Chapitre 2. Besoins et attentes des consommateurs de loisirs sportifs
p. 53-80
Texte intégral
1Avant de définir quelles sont les fonctions technique, psychosociale et symbolique que les services de loisirs sportifs doivent remplir, il convient de faire le point sur les fondements du comportement humain et du sport.
1 - Les fondements de l’activité sportive
2Bernard Jeu1 fut le premier, avec son équipe, à faire une analyse approfondie « de la véritable nature du sport ».
3Lorsque l’on cherche à comprendre le sport, on observe, on calcule, on découpe, et on néglige trop souvent le poids de l’histoire et de la culture, celui des émotions véhiculées.
4Bernard Jeu a été le premier à affirmer que le sport était essentiellement de l’émotion.
5Chacun a encore dans les yeux les réactions de l’équipe de France de tennis managée par Yannick Noah retrouvant la victoire en Coupe Davis en 1991, ainsi que les images de l’équipe de France de football lors de la Coupe du monde après le coup de sifflet final de l’arbitre.
6Une telle émotion manifestée par des cris, gesticulations, larmes, ne peut être une émotion banale.
7Charles Biétry responsable dès sa création du service des sports de Canal +, en fit l’élément de réussite de la première chaîne à péage. Selon ses dires sa stratégie reposait sur l’analyse que le téléspectateur était prêt à payer à condition de trouver ce qu’il recherchait, l’émotion. Il partait du principe que la télévision ne pouvait pas lui faire revivre l’intégralité de l’émotion vécue par le spectateur dans les tribunes, surtout lorsque l’on filme en plans larges avec une caméra positionnée en hauteur comme cela était le cas jusqu’alors. Il fallait donc trouver des solutions pour aller capter l’émotion dans ses moindres détails. Le problème fut résolu par l’utilisation de plusieurs caméras pour filmer l’action (au départ 7, aujourd’hui 21) et de consultants sportifs renommés n’ayant plus le discours traditionnel techniciste des premiers consultants télé mais une analyse des intentions et du ressenti des joueurs grâce à leur vécu personnel d’athlètes de haut niveau.
8La technique de Canal + consiste à s’appuyer sur les réactions du consultant pour caler un ralenti et repasser l’action. Exemple, lorsque Jean-Claude Bouttier, sur une attaque d’un boxeur fait « ouch ! », immédiatement les techniciens repassent le ralenti car le coup, c’est sûr, vient de faire mal.
9La réussite de Canal +, dont la qualité de la retransmission des événements sportifs est un élément fondateur, montre qu’il n’y a pas eu d’erreurs sur les attentes de la clientèle.
10Approfondissons avec Bernard Jeu le contenu de cette émotion.
11Tout d’abord il est intéressant de noter que le mot « sport » évoque volontiers un moment d’émotion. Lors des face-à-face politiques avec Georges Marchais on disait : ce soir, il va y avoir du sport !
12Cela signifiait que le débat serait animé. Mais il évoque évidemment une activité physique, donc un déplacement volontaire, énergétique, dans l’espace. On dira : « le médecin lui a conseillé de faire du sport », en clair pour un sédentaire, faire un peu d’exercice.
13Il faut tenir compte de ces nuances de langage révélatrices. Le sport se développe simultanément sous ces deux aspects :
le mouvement du cœur : l’émotion,
le mouvement du corps : l’exploration de l’espace.
14Bernard Jeu montre que l’émotion se développe dans trois types de situations : l’épreuve, la performance et la compétition.
L’épreuve
15C’est la première, elle n’est pas forcément compétitive. On entreprend une escalade, une traversée en solitaire. Il s’agit d’une recherche de l’exploit, (la traversée de l’Atlantique à la rame, le Tour du monde en solitaire, l’ascension d’un sommet mythique...).
16C’est la « descente aux enfers » dont on revient régénéré.
17Il existe deux films célèbres qui illustrent ce propos : « Papi pôle » qui retrace la montée de Jean-Louis Etienne au Pôle Nord en solitaire et « La traversée du Ténéré à pied » par Bernard Giroux. Tous les deux, dans leur aventure solitaire, ont régulièrement manifesté par des crises de larmes le paroxysme de leurs émotions, que ce soit de joie ou de peine, et ont affirmé être ressortis grandis de cette épreuve.
18Le terme « d’enfer » est passé dans le langage courant : Les pavés de Paris-Roubaix : « l’Enfer du Nord », etc.
19Or l’exploit, c’est le risque. Par rapport à la vie banale, prosaïque et quotidienne, il permet d’accéder au domaine merveilleux de « l’extra - ordinaire », au sens littéral du terme ce qui est en dehors de l’ordinaire.
20Tous les pratiquants d’activités physiques et sportives trouveront dans leurs souvenirs des exemples d’épreuves (ski hors piste, planche à voile par vent fort, etc.). Même au niveau du loisir sportif, chacun a vécu ce type d’émotion :
un plongeon de trois mètres pour la première fois,
un départ en rappel en escalade,
une forte rupture de pente en ski, etc.
21avec comme résultat, ce pincement intérieur, le plaisir d’avoir vaincu cette appréhension, et la sensation d’être plus grand et plus fort. On en ressort « grandi ».
22L’émotion vient de deux notions importantes
23- la sensation de prise de risque, par le pratiquant, dépend du vécu de l’individu, même s’il n’y a pas risque réel. C’est le fondement de la consommation des prestations de loisirs sportifs de type « épreuve » : paradoxalement, le client veut vivre cette émotion mais en toute sécurité donc il prend un guide pour faire une course en montagne.
24La prise de risque donc l’épreuve est provoquée par la confrontation d’un individu à un milieu hostile. Par exemple, lorsque l’on passe les « épreuves » du Bac on ressent une émotion due au fait que l’on considère les examinateurs comme des gens hostiles qui vont chercher à nous faire échouer. Le prestataire de service doit donc créer un « milieu » hostile pour son client, en préservant son intégrité physique.
25- l’extra ordinaire, au sens où le vécu est totalement différent de ce que l’on a l’habitude de vivre. On peut très bien vivre l’extra ordinaire à proximité de chez soi. Il n’est pas nécessaire d’aller au fin fond de l’Amazonie !...
26Il est à noter que l’épreuve est une situation de recherche de ses limites : « Est-ce que je suis capable de... ? »
La performance
27Situation où l’on recule ses limites. On amène le possible aux confins de l’impossible. Plus vite, plus fort, plus haut. On raccourcit le temps, on élargit l’espace, on a prise sur eux : le record en athlétisme, le drive au golf, etc. Là aussi nous avons tous des expériences personnelles. Le fait de progresser, de faire mieux engendre toujours la satisfaction. Nous ne connaissons pas d’exception à cette règle.
28L’épreuve étant la recherche de ses limites, la performance, c’est repousser ses limites, et en aucun cas les dépasser comme cela est souvent dit.
La compétition
29L’émotion atteint son paroxysme lors de la compétition car elle réunit toutes les composantes de l’émotion.
30On est en situation d’épreuve car le milieu est hostile dans la mesure où les autres veulent aussi gagner donc nous faire perdre.
31Pour battre l’autre, il y a de fortes chances que l’on soit obligé de donner notre maximum donc d’accomplir une performance.
32Mais l’essentiel est la mise en face à face. La confrontation d’individus c’est le moment précis où l’on bascule de l’égalité des chances vers l’inégalité du résultat. Pour preuve l’expression « et maintenant, que le meilleur gagne ».
33Pour vivre des émotions dans la compétition, il faut qu’au départ il y ait égalité des chances, que chacun des protagonistes pense pouvoir gagner. Si on a la certitude d’une domination écrasante cela n’a plus d’intérêt pour personne, il n’y a plus d’émotion. Tous les sports respectent ce principe : les divisions en sports collectifs, les séries du 100 mètres aux Jeux olympiques visant à éliminer les gens qui ne sont pas au niveau pour la finale, les catégories en boxe etc.
34S’il y a inégalité des chances, pour la rétablir on crée un handicap, (exemple du golf).
35Cette égalité des chances étant obtenue il faut absolument qu’il y ait inégalité du résultat c’est-à-dire qu’il y ait un vainqueur et un vaincu.
36En effet, en cas d’égalité du résultat, il n’y a plus d’émotion et le match est décrété nul. Cela ne veut pas dire que le score soit de zéro à zéro. Toutes les fédérations sportives on adapté leur réglement pour départager les ex aequo afin qu’il n’y ait qu’un seul gagnant (but en or, tir au but. Sur 100 m on fait recourir la course).
37L’égalité est tolérée lorsqu’elle n’affecte pas la première place. Il peut y avoir des seconds, des troisièmes ex aequo, cela n’a pas d’importance.
38ou c’est un résultat intermédaire (match nul dans le championnat de football, mais il n’y a qu’un seul champion de France)
39ou alors les organisateurs n’ont rien compris à l’essence du sport.
