Chapitre III. Les leçons du passé
p. 29-39
Texte intégral
1Regardez le passé pour la sagesse et l'avenir pour l'espoir !
Peu d'organisations prennent le temps d'analyser à fond les projets passés. Surtout s'ils ont débouché sur des échecs. Pourquoi ? Parce que cela ne se fait pas sans frictions et que cette démarche est souvent considérée comme une perte de temps puisqu'il semble que les conclusions seront inutiles. Mais si l'on ne comprend pas le passé, il est impossible d'en tirer une leçon et d'employer ce savoir pour l'avenir (c'est-à-dire de s'améliorer continuellement).
Leçons des précédents défis
1 Développer l'aspect commercial : les navigants sont comme des clients.
2. Développer une Vision et des valeurs communes.
3. Développer des systèmes d'appui au fur et à mesure que l'équipe se forme.
4. Maintenir l'esprit d'équipe quand l'organisation grandit.
5. Savoir et être capable de travailler avec les règles.
6. Ne pas se disperser.
7. Éviter les surchauffes.
8. Renforcer l'organisation.
9. Répéter (faire et revoir) pour obtenir les meilleurs résultats.
10. Développer la capacité à répondre rapidement.
Tableau 3.1 – Résumé des leçons des défis précédents.
2Dans notre cas, les défis précédents qu'ils se soient déroulés en Nouvelle-Zélande ou ailleurs avaient fourni nombre d’informations : nous avons passé beaucoup de temps à comprendre leurs significations. Le tableau 3.1 fournit un résumé de ces leçons, abordées plus loin dans le reste du chapitre.
Développer l'aspect commercial : les navigants1 sont comme des clients
3La Coupe de l'America est un événement lié à une forte composante technologique. Un bon bateau participe activement à la qualité de la prestation des équipages. Cela ne nie pas l'importance de la navigation à voile, mais comme dans la majorité des entreprises très technologiques, les équipes de conception et de construction restent des facteurs clefs de la réussite.
4Dans de nombreuses organisations les créateurs pensent tout connaître. Si le produit se vend mal c'est parce que le marketing n'assure pas correctement la promotion ou que les ventes ne sont pas assez poussées. De plus, les créateurs disposent d'une intuition assez développée et ont souvent des tempéraments de gagneur. Pour cette raison, la gestion de l'équipe de conception, fondamentale en ce qui concerne le succès, est loin d'être facile. Malgré le résultat excellent de l'équipe de Nouvelle-Zélande, la direction de l'équipe de conception a connu des moments difficiles.
5Pour obtenir de bons résultats, il est nécessaire que les architectes du bateau continuent à demander aux clients (aux navigants) leurs souhaits. Pour deux raisons : d'abord, l'idée des clients peut évoluer au fur et à mesure qu'ils comprennent ce qu'il est possible de réaliser. Cela sous-entend qu'on ne connaîtra pas immédiatement les besoins potentiels du client. Ensuite, les clients (les navigants) se sentent partie prenante dans le processus de réalisation. Cela améliore leur volonté d'y adhérer et leur confiance dans le produit final (pour les navigants : le bateau).
6Naguère, bien des défis des autres nations ont construit des bateaux imparfaits en raison de la mentalité étroite des créateurs. Les architectes n'avaient pas suffisamment d'ouverture d'esprit et restaient insensibles aux exigences de leurs clients (les navigants). Ceci arrive dans beaucoup d'organisations qui essayent de développer un nouveau produit. Et c’est rarement la seule faute des créateurs. Dans notre cas, le produit est un bateau gagnant ou les techniciens du concept ont tendance à se détacher de leur client ultime (le navigant). Ils supposent que les navigants connaissent toutes les réponses : si le bateau ne navigue pas correctement ils ont tendance à accuser les marins qui ne l'utilisent pas correctement.
7Dans les défis précédents on a montré, qu'une équipe navigante moyennement impliquée dans la conception du bateau, n'avait que peu de confiance dans ce bateau, peu de motivation à naviguer et peu d'aptitude à réagir rapidement lorsqu'elle découvre ses qualités et ses faiblesses. Au contraire, si elle a suivi une partie du processus, elle était moins portée à la critique, se concentrait davantage, et avec plus de chance, à résoudre les problèmes.
