Chapitre 7. Regard sur les glisses urbaines : le roller et le skate
p. 131-139
Texte intégral
1La passion pour le skate et le roller se confirme. Activités de ville, réalisées dans l’espace public, marquées essentiellement par leur caractère auto-organisé, elles attirent plus particulièrement la génération des moins de 30 ans, hommes et femmes, bien insérés économiquement, ayant une vie sociale intense tant du point de vue des loisirs culturels que du point de vue du sport institutionnalisé.
2Le roller et le skate, activités de glisse urbaine, s’inscrivent de manière constante et prégnante dans l’espace public depuis une vingtaine d’années. L’arrivée en France du roller en ligne, dans les années 90, a relancé la glisse sur roulettes qui était devenue une pratique essentiellement destinée aux enfants.
Le roller et le skate, des pratiques qui confirment leur vitalité
3Nées principalement de pratiques de rue, ces activités conservent leur vitalité puisqu’elles représentent aujourd’hui 2,4 millions de pratiquants de 15 ans ou plus - soit 5 % de la population. On constate même une augmentation du nombre d’adeptes par rapport aux résultats de la précédente enquête sur les pratiques sportives des Français qui faisait état de 1,5 million de pratiquants de 15 à 75 ans en 2000. De même, entre 2000 et 2003, le nombre de licences délivrées par la Fédération française de roller-skating a progressé de 10 %, passant d’environ 38 500 à 42 400.
4Ce phénomène de renforcement des activités de glisse urbaine est à mettre en relation avec deux facteurs : la diversité des modalités de pratique (voir encadré) et l’accessibilité des espaces de mise en scène des activités de glisse urbaine.
5La diversité des modalités de pratique favorise en effet un recrutement hétérogène des adeptes. Même si le skate attire davantage les adolescents (voir Les adolescents et le sport, 2004), le roller touche un public plus large allant de 15 à 45 ans. Par ailleurs, l’accessibilité des espaces de pratique semble être un aspect prépondérant et spécifique. La pratique ne nécessite pas forcément d’équipements sportifs spécialisés en dehors des skate-parcs. Les voies vertes, les voies de bus, les places, le mobilier urbain et parfois la rue, lors des rassemblements associatifs, servent de lieux de pratique accessibles à tout moment. Cette gratuité et disponibilité des espaces publics comme espaces récréatifs jouent un rôle prépondérant dans l’évolution du nombre d’adeptes des pratiques de glisse urbaines. Par conséquent, ces activités confirment leur visibilité et donc leur présence dans l’espace public urbain essentiellement en tant que pratique physique et sportive auto-organisée, « alternative ».
Encadré : Typologie des manières de pratiquer la glisse urbaine
- L'agressif ou l'acrobatique concerne aussi bien le roller que le skate et regroupe le saut, le slalom, le « Street », la rampe, la danse.
- Le mode déambulatoire (skate et roller) : apparentée à une activité de déplacement dans l'espace public, cette pratique se manifeste aussi bien en groupe - familial ou amical - que solitairement. Elle a deux objectifs principaux : le loisir sous la forme de pratique sportive récréative ou l'utilitaire sous la forme d'un moyen de déplacement.
- Le roller comme sport collectif, dans lequel on distingue le street-hockey dérivé du hockey qui est plutôt une pratique auto-organisée et le rink-hockey qui est une activité davantage institutionnalisée.
-Le roller « tout terrain » : une pratique de nature qui se déroule dans les régions montagneuses.
Des pratiquants bien insérés socialement
6La pratique du roller et du skate est surtout répandue parmi les étudiants, les lycéens, les cadres et les professions intellectuelles supérieures, et les professions intermédiaires (tableau 1). Au regard des autres pratiquants sportifs, les amateurs de roller et de skate sont donc plutôt bien insérés professionnellement, ce qui confirme les résultats des précédentes enquêtes. Dans le détail, les pratiquantes de roller et de skate exercent plus souvent une profession intermédiaire que les autres sportives (20 % contre 17 %) tandis que les cadres et professions intellectuelles sont surreprésentés parmi les pratiquants (23 % contre 13 % dans l’ensemble des pratiquants).
7Plus généralement, six pratiquants sur dix travaillent (65 % parmi les hommes et 56 % parmi les femmes) et près de quatre sur dix sont étudiants (respectivement 34 % et 39 %). Les retraités et les autres inactifs sont absents de ces activités que l’on pratique rarement après 45 ans. Cela indique bien que le roller et le skate sont des pratiques sportives de personnes bien insérées, ou de jeunes. Cette bonne insertion professionnelle est confirmée par un niveau de diplôme plus élevé encore que le reste des pratiquants : en dehors des étudiants, 36 % des pratiquants sont titulaires d’un diplôme du supérieur contre 25 % des autres sportifs.
