivées de migrants par des arrêtés gouvernementaux, les populations vivent dans des villages sédentaires construits selon un plan en damier. Les maisons sont entourées de palissades de bambou et de petits jardins dotés d’arbres fruitiers. Ces potagers et un lopin situé en dehors du village deviennent l’espace principal de production des aborigènes, un espace qui rétrécit. L’arrivée des migrants, les coupes forestières et les difficultés rencontrées dans l’élevage des buffles et des bœufs se conjuguent pour limiter les possibilités de production et d’échanges366. Pour Salemink, « le résultat net de ces développements est une détérioration de la situation économique de nombreux aborigènes367 ».
43Au Cambodge, les politiques de sédentarisation touchent surtout les autochtones qui, vivant au voisinage des pôles administratifs, sont obligés de se soumettre à leur autorité. Ils restent en fait assez peu nombreux à renoncer au système de culture itinérant. Sous les Khmers rouges, une grande partie des montagnards a dû pratiquer la riziculture inondée et s’établir dans des villages fixes. Mais dès l’arrivée des troupes vietnamiennes, ils ont repris leur mode de vie traditionnel. Seule une minorité d’entre eux, notamment les Biat du village 105 à 30 kilomètres à l’est de la ville de Kratié, est restée en place et semble avoir définitivement adopté la riziculture en eau.
44Aujourd’hui, les Mnong qui vivent près de Sen Monorom, et doivent par conséquent se plier aux diktats de l’administration, se contentent de deux parcelles et y préparent leurs essarts alternativement368. Ceux qui n’ont pas cette possibilité épuisent les sols de leur parcelle unique. Ils tentent de trouver des cultures de substitution au riz : maïs, légumineuses, tubercules : tout ce qui pourrait ralentir l’appauvrissement des sols369. Dans tous les villages visités, les rendements sont en forte baisse. Là où la situation géographique le permet –cuvette, zone marécageuse, vallée fluviale –, la riziculture en eau se développe, comme à Bu Sra, Méman, Sré Oey. Dans ces villages, on rencontre beaucoup plus de maisons en bois construites sur le style des maisons khmères que chez les essarteurs. La présence de ces habitations, onéreuses et difficiles à déplacer, indique que les gens ont renoncé au mouvement.
45Autour de Banlung, au Ratanakiri, les densités sont telles aujourd’hui que l’essartage n’est plus possible. Les villages autochtones se sont lancés dans des cultures commerciales, noix de cajou et kapok notamment. Dans les zones plus reculées, les consignes de l’administration n’ont aucune influence. Les habitants écoutent très poliment les fonctionnaires qui viennent leur faire la leçon, puis retournent à leurs occupations après leur départ.
46Si les changements agricoles se justifient dans les zones de fortes densités, on peut s’interroger sur l’opportunité de la pratique de la riziculture inondée au détriment de l’essartage dans les régions peu peuplées. En effet, le milieu y est souvent plus favorable à la culture sèche itinérante qu’à la culture humide. L’essartage protège davantage le couvert forestier. Il permet d’obtenir de meilleurs rendements et offre une production plus diversifiée.
47En 1999, l’environnementaliste canadien Ian Baird a conduit une étude chez les Brou-Kavet incités à passer de l’essartage à la riziculture humide dans le Nord-Ouest du Ratanakiri. Les dangers d’une politique de sédentarisation lorsque celle-ci, comme c’est le plus souvent le cas au Cambodge, ne s’accompagne pas d’une assistance appropriée, lui sont alors clairement apparus :
« Les Brou-Kavet connaissent mal la riziculture des plaines et peu parmi eux ont les instruments nécessaires à la production de riz humide. De même, la plupart ne savent pas fabriquer les outils nécessaires ou ne disposent pas de l’argent pour les acheter (…). Ces problèmes ont contribué à de sérieuses difficultés de sécurité alimentaire à Kok Lak [commune où l’étude est conduite] et la production de paddy n’a pas pu répondre aux besoins de base des Brou-Kavet370 ».
48Pour limiter les risques alimentaires, la plupart des aborigènes qui s’engagent dans la riziculture en eau conservent un petit essart. Lorsque, dans les années 1990, Georges Condominas est retourné à Sar Luk, les Mnong Gar continuaient de pratiquer la culture sur brûlis. Ils menaient néanmoins désormais leurs essarts sur des bambouseraies et il ne s’agissait plus que d’une activité d’appoint371.
4.3. MODIFICATIONS DU PAYSAGE ECONOMIQUE : DE NOUVELLES METHODES POUR DE NOUVELLES PRODUCTIONS
4.3.1. Militaires, agences publiques, concessions et grandes plantations
49Au lendemain de la réunification du Viêt Nam, les unités militaires et les entreprises nationales sont les acteurs les plus puissants des hauts plateaux, car elles ont un accès privilégié aux ressources et à la terre.
50L’armée est chargée du maintien de la sécurité et donc de la surveillance des frontières et de l’action antiguérilla. L’implantation d’un appareil de production militaire dans ces zones reculées doit aussi assurer la présence de l’Etat central. Mais l’implantation des fermes d’Etat, des entreprises de coupe forestière ou d’extraction minière sous le contrôle de l’Etat-Major372 répond naturellement également à un autre objectif majeur : la production. L’armée se révèle très active dans la gestion des matières premières, domaine sur lequel sa mainmise est considérable au niveau des districts. De plus, les unités stationnées sur les hauts plateaux étant censées assurer leur propre subsistance, les militaires mettent en valeur de vastes exploitations agricoles qui produisent des cultures vivrières, puis passent aux cultures commerciales avec l’entrée du Viêt Nam au Conseil d’aide économique mutuelle373 (CAEM) en 1978. Dans toute la région, on rencontre ainsi de vastes entreprises gérées par l’armée et disposant d’infrastructures conséquentes payées par le bois ou les minerais. Comme le rappelle le géographe Frédéric Fortunel, ces entreprises jouent un rôle pionnier dans la mutation des paysages agricoles des hautes terres374.
51Les hauts plateaux sont considérés à Hanoi comme étant dotés de ressources importantes. Ils doivent donc être correctement mis en valeur pour le bénéfice de l’économie nationale. Dans cette optique, les entreprises nationales, militaires ou civiles, se voient attribuer la plupart des terres.
52Au milieu des années 1980, les grandes organisations publiques occupent jusqu’à 80 % de la province du Dak Lak375. Au début, elles développent des productions commerciales, comme l’hévéa ou l’arachide, destinées à répondre à la demande intérieure. Avec l’entrée du Viêt Nam dans le CAEM, elles doivent se conformer aux vœux de l’URSS qui supervise le système d’échanges entre les démocraties populaires. Il est ainsi demandé au Viêt Nam d’exporter du café vers les pays frères, ce qui permet aux hauts plateaux d’établir des liens avec les économies du bloc socialiste376.
53Avec la politique de Ðổi mới et la décollectivisation, les gigantes-ques fermes d’Etat sont fractionnées en unités plus petites qui, bien que partiellement privatisées, restent toujours sous contrôle technique de l’Etat, supposé mieux à même de répondre à la demande des marchés du caoutchouc et du café. Ces fermes fonctionnent avec une main-d’œuvre salariée choisie parmi les migrants ou les autochtones. Certaines commencent même à opérer sur la base de contrats de fermage. Il devient donc impératif de « hisser » les autochtones, fustigés pour le « stade primitif » de leur développement, au niveau de leurs concitoyens.
54Les fermes d’Etat et les entreprises forestières représentent un moyen de transférer des technologies, des connaissances et la « civilisation377 » vers les habitants des hauts plateaux. Leur recrutement par les coopératives doit les transformer en citoyens socialistes modèles. Plus prosaïquement, les entreprises doivent participer à l’augmentation du niveau de vie. Le directeur d’une ferme d’Etat dans la province de Gia Lai a insisté dans un entretien qu’il nous a accordé sur le fait que l’exploitation devait « aider les gens de la région ». Avec 450 hectares de café et 800 têtes de bétail, l’entreprise offre des possibilités d’embauche aux Jaraï et aux Bahnar des villages voisins. Des techniciens agricoles se rendent dans des villages préalablement sélectionnés et conseillent les habitants pour les nouvelles cultures.
55Le directeur, un ancien officier de l’armée, estime que, grâce à ce système, le niveau de vie des habitants vivant à proximité immédiate de la ferme s’est déjà élevé. Il regrette cependant que peu de familles aient choisi de cultiver le café alors que la ferme est toute disposée à acheter les récoltes. Son discours reflète la relation de dépendance et de paternalisme qui s’installe entre les nouveaux venus et les autochtones, justifiée selon lui par la pauvreté des habitants et le fait qu’ils manqueraient de nourriture pendant trois mois de l’année378. Les résultats de ce processus d’intégration sociale et économique sont décrits par une équipe de chercheurs vietnamiens :
« Des dizaines de milliers de personnes parmi la population locale sont mobilisées par la culture et le développement de la forêt et des arbres commerciaux dans les fermes d’Etat. Ils sont embauchés sur une base journalière ou dans le cadre de contrats saisonniers (…). Selon un processus lent mais sûr, les nouvelles technologies agricoles des Việt – comme la riziculture inondée, l’élevage, la culture des arbres fruitiers et vivriers, des essences commerciales (…) – rentrent dans les habitudes agricoles des populations locales379 ».
56En important un nouveau régime agraire sur les hautes terres, comme les autorités coloniales ou le gouvernement sud-vietnamien avaient pu le faire, mais cette fois-ci sur une échelle incomparablement plus grande, la république socialiste du Viêt Nam modifie radicalement le paysage social et économique des hauts plateaux.
57Au Cambodge, le système des concessions hérité de la période coloniale est toujours en vigueur. De vastes portions du territoire national sont allouées à des sociétés privées, cambodgiennes ou étrangères, qui en assurent l’exploitation. Ce système permet à l’Etat et à une partie des hauts fonctionnaires – ceux qui négocient les contrats de concession – d’obtenir des revenus importants. Les contrats sont signés à Phnom Penh, après une consultation minimum ou nulle avec les habitants des zones concédées.
58Ces sociétés ne sont pas propriétaires des terres qu’elles ont reçu le droit d’exploiter. De facto, elles agissent pourtant sur le terrain comme si les terres leur avaient été octroyées par le gouvernement. Hors le parc national de Virachey, la quasi-totalité des surfaces des provinces de Stung Treng et du Ratanakiri a ainsi été concédée à des compagnies spécialisées dans la coupe de bois ou dans la production de cultures commerciales. La question des desiderata des 100 000 habitants de la province n’est guère posée.
59D’une manière générale, les compagnies forestières apparaissent plus comme des prédateurs de la forêt que comme des gestionnaires des ressources du Cambodge. Hormis la société malaise Samling, elles n’ont aucune expertise technique.
60L’ONG britannique Global Witness et la Banque asiatique de développement ont d’ailleurs mis l’accent sur l’échec complet du système des concessions forestières au Cambodge. Pour les sociétés étrangères, l’objectif de profits rapides s’impose face à celui d’une exploitation durable des ressources sylvestres. Pour les autochtones, l’enjeu est naturellement d’une autre nature. Les forêts sont détruites sans discernement. Les zones sacrées, les zones de collecte des produits forestiers (rotin, bambou, fruits et tubercules, huile de diptérocarpacées, etc.), les zones riches en gibier et les zones laissées en jachère en vue d’un essartage futur sont saccagées.
HERO ET LA FORET SACREE
En janvier 1998, la compagnie taïwanaise Hero a obtenu une concession de 60 150 hectares de forêt au Ratanakiri. Malgré un plan de gestion des opérations de coupe qui prévoit la préservation des lieux considérés comme importants par les populations locales, la compagnie a commencé à couper les arbres des environs du mont Phnom Bak, dans une forêt que les Kreung, un groupe apparenté aux Brou, estiment réservée à de puissants esprits. Parce qu’il était considéré comme sacré, le Phnom Bak était jusqu’alors resté une zone de forêt dense et donc une réserve de produits forestiers et un sanctuaire pour la faune.
