Tout ce qu’il me reste de mes Jeux !
p. 151-154
Texte intégral
1“Deux ans avant Pékin, tout s’est enchaîné pour moi. Il y a eu mon titre de champion du monde juniors en octobre 2006 et, auparavant, celui de champion d’Europe juniors, en septembre. En avril 2007, je suis devenu champion d’Europe seniors des poids lourds et, dans la foulée, en septembre, champion du monde seniors. Pas le temps de souffler puisqu’en janvier 2008, me voilà sacré champion de France ! C’est à partir de là, je crois, que j’ai vraiment commencé à me projeter dans les Jeux. Que j’ai commencé à me préparer. Cela n’a pas toujours été simple, car j’ai eu des problèmes physiques. Mais toute ma saison, à partir de là, a été braquée sur Pékin. À chaque fois que je faisais une compétition, ou que je ne la faisais pas, d’ailleurs – comme les championnats d’Europe 2008, sur lesquels j’ai fait l’impasse –, c’était avec cet objectif en tête. Quant au tournoi de Hambourg, juste après ma victoire au tournoi de Paris, en février 2008, on a décidé que j’y participerais pour pouvoir affronter Muneta : un petit gaucher du type de ceux qui me posent le plus de problèmes. Finalement, j’ai terminé cinquième et Muneta n’est pas venu aux Jeux... La défaite ne m’a pas affecté outre mesure, parce qu’à la base il n’était pas prévu que je fasse ce tournoi : j’avais juste joué pour « prendre un gars », c’est tout. Début mai, après une phase de préparation physique pour les Jeux, je pars au Brésil. Là-bas, il y a l’opportunité, pour moi, de me mesurer à Schlitter, un « gros client ». À l’entraînement, je comprends vite qu’avec lui, je dois être le premier à la garde pour ne pas lui laisser sa chance. Sur le tapis, il me gêne vraiment, il se déplace sans cesse. Comme il est droitier, et moi aussi, nous sommes en garde emboîtée. L’idée, pour moi, c’est de le saisir avant qu’il ne le fasse. Pour m’empêcher de monter mes mains au revers, il me gêne à la manche. Cela me fait perdre du temps, de l’énergie et lui laisse des opportunités. Mais il assure s’être blessé après l’entraînement et préfère décliner notre affrontement, alors que nous sommes chez lui, au Brésil. Il n’y a pas eu de combat...
2Pouvoir me mesurer aux meilleurs est un bon exercice et je dispose, en France, de sacrés partenaires d’entraînement pour cela. À l’entraînement, on tente tous plein de choses et ce que l’on essaie n’a souvent rien à voir avec ce que l’on engage en compétition, où davantage de paramètres entrent en ligne de compte.
3Après le Brésil, je participe à un autre tournoi en juin, à Celje, en Slovénie. J’ai des difficultés en finale contre le Hongrois Barna Bor. Je suis mené au score d’un « waza-ari », ce qui a été rare jusqu’à présent pour moi. Juste avant le temps final, je commence à m’activer, j’attaque et je gagne sur « ippon ». Sur tous ces tournois, je prends beaucoup d’informations. Comment untel attaque, les différentes gardes mises en place sur moi, comment un autre se conduit en cours de match, ce qui peut le gêner... C’est très riche en enseignements. Nous sommes à un mois des Jeux et je n’ai plus de rencontres sur mon planning avant les JO ; il s’agit donc de se préparer, parce que mes prochains adversaires, c’est à Pékin que je vais les rencontrer...
FIN PRÊT POUR PÉKIN
4Je me sentais déjà bien à l’entraînement, jusque-là. Mais c’est en stage au Japon, juste avant Pékin, que j’ai totalement pris confiance en moi. Là, je suis sûr de moi. Je retrouve mes pleines sensations, après avoir été bien embêté par un hématome au tibia pendant ma préparation. Quand la prépa touche à sa fin, nous sommes en juillet. Auparavant, il y a eu plusieurs stages, notamment celui d’Houlgate, en Normandie, qui m’ont permis de bien me concentrer et de m’apaiser. C’est sûr : à ce moment-là, je pars pour la Chine avec la médaille d’or en tête. Enfin, je dis ça aujourd’hui, mais ce que je ne voulais pas, avant toute chose, c’était perdre ! Je sais qu’à Pékin, il va y avoir des adversaires difficiles : le Japonais Satoshi Ishii, le Russe Tamerlan Tmenov, le Brésilien João Gabriel Schlittler... Ils sont potentiellement tous dangereux pour moi. Avec Patrick 1 et Franck 2, on s’est préparé au maximum pour affronter ces adversaires attendus.