8Dans le cas de l'équipe de Nouvelle-Zélande, l'accent a été mis pour considérer les marins comme les clients privilégiés et les architectes (et autres fournisseurs) ont été encouragés à partager et vérifier leurs idées avec leurs principaux clients. Cette incitation s'est faite par des réunions, formelles ou informelles, tenues régulièrement, entre l'équipe de conception et l'équipe navigante et par un dialogue sur toutes les questions touchant à la conception du bateau. Cet échange réciproque des informations a permis un véritable partenariat entre les équipes.
9Idée : le créateur est toujours un fournisseur clef.
10D'une façon générale, une raison du succès a été que les designers ont considéré les marins comme des clients. C'était en partie parce que l'organisation l'a encouragé, mais aussi parce que les marins ont attiré le respect des créateurs.
Développer une Vision et des valeurs communes
11Il me semble que le défi le plus important dans une telle équipe est de partager une Vision commune. Il y a beaucoup de systèmes de valeurs différents dans n'importe quelle équipe de projet. Par exemple, certains diraient que l'honnêteté dans une équipe est primordiale et qu'un haut degré d'intégrité à l’extérieur est tout aussi important. D’autres diraient que c'est simplement un jeu et que l'objectif est de battre les autres avant qu'ils ne vous battent.
12Des déclarations si contradictoires soient-elles posent un problème parce qu'elles risquent de mener à la division et à la confusion. Les bonnes équipes partagent toutes la même échelle de valeur ou au moins comprennent bien leurs différences et les implications de celles-ci.
13Souvent une perte de confiance dans l'équipe découle du manque de confiance organisationnelle de base. Dans de nombreux cas il y a des malentendus, parce que les gens n'ont pas eu les moyens de communiquer leurs idées efficacement. C'est dû à de mauvais systèmes de communication.
14Dans l'équipe de Nouvelle-Zélande il y a eu bien des discussions sur ces questions. La manière démocratique dont les nouveaux membres ont été cooptés, dès le début, a augmenté les chances d'un système de valeurs identiques. Ceci s'est avéré très payant par la suite.
15Idée : la Vision conduit au résultat.
16La déclaration de la Vision est un document essentiel pour la plupart des organisations et il est surprenant, même décevant que peu d'organisations utilisent une Vision comprise et partagée par l'équipe de direction. Cette Vision est très importante parce qu'elle décrit la "raison d'être" de l'organisation. Elle répond à la question : "Quel est notre métier ?" Elle est souvent soutenue par une déclaration des valeurs et des règles d'opération.
17Ce document doit être réalisé avec le plein appui de l'organisation et être adapté à la façon dont l'organisation fonctionne réellement. Sa rédaction prend généralement du temps et exige des efforts considérables ; elle est souvent accompagnée d'un certain cynisme et de frustration, en particulier si l'organisation conserve quelques résidus émotionnels des échecs passés dans ce type d'effort.
18La majorité des organisations ne passent pas suffisamment de temps à discuter leurs valeurs, leur éthique et leurs règles. Et quand elles le font, elles utilisent la langue de bois. Alors il y a toujours le risque que les objectifs cachés apparaissent un jour. Quand la confiance et la motivation disparaissent, il est très difficile d'établir un dialogue : la plupart des personnes ont tendance à ignorer les questions jusqu'à ce que la situation devienne intolérable. À ce moment là, la réussite du projet est compromise
19Une approche pour encourager ce type de discussion est d'avoir régulièrement, par exemple une fois par trimestre, un examen de l'exécution du projet où ces questions sont inscrites à l'ordre du jour. De telles discussions exigent des compétences spéciales et des techniques que la plupart des organisations n'ont pas toujours acquises. Néanmoins un investissement dans la culture d'une organisation demeure un investissement très sérieux pour l'avenir. Combien d'organisations discutent régulièrement sur le vol, la fraude, leur éthique de travail, les normes de langage, la franchise de communication, etc. ? Toutes ces questions peuvent sérieusement influencer le respect de soi, le développement organisationnel et la performance organisationnelle.
20A court terme n'importe quelle organisation peut réussir en disposant d'un avantage technologique révolutionnaire ou artificiel. Par contre, à long terme, il est pratiquement impossible de trouver une organisation qui puisse se contenter de cela, sans un investissement sérieux dans le développement de sa Vision de ses valeurs et de son personnel, c'est-à-dire dans sa culture organisationnelle.