Les autochtones tentent sans succès de s’opposer aux coupes. Pour les Kreung, elles provoquent l’ire des esprits qui se vengent sur les villageois en leur transmettant des maladies.
Hero a poursuivi ses activités jusqu’à la saison des pluies 2000. Mais en décembre, grâce à l’intervention du roi Sihanouk, la gestion des 5 000 hectares entourant le Phnom Bak a été transférée aux habitants regroupés dans une association de gestion communautaire de la forêt380.
61Lorsque la collecte de produits forestiers devient impossible pour les autochtones, ils ne sont plus en mesure de faire face aux avatars d’une éventuelle mauvaise récolte. Les produits de la cueillette ne peuvent plus suppléer le manque de riz et, faute de pouvoir vendre des produits parfois riches de valeur commerciale, ils n’ont plus guère accès à l’économie monétaire381. Les civilisations de la forêt voient donc leur existence même menacée par les atteintes à leur environnement découlant de l’activité des compagnies forestières.
62L’attribution de grandes concessions agricoles peut également avoir des conséquences très fâcheuses pour les autochtones. Au Ratanakiri, les investisseurs sont souvent des joint-ventures entre des sociétés cambodgiennes et des sociétés étrangères. Ainsi, en 1996, la Oil Palm Joint Venture Company a obtenu une concession pour occuper 20 000 hectares le long de la route nationale 19 dans le district d’O Yadao afin d’y créer une plantation de palmiers à huile. 4 500 Jaraï vivaient alors sur ces terres. Il a été prévu d’en recruter 400 comme ouvriers agricoles, mais rien n’a été prévu pour les autres, auxquels il a néanmoins été demandé de libérer les terres. Les combats qui ont opposé les forces des deux principaux partis politiques du pays en juillet 1997 à Phnom Penh382 et le retrait du partenaire malaisien du projet ont finalement provoqué son abandon. A la fin de l’année 1997, seuls 40 hectares de palmiers à huile étaient exploités au Ratanakiri383.
63Comme son homologue vietnamien, le gouvernement cambodgien s’efforce de transformer ses essarteurs en ouvriers agricoles384. Dans les plantations, les autochtones intéressés peuvent gagner des revenus réguliers, mais ils perdent leur indépendance et leurs terres. Par ailleurs, il n’est pas certain que le travail salarié leur offre à tous un débouché durable, ni un moyen d’améliorer leur niveau de vie.
64Dans les années 1990, les investissements et les différents projets d’exploitation des ressources naturelles se sont montés au détriment des autochtones. Aujourd’hui, les aborigènes apparaissent extrêmement méfiants et hostiles vis-à-vis des grandes compagnies385. Il y a là une réelle opposition entre le gouvernement cambodgien et les habitants. Le premier prône le développement des investissements dans le secteur agricole, alors que les autochtones considèrent ces projets comme des menaces. De fait, ces projets se mettent en place sur la base de rêves de grandeurs et de modernité, mais la plupart tournent court. Actuellement, la seule grande compagnie qui exerce une activité durable dans la culture commerciale sur les hautes terres cambodgiennes est Taysin, qui exploite les hévéas plantés dans les années 1960.
4.3.2. Les petits exploitants
65Au Viêt Nam et au Cambodge, les politiques de sédentarisation des aborigènes et l’arrivée des migrants s’accompagnent de l’apparition d’exploitations agricoles familiales sur lesquelles compte l’Etat central. Les migrants des basses terres doivent jouer un rôle d’exemple, amenant les groupes indigènes à passer de l’essartage à la riziculture irriguée ou aux cultures commerciales. Cet objectif était déjà inscrit dans le programme colonial au début du siècle mais, à partir de 1975 au Viêt Nam et des années 1990 au Cambodge, les campagnes de sédentarisation massive ont véritablement changé la donne.
66En général, les autochtones qui ont adopté la riziculture en eau sont ceux qui vivent sur les contreforts du plateau et les vallées fluviales : à Kao Seïma, à Méman, autour de Koh Niek au Mondolkiri, dans la région de Lumphat et la vallée de la Sésan au Ratanakiri. D’après le plan de développement provincial du Ratanakiri, les superficies cultivées en riziculture en eau étaient en 1997 de 9 286 hectares contre 10 466 hectares pour les essarts.
67Dans les villages nouvellement sédentarisés du Viêt Nam, les aborigènes intègrent les transformations de leurs pratiques agricoles à « la lumière civilisatrice » des fermes d’Etat386. Ils ont très souvent opté pour la riziculture en eau, qui s’est propagée grâce au développement du réseau d’irrigation.
68Il n’en reste pas moins que l’introduction de la rizière inondée et du maraîchage transforme les structures socioéconomiques des aborigènes. Ceux-ci passent d’une société communautaire vivant en relation avec la forêt à une société de petits exploitants regroupés en familles nucléaires.
69Dans cet esprit, nombre d’autochtones ont accepté de jouer le jeu des cultures commerciales, répondant en cela à la demande des entreprises d’Etat installées dans le voisinage. Depuis le début des années 1990, les sols rouges basaltiques très fertiles des hautes terres du Viêt Nam ou du plateau du Ratanakiri sont au centre du boom caféier. Les montagnards ne sont pas à l’origine du mouvement mais ils s’emploient à l’accompagner.
70Depuis les années 1990, au Viêt Nam, le maraîchage – partie intégrante du programme de sédentarisation – a connu un essor très rapide. En 1989, 70 % des familles de la province du Dak Lak ont entrepris d’établir des jardins pour développer des cultures intensives comme le poivre, la noix de cajou ou le café387.
71A la fin du XXe siècle, le Viêt Nam est devenu le deuxième exportateur mondial de café derrière le Brésil et le premier producteur de robusta. Le café vietnamien provient essentiellement des hautes terres du centre, le Dak Lak représentant à lui seul plus de la moitié du café exporté.
72Même si les fermes d’Etat jouent un rôle manifeste, on estime que les petites exploitations de 0,5 à 2 hectares produisent aujourd’hui 80 % du café du Dak Lak388. Cet engouement est récent. Avant la décollectivisation, l’alimentation restait la priorité des paysans. Ce point nous a été parfaitement résumé par un chercheur vietnamien :
« Les gens étaient plus intéressés par les productions vivrières comme le riz ou le manioc. Le café ? On ne peut pas manger du café, il n’existait pas de marché pour exporter le café librement et il n’y avait que des approvisionnements limités de sucre pour boire avec le café…389 ».
73La réforme du Ðổi mới a largement modifié la donne. Les paysans vietnamiens se sont vu garantir un accès presque direct aux marchés internationaux. Les migrants vietnamiens considèrent désormais que le riz est bien moins rentable que le café390. En quelques années, des fortunes à l’échelle locale se sont bâties. Des centaines de milliers de personnes, migrants et autochtones, ont vu leur niveau de vie s’améliorer considérablement.
74Depuis 1998, la culture du café a perdu l’essentiel de sa capacité d’attraction. Le prix de vente ne couvre même plus les frais d’exploitation, alors que les investissements nécessaires en matière d’intrants et d’irrigation restent lourds. Les exploitants migrants et aborigènes vendent à perte et s’ils n’ont pas eu le temps de se constituer des réserves de capital, ils risquent la ruine à très court terme.
75Les Việt qui ont déjà amorti leurs investissements initiaux vivent des situations moins extrêmes, mais néanmoins préoccupantes. De nombreux migrants découragés ou ruinés ont repris le chemin des plaines391. Frédéric Fortunel souligne « qu’il ne suffit pas d’avoir du café pour faire fortune dans le Dak Lak. L’essentiel réside dans la marge de manœuvre dont dispose le planteur face aux risques de fluctuation des cours mondiaux392 ». Les oscillations des prix font les gros titres de la presse vietnamienne393 et influent directement sur les migrations. Mais si la ruée vers « l’or brun » est à l’origine de l’image d’eldorado agricole des hautes terres et que la chute des cours du café en 1998 a placé les producteurs dans une situation délicate, l’intérêt suscité par les cultures commerciales est bel et bien amorcé.
76Au Ratanakiri, sur le plateau tampuon et le long de la route qui mène au Viêt Nam, on assiste à un développement sans précédent des cultures commerciales. Certaines d’entre elles, tels que le sésame ou les piments, sont anciennes ; elles étaient déjà pratiquées par les aborigènes au début du siècle sur les essarts394. Mais les surfaces cultivées, pour demeurer modestes, augmentent très rapidement. En 1997, on comptait 614 hectares de noix de cajou, 121 hectares de kapokiers et 200 hectares de caféiers. Depuis le café s’est étendu avec 800 hectares en 2000. La noix de cajou a connu une véritable explosion et couvre près de 5 000 hectares395.
77En 1997, les cultures commerciales, hévéaculture comprise, couvraient 5 700 hectares, soit 23 % de la surface cultivée du Ratanakiri396. En 2000, suite au développement de la noix de cajou, cette proportion monte à 35 %. Au Mondolkiri, les cultures commerciales restent marginales avec moins de 200 hectares. Ce sont des micro-plantations de café et de poivre qui restent confinées à Sen Monorom et, dans une moindre mesure, à Bu Sra et Kao Seïma.
78Au Viêt Nam comme au Cambodge, si les autochtones participent au mouvement économique, la corrélation entre les migrations et l’essor des cultures commerciales est très forte. Au Dak Lak, la majorité des petits producteurs de café sont des migrants des déplacements spontanés ou d’anciens travailleurs des coopératives et des fermes d’Etat qui se sont mis à leur compte. Ils sont imités par des aborigènes qui n’ont plus la possibilité de vivre de la culture itinérante sur brûlis, faute de place, ou qui souhaitent tout simplement participer à cette ruée vers « l’or brun ».
79Au Cambodge, la pénétration des nouvelles pratiques agricoles dans les sociétés indigènes se révèle beaucoup plus superficielle. Les villageois sont souvent méfiants face à ces nouvelles formes de culture, d’autant qu’ils ont pu mesurer les difficultés consécutives à la chute des cours. Toutefois, les plus-values réalisées par les producteurs de poivre, de noix de cajou ou d’arachides sont génératrices de motivations. On notera que les chrétiens, Jaraï protestants d’Andong Mea et Mnong catholiques et protestants de Bu Sra, peuvent jouer un rôle moteur dans les mutations des habitudes agricoles. Ils ont déjà rompu le lien spirituel et religieux avec leur environnement et sont donc beaucoup moins réticents à abandonner l’essartage.
80Paradoxalement, l’adoption des cultures commerciales peut aussi être intégrée à une stratégie visant à pérenniser la culture itinérante sur brûlis. Au Ratanakiri, autour de Banlung et le long de la route nationale 19, les autochtones plantent les bordures de leurs terres en jachère d’arbres fruitiers, de kapokiers ou de caféiers, pour éviter que des migrants ne s’y installent397.
81Le développement des cultures commerciales reste une priorité pour les autorités en charge des territoires aborigènes. Cette mutation est perçue comme la marque d’un progrès. Elle permet en effet à un certain nombre d’autochtones d’avoir accès à l’économie de marché et de réaliser des profits en numéraire capitalisable. Ils sont ainsi moins dépendants des rythmes de leurs récoltes pour leur survie. A contrario, en abandonnant l’essartage et l’essentiel de leurs cultures vivrières, les autochtones comme les migrants deviennent très vulnérables aux fluctuations de marchés sur lesquels ils n’ont aucune prise.
