Bilan des performances à Pékin
p. 260-263
Texte intégral
LA PLACE DE LA FRANCE
1Avec un total de quarante médailles, la France termine les jeux de Pékin au dixième rang des nations. Mais que représentent cette dixième place et ces quarante médailles, si nous les mettons en corrélation avec l’évolution des Jeux olympiques ?
2En examinant la progression du classement français au cours de ce siècle, on constate que la dixième place acquise à Pékin est loin d’être notre meilleure performance. Néanmoins, ce résultat se situe à un niveau convenable, au vu des prestations antérieures, et nous permet de rester dans le top 10 mondial (figure 1), réintégré depuis près de vingt ans.
3Durant les Jeux, la moisson des tricolores a été l’une des plus prolifiques de l’histoire du sport français. Il faut en effet remonter aux Jeux d’Anvers de 1920, et surtout à ceux de Paris, en 1900, pour trouver plus grande réussite. Quelle appréciation peut-on alors porter sur cette dixième place de la France ?
4Tout d’abord, il faut noter que le nombre d’épreuves est en constante augmentation : de 1896 à nos jours, ce nombre a été multiplié par six, passant de quarante-neuf à trois cents. Pour avoir une idée plus précise de ce que symbolise la moisson de Pékin, il est donc plus judicieux d’analyser le pourcentage de médailles récoltées. On observe alors que la proportion des récompenses françaises se stabilise, à partir de 1992, autour d’une valeur de 4 % (figure 2), confirmée à Pékin.
5La dixième place au tableau des médailles s’explique par le déficit de premières places : malgré le maintien des performances globales depuis vingt ans, le pourcentage de médailles d’or est, quant à lui, en baisse depuis douze ans, passant de 6 à 2 %, valeur des années soixante-dix et quatre-vingt.
ANALYSE GLOBALE DES PERFORMANCES
6Comme prévu, la natation s’est largement distinguée dans la course au citius, avec un total de vingt-deux épreuves qui voient leurs records progresser (sur un total de trente et une nouvelles marques établies aux Jeux), l’ensemble de la natation avançant de 0,4 %.
ATHLETISME
7L’athlétisme se trouve en pleine stagnation, avec seulement cinq records du monde améliorés sur quarante-sept épreuves (figure 3) et les performances des champions olympiques se situant, en moyenne, à 3,3 % sous les valeurs des records. Cette différence entre les deux disciplines s’explique par l’apport technologique des combinaisons, autorisées en natation depuis Sydney. Il est important de noter que les performances olympiques féminines d’athlétisme sont encore plus éloignées de leurs records (- 3,8 %) que celles des hommes (- 2,9 %).
8La courbe des dix meilleures performeuses annuelles au lancer du disque féminin illustre parfaitement la régression de cette épreuve depuis les performances maximales des années quatre-vingt (figure 4).
9Les lancers sont d’ailleurs les plus distants de leurs valeurs record, établis il y a vingt ans : - 7 %. Les sauts et les courses de fond sont à - 3 %. En raison des trois records d’Usain Bolt, le sprint n’est en retard « que » de - 1,5 % sur ses valeurs maximales, enregistrées en moyenne depuis 1996 (figure 5).
Figure 1 : Classement français au cours du siècle, le plus mauvais est établi en 1960 (25e) et le meilleur en 1900 (1er)
Figure 2 : Évolution séculaire des médaillés français (pourcentage de médailles remportées) et des médaillés d’or
Figure 3 : Performances établies à Pékin : augmentation moyenne de +0,4 % pour la natation avec 22 épreuves améliorées par des records du monde ; l’athlétisme reste à -3,3 % de ses records, avec 5 nouvelles marques seulement sur 47 épreuves.
Figure 4 : Progression séculaire des performances réalisées par les 10 meilleures lanceuses de disque depuis 1920
Figure 5 : Écart des performances réalisées par les champions olympiques d’athlétisme à Pékin par rapport aux records du monde
NATATION
10Dès mars 2008, l’apport chronométrique de la nouvelle combinaison était estimé entre 1 et 2 %. Cette première étude de l’IRMES montrait aussi un bénéfice majeur sur les courtes distances et dans les nages « profilées » (nage libre et dos). Les finalistes du Cube d’eau ont confirmé ces résultats, avec des gains moyens de 1,7 % sur 50 m, de 0,9 % sur 100 m et de 0,4 % sur 400 m, et une absence de progrès sur 1500 m (figure 6). Pour des distances comparables (moyenne des gains sur 100 m et 200 m), les marges de progression furent de 0,9 % en nage libre ; 0,8 % en dos ; 0,3 % en brasse et 0,2 % en papillon (figure 7).