40À ce sujet, on peut remarquer que les sports dits non médiatiques, ou qui passent rarement à la télévision, sont ceux où le spectateur ne peut pas, en temps réel, vivre l’évolution du rapport de force, le passage de l’égalité des chances à l’inégalité du résultat. Ainsi, en athlétisme l’essentiel des retransmissions télévisées porte sur les courses car l’on peut voir évoluer le rapport de force (le coureur de tête repoussant les assauts de ses concurrents tandis que les coureurs distancés essaient de rattraper le peloton des leaders). En revanche, les concours de sauts et de lancers lassent rapidement le téléspectateur. S’il peut apprécier l’échec ou la réussite du sauteur, le public, sur le stade ou devant son téléviseur, n’a aucune information relative au rapport de force. Alors que l’athlète, lui, sait parfaitement l’incidence qu’aura le résultat de sa tentative sur son classement. Lui seul vit des émotions.
L’espace
41L’espace dans lequel se déroule l’activité sportive participe à l’émotion.
42Tout se passe comme si l’espace était organisé de manière à procurer le maximum d’émotion. Rien n’existe en dehors de lui, le réel est alors oublié :
interview de Pierre Quinon, champion olympique de saut à la perche à Los Angeles : « La joie ne dure que dix minutes. Ensuite, il faut redescendre sur terre. Il est difficile de revenir à la réalité, d’être un simple mortel, devant lequel les portes ne s’ouvrent plus toutes seules »,
les médias, là aussi, savent utiliser ce principe ; pour preuve les prises de vue de l’entrée sur le stade, on plonge dans l’irréel ; images des joueurs vus du couloir d’accès au stade (football, rugby, tennis, etc.).
43Il convient d’analyser la structure de ce lieu sacré promu brusquement au rang d’instant éternel. Il existe des dimensions caractéristiques de l’espace sportif : la verticale, l’horizontale, les espaces qui se côtoient (couloirs de 100 m), se séparent (tennis), se referment (golf), s’interpénétrent (football).
44Définition du sport par Bernard Jeu : « création collective, instinctive, continue, dynamique grandiose de l’imaginaire, le sport traverse avec assurance l’histoire des peuples et n’a pas été inventé, au cours des siècles, sur décision des princes ou recommandation des philosophes. Il est vivant, populaire, spontané. Il est émotion. Il est passion. »
45Quelques commentaires sur cette définition : elle montre que l’activité sportive est quelque chose de vivant puisque c’est une création collective, qu’elle n’est pas programmée à l’avance et qu’elle est constante et durable. Nous reviendrons, plus tard, sur la dynamique grandiose de l’imaginaire. Cette phrase apparemment anodine est lourde de signification. Elle insiste sur le fait que l’activité physique et sportive nous vient de la nuit des temps, (la soule qui a donné le foot et le rugby) qu’elle est constitutive de l’histoire de l’homme, que c’est une création du peuple et en aucun cas de responsables (une seule exception à la règle, le basket-ball inventé par James A. Naismith, un pasteur américain qui cherchait une solution pour canaliser l’énergie d’une jeunesse urbaine turbulente ne possédant que de petits espaces pour s’oxygéner).
46L’essence même du sport est donc bien l’émotion, la passion.
47Il est à noter que si le sport est avant tout émotion, on a toujours cherché à le récupérer à des fins utilitaires (préparation à la guerre, déjà à Sparte, visées éducatives, sport à l’école). Peu de gens savent que les Jeux olympiques modernes représentent ce courant utilitaire, éducatif.
48Dans les activités physiques et sportives de loisir, là aussi plus que jamais ces deux courants sont représentés et possèdent un marché important :
le courant « des pratiques fun », concrétisé aujourd’hui par les pratiques de glisse (neige, eau, roller),
le courant du fitness.
49Chacun de ces deux courants représente un marché important, concernant souvent les mêmes personnes et semble vouloir s’opposer : « Mettez-vous en forme ! » ou « Venez prendre du plaisir ! ».
50Nous pensons que la stratégie d’avenir pour les entreprises prestataires de loisir sportif est de mener en même temps les deux finalités : « Venez vous mettre en forme en faisant du ski ! ».
2 - La dynamique des motivations des pratiquants de loisirs sportifs
51Généralement, la motivation des pratiquants est une recherche d’émotion pour se faire plaisir. Nous avons appliqué cette règle sur le terrain lors de prestations de loisir sportif depuis des années et avons constaté les faits suivants : tout individu qui entre dans un pratique sportive, le fait sur, au moins, un des trois pôles (épreuve, performance, compétition). Il n’y a pas d’exception à la règle ou alors, c’est qu’il a une vision utilitaire, par exemple faire son jogging le matin pour garder la forme.
52Certains disent qu’il y a des sports motivants et d’autres ennuyeux, comme la planche à voile et le lancer de poids, tout dépend de la manière dont l’activité est perçue. Par exemple l’aérobic, la musculation, le jogging ne sont pas présentés comme des sports. Le sport, nous l’avons vu, est une pratique culturelle et passionnelle. Nombre d’entre nous ont un souvenir impérissable des séances de « course à pied » à l’école. Rien d’étonnant à cela puisque ce n’était pas de la course à pied mais de « l’endurance ». L’endurance n’est pas un sport mais une capacité physiologique, et on ne peut confondre le sport avec le développement d’une capacité physiologique. Faisons vivre aux enfants de véritables situations de course à pied c’est-à-dire la gestion de situations de coopération, de fuite et de poursuite et nous les motiverons !
Une anecdote
Des enfants du nord de la France, en vacances sur le bord de la Méditerranée dans une colonie qui, le matin, leur proposait de 9 heures à 11 heures, des activités sportives, et de 11 heures à 12 heures, baignade à la plage ; l’encadrement était assuré par des enseignants et des étudiants d’éducation physique qui en profitaient pour mener une réflexion pédagogique sur l’enseignement des activités physiques et sportives. Dors d’un cycle athlétisme comprenant obligatoirement course, saut, lancer, un étudiant proposa pour le lancer un parcours comprenant des situations de lancer sur cibles avec engins différents. De respect des horaires pour ne pas empiéter sur le moment de la baignade amena l’animateur à stopper l’activité à 11 heures précises alors que les enfants n’avaient pas fini le parcours ; il s’en est suivi une manifestation des enfants refusant d’aller à la plage tant qu’ils n’auraient pas fini l’activité en cours. Connaissez-vous beaucoup d’enfants qui refusent d’aller à la plage pour faire du lancer de poids !
53Entré sur un pôle, le pratiquant passe, au bout d’un certain temps sur un autre pôle : pour rester dans le domaine de la course à pied, lors d’une première participation à un semi-marathon la personne sera au départ sur le pôle de l’épreuve : « Est-ce que je serai capable de tenir jusqu’au bout ? ». Puis, au bout de quelques temps, se sentant bien, il se dit : « Si je le faisais en moins de 2 heures, ce serait super ! ». Il est passé sur le pôle de la performance. Mais quelques kilomètres plus loin, il a un coup de fatigue qui l’amène à oublier les deux heures et à penser : « Pourvu que je tienne jusqu’au bout ». Il est repassé sur le pôle de l’épreuve. Quelques instants plus tard, il est doublé par un copain et pense : « Il n’est pas question que j’arrive après lui ». Il a atteint le pôle de la compétition etc. Là aussi, il n’y a pas d’exception à la règle. C’est ce que nous appelons « la dynamique des motivations ».
54L’animation de loisir sportif doit absolument maîtriser et gérer ces phénomènes et non pas les subir. Nous traiterons ce problème à la page.
55Toutes les pratiques physiques peuvent se développer sur les trois pôles : on peut faire du ski d’épreuve, de performance ou de compétition. Nous irons plus loin en disant que chaque situation peut être abordée sur les trois pôles car il est clair que la définition du pôle émotionnel est provoquée par l’attitude mentale du pratiquant :
56« Suis-je capable, vais-je réussir à » place sur le pôle de l’épreuve
57« Je vais faire mieux, je vais battre mon temps... » place sur le pôle de la performance
58« Je vais faire mieux que l’autre » place sur le pôle de la compétition.
59Comme nous l’avons signalé précédemment, les pratiques « utilitaires » ne véhiculent intrinsèquement aucune émotion. C’est le cas d’une séance d’abdominaux. Cependant, il est possible d’en introduire artificiellement en se mettant dans les trois attitudes mentales citées ci-dessus, « Suis-je capable de tenir la séance d’abdominaux ? J’en ai fait 25 la dernière fois, je vais en faire 30, je ne m’arrêterai pas avant mon voisin » et même il suffit de laisser faire la nature humaine.
Une anecdote
On part le matin faire son jogging sur un parcours santé, dans le but de courir à son rythme et d’éliminer les excès alimentaires de la veille. On court en rêvassant ce qui nous amène à un moment donné à rattraper quelqu’un qui, visiblement, court plus lentement. Apparaît alors un phénomène qui nous interpelle : la distance entre lui et nous ne se réduit plus et, par conséquent, inconsciemment on accélère pour le doubler puisque c’est comme ça que les choses devaient se passer. Le dépassement a effectivement lieu et au bout d’un moment, nous sommes surpris de sentir encore la présence de la personne derrière nous, alors que logiquement il aurait dû être distancé ! A ce moment là, consciemment cette fois-ci, on accélère pour le lâcher, et si celui-ci s’accroche s’en suivra une compétition sans merci jusqu’à ce que l’un des deux « craque » !
60Difficile donc de nous faire croire qu’il ne faut pas introduire la notion de compétition dans l’organisation des pratiques physiques et sportives de loisir. Dans la pratique informelle, l’individu, lui, s’en charge tout seul car il gère la dynamique de sa motivation.
