David Smétanine, la vie à bras-le-corps
p. 163-165
Texte intégral
1“Je prenais déjà des cours de natation quand j’étais petit, tout en faisant, et ce pendant plus de dix ans, du judo. C’est en 1992, au moment des Jeux olympiques de Barcelone, que j’ai vraiment eu le déclic. J’ai vu, à la télé, du haut de mes 18 ans, une équipe de France heureuse de nager et de vivre ensemble. Et avec, cerise sur le gâteau, la médaille de bronze de Franck Esposito. C’est à cette époque que j’ai décidé de réellement m’investir dans ce sport. J’ai alors commencé par faire de la compétition et j’ai intégré des groupes départementaux, puis régionaux, en nageant une, puis deux fois par jour, avec des séances de musculation. J’étais trop âgé pour viser le haut niveau. Je n’avais peut-être pas le talent, ni surtout la détermination à l’époque, mais une qualification pour les championnats de France me semblait dans mes cordes. Jusqu’à mon accident, en 1995. J’étais sur la route, entre Grenoble et Chambéry. Le train avant de ma voiture est parti, on ne sait pas vraiment ce qui s’est passé. Je conduisais pourtant très prudemment. Je n’avais pas ma ceinture et c’est ce qui m’a finalement sauvé la vie, car j’ai été éjecté par la fenêtre. On m’a dit que la grosseur de ma cage thoracique, développée grâce à la natation, m’avait protégé. Mais j’ai eu la moelle épinière compressée et je souffre depuis d’une tétraplégie et d’une paraplégie incomplètes. J’arrive à bouger mes jambes, j’ai récupéré tout le haut du corps, mais j’ai des séquelles interosseuses au niveau des doigts. Je n’ai pas de force. Dès que j’entame un travail d’endurance, mes mains fatiguent. Et je n’ai pas de dextérité et de coordination suffisantes, au niveau des jambes, pour faire des battements de pieds, par exemple.
MAIS J’AI TRÈS VITE REPRIS LA NATATION
2Quelques semaines après mon accident. D’abord pour des raisons thérapeutiques. J’avais des frites sous les bras, un ballon, je me disais : « Ce n’est pas possible ». Un des kinésithérapeutes était entraîneur national handisport et il était persuadé qu’avec mes qualités et ma volonté, je pouvais peut-être devenir un bon nageur handisport. Quand j’étais valide, ma spécialité était la brasse. Je suis devenu crawleur par le biais du handisport. Un an plus tard, en 1996, alors que j’étais encore en rééducation, je me suis qualifié pour les championnats de France et la belle aventure a commencé...
3J’ai gravi petit à petit les échelons, notamment grâce à des participations aux compétitions valides dès 2003. J’étais d’ailleurs présent aux championnats de France valides de Saint-Étienne, en 2003, l’épreuve où tout a vraiment démarré pour Laure Manaudou aussi, chez les seniors. Je me suis qualifié, à l’époque, pour les Jeux paralympiques d’Athènes de 2004, mais je n’en étais qu’au début de ma carrière handisport. Et ma médaille de bronze sur 50 m nage libre sonnait déjà comme une belle récompense. Mais en repartant de Grèce, je me suis dit que je devais encore franchir un palier pour avoir de vraies ambitions, quatre ans plus tard, à Pékin. J’ai commencé à beaucoup plus nager, notamment en compétition. Lors des championnats de France, je prenais le départ de sept courses pour m’habituer à avoir un rythme et un programme élevés.
4Je m’entraîne depuis plusieurs années dans un club valide, le Natation Sassenage Seyssinet (NAT2S), mais j’ai un programme qui est légèrement adapté par rapport aux nageurs valides. Par exemple, quand ils « font » les jambes, je « fais » les plaquettes, pour travailler la résistance. Pour les valides, les jambes sont un deuxième moteur. Moi, j’ai besoin de plus de puissance au niveau des bras. Donc, je travaille avec une cadence identique, mais un appui plus gros, pour tenir les fins de course et avoir plus de résistance. C’est le modèle qui marche par rapport à mon handicap. Je me mets le plus souvent avec les filles, car elles vont un peu moins vite et les garçons peuvent ainsi accélérer sans gêne de ma part. Mais je partage aussi souvent, avec eux, des séries de vitesse. Je nage six jours sur sept, avec des semaines à cinquante ou soixante kilomètres, et, en moyenne, dix à douze kilomètres par jour à l’entraînement.
J’AI AUSSI BEAUCOUP PROGRESSÉ SUR 100 M
5Grâce aux conseils d’entraîneurs pour valides, notamment Pantcho Gurkov, l’ancien entraîneur de Simon Dufour, à Montpellier. Il m’a d’ailleurs accueilli à plusieurs reprises lors de stages et j’ai pu partager des épreuves de Coupe de France avec leur groupe. Et même si j étais loin derrière, j’étais avec eux : c’était l’essentiel. Cet entraîneur m’a dit en 2005, alors que j’étais déjà dans ma préparation pour Pékin, que je devais impérativement nager ma première longueur sur 100 m assez vite, tout en restant calme. À savoir que, contrairement à un nageur valide, je n’ai que les bras qui travaillent. Il faut donc que je reste concentré sur ma technique lors du premier 50 m, en nageant le plus relâché possible pour ne pas perdre trop d’influx. Didier Seyfried, responsable de l’unité informatique appliquée au sport à l’INSEP, m’a aussi conseillé dans ce sens, en m’orientant vers une nage encore plus économique tout en étant aussi rapide.
