Les Jeux olympiques et paralympiques de Pékin sous le prisme des médias
p. 253-256
Texte intégral
“QUELLE ANALYSE FAITES-VOUS AUJOURD’HUI DES JEUX OLYMPIQUES DE PÉKIN DANS LEUR GLOBALITÉ ?
1Étienne Bonamy (rédacteur en chef à L’Équipe, attaché à la direction de la rédaction, en charge des Jeux olympiques, aujourd’hui adjoint au rédacteur en chef à L’Équipe Magazine) : Pour m’être rendu trois fois à Pékin dans les deux années précédant les Jeux, je savais que, techniquement, ceux-ci se dérouleraient dans des installations ultramodernes. En revanche, comme la majorité de mes confrères, j’ai été « bluffé » par le savoir-faire des organisateurs. Les centaines de milliers de « volontaires » chinois ont en effet grandement facilité le travail des journalistes et les déplacements des athlètes, des officiels et des spectateurs. Pour mes cinquièmes Jeux, je n’avais jamais vu une organisation aussi parfaite et une disponibilité aussi grande. L’accès aux installations a été le point fort de ces JO. A contrario, cette excellence dans l’organisation s’arrêtait aux portes des installations olympiques. En dehors de la voie olympique, toujours disponible pour les navettes presse, je n’ai pas eu le sentiment que Pékin partageait l’ambiance des Jeux, comme on avait pu le constater à Barcelone, Sydney ou Turin. C’est regrettable. Les JO n’ont pas vocation à n’être qu’un show sportif pour les possesseurs de billet.
2Daniel Bilalian (directeur des sports à France Télévisions) : Le lourd climat politique précédant l’ouverture des Jeux olympiques de Pékin n’a pas eu de conséquences visibles pendant la durée des compétitions. Et nous ne pouvons que nous en féliciter. Par ailleurs, la militarisation et la sécurité excessive redoutées n’ont pas été aussi pesantes que prévues. Sans porter de jugement politique sur le régime chinois, tous les participants ont pu normalement travailler, sans restriction particulière, dans les différentes enceintes olympiques. Et c’est déjà une belle réussite.
3Corinne Boulloud (rédactrice en chef adjointe au service des sports d'Europe 1) : C’étaient mes troisièmes Jeux olympiques l’été dernier et j’ai pu remarquer, comme on pouvait s’y attendre, que les organisateurs chinois s’étaient inspirés des bonnes idées des éditions précédentes, tout en laissant de côté ce qui n’avait pas marché. Même si ce n’était pas les JO les plus festifs – contrairement à Sydney, par exemple –, tout était parfaitement organisé, à quelques détails près. Et pour moi qui avais peur de ne pas pouvoir faire mon métier correctement, d’aller là où je le souhaitais, j’ai été très agréablement surprise. Ces Jeux resteront une véritable réussite, à tous les niveaux.
QUELS SONT, POUR VOUS, LES FAITS MARQUANTS DE CETTE XXIXe ÉDITION DES JEUX OLYMPIQUES DE L’ÈRE MODERNE ?
4Étienne Bonamy : En dehors de l’organisation, c’est la densité de performances au plus haut niveau qui a étonné. Boit et le sprint jamaïquain en athlétisme, Phelps ou Bernard en natation, le handball français, etc. Les meilleurs ont tenu leur rang, ce qui n’est pas évident. Evidemment, Usain Bolt et Michael Phelps ont écrasé les Jeux par leurs performances chronométriques, mais je retiens aussi la performance d’ensemble de la délégation britannique, quatre ans avant « ses » Jeux, à Londres, en 2012.
5Daniel Bilalian : Cette xxixe édition des JO a été particulièrement marquée par des cérémonies d’ouverture et de clôture impressionnantes, aussi bien dans le cadre des Jeux des valides que des paralympiques. Sur le plan sportif, ces Jeux ont été marqués par une série de victoires impressionnantes, comme celle de Michael Phelps en natation ou d’Usain Bolt en sprint. En revanche, collectivement, nous avons assisté à une remise en cause de la suprématie américaine dans les courses, et en athlétisme en général. Enfin, les Chinois ont réussi leurs Jeux en récoltant une série très importante de médailles, ce qui était leur objectif à la fois politique et sportif.
