Conclusion
p. 139-143
Texte intégral
1Cette enquête de terrain menée au Cambodge, au Laos et au Viêt Nam entre fin 2010 et début 2011 avait pour ambition de dresser un état des lieux actuel du médicament vétérinaire dans cette région sensible de l’Asie du Sud-Est. Nous revenons ici sur certains aspects clés et certaines limites repérés dans la gestion de cet important outil de santé publique.
2La problématique de l’approvisionnement en médicaments vétérinaires de qualité dans ces pays apparaît particulièrement complexe. Au Viêt Nam, le secteur pharmaceutique vétérinaire a été progressivement transformé par l’émergence de nombreuses entreprises locales sur lesquelles repose désormais l’essentiel du marché. Si les cadres institutionnels et règlementaires en place dans le pays permettent un contrôle relativement opérationnel des médicaments vétérinaires importés, désormais minoritaires, le pays souffre en revanche de la prolifération des malfaçons de médicaments vétérinaires fabriqués sur son propre sol. Cependant, bien que les tentatives d’assainissement au sein de la production locale ne portent pas encore leurs fruits, le pays progresse vers une plus grande équité en termes d’exigences de qualité entre les médicaments vétérinaires importés et ceux produits localement. La situation est différente au Cambodge et au Laos, où les carences organisationnelles et règlementaires, la non-application des textes existants et l’insuffisance de moyens déployés par les autorités, ne permettent pas de tarir les flux illicites en provenance des pays frontaliers, qui constituent, de ce fait, l’essentiel de l’approvisionnement en médicaments vétérinaires dans ces pays.
3Les faibles enjeux économiques que représentent encore ces marchés, le manque de transparence et les trafics établis n’incitent toujours pas, à ce jour, les entreprises internationales à s’implanter. In fine, l’absence d’offres par les entreprises favorise le développement des activités illicites et inscrit le Cambodge et le Laos dans un cercle vicieux. De plus, l’élevage dans les trois pays étudiés s’appuie encore majoritairement sur des petites structures familiales s’approvisionnant en médicaments vétérinaires par le biais de circuits de distribution sollicitant un nombre élevé d’intermédiaires. À cause de la faible traçabilité des produits, cette chaîne de distribution constitue une zone de fragilité pour la qualité des médicaments, notamment via l’infiltration de produits dégradés, contrefaisants et de provenances douteuses. Seul le Viêt Nam dispose actuellement des ressources humaines et des laboratoires publics nécessaires pour analyser les médicaments vétérinaires. On déplore cependant, même dans ce pays, l’absence de plans d’échantillonnages pertinents qui permettraient d’établir un constat transparent sur la qualité des médicaments en circulation et de proposer des mesures de lutte plus adaptées.
4Ainsi, au Laos et au Cambodge, la mise en place d’un cadre règlementaire simple mais applicable, établissant un système opérationnel d’enregistrement des médicaments vétérinaires et de contrôle de la qualité, qui serait assorti de sanctions adéquates, apparaît comme une priorité pour structurer le secteur pharmaceutique et réussir à maîtriser l’entrée des médicaments dans ces pays. Si des initiatives sont actuellement en cours, la mise en application des textes dépendra réellement des priorités politiques et des moyens accordés. Au-delà des mesures nationales, la mise en œuvre d’une coopération régionale semble également indispensable pour relever ce défi aux ramifications transnationales et régionales. Sur ce point, l’initiative régionale lancée par les pays de l’Union économique et monétaire ouest-africaine est intéressante. Confrontés du point de vue individuel à une faiblesse de leurs capacités institutionnelles, matérielles et financières, ces pays ont opté pour une approche harmonisée afin d’effectuer conjointement les réformes nécessaires de leurs législations relatives à l’enregistrement et au contrôle de qualité. De façon similaire, une harmonisation des réglementations pharmaceutiques vétérinaires dans cette région d’Asie du Sud-Est pourrait être plus fortement engagée afin de mettre en commun les ressources et l’expertise en gestion des médicaments vétérinaires, permettant notamment à des pays comme le Laos et le Cambodge de bénéficier du soutien de pays plus expérimentés. De telles réflexions s’inscrivent de façon plus large dans le cadre de l’harmonisation internationale des exigences réglementaires encadrée par le VICH. Actuellement, le médicament vétérinaire en Asie du Sud-Est ne fait pas l’objet d’études approfondies, à l’exception d’une coopération établie par l’Asean sur les vaccins vétérinaires. En juin 2011, un premier séminaire organisé par l’OIE au Cambodge a réuni les délégués de 33 pays d’Asie et du Pacifique pour échanger sur les actions existant dans leurs pays respectifs et instaurer un premier dialogue autour de la thématique des produits vétérinaires.
