Un spectacle télévisuel
p. 248-251
Texte intégral
1Frédéric Bolotny, chercheur au Centre de droit et d’économie du sport de Limoges, animateur du séminaire « Sport et Média » au sein du master « Droit, économie et gestion du sport » et ancien basketteur, analyse en différents points clés l’impact média des Jeux olympiques.
LES JEUX OLYMPIQUES, UN SPECTACLE TÉLÉVISUEL
2Le sport est aujourd’hui un spectacle télévisuel – ou plutôt médiatique – avant tout. Et plus encore lors des Jeux olympiques. Le ratio téléspectateurs/spectateurs, sur un grand évènement sportif, est de l’ordre de 15 000 téléspectateurs pour un spectateur. Et cela, le comité d’organisation chinois de Beijing 2008 l'a parfaitement intégré. À l’image des feux d’artifice en « pas de géant » diffusés en différé à la télévision. Les enceintes sportives, elles-mêmes, ont été élaborées en tenant compte du rendu télévisuel. Les Chinois ont ainsi misé sur la beauté du Cube d’eau et du Nid d’oiseau, car ils savaient que les premières images visibles à l’écran, à chaque prise d’antenne, seraient les sites de compétitions. Une opération marketing idéale pour promouvoir le pays à l’international. Sans oublier leur marché intérieur, puisqu’il y a plus de postes de télévision en Chine qu’aux États-Unis. Un évènement porteur comme les JO peut générer des audiences phénoménales dans ce pays. La Chine a donc parfaitement maîtrisé l’exercice de communication politique qui lui était proposé avec cette xxixe olympiade.
LE COMPTEUR DES MÉDAILLES OU LA PERVERSION DU SYSTÈME
3Le compteur des médailles est, aujourd’hui, devenu l’enjeu principal. Ce constat est navrant et excessif, d’autant plus que cet indicateur n’a aucun sens, puisque le CIO ne prend en compte que les médailles d’or pour l’établir. Les médias se servent de ce décompte simpliste pour aller à l’essentiel, mais l’évaluation de la performance est alors faussée. Il existe également un déséquilibre trop important entre des disciplines comme la natation ou l’athlétisme, qui peuvent rapporter une trentaine de médailles, et les sports collectifs importants, tels le basket-ball et le handball, qui ne distribuent que deux séries de trois médailles. Cette obsession des médailles a perverti le système, à l’image des Chinois, voire des Anglais, qui ont concentré leurs efforts sur des disciplines où la concurrence est moindre, afin de faire grimper leur compteur. On est parti de ce qui fait l’essence même du sport, la recherche de la performance, pour en faire une opération de marketing politique. Mais je l’avoue, en tant que téléspectateur, j’étais le premier à me prendre au jeu en me levant le matin pour savoir combien de médailles la France avait gagné au cours de la nuit, dans quelles disciplines et notre position au classement. Au détail près que l’argent et le bronze m’intéressaient aussi...
LE NOUVEAU REGARD DES MÉDIAS
4Les médias traditionnels rendent compte, en relatant certes de la performance sportive, mais en s’intéressant aussi de plus en plus aux coulisses, notamment la presse écrite, pour se différencier des médias d’information directe. Les médias sportifs veulent aller voir ce qu’il y a derrière le miroir et n’hésitent plus à faire une analyse sociologique, psychologique ou encore économique de l’évènement. Et tous les médias généralistes se sont de plus en plus ouverts au sport, au fur et à mesure que celui-ci devenait un phénomène de société. L’exemple des sportifs, ou anciens sportifs, qui trustent désormais les premières places des personnalités préférées des Français est, en ce sens, assez révélateur. Les Jeux olympiques de Barcelone de 1992 ont été le point de départ d’une décennie prodigieuse pour le sport français. Et cette olympiade a également marqué un tournant en termes de médiatisation.