61Nous venons de voir qu’en consommant du loisir sportif le client achète fondamentalement des émotions, c’est du plaisir ! À partir de ce postulat, nous allons analyser le contenu des fonctions du loisir sportif, l’objectif étant de maîtriser au mieux ces phénomènes de manière à proposer aux clients des prestations répondant à ces trois catégories d’attentes.
62De la même manière qu’une paire de lunettes de soleil a pour but d’empêcher l’éblouissement par le soleil et repose sur l’invention d’une technique pour interposer un écran entre la luminosité et l’œil, le loisir sportif a pour but de créer des émotions. Il repose sur une solution technique qui est un peu plus complexe que l’assemblage de verres sur une monture.
63Cette solution technique est un système constitué d’éléments en interrelation.
3 - Système de mise en œuvre des fonctions techniques des services de loisir
64Ce système est bien plus complexe que celui d’un produit ou d’un service classique, tel que la restauration ou l’hôtellerie.
65Pour procurer des émotions, il faut mettre en interrelation les éléments suivants :
Des installations sportives : les infrastructures
Des formes de pratique : les contenus
Un système de mise en relation de ces deux éléments : le système de guidage.
3.1 - Les constituants de la fonction technique des services de loisir
• Les infrastructures
66Ce sont les équipements sportifs et/ou les matériels utilisés, par le client pour sa pratique, (exemple : un terrain de golf, un court de tennis, une salle de danse, des appareils de musculation, un site d’escalade ou une piste de ski.). L’installation sportive peut donc être totalement construite artificiellement comme un gymnase et un stade, ou être un site totalement naturel comme un tracé de randonnée dans la nature : celui-ci pouvant être aussi considéré comme une infrastructure dans la mesure où l’on peut considérer que la visualisation d’un parcours est déjà un aménagement du milieu naturel. Il faut inclure dans cette catégorie le matériel d’entretien des installations sportives (tondeuses, dameuses, outils divers...), ceci est important pour le gestionnaire dans la mesure où jamais un directeur de golf n’oubliera d’acheter les tondeuses, un directeur de station de ski, des dameuses, par contre, dans d’autres structures, salles de fîtness, bases nautiques etc., ce poste n’est pas suffisamment pris en considération. Souvent, ce n’est que lorsque le matériel arrive à un niveau de dégradation empêchant la pratique que se pose le problème de son entretien avec, en définitive, un énorme manque à gagner pour l’entreprise.
• Les contenus
67Ce sont les formes de pratiques, qui procureront les émotions. Nous savons que cela consiste à permettre aux pratiquants de « s’éprouver, de performer, de se confronter ». Ces pratiques ne sont pas un simple « gigotage ». Ces contenus s’actualisent dans des situations telles que :
des situations de pratiques libres (jeu ou entraînement),
des situations d’apprentissage (leçons individuelles ou collectives, stage).
• Les guidages
68Il s’agit de la mise en relation, au sens large du terme, du pratiquant avec les infrastructures et les contenus. En effet, il ne suffit pas de créer un équipement sportif et de l’ouvrir au public pour que l’occupation se fasse : il est fondamental de créer une dynamique relationnelle.
69Traditionnellement, cette fonction de mise en relation est considérée comme accomplie dans la mesure où on met en place un accueil. Cela n’est pas faux quoique extrêmement réducteur. La fonction « accueil » permet simplement de savoir où est l’installation sportive, d’avoir les moyens d’y accéder etc. Mais cela ne crée en rien une dynamique relationnelle qui va pérenniser la pratique du client et donc lui donner systématiquement envie de revenir.
70Le système de guidage est la clé de voûte de la réussite de l’entreprise de loisir sportif et non la seule infrastructure. Bien souvent, on focalise, dans le service, sur les aspects concrets alors que c’est l’intangibilité qui est l’essence même du service. Bien sûr, sans piscine pas de natation, sans piste de ski pas de glisse, etc. Mais si l’infrastructure est une condition nécessaire, elle n’est en aucun cas suffisante. L’existence de l’infrastructure et sa qualité joueront un rôle quant à la satisfaction du client. N’oublions jamais que le client n’achète pas « un café » mais un « bon moment à passer ». Pour un moment agréable est-il suffisant de boire un « bon café » ? Nombre de golfeurs jouent sur des golfs magnifiques mais s’y ennuient copieusement.
71Le système de guidage comprend un certain nombre de fonctions indispensables :
l’accueil,
l’information,
le conseil,
« l’animation » dont le but est de gérer la dynamique relationnelle (compte tenu de son importance, elle sera traitée dans le chapitre 3).
72L’analyse du système constituant la fonction technique, passe par définition par l’analyse des éléments puis celle des interrelations entre ces éléments, (schéma 6, page 62).
3.2 - Les interactions entre les éléments de la fonction technique
• Relations infrastructures-contenus
73Elles caractérisent les influences que doivent avoir les contenus sur les infrastructures et réciproquement.
74L’espace qui doit être la clé de l’émotion et permettre simultanément la mise en œuvre des différents contenus (leçon, jeu libre), sera aménagé par conséquent, de telle manière à avoir :
une zone d’entraînement/apprentissage (exemple les practices de golf, et les parcours exécutifs) secteur qui doit être aménagé pour la pédagogie. Bien sûr, une zone de pratique libre pour que ces pratiques puissent se dérouler en même temps que les pratiques d’entraînement. Il est significatif de constater qu’il ne viendrait pas à l’idée d’un tennisman de jouer le mercredi après-midi ! Cela éviterait que, sur le parcours de golf le client soit obligé de sauter le trou numéro X parce que le Pro est en train d’y donner une leçon !
des vestiaires permettant l’avant et l’après pratique.
d’une manière générale, des infrastructures facilitant les activités prévues. Nous avons hélas, de nombreuses fois, constaté sur le terrain qu’il n’était pas souhaitable de filmer le client au caméscope s’il n’y a pas une salle de visionnement adaptée. Utiliser la télévision du club house n’est pas toujours apprécié par le client qui devient le centre d’attraction pour les autres clients.
• Relations contenus-guidages
75On trouve à ce niveau, les outils de l’évolution et de la pérennité du plaisir du client :
une méthode d’enseignement en cohérence avec les besoins du pratiquant,
une méthode de gestion de la dynamique des motivations donc de la gestion des émotions,
une méthode de gestion du projet du pratiquant et de son évolution.
76(cf. chapitre 3).
77• Relations infrastructures-guidages
78Ce sont les adaptations des infrastructures pour assurer les guidages :
le comptoir d’accueil,
le bureau « d’animation »,
les panneaux d’information,
la signalisation
79Le schéma, page 62, illustre le système de mise en œuvre des fonctions techniques du loisir sportif. Nous l’avons construit lors de notre première mission en tant que consultant. Nous avons rapidement constaté que cet outil n’était pas totalement opérationnel si on ne l’accompagnait pas systématiquement d’un processus qui lui donne la vie, c’est-à-dire, la définition des missions à réaliser pour que cela fonctionne.
3.3 - Les missions nécessaires à l’élaboration des fonctions techniques
1 – Au niveau de l’infrastructure
80Mission de maintenance consistant à conserver l’opérationnalité et la qualité des infrastructures. Cette mission est plus ou moins lourde suivant l’activité de l’entreprise. Elle demande une équipe pour un golf. Il suffit de quelques heures par semaine, dans une salle de fitness.
81Mission d’adaptation aux événements ou aux nouvelles offres de service. En effet, si nous avons constaté sur le terrain, que pratiquement jamais on n’oublie d’aménager la structure lors d’un événement majeur comme par exemple une grande compétition de golf, on oublie souvent de le faire au quotidien notamment pour répondre à une nouvelle offre de service. La Fédération de tennis l’a bien compris lorsqu’elle a proposé des balles de dureté différentes afin de réduire la vitesse des échanges pour les joueurs qui n’ont pas le niveau de réaction et d’habileté des no l mondiaux.
2 - Au niveau des contenus
82Nécessité d’assurer une mission de définition de la programmation des activités, de décliner l’offre de services adaptée aux cibles de clientèle, et d’optimiser la flexibilité du service.
83Mission d’élaboration du planning annuel devant assurer la gestion de la dynamique des motivations. Ce planning étant en lui-même un véritable processus, non un tableau dont il faut simplement chercher à remplir les cases.
3 - Au niveau des guidages
84Mission de réception du client
85Mission d’information
86Mission de gestion de la dynamique des motivations
87Mission de gestion du projet du client
4 - Au niveau des relations infrastructures/contenus
88Mission de coordination du personnel en contact avec le personnel de maintenance de manière à ce que les opérations de maintenance s’intégrent au planning sans le perturber. Cela semble une évidence. Mais nous constatons à ce niveau, des dysfonctionnements quotidiens dus à des défauts de coordination, et même parfois à son absence.
5 - Au niveau des relations contenus/guidage
89Mission de réflexion didactique sur les activités proposées : analyse et proposition de contenus d’activités adaptées aux spécificités de la clientèle. Exemple, le tennis évolutif proposé par la FFT aux joueurs de loisir.
90Mission de réflexion pédagogique : définition de la méthode de gestion de la relation personnel en contact/client.