6Corinne Boulloud : Les épreuves de natation et d’athlétisme restent pour moi les vrais moments forts de cette édition. Les performances de Michael Phelps, d’Alain Bernard et d’Usain Bolt resteront longtemps gravées dans la mémoire collective. Et pour ma part, je ne peux oublier l’échec de Laure Manaudou qui, tout au long de la compétition, a pourtant essayé de ne pas couler. J’ai aussi été marquée dès le premier jour par cette sublime cérémonie d’ouverture, dans le stade, alors que, dans les rues, les Pékinois avaient ordre de ne pas se rassembler pour fêter l’évènement...
QUELS CONSTATS TIREZ-VOUS DES RÉSULTATS DE L’ÉQUIPE DE FRANCE ?
7Étienne Bonamy : Le bilan de quarante médailles – le meilleur jamais obtenu – est trompeur. Là encore, sur le plan global de valeur des disciplines, je n’ai pas vu de grandes surprises. On savait le handball masculin et la natation française au top-niveau ; ils ont confirmé. On devinait l’athlétisme tricolore mal en point ; hélas, il n’y a pas eu de miracle. La bonne surprise est venue de certains « petits » sports, comme la boxe, le tir à l’arc, l’haltérophilie ou la lutte, qui tirent 100 % de leur politique de haut niveau. La mauvaise, c’est l’absence de titre en canoë-kayak en slalom. Quant au judo et à l’escrime, ils n’ont obtenu aucun titre individuel ; c’est, hélas, un constat de tassement des performances dans ces équipes en mal de patrons. Enfin, je retiens surtout la « faillite » des leaders ; quelles que soient les raisons, Manaudou, Flessel, Estanguet, Diniz ou Riner, pour ne citer qu’eux, n’ont pas atteint leurs objectifs. Le pari de miser sur certains anciens n’a donc pas été gagné.
8Daniel Bilalian : On ne peut pas parler de « l’équipe » de France, mais plutôt « des équipes » de France. Je retiendrai surtout la très grosse déception en athlétisme et la réussite exceptionnelle de certaines disciplines, comme l’escrime, la natation et le handball.
9Corinne Boulloud : Tout le monde aurait certes préféré plus de médailles d’or, les dirigeants du sport français surtout. Un constat cruel et bien spécifique aux Jeux olympiques, car on n’y retient généralement que la victoire, le titre suprême, en oubliant parfois les autres performances. Mais au final, ces quarante médailles représentent un beau résultat d’ensemble, notamment lorsqu’on voit dans quelles conditions certains sportifs se sont préparés pour ces Jeux par rapport à d’autres nations, avec moins de moyens, humains et financiers, etc.
QUELLES SONT, SELON VOUS, LES LEÇONS QUE LE SPORT FRANÇAIS DOIT TIRER DE CES JEUX OLYMPIQUES DE PÉKIN ?
10Étienne Bonamy : J’ai l’impression que, dans certaines sélections, la prime à « l’ancien » a trop joué. Sans doute était-il délicat de priver quelqu’un de la dernière possibilité de participer encore aux JO, quitte à hypothéquer une chance de médaille. On a retrouvé, à Pékin, une délégation similaire, en nombre, aux précédentes éditions. Je pense notamment à l’athlétisme qui, en amenant plus de cinquante athlètes, n’a pas su trancher et imposer une véritable émulation dans ses rangs. Les Jeux ne sont pas une récompense, mais un objectif.
11Corinne Boulloud : Il est peut-être temps aujourd’hui de se poser les bonnes questions : Est-ce que le sport français a vraiment envie et se donne vraiment les moyens d aller chercher des médailles ? Est-ce que le sport reste une vitrine pour la France ? Est-ce que nos politiques sont prêts à mettre les moyens pour rendre nos athlètes encore plus performants ? Le peuvent-ils d’ailleurs ? Une discipline comme l’athlétisme ne doit pas non plus hésiter à se remettre en question.
QUELLES PERSPECTIVES POUR LA NOUVELLE OLYMPIADE QUI S’OUVRE DÈS À PRÉSENT ?