L’ÉVOLUTION DE L’UNIVERS MÉDIA
5Aujourd’hui, on ne peut plus seulement parler d’impact télé, mais bien d’impact média. Les Jeux olympiques de Pékin ont représenté une accélération dans ce sens. Outre la télévision classique, nous avons assisté à une multiplication des canaux de diffusion et des modes de consommation des images, avec Internet, la 3G, la téléphonie mobile, la télé par ADSL, l’avènement de la HD... Le sport est aujourd’hui un contenu privilégié dans un univers global de convergence médiatique et la spécificité des Jeux olympiques permet une programmation variée, tous ces nouveaux médias offrant la possibilité de couvrir l’ensemble des épreuves, comme l’ont fait France Télévisions ou encore NBC, cet été. NBC proposait tous les jours des épreuves en téléchargement VOD (Video on Demand), en plus du direct. Le passionné de lutte pouvait suivre l’intégralité du tournoi sur le site Internet de France Télévisions, sans attendre que la télévision publique diffuse les résumés. Soit une vraie révolution médiatique et numérique. Nous sommes, aujourd’hui, à l’aube d’une nouvelle génération d’utilisateurs. La multiplication des médias payants, avec le sport comme produit d’appel, et le besoin, pour les grandes chaînes, de se limiter à des évènements fédérateurs, ont conduit à une baisse conséquente de l’offre de sports sur les télévisions publiques.
6Les Jeux olympiques restent un évènement protégé un peu partout dans le monde, soit par les textes, soit de par la stratégie du CIO. Une chaîne payante ne peut pas, par exemple, avoir l’exclusivité des JO. En France, ils font partie des évènements d’importance majeure qui doivent, selon la loi, être diffusés en clair et rester visibles par le plus grand nombre, mais pas forcément sur le service public. Par ailleurs, le Comité international olympique (CIO) joue la carte de la visibilité plutôt que celle de la rentabilité, contrairement au monde du football par exemple, et ses sponsors, bien que ne bénéficiant pas de visibilité sur les sites de compétition, ne s’en plaignent pas. Mais, de toute façon, les Jeux olympiques ne sont pas un programme adapté pour la télévision payante, hormis une chaîne spé cifîque, type Eurosport, intégrée dans un bouquet. Les JO ne constituent pas un contenu discriminant qui va susciter un désir d’abonnement chez le téléspectateur ; contrairement au football et à la Ligue 1, qui restent un spectacle permanent. Il faut bien différencier le modèle de la télévision gratuite, où l’audience est indispensable pour que les recettes publicitaires soient satisfaisantes, et le modèle de la télévision payante, qui a besoin de produits d’appel forts pour vendre des décodeurs, du « pay-per-view », de la 3G. Le sport est alors le principal produit d’appel, d’autant plus que, sur ce marché des droits médias, les vendeurs sont en situation de monopole, ce qui n’est pas du tout le cas des autres marchés, comme celui du cinéma. Mais l’explosion des droits télé pour les Jeux olympiques est très fortement à relativiser. Le phénomène a bien eu lieu dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, notamment en Europe. Mais lors des trois dernières éditions, on est passé de 1,3 milliard de dollars (à Sydney) à 1,7 milliard (à Pékin). Alors que, pour la Coupe du monde et les championnats d’Europe de football, les droits télé ont été multipliés par dix ou vingt lors des deux dernières éditions. Pour les Jeux olympiques, la part du sponsoring augmente plus vite que la part des droits télé, ce qui constitue une sorte d’exception dans l’industrie des grands spectacles sportifs.
UN ÉVÈNEMENT EXTENSIF GÉNÉRATEUR D’INTÉRÊT
7Les Jeux olympiques, du fait de leur spécificité, restent un évènement générateur d’intérêt, mais pas de pics d’audience. Avec plus de quinze heures de compétition par jour, les JO sont en effet un évènement extensif mais sur une courte durée, puisque la compétition en elle-même ne dure que deux semaines, alors que les coupes du monde de football et de rugby sont plus étendues dans le temps. Par contre, un match est un évènement intensif, avec un pic d’audience de 90 minutes environ. Un programme comme les JO permet donc aux chaînes d’augmenter leur part d’audience moyenne sur une longue durée. Les pics d’audience ont normalement lieu lorsque des Français sont en lice. Sur les JO, la problématique est différente, car le téléspectateur ne sait pas toujours le moment précis où un Français disputera une finale et il ne peut pas forcément organiser sa journée en fonction de cela.