91Ces missions fondamentales doivent être menées dans chaque entreprise. Il est illusoire de croire qu’un diplôme quelconque soit un gage de compétence dans ces deux domaines. Un diplôme est un « permis » d’enseigner, comme le permis de conduire. Son obligation n’a pas, à notre connaissance, évité forcément les morts sur route !
92(cf. formation du personnel en contact, chapitre 6).
6 - Au niveau relations guidage/infrastructures
93Mission d’adaptation des infrastructures aux besoins des guidages : aménager le milieu pour les besoins d’une animation.
94Mission d’organisation de la circulation des clients : organisation de la signalisation pour que chacun sache où se diriger.
95Mission de gestion de l’information : définition du type d’information à donner au client et gestion de la mise à jour de cette information. De nombreux responsables se plaignent que le client l’ignore. Qu’y a-t-il de plus énervant de lire des informations où se mêlent l’actualité et des nouvelles datant de deux ou trois mois ?
96Ce schéma n’a pas la prétention d’être exhaustif. Chacun continuera, à partir de sa pratique personnelle, à l’enrichir. Par contre, si une des missions citées n’est pas menée à bien nous sommes certains que l’on s’expose à des dysfonctionnements lourds de conséquences économiques pour l’entreprise.
97D’autre part, les directeurs ont parfois tendance à confondre mission et poste de travail. Si la mission est assez importante pour fournir un travail de 35 heures mensuelles on crée un poste. Et la mission est assurée. Mais si la mission n’exige que quelques heures, elle ne justifie pas un poste à temps plein, la voici souvent oubliée ou même occultée.
98C’est la différence entre les directeurs et les managers. Les directeurs définissent des postes et font exécuter, les managers définissent des missions et donnent les moyens de les accomplir.
4 - Les jonctions psychosociales des services de loisir
99Nous avons mené, à l’UFRSTAPS de Montpellier, avec la participation d’étudiants de la maîtrise Management du sport, une étude d’une dizaine d’années, sur les besoins des pratiquants de sports de loisir. L’objectif était de savoir ce qui pousse les individus des années 90 à s’investir d’une manière conséquente dans la pratique d’activités physiques et sportives.
• Que viennent chercher les pratiquants d’activités physiques et sportives
100L’étude de type qualitatif, menée sur une douzaine d’années, de 1985 à 1997 a été conduite à partir d’entretiens non directifs, portant sur les motivations et les attentes de pratiquants des APS (activités physiques et sportives) suivantes : surf, planche à voile, randonnée équestre canyoning, vélo tout terrain, parapente, escalade, surf des neiges, ski, triathlon, musculation, gymnastique d’entretien, aérobic, tonic tables, modem jazz, rock acrobatique, golf, tennis. C’està-dire pratiquement toutes les activités porteuses d’un business (B. to C.) dans le domaine du loisir sportif. Cette étude nous a fourni l’intégralité des fonctions psychosociales que le client cherche à assouvir par ses pratiques.
• Résultats de l’étude
101Notre motivation initiale était bien sûr de savoir le pourquoi profond de la pratique des APS mais surtout notre objectif était de le connaître dans chacune des activités citées. La raison ? Avoir une banque de données par pratique partant de la certitude qu’elles seraient différentes pour chaque activité. En effet, il est évident pour nous que les motivations profondes d’un snowboarder n’ont rien de commun avec celles d’un tennisman ou d’une danseuse.
102Notre surprise a été de constater que les gens venaient assouvir les mêmes besoins, quel que soit le sport pratiqué, et qu’au fil des années il n’y avait pas d’évolution de ces besoins.
103Une vérification faite récemment, en a encore apporté la preuve.
104La dimension fondamentale qui se dégage de l’analyse des entretiens est la recherche par les pratiquants de bien-être et de plaisir au travers de la satisfaction de trois grandes catégories de besoins :
une catégorie regroupant tout ce qui concerne la recherche de moyens d’équilibration,
une catégorie regroupant les demandes d’accomplissement de la personne,
une catégorie centrée sur l’hédonisme, c’est-à-dire la recherche de plaisir immédiat.
105Cette troisième catégorie nous a, au début, posé problème. En effet, en partant du principe que dans une analyse de contenu les catégories doivent être exhaustives, susceptible de recevoir tous les items, il ne doit pas y avoir de laisser pour compte. Car un item ne doit correspondre qu’à une seule catégorie.
106Après un long travail de classification en sous-catégories, assez évidentes, il ne restait plus qu’à les regrouper en grandes catégories. Rapidement se sont dégagées trois grandes catégories.
La première regroupait les sous-catégories de la recherche du plaisir en récupérant des déséquilibres provoqués par le stress de la vie quotidienne. Nous l’avons nommée la catégorie de l’équilibration.
La deuxième regroupait les sous-catégories de la recherche du plaisir par l’affirmation de soi, par le progrès. Nous l’avons nommée la catégorie de l’accomplissement.
La troisième regroupait des sous-catégories de recherche du plaisir par la recherche du plaisir ! Nous avons buté, pendant quelques temps sur ce problème car, nous ne pouvions pas répartir les items de cette catégorie dans les deux premières catégories bien qu’elles contribuent à la recherche du plaisir. Le problème a été résolu lorsque nous avons pris conscience que dans les deux premières catégories, le plaisir est par définition différé. Ce n’est qu’après plusieurs mois de musculation que j’ai le plaisir d’être plus musclé etc. et pareillement ce n’est qu’après un certain temps de jogging que je suis détendu. Alors que dans la troisième catégorie restaient tous les besoins tournant autour de la recherche du plaisir immédiat. Nous l’avons donc appelée la catégorie de l’hédonisme.
107L’affirmation que l’Homme est régi par le principe de plaisir formulé par des scientifiques de spécialités totalement différentes, Freud (psychanalyste), Laborit (biologiste), Jeu (philosophe), est confirmée par l’analyse de la demande des clients.
108Ce besoin de plaisir immédiat se comprend aisément si l’on considère que c’est une réaction contemporaine à notre culture judéo-chrétienne qui part du principe que l’espoir d’un plaisir mérité sera gagné après l’acceptation de la souffrance : « Tu enfanteras dans la douleur ».
Une anedocte
La société Dynastar présentant, en 2001 à la presse spécialisée, sa stratégie d’entreprise et ses nouveaux produits, nous avait invités à faire une conférence sur les attentes de la clientèle par rapport à la glisse. Je développais les arguments présentés ci-dessus et concluais sur la nécessité, pour les prestataires de loisirs sportifs de fournir, à leurs clients, impérativement du plaisir immédiat et notamment dans l’apprentissage des activités de glisse, La parole fut donnée à la salle. La première intervention fut celle d’un journaliste de L’Equipe : « Je m’éclate en snowboard aujourd’hui mais pour y arriver, il a fallu que j’en bave pendant pas mal de temps ». Son expérience personnelle, comme pour un grand nombre, est devenu une loi universelle.
109Pourtant, il est possible d’apprendre en se faisant plaisir ! (cf. chapitres 3 et 4)
4.1 - Catégorie de l’équilibration
110Elle regroupe tous les besoins qui permettent l’évasion. Cette catégorie comprend quatre sous-catégories.
111La pratique des activités physiques et sportives permet à l’individu de compenser les déséquilibres qu’ils soient physiques, physiologiques ou psychologiques provoqués par les contraintes de tous ordres auxquelles il est soumis. Elle débouche sur quatre types de demandes : de rupture avec le quotidien, de détente, d’aventure, de rêve. Ces thèmes se déclinent de la façon suivante :
112Le besoin de rupture avec le quotidien se caractérise par une recherche d’extraordinaire, un besoin de se centrer sur soi, un besoin d’oublier ses soucis et ne plus penser « débrancher ». Certains même prétendent utiliser les APS à forte concentration seimes capables de les empêcher de réfléchir : un surfeur avoue que lorsqu’il est sur la vague il oublie tout.
113- la demande d’extraordinaire, au sens littéral du terme « extra ordinaire », correspond bien à la volonté de rupture avec le quotidien. Le sport permet de sortir de la routine, de vivre autre chose : « une maman avoue aller deux fois par semaine, à la gym en disant « au moins pendant ce temps-là je n’ai plus les enfants et je m’occupe un peu de moi ».
114On note aussi un besoin de retour à la nature par le biais des APS de pleine nature, bien sûr puisqu’on côtoie un environnement naturel mais aussi avec les activités de fitness, de musculation et le sport en général. Il est étonnant que les pratiquants d’activités de remise en forme le justifient par un retour à la nature comme les gens du plein air : le fait d’avoir un corps musclé est un retour à « un corps naturel ». En effet, à l’époque des cavernes « aller faire ses courses au mammouth », ne permettait pas l’utilisation d’une voiture et d’un caddy mais plutôt d’une certaine force et d’une bonne endurance !
115Le besoin de détente est au sens propre du terme la libération des tensions. On est tendu, on se détend, se concrétise par l’utilisation des APS pour défouler son agressivité, gaspiller le trop plein d’énergie, se ressourcer, c’est-à-dire, se ré énergiser, « recharger les batteries ».