5Sept jours avant le début des rencontres à Pékin, je découvre enfin mon tableau. Je me dis que c’est possible, même si, quand même, certains me gênent beaucoup. Le Tunisien Anis Chedli, notamment, pour le premier tour. Comme judoka, il est dangereux : il peut te balancer n’importe quand, n’importe comment. Avec lui, si t’es pas vigilant, notamment à la garde, t’es mal parti ! Je ne l’ai encore jamais pris en compétition, juste une fois lorsque j’étais cadet. Mais j’ai pu voir comment il fonctionnait : Chedli, c’est un bastonneur et il ne lâche rien. Pour le deuxième tour, devrait se présenter un Kazakh que je n’ai encore jamais rencontré : Yeldos Ikhsangaliyev. Et puis, il y aura sûrement l’Ouzbek Abdullo Tangriev... Je sens aussi que prend forme une très grande attente sur ma performance, autour de mon nom. La pression monte : beaucoup me voient déjà revenir avec l’or...
CE QUE JE RETIENS DE MES JEUX
6Je démarre ma première journée de compétition à Pékin en me disant que je n’ai absolument pas le droit de perdre. Je dois faire mon judo sans prendre trop de risques, pour aller le plus loin possible. L’idée que j’avais des Jeux avant d’y être, c’est que ça allait être la bagarre. Qu’on allait me rentrer dedans et j’étais prêt pour relever ce type de défi ! Et c’est ce qui va se passer, d’ailleurs, sur certains combats... Au premier tour, je savais que Chedli allait me foncer dessus et que ça pouvait partir de tous les côtés. Je ne m’étais pas trompé : il « bastonne » fort sur la garde et sur les attaques qu’il essaie de me balancer. Mais il ne marque pas. Il se met en posture d’attente et guette mon erreur. Dans ce combat, je la joue tranquille. Et quand, à un moment, je perçois une ouverture, j’y vais. Finalement, on finira au « golden score » (prolongations). C’est gagnant pour moi. J’ai eu chaud !
7Au deuxième tour, place à Ikhsangaliyev. Je ne connaissais pas vraiment le judoka kazakh, mais je sens tout de suite qu’il joue le combat de sa vie. Je me dis que, tant que j’ai ma garde, je peux ouvrir et attaquer. Mais la technique n’est pas infaillible, parce que rien ne me dit qu’en face il va vouloir me laisser lui imposer mon jeu : il peut me contrer direct ou se mettre dans des postures qui vont me gêner. Chaque combat est important, pourtant celui-ci me met une pression particulière, parce que, de son issue, dépend mon passage – ou non ! – en quarts de finale. Alors, j’attaque direct avec ma garde préférentielle. Et c’est terminé ! Cette victoire me redonne confiance pour la suite. J’ai le sentiment d’être enfin entré dans la compétition.
8Me voici en quarts. Je comprends tout de suite que je me suis trompé : je pensais que Tangriev allait jouer l’usure, en sautant dans tous les sens, comme il en a l’habitude. Sur les stages, quand je l’avais pris, il attaquait, mais était gêné à cause de ma garde. Mais ce n’est absolument pas ce qu’il fait. Il joue comme s’il savait qu’il ne pouvait pas gagner et s’ingénie à me « pourrir » le match. Il n’essaye pas de me prendre la manche. Il se met en gaucher décalé. Et ça marche pour lui ! Avec le recul, je me dis que j’aurais dû le croiser et le secouer pour le mettre à genoux. Malheureusement pour moi, je suis resté dans un judo stéréotypé. J’étais focalisé sur sa manche que je voulais prendre. Et lui, refusait le combat ! Sur le tapis, j’enrage : il n’attaque pas et, de nous deux, je suis celui qui se met le plus en danger. Je n’entends rien de ce que me dit Franck et, dans cette configuration, je suis gêné ; j’attendais un combat rude et il ne vient pas. Du coup, nous allons au « golden score » sans avoir marqué et, là, je prends une pénalité synonyme de défaite. Sur le coup, je suis dégoûté, parce que je ne comprends pas pourquoi on m’inflige le « shido ». Enfin, si, je comprends, mais je trouve que ce n’est pas mérité sur la globalité du combat. Pendant toute la durée de celui-ci, Tangriev aurait pu se prendre une pénalité et cela n’a