Développez les systèmes d'appui au fur et à mesure que l'équipe grandit
21La taille est probablement le plus grand défi par rapport à l'efficacité des systèmes de gestion de n'importe quel projet. Naturellement, tout projet commence par être modeste. Il grandit ensuite. Au commencement c'est un petit groupe qui développe les idées et "possède" le projet. Il est aisé de communiquer dans cet environnement et c'est relativement facile pour chacun de se sentir impliqué dans le projet. Au fur et à mesure qu'il grandit, les gens n'ont guère la possibilité de suivre le développement du projet. Souvent ils ignorent ce qui se passe dans l'instant parce que le projet les dépasse. Cela devient une cause de démotivation. Parce que, pour beaucoup, la motivation fondamentale est de se sentir qu'ils font partie de l'équipe et qu'ils ne sont pas tenus à l'écart du projet.
22L'équipe de Nouvelle-Zélande jouissait d'excellents réseaux de communication. Les réunions ont été appuyées par un enchevètrement complexe de communications informelles. Il a eu le mérite de tenir chacun au courant sur une base régulière et des normes de distribution de l’information mises au point au début du projet ont beaucoup contribué à cela.
23Idée : La plupart des gens veulent réaliser, développer et contribuer.
Les systèmes de management doivent renforcer cela.
24Dans les années 1960 Mc Gregor a suggéré deux idées à propos des attitudes au travail des ouvriers.
La première, appelée la Théorie X, estimait qu'ils voulaient travailler aussi peu que possible. Cette attitude exigeait une surveillance constante.
La seconde, appelée la Théorie Y, suggérait qu'ils souhaitaient contribuer et développer l'entreprise, qu'ils avaient seulement besoin d'encouragements ainsi que de systèmes pour y arriver. Mc Gregor a soutenu la deuxième idée et bien que les données empiriques soient insuffisantes pour en faire une théorie, c'est peut être une des raisons pour lesquelles les organisations ne réussissent pas toujours à atteindre le but qu'elles s’étaient fixé. Il semble que de mauvais systèmes sont la cause que des personnes excellentes y travaillent mal. Quels sont ces systèmes ? C’est ce qui est abordé dans le Chapitre VII sur des méthodes réactives et les systèmes.
Entretenez l'esprit d'équipe au fur et à mesure que l'organisation grandit
25Ce point est partiellement traité ci-dessus. Mais considérons maintenant un aspect spécifique, très important du projet : l'esprit d'équipe. C'est un défi essentiel pour n'importe quel projet. L'équipe grandit mais les individus doivent continuer à se sentir partie prenante de l'équipe et comprendre leurs rôles. Il sera aussi nécessaire d'avoir une approche plus structurée de la gestion de l'équipe et du processus d'intégration de nouvelles personnes.
26L'équipe de Nouvelle-Zélande a beaucoup travaillé sur ce sujet. Le meilleur exemple fut la réunion formelle d'intégration de nombreux équipiers qui revenaient de la campagne de la "Whitbread" en novembre 1993. Une session d'une demi-journée avait été organisée : chacun avait la possibilité de se présenter et les nouveaux membres ont été mis au courant de la stratégie, y compris la Vision, les règles d'opération et le plan actualisé. Cela fut une contribution très positive pour la création de l'esprit d'équipe.
27Notez, cependant, qu'il est très difficile d'intégrer de nouveaux membres dans une équipe en place ne disposant pas de bons systèmes. Il ne faut pas croire qu'ils sont capables de hautes performances parce qu'ils hériteront des attitudes existantes et des systèmes. De bons systèmes sont très importants et doivent être en place dès le début. Il est très difficile de changer la culture d'une organisation qui fonctionne mal quand la pression est là. Et c'est toujours le cas dans une campagne de la Coupe de l'America.
28Idée : Tout faire pour atteindre la puissance d’une "grande équipe" tout en restant une "petite équipe".
29Tout grand projet s'efforce d'atteindre la puissance d'une grande équipe, avec l'interaction et l'impression d'une petite équipe. L'utilisation d'un mentor (ou d'un copain) est un bon outil pour mettre rapidement les gens dans le coup, à savoir qu'il y a toujours quelqu'un pour répondre à leurs questions et à leurs soucis. Le mentor doit aussi avoir été formé dans les systèmes et les mouvances de l'organisation. Cela risque de paraître fastidieux et coûteux mais c'est un investissement à long terme pour la solidité de l'organisation. Cela a aussi un effet de motivation sur les mentors parce qu'ils sont reconnus en tant que tels.