116Le besoin d’aventure se justifie bien par le recherche d’extraordinaire dont nous avons déjà parlé. Pour les clients, les ingrédients de l’aventure sont les suivants :
117Ignorer ce qui va arriver, sur quoi on va tomber
118Ne pas pouvoir revenir en arrière donc, impossibilité d’abandonner
119Communiquer avec la nature, se confronter à elle
120Accomplir un retour aux sources, connaître des conditions de vie précaires (à relier avec la confrontation à la nature).
121Le besoin de rêver en s’évadant des réalités quotidiennes et en faisant fonctionner son imagination.
122Cette soif de rêve est satisfaite par la représentation des « exploits » à réaliser, par le désir de retrouver un peu de sa jeunesse et, enfin, par la possibilité d’être créatif puisque le résultat de l’action est aléatoire.
123Cette déclinaison des attentes au plan de l’équilibration chez le pratiquant de loisir sportif nous semble quasi exhaustive. Il en est de même pour celle ayant trait à l’accomplissement.
4.2 - Catégorie de l’accomplissement
124Pour s’accomplir, le pratiquant formule un certain nombre de besoins que l’on regroupe en cinq catégories : besoins de communiquer, partager, s’autonormer, s’éprouver, s’affirmer.
125Le besoin de communiquer apparaît d’une manière récurente, une forte demande de convivialité. Tous les prestataires de loisir sportif évoquent la nécessité de la convivialité. Donc ce thème n’est pas une surprise. Cependant nous pouvons affirmer que très peu la pratiquent car ils considèrent qu’il suffit de regrouper les clients, sur un thème (repas, soirée dansante etc.). C’est méconnaître la demande. En effet la véritable définition de la convivialité est la suivante : « ensemble des sentiments favorables et tolérants existant entre les membres d’une société ». Favoriser la convivialité exige de créer les conditions pour que les personnes aient des rapports positifs. Qui n’a pas assisté à ce genre de réunion et a eu sa soirée gâchée par un individu qu’il n’avait absolument pas envie de côtoyer ! Créer la convivialité, contrairement aux apparences, est quelque chose d’excessivement difficile dont il faut être parfaitement conscient.
Une anecdote
Un ami, golfeur, dans un esprit loisir-détente, adhérent d’un club était obligé, comme c’est souvent le cas, de s’inscrire aux compétitions pour accéder au terrain le dimanche. Après quelques expériences négatives dans la mesure où ses partenaires n’étaient pas « conviviaux » il décida de ne plus participer aux compétitions. Il en fit part aux organisateurs qui, informés de ces raisons, lui proposèrent de lui choisir des partenaires ayant le même profil que lui : sérieux dans le jeu, capables de réaliser un bon score mais ne voulant pas « se prendre la tête » et aimant plaisanter. Le résultat fut très positif et notre ami joua régulièrement au golf le dimanche jusqu’à ce que la direction impose l’organisation des compétitions avec le logiciel informatique de la FFG. Résultat : notre ami ne joue plus au golf car l’ordinateur, lui, ne donne pas dans la convivialité ou le programmateur du logiciel n’a peut-être rien compris aux attentes des clients !
126Favoriser la convivialité consiste, par conséquent, à créer des conditions de rapports positifs entre les participants. On peut y parvenir en respectant les principes suivants :
127Réunir des gens ayant le même projet (donc les mêmes motivations) et le même profil psychologique.
128Autre item dans le besoin de communiquer : la volonté d’avoir des relations différentes de celles du travail et du quotidien. C’est-à-dire des rapports authentiques, tant il est vrai que les rapports au travail sont des rapports d’obligation, des rôles de composition.
129Troisième item, celui de la distinction : les signes extérieurs de la pratique sportive (skis sur la voiture, look vestimentaire...) permettent de faire savoir à l’extérieur que l’on fait partie de la confrérie.
130Le besoin de partager s’actualise par :
une demande d’entraide pour réussir, afin de compenser le fait que l’indifférence et la centration sur soi sont le lot quotidien,
vivre ensemble des émotions communes, situations fortes de communication, d’ailleurs le plus souvent silencieuses.
131La demande d’autonormation : le pratiquant d’un sport de loisir désire définir ses propres normes et ne pas être obligé de se plier à celles du sport traditionnel. Il souhaite développer son propre projet, respecter ses rythmes de vie, moduler ses efforts en fonction de ses envies, gérer sa condition physique, être conforme à un modèle d’esthétique corporelle.
132Le besoin de se connaître débouche sur une demande de situations où le pratiquant s’éprouvera afin de savoir jusqu’où il peut aller : se défier pour repousser ses limites, s’évaluer en se comparant ou se confrontant aux autres.
133Le besoin de s’affirmer : les clients interrogés expriment
le besoin d’utiliser leur pouvoir d’agir est satisfait dans les APS lorsque l’on accéde à la maîtrise de sa propre énergie ou à celle d’une énergie extérieure : celle d’un élément naturel (eau, vent, pesanteur, etc.) celle d’un engin (auto, moto, parapente) ou encore celle d’un animal (cheval). Ce besoin est satisfait également lorsque l’on accède à la maîtrise technique d’une APS.
le besoin de développer des pouvoirs nouveaux pousse les individus à apprendre, quel que soit leur âge, et à rechercher le contact avec les spécialistes des sports qu’ils pratiquent. Ceci explique la prolifération de revues spécialisées dans les kiosques et les maisons de la presse. Enfin, ce désir d’apprendre justifie la recherche de pratiques de groupe pour leur capacité d’émulation, notamment dans les sports individuels.
134Une demande d’affirmation de soi : le pratiquant de loisir sportif éprouve le besoin de gagner, d’être responsabilisé vis-à-vis de lui-même, mais aussi vis-à-vis des autres. Il aspire à être plus authentique, à accéder à l’autonomie dans ses pratiques physiques.
135Toutes ces demandes, si elles sont satisfaites, procurent du plaisir au pratiquant, plaisir, qui comme pour la première catégorie est un plaisir différé. On le ressent surtout après l’action. Mais, comme déjà dit, le client exige maintenant du plaisir immédiat, c’est-à-dire, du plaisir pendant l’action.
4.3 - Catégorie de l’hédonisme
136Ce n’est pas par hasard que cette catégorie est à la fois riche - les gens s’expriment fréquemment à ce sujet - mais aussi peu précise puisqu’ils parlent de leurs « sensations ».
137Cette recherche de plaisir immédiat s’effectue dans quatre directions : une demande d’hédonisme sensuel, de déséquilibres voluptueux, de surpassement de ses peurs, de sensation de liberté.
138L’hédonisme sensuel, c’est le plaisir des sens, par et dans la pratique des APS :
le plaisir de l’œil : le sport et son environnement procurent toujours de belles images ; c’est le plaisir du « photographe ;
le plaisir de l’ouïe : toute pratique possède ses bruits propres. Ils poussent à son paroxysme le plaisir ressenti par le crissement des skis sur la neige, celui de la balle de golf bien « touchée », celui de la planche à voile glissant sur l’eau par « force cinq », etc.
le plaisir olfactif : les odeurs d’embrocation dans les vestiaires, l’odeur du vent du large, les senteurs de la nature etc.
le plaisir kinesthésique du geste techniquement bien fait qui, la plupart du temps, se caractérise par un manque de sensations (c’est le « Je n’ai rien senti ») se retrouve fréquemment.
139Enfin, une demande latente, toujours exprimée indirectement :
140- le plaisir tactile : le contact physique avec les autres apparaît comme positif. À chaque fois que la pratique permet aux individus d’entrer en contact physique, on constate une meilleure ambiance dans le groupe car le contact physique est un type de communication important : le contact donne des informations sur le tonus musculaire de l’autre qui, nous le savons est directement lié à l’attitude affective. Ce contact crée obligatoirement une complicité.
141À ce sujet rappelons, l’expérience qui consistait à tester l’efficacité des animateurs d’hypermarchés (ceux qui incitent à acheter un produit par l’argumentation, dégustation d’un produit en promotion). On a constitué deux groupes d’animateurs : les animateurs traditionnels et les animateurs à qui on a demandé, dans le cadre de leur argumentaire, de se débrouiller pour toucher physiquement le client (une main sur l’épaule, sur le bras...). Résultat, le groupe qui entre en contact physique vend 20 % de plus que l’autre.
142Le contact physique est donc fondamental dans les relations humaines. Malheureusement il est tabou dans notre société judéo-chrétienne. Si l’on touche une personne du sexe opposé on est qualifié d’obsédé sexuel, une personne du même sexe on est accusé d’homosexualité.
143La pratique des activités physiques offre de multiples occasions d’entrer en contact physique qui justifient et dédramatisent la situation (jeux collectifs : entraide, parade, sécurité...).
Une anecdote
Dans notre jeunesse nous allions en vacances dans des centres de type VVF pour profiter des animations sportives, dans la journée, et culturelles le soir. Une année, participant à l’animation d’accueil de début de séjour, nous vécûmes une courte animation ponctuée de jeux étranges : « aller taper sur la tête de quelqu’un avec un journal roulé, ou participer à un relais d’équipes mixtes devant faire circuler une pomme de terre, sous le menton. Un peu ulcéré, par ce type d’animation « débile », j’en fis part à l’animateur quelques jours plus tard, alors que je le connaissais mieux. Appréciant finalement toutes ses animations, excepté celle-là, je lui demandais quels étaient les objectifs de cette première animation. Il me répondit qu’elle visait uniquement à « briser la glace » entre les nouveaux arrivants et que la solution la plus efficace pour que les gens communiquent rapidement était de les faire entrer en contact physique. Ainsi, ajouta-t-il « le lendemain, quand ils se croisent dans le centre, ils se disent bonjour ».