pas été le cas. Il fait trois simulacres d’attaque et, à la troisième, je suis obligé de me mettre à genoux. Il avance, il avance sur moi sans vraiment attaquer : que faire ? Je ne trouve pas la solution. Il a une technique très bizarre, Tangriev. En compétition, c’était la première fois que je me retrouvais dans une situation comme celle-là ; en fait, ça ne m’était arrivé qu’une seule fois auparavant, au tournoi de Paris, en finale contre Mikhaylin. Du début à la fin, l’entraîneur ouzbek fait de l’intox et cela me déstabilise. Sur sa chaise, Franck, lui, est impassible par rapport à l’arbitre – ce n’est pas dans nos valeurs, en France, d’agir ainsi contre l’arbitre –, il ne bouge pas, alors que l’autre, en face, ne reste pas en place et hurle. Ça faisait partie du jeu et si je le retrouvais maintenant, je le féliciterais pour sa manière de faire ! Dans ma tête, je sais que poser ma deuxième main sur Tangriev, c’est une erreur que je ne dois pas commettre, parce que je me laisse imposer son rythme. Et je perds. C’est comme ça. La solution, je l’ai maintenant : j’aurais dû faire un judo qui n’était pas le mien, pour le mettre, lui, à genoux. Changer de saisie. Le croiser. Mais l’occasion d’aller chercher l’or vient de m’échapper... c’est très frustrant, je suis effondré !
NE PAS LAISSER ÉCHAPPER MA CHANCE !
9Je suis repêché : l’aventure continue pour moi. Désormais, je n’ai plus rien à perdre. Je vis tout ce qui va suivre comme une nouvelle journée qui commence. Pourtant, à peine trois quarts d’heure se sont écoulés avant que je ne retourne sur le tapis... Malgré mes efforts, il m’est néanmoins difficile de me remettre « dedans ». Difficile d’enlever de mon esprit ce qui vient de se passer. Mais c’est pourtant nécessaire et il faudra toute l’attention et l’énergie du staff pour me remobiliser et me faire repartir au combat. Il le faut, parce qu’au bout du compte, j’en ai la certitude, il y a quand même encore une chance de médaille pour moi ; je suis donc bien décidé à aller jusqu’au bout.
10Au premier tour (de repêchage), je prends l’Allemand Andréas Tölzer. D’entrée de jeu, je lui mets deux « yuko » sur « sumi gaeshi ». Mais c’est vrai, j’ai encore du mal à être dans le match. Et puis, coup sur coup, j’écope de deux pénalités, pour sortie de tapis, je crois. Mentalement, je dois tenir. Finalement, je l’emporte, deux « yuko » à un. Je n’ai pas de satisfaction particulière sur ce match, si ce n’est celle de pouvoir continuer à avancer dans la compétition. Mais cette rencontre, contrairement à la précédente, je parviens à l’oublier tout de suite. Tant mieux pour moi, parce que ma journée est loin d’être terminée !
11Après ce premier tour, il y a une grosse coupure. Je lâche tout. Je m’hydrate, je change de kimono, je me motive. Le staff se remobilise autour de moi, pour m’inciter à relever le défi. J’essaie, de toutes mes forces, de me concentrer sur ce deuxième tour : la tête du Brésilien est mise à prix ! Entre nous deux, João Schlittler et moi, il y a une vraie rivalité. Il n’avait pas voulu me prendre au tournoi du Brésil : j’ai donc-une revanche à prendre. Je rentre dans le match sans consignes particulières. Je sais ce que j’ai à faire : prendre la garde le premier, saisir sa manche, ne pas le laisser venir, le croiser pour qu’il prenne des pénalités. Je dois prendre l’initiative et c’est ce que je fais. Je monte sur le tapis bien concentre, il fait un « sumi gaeshi » étrange. Il y a une attaque, on se relève. Il essaie de m’attirer au sol, je me déplace, je prends la garde... Tout va très vite. Cela reste mon plus beau souvenir de la compétition, parce que Schlittler, c’est un gros combattant, et que la rencontre n’a pas duré plus d’une minute. Le « ippon » que je lui mets direct, quel pied ! Et puis, ça y est, je suis passé ! Je sens la satisfaction monter. Je me dis qu’il n’y a plus qu’un combat pour une place sur le podium. Je ne sens plus la fatigue. Je suis bien. Très bien.