82Selon les classifications proposées par l’UNICEF, 42 % de la population du Tây Nguyên était « très pauvre » ou « extrêmement pauvre » en 1996, soit en plein cœur du boom caféier398. Les mimétismes sont la règle au Viêt Nam comme au Cambodge et il est généralement d’usage de reproduire les pratiques de son voisin399. Les risques de surproduction sont donc accrus, d’autant que les cultures de substitution possibles ne sont pas infinies. La noix de cajou ou le kapok offrent ainsi bien moins de débouchés que le café, ce qui laisse planer quelques doutes sur les perspectives de développement massif des systèmes de monoculture commerciale. Une nouvelle forme de dépendance s’installe. Ce ne sont plus tant les aléas climatiques qui sont à craindre que les tempêtes des marchés financiers.
4.4. LE PROBLEME FONCIER
83Le concept de propriété foncière des essarteurs indigènes est fondamentalement différent de celui de l’Etat. Chaque ethnie, voire chaque village, dispose de lois coutumières qui lui sont propres concernant la propriété foncière. Dans la partie septentrionale des hauts plateaux vietnamiens, tout ce qui touche au sol, à sa gestion comme aux activités de production, est supervisé par le « maître » ou la « maîtresse de la terre400 ». Mais certaines règles se retrouvent presque partout sur les hautes terres.
84Le sol et la forêt font toujours partie du territoire d’un village, même si ce dernier n’est pas spécifiquement borné. Les membres de la communauté villageoise ne sont pas « propriétaires » du sol, mais ils partagent le droit de l’utiliser. Chaque essarteur considère un lopin comme le sien tant qu’il l’exploite, mais il n’a en général aucun droit de le céder à des étrangers. Lorsqu’il l’abandonne en jachère longue pour laisser la forêt se régénérer, la terre retourne au domaine du village. Certains groupes considèrent que l’ancien utilisateur d’un champ a priorité sur les autres membres de la communauté pour l’exploiter de nouveau à la fin de la rotation.
85Une partie du territoire villageois, comme les forêts sacrées ou les espaces forestiers dévolus à la cueillette, n’est jamais cultivée. Cela ne signifie pas, tant s’en faut, que des étrangers sont autorisés à s’en emparer. Un habitant qui quitte la communauté perd du même coup ses droits à cultiver la terre du village. Par contre, il peut arriver que la coutume autorise le transfert de terres vers un autre village sous réserve d’accord du génie du sol, du chef de village et de ses habitants. L’ensemble de ces traditions tend à s’inscrire en rupture avec les règles formulées par l’administration.
86Au sein de la république socialiste du Viêt Nam, la terre appartient à l’Etat, mais des aménagements sont néanmoins possibles. Les réformes Ðổi mới ont transformé radicalement le régime agraire des campagnes vietnamiennes401. Depuis 1989, le système dit du Contrat 10 (Khoán mươi) permet aux foyers paysans de recevoir une parcelle concédée pour une durée renouvelable de 15, 20 ou 25 ans et de l’exploiter comme ils l’entendent. D’après la loi gouvernementale numéro 170, après calcul des taxes et impositions, chaque foyer paysan est propriétaire de sa production et peut la vendre sur le marché402. Depuis 1993, la loi foncière permet aux paysans d’échanger, de transférer, de louer, d’hériter et d’hypothéquer les terres octroyées par le système du Contrat 10.
87D’après l’historienne Li Tana, ce nouveau régime foncier est sans équivalent dans le passé et place les paysans dans une situation exceptionnellement favorable403. Le système du Contrat 10 et la loi foncière de 1993 restituent la terre au monde agricole et réhabilitent le foyer paysan comme principale unité de production agricole.
88Au Cambodge, la plupart des terres appartiennent également à l’Etat, mais les paysans peuvent être propriétaires de leur parcelle s’ils l’enregistrent au cadastre. De plus, la loi foncière de 1992 statue qu’un lopin appartient à celui qui le cultive et qu’une terre laissée en friche pendant plus de trois ans peut être occupée par n’importe qui souhaitant la mettre en valeur. Cette dernière clause met naturellement en danger les essarteurs qui laissent traditionnellement leurs terres en jachère de 10 à 15 ans. Ainsi au Mondolkiri, chacun peut s’attribuer toute terre qui n’a pas de propriétaire connu, ce qui engendre une poussée spéculative. Pancartes et barbelés apparaissent dans la savane et dans les bois autour de Sen Monorom. Les militaires, qui ont initié cette pratique, sont rapidement imités par les migrants et quelques Mnong.
89D’une manière générale, les migrants et les investisseurs qui s’installent sur les hautes terres sont bien mieux informés que les aborigènes des lois, règlements et procédures, ainsi que de la valeur commerciale de leurs terres.
L’IMPACT DES VENTES DE TERRES DANS LES COMMUNAUTES INDIGENES
En 2000, John Mac Andrew a conduit une étude dans un village tampuon le long de la nationale 19 au Ratanakiri. Il rapporte que « la coopération et les prises de décision collectives à Kamang ont été sérieusement sapées par les ventes de terres. La décision de vendre des terres le long de la route a été prise individuellement par des familles sans consultation avec le chef du village, les anciens ou les autres villageois. Le système de prise de décision communautaire en a ainsi été altéré. La plupart des familles qui ont vendu de la terre sont réticentes à l’admettre et entretiennent un sentiment de honte ».
Des responsables de l’administration locale, dont le chef du conseil de développement, ont été impliqués dans la vente de 100 hectares de terres communales. Celles-ci ont été cédées pour 2 500 dollars, dont seulement 335 dollars ont été reversés aux villageois. (John Mac Andrew, Indigenous Adaptation to a Rapidly Changing Economy, the Experience of Two Tampuon Villages in Northeast Cambodia, CIDSE Cambodia, Phnom Penh, 2000, p. 23)
90Dans les villages isolés, le fait même de vendre la terre apparaît même dénué de sens pour les habitants404. Les autochtones se font donc facilement flouer.
91Au Cambodge, les spoliations foncières sont très fréquentes sur les fronts pionniers. Au Ratanakiri, des milliers d’hectares sont volés ou achetés à vil prix aux Tampuon, Brou et Jaraï le long de la route nationale 19. Dans le district de Bokéo à l’est de Banlung, des officiels forcent les villageois à apposer leur empreinte digitale sur les papiers de cession de leurs terres par contrainte ou tromperie.
L’AFFAIRE DE BOKEO
En 1997, les Jaraï et les Tampuon vivant dans trois villages du district de Bokéo, dans la province du Ratanakiri, ont reçu la visite de représentants du général Nuon Phea405, parmi lesquels des fonctionnaires du district. Les visiteurs ont expliqué aux villageois qu’ils avaient été choisis pour participer à un projet de développement. Ils les ont pressés d’apposer leur empreinte digitale sur un document qui s’est révélé être l’enregistrement de la cession de 1 250 hectares de leurs terres au général des Forces armées royales khmères Nuon Phea406. Après quoi, chaque famille a reçu, en tout et pour tout, deux kilogrammes de sel407.
En 1998, des responsables associatifs ont été mis au courant de l’affaire, et une plainte a été déposée devant le tribunal provincial. Toutes les médiations ayant échouées, le procès a eu lieu le 23 mars 2001. Les avocats des autochtones ont apporté des éléments de preuve de la tromperie et de la falsification de documents. De nombreux villageois sont venus assister à l’audience et, debout devant les juges, ils ont clamé qu’ils voulaient « récupérer leurs terres ».
Le tribunal a finalement rejeté la demande des plaignants et ordonné la confiscation de 1 200 hectares au profit du général Nuon Phea, demandant seulement à celui-ci de verser 1 800 dollars aux villageois en compensation, soit 1,5 dollar par hectare. Les plaignants ont en outre été condamnés à payer 615 dollars de taxes et de frais de justice408. (Human Rights Watch, « Cambodia: Verdict a Setback for Indigenous Land Rights », New York, 30 mars, 2001)
92Des fonctionnaires de la province, du district, du bureau du cadastre et au moins un militant des droits de l’homme ont été impliqués dans ces forfaitures409. L’hectare de terre en friche s’est parfois négocié 1 dollar et un hectare de bonne terre cultivée 12 dollars410. Mais la moyenne semble en fait tourner autour de 25 dollars, soit l’équivalent de 18 jours du salaire minimum cambodgien, pour un hectare de terre rouge fertile situé à proximité de la route, qui peut nourrir une famille entière. On retiendra en effet qu’avec 10 hectares de terres appropriées, une famille d’essarteurs peut gagner durablement sa vie.
93La vente de la terre représentant un concept nouveau pour les autochtones, ils ne comprennent pas toujours que, par sa cession, ils renoncent définitivement au droit d’y avoir accès. Les conflits sont d’autant plus nombreux que les concessions attribuées par le gouvernement par ailleurs s’inscrivent en opposition avec les droits reconnus aux villageois.
94Au Viêt Nam, les acteurs des conflits fonciers sont nombreux. L’Etat se positionne comme le décideur ultime sur l’allocation des terres, ce qui peut l’amener à entrer en opposition avec les aborigènes qui disposent de leurs propres règles coutumières, avec les migrants qui légitiment leur possession du sol par l’exploitation qu’ils en font et avec les unités nationales de production, fermes d’Etat ou entreprises forestières, qui entendent bénéficier d’une certaine autonomie.
LES ORGANISATIONS GOUVERNEMENTALES ET LA LOI FONCIERE SUR LES HAUTES TERRES DU VIET NAM
« Les fermes d’Etat, les bureaux gouvernementaux et les collectivités ont tiré avantage de leur autorité publique pour occuper des terres cultivées appartenant à des villages de minorités ethniques locales :
- La ferme d’Etat 712, propriété du 15e corps d’armée, Ðức Cổ (Gia Lai) s’est installée sur près de 200 hectares de terre appartenant à des Jaraï des villages de Breng I, II, et III. Elle a entrepris d’y cultiver du café (1996).
- La compagnie de caoutchouc Chu Se occupe 97 hectares de terres jaraï dans la commune de la Kbong (1997).
- L’université du Tây Nguyên a utilisé des documents émis par l’administration provinciale de Dak Lak pour développer illégalement 40 hectares de terres au village K62, dans la commune de Tu Rman, à Ban Mê Thuột (1995).
- Le camp de rééducation du ministère de l’intérieur de Chu Mnga (Dak Lak) a utilisé le plan de développement provincial pour occuper 13 hectares de terres destinées à la riziculture appartenant au village eddé de Bung ( 1994).
- Le comité populaire de la commune de la Glaih (district de Chu Se dans la province de Gia Lai) a rassemblé plus de 30 hectares de terres attenantes appartenant aux Jaraï du village de Pang au nom de projets d’utilité publique, mais les a revendus à des Việt pour des raisons inconnues (1996). » (Vũ Ðình Lợi, Bùi Minh Ðạo et Vũ Thị Hồng, Sở hữu và sử dụng đất đai ở các tỉnh Tây Nguyên [Propriété foncière et droits d’usage dans les provinces du Tây Nguyên], Hanoi, NXB Khoa học Xã hội, 2000, p. 152)
95L’absence de clarté dans les règles d’attribution des terres, l’arbitraire des décisions, la mise en concurrence des différents décideurs ont été dénoncés par les chercheurs vietnamiens comme responsables d’un certain chaos dans le développement des hautes terres. Ainsi, la loi foncière de 1993 est tellement complexe qu’elle a été interprétée par 70 arrêtés ministériels et 40 arrêtés provinciaux pour la seule province de Gia Lai411. On arrive ainsi à des situations extrêmes, où les autorités communales et provinciales doivent demander l’accord des entreprises ou des fermes d’Etat pour mettre en place leurs activités ou pour construire des bâtiments. Des organisations gouvernementales se font allouer des terres pour pouvoir les revendre et en tirer profit. Et une administration qui abuse de ses prérogatives apparaît bien mal placée pour résoudre les différends.