12Étienne Bonamy : Je doute qu’en quatre ans, la France puisse se doter d’un projet olympique capable de la ramener parmi les cinq ou six meilleures nations mondiales. Les Anglais, brillants en 2008, se sont mis « au boulot » en 1996, après leur échec d’Atlanta ! On n’a pas l’impression d’une mobilisation générale. Il y a toujours un retard dans ce domaine. Comme si l’échec de la candidature de Paris en 2005, pour l’attribution des Jeux 2012, avait stoppé l’élan. Et comme d’habitude, ce sont dans leur coin que les « petits sports » vont se préparer.
13Daniel Bilalian : L’enjeu pour Londres est de taille, après la perfection et le gigantisme de Pékin. Peut-être pourrions-nous revenir à une « simple » fête du sport, sans enjeu politique, dans une capitale qui n’a rien à prouver sur le plan international.
14Corinne Boulloud : J’espère simplement que tous les sportifs français qui sont déjà sur la route des Jeux olympiques de Londres bénéficieront des moyens suffisants pour bien se préparer, pour partir en stage... Et cette réflexion vaut aussi pour leurs entraîneurs.
DU STRICT POINT DE VUE MÉDIATIQUE, CES JEUX OLYMPIQUES ONT-ILS MARQUÉ UN TOURNANT DANS VOTRE MANIÈRE DE TRAVAILLER, D’APPRÉHENDER L’ÉVÈNEMENT, LES PERFORMANCES ? SI OUI, DE QUELLE MANIÈRE ?
15Étienne Bonamy : Ce sera difficile de dépasser Pékin. Le CIO a mis à notre disposition une banque de données intranet (ONS) qui améliore encore l’accès aux informations. En revanche, ce gigantisme inquiète. Tout le monde pourra-t-il encore, pendant les compétitions, accéder aux acteurs du sport dans un futur proche ? Je crains que non. Autre constat : le virage Internet est définitivement pris et on constatera, dans quatre ans, à Londres, que ce média sera majoritaire pour traiter de l’actualité. À titre d’exemple, à Pékin, en raison du décalage horaire, les confrères de la presse écrite américaine travaillaient en priorité à 70 % sur le site web de leur journal. Les rédactions européennes, plus frileuses sur le sujet, vont devoir s’adapter. C’est une mutation technologique irréversible qu’il vaut mieux anticiper.
16Daniel Bilalian : Nous avions deux cents collaborateurs sur place et deux cents à Paris. Les nouveaux moyens de transmission nous ont permis, sans remettre en cause la qualité de notre production, de limiter les frais de production pour, au total, une audience supérieure à Athènes où, pourtant, les horaires nous étaient plus favorables.
17Corinne Boulloud : Non, pas vraiment, si ce n’est que le sport a une place de plus en plus importante sur notre antenne et que nous avons fait plus de direct qu’à l’accoutumée depuis Pékin, malgré le décalage horaire. Sur place, nous n’avons connu aucune difficulté pour travailler, à quelques détails près, comme l’absence de zone mixte, pour les radios, au Cube d’eau de natation. En revanche, il est clair qu’internet a radicalement changé notre manière de travailler. Lorsque nous avons besoin d’une information de dernière minute, d’une statistique, nous savons désormais vers quel média nous tourner.
LES MÉDIAS PEUVENT-ILS AVOIR UN RÔLE À JOUER, SELON VOUS, POUR PERMETTRE AU SPORT FRANÇAIS DE TENDRE UN PEU PLUS VERS L’EXCELLENCE ?