30Un bon système de documentation aidera également à gérer la croissance de l'équipe, comme les rapports réguliers sur les progrès et les plans, parce qu'ils sont tous des moyens relativement peu coûteux pour partager l'information et l'histoire du projet. Bien que l'équipe de Nouvelle-Zélande ait eu une très bonne culture collective, elle n'a pas semblé utiliser de tels documents qui auraient informé les gens sur ce qui était arrivé au cours des mois précédents. Cependant, en raison de la nature fortement interactive de l'organisation, la franchise et les amitiés qui y étaient présentes, des nouveaux venus ont été rapidement intégré d'une façon informelle et ont senti très vite qu'ils faisaient partie de l'équipe.
31Le degré de rentabilité des systèmes de formation d'équipe dépend de l'environnement. Par exemple, dans la construction d'un building, le partage de la culture entre les équipes ne vaut pas forcément la peine. Par contre, dans un grand projet de haute technologie, ou les exigences d'interaction et d'interdépendance entre les personnes sont importantes, l'effort sur le partage de la culture semble plus que justifié.
Ayez une bonne connaissance et soyez capable de travailler avec le règlement
32Les équipes de Nouvelle-Zélande ont été régulièrement victimes des règlements. Ceci est en partie dû au fait qu'elles ne se trouvaient pas suffisamment liées au réseau qui les conçoit et qu'elles ne les utilisaient pas au maximum. De plus, elles avaient souvent omis de réaliser combien les règles conçues par intérêt personnel ou national plutôt que dans l'intérêt du sport étaient arbitraires.
33Beaucoup de compagnies rencontrent les mêmes problèmes quand elles essayent de pénétrer un marché étranger. Il est évident que les distributeurs autochtones qui n'ignorent pas les règles locales (orales et écrites) seront mieux placés que le personnel de la compagnie.
34Dans l'équipe de Nouvelle-Zélande un effort significatif a été tenté pour que les règles soient comprises par les éléments les plus en pointe de l'équipe. Le réseau de communication s'assurait ensuite que le reste de l'organisation était au courant de ce qui se passait. Ainsi les mises à jour des règles se faisaient d'une façon informelle. Il est souvent oppurtun de réaliser cela d'une façon plus formelle en l'intégrant à la stratégie.
35Idée : Ayez connaissance et respectez les règlements, mais laissez vous conduire par l'objectif principal.
36Il en est de même dans le business. Dans n'importe quelle industrie il y a des joueurs, des prix et des règles. Il y a beaucoup de manières de jouer le jeu. Pour la réussite, elles doivent toutes être comprises. Mais alors que règles et règlements qui guident une industrie sont souvent considérés comme immuables, il y a un large éventail de possibilités allant de la pure compétition d'une part à l'intervention gouvernementale de l'autre. Il est possible de gagner ainsi beaucoup d'argent en contournant la loi. Nombre de fortunes ont été ainsi faites.
37A l'inverse, on peut rester dans l'esprit du jeu et ne pas vouloir interpréter les règles à son profit. C'était la voie choisie par l'équipe de Nouvelle-Zélande. Bien qu'une connaissance approfondie des règles soient une exigence, "rester clean" était l'expression que l'on avait l'habitude d'utiliser pour décrire cette approche. En fin de compte cette attitude fut couronnée de succès puisqu'elle a permis non seulement à l'Équipe de se concentrer sur la construction d'un bateau gagnant, mais aussi de forger au Défi néo-zélandais une excellente image dans le public.
Ne perdez pas la concentration
Gardez les choses simples !
38Lorsque les échéances approchent, la pression s'accroît et tout projet devient plus complexe. Cependant, en fin de compte tout est déterminé par le programme, le budget et les exigences de performance pour mieux faire que les autres. Une équipe ne disposant pas de systèmes et de documents pour les contrôler perdra sa concentration et risquera l'échec.
39Le but ultime et le calendrier de la Coupe de l'America sont si évidents qu'il est plus facile que dans la plupart des autres cas de se concentrer sur les tâches du moment. Il faut, surtout au cours de la dernière année, gagner la Coupe et rien d'autre. Mais cette évidence a aussi son revers, les enjeux sont élevés et peu de personnes se souviennent des autres concurrents. À cause de cela les rapports risquent de devenir très tendus. La structure de l'équipe et les systèmes doivent être capables de supporter la tension en cas de défaite en course, d'attaque des médias et bien d’autres choses.