Il faut reconnaître qu’effectivement, nous avons vécu, cette année-là, des vacances très riches.
144La recherche de déséquilibres voluptueux est également un trait dominant des pratiques de loisir. Elle est sous-tendue par un besoin de vertige. On la retrouve dans toutes les pratiques qui consistent à jouer avec des déséquilibres, dans la mesure où nous savons que rester en équilibre est une composante fondatrice de l’être humain. On joue donc à se déséquilibrer (que faisons-nous quand on prend un ticket de manège dans une fête foraine, ou un parc d’attraction ?). Le plaisir est fonction du degré de déséquilibre des individus.
145Le besoin de vaincre ses peurs est omniprésent chez les pratiquants qui l’assouvissent dans toutes les situations où ils sont poussés à l’action. En effet, contrairement à l’angoisse qui est inhibitrice de l’action, la peur est un stimulant de l’action caractérisé par une vasoconstriction centrale et une vasodilatation périphérique, une accélération de la fréquence cardiaque et du rythme respiratoire. Ces manifestations sont exactement ce que cherche à obtenir un athlète de haut niveau s’échauffant pour accomplir une performance. Donc, les situations où les personnes ont le trac sont recherchées inconsciemment (car souvent on se dit « Mais que suis-je venu faire dans cette galère ? »). En réalité, elles rendent plus performants.
146Enfin, si nous devions retenir le besoin le plus fort, dans cette étude, nous dirions que c’est la recherche du sentiment de liberté. Quelle signification les clients donnent-ils au concept de liberté ? C’est tout simplement s’affranchir de déterminismes qui pèsent sur eux. Un déterminisme étant une contrainte que l’on ne peut supprimer qu’elle soit physique ou psychologique. Exemple, l’attraction terrestre : la pesanteur qui « nous pèse » en nous « clouant au sol » d’autant plus que l’on est nargué par les oiseaux... d’où le vieux rêve de l’homme (combien d’entre nous n’ont-ils pas rêvé plusieurs fois qu’ils volaient).
147Le déterminisme, par définition, ne se supprimant pas, peut cependant être maîtrisé. Lorsque l’on maîtrise un déterminisme on éprouve un profond sentiment de liberté. Même si ce sentiment de liberté est bref, un fraction de seconde, il justifie à lui seul des heures et des heures de pratique. Dans le parapente, on ne supprime pas la pesanteur mais on la maîtrise. On a donc l’impression de voler et on ressent un immense sentiment de liberté, de bien-être.
148Il en est de même pour les déterminismes psychologiques. Exemple, les contraintes du jeune enfant pour le couple : on ne peut pas supprimer l’enfant mais on peut le faire garder !
149Donc la solution pour créer « du sentiment de liberté » consiste, pour le prestataire de service, à permettre à son client, de maîtriser ce qui pour lui est un déterminisme.
150Ce thème de la liberté nous amène à deux remarques.
151- La première porte sur le phénomène de la glisse. Nous pouvons affirmer que ce phénomène n’est pas prêt de se tarir car glisser c’est la même chose que voler. En effet, voler c’est l’impression de ne plus être soumis à la pesanteur. Ce qui est vrai pour l’oiseau mais faux pour l’homme (en parapente, on tombe !). La glisse, elle, est une véritable maîtrise de la pesanteur. Quand on maîtrise la glisse on ne tombe pas.
152Dans le langage courant, on dit « Attention tu vas glisser ! ». Rien de jouissif là-dedans puisque glisser signifie tomber et se faire mal. Alors que la glisse c’est LE FUN parce que l’on maîtrise le déséquilibre provoqué par la pesanteur qui rend le milieu instable : on tombe sans chuter, au sens de descendre sans « se casser la figure ! », condition nécessaire pour continuer le mouvement, c’est-à-dire glisser. Glisser ou voler, même combat même liberté ! En résumé on ressent un sentiment de liberté lorsque l’on arrive à s’affranchir momentanément ou définitivement d’un déterminisme, d’une dominance.
153- La deuxième vise à souligner l’attitude des parents qui, en vacances, culpabilisent parfois à prendre du plaisir alors qu’ils ont placé leurs enfants dans une garderie. Pour lutter contre ce risque le prestataire de service doit proposer aux enfants, au lieu d’une simple garderie, un projet d’activités éducative, culturelle, et récréative. Ainsi, les parents n’auront aucune crainte à se séparer momentanément de leurs enfants, et de rechercher, sans passer pour des égoïstes, des activités qui prennent tout naturellement place dans le créneau qui s’offre à eux.
4.4 - Attitudes des pratiquants vis-à-vis des activités physiques et sportives de loisir
154À partir de cette étude, nous avons défini des attitudes générales que l’on retrouve chez tous les pratiquants. Il est souhaitable de les reconnaître rapidement afin de proposer un service adapté.
• Une attitude de rejet
155On rejette tout ce qui rappelle le quotidien, la routine, le déjà vu.
156On rejette tout ce qui rappelle les situations vécues comme désagréables et notamment celles qui ressemblent aux situations connues à l’école ou au travail.
• Une attitude de soumission
157Les pratiquants développent une attitude de soumission au Savoir, c’est-à-dire au « spécialiste ». Elle se prolonge par une soumission à l’apprentissage systématique des techniques sportives considéré comme un mal nécessaire. Mais cette soumission va à l’encontre de l’attitude suivante qui, aujourd’hui, devient primordiale.
• Une recherche du plaisir immédiat.
158Les gens veulent pratiquer l’activité pour en goûter le plaisir mais ne veulent pas apprendre puisque, par définition, apprendre c’est ennuyeux.
• Une recherche de convivialité
159On souhaite la mise en place de rapports différents avec les autres. On recherche le passage de rapports hiérarchiques ou autoritaires à ceux d’égalité.
• Une poursuite de l’extraordinaire
160Il suffit de sortir de ce qui est ordinaire. Il n’est pas nécessaire pour accéder à l’extraordinaire de participer au Paris-Dakar ou d’aller au fin fond de l’Amazonie.
161Un retour aux choses naturelles qui ne nous surprend pas. Il est concomitant du phénomène écologique.
• Une quête de nouveaux rapports au corps
162Par exemple, passage de la conception du « corps-instrument » (le corps est utilisé comme outil, instrument de travail et doit obéir, c’est le « marche ou crève ») au « corps-présenté » (le corps esthétique, l’image, la séduction) pour aboutir à celle du « corps-vécu » (utilisation du corps à des fins hédonistes).
163On constate que ces attitudes peuvent être présentes chez un même individu et, par conséquent, avoir un caractère contradictoire. Telle personne rejettera toutes démarches scolaires mais se soumettra à l’apprentissage systématique tout en recherchant le plaisir immédiat.
164Ces fonctions, dites secondaires, sont en réalité fondamentales dans les motivations du consommateur de services sportifs de loisir. Il faut donc veiller à ce que l’offre de service permette la satisfaction de ces attentes pour accéder à la qualité, seul moyen d’attirer et de fidéliser une clientèle.
165On constate que ces besoins caractérisant les fonctions psychosociales des services de loisir sportif sont des besoins pouvant être assouvis dans d’autres activités que les pratiques physiques de loisir. Cela explique que, contrairement à ce que nous pensions au début, ce sont les mêmes pour toutes les activités physiques et sportives (certains besoins étant plus faciles à assouvir suivant l’activité physique pratiquée) et qu’ils n’évoluent pas avec le temps puisque se sont les besoins profonds de l’individu. Les formes de pratiques, elles, évoluent, les besoins non.
166En fitness, on faisait naguère de l’aérobic, aujourd’hui on fait du pump et du cardio funk.
167En glisse, on faisait du ski, aujourd’hui on fait du snow board ou du ski parabolique etc.
168Les besoins sont toujours les mêmes, les moyens pour les satisfaire sont fonction des modes.
5 - Les jonctions symboliques des services de loisir sportifs
169Le sport est émotion, passion, et c’est pour accéder à cette émotion fondamentale que l’on accepte quantité de sacrifices.
170Il nous faut maintenant explorer le contenu des fonctions symboliques de la pratique sportive pour comprendre les mécanismes profonds puisque inconscients qui sont la cause d’une passion pour le sport.
171C’est Bernard Jeu, une fois encore, qui nous ouvre les pistes de réflexion.
172Les chercheurs actuels nous affirment : « C’est l’imaginaire de la pratique, semble-t-il, qui. scelle un sport à ses adeptes de la façon la plus sûre ».
173Laborit2 a montré toute l’importance de la fonction de l’imaginaire dans 1’équilibre de l’être humain.
174Bernard Jeu montre que le sport est un vaste système d’images et d’émotions fonctionnant comme des régulations de nos conduites présentes. En effet, dans le sport il y a du sacré, au sens étymologique où le sacré se réalise le plus généralement à travers un sacrifice. D’où la notion de mort symbolique dans la compétition. (D’ailleurs, dans les jeux romains, la mort n’était pas symbolique !...).