CONFLITS FONCIERS ET VIOLENCES AU DAK LAK (1991)
« Le cas de Ea Phe-Kong Pach (province de Dak Lak) est symbolique. En juillet 1991, les habitants de six anciens villages prenaient bâtons, couteaux et pioches pour attaquer et chasser les résidents d’un nouveau village récemment arrivés de Cao Bằng. Ils réclamaient leurs terres et leur forêt. 32 maisons ont été incendiées, une personne a perdu la vie et les dégâts se sont élevés à plus de 8 millions de dongs [plus de 1 000 dollars]. » (Nguyễn Hồng Minh, Tổng luận khoa học – Di dân tự do [Conclusions scientifiques générales – Migrations libres], Trung tâm Thông tin Khoa học Lao động và Xã hội [Centre pour l’information scientifique sur le travail et les affaires sociales, ministère du Travail, des Invalides et des Affaires sociales], Hanoi, 1993, p. 27)
96Entre 1990 et 1998, on estime le nombre de conflits fonciers opposant les acteurs publics (fermes d’Etat, entreprises publiques, implantations des nouvelles zones économiques) et les communautés indigènes à plus de 2 500 dans les quatre provinces du Tây Nguyên412. Ils apparaissent généralement extrêmement difficiles à régler. Les fermes d’Etat, obligées de redistribuer leurs terres aux habitants à la suite des réformes du Ðổi mới, les reprennent ainsi en contravention avec la loi.
97Comme au Cambodge, les litiges entre migrants et autochtones sont particulièrement nombreux à la limite des fronts pionniers. Pour la seule année 1997, 28 conflits entre Eddé et migrants ont été recensés à Buôn Trum, dans la commune de Ea Po, et 26 cas au village de Ea Mdroh, dans la commune de Ea Mdroh (province de Dak Lak). Douze cas de friction ont été relevés dans la commune de Dac Bla (province de Kontum) entre les Bahnar et les migrants des nouvelles zones économiques413.
« Parfois par inadvertance, parfois délibérément, les gens des nouvelles zones économiques et les migrants libres ne comprennent pas ou ignorent le système traditionnel de rotation du Tây Nguyên. Sans permission, ils défrichent et cultivent les essarts laissés en jachère par leurs propriétaires des groupes ethniques locaux. Une forme commune d’empiétement survient lorsque les lopins des nouveaux venus et des autochtones sont contigus. A chaque nouvelle saison, la superficie utilisée par les nouveaux venus augmente, alors que celle des autochtones réduit414. »
98Les aborigènes chassés de leurs terres et relocalisés peuvent également entrer en opposition avec les autochtones du nouvel espace qui leur est attribué. Les conflits entre migrants sont aussi en hausse tout comme le sont ceux qui opposent migrants et fermes d’Etat415.
LITIGE ENTRE MIGRANTS DANS LA PROVINCE DE DAK LAK
Le matin du mariage de la fille de M. Vân, on s’aperçoit que le puits a été empoisonné par son voisin, M. Um. La seule explication apportée à ce geste est un incident qui a opposé les deux hommes. M. Vân a reproché à M. Um de ne pas avoir respecté la « loi du Tây Nguyên » [Luật Tây Nguyên], en plantant l’ensemble de sa parcelle en caféiers sans ménager le couloir légal d’un mètre de large pour permettre le passage des voisins. M. Vân, après avoir plusieurs fois demandé à M. Um de déplacer ses arbres, a dégagé lui-même un sentier en abattant un rang de caféiers de M. Um. Ce dernier a saisi l’occasion du mariage pour se venger. (Entretiens, Dak Lak, 1999)
99Alors que les migrants sont chaque jour plus nombreux, alors que la pression démographique se fait de plus en plus forte, alors que le couvert forestier diminue, que chacun veut sa part des riches terres rouges, les litiges fonciers se multiplient. Il s’agit là d’une question désormais centrale sur les hautes terres vietnamiennes et cambodgiennes et de la principale cause du mécontentement indigène.
100L’essartage est définitivement compromis dans bien des endroits. Et, pour la première fois de leur histoire, les autochtones font face à la rareté du sol. Les disputes sont susceptibles de dégénérer en violences, d’autant que la confiance que les peuples indigènes placent dans l’Etat, les ONG ou les experts étrangers, décline. L’incapacité de la puissance publique (voir l’encadré relatif à l’affaire de Bokéo) à résoudre ces conflits amènent les aborigènes qui vivent au contact des migrants à accumuler du ressentiment à l’égard des Việt et des Khmers. Un Tampuon vivant près de la ville minière de Tiom Rom Bei Srok au Ratanakiri laisse ainsi exploser sa colère : « Si vous voulez nous aider, donnez-nous des fusils416 ».
101Au Viêt Nam, c’est bel et bien la multiplication des affaires non réglées qui a amené des communautés aborigènes à manifester publiquement leur mécontentement en février 2001. Trịnh Thị Kim, une Vietnamienne interrogée par l’envoyé spécial de Libération, raconte l’irruption dans la ville de Pleiku des protestataires armés de poignards et de pelles : « J’étais terrorisée. Il y en avait partout, sur la route, sur les trottoirs, avec sur le dos des hottes remplies de riz. Je n’osais plus sortir417 ».
102Le lendemain des manifestations, un cadre eddé du Dak Lak exprimait ses inquiétudes : « Je crains que, si aucune politique visant à limiter l’expansion des plantations commerciales privées n’est mise en place, nos compatriotes vendent toute la terre qui leur a été allouée. Je pense personnellement que si la situation continue, ils disparaîtront418 ». Le simple fait que les montagnards du Viêt Nam osent s’en prendre ouvertement aux comités populaires, à la police et à l’armée montre en tout cas leur exaspération.
103Face à ces tensions, les gouvernements vietnamien et cambodgien tentent de mettre en place des solutions adaptées. Au Cambodge, l’Assemblée nationale a voté le 20 juillet 2001 une nouvelle loi foncière qui reconnaît le droit de possession foncière collective pour les communautés indigènes. En conséquence, les terres laissées en jachère par les essarteurs ne sont plus considérées comme disponibles pour les installations de migrants. Une partie des terres communes, comme les zones boisées ou les rivières, devient propriété du domaine public de l’Etat et donc inaliénable. Elles ne peuvent plus être vendues, même par la communauté qui a le droit de l’exploiter.
104Exceptionnellement, des parcelles cultivées peuvent être accordées en pleine propriété à des membres de la communauté. Les rédacteurs khmers de la loi, dans un premier temps très réticents à l’idée d’introduire de telles dispositions419, ont subi de fortes pressions des militants des droits de l’homme, des ONG occidentales et des organismes de coopération internationaux420, qui les ont poussés à soumettre ce texte au vote de l’Assemblée nationale. Et celle-ci l’a finalement adopté.
105La loi du 20 juillet constitue un pas important vers la reconnaissance par l’Etat cambodgien des traditions et coutumes des populations indigènes. Des sessions de formation sont organisées dans les villages par des travailleurs sociaux pour présenter le texte et les procédures aux habitants. Pour autant, cette avancée légale est fragile. Les termes de la loi restent vagues et certains hauts fonctionnaires continuent à s’opposer à sa mise en application. Au Cambodge, le vote d’une loi ne s’accompagne pas forcément de sa mise en application. La plupart des agents de l’Etat (juges et fonctionnaires des ministères ou de l’administration locale) perçoivent de très faibles rémunérations pour leur travail et ils tendent à placer leur intérêt personnel avant leur mission de service public et leur devoir d’obéissance. De plus, un immense travail de cartographie et de zonage reste à accomplir avant que la loi puisse être concrètement appliquée.
106Les événements de février 2001 au Viêt Nam ont permis aux médias occidentaux et aux organisations de montagnards américaines de souligner la répression menée par les forces de l’ordre. Les dirigeants de Hanoi ont cependant souvent répété que l’issue du conflit n’était pas uniquement militaire ou policière. L’organisation de rencontres et de meetings politiques a montré que les autorités cherchaient à convaincre leurs partenaires qu’une solution consensuelle pouvait être trouvée.
107Tout en maintenant une importante présence militaro-policière sur les hauts plateaux, le gouvernement cherche à renouer le dialogue par des concessions importantes. Il entend notamment développer les investissements, garantir le respect des cultures locales et réformer les procédures foncières. Toutefois, l’Etat reste impuissant à répondre aux principales revendications relatives à la terre. Il est débordé par les migrations spontanées et les spoliations. Il intervient dans les abus les plus criants, mais ni le Parti, ni les plus hautes institutions gouvernementales ne sont en mesure de contrôler les masses de migrants ou les unités militaires et les entreprises nationales qui abondent sur les hautes terres.
108Il serait de toute façon impossible aux autorités de satisfaire parfaitement les doléances des autochtones. En effet, comment revenir sur l’installation de millions de migrants et sur la destruction des forêts ? L’Etat vietnamien est impuissant à stopper le processus qu’il a lui-même enclenché. Par ailleurs, les pressions à l’échelle nationale sont telles que l’Etat tend à préférer sacrifier les droits fonciers ancestraux des minorités indigènes sur l’autel de ce qu’il conçoit comme l’intérêt national.
4.5. EFFETS ENVIRONNEMENTAUX DU NOUVEAU MODELE ECONOMIQUE
109Les changements intervenus dans le paysage économique des hauts plateaux ont des répercussions importantes sur l’environnement. Le développement de l’économie de marché prend principalement la forme d’une exploitation des ressources naturelles, et ce sans que la gestion à long terme de ces ressources soit réellement prise en compte. Après quelques années, le bilan écologique est catastrophique au Viêt Nam et susceptible de le devenir au Cambodge. Traditionnellement très proches de la forêt, les groupes aborigènes souffrent particulièrement des atteintes au milieu naturel.
4.5.1. La déforestation
110Les hauts plateaux étaient autrefois perçus comme couverts de forêt dense hostile. Les ravages de la déforestation ont depuis fortement abîmé cette image d’Epinal.
111Beaucoup accusent, avec quelque raison, les bombardements américains sur les pistes Hô Chi Minh et les déversements de défoliants et d’agent orange d’avoir ravagé les forêts des hauts plateaux. Mark Collins estime à 2,2 millions d’hectares les surfaces de sylve détruites par l’aviation des Etats-Unis sur l’ensemble du territoire du Viêt Nam421. Les cicatrices de la guerre sont encore visibles sur les hautes terres, mais il semble qu’en général la forêt ait réussi à se régénérer sur les espaces pris pour cible dans les années 1960 et 1970422.
112Il n’empêche. Au Viêt Nam, la superficie boisée est passée de 43 % du territoire national en 1943 à moins de 28 % en 1999423. Et encore, tout dépend de ce que l’on qualifie de forêt. Les estimations varient beaucoup selon les sources, sans qu’aucune ne puisse véritablement être considérée comme fiable. Certains auteurs avancaient même des superficies de forêt inférieures à 10 % de l’ensemble du territoire vietnamien à la fin du XXe siècle424.
113Frédéric Fortunel, suivant en cela l’Agence danoise pour l’assistance au développement (DANIDA), suggère qu’à la fin des années 1990, la forêt reculait de 8 000 à 10 000 hectares par an425. Le même processus est en cours au Cambodge. En mai 1998, la Banque mondiale avait estimé que, au rythme annuel de coupe observé en 1997-1998, l’ensemble des forêts exploitables du Cambodge disparaîtrait avant 2003.
114Les causes invoquées pour expliquer la déforestation sont les mêmes des deux côtés de la frontière : les séquelles de la guerre du Viêt Nam, les pratiques agricoles des aborigènes, le développement des cultures pérennes, les coupes illégales de bois de construction et de chauffage et l’activité des entreprises forestières. Mais on va le voir, si chacun de ces facteurs contribue à sa manière à la réduction des espaces naturels, les grilles d’analyse sont souvent biaisées.
