Introduction
p. 1-3
Texte intégral
1En Asie du Sud-Est, c’est en Thaïlande que l’influence de la diaspora chinoise est la plus forte. Avec seulement 8 à 16 % de la population, elle contrôlerait les quatre cinquièmes des capitaux sur le marché, soit autant que les Chinois à Singapour qui représentent pourtant les trois quarts des habitants de l’île-Etat. Dans le Royaume, leur assimilation est telle qu’on ne parle d’ailleurs plus de communauté d’origine chinoise, mais de Sino-Thaïs.
2Si leur rôle économique est central depuis déjà plusieurs siècles, chaque vague migratoire venant se cristalliser sur la précédente, leur influence politique a sensiblement fluctué. Elle s’est cependant considérablement renforcée depuis 1992 et l’avènement de la démocratie. Leur frugalité doublée de leurs capacités de travail et d’adaptation les ont portés aux postes les plus élevés de l’administration civile, de l’enseignement et des institutions religieuses. Après des années de guerre froide qui ont poussé les différents gouvernements à porter une attention particulière à la « menace communiste » à laquelle les Chinois étaient souvent assimilés, on assiste aujourd’hui à une « resinisation » affirmée. Seule l’armée feint encore de ne pas s’apercevoir que nombre de ses officiers supérieurs sont d’origine chinoise… Ailleurs en Asie du Sud-Est, la situation des communautés d’origine chinoise est souvent beaucoup moins favorable. Au Viêt Nam, l’intégration de ceux que l’on appelle les « Hoa Kieu » a toujours été plus ou moins problématique. Elle est même devenue critique à la fin des années 1970. Les Chinois ont constitué l’essentiel des boat people qui ont fui le pays après la réunification. A partir de 1978 et lors du dernier conflit sino-vietnamien, près de 200 000 d’entre eux furent poussés à s’exiler en Chine.
3La proximité culturelle et géographique de cet imposant voisin explique en grande partie l’ancienneté et la spécificité de la présence chinoise au Viêt Nam. Déjà fortement implantée au XIXe siècle, la communauté y a joué un rôle économique important pendant toute la période coloniale, et jusqu’en 1975 dans le Sud du pays.
4Si aujourd’hui la consolidation nationale ne se fait plus nécessairement contre les Chinois, leur rôle dans la société vietnamienne n’est plus aussi déterminant qu’autrefois. Ainsi, les Hoa Kieu ne contrôleraient plus que 30 % du secteur commercial de Hô Chi Minh-Ville, contre 90 % en 1975, et leur nombre, évalué à environ 530 000, est inférieur de 45 % à ce qu’il était à cette époque.
5On notera néanmoins qu’avec l’ouverture économique des années 1990, les « Chinois » retrouvent peu à peu leurs anciennes activités. Ils sont de nouveau admis à entrer au Parti communiste vietnamien où se concentre l’essentiel des pouvoirs. Ils peuvent également réintégrer l’université et l’enseignement du chinois tend à se libéraliser. Depuis 1989, ils ont pu rouvrir des dizaines d’écoles.
6Au Viêt Nam comme en Thaïlande, la communauté chinoise joue un rôle de relais auprès des investisseurs étrangers, qu’ils viennent d’Occident, du monde sinisé ou du reste de l’Asean1. Car 88 % des Chinois installés hors de Chine sont établis en Asie du Sud-Est, où leurs premiers ancêtres ont essaimé il y a environ 2 000 ans. Ce n’est en fait qu’avec l’expansion coloniale européenne en Asie que le mouvement migratoire des Chinois est devenu planétaire.
7Dans tous les cas, la question de l’activité de la diaspora et son intégration aux différents pays d’accueil reste intimement liée aux évolutions que connaît la Chine elle-même. Avec son ouverture économique, elle repose en quelque sorte la question du rôle et des allégeances de ses « expatriés ».
8La question du rôle de la diaspora est d’ailleurs éminemment politique. Qui reste véritablement chinois et quel est le niveau d’intégration au pays d’accueil ? Dans ce contexte, évaluer précisément le poids numérique et l’influence de la diaspora relève de la gageure. De surcroît, si la question de l’identité du nouveau venu et de ses descendants est inhérente à tout phénomène migratoire, elle est ici amplifiée par la volonté de la plupart des gouvernements régionaux de minimiser le rôle des communautés chinoises sous leur juridiction.
9Par souci de sécurité – mais aussi d’efficacité économique –, ces communautés font, elles aussi, preuve de discrétion. En effet, si les « Chinois d’outre-mer » constituent l’un des moteurs du développement économique de nombreuses sociétés d’Asie-Pacifique, c’est bien dans les dix pays de l’Asean que leur puissance économique est la plus considérable.
Notes de bas de page
1 L’Association des Nations d’Asie du Sud-Est, fondée le 8 août 1967, compte aujourd’hui dix membres : la Birmanie, Brunei, le Cambodge, l’Indonésie, le Laos, la Malaysia, les Philippines, Singapour, le Viêt Nam, la Thaïlande.
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