40Dans de nombreux domaines, l'équipe de Nouvelle-Zélande était tellement supérieure aux autres qu'elle n'a jamais été vraiment inquiétée : en effet, n’importe quelle équipe peut sembler bonne quand elle n'est pas soumise à la pression. Sinon, c'est différent. Il est donc difficile de savoir si leurs systèmes auraient bien fonctionné soumis à une pression plus grande. On ne peut que formuler une hypothèse.
41Les systèmes de management sont les mécanismes qui permettent à une organisation de contrôler ses progrès en restant concentrée sur l'objectif. Dans n'importe quel business, la concentration sur l'objectif est capitale. Les systèmes de communication et de responsabilité doivent donc s'assurer de la constante concentration sur l’objectif. Les produits ou les projets superflus ou depassés devront être supprimés. La seule façon pour une organisation de connaître les choses à supprimer est d'avoir une stratégie ou une vision claire et des systèmes qui fournissent l'information adéquate.
42Idée : la simplicité conduit à la concentration sur l'objectif.
43Pour éviter de se disperser, une organisation doit tendre vers la simplification. Les manques d'efficacité liés à la complexité augmentent de façon exponentielle et détruisent en fin de compte l'individu ou l'organisation. Beaucoup d'organisations font appel à l'ordinateur lorsque les tâches deviennent plus complexes, parce qu'elles pensent que cela leur permettra de mieux gérer la complexité. En fait le résultat est souvent désastreux, ainsi :
44Idée : traiter une pagaille par ordinateur aboutit à une pagaille traitée par ordinateur.
45Simplifiez d'abord et il se peut que l'informatisation ne soit même pas nécessaire.
Évitez les "surchauffes"
46Il semble que la plupart des équipes de la Coupe connaissent à un moment ou un autre des phases de dépression où les gens se démotivent, n'ont plus confiance les uns aux autres et perdent foi en leur possibilté de réussite. Ce risque peut être diminué si une attitude plus disciplinée et moins émotionnelle est adoptée face à l’écueil. Par exemple, on peut essayer de "faire au mieux" plutôt que de gagner. Ceci, souligné par Peter Blake dès le début, a permis de maintenir l'équilibre.
47Une équipe doit trouver les moyens de se décontracter et c'est là où les systèmes décrits dans le Chapitre VII entrent en jeu en particulier dans la communication ouverte et la mise à jour de la stratégie à quatre mois. Ceci aide l'organisation à se concentrer et fournit un mécanisme bien défini pour traiter des problèmes qui auraient tendance à s'aggraver. Pour un bon nombre de personnes, les pressions et les besoins de la communication augmenteront à l'approche de la dernière échéance et si les systèmes et les mécanismes ne sont pas en place alors l'équipe ou le projet explosera. Les factions se développeront parce que les systèmes de communication ne sont pas adéquats et les gens commenceront à croire que d'autres ont des objectifs cachés. En conséquence, la confiance et la motivation baisseront.
48L'équipe de Nouvelle-Zélande a fait le nécessaire pour éviter ces problèmes. Elle avait des occasions de réunions informelles pour bavarder et se relaxer. À San Diego il y avait pizza et bière à la fin de chaque compétition et en général, les membres de l'équipe étaient très solidaires entre eux. Bien que quelques individus soient passés par des périodes de stress, l'organisation n'a pas, semble-t-il, eu à subir des effets à long terme.
49Dans tout projet extraordinaire il y aura forcément du stress parce que les résultats sont toujours incertains et les enjeux souvent élevés. Par conséquent, les risques "de surchauffe" sont élevés et beaucoup de grandes organisations ont un budget prévu pour le traitement psychologique de ceux qui ont ce type de problème. Cependant, il y a toujours une image associée aux personnes cherchant de l'aide : au lieu d'être comprise comme une aide à l'amélioration de la performance, elle est considérée comme un signe de faiblesse. "Les vrais hommes ou femmes n'ont pas besoin d'aide !" reste un aphorisme toujours d'actualité.