115La plupart des administrations cambodgiennes et vietnamiennes présentent les essarteurs comme les principaux responsables du déclin des forêts. Certes, l’augmentation des densités de population entraîne un raccourcissement des durées de mise en jachère. Dans certains villages, les anciens essarts sont réoccupés après seulement quatre ou cinq ans, ce qui est très insuffisant pour permettre au couvert végétal de se reconstituer. Au Cambodge, ce problème ne se pose pour le moment que sur les terres rouges du Ratanakiri et autour de Sen Monorom. Comme on l’a vu, au Viêt Nam, le problème serait plus général426. Il n’en reste pas moins que, contrairement à ce qu’affirment les statistiques officielles, les brûlis ne sont certainement pas les principaux responsables de la destruction des forêts. En effet, ils ne touchent traditionnellement que les forêts déjà marquées par une influence anthropique et à ce titre partiellement dégradées. Ils les utilisent à des besoins bien circonscrits qui n’avaient semble-t-il guère évolué avant l’afflux des migrants.
116On peut ainsi dire qu’au Viêt Nam, le danger que fait peser l’agriculture au couvert végétal naturel vient plutôt de la substitution de la riziculture humide ou des cultures commerciales à l’essartage. C’est ainsi que des superficies croissantes de terres sont vouées à des cultures permanentes. Les centaines de milliers de migrants qui exploitent chacun intensivement leur lopin ont besoin de défricher une fois pour toute la végétation naturelle pour pouvoir s’installer et les autorités sont totalement impuissantes à les en empêcher.
117Les surfaces exploitées en cultures pérennes représentent les deux tiers des surfaces défrichées entre 1979 et 1992 dans la province de Lâm Ðồng427. On retrouve ce phénomène sur le plateau tampuon et le long de la route nationale 19 au Ratanakiri, mais il reste encore marginal au Cambodge en raison des faibles superficies mises en culture par les migrants.
118Si l’on s’intéresse maintenant au couvert forestier à proprement parler, à savoir les surfaces de forêts secondaire et primaire428 qui, dans le meilleur des cas, mettent respectivement entre trois décennies et plus d’un siècle à se régénérer, les causes de la destruction sont d’une autre nature.
119On notera d’abord que migrants et aborigènes pratiquent de plus en plus de coupes illégales. Le bois peut être utilisé par les habitants pour construire leurs maisons ou revendu à des grossistes khmers ou vietnamiens. A Sen Monorom, ces derniers paient 20 000 riels, soit 5 euros, par bille de bois précieux.
120Ces activités de coupe sont menées avec des moyens dérisoires. Les troncs sont abattus à la hache ou à la tronçonneuse, puis emmenés par charrettes à bœufs ou à l’aide d’éléphants, plus rarement de tracteurs. Il s’agit souvent de coupes sélectives qui visent les essences les plus précieuses. Au Viêt Nam, les autochtones et les migrants hmong ou tay venus des provinces du Nord sont souvent payés par les migrants việt pour défricher des lopins429. Les autorités ont tendance à mettre l’accent sur ces coupes, qui concernent pourtant des superficies réduites lorsqu’on les compare aux surfaces défrichées par les grandes entreprises forestières. Les minorités ethniques font ici fonction de boucs émissaires.
121Au Viêt Nam, les entreprises forestières, souvent sous contrôle de l’armée, surexploitent les forêts des hauts plateaux jusqu’au cœur des réserves naturelles. Un vendeur de bois vietnamien interrogé à Phnom Penh raconte, en riant de la plaisanterie, que dans son pays, la délimitation des réserves et des parcs nationaux sert à indiquer aux entreprises forestières les endroits où il y a encore du bois à couper430. Les impératifs de production du plan puis, après les réformes Ðổi mới, la volonté d’amasser des profits, tout comme l’influence des unités militaires qui gèrent les entreprises de coupe, sont autant de facteurs importants du recul des forêts vietnamiennes.
122Au Cambodge, les compagnies forestières dévastent la sylve du Nord-Est. Les années de guerre ont jusque-là largement contribué à protéger les forêts des appétits, mais elles n’en sont aujourd’hui que plus convoitées. Pendant les années 1980, la Thaïlande, le Viêt Nam et la Malaisie ont réduit leurs forêts exploitables dans des proportions inquiétantes. Avec le retour de la paix, c’est donc tout naturellement que l’attention des compagnies s’est tour-née vers le royaume khmer. Si les contrats de concession prévoient une exploitation raisonnée, la pratique de la coupe claire, sans respect des calendriers de coupe, prédomine.
123Sous la pression des pays occidentaux partenaires et des organismes donateurs, qui considèrent que le Cambodge et le Viêt Nam doivent apporter davantage d’attention à la gestion de leurs forêts, les deux pays mettent peu à peu en place des politiques de lutte contre la déforestation.
124Au Cambodge, le Premier ministre Hun Sen a lancé en janvier 1999 une campagne contre les coupes illégales. Douze concessions ont même été annulées. En décembre, l’ONG Global Witness a été officiellement chargée de surveiller l’activité des compagnies. La mise sur pied d’une unité de surveillance de la délinquance forestière bénéficiant du soutien de troupes armées a permis la destruction de scieries clandestines et plusieurs arrestations.
125Suite à une enquête de la Banque asiatique de développement en avril 2000 et à un nouveau rapport de Global Witness qui dénonçait les pratiques des concessionnaires, les bailleurs de fonds ont durci leur position en 2001. L’Association cambodgienne de l’industrie du bois a dû alors engager des négociations avec les administrations chargées de la protection de la nature. L’Office national des forêts français a fait valoir son expertise pour la rédaction de plans de gestion des concessions conformes à la nouvelle loi forestière. Le but était d’obliger les bénéficiaires à adopter des pratiques de gestion durable.
126Devant les réticences des concessionnaires, le Premier ministre a suspendu toutes les autorisations de coupes en janvier 2002 pour une durée indéterminée431. Il a cependant rapidement revu sa position pour mettre fin aux activités de l’organisation Global Witness, accusée de diffamation.
127Dans un pays comme le Cambodge, l’Etat reste économiquement et politiquement « faible ». Il est donc difficilement à même de renforcer des cadres juridiques et de maîtriser les coupes, génératrices d’importants profits immédiats.
128Malgré des efforts certains des administrations concernées, l’exploitation illégale se poursuit. Au Ratanakiri et au Mondolkiri, Global Witness avait relevé en octobre-décembre 1999 des coupes et des exportations illégales de billes de bois vers le Viêt Nam impliquant des responsables de l’armée et de l’administration. Vingt et un fonctionnaires du Mondolkiri, dont le gouverneur et le commandant militaire de la zone, ont été suspendus de leur fonction, mais ceux du Ratanakiri sont restés en place.
129Dans tout le Nord-Est, on a relevé des coupes et des vols d’essences précieuses dans les concessions et les zones protégées, dans le Parc national de Virachey et les autres sanctuaires de vie sauvage432.
130La violence autour des délits forestiers a augmenté. En juillet 1999, treize Jaraï ont été tués au Ratanakiri, probablement par des hommes de main de concessionnaires433. En février 2001, des échanges de tirs ont opposé les forces de l’ordre à des bûcherons vietnamiens.
131Les bûcherons illégaux sont la principale cible des forces de l’ordre, mais l’essentiel des coupes reste le fait de concessionnaires qui ne respectent pas leurs contrats. La plupart d’entre eux bénéficient de hautes protections au sein du gouvernement qui leur garantissent une parfaite impunité. Ainsi le propriétaire de la Pheapimex-Fuchan qui opère de manière légale et illégale dans les provinces de Kratié, de Stung Treng et du Ratanakiri, est présenté par Global Witness comme un proche du Premier ministre Hun Sen434.
132De l’autre côté de la frontière, le Viêt Nam met l’accent sur les projets de reboisement. Un programme a été lancé en 2000-2001 avec l’aide du PNUD pour replanter cinq millions d’hectares435. Les superficies reboisées restent néanmoins très inférieures aux superficies défrichées sur la même période. La biodiversité des forêts artificielles est par ailleurs nettement moins riche que celle des forêts naturelles – lorsque ce ne sont pas tout simplement des plantations d’espèces à croissance rapide (acacias et eucalyptus) qui représentent les nouvelles « forêts ».
133Une grande partie des espaces naturels résiduels est aujourd’hui classée en zone protégée. 70 % de la surface forestière de Lâm Ðồng est comprise dans le périmètre de parcs nationaux ou de réserves436. Dans les 30 % restants, alloués à la production, les coupes claires sont interdites. Seuls les prélèvements inférieurs à 20 mètres cubes par hectare sont autorisés dans les zones où les réserves sont évaluées à au moins 120 mètres cubes par hectare.
134La volonté officielle de protéger les forêts pourrait remonter au mois de juillet 1996 et à la visite sur les hauts plateaux du Premier ministre Võ Văn Kiệt qui, dès son retour, a promulgué un décret ordonnant l’arrêt de la déforestation et l’interdiction des migrations spontanées437. On notera cependant qu’à ce jour, le décret reste largement inappliqué.
135La perception que les Việt ou les Khmers peuvent avoir de la forêt diffère sensiblement de celle des autochtones des hauts plateaux. Ian Baird cite un de ses guides Brou-Kavet qui apostrophait ainsi ses interlocuteurs khmers : « Quand vous allez dans la forêt, vous devenez faibles et fatigués. Quand nous allons dans la forêt, nous devenons forts et en bonne santé438 ».
136Détruire la forêt revient bel et bien à saper les bases des civilisations aborigènes du Sud de la péninsule indochinoise. La cueillette et l’essartage ne sont plus possibles, les esprits ne sont plus honorés, le régime alimentaire, les habitations, les activités des hommes, des femmes et des enfants doivent être modifiés. La colère des autochtones est d’autant plus forte qu’ils n’utilisent pas toute la forêt. Ce n’est que lorsque les concessionnaires ou les entreprises nationales s’approchent de bois considérés comme indispensables aux villages que les conflits éclatent. Les compagnies opposent la légalité de leur contrat de concession, leurs prérogatives et leur force au droit coutumier des aborigènes. Avec la diminution drastique des surfaces de forêts exploitables au Viêt Nam et au Cambodge, les conflits se multiplient.
4.5.2. Les autres atteintes à l’environnement
137Les coupes claires pratiquées par les forestiers hypothèquent largement l’avenir des territoires défrichés. La forêt a beaucoup plus de difficultés à se régénérer et l’érosion des sols peut être très rapide dans ces régions soumises aux violentes pluies de la mousson d’été. Rodolphe de Koninck a observé qu’entre 1979 et 1992, 46 000 hectares ont été dénudés sans grand espoir de réutilisation, dans la seule province de Lâm Dổng439. Au Viêt Nam, selon le PNUD, « la déforestation sur les hautes terres a dégradé les bassins hydrographiques et érodé les sols. La plupart des surfaces déboisées sont devenues stériles et près de la moitié du pays est maintenant classifié comme inculte440 ». Les récentes inondations catastrophiques qu’ont connues le Cambodge et le Viêt Nam apparaissent liées à la diminution du couvert forestier qui absorbe une partie des surplus d’eau.
138La déforestation entraîne un appauvrissement important de l’ensemble du milieu naturel. Les forêts du Nord-Est du Cambodge et des hauts plateaux du Viêt Nam abritent de nombreuses espèces en danger, bovidés sauvages, tigres, cervidés, éléphants441… La diminution des espaces forestiers et l’accroissement des surfaces utilisées par l’homme rendent les animaux accessibles aux braconniers, aborigènes ou migrants.