5Le commerce des médicaments sans prescription vétérinaire dans ces pays où le nombre de professionnels vétérinaires est limité reste un problème épineux. D’un côté, la vente des médicaments par un large panel de personnes peu (ou pas) formées, telles que les techniciens villageois, améliore indéniablement l’accessibilité des produits vétérinaires dans les zones isolées, mais ne permet pas d’un autre côté de garantir leurs usages responsables. Ceci soulève donc la question plus large du manque, voire de l’absence, de vétérinaires praticiens qualifiés en zone rurale, particulièrement au Laos et au Cambodge. Bien souvent, l’exercice vétérinaire en élevage se résume à un encadrement commercial effectué par les distributeurs de médicaments et d’aliments, pour lesquels travaille la majorité de la ressource vétérinaire disponible. Ainsi, s’il faut à terme réussir à replacer le médicament vétérinaire sous la responsabilité de professionnels compétents et indépendants, cela ne pourra se faire sans une évolution conjointe du statut et de la formation vétérinaires dans ces pays. Sans pour autant favoriser la surmédication, le revenu que confère la vente des médicaments doit être utilisé comme un levier clé pour maintenir des professionnels en zones rurales, afin de constituer le maillage vétérinaire indispensable au développement des élevages familiaux et à la surveillance des maladies animales.
6Dans les élevages, l’usage imprudent des antibiotiques (qui plus est, de qualité incertaine) est particulièrement préoccupant : combinaison excessive de molécules, posologie non respectée, temps d’attente non appliqué par l’éleveur… Outre le risque d’échec thérapeutique chez l’animal, ces pratiques irresponsables sont également une menace pour la santé humaine via la transmission de bactéries zoonotiques et/ou de gènes de résistance à l’homme (par contact, par l’alimentation mais aussi par l’environnement) ou encore via la sélection de bactéries résistantes chez l’homme lors de l’ingestion de résidus antibiotiques (de surcroît potentiellement toxiques). Au niveau mondial, la dissémination de bactéries multirésistantes expose à des situations d’impasse thérapeutique redoutables aussi bien en médecine vétérinaire qu’humaine. Ainsi, l’émergence soudaine en Europe d’une salmonelle162 devenue résistante à presque tous les antibiotiques, notamment aux fluoroquinolones (traitement clé des infections sévères à Salmonella), préoccupe la communauté scientifique internationale163.
7D’après des travaux publiés en août dernier, le recours massif aux antibiotiques dans des élevages aquacoles en Égypte aurait favorisé la sélection des souches bactériennes résistantes, ces dernières se seraient ensuite propagées en Afrique dans la filière volaille, grande consommatrice de fluoroquinolones (Le Hello, 2011). Le cumul de toutes ces résistances serait ainsi à l’origine de l’épidémie qui a touché plusieurs régions du monde ; ceci souligne l’importance d’une surveillance rapprochée de ces bactéries zoonotiques également dans les pays du Sud et la nécessité de rationaliser l’utilisation des antibiotiques dans les filières d’élevage à l’échelle mondiale. La mise en évidence, par des premières études isolées, d’un niveau important de résistance de certaines bactéries responsables d’infections alimentaires (notamment E. coli, Salmonella et Campylobacter) provenant de viandes en vente sur les marchés vietnamiens devrait servir d’alerte.