6Toutes ces rencontres, tous ces échanges m’ont permis de progresser, de prendre conscience de mon potentiel, et je suis arrivé à Pékin en étant plus fort que jamais et bien déterminé à frapper un grand coup. Avec l’équipe de France paralympique, nous avons rejoint la Chine quelques jours seulement avant le début des compétitions. J’avais déjà commencé à m’acclimater au décalage horaire avant même le départ, en essayant de me lever plus tôt, de manger aux heures des repas en Chine, etc. J’étais content d’arriver au dernier moment pour éviter de perdre trop d’influx au village olympique. J’étais même assez surpris d’être aussi en forme lors de mes premiers entraînements. Mon entraîneur était même obligé de me freiner.
7J’ai commencé idéalement ces Jeux paralympiques en réalisant une performance dès les séries du 100 m nage libre (1’23”8), à dix centièmes de mon record d’Europe (1’ 23”68), alors que j’étais encore sous le coup du décalage horaire et fatigué par ma préparation. J avais plus d une seconde d avance sur mes adversaires potentiels, j’étais le seul à nager sous les 1’ 24”. Je me disais que si, en finale, je ne me laissais pas submerger par la pression, une médaille serait normalement au bout. Et c’est ce qui s’est passé, même si je me suis un peu crispé sur la fin, car je pensais tellement à la victoire ! D’où un chrono moins rapide (1’24”67), mais avec l’or au bout des deux longueurs.
8Lorsque j’ai entendu la Marseillaise à l’issue du 100 m nage libre, j’ai tout de suite compris que je venais de faire un « truc ». C’est la première fois que je m’imposais sur une course de ce niveau et je n’ai pas attendu pour savourer. Mais d’un autre côté, tout au long de la semaine, rien ne m’a paru vraiment exceptionnel. J’étais à Pékin pour gagner, en étant extrêmement bien préparé, et plus les jours passaient, plus j’avais l’impression de remplir mon contrat. Je ne me suis pas rendu compte tout de suite que le défi que je m’étais lancé – cinq courses – était finalement un peu hors normes. C’est seulement à mon retour en France, avec l’engouement du public, des médias, la réception à l’Élysée, que l’émotion m’a rattrapé et que j’ai compris que mes quatre médailles avaient eu un peu de retentissement.
9Je me suis aussi vite rendu compte que, par rapport à ma préparation, j’étais plus frais le matin que le soir. Si nous avions eu, nous aussi, des finales le matin, je pense que j’aurais pu faire de grandes choses, d’un point de vue chronométrique, contrairement aux valides.
10Après le 100 m, la victoire la plus symbolique pour moi reste le 50 m nage libre, car je n’avais eu que le bronze à Athènes sur cette épreuve. C’était la dernière course des Jeux et je voulais finir par une nouvelle Marseillaise. Dans les toilettes, juste avant la course, je me rappelle m’être regardé dans la glace en me disant : « Allez, il te reste un échauffement, une course, tu n’as pas le droit de te rater. » Chaque jour d’ailleurs, je faisais un décompte. Plus que trois courses, deux, une... Et finir ces Jeux par une deuxième médaille d’or a été la plus belle récompense pour moi. Dès la cérémonie de clôture à Pékin, j’ai dit que je repartais jusqu’en 2012, et je vais tenir parole. On a une équipe de France qui est tellement belle et soudée, et dans laquelle je me sens si bien que j’ai envie de vivre ces quatre prochaines années avec eux. Et j’ai aussi un challenge suffisamment motivant. Je veux refaire cinq finales aux Jeux et, cette fois-ci, les gagner toutes.
MES PERFORMANCES A PEKIN M’ONT MIS SUR LE DEVANT DE LA SCÈNE
11Et on m’a souvent, depuis, comparé à Alain Bernard. Je me suis toujours senti l’égal d’Alain. Pas parce que nous gagnons tous les deux des titres. Mais simplement parce que je suis un athlète comme lui, un nageur qui a soif de victoires et qui se donne les moyens pour cela. Avant le début de l’été, nous avions tous les deux le même rêve et nous l’avons concrétisé. Qu’il soit valide et moi handicapé ne change rien. Alain est non seulement un garçon qui a des qualités techniques hors normes et une pointe de vitesse exceptionnelle, mais c’est aussi quelqu’un de simple, d’humain. C’est la raison pour laquelle je me sens proche de lui. Nous nous sommes rencontrés à Marseille, en 2004. J’étais en stage pour préparer les Jeux paralympiques d’Athènes et lui n’avait pu se qualifier pour les JO en raison de sa mononucléose. On a sympathisé, je lui ai demandé si je pouvais récupérer un de ses bonnets du CNM, car j’avais vraiment apprécié notre rencontre et le club. On s’est revu ensuite dans les différentes compétitions, il a suivi mes « perfs » et moi les siennes, bien sûr. On s’est encore envoyé des SMS et des mails avant les Jeux. Et j’ai aussi d’excellents contacts avec son entraîneur, Denis Auguin, qui est quelqu’un de fantastique.