139L’action des autorités provinciales et des associations de protection de la nature vise aujourd’hui à limiter la chasse des animaux tels que les sangliers dont l’existence même n’est pas en danger et à interdire le tir sur les espèces protégées.
140Elle se heurte néanmoins à des réseaux de trafics d’animaux bien organisés des deux côtés de la frontière442, qui alimentent collections privées et pharmacopée chinoise. La chasse est officiellement interdite au Cambodge et au Viêt Nam mais de facto son contrôle est très difficile.
141Dans le parc national de Virachey, Brou-Kavet, militaires et gardes forestiers s’accusent mutuellement de braconnage. Les autochtones sont chasseurs par tradition. Malgré la confiscation de leurs armes, ils continuent à chasser à l’arbalète ou à l’aide de pièges443.
LE BARRAGE DE YALI : UNE CATASTROPHE ENVIRONNEMENTALE MAJEURE
Destiné à répondre aux importants besoins en énergie du Viêt Nam, le barrage de Yali situé sur la haute Sésan, à 70 kilomètres en amont de la frontière cambodgienne, produit de l’électricité pour Hô Chi Minh-Ville depuis 1999. Le coût du barrage de 720 mégawatts est estimé à plus de 730 millions de dollars, financés essentiellement par les gouvernements russe et ukrainien. Lors de sa mise en service, le lac de rétention a noyé une vallée de 75 kilomètres carrés de forêt et de terres cultivées dans laquelle vivaient 7 400 aborigènes, relocalisés sans aucune consultation préalable444. Une étude conduite en avril-mai 2000 a montré les conséquences de la mise en service du barrage sur les 20 000 personnes vivant en aval au Cambodge, essentiellement des membres des minorités indigènes445.
La régulation naturelle du niveau de l’eau a laissé la place à un processus contrôlé par l’homme qui, alternativement, assèche la rivière ou provoque des inondations. Par ailleurs, comme l’eau reste stagnante dans le lac-réservoir, des microorganismes se sont développés et dégradent la qualité de l’eau. Les villageois riverains de la Sésan rapportent une importante augmentation des problèmes de santé dus à la mauvaise qualité de cette eau qu’ils consomment quotidiennement. En avril-mai 2000, ils ont déclaré la perte de plus de 1 000 têtes de bétail et la mort de 984 personnes, provoquées par les maladies liées à l’eau ou les lâchers d’eau du barrage. De plus, les inondations détruisent les récoltes alors que les poissons disparaissent de la Sésan.
Après la publication des résultats de l’étude, rien n’a été fait par les autorités cambodgiennes et vietnamiennes pour résoudre le problème. Certains villages quittent donc les berges pour les hauteurs. La colère des riverains est extrême. Le gouvernement vietnamien prévoit aujourd’hui la construction d’un nouvel ouvrage de 240 mégawatts à 20 kilomètres en aval du barrage de Yali, malgré les pressions internationales pour que ce projet soit abandonné446.
142La mise en culture permanente des parcelles prélevées sur la forêt n’est possible qu’avec l’utilisation d’engrais chimiques qui seuls permettent de maintenir la fertilité des sols. Engrais et pesticides menacent aujourd’hui l’équilibre écologique et la qualité de l’eau dans les régions où les cultures pérennes sont les plus développées. Les effets pervers des intrants sont mal perçus par les exploitants. Dans les plantations de café du Dak Lak, on a pu observer des utilisations d’engrais trois à sept fois supérieures aux recommandations447.
143Le PNUD a initié des recherches au Viêt Nam pour connaître l’impact réel de ces produits. Il a aussi mis en place un programme de production d’engrais biologiques pour les caféiers448. Mais la pollution des sols et des nappes phréatiques est aggravée par la surconsommation d’eau. Dès le début des années 1990, la Banque mondiale estimait que les ponctions dans les nappes dépassaient déjà la capacité de renouvellement449.
144D’une manière générale, comme dans la plupart des pays à économie planifiée, l’industrialisation du Viêt Nam s’est accompagnée d’une aggravation sans précédent de la pollution. La construction de barrages hydroélectriques sur les hautes terres a en outre provoqué l’inondation permanente de milliers d’hectares et la rupture de l’équilibre écologique de certains cours d’eau. Le Cambodge – qui a un besoin urgent d’énergie électrique – souhaite également développer des programmes similaires dans les provinces de Stung Treng, de Kratié et du Ratanakiri. Si ces projets sont mis en œuvre, les environnementalistes prévoient la disparition d’une cinquantaine d’espèces de poissons au confluent du Mékong, de la Sésan et de la Srépok, d’im-portantes conséquences sur le Mékong en aval, l’inonda-tion de 47 500 hectares de terres arables et le déplacement de plus de 3 000 personnes. On notera également que ces barrages n’ont pas fait la preuve de leur rentabilité450.
145La déforestation, la réduction de la biodiversité, la pollution et la raréfaction de l’eau sont les corollaires des nouveaux moyens d’exploitation des hautes terres. Ces atteintes à l’environnement ne sont pas souhaitées par les gouvernants, mais elles apparaissent comme un moindre mal lorsqu’elles s’accompagnent d’un développement économique propice à l’intégration de ces régions périphériques dans l’ensemble national.
4.6. L’INTEGRATION DES HAUTES TERRES DANS L’ECONOMIE NATIONALE
146Aussi loin que remontent les sources, les hautes terres n’ont jamais été des enclaves fermées. A date ancienne, des contacts commerciaux sont attestés avec le Champa, l’empire angkorien et, plus marginalement, l’empire vietnamien. Néanmoins, l’ampleur des mutations en cours et le développement des cultures commerciales s’accompagnent d’une ouverture sans précédent des hautes terres au monde extérieur.
147Au Viêt Nam, cette évolution est la résultante de l’économie planifiée de la république socialiste du Viêt Nam et de son intégration dans le cadre de la CAEM Les nouvelles zones économiques devaient jouer leur rôle dans le cadre des objectifs de production nationale édictés à Hanoi. Avec Ðổi mới, le marché libre a pris le relais du plan, d’autant plus facilement que les réalisations du premier concordaient avec les objectifs du second.
148Au Cambodge, depuis le début des années 1990, c’est le marché qui permet la croissance des cultures commerciales au Ratanakiri et au Mondolkiri. Là aussi, le mouvement est en accord avec les aspirations d’un gouvernement qui souhaite, dans une optique développementaliste, trouver une place pour les hautes terres.
149Le café offrirait ainsi un bon exemple d’intégration économique réussie451. La production des hauts plateaux n’a pas vocation à répondre à la demande intérieure. Elle est surtout destinée à l’exportation vers l’Occident. La situation du Viêt Nam est ici comparable à celles de la plupart des autres producteurs de café, Brésil excepté452. Le Viêt Nam exporte essentiellement du robusta, même si depuis le milieu des années 1990 un effort important est consenti pour promouvoir l’arabica.
150Entre sa production dans un village comme celui de Thôn Chín (voir supra) et son arrivée sur le marché mondial, le produit est soumis à un certain nombre de transformations et de contrôles qui révèlent le caractère très internationalisé de la filière. Les grains doivent correspondre à des standards dictés par les acheteurs occidentaux et sont vérifiés en conséquence par différents organismes. Cela exclut d’emblée du circuit les paysans qui ne parviennent pas à se conformer à ces exigences. Il est donc indispensable que chacun connaisse parfaitement les standards requis. Or ni les migrants việt ni les autochtones ne sont familiers de la production de café lorsqu’ils se lancent dans cette aventure. Ils doivent apprendre au contact de ceux qui les ont précédés et des grossistes qui, installés dans les principales agglomérations des hauts plateaux, sont en communication constante avec les acheteurs. Des petits fascicules sont également publiés pour les aider, même s’ils ne sont pas aussi utiles que les conseils des voisins453.
151Pour rester sur l’exemple du village de Thôn Chín, les exploitants qui s’y sont établis vendent leur production à des négociants installés dans les grandes villes de la région, Ea Drang ou Buôn Hồ. Ceux-ci se tiennent au courant de la demande et des prix par téléphone et télécopie avec Hô Chi Minh-Ville, voire directement avec les firmes agroalimentaires internationales. M. Hùng, négociant à Bai Bang, se rappelle que lorsqu’il n’y avait pas encore de lignes téléphoniques, les cultivateurs dépendaient des marchands ambulants, des allées et venues des négociants de café et de leurs propres déplacements pour suivre l’évolution des cours454. C’est un peu la situation que connaissent encore aujourd’hui, au Cambodge, les producteurs du Ratanakiri ou du Mondolkiri qui organisent des convois vers le marché central de Phnom Penh, tout en se tenant au courant des prix à l’achat à Hô Chi Minh-Ville455.
152Une fois vendu, le café de Thôn Chín arrive ensuite sur le marché de Ban Mê Thuột, capitale du Dak Lak, où il est racheté par des exportateurs comme l’entreprise 2 Septembre (en việt) ou Vinacafé. Il est ensuite convoyé jusqu’au port de Hô Chi Minh-Ville pour y être chargé sur des cargos et transporté vers les marchés de consommation. Dans le sens inverse, des engrais, des machines et des outils, mais aussi des capitaux et des biens de consommation quittent les plaines pour les hauts plateaux. Le café permet ainsi de relier l’économie des hautes terres à l’économie vietnamienne et au marché global. Le caoutchouc joue d’ailleurs un rôle un peu similaire. Les producteurs sont alors d’importantes sociétés qui se passent de l’intermé-diaire des négociants locaux.
153L’expansion des cultures commerciales et les migrations qu’elle induit s’accompagnent d’une rénovation et d’une densification du réseau routier. Les « pénétrantes » des Français doivent devenir des routes nationales goudronnées à plusieurs voies intégrées au réseau national. A la fin du XXe siècle, Dalat n’est plus qu’à six heures de voiture de Hô Chi Minh-Ville. Le Viêt Nam prépare en outre la mise en service d’une large artère de communication Nord-Sud qui traversera les hauts plateaux pour doubler la voie saturée qui suit la côte456.
154Au Cambodge, le ministère des transports prévoit que la réhabilitation de la nationale qui relie la ville de Kratié à Phnom Penh via Kompong Cham sera achevée en décembre 2003457. Des pistes secondaires en latérite se greffent sur ces axes principaux permettant de se rendre dans tous les lieux de production agricole. Enfin, les ouvrages hydroélectriques doivent apporter l’énergie qui fait cruellement défaut aux régions industrielles et urbaines des basses terres. Au plan national, cela peut être interprété comme l’expression d’une complémentarité entre basses et hautes terres.
155Les dynamiques des hautes terres amènent de nouvelles formes d’exploitation des ressources du milieu naturel. D’extensive, la production devient plus intensive. Les superficies disponibles pour chaque famille diminuent et les cultures deviennent permanentes, tandis que les productions vivrières tendent à laisser la place aux cultures de rente. La mécanisation est en cours et l’exploitation agro-industrielle des productions devient peu à peu la norme. Ces évolutions permettent d’accroître sensiblement la valeur de la production. On peut ainsi parler de « croissance », de « développement » et de « progrès ». Les hauts plateaux, via le marché, apparaissent bien mieux intégrés à la nation ou, tout au moins, à l’économie nationale, et au-delà, à l’économie globale. D’espaces reculés, archaïques, ils acquièrent le statut de fronts pionniers, de fers de lance de la modernisation de la production agricole.