8Malheureusement, si des progrès considérables ont été effectués au Viêt Nam dans la gestion du médicament destiné à la filière aquacole exportée (afin de répondre aux exigences des pays importateurs en termes de résidus), le mésusage des antibiotiques et leur présence sous forme de résidus dans les produits d’origine animale consommés localement ne font, en revanche, pas partie des priorités du gouvernement comme en témoignent les plans de surveillance encore très limités. La situation est d’autant plus préoccupante que, dans le contexte actuel d’intensification des productions animales, il faut craindre une hausse de la consommation des antibiotiques, due notamment à un recours plus systématique à la prophylaxie de masse et aux promoteurs de croissance. À l’instar des recommandations de l’OIE, une surveillance des quantités d’antibiotiques destinés aux productions animales, même sommaire, constituerait un élément intéressant dans la gestion du risque de l’antibiorésistance dans ces pays. Au Viêt Nam, une meilleure coopération entre les services vétérinaires et les services douaniers pourrait, par exemple, permettre dans les années à venir de suivre les quantités de médicaments et de matières premières importés dans le pays.
9Dans cette région d’Asie du Sud-Est, foyer de nombreuses maladies animales hautement contagieuses, les vaccins vétérinaires de qualité et adaptés aux souches en circulation constituent des alliés de poids. Malheureusement, la mise en œuvre de mesures prophylactiques correctes, à la fois sanitaires et vaccinales lorsqu’elle existe, reste encore globalement limitée aux élevages intensifs. Plus qu’un manque de moyens financiers, les petites structures familiales souffrent souvent d’un défaut d’encadrement vétérinaire ne leur permettant pas de saisir les enjeux de telles mesures. Parmi les nombreuses maladies infectieuses transfrontalières, pouvant prendre des allures épidémiques dévastatrices pour les élevages (fièvre aphteuse, peste porcine classique, SDRP, etc.), l’influenza aviaire due au virus H5N1 fait naturellement l’objet d’une surveillance accrue164 en raison de la menace pandémique qu’elle représente. L’émergence récente d’une nouvelle souche du virus H5N1 (nommée « clade 2.3.2.1 ») au Viêt Nam et en Chine – rares pays où le virus est considéré comme endémique – rend inefficaces les vaccins existants. Contrairement aux pays développés, le recours à la vaccination est un élément crucial dans le contrôle de l’épizootie dans ces deux pays qui ne disposent pas de moyens de compensation financière pour mettre en place un plan d’abattage massif. Ceci montre la nécessité de surveiller activement les populations animales, de manière à détecter précocement toute modification des virus circulant sur le terrain165.
10Enfin, il faut rappeler que la rage, zoonose bien moins médiatisée, tue pourtant toujours plus de 30 000 personnes par an en Asie et ce malgré l’existence de vaccins efficaces. Au Cambodge plus particulièrement, l’Institut Pasteur estime à plus de 800 les décès annuels imputables à la maladie, soit plus que pour le paludisme ou la dengue (Ly, 2009). Il est donc urgent de lancer des campagnes nationales de vaccination des chiens, avec la mise à disposition de vaccins antirabiques de qualité, et de réguler les populations canines souvent errantes.
Notes de bas de page
162 Les bactéries du genre Salmonella représentent une des premières causes d’infection alimentaire chez l’homme.
163 Alors qu’entre 2002 et 2008 on recensait globalement 500 cas pour la France, le Royaume-Uni et le Danemark, 270 cas ont été confirmés pour la seule France entre 2009 et 2010.
164 Depuis début août 2011 plusieurs foyers ont été recensés dans des élevages au Viêt Nam et au Cambodge et, dans ce dernier pays, un cas humain mortel a été déclaré.
165 Le Laboratoire de Harbin, en Chine, laboratoire de référence OIE, a ainsi développé une nouvelle souche vaccinale ; l’enregistrement et la fabrication du vaccin sont en cours.
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