LES JO, UN ÉVÈNEMENT PORTEUR D’IMAGE POUR LES MÉDIAS FRANÇAIS
8Cet été, France Télévisions a augmenté sa part d’audience moyenne de trois points, mais avec un volume d’audience moyen qui n’a pas dépassé 1,4 million de téléspectateurs. Le décalage horaire a forcément eu une influence. Un programme comme les Jeux va bien au-delà de la simple règle à calcul de parts d’audience, notamment dans le contexte actuel. Les grandes chaînes disent toutes quelles perdent de l’argent sur les grandes compétitions sportives, mais continuent toutes très largement à l’accepter pour une raison d’image et de leadership. Face au morcellement de l’audience, les chaînes historiques sont en recherche d’évènements fédérateurs et les Jeux olympiques en sont un. Pour France Télévisions, par exemple, les Jeux olympiques étaient également l’occasion de démontrer leur savoirfaire rédactionnel et technologique, avec l’habillage, les commentaires, certains programmes originaux, tel « Un péquin à Pékin ». L’enjeu était peut-être encore plus grand pour le service public au moment où son statut risque de changer, et même si le déficit pour France Télévisions, sur des plages horaires étendues dans la journée, est plus important si l’on tient compte des droits télé et des coûts de production par rapport aux rentrées publicitaires.
UNE HIÉRARCHIE DES DISCIPLINES BOULEVERSÉE
9La périodicité des Jeux olympiques, organisés tous les quatre ans seulement, et leur impact bouleversent la hiérarchie des disciplines en termes de médiatisation. Sur les seuls journaux télévisés, les JO d’Athènes avaient représenté 17 % du temps d'antenne consacré au sport en 2004 (Source : TNS), soit la compétition sportive le mieux traitée sur l’année, alors quelle ne dure que quinze jours. Et des disciplines comme l’athlétisme ou la natation, ainsi que celles où la France gagne traditionnellement le plus de médailles (judo, escrime), généralement sous-médiatisées, sont, durant quinze jours, surexposées. C’est une véritable opportunité, pour ces « petits » sports – « petits », du point de vue de la médiatisation –, d’avoir une visibilité qui influe sur la pratique. La finalité aujourd’hui est de ne pas déconnecter le spectacle sportif et la pratique en elle-même. L’un a besoin de l’autre : les amateurs d’une discipline donnée sont aussi ses premiers téléspectateurs.
DES CONSÉQUENCES D’UNE MÉDIATISATION À OUTRANCE
10Les effets pervers de cette médiatisation sont moins, à mon sens, dus à un problème de volume que d’angle d’attaque. Les mois qui ont précédé les Jeux olympiques, les sportifs français ont été moins sollicités sur leurs performances sportives que sur la polémique des droits de l’homme, le port d’un éventuel badge ou non... Le débat politique autour des Jeux de Pékin a rejailli de manière injuste sur les sportifs. Surtout que nombre de disciplines ne vivent que pour et par les Jeux, et une pression qui n’avait pas lieu d’être s’est abattue sur des jeunes hommes et femmes qui n’ont pas tous une grande expérience médiatique et qui ont enfilé un costume de prescripteur, pour certains bien malgré eux. Indépendamment de ce débat, il est vrai que l’exposition à laquelle peuvent être soumis les sportifs au cours des JO peut se révéler particulièrement violente. D’autant quelle a lieu sur un laps de temps assez court, parfois avant l’épreuve, pour les espoirs de médailles, et dans les semaines qui suivent, pour les médaillés. Pour des sportifs qui ne sont pas habitués à être ainsi exposés, l’approche médiatique peut parfois s avérer délicate. Un garçon comme Tony Estanguet, par exemple, semblait suffisamment armé pour faire face à toute cette pression, mais il s’est investi à bras-le-corps dans son rôle de porte-drapeau et y a certainement laissé des plumes dans sa quête d’une troisième médaille d’or.