156Cependant, ces évolutions sont loin de bénéficier à tous de la même façon. L’enrichissement reste très relatif et surtout très inégalitaire458. Ceux qui en tirent le plus grand profit, grandes sociétés de l’agroalimentaire et migrants, ne sont pas originaires des hautes terres. Le seul moyen pour les autochtones de tirer leur épingle du jeu qu’on leur impose, consiste à intégrer au plus vite les nouvelles règles (en matière de droit foncier notamment) et à renoncer à ce qui fondait leur culture et leur mode de vie, abandonnant leurs traditions pour opter pour le modèle exogène459. Il s’agit d’un choix, mais d’un choix contraint. Il est imposé par la création d’un environnement qui ne laisse pas d’alternative. Pour autant, le nouveau modèle apparaît bien fragile. Il constitue une menace lourde et immédiate sur l’environnement naturel, forêt, faune et flore, mais également terre et eau.
157Par ailleurs, la structure des systèmes de production laisse augurer bien des difficultés. L’important endettement des producteurs de café460 renforce leur dépendance aux fluctuations des cours et aux marchés sur lesquels ils n’ont finalement que peu d’emprise.
Notes de bas de page
318 Vũ Ðình Lợi, Bùi Minh Ðạo et Vũ Thị Hồng, Sở hữu và sử dụng đất đai ở các tỉnh Tây Nguyên [Propriété foncière et droits d’usage dans les provinces du Tây Nguyên], NXB Khoa học Xã hội, Hanoi, 2000, p. 79.
319 Vũ Ðình Lợi, Bùi Minh Ðạo et Vũ Thị Hồng, 2000, p. 80.
320 De Koninck et Dery, « Agricultural Expansion as a Tool of Population Redistribution in Southeast Asia », Journal of Southeast Asian Studies, vol. 28, no 1, 1997, p. 12.
321 Taillard, 1994, p. 63 ; De Koninck et Dery, 1997, p. 1-26.
322 General Population Census of Cambodia 1998, juillet 2000, p. 5.
323 En cas de grave épidémie, d’invasion ou de guerre, le village peut fuir pour s’installer ailleurs.
324 Pour une analyse de ce problème, voir Ron Hill, « Primitives to Peasants ? : The “Sedentarisation of the Nomads” in Vietnam », Pacific Viewpoint, vol. 26, no 2, 1985, p. 449-450.
325 Voir l’article de Michael Dove, « The Agroecological Mythology of the Javanese and the Political Economy of Indonesia », in Indonesia, Agroforestry Systems, no 39, réimpression par le East-West Environment and Policy Institute, no 84, Honolulu, 1985, p. 1-36.
326 Rapport au résident supérieur, archives nationales du Cambodge, Fonds de la résidence supérieure, 4147.
327 Voir Guérin, 2001, p. 35-55 ; Ðặng Nghiêm Vạn indique des rendements de 1,2 à 2 tonnes par hectare sur les hauts plateaux vietnamiens, Ðặng Nghiêm Vạn, Ethnological and Religious Problems in Vietnam, problèmes ethnologiques et religieux du Vietnam, Social Sciences Publishing House, Hanoi, 1998, p. 309.
328 Entretiens Ratanakiri, février 2001 et Mondolkiri février 1999, novembre-décembre 2000, avril 2001.
329 Provincial Rural Development Committee, Ratanakiri, Provincial Department of Planning, Ratanakiri Provincial Development Plan for 1998-2000, 1997, p. 21.
330 Ðặng Nghiêm Vạn, 1998, p. 306-307.
331 Voir Condominas, 1974, 499 p. ; Matras-Troubetzboy, 1983, 429 p.
332 Les sommets des mamelons sont couverts de savane, mais celle-ci est déjà attestée par Henri Maître au moment de l’installation de Pou Gler dans la région. La formation de cette savane est peut-être une conséquence de millénaires d’essartage, mais cela n’a jamais été prouvé, de même que l’inverse.
333 Forêt dense et forêt clairière.
334 Les déplacements de Pou Gler ont été reconstitués essentiellement à partir des documents suivants : Maître, 1912, p. 28 ; Pierre Cupet, Voyages au Laos et chez les sauvages du Sud-Est de l'Indochine, La mission Pavie, tome III, Ernest Leroux, Paris, 1900, planche XIV ; Mission Maître, Région Moï de l'Indochine Sud-centrale, itinéraire des missions H. Maître, Darlac 1906-1908, Hinterlands du Cambodge, de la Cochinchine et du Sud-Annam, 1909-1913, travaux complétés par les levers du Cadastre du Cambodge et les cartes du Service Géographique de l'Indochine, publié sous les auspices de M. A. Sarraut, Gouverneur général de l'Indochine et de M. E. Outrey, résident supérieur du Cambodge, échelle 1/200 000e ; Carte O Rang ND 48-16, au 1/250 000e, établie en 1980 par l’armée vietnamienne à partir des relevés américains de 1965 et 1966 – Pou Gler est noté Pou Klia (transcription du khmer ) ou Pou Klé sur ces cartes – et à partir d’observations et d’entretiens à Pou Gler en novembre-décembre 2000 et avril 2001.
335 Jefferson Fox, « Understanding a Dynamic Landscape: Land Use, Land Cover, and Resource Tenure in Northeastern Cambodia », East-West Center, Honolulu, 2000, manuscrit.
336 Ngô Ðình Diệm devient Premier ministre de l’empereur Bao Dai le 16 juin 1954, le renverse puis devient président de la République le 26 octobre 1956.
337 Cité par Hickey, 1982b, p. 18.
338 Discours de Samdech Sahachivin à Kratié le 28 janvier 1960, Principaux discours et allocutions de Son Altesse Royale le prince Norodom Sihanouk, président du Sangkum Reastr Niyum, ministère de l’Information du Cambodge, 1960, p. 21.
339 Hickey, 1982b, p. 32.
340 Les paroles de Samdech Preah Norodom Sihanouk, ministère de l’Information du Cambodge, janvier-mars 1965, p. 149.
341 : district.
342 Melville, 2000, p. 15.
343 « », cité par Henri Locard, Le « petit livre rouge » de Pol Pot ou les paroles de l’Angkar, entendues dans le Cambodge des Khmers rouges du 17 avril 1975 au 7 janvier 1979, L’Harmattan, Paris, 1995, p. 206.
344 Hickey, 1982b, p. 192-196.
345 Résolution du 12 mars 1968 du Conseil des ministres, citée par Ðặng Nghiêm Vạn, 1998, p. 315.
346 Ban Ðịnh canh định cư [Comité de sédentarisation], Lời giới thiệu, hội thảo khoa học về công tác định canh định cư, lần thứ nhất [Introduction, Première conférence scientifique sur la sédentarisation], Hanoi, 1984, p. 3.
347 Oscar Salemink, « Sedentarisation and Selective Preservation among the Montagnards in the Vietnamese Central Highlands », in Jean Michaud, Turbulent Times and Enduring Peoples: Mountain Minorities in the South-East Asian Massif, Curzon, Richmond, 2000, p. 127.
348 Uỷ ban Khoa học Xã hội Việt Nam, Tỉnh Uỷ, Uỷ ban Nhân dân Ðắc Lắc [Comité des sciences sociales du Viêt Nam, Comité du Parti et Comité populaire du Dak Lak], Vấn đề phát triển kinh tế xã hội các dân tộc thiểu số ở Ðắc Lắc [Les problèmes du développement socioéconomique parmi les minorités du Dak Lak], NXB Khoa học Xã hội, Hanoi, 1990, p. 87-92.
349 Uỷ ban Khoa học Xã hội Việt Nam, Tỉnh Uỷ, Uỷ ban Nhân dân Ðắc Lắc, 1990, p. 93.
350 Nguyễn Thắng, 1984, p. 51.
351 Nguyễn Thắng, 1984, p. 52.
352 Souligné par Frédéric Fortunel, Le café au Việt Nam, de la colonisation à l’essor d’un grand producteur mondial, L’Harmattan, coll. Points sur l’Asie, Paris, 2000, p. 45.
353 Fortunel, 2000, p. 102.
355 Ian Baird, The Ethnoecology, Land-Use, and Livelihoods of the Brao-Kavet Indigenous Peoples in Kok Lak Commune, Voen Say District, Ratanakiri Province, Northeast Cambodia, Non-Timber Forest Product, Banlung, 2000, p. 8-10.
356 Provincial Rural Development Committee, Ratanakiri, 1997, p. 19.
357 Entretiens Mondolkiri, novembre-décembre 2000 ; Ratanakiri, février 2001.
358 Entretien avec le général Tao Soeut, gouverneur du Mondolkiri, Mondolkiri, novembre 2000.
359 Projet du Programme des Nations unies pour le développement visant la « régénération » et la « réhabilitation » de l’économie cambodgienne.
360 UNDP/CARERE Ratanakiri, Ratanakiri 1999 Activity Review-2000 Work Plan, 1999, 27 p., Ghassem Fardanesh, Mission Report, Ratanakiri Province, 15-25 March 1999, UNHCR Cambodge, 1999.
361 Salemink, 2000, p. 131-132.
362 Ðặng Nghiêm Vạn, 1998, p. 311.
363 Ðặng Nghiêm Vạn, 1998, p. 312.
364 Vũ Ðình Lợi, Bùi Minh Ðạo et Vũ Thị Hồng, 2000, p. 98-99.
365 Stefan Gorzula, Al Picardi et Vũ Hồng, « Forest Protection in Lâm Ðồng Province in 1997 », http://www.coombs.anu.edu.au/~vern/wild-trade/lam-dong.html (janvier 2002).
366 Enquête, Gia Lai, juillet 1995.
367 Salemink, 2000, p. 133.
368 Observé dans les villages de Pou Trom, Pou Gler et Pou Taing, Mondolkiri, novembre-décembre 2000, avril 2001.
369 Témoignages recueillis à Pou Loung, Mondolkiri, avril 2001.
370 Baird, 2000, p. 36.
371 Conférence, Musée de l’Homme, Paris, novembre 2001.
372 On retrouve ici le modèle des colonies militaires, dinh điện, installées à l’époque du Viêt Nam impérial dans les zones frontières. Elles disposaient d’une autorité et d’une autonomie importante pour amener les marches de l’Empire sous l’autorité du souverain.
373 Le CAEM (ex COMECON) a été créé en 1949 pour favoriser les échanges économiques entre les démocraties populaires sous tutelle de l’URSS. Le Viêt Nam l’a intègré de plein droit en 1980. Il a été dissout en 1991.
374 Fortunel, 2000, p. 42-43.
375 Vũ Ðình Lợi, Bùi Minh Ðạo et Vũ Thị Hồng, 2000, p. 78.
376 Fortunel, 2000, p. 43.
377 Lire Vũ Ðình Lợi, Bùi Minh Ðạo et Vũ Thị Hồng, p. 89.
378 Entretien, Gia Lai, juillet 1995.
379 Vũ Ðình Lợi, Bùi Minh Ðạo et Vũ Thị Hồng, 2000, p. 90.
380 Pour plus d’informations, se reporter à l’article de Sara Colm, « Forests of the Spirits: Impacts of the Hero Logging Concession on the Indigenous Culture of the Kreung », Watershed, vol. 6, no 1, juillet-octobre 2000, p. 32-41 et à « Community Forest Gives Hope to Hill Tribes », Phnom Penh Post, 5-18 janvier, 2001.
381 Mac Andrew, 2000, p. 27 et enquêtes sur le terrain, Mondolkiri, novembre-décembre 2000, Ratanakiri, février 2001.
382 Combats opposant les troupes du premier Premier ministre, le prince Ranariddh, aux forces du second Premier ministre Hun Sen et remportés par ces dernières.
383 Sara Colm, Effects of Oil Palm Plantation Development on Indigenous Communities, Ratanakiri Province, Cambodia, Natural Resource Management Project, mai 1996, 33 p.
384 Témoignage d’un officiel cité in Ray Russel, A Clash of Cultures, Land Law and Land Use Issues in Ratanakiri Province in Cambodia, The Royal Institution of Chartered Surveyors, Londres, mars 1998, 24 p.