11Par ailleurs, et comme annoncé, les podiums, titres et records sont décrochés, dans des proportions pharamineuses, par des nageurs qui présentent quasiment tous ce facteur commun (figure 8). Il faut bien concevoir que, sans cette tenue, l’ordre aurait été probablement similaire : Alain Bernard, vainqueur du 100 m, et Michael Phelps, recordman du nombre de titres. Mais les temps, les records et, donc, la couverture médiatique auraient été nettement plus faibles. De fait, sans cette innovation technologique introduite depuis dix ans, la natation serait, comme l’athlétisme, en stagnation et les JO se verraient amputés des deux tiers de leurs records du monde depuis 2000 (figure 9).
Figure 6 : Progression des records du monde de natation en fonction de la distance
Figure 7 : Progression des records du monde par type de nage sur 100 et 200 m
Figure 8 : Impact de la combinaison de deuxième génération sur les podiums de natation à Pékin
Figure 9 : Nombre de records du monde battus aux JO (en noir). Impact des combinaisons : nombre de records restant, une fois soustraits ceux établis dans ces tenues (en rouge, écart apparaissant depuis Sydney)
PERFORMANCES INDIVIDUELLES
12Dans la continuité de ses travaux, l’IRMES met actuellement en place des outils d’analyse de la performance individuelle. Ces modélisations des progrès physiologiques durant la carrière permettront, à terme, de caractériser la cohérence de progression des athlètes. Fidèles au cycle physiologique de croissance/décroissance (VO2 et efficacité des mécanismes contractiles à l’échelon cellulaire et moléculaire), tous les athlètes, du 100 m au marathon, présentent un pic de progression situé entre 20 et 30 ans (figure 10), à quelques exceptions étonnantes près (Jarmila Kratochvìlova, recordwoman du monde du 800 m féminin en 1983, à l’âge de 32 ans et demi).
13Par contre, une athlète comme Shelly-Ann Fraser, sur le 100 m féminin, présente une progression très atypique : sa courbe ne se calque sur aucun modèle physiologique par rapport aux cent cinq autres athlètes appartenant aux dix meilleures mondiales depuis vingt ans. On retrouve là l’exemple d’une sportive dont la progression n’est pas cohérente (figure 11), passant brutalement du 95e au 5e percentile.
14Dans un autre registre, les courbes du 110 m haies établies avant Pékin montraient que Dayron Robles n’avait pas encore atteint son pic de performance, alors que Liu Xiang était en phase de décroissance depuis deux ans (figure 12). Compte tenu des contraintes qui pesaient sur lui, il est possible que, pour tenter de compenser cette perte naturelle de puissance, il ait rencontré des conditions propices à sa blessure.
15Enfin, sur le 100 m, avec un temps de 9,69 secondes, Usain Boit reste proche des estimations et de la courbe de modélisation du record du 100 m, incluant ses intervalles de confiance, de 10 centièmes de seconde (figure 13).
16Sur 200 m, la marque de 19,30 secondes, obtenue au maximum de ses capacités (par rapport au temps de Michael Johnson, il gagne 2 centièmes en douze ans, alors qu’il ne relâche pas son effort, « cassant », comme rarement, sur la ligne...), est encore à 30 centièmes du temps asymptotique de cette épreuve (figure 14). Sur ces deux courses, Usain Bolt respecte et valide les intervalles de confiance statistiques.
17En revanche, il est intéressant de constater une tendance récente, sur cette course, qui va à l’encontre de l’évolution des performances au cours du XXe siècle. L’analyse séculaire montre en effet une réduction, chaque année, de la dispersion des chronos parmi les dix meilleurs coureurs. Autrement dit, depuis cent ans, les meilleures performances se rapprochent de plus en plus les unes des autres, illustrant une certaine maturité de l’athlétisme, où chacun bénéficie de conditions assez similaires d’entraînement et de préparation malgré une compétition toujours plus rude.