175« On peut penser que le salut, l’épuisement des angoisses du groupe (le club étant une sorte de tribu) passent par une immolation. L’adversaire devient le bouc émissaire dont on a besoin pour réaliser un sacrifice symbolique si toutefois il veut bien se laisser battre par le champion qu’on lui oppose. Notons au passage que le mot champion convient bien puisque à l’origine le champion est celui qui défend une cause dans un champs clos. Il défend ici la cause de son club et de ses supporters, leur identité profonde, leur raison d’être ! ».
176Allons plus loin encore en observant l’ordre d’importance accordé aux personnes dans les comptes rendus sportifs. Que ce soit dans le journal L’Équipe, à l’émission Stade 2 ou dans tout autre média, on parle d’abord du champion qui a gagné, puis du perdant qui a tenté sa chance et enfin du public, extérieur à la confrontation, mais qui a regardé l’épreuve. Il faudrait plutôt adopter l’ordre suivant : le groupe qui projette ses angoisses de sociabilité sur l’affrontement des champions, la victime sacrificielle qui est le vaincu indispensable, et enfin le champion sacrificateur.
177Pour René Girard3, le rite du sacrifice n’a pas cessé de jouer un rôle clé dans la lecture du sacré. La fonction de la victime n’est pas, selon lui, d’opérer une médiation entre les hommes et les dieux mais d’être porteuse de toutes les tensions internes, rancunes et violences potentielles qui existent au sein d’une communauté ; à chaque fois il s’agit de commémorer sous de multiples formes, sacrifices réels (rites vaudou) ou symboliques (le perdant).
178On ne sortira pas du stade sans qu’il y ait un vainqueur et un vaincu. Le sport ne supporte pas la nullité du résultat. Victoire et défaite sont les composantes fondamentales de l’intrigue sportive. Nous avons déjà vu que la compétition nécessitait l’inégalité du résultat. Les Anglo-Saxons font des « play-off en sudden-death » (élimination directe : élimination par mort subite cf. golf, foot américain etc.). En basket-ball les résultats nuls ne sont plus acceptés même pendant le championnat, il faut jouer les prolongations.
179Sous cet angle, on comprend mieux le phénomène « supporter ». N’oublions pas que cette fonction justifie aujourd’hui la généralisation du sport professionnel : les sommes d’argent faramineuses mises en jeu proviennent initialement des spectateurs et téléspectateurs (droits de retransmission des télévisions). Nous commençons à entrevoir l’importance de l’imaginaire et sa puissance au cœur de la réalité sportive.
180Le besoin inconscient de résoudre ses angoisses par un sacrifice symbolique est utilisé dans nos sociétés et le monde sportif, d’une manière de moins en moins symbolique, notamment dans l’organisation de combats « d’ultimate fighting » où tout est permis sauf arracher les lèvres. Le combat est à durée illimitée. Il ne cesse que par la victoire de l’un des protagonistes.
181Affinons notre analyse. Outre l’aspect relatif au sacré, Bernard Jeu montre qu’une caractéristique fondamentale de cet imaginaire est sa dimension esthétique : le sport nous raconte une belle histoire, il est beau en lui-même et par lui-même. Quelle est la nature de cette esthétique ? On peut le scinder en deux parties : l’esthétique de la communication et l’esthétique de la création.
5.1 - Esthétique de la communication
182Qu’est-ce qui est beau dans le sport ? Qu’est-ce qui nous attire et nous retient ? Trois aspects immédiats.
un aspect plastique et chorégraphique : le spectateur contemple une combinaison agréable d’attitudes et de mouvements. Ce que l’on retient, c’est l’esthétique gestuelle. Elle justifie grandement l’audience des retransmissions télévisées de patinage artistique.
un aspect éthique ou moral : c’est la sportivité qui importe dans ce cas. Il s’agit d’être beau joueur, de respecter le règlement et d’accepter la défaite. C’est la notion de « fairplay ». Ce que l’on retient, c’est la beauté du geste. Exemple, les rugbymen britanniques, disposés de chaque côte de l’entrée des vestiaires, applaudissent le retour des vainqueurs.
un aspect rationnel : ce sont les combinaisons techniques et tactiques. Il s’agit là de la beauté du coup, de la combinaison tactique. C’est le plaisir du connaisseur.
183Mais le sport est avant tout tragique. Des individus (les athlètes) dans un champ clos (le stade) prétendent s’imposer leur volonté (en un jour en un lieu, un seul fait accompli tienne jusque au bout le théâtre rempli), il y a opposition inévitable des désirs (gagner). On rencontre la violence, l’affrontement qui est parfois violent. Une « mort » doit en résulter.
184Tout cela se présente sous le mode cathartique (la catharsis est l’évacuation des pulsions). La violence est rituelle, elle observe la règle. Donc ce n’est déjà plus la violence.
185La mort est symbolique. On a perdu, on est éliminé. Le vaincu n’est pas vraiment mort, la vie lui est restituée en vue d’une compétition ultérieure (la revanche ou le match retour). On retrouve cette symbolique dans les jeux vidéo où l’on gagne des vies. Par cette symbolique, on « joue » avec la mort. Si on perd, ce n’est pas grave car on ressuscite.
186En réalité, le sport est une tragi-comédie. Même rituellement, les coups portés font mal. Certes, même symboliquement, on n’aime pas mourir. Mais la violence et la mort sont exorcisées puisqu’elles sont à la fois acceptées, niées et dépassées. Par le jeu des symboles, l’homme maîtrise ses angoisses (ne pas oublier que nous sommes les seuls êtres vivants à savoir, dès la naissance, que l’on mourra immanquablement, cela laisse des traces dans notre inconscient) et, dans le sport cette symbolique est active. Dans la tragédie théâtrale le héros est prisonnier de son destin, le rôle de l’acteur ne peut être changé (Rodrigue tuera toujours le père de Chimène). Dans le sport, le pratiquant crée à chaque instant son propre texte, le public attend de nouvelles initiatives. L’idée de liberté se substitue à celle du destin.
187D’autre part, dans l’activité sportive l’individu est investi totalement : physiquement, affectivement, intellectuellement ce qui, à notre avis, justifie son appellation de « dynamique grandiose de l’imaginaire ».
188Il est fatal que l’un des joueurs perde, mais il n’est pas fatal que ce soit l’un plutôt que l’autre. C’est la glorieuse incertitude du sport.
189Ce tragique sportif a un double prolongement :
l’institution sportive naît de son développement. On est passé du défi ponctuel qui devenait monotone aux grandes compétitions inter-villes, inter-régions, puis internationales. La création des fédérations a permis de gérer et réglementer ces événements,
l’exploit sportif ne suffit pas, il a besoin d’être célébré, amplifié. La littérature, le journalisme et la télévision s’en emparent.
5.2 - Esthétique de la création
190La création au niveau de la technique est controversée. Certains estiment que la répétitivité de l’apprentissage amène des automatismes allant à l’encontre de la créativité. Il ne faut pas voir dans les entraînements préalables les aspects négatifs et rébarbatifs, mais bien plutôt les côtés positifs tels que :
parvenir à la domination de la matière,
parvenir à la domination de soi,
parvenir à un pouvoir sur les choses et sur soi-même,
trouver un plaisir, non pas dans la facilité mais dans la reconnaissance d’un environnement familier et maîtrisé. Sinon, comment expliquer les heures passées par les athlètes de haut niveau à s’entraîner ? Elles ne sont jamais connotées péjorativement dans le secteur de la musique par exemple, où l’on ne parle jamais de « musiciens robots »,
avoir une créativité personnelle, le style : aucun pratiquant même les champions n’ont la même technique. Par contre, ils respectent les mêmes principes mais ont tous une exécution différente. Au niveau tactique, la créativité est toujours présente car une situation d’épreuve n’est jamais parfaitement identique à la situation d’entraînement.
191En conclusion nous pouvons dire, avec Bernard Jeu : « que ce recours à l’imaginaire primitif en plein cœur de la civilisation industrielle, utilitaire et fonctionnelle, est lourd d’enseignements. Il serait imprudent de réduire le phénomène sportif contemporain à une parenthèse divertissante dans les activités laborieuses. Ce n’est pas un simple défoulement. Nous y retrouvons, sans trop le savoir, les origines de la culture ».
192Nous venons de voir que le sport est une dynamique grandiose de l’imaginaire qui correspond bien à la fonction symbolique du service sportif de loisir.
193Analyser les pratiques sportives à la lumière de ces références, permet aux prestataires de services de mieux comprendre les besoins et les comportements de leurs clients et de réfléchir sur le type de services qu’ils leur offriront.
194Un exemple concret : l’analyse du golf.
6 - Voyage au sein de la passion golfique
195Le golf s’inscrit dans le champ des pratiques physiques de loisir et à ce titre nous retrouvons chez les golfeurs les mêmes motivations que chez les pratiquants d’autres sports. Le golf possède, comme chaque sport, sa spécificité. Il est un lieu privilégié de l’imaginaire sportif ce qui explique la passion des golfeurs pour leur activité.
6.1 - L’esthétique de la communication en golf
196Nous trouvons cet esthétique dans la beauté du geste. Le swing est par excellence le mouvement « complet, continu, arrondi » (définition du mouvement parfait de Demeny, un des premiers chercheurs sur la motricité humaine du début du siècle).