385 Entretiens, Ratanakiri, février 2001.
386 Vũ Ðình Lợi, Bùi Minh Ðạo et Vũ Thị Hồng, 2000, p. 89.
387 D’après les demandes d’autorisation présentées à l’administration, Vũ Ðình Lợi, Bùi Minh Ðạo et Vũ Thị Hồng, 2000, p. 92-93.
388 Phan Quốc Sung, « Cà phê Việt Nam : Niềm tự hào của đất nước [Le café vietnamien : une source de fierté nationale] », in NDBND, Cà phê Việt Nam : tiềm năng và triển vọng [Le café vietnamien : potentiels et perspectives], NXB Nông nghiệp, Hô Chi Minh-Ville, 1997, p. 25-26, voir aussi Fortunel, 2000, p. 5 et p. 9.
389 Communication personnelle, Hanoi, août 1999.
390 Entretien Dak Lak, mai 1996. Hardy, 1998, p. 296-297.
391 Entretiens, Haiphong, février 2002.
392 Fortunel, 2000, p. 95.
393 « Giá XK cà phê tiếp tục tăng mạnh [les prix du café à l’exportation continuent leur rapide hausse] », à la Une du Thời báo kinh tế Việt Nam, 1er mars 2002.
394 Guérin, 2001, p. 39-40 et 47.
395 Entretien avec le directeur du département du développement rural du Ratanakiri, Ratanakiri, mars 2001.
396 Provincial Rural Development Committee, Ratanakiri, 1997, p. 17.
397 Van den Berg, 2000, p. 14, et observations à Ratanakiri, février 2001.
398 Cité par Fortunel, 2000, p. 94.
399 Phénomène d’imitation appelé au Cambodge.
400 Appelé tom plei chez les Bahnar ou po pin ea chez les Eddé, il peut s’agir d’une femme, notamment dans les groupes de tradition matriarcale comme les Eddé.
401 Benedict J. Tria Kerkvliet, « Village-State Relations in Vietnam: The Effect of Everyday Politics on Decollectivization », Journal of Asian Studies, vol. 54, no 2, 1995, p. 396-418; Benedict J. Tria Kerkvliet, Land Struggles and Land Regimes in the Philippines and Vietnam during the Twentieth Century, Center for Asian Studies, Amsterdam, 1997; Stan Tan Boon Hwee, Vietnamese Peasants in the Context Ðổi Mới: Revisiting the Moral Economy Debate, mémoire d’Honours Degree, Southeast Asian Studies Programme, National University of Singapore, Singapour, 1998.
402 Pour plus de détails, voir Nguyễn Sinh Cúc, Nông nghiệp Việt Nam : 1945-95 [Agriculture au Viêt Nam, 1945-95], NXB Thống kê, Hanoi, 1995 et Nguyễn T. Khiêm, « Policy Reform and the Microeconomic Environment in the Agricultural Sector » in Suiwa Leung (éd.), Vietnam Assessment : Creating a Sound Investment Climate, Institute of Southeast Asian Studies and Australia, National Centre for Development Studies, Singapour, 1996.
403 Li Tana, Peasants on the Move: Rural-Urban Migration in the Hanoi Region, Institute of Southeast Asian Studies, Singapour, 1996.
404 Russel, 1998, 24 p.
405 Ancien commandant de la région militaire qui inclut le Ratanakiri.
406 Legal Aid of Cambodia, Cambodian Association for Human Rights and Development, Oxfam Great-Britain, Human Rights Watch, « Background Briefing Memo: Landmark Indigenous Land Rights Case to be Heard in Ratanakiri Provincial Court », janvier 2001, 5 p.
407 « Salt for Earth: Ratanakiri Land Rights on Trial », Phnom Penh Post, 16 février-1er mars, 2001.
408 En mars 2002, grâce à une intervention du roi Sihanouk et aux pressions du Premier ministre Hun Sen sur le général Nuon Phea, les aborigènes ont pu recouvrer leurs terres.
409 Jeremy Ironside, Report about Land Expropriation in Toey Village, Bokeo District, NTFP, Banlung, 2001, 4 p.
410 Ironside, 2001, 4 p.
411 Vũ Ðình Lợi, Bùi Minh Ðạo et Vũ Thị Hồng, 2000, p. 135.
412 Les abus des entreprises d’Etat sont apparemment plus nombreux que ceux qui relèvent des autorités locales (Vũ Ðình Lợi, Bùi Minh Ðạo et Vũ Thị Hồng, 2000, p. 157).
413 Vũ Ðình Lợi, Bùi Minh Ðạo et Vũ Thị Hồng, 2000, p. 156.
414 Vũ Ðình Lợi, Bùi Minh Ðạo et Vũ Thị Hồng, 2000, p. 152-153.
415 Par exemple dans le district de Krông Năng, province de Dak Lak.
416 Entretien, Ratanakiri, mars 2001.
417 Arnaud Dubus, « La révolte des Montagnards au Viêt-Nam », Libération, 11 avril 2001.
418 Entretien, Dak Lak, février 2001.
419 Leur travail fut supervisé par le juriste Eng Van Bun Chat du Conseil des ministres.
420 Entretiens, Phnom Penh, mars 2001.
421 Mark Collins, Les forêts tropicales : leurs peuples, leur végétation, leur faune, Paris, Solars, 1992, p. 158.
422 Voir l’étude réalisée par Rodolphe de Koninck sur le Lâm Ðồng, 1997, chapitre 5.
423 Chiffres du bureau du Programme des Nations unies pour le développement au Viêt Nam, http://www.undp.org.vn (février 2002).
424 Rodolphe de Koninck, Le recul de la forêt au Vietnam, CRDI, 1997. Voir particulièrement le chapitre 2. http://www.idrc.ca/books/focus/845 (février 2002)
425 Fortunel, 2000, p. 140.
426 Les études-terrain de qualité sur l’impact réel de l’essartage en matière de déforestation au Viêt Nam à la fin du XXe siècle font cruellement défaut.
427 De Koninck, 1997, chapitre 5.
428 Par forêt primaire, on entend une sylve qui n’a pas connu d’altérations anthropiques et qui est donc marquée par la dominance d’espèces dites « ombrophiles » qui poussent sous couvert arboré. Ce type de forêt n’existe quasiment plus en Asie du Sud-Est continentale. La forêt secondaire est un couvert en voie de reconstruction à la suite d’une trouée (gap phase pour les Anglo-saxons). Elle est principalement constituée de plantes héliophiles ayant besoin d’une importante quantité de lumière pour croître et qui atteignent généralement de moindre dimension à maturité que les espèces ombrophiles (voir par exemple à ce propos, Frédéric Durand, Les Forêts en Asie du Sud-Est – Recul et exploitation, L’Harmattan, Coll. Recherches Asiatiques, Paris, 1994, p. 28).
429 De Koninck, 1997, chapitre 5.
430 Entretien, Phnom Penh, mars 2001.
431 Leang Delux, « Suspension des coupes de bois, Hun Sen menace les récalcitrants », Cambodge Soir, 2 janvier 2002.
432 Global Witness, [Le bruit des coupes de bois couvre les promesses du gouvernement], 2000, p. 10.
433 Bou Saroeun, Phelim Kyne, « Hill Tribe Slaughter Premeditated », Phnom Penh Post, 20 août-2 septembre 1999.
434 Global Witness, 1999.
435 http://www.undp.org.vn (janvier 2002).
436 Cité par Gorzula, Picardi et Vũ Hồng in « Forest protection in Lâm Ðồng province in 1997 », http://www.coombs.anu.edu.au/~vern/wild-trade/lam-dong.html (janvier 2002).
437 Il s’agit du décret instituant le programme de développement du Tây Nguyên en 1996. Gorzula, Picardi et Vũ Hồng, « Forest protection in Lâm Ðồng province in 1997 ».
438 Baird, 2000, p. 39.
439 De Koninck, 1997, chapitre 5.
440 http://www.undp.org/seed/cap21/vietnam.html (janvier 2002).
441 Joe Waltson, Pete Davidson, Men Soriyum, A Wildlife Survey of Southern Mondulkiri Province, Cambodia, The Wildlife Conservation Society, Phnom Penh, mars 2001 ; Rob J. Timmins, Men Soriyum, A Wildlife Survey of the Tonle San and Tonle Srepok River Basins in Northeastern Cambodia, Fauna & Flora international, Indochina programme et The Wildlife Protection Office, Department of Forestry, Cambodge, Hanoi et Phnom Penh, 1998.
442 Voir par exemple Hanoi Research and Training Centre for Community Development, Insights into the Wildlife Trade in Gia Lai Province, Central Việt Nam, 1997, http://www.coombs.anu.edu.au/~vern/rtccd/gialai.html (janvier 2002).
443 Observé au Ratanakiri en février 2001 et à Kratié et au Mondolkiri en novembre 2000.
444 Environmental Defense, Yali Falls Dam, 1999, http://www.environmentaldefense.org/programs/International/Dams (janvier 2002).
445 Etude conduite dans quatre districts du Ratanakiri par le bureau provincial des pêches et l’ONG Non Timber Forest Product (NTFP). Les résultats sont repris dans l’article de Sara Colm, « Downstream Impacts : Vietnam’s Yali Falls Dam and Cambodia’s Se San River », Watershed, vol. 6, no 1, juillet-octobre 2000.
446 La Banque asiatique de développement, qui avait dans un premier temps accordé son soutien au projet, s’est retirée après publication des effets possibles sur les populations riveraines.
447 Fortunel, 2000, p. 118-119.
448 http://www.undp.org.vn (janvier 2002).
449 Cité in Fortunel, 2000, p. 138.
450 Bou Sarouen, « Dam Plans Threat to Stung Treng Ecology », Phnom Penh Post, 25 juin-8 juillet 1999.
451 Voir par exemple Tan Boon Hwee, 2000.
452 J. Talbot, « Regulating the Coffee Commodity Chain: Internationalization and the Coffee Cartel », Berkeley Journal of Sociology 40, 1995-1996, p. 113-149.
453 Tan Boon Hwee, 2000, p. 109.
454 Entretien, Dak Lak, juillet 1999. Tan Boon Hwee, 2000, p. 135-136.
455 Entretiens, Mondolkiri, décembre 2001.
456 La fameuse « route mandarine » de la littérature coloniale.
457 « Le gigantesque chantier de réfection du réseau routier », Cambodge Soir, 14 janvier 2002.
458 Fortunel, 2000, p. 93-94.
459 Frédéric Fortunel montre que les Eddé du district de Ea Tam sont largement laissés à l’écart du développement en cours, Fortunel, 2000, p. 66-67.
460 Tan Boon Hwee, 2000, p. 136-138 ; Fortunel, 2000.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Armée du Peuple, Armée du Roi
Les militaires face à la société en Indonésie et en Thaïlande
Nicolas Revise et Arnaud Dubus
2002
Yaa Baa
Production, trafic et consommation de méthamphetamine en Asie du Sud-Est continentale
Pierre-Arnaud Chouvy et Joël Meissonnier
2002
Pavillon noir sur l’Asie du Sud-Est
Histoire d’une résurgence de la piraterie maritime
Éric Frécon
2002
Le Destin des fils du dragon
L’influence de la communauté chinoise au Viêt Nam et en Thaïlande
Arnaud Leveau
2003
Des montagnards aux minorités ethniques
Quelle intégration nationale pour les habitants des hautes terres du Viêt Nam et du Cambodge ?
Mathieu Guérin, Andrew Hardy, Nguyễn Văn Chính et al.
2003
Le Laos au XXIe siècle
Les Défis de l’intégration régionale
Ruth Banomyong et Vatthana Pholsena
2004
Lire la ville, éclairer la métropolisation depuis l’Asie du Sud-Est
Manuelle Franck, Nathalie Lancret et Thierry Sanjuan (dir.)
2024