18Or, sur le 200 m, avec Johnson et Bolt, la distance entre le premier et les neuf autres ne cesse de croître (figure 15). Une des clés expliquant le succès d’Usain Bolt est sa taille hors normes parmi les sprinteurs. Avec 1,96 mètre, il est en effet le plus grand des recordmans de l’histoire du sprint (figure 16). Ce que l’on aurait pu prendre pour un préjudice en vélocité tourne à son avantage, car il dispose de la puissance musculaire nécessaire pour exploiter son gabarit à son potentiel maximum.
19Compte tenu de ses caractéristiques, Usain Bolt pourrait être le dernier des rois du sprint, révolutionnant sa discipline mais l’achevant dans le même temps, comme Florence Griffith-Joyner l’a fait il y a vingt ans. L’écart qu’il creuse avec ses poursuivants est tel qu’il peut représenter l’apogée du sprint masculin. Si ce constat se confirme, quelle sera, alors, l’évolution de l’athlétisme ?
Figure 10 : Courbe de progression des meilleurs temps annuels de Frankie Fredericks sur 200 m
Figure 11 : Progression des meilleures performances des cent cinq athlètes féminines du top 10 depuis 1988 (carrés et courbes bleues). Les carrés roses et la courbe rouge représentent les meilleurs temps annuels de Shelly-Ann Fraser passant, en un an, du 95e au 5e percentile, avec un gain de près d’une seconde. Seules Marion Jones, en 1998, et Florence Griffith-Joyner, en 1988, ont présenté des courbes comparables.
Figure 12 : Courbes comparatives de Liu Xiang et Dayron Robles sur 110 m haies
Figure 13 : Progression séculaire du record du monde du 100 m. U. Bolt s’approche du temps asymptotique
Figure 14 : Progression séculaire du record du monde du 200 m. En finale, à Pékin, U. Bolt reste en retrait (de 30 centièmes) du temps limite.
Figure 15 : Progression des dix meilleurs athlètes masculins, chaque année, sur le 200 m
Figure 16 : Évolution de la taille des recordmans du sprint, de 1936 à 2008
CONCLUSION
20Pékin 2008 a confirmé que de très nombreuses épreuves olympiques, en particulier d’athlétisme, atteignent l’aboutissement de leur progression ou sont entrées dans une période de stagnation des performances. La raison principale de cette pause dans les résultats n’est autre que la limite physiologique d’espèce.
21Dès lors il semble tentant pour certains athlètes, voire certaines nations, de combler ces limites par des innovations technologiques incluant la pharmacologie. Le combat contre le dopage ne s’annonce pas facile. D’autant que ses moyens seront aussi soumis à la récession qui gagne l’ensemble du globe et tous les pans de l’économie, ainsi que le laissent présager les difficultés financières actuelles des comités d’organisation de la prochaine Coupe du monde de football, en Afrique du Sud, et des Jeux de Londres, en 2012.
22En outre, le contexte économique pourrait accélérer l’avènement des frontières physiologiques. En effet, les quelques disciplines qui repoussent les seuils de progression par l’introduction de biais technologiques (tels que les combinaisons de natation) pourraient manquer de ressources financières pour continuer à innover. La stagnation de toutes les performances sportives observée dans les années trente plaide en faveur de cette éventualité.
23Néanmoins, la renaissance des valeurs originelles de l’olympisme pourrait aussi favoriser, dans ce contexte, une lutte équitable entre athlètes et consacrer le retour de l’homme à sa position d’équilibre, respectueux de sa place légitime au monde, loin de la démesure de son hybris. Le souhaite-t-il ? Le peut-il ? Les toutes prochaines années nous indiqueront peut-être dans quel sens il choisit d’évoluer.
Auteurs
Institut de recherche biomédicale et d’épidémiologie du sport
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Pékin 2008
Regards croisés sur la performance sportive olympique et paralympique
Institut national du sport et de l'éducation physique (dir.)
2008
La pratique des activités physiques et sportives en France
Enquête 2003 – Ministère de la Jeunesse, des Sports et de la Vie associative Ministère de la Culture et de la Communication, Insee
Hervé Canneva (dir.)
2005
Les pratiques sportives en France
Enquête 2000
Ministère de la Jeunesse des Sports et de la Vie associative, Institut national du sport et de l'éducation physique, Patrick Mignon et al. (dir.)
2002
Données et études statistiques : jeunesse, sports et vie associative
Recueil des travaux et publications de la Mission statistique de 1999 à 2004
Sandrine Bouffin, Myriam Claval et Hervé Savy (dir.)
2006