18Etienne Bonamy : Ce ne sont pas les médias qui entraînent les athlètes ou disputent les épreuves à leur place. Il sera toujours difficile aux différents médias, à l’exception de la presse spécialisée (comme L’Équipé), de suivre l’actualité des sports à moindre exposition pendant les quatre ans d’une olympiade. En revanche, tout exploit (celui des frères Guénot, du handball français, de Vencelas Dabaya, des gymnastes ou des boxeurs) va systématiquement provoquer, sur place, un emballement médiatique. Inconnus deux jours plus tôt, ils font la « Une » le lendemain ; c’est la règle du jeu. Le succès aux Jeux (le titre ou la médaille), c’est la prime à la médiatisation. Mais il y a encore trop de fédérations ou d’athlètes qui ne peuvent s’empêcher d’écouler leur rancœur à ce moment-là, regrettant que l’on ne s’intéresse à eux qu’à l’heure du podium. J’ai l’impression qu’ils ne saisissent pas la complexité d’un paysage médiatique qui ne peut suivre en permanence, tout au long de l’année, l’actualité de certains sports qui, une fois les Jeux passés, retombent dans un relatif anonymat et une vie communautaire réservée aux seuls passionnés. Le rôle des médias est de mettre rapidement un coup de projecteur sur le médaillé, son sport, sa fédération. Après, ce n’est pas la presse – à l’exception de L’Equipe, dont c’est le fond de commerce – qui va entretenir la communication.
19Corinne Boulloud : Difficile à dire. Une chose est sûre : nous relayons de plus en plus les exploits de nos sportifs, ceux-ci se retrouvent plus exposés et, forcément, il y a un impact. Positif ou négatif, selon les cas. Il n’y a qu’à prendre l’exemple de la natation qui, en quelques années, a véritablement « explosé », médiatiquement parlant. Mais les nageurs français le doivent avant tout à eux-mêmes.
20C’est grâce à leur travail et à leurs résultats qu’ils en sont là aujourd’hui. Pas aux médias.
VOTRE REGARD SUR LES JEUX PARALYMPIQUES DE PÉKIN (ORGANISATION, PERFORMANCES FRANÇAISES, COUVERTURE MÉDIATIQUE) ?
21Étienne Bonamy : Je n’ai pas couvert, à titre personnel, les Jeux paralympiques de Pékin, ni ceux des éditions précédentes. En revanche, nous y avons accordé un suivi encore plus important. Et pourtant, j’ai l’impression (est-ce à cause du décalage horaire ?) que l’évènement a moins sensibilisé qu’il y a quatre ans, à Athènes. Se banalise-t-il ?
22Daniel Bilalian : Les Jeux paralympiques sont encore un sujet de discussion à ce jour. Doit-on les couvrir en direct ou en diffuser les meilleurs moments aux heures de grande écoute ? C’est le choix que nous avons fait. Nous pensons que c’est le bon, mais peut-être faudrait-il réfléchir à organiser les paralympiques parallèlement aux JO des valides, avec, peut-être, moins de compétitions. La question vaut la peine d’être posée !
23Corinne Boulloud : Si cet évènement veut réellement exister, médiatiquement parlant, il n’est plus possible aujourd’hui qu’il continue à être organisé quinze jours après les Jeux olympiques. Puisque les sportifs handisports sont des sportifs de haut niveau comme les autres, pourquoi ne pas intégrer des épreuves handisports dans le programme olympique ? Certes, il y aurait moins de disciplines et moins de sportifs en lice, mais ce serait, à mon avis, l’une des solutions. L’autre possibilité serait éventuellement que les Jeux paralympiques débutent avant les Jeux olympiques. Les médias seraient alors déjà sur place et pourraient relayer l’information.”
Auteurs
Rédacteur en chef à L’Équipe, attaché à la direction de la rédaction, en charge des Jeux olympiques, adjoint au rédacteur en chef à L’Équipe Magazine
Directeur des sports à France Télévisions
Rédactrice en chef adjointe au service des sports d’Europe 1
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Pékin 2008
Regards croisés sur la performance sportive olympique et paralympique
Institut national du sport et de l'éducation physique (dir.)
2008
La pratique des activités physiques et sportives en France
Enquête 2003 – Ministère de la Jeunesse, des Sports et de la Vie associative Ministère de la Culture et de la Communication, Insee
Hervé Canneva (dir.)
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Les pratiques sportives en France
Enquête 2000
Ministère de la Jeunesse des Sports et de la Vie associative, Institut national du sport et de l'éducation physique, Patrick Mignon et al. (dir.)
2002
Données et études statistiques : jeunesse, sports et vie associative
Recueil des travaux et publications de la Mission statistique de 1999 à 2004
Sandrine Bouffin, Myriam Claval et Hervé Savy (dir.)
2006