« Être un homme » : le parcours de Venceslas Dabaya
p. 53-60
Texte intégral
1À quoi pense-t-il, ce mardi 12 août, Venceslas Dabaya, lorsqu’il monte sur la deuxième marche du podium à Pékin ? Quelles images l’haltérophile fait-il défiler dans sa tête, en tenant fièrement sa médaille d’argent des moins de 69 kg ? Pense-t-il à Daniel Senet, le dernier médaillé olympique français de la discipline, en 1976 ? Pas sûr. Ce sont sans doute des souvenirs d’une enfance passée dans un petit village camerounais qui lui remontent en bouffées. Une revanche sur un destin qui aurait pu lui échapper, après des années d’efforts, de solitude, de déracinement. C’est que, jusqu’à cette consécration olympique, le chemin a été long pour le jeune sportif. Venceslas est né le 28 avril 1981, à Rumba. Dans son pays, le sport roi, c’est le football. Son père y a beaucoup joué, en deuxième division. Que son fils mette un jour ses crampons dans les siens l’aurait sans doute comblé. Mais l’haltérophilie, au Cameroun, compte aussi beaucoup. Le pays aligne plusieurs champions dans la discipline et douze d’entre eux, avant Venceslas, ont été formés en France. Tout petit déjà, ces colosses aux muscles saillants, ces « hommes forts » capables de soulever à l’arraché barre et poids, le fascinent. En cachette de ses parents, petit bonhomme d’une dizaine d’années, il épie leurs entraînements. L’opportunité de les approcher se présente le jour où l’un de ses copains, qui avait accès au lieu de toutes ses convoitises, lui offre de porter son sac et de pousser avec lui la porte de la salle de sport. « Vas-y, essaie », lui lance-t-il en montrant une barre de douze kilos. Pour s’amuser, il rajoute même des poids. Venceslas ne se dégonfle pas : « Je voulais tout casser », m’a-t-il raconté. Les mois passent et lorsque, pour la fête de l’haltérophilie, l’entraîneur cherche des jeunes, Venceslas, qui sort déjà du lot, lui est proposé. Nous sommes en 1992. Le 10 février, il rate 50 à l’épaulé. Qu’importe, il va vite progresser : 55, 60, 70...
BRAVER L’INTERDIT
2Dès qu’il a un peu de temps libre, le gamin file à l’entraînement, en le cachant à ses parents, puis rentre vite à la maison. En août, a Banga, Venceslas passe trois mois de vacances dans la région côtière du Mungo, où vit son frère. Il découvre, assis par terre, la ferveur des JO de Barcelone sur un petit écran de télé. Il vibre : « Pérec, Richardson, tous ces champions : comment ont-ils fait pour arriver jusque-là ? » À son retour à la maison, il constate que ses copains ont continué à progresser. Plus question de vacances pour lui, d’autant qu’il vient d’être sélectionné pour la Coupe du Cameroun. Mais comment y participer sans l’autorisation de ses parents ? Il lui faut enfin les convaincre, trouver l’argent pour payer sa licence. Il va trouver son père, qui est alors hospitalisé, pour lui demander son accord. Son père lui donne les 1750 francs CFA de la licence. Un beau cadeau, puisque la somme correspond au montant de son traitement médical. Sa mère, elle, campe sur ses positions : pas question que son petit fasse un sport aussi dangereux que l’haltérophilie ! Mais Venceslas s’obstine. Il termine troisième de la Coupe et enrage. Son père l’encourage : « Quand tu fais quelque chose, fais-le correctement ! Et tu pourras en vivre grâce à ton physique. Un jour, on parlera du nom de Dabaya dans le monde entier ! »
3Sa mort, en 1993, va démultiplier la motivation de Venceslas. Le jeune garçon a une idole, un modèle : Sam Ndicka, un champion du Cameroun qui a pu aller en France. Dans un coin de sa tête, il se prend à y rêver à son tour. Sélectionné, en 1995, dans l’équipe juniors pour les Jeux africains, qui se tiennent à Harare, au Zimbabwe, il se voit revenir médaillé, avec une performance de 200 kg en - 56 kg. Pour la première fois, une autre vie s’est ouverte à lui : Venceslas a pris l’avion, a eu des papiers d’identité et a pu côtoyer des champions pendant deux semaines. Sam était même du voyage ! « C’est ma plus belle compétition internationale », se souviendra longtemps le futur médaillé de Pékin. Là-bas aussi, il rencontre mon père, Jean-Claude Collinot. DTN, il gère les boursiers olympiques par le biais du Relais France/Cameroun, mis en place par la coopération française. Il met en garde une poignée de jeunes, parmi lesquels Venceslas : « Si vous voulez aller en France, il vous faut plus de rigueur, beaucoup travailler ». Au cours de ces Jeux, Dabaya a découvert le self-service, le repas pris à table. Après ces Jeux, il a mûri son ambition : « Je voulais être comme Sam, je devais chercher à le battre, car il était alors au sommet de sa catégorie et avait fini deuxième au championnat du monde juniors ». À la maison, les temps sont durs. Pas simple pour sa mère d’élever ses six frères sans les revenus du mari disparu. Mais, vaincue à son tour par l’obstination de l’haltérophile promis aux plus grandes réussites, elle a baissé la garde. Venceslas met du cœur à l’ouvrage quand il s’entraîne, acquiert de la rigueur et peut