12En place de trois, je prends Lasha Gujejiani. Un solide morceau, le Georgien ! Je l’ai pris en finale du championnat d’Europe seniors 2007. Je l’avais battu. C’est quelqu’un qui ne refuse pas le combat, qui y va franc-jeu. Il n’est pas comme le Brésilien : avec lui, on s’est toujours affrontés sec sur le tapis ! Il ne me pose pas de problèmes particuliers tout en restant très dangereux. Mais je sais ce que j’ai à faire avec lui : la garde, la manche... C’est un droitier, qui tourne des deux côtés, en plus. Au championnat d’Europe, j’ai eu le malheur de ne pas être vigilant avec lui et j’ai failli me laisser cueillir au moment où je montais sur une saisie. Heureusement, je m’étais rattrapé. Sur notre combat des Jeux, il se prend une moulinette (pénalité) dès le début du combat. Il fonce dans mes jambes, je bloque, ça va très vite, encore. J’attaque et marque sur « osoto » (une technique de jambes). Et puis il est au sol, je le contrôle en « osae komi » (immobilisation), il a mal au bras. Je lui dis : « sors, sors ! » Je regarde le temps, je ne fais pas d’erreur. C’est « ippon » sur immobilisation. Ça y est, c’est le bronze !
13Ces Jeux, il m’en reste une petite amertume : celle de ne pas m’être fait « boiter ». Ça viendra peut-être un jour ! Sur le plan tactique, j’ai l’impression d’avoir progressé. Sur la logique de l’arbitrage aussi : j’ai intégré que, lorsque tu enchaînes au sol, les arbitres ont tendance à ne pas mettre de pénalité. Il faut dominer l’adversaire, quitte à le balancer à quatre pattes sur le tapis s’il refuse le combat, montrer que l’autre ne fait rien pour que les pénalités montent plus vite. Les deux derniers combats, on les avait bien préparés et cela s’est avéré payant. Continuer à bien étudier mes « clients » avec la vidéo est une bonne option, car cela permet de bien connaître la manière dont ils démarrent, les gardes qu’ils préfèrent, leurs attaques... c’est précieux ! Sur les consignes d’avant-combat et sur ma tactique, c’est vrai, les coachs ont raison : je dois encore progresser. Je dois être plus stratège. Développer davantage de styles de saisies pour trouver des solutions nouvelles. Et puis faire de nouveaux progrès au sol, où je suis encore un peu trop « novice », par rapport à un adversaire comme Tangriev, par exemple. Et même si j’étais parti pour l’or et que je n’ai pu l’atteindre, qu’est-ce que je suis heureux de cette troisième place et du bronze !”
TEDDY RINER EN BREF
Judo
Né le 7 avril 1989, à Pointe-à-Pitre (Guadeloupe)
Taille : 2,02 m
Poids : 130 kg
Grade : 2e DAN
Pôle France INSEP
Entraîneurs : Patrick ROSSO et Stéphane FRÉMONT
Profession : formation micro-informatique réseau, installation et maintenance Club : Lagardère (Paris Racing 75)
Jeux olympiques Pékin 2008 :
1re participation, médaillé de Bronze
Championnats du monde :
Médaillé d’or en +100 kg à Rio en 2007 et en toutes catégories à Levallois-Perret en 2008
Médaillé d’or Juniors à Saint-Domingue en 2006 et à Bangkok en 2008
Championnats d’Europe :
Médaillé d’or à Belgrade en 2007
Médaillé d’or Juniors à Tallin en 2006
Championnat de France :
Médaillé d’or en 2008
Autres performances :
1er au Tournoi de Paris Île-de-France en 2008 et 2009
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Pékin 2008
Regards croisés sur la performance sportive olympique et paralympique
Institut national du sport et de l'éducation physique (dir.)
2008
La pratique des activités physiques et sportives en France
Enquête 2003 – Ministère de la Jeunesse, des Sports et de la Vie associative Ministère de la Culture et de la Communication, Insee
Hervé Canneva (dir.)
2005
Les pratiques sportives en France
Enquête 2000
Ministère de la Jeunesse des Sports et de la Vie associative, Institut national du sport et de l'éducation physique, Patrick Mignon et al. (dir.)
2002
Données et études statistiques : jeunesse, sports et vie associative
Recueil des travaux et publications de la Mission statistique de 1999 à 2004
Sandrine Bouffin, Myriam Claval et Hervé Savy (dir.)
2006