50Alors que les individus sont responsables d'eux-mêmes, une grande partie de pression inutile peut être supprimée par une conception correcte des systèmes. Bien qu'il n'y ait aucune garantie contre la "surchauffe", la meilleure façon de réduire ce risque au minimum est d'investir dans la culture et les systèmes de l'organisation, en y incluant la responsabilité et la communication précisant la direction à intervalles réguliers. Cela donne aux gens la possibilité de demander et de recevoir de l'aide ou un soutien professionnel si nécessaire.
51Idée : Prévoyez les "surchauffes"
52Toute organisation dans un environnement stressant peut souffrir des effets de "surchauffe" et des mécanismes doivent être mis en place pour éviter cela. Les années sabbatiques, les changements de projets, les congés réguliers des personnels, sont des façons de minimiser les risques et d'avoir aussi un effet positif permettant le développement. Les effets psychologiques "de surchauffe" sont mesurés en mois et en années et ce sont souvent les meilleurs éléments qui les subissent. L'organisation doit donc investir dans leur élimination.
Donner du pouvoir à l'organisation
53Pour donner du pouvoir a l'organisation, il faut fournir au personnel des connaissances, des compétences, de l'autorité et du courage pour prendre des décisions, gages d'organisations couronnées de succès. Dans ce Défi, Peter Blake a été tenu en dehors du processus décisionnel pendant les longues périodes au cours de la première année. La raison ? À cause de ses multiples efforts pour obtenir des fonds en vue de sa tentative de record autour du monde couronnée de succès avec ENZA. Ceci a généré du stress pour l'Équipe, mais ce stress a été utilisé d'une manière constructive pour renforcer l'Équipe. Chaque secteur avait le contrôle et la responsabilité de son propre budget et devait achever son travail. Aussi, en choisissant les personnes idoines (comme décrit dans le Chapitre VI), l'Équipe disposait des moyens de progresser sans obstacles sérieux. Des systèmes au point et des gens qualifiés donnent une équipe plus forte. De plus, une équipe de coordination a été formée pour harmoniser les affaires, le concept, la formation et les aspects du projet liés à la navigation ainsi que pour encourager les équipes à être responsables en matière de décisions.
54Idée : Donner du pouvoir à l'organisation demande la motivation mais aussi l'amélioration des compétences.
55Donner du pouvoir est une expression à la mode pour beaucoup d'organisations en Nouvelle-Zélande. Cependant, donner du pouvoir sans la présence de compétences appropriées mènera à des résultats décevants. Pour que les gens se sentent impliqués à contribuer de façon significative, il faut qu'ils soient motivés et qu'ils sentent d'une façon ou d'une autre que ce qu'ils feront sera apprécié.
Cependant, ils doivent aussi avoir les compétences et les connaissances nécessaires pour prendre les décisions attendues.
Pour de meilleurs résultats répéter "faire" et "revoir"
56Dans tous les problèmes complexes la répetition est essentielle pour obtenir les meilleurs résultats. Elle est nécessaire pour que l'apprentissage améliore le résultat final. La plupart des organisations ont eu l'habitude de croire que pour développer un produit ils suffit de le réaliser une seule fois. Mais l'expérience a montré qu'il n'en est rien et que les organisations couronnées de succès apprennent par répétitions. Une raison fondamentale du succès de l'Équipe de Nouvelle-Zélande était la rapidité avec laquelle ils pouvaient apprendre dans leurs succès comme dans leurs échecs. Le concept du bateau, les voiles et les modifications de stratégie ont été réalisés en utilisant les débriefing ; ainsi une part importante et efficace de la culture de l'Équipe de Nouvelle-Zélande s'est mise en place, en particulier quand le programme de navigation à voile a débuté.
57Idée : Apprendre par l'action et la correction.
58La plupart des gens peuvent apprendre énormément sur le métier. Plus une organisation est flexible, plus elle peut rapidement tirer leçons de ses succès et de ses erreurs. C'est bien d'avoir une bonne idée au départ mais l'expérience a montré que la répétition et l'experimentation sont aussi les clefs du succès. D'habitude, l'équipe qui apprend le plus rapidement gagnera. Il est donc très important d'avoir une bonne méthode pour cela. Peu d'organisations pratiquent ainsi parce qu'avec l'accroissement des pressions dues au manque de temps, on ne conserve qu'une place minime à une reflexion régulière : il y a toujours quelque chose de plus urgent à faire ! Cependant, les organisations et les individus qui prennent à la fois du recul et le temps de réflechir découvrent qu'une bonne partie de ce qu'ils font n'est pas essentielle pour réaliser leurs objectifs.