DE L’INFLUENCE DE LA TÉLÉVISION SUR LE PROGRAMME OLYMPIQUE
11La démarche d’une chaîne comme NBC, qui pèse lourd dans le budget des Jeux olympiques (894 millions de dollars sur 1,7 milliard) – d’autant plus que sa maison mère, General Electrics, est un des top sponsors de l’évènement –, constitue un pavé dans la mare. Même si, après coup, tout le monde admet que les épreuves de natation ont été une vraie réussite à Pékin, les organisateurs ont ouvert la boîte de Pandore. Et rien ne les empêche, désormais, d’avoir des exigences sur d’autres épreuves. Même si les athlètes se sont adaptés, on a touché aux vrais fondamentaux. Cela ne veut pas dire pour autant que le sport ne doit pas s’adapter à la télévision. Mais modifier à ce point le programme pour une raison économique, au détriment d’autres régions du monde, reste en totale contradiction avec l’idéal olympique. Et le mouvement olympique pourrait, un jour, en payer le prix, sachant que de plus en plus d’entreprises viennent chercher, dans le monde du sport, du sens et pas seulement de la puissance. Puisqu’on évoque les fondamentaux, il faut aussi toujours garder à l’esprit que la valeur centrale de l’économie sportive, c’est l’incertitude. Si l’on écrit les scénarios des matchs avant qu’ils ne soient joués, ils n’intéresseront plus grand monde.
LES JEUX PARALYMPIQUES ET LES MÉDIAS, UN IMPACT LIMITÉ
12En 2004, les Français ont déclaré, dans un sondage d’opinion, que les Jeux paralympiques étaient le quatrième évènement qui les avait le plus intéressés dans l’année. Pourtant, les audiences des Jeux paralympiques restent anecdotiques. Mais encore faudrait-il qu’il y ait une véritable offre. Heureusement, pour le milieu handisport, l’audience n’est pas une fin en soi, même si sa fédération veut faire connaître sa pratique au plus grand nombre. Si l’impact médiatique reste faible, le fait que les idées circulent, que le sport soit utilisé pour faire passer des messages, pour montrer, par exemple, que les infrastructures doivent être adaptées, demeure l’objectif prioritaire. Et si cela peut faire prendre conscience de la place du handicap dans notre société, que les jeunes, dans les centres de rééducation, aient envie de pratiquer, alors le pari sera gagné. Pour intéresser les médias, l’une des solutions serait, peut-être, d’intégrer des épreuves paralympiques au sein du programme olympique. Forcément, il y aurait moins d’athlètes et moins de disciplines représentées, mais ce serait une solution, en termes de stratégie médiatique et marketing. Et également, ces résultats participeraient au compteur des médailles. Cela permettrait d’ailleurs une utilisation positive de ce compteur.
13(Propos recueillis par Frédéric Ragot)”
Auteur
Chercheur au Centre de droit et d’économie du sport de Limoges, animateur du séminaire « Sport et Média » au sein du master « Droit, économie et gestion du sport » et ancien basketteur.
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Pékin 2008
Regards croisés sur la performance sportive olympique et paralympique
Institut national du sport et de l'éducation physique (dir.)
2008
La pratique des activités physiques et sportives en France
Enquête 2003 – Ministère de la Jeunesse, des Sports et de la Vie associative Ministère de la Culture et de la Communication, Insee
Hervé Canneva (dir.)
2005
Les pratiques sportives en France
Enquête 2000
Ministère de la Jeunesse des Sports et de la Vie associative, Institut national du sport et de l'éducation physique, Patrick Mignon et al. (dir.)
2002
Données et études statistiques : jeunesse, sports et vie associative
Recueil des travaux et publications de la Mission statistique de 1999 à 2004
Sandrine Bouffin, Myriam Claval et Hervé Savy (dir.)
2006