Tableau 1 - Taux de pratique du roller et du skate. En %
hommes | femmes | Ensemble | |
Situation professionnelle | |||
Cadre | 12 | 8 | 10 |
Profession intermédiaire | 6 | 4 | 7 |
Employé | 7 | 3 | 4 |
Autre actif | 4 | 3 | 4 |
Etudiant | 18 | 16 | 17 |
Retraité ou autre inactif | < 1 | < 1 | < 1 |
Age | |||
15 à 19 ans | 18 | 16 | 17 |
20 à 29 ans | 12 | 10 | 11 |
30 à 39 ans | 7 | 5 | 6 |
40 ans ou plus | 2 | 1 | 2 |
Niveau de vie | |||
1er quartile | 5 | 5 | 4 |
2ème quartile | 4 | 4 | 4 |
3ème quartile | 5 | 6 | 3 |
4ème quartile | 7 | 8 | 7 |
Niveau de diplôme | |||
Aucun ou CEP | 0 | 1 | 0 |
Inférieur au bac | 4 | 3 | 3 |
Bac ou plus | 10 | 7 | 9 |
Lycéens, étudiants | 18 | 16 | 17 |
Ensemble | 6 | 4 | 5 |
8Toutefois, on peut se demander si certains comportements n’ont pas tendance à se modifier. D’une part, quelques associations de roller, notamment sur la région parisienne, constatent aujourd’hui une augmentation des adhérents de plus de trente ans alors que dans le même temps, la population jeune tend à stagner. D’autre part, on peut émettre l’hypothèse de l’existence d’une certaine forme de « carrière » possible en roller grâce à la diversité des modalités de pratiques. Même s’il est encore trop tôt dans l’histoire des pratiquants de roller pour évoquer l’idée qu’un jeune va d’abord s’engager dans une pratique agressive, devenir progressivement un pratiquant qui participe à des rassemblements collectifs, voir ensuite un usager quotidien ; ce schéma ne semble pas impossible et à terme peut modifier la structure de l’activité.
Une pratique mixte, mais selon des modes différents
9Si la mixité des pratiques de glisse urbaine est confirmée avec 55 % d’hommes pour 45 % de femmes parmi les adeptes de roller et de skate, les femmes ont néanmoins une pratique moins régulière que les hommes : 22 % d’entre elles font du roller ou du skate régulièrement tout au long de l’année, contre 29 % des hommes. Elles sont par conséquent plus nombreuses à en faire de temps en temps ou seulement pendant les vacances (tableau 2).
Tableau 2 - Période de pratique du roller et du skate par sexe. En %
Régulièrement | De temps en temps | Pendant les vacances, à certaines périodes | Total | |
Hommes | 29 | 37 | 35 | 100 |
Femmes | 22 | 41 | 37 | 100 |
Ensemble | 25 | 39 | 36 | 100 |
10Chez les hommes, les pratiquants les plus assidus ont surtout entre 15 et 29 ans. Chez les femmes, ce sont les plus jeunes et les plus de 30 ans, les 20 à 29 ans pratiquant moins régulièrement. Ce phénomène s’observe également dans d’autres activités physiques et sportives (vélo, randonnée en montagne, tennis de table, badminton, squash) ainsi qu’au niveau de la pratique sportive en général. Il illustre la rupture qui affecte le rythme de vie des femmes au moment où elles entrent dans la vie active et où elles entament parfois une vie familiale - changements de situation qui ont en revanche peu d’incidences sur l’engagement sportif des hommes dans le sens où leurs pratiques de loisirs se trouvent peu modifiées voire restent inscrites dans une certaine continuité. On aurait pu penser que, si ces comportements jouent sur les pratiques institutionnalisées, il n’en serait pas de même pour les pratiques auto-organisées. Mais ce n’est pas le cas, pour les femmes la « déstabilisation » du rythme de vie se ressent également pour ce type de pratiques. En revanche, contrairement aux idées reçues, les femmes au foyer n’ont pas une pratique plus régulière que celles qui travaillent (voir chapitre 3).
Une complémentarité avec les pratiques licenciées
11Les pratiquants de roller et de skate sont plus engagés que les autres sportifs dans des pratiques institutionnalisées. En particulier, 32 % d’entre eux sont licenciés, contre 21 % des pratiquants. Cela provient notamment du fait qu’ils sont plutôt jeunes et bien insérés socialement, facteurs qui favorisent l’adhésion au sport institutionnel. Ils détiennent une licence dans les activités qui comptent généralement le plus de licenciés : le tennis, le football, les arts martiaux, la gymnastique. Ils sont cependant sous-représentés en football et en gymnastique.
12Par contre, d’autres activités telles que la randonnée pédestre ou en montagne, l’escalade, la voile, la planche à voile et les sports nautiques (surf, canoë) sont davantage investies par les pratiquants de roller et de skate que par les autres pratiquants. Il existe en effet des phénomènes d’attirance entre les adeptes de roller et de skate et d’autres activités dites de glisse (glisse nature, ski, glisse sur glace). Des liens affinitaires ont été établis, chez les adolescents par exemple, entre les pratiquants de glisse nature (bodyboard, planche à voile, snowboard, surf etc.) et ceux de glisse urbaine. On retrouve donc ici la confirmation de l’évolution de l’attitude des pratiquants de glisse : bien que rarement licenciés pour le roller ou le skate, les pratiquants de glisse urbaine ne rejettent toutefois pas la pratique licenciée d’autres sports mais recherchent une complémentarité entre différentes manières de réaliser des activités sportives.