12En finale du 100 m, j’ai d’ailleurs beaucoup pensé à Alain. Je me disais : « Lui, il est rentré avec le deuxième temps des engagés et, finalement, il gagne. Toi, tu as le meilleur chrono, tu ne peux pas perdre. » Les résultats de l’équipe de France valide rejaillissent forcément sur nous. C’est une excellente source de motivation pour tous les nageurs handisports. Tout comme j’espère que le fait d’avoir gagné le 50 m donnera des idées à Amaury Leveaux, Alain et les autres. Si j’ai fait le doublé, ils peuvent le faire aussi. De toute façon, plus on aura d’échanges avec les nageurs valides de haut niveau, plus on se croisera en compétition, plus tous les nageurs handisports progresseront. J’espère qu’un jour nous pourrons avoir des stages en commun avec l’équipe de France valide.
13Je sais que la Préparation olympique et paralympique, ainsi que l’INSEP, ont beaucoup réfléchi à la question depuis la fin des Jeux et que des solutions vont certainement nous être proposées à l’avenir. Notamment la possibilité, pour nous, de faire des stages internationaux car, aujourd’hui, pour espérer rivaliser avec les meilleurs nageurs mondiaux, nous devons nager avec eux, et contre eux, le plus souvent possible.
JE ME SENS TRÈS IMPLIQUÉ DANS TOUS CES DOSSIERS. ET ENCORE PLUS DEPUIS QUE JE SUIS ÉLU À L’IPC
14(International Paralympics Committee), où je suis, depuis les Jeux de Pékin, consultant et représentant des athlètes. J’y ai pour mission de faire passer des messages et c’est un rôle qui me tient à cœur et qui me permet de m’impliquer au sein même de notre mouvement. Avec ce rêve un peu fou qu’un jour les Jeux olympiques soient organisés après les Jeux paralympiques.
15À titre personnel, ce serait aussi un rêve pour moi de pouvoir travailler avec des grands entraîneurs de nageurs valides. Mais est-ce que des clubs, par exemple, pourraient m’accueillir ? Est-ce qu’ils pourraient trouver le temps pour adapter un deuxième entraînement pour moi ? Ce n’est pas si compliqué d’entraîner des nageurs handisports. Il suffit de quelques petites adaptations : pour compenser les jambes, je dois plus travailler musculairement avec les bras ; je ne fais pas des départs « minute », comme les autres, mais des départs « minute 30 ». Alors oui, ça peut perturber un peu l’entraînement, mais les clubs s’adaptent vite, en général. En tout cas, ce serait un plaisir d’entraînement pour moi, et pour eux aussi, je pense. Je vais bosser comme un dingue pendant quatre ans et c’est un beau challenge pour un entraîneur. Car, dans un bassin, mon seul objectif est de gagner et d’améliorer sans cesse mes chronos. Je ne suis pas quelqu’un de si compliqué, finalement.”
DAVID SMÉTANINE EN BREF
Natation handisport
Né le 21 octobre 1974, à Grenoble (38).
Taille : 1,84 m
Poids : 67 kg
Club : Natation Sassenage Seyssinet–NAT2S (38)
Catégorie :
Natation handisport S4 tétraplégie.
Jeux paralympiques :
1er, 50 m et 100 m NL,
2e, 200 m NL et 50 m dos (2008),
3e 50 m NL (2004).
Mondiaux : 2e 100 m et 200 m NL (2006).
Quatre records d’Europe (50 m, 100 m, 200 m libre, 50 m dos).
Chargé de mission sport-handicap à la Ville de Grenoble.
Représentant des athlètes au Comité paralympique international (CIP).
Consultant, au stade de France, pour les questions d’accessibilité. Parrain de l’association ELA (lutte contre les leucodystrophies).
Président régional de « Premiers de cordée » (lutte contre la violence par le sport).
Auteur
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Pékin 2008
Regards croisés sur la performance sportive olympique et paralympique
Institut national du sport et de l'éducation physique (dir.)
2008
La pratique des activités physiques et sportives en France
Enquête 2003 – Ministère de la Jeunesse, des Sports et de la Vie associative Ministère de la Culture et de la Communication, Insee
Hervé Canneva (dir.)
2005
Les pratiques sportives en France
Enquête 2000
Ministère de la Jeunesse des Sports et de la Vie associative, Institut national du sport et de l'éducation physique, Patrick Mignon et al. (dir.)
2002
Données et études statistiques : jeunesse, sports et vie associative
Recueil des travaux et publications de la Mission statistique de 1999 à 2004
Sandrine Bouffin, Myriam Claval et Hervé Savy (dir.)
2006