197En ce qui concerne la beauté du geste au sens moral, en golf on respecte l’étiquette c’est-àdire l’environnement, les adversaires, les partenaires. On est fair-play.
198La beauté tactique est la valeur du coup calculé, réfléchi et réussi, la balle atterrissant sur le green, les pièges du parcours ayant été déjoués.
6.2 - Le golf et l’émotion
199Le golf est par essence une activité de prises de risques puisque, à tout moment, les plus grands champions peuvent perdre le contrôle de la balle. On y affronte un milieu hostile à plusieurs niveaux :
hostilité du parcours parsemé de pièges (obstacles d’eau, bunker, etc.),
hostilité du règlement (si on ne joue pas son handicap, il remonte), etc.
200L’épreuve en golf est constante. La remise en cause perpétuelle ne permet aucun relâchement. Les golfeurs disent « On n’a pas droit à l’erreur, sinon la sanction est immédiate (augmentation du nombre de coups) et si l’erreur est importante, on est puni par des pénalités - il faut être humble en golf ». Il est significatif de constater que ces deux notions, l’humilité et la sanction immédiate, souvent présentes dans les discours des golfeurs, le sont également dans la pratique d’activités sportives à hauts risques telles que l’escalade en solo, le ski extrême, le deltaplane, les traversées en solitaires à la voile, etc., qui sont des activités où l’on affronte les forces de la nature, donc un milieu hostile. Dans ces cas particuliers, l’erreur risque d’entraîner la mort.
6.3 - La mort symbolique
201En golf, perdre c’est mourir symboliquement. En golf, on meurt souvent :
chaque fois que l’on ne fait pas le « par » sur un trou,
quand on joue au-dessus de son handicap,
quand on perd sa balle,
lorsque l’on est hors limites,
quand on est battu par l’adversaire.
202Donc on constate que le golf possède toutes les caractéristiques des activités très riches en émotions. Celles où l’on est systématiquement mis à l’épreuve, où la prise de risque est permanente. Mais à l’instar de certaines autres APS où la prise de risque est également maximale, on ne risque jamais sa vie au sens propre du terme, même si l’on éprouve les mêmes sensations dans l’affrontement d’un milieu hostile.
203D’autre part, bien que l’on n’ait pas le droit à l’erreur, celle-ci est fréquente en golf, et à tous les niveaux (d’où l’humilité). Cela permet de dédramatiser la portée de l’erreur. Lorsqu’un coup reconnu comme difficile est réussi, l’acte est gratifiant et vos partenaires vous disent immanquablement « good shoot ». Mais si on le rate, l’entourage reste indulgent. Jamais un golfeur, quel que soit son niveau, ne se moquera de quelqu’un qui aura manqué son coup.
204On peut donc dire qu’en golf, la réussite est très gratifiante et l’échec peu déshonorant. Ceci est tellement vrai que le golfeur, après son parcours, ne parlera que des coups ratés en imaginant le score qu’il aurait pu faire si... : « aujourd’hui j’aurais pu jouer trois points en dessous ». Jamais un golfeur ne dira « J’aurais pu jouer tant de point au-dessus car sur tel coup j’ai eu une chance terrible ». Or ces coups sont aussi très fréquents en golf.
205Quand la chance est insolente, on l’oublie vite pour annoncer fièrement « J’ai fait un trou en un ». Cependant il y a une justice car celui qui a une telle chance est puni au club house, il doit payer le champagne à tous les présents !
206On comprend mieux maintenant pourquoi le golf est une dynamique grandiose de l’imaginaire. On y vit une prise de risque permanente pour une valorisation maximale, sans remise en cause de son intégrité physique, dans un milieu qui a toutes les qualités du milieu naturel (verdure, beauté, calme, etc.) sans en avoir les défauts (éloignement, agressivité de la nature sauvage). Le golf est un milieu naturel manucuré !
207D’autre part, en golf on peut toujours imaginer progresser les fois suivantes et oublier les coups heureux immédiatement comptabilisés dans les coups normalement réussis !
6.4 - L’image du golf
208Pour toutes les raisons que nous venons d’énumérer, le golf est un défi permanent, une confrontation à ses propres limites, à une performance, donc un lieu de développement de la volonté, de la maîtrise de soi, de l’entreprise ; autant de valeurs connotées positivement dans notre société et qui deviennent des attributs du golf dont le pratiquant est paré symboliquement. Ce symbolisme est largement utilisé dans la publicité et par les sponsors.
6.5 - Le golf, lieu d’expression du MOI - JE
209Le golf est un sport qui est valorisant pour toutes les raisons exposées, mais aussi parce qu’il permet au golfeur d’être pris en considération par les autres membres du groupe.
210Tout individu éprouve le besoin de parler de lui et d’être écouté. En golf on vous demande toujours comment s’est déroulée votre partie car il est difficile d’en être témoin autrement qu’en jouant avec vous.
211Le golf permet de parler de ce que l’on a fait et de ce que l’on aime, d’où les échanges interminables, car les anecdotes sont multiples, chaque trou joué est, à lui seul, une histoire. C’est une activité qui permet de parler de soi, donc qui rend « intéressant ». Elle est gratifiante pour ceux qui le pratiquent.
212Nous pouvons dire que le golf est passionnant car il permet le développement d’un imaginaire très riche et gratifiant, l’expression d’émotions peu banales, la pratique à tous les âges et les confrontations de joueurs de niveaux différents dans des situations variées.
6.6 - La symbolique du parcours de golf
213D’autre part, ces aspects symboliques sont pris en compte par les architectes de parcours de golf. Rappelons que créer un parcours consiste à considérer le green comme une forteresse à attaquer autour de laquelle on va mettre un système de défense (obstacles d’eau, bunkers, arbres, dénivelés de terrain etc.). Ce symbolisme a été poussé au paroxysme par Desmond Muirhead lorsqu’il a créé aux États-Unis le golf de Stone Harbour.
214Pour créer ce golf, au lieu de s’adapter à la nature, il a modelé et interprété en fonction de l’idée de départ suivante : chaque trou représente une légende mythologique. Exemple le trou n °7, (le trou le plus photographié du monde) est entièrement artificiel. Il représente le mythe de Jason et de la Toison d’or, dans lequel le navire de Jason, pour récupérer la toison devait traverser un bras de mer défendu par deux énormes rochers qui se refermaient puis s’écartaient régulièrement, avec le risque d’être broyé s’il ne passait pas assez vite.
215Les deux gigantesques bunkers de part et d’autre d’un green en forme lenticulaire symbolise les mâchoires rocheuses qui menacent, l’ensemble étant situé au milieu d’un lac. Les autres trous du parcours sont pareillement justifiés par la référence aux dieux et héros de l’antiquité et ne sont pas tous aussi effrayants. Par exemple le premier trou qui est le trou de Jupiter, le défenseur des faibles, ne présente aucune difficulté particulière.
216Denys Lémery, dans un article de Golf Magazine (novembre 1988) définit ainsi le travail de l’architecte : « Muirhead a ici produit un test à la fois pénalisant, stratégique, héroïque. En prenant des références mythologiques, il a en même temps souligné résolument le caractère initiatique de 18 trous de golf, les symboles de vie, de dangers, de mort, de renaissance, de tempêtes, de moments de paix et de joie qui parcourent la vie d’un individu. »
217Ces références à des concepts mythiques ne se trouvent pas que dans le golf. On pourrait même dire qu’on les retrouve partout chez les organisateurs d’événements sportifs. On recherche une symbolique forte à l’événement. Quelques exemples :
218En montagne, des appellations significatives : l’Eiger « l’Ogre », le Linceul etc.
219En voile : l’imaginaire perd de sa force avec l’ancienneté de l’événement. On insiste donc sur l’antériorité des courses.
220On crée la Transatlantique en solitaire (découverte du Nouveau Monde)
221On ajoute de l’exotisme avec la Route du Rhum
222Puis on passe au Vendée Globe Challenge (Tour du monde)
223Puis à la Jules Verne (Tour du monde en moins de 80 jours) etc.
224En course à pied, la course mythique contemporaine est le marathon. Une légende, la mort de l’hoplite Philippidès, venu annoncer la victoire des Athéniens sur les Perses, à Marathon (490 avant J.C.) transforme une chevauchée de quelque 42 kilomètres en discipline universelle qui représente pour beaucoup l’aboutissement d’une vie sportive. Symboliquement, courir un marathon consiste bien à braver la mort.
225Ensuite on forge des marathons mythiques : le marathon de New York, la corrida de la Saint-Sylvestre à São Paulo.
226On crée d’autres compétitions événementielles : Paris-Versailles (le peuple de Paris allant chercher le roi réfugié à Versailles), les foulées du Gois, course qui consiste à relier File de Noirmoutier en dépit de la marée montante.
CONCLUSION
227Les concepts de services, de fonctions techniques, psychosociales et symboliques utilisés dans les secteurs économiques de pointe s’appliquent parfaitement au secteur des APS de loisirs.
228L’utilisation que nous en avons faite sur le terrain nous a montré que ces concepts sont des outils opérationnels pour mieux cerner la complexité du système de production du service.
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