Faire du roller un moyen de déplacement
13Si le roller est une pratique de loisir, il est aussi un moyen de transport et cela d’autant plus facilement depuis l’apparition de rollers avec roues démontables. Cette souplesse technique permet de l’utiliser en combinaison avec le bus ou le métro. Cependant, bien qu’il soit devenu, pour certains, le complice de la vie urbaine, ce type de déplacement reste encore confidentiel, d’autant plus que solliciter ce mode de transport implique d’être un « glisseur urbain » expérimenté.
14De plus, cet usage utilitaire est à mettre en perspective avec les lieux d’habitation, le temps de trajet à réaliser et les espaces disponibles pour effectuer cette mobilité. Les Franciliens semblent plus concernés que les autres Français par l’usage du vélo et du roller comme moyen de transport. On peut supposer que l’évolution du maillage des espaces de déplacements, pistes cyclables, voies vertes, voies protégées en constante progression d’aménagement dans cette région est un facteur non négligeable qui facilite le développement de ces déplacements « doux »1.
Pratiques de glisse urbaine et pratiques culturelles
15Bien insérés socialement, plus diplômés et plus jeunes que le reste de la population, les pratiquants de roller et de skate ont des activités et des sorties culturelles beaucoup plus nombreuses que les autres pratiquants (tableau 3). Leur intérêt n’est cependant pas seulement le fait de leur profil social. Ainsi, il apparaît que les glisseurs urbains ont plus tendance que les autres sportifs, du même âge par exemple, à aller au cinéma, à visiter des monuments historiques, des musées ou des expositions, à écouter de la musique tous les jours, à lire la presse nationale ou des livres.
Tableau 3 - Activités culturelles des pratiquants de glisse urbaine. En %
Activités artistiques et culturelles | Pratiquants de roller ou de skate | Autres pratiquants |
Lire un quotidien national régulièrement ou de temps en temps | 30 | 22 |
Lire un livre | 86 | 76 |
Cinéma | 93 | 64 |
Théâtre | 29 | 19 |
Danse | 24 | 15 |
Comédie musicale | 26 | 16 |
Concert | 42 | 31 |
Ecouter de la musique tous les jours ou presque | 65 | 47 |
Chansons ou variétés internationales | 63 | 55 |
Chansons ou variétés françaises | 55 | 37 |
Musiques du monde (reggae, salsa...) ou régionales | 37 | 25 |
Techno, musiques électroniques | 15 | 10 |
Rock | 35 | 20 |
Rap | 15 | 9 |
Musique classique, opéra | 11 | 23 |
16Comme le reste des pratiquants, leurs goûts musicaux portent sur la chanson française, la variété internationale et les musiques du monde. S’ils écoutent plus le rap ou la techno c’est en raison de leur âge. En revanche, ils écoutent plus souvent du rock, des musiques du monde et moins souvent de la musique classique que les autres sportifs du même âge et du même milieu social.
Conclusion
17Les activités de glisse urbaine ne s’inscrivent pas dans la représentation traditionnelle de l’activité physique et sportive, à savoir un engagement physique régulier et institutionnalisé. Leur pratique relève davantage de la spontanéité puisqu’elle peut être réalisée à tout moment dans l’espace public. Cependant, selon le type d’expression choisie les « glisseurs » opteront ou non pour d’éventuelles rencontres, d’éventuels rende2-vous comme celui des randonnées nocturnes du vendredi soir à Paris.
18Si l’activité en elle-même est caractérisée par son caractère autoorganisé, l’engagement licencié des pratiquants existe bien mais repose principalement sur d’autres activités sportives (sports collectifs, arts martiaux, tennis...). Les pratiquants de glisse urbaine possèdent ainsi un portefeuille d’activités sportives bien garni, dans le domaine sportif comme en matière de pratiques culturelles.
19Ainsi, la situation sociale des glisseurs urbains, généralement élevée, favorise les expériences sportives et culturelles même s’il existe quelques différences entre les hommes et les femmes.
Notes de bas de page
1 Déplacements doux dans le sens de non motorisés, silencieux et non polluants (vélo, roller, trottinette).
Auteurs
Laboratoire de sociologie du sport, Institut national du Sport et de l'Éducation physique
Laboratoire de sociologie du sport, Institut national du Sport et de l'Éducation physique
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Pékin 2008
Regards croisés sur la performance sportive olympique et paralympique
Institut national du sport et de l'éducation physique (dir.)
2008
La pratique des activités physiques et sportives en France
Enquête 2003 – Ministère de la Jeunesse, des Sports et de la Vie associative Ministère de la Culture et de la Communication, Insee
Hervé Canneva (dir.)
2005
Les pratiques sportives en France
Enquête 2000
Ministère de la Jeunesse des Sports et de la Vie associative, Institut national du sport et de l'éducation physique, Patrick Mignon et al. (dir.)
2002
Données et études statistiques : jeunesse, sports et vie associative
Recueil des travaux et publications de la Mission statistique de 1999 à 2004
Sandrine Bouffin, Myriam Claval et Hervé Savy (dir.)
2006