Marie-George Buffet mise sur la complémentarité du sport français
p. 187-189
Texte intégral
1“Nous avions tous, je pense, beaucoup d'appréhension avant les Jeux olympiques de Pékin. Avec de nombreuses interrogations sur l’aspect sécuritaire, la convivialité, l’engouement du public... Et au final, nous avons tous été pris à contre-pied, avec des Jeux sans précédents. Lors de mon séjour à Pékin, où j’avais été invitée en tant qu’ancienne ministre en charge des Sports, j’ai tout d’abord été frappée par la beauté des sites, le spectacle extraordinaire proposé pendant les deux semaines de compétition, la fierté des Chinois... Sur le strict plan sportif, ces JO ont offert un vrai mélange d’émotions, de bonheurs, de déceptions, de pleurs, de dépassements de soi... Tout ce qui fait la beauté et la spécificité d’un évènement comme les Jeux olympiques. Et sur les résultats des équipes de France, je n’ai pas une opinion aussi négative que ce que j’ai pu lire ou entendre depuis le mois d’août. Ce total de quarante médailles est, en soi, une belle réussite pour le sport français. Certes, nous manquons peut-être de médailles d’or. Mais nous avons une nouvelle fois démontré que nous pouvions répondre présents et être au plus haut niveau dans des disciplines très variées, ce qui nous distingue d’un certain nombre de nos concurrents.
2La natation française nous a offert de grands moments et a confirmé son immense potentiel, déjà entrevu quatre ans plus tôt à Athènes. L’escrime a été fidèle au rendez-vous. Le BMX a créé une belle surprise. Mais je n’oublie pas non plus les déceptions, notamment en athlétisme. Estce qu’on peut réellement parler de déception, d’ailleurs, ou n’avions-nous pas plutôt surclassé un certain nombre d’athlètes par rapport à leur réel potentiel ? Difficile à dire. Je ne crois pas qu’il y ait eu un manque de motivation de la part des athlètes sélectionné(e)s. Mais ils et elles ont simplement été surclassés par plus forts qu’eux et quelles. Et la relève tarde peut-être à pointer son nez dans une discipline difficile qui, comme la natation, demande de nombreuses années d’apprentissage. Le judo et le cyclisme sur piste n’ont peut-être pas été à la hauteur non plus de ce que nous attendions, mais surtout parce que ces deux disciplines avaient placé la barre tellement haut lors des précédentes olympiades.
3Reste au final que, dans ce contexte très relevé de concurrence internationale, avec nombre de pays émergents, la performance de l’équipe de France, tant aux Jeux olympiques que paralympiques, est très satisfaisante. Et ce, malgré les départs de leaders emblématiques, notamment en handisport, avec Béatrice Hess, qui nous rapportait habituellement son lot de médailles. Mais là comme ailleurs, nous avons assisté à un renouvellement de générations qui ont su brillamment reprendre le flambeau. Une donnée importante dans l’analyse qui est faite aujourd’hui de ces Jeux olympiques et plus globalement du modèle sportif français.
4Malgré tout ce qui a pu être dit ces derniers mois, je considère que ce modèle est toujours valable et viable. Il souffre simplement d’un manque de moyens. La richesse de la pratique sportive de notre pays réside dans la complémentarité extraordinaire de l’État et des différentes composantes du sport français, dans la complémentarité du sport de haut niveau, du sport professionnel et du sport pour tous et, enfin, dans la complémentarité de toutes les disciplines, du cyclisme sur piste à l’athlétisme, en passant par le football et le rugby, toutes réunies dans le mouvement olympique et sportif français... Or, on est aujourd’hui, à mon sens, en train de remettre en cause tout ce qui faisait notre force.