59La réflexion est une partie importante de l'apprentissage (Figure 3.1), une adaptation d'un modèle de développement que Kolb et ses collègues ont mis au point et auquel la plupart des activités peuvent être adaptées. Il s'applique au niveau individuel mais il est également approprié aux équipes et aux organisations. Utilisé régulièrement il est une façon efficace d'assurer des progrès continus.
60Le modèle part de l'idée que l'expérience du travail a, en elle-même, une grande place dans le développement de l'individu, en particulier si l'expérience est nouvelle ou stimulante ou implique un plus haut niveau de responsabilité (Étape 1 : l'expérience). L'individu capitalise sur cette expérience en la considérant bien et en écoutant les réactions des autres (Étape2 : la réflexion). Un nouveau développement vient du lien entre expérience et observation à l'aide d'informations plus théoriques, pour que la personne combine son propre travail à l'information externe (par exemple, á un cours de formation) de façon à développer de nouveaux principes utilisables dans son travail (Étape 3 : nouvelle approche). Il s'ensuit une période d'expérimentation et d'essais pour développer les nouveaux principes dans le travail (Étape 4 : expérimentation). La phase expérimentale fournit une nouvelle dose d'expérience et le cycle se répète.
61Fréquemment, les étapes critiques du processus sont manquées. Les institutions éducatives telles que les universités donnent souvent trop d'importance à la deuxième étape (la réflexion) et à la troisième (la nouvelle approche), privilégiant ainsi un développement trop intellectuel, donc non relié à l'expérience de la personne, et non utilisable dans de nouvelles façons de se comporter au travail. Au contraire, beaucoup de managers en Nouvelle-Zélande semblent atteindre leur développement grâce à la première étape (l'expérience) et à la quatrième (l'expérimentation) qui sont les phases "pratiques". Dans leur désir d'être "pratiques", ces managers ne se rendent pas compte que l'étude basée seulement sur l'expérience et l'expérimentation reste essentiellement empirique et très limitée comme moyen de développement.
62On a dit que cette approche peut être appliquée avec autant de succès aux opérations d'une équipe de projet ou à une organisation. En fait, la philosophie d'amélioration continue, la Gestion de la qualité optimale (GQO) et plus récemment des organismes d'apprentissage, vont dans le même sens. Il y a des similitudes très fortes entre ceci et le cycle "plannifiez-réalisez, vérifiez-agissez" qui est fondamental pour le GQO. Le travail récent de Peter Senge sur la façon dont les organisations pensent et apprennent est aussi en rapport sur de nombreux points avec cette idée designe les étapes suivantes avec le GQO.
Développez une capacité de réponse rapide
63Pour que la répétition marche bien, il faut réduire le temps de réponse sinon les échéances ne seraient pas respectées. Une fois encore ce n'est pas un nouveau concept, mais il est revenu d'actualité au cours des deux dernières décennies par Toyota avec sa philosophie de fabrication dans les délais requis. (JIT).
64Réduire les temps du cycle de conception et du cycle de fabrication en réduisant le nombre d'étapes et en réduisant le temps de chaque étape est le secret d'une compétition basée sur temps, un terme que le Boston Consulting Group a beaucoup utilisé au début des années 1990. Un autre développement plus récent de ces idées est le Business Process Reengineering (BPR) qui part du même principe en mettant l'accent sur les technologies de l'information pour atteindre les mêmes objectifs.
En résumé
65Les thèmes clefs qui apparaissent dans ce chapitre sont l'importance fondamentale du rapport client/fournisseur, l'apprentissage rapide, l'amélioration continue, la mesure, la concentration et la réponse rapide. A l'exception de la réponse rapide ils sont tous basés sur la Gestion de la Qualité Totale et suivent étroitement les suggestions de Mousse Rosabeth Kanter, qui estime que des organisations couronnées de succès sont flexibles, rapides, concentrées sur les objectifs et maintiennent un climat amical et plaisant. Malheureusement, relativement peu d'organisations appliquent ces concepts de façon régulière. L'idéal étant l'organisation qui cherche toujours à apprendre-qui s'améliore sans cesse et qui apprend de plus en plus vite.
Notes de fin
1 Le mot navigant peut être remplacé par sportif ou par tout autre terme désigné comme client, c'est-à-dire la personne pour laquelle on travaille.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.