5Le ministère actuel, par exemple, entend restreindre son champ de compétences en demandant aux quinze millions de licenciés de se tourner vers les régions, les collectivités territoriales, les communes... Mais tous ces différents acteurs n’ont pas les moyens suffisants pour répondre à de telles attentes. Peut-être n’a-t-on pas donné aux CREPS, ces dernières années, les moyens de développer une politique de formation de haut niveau. J’entends également parler de « resserrer l’élite ». Est-ce qu’on se donne, là aussi, les moyens de les suivre ? Pour espérer posséder un réservoir suffisamment important de championnes et champions français pour les prochains Jeux olympiques – non pas ceux de Londres, car il est déjà trop tard, mais pour 2016, 2020... –, il nous faut tout d’abord tout mettre en œuvre pour bien les accueillir dans les clubs, et ce, dès leur plus jeune âge, et bien les encadrer. Mais avec quels moyens ? Ce ne sont pas les collectivités qui pourront, à elles seules, assurer ce financement. Tout comme il est indispensable de donner au mouvement sportif les moyens d’assurer la préparation de haut niveau des athlètes. Je vois également deux autres priorités : nous devons mettre l’accent sur nos infrastructures – car si l’INSEP veut jouer son rôle de tête de réseau, encore faut-il qu’il y ait d’autres infrastructures de haut niveau derrière –et nous devons également améliorer la formation. Des sportifs et des sportives, mais aussi de l’encadrement, du médical...
6On parle des entreprises privées qui pourraient financer les grands stades. Très bien. Mais qu’en est-il des infrastructures pour la base ? Je reste d’ailleurs persuadée que nous nous faisons beaucoup d’illusions en pensant que le privé va changer la donne. Le financement ira en priorité là où le droit à l’image sera rentable. Et, malheureusement, ce ne sera certainement pas en cyclisme sur piste ou en tir à l'arc. Mais plutôt dans le football, le rugby, voire le basket-ball... N’oublions pas que nous sommes dans une situation de crise économique et financière. Des sociétés se retirent déjà de certains sports, à l’image de l’athlétisme. Une entreprise ne fonctionne pas sur des critères de mission de service public. C’est pour moi une solution peu crédible et, surtout, qui n’a d’intérêt que sur du court terme. Comment voulez-vous qu’une fédération prépare les cinq ou dix ans à venir, si elle dépend d’un investissement privé qui peut, au bout de deux ou trois ans, selon la conjoncture économique, ne pas être renouvelé ? Une fédération a besoin de financement pérenne. Et c’est à l’État d’assurer ce dernier. Le sport doit être considéré comme l’un des moyens de l’épanouissement personnel de chaque individu et d’un certain degré de civilisation dans une société, au même titre que la culture, l’éducation ou la formation. Le sport ne peut rester un budget annexe, uniquement financé par la Française des Jeux.
7Depuis les Jeux olympiques de Pékin, le modèle anglais est régulièrement mis en avant. Mais je ne pense pas que nous devrions le suivre aveuglément, bien au contraire. Concentrons-nous sur les atouts de notre propre modèle, améliorons ce qui doit l’être, allons chercher les moyens financiers et humains pour offrir à nos sportifs un encadrement de très haut niveau et essayons de construire à partir de là. Les Britanniques nous surclassent aujourd’hui en cyclisme sur piste ? Mais est-ce durable ? Rappelonsnous des performances de nos pistards en 1996 et en 2000, qui nous ont apporté notre lot d’émotions, humaines et sportives. Il me paraît excessif de tout renier, sous prétexte qu’une nation se montre, sur une olympiade, supérieure. Ce qui fait la force de notre modèle sportif, contrairement aux Britanniques, justement, c’est notre diversité. Est-ce qu’il est préférable de remporter dix médailles d’or sur une seule épreuve ou bien de monter sur le podium dans une vingtaine de disciplines, preuve de la richesse de notre pratique sportive ? La question mérite d’être posée. Nous devons simplement aller vers une plus grande mutualisation de l’argent dans le sport, mais pour obtenir des résultats à très long terme, nous devons, à mon sens, aller à l’inverse de ce que fait la politique britannique en matière de sport.
8Plus globalement, les résultats d’une politique sportive d’un pays ne doivent pas se résumer aux seules médailles remportées aux Jeux olympiques. Combien de licenciés, combien de disciplines, combien de piscines, combien d’heures d’éducation physique à l’école ? C’est toutes ces données qui doivent, selon moi, servir de critères.
9La question de la gouvernance, par le mouvement sportif, du haut niveau, en partenariat, bien sûr, avec l’État, reste pour moi centrale. Tout comme la question du double projet. Nous pouvons très bien réfléchir à une meilleure complémentarité entre les études et la pratique du très haut niveau, mais ces jeunes hommes et ces jeunes femmes ne doivent pas perdre de vue que le sport est essentiellement une source d’épanouissement et de dépassement, et non une priorité absolue dans leur vie. Le sport doit rester à sa place. Et j’aspire également à une plus grande démocratisation du mouvement sportif. Chaque licencié doit être acteur des décisions qui se prennent dans sa fédération.
10La force d’un pays comme la Chine est son vivier extraordinaire, mais aussi la volonté inébranlable des Chinois de réussir tout ce qu’ils entreprennent. Quand ils ont obtenu le droit d’organiser les Jeux olympiques, ils se sont donné les moyens de répondre présents, non seulement sur le plan de l’organisation, mais également sur le terrain sportif. Alors bien sûr, notre vivier est plus restreint. Mais avec nos nombreux atouts, notamment ce maillage entre les clubs, les fédérations et le mouvement sportif, nous pouvons, nous aussi, avoir de l’ambition, sans pour autant être obligés de tout remettre en cause.
11Concernant les Jeux olympiques en eux-mêmes, je dois bien admettre que le gigantisme de l’évènement m’effraie quelque peu aujourd’hui. Cette épreuve est devenue inaccessible. Qu’un pays qui accueille les JO veuille mettre tous les moyens pour les réussir, je peux le comprendre. Nous en aurions fait de même si Paris avait été désigné. Et Londres essaie de tenir le pari malgré des circonstances difficiles. Mais Pékin a placé la barre si haut que des continents entiers ne pourront plus être en mesure d’organiser cette compétition si ces JO 2008 restent la référence. Les Etats ont certes leur responsabilité, mais le CIO également. Qu’est-ce qui a provoqué le choix de Pékin, à une époque ? Des considérations qui n’étaient pas que sportives. Il en va de même pour la désignation de Londres. Il est impératif que le CIO accepte que les JO ne soient plus cet immense « Monopoly » que l’on connaît aujourd’hui. Si la France avait le bonheur d’être désignée à l’avenir, est-ce qu’on pourrait exiger de nous un investissement à la hauteur des JO de Pékin ? On peut se poser la question. Quand je vois que nous ne sommes pas encore venus à bout du plan de rénovation des 1000 piscines (qui datent de 1970), il est clair que nous avons aujourd’hui un certain retard sur la question des grands équipements.”
Auteurs
Ancienne ministre chargée des sports (1998-2002) et députée
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Pékin 2008
Regards croisés sur la performance sportive olympique et paralympique
Institut national du sport et de l'éducation physique (dir.)
2008
La pratique des activités physiques et sportives en France
Enquête 2003 – Ministère de la Jeunesse, des Sports et de la Vie associative Ministère de la Culture et de la Communication, Insee
Hervé Canneva (dir.)
2005
Les pratiques sportives en France
Enquête 2000
Ministère de la Jeunesse des Sports et de la Vie associative, Institut national du sport et de l'éducation physique, Patrick Mignon et al. (dir.)
2002
Données et études statistiques : jeunesse, sports et vie associative
Recueil des travaux et publications de la Mission statistique de 1999 à 2004
Sandrine Bouffin, Myriam Claval et Hervé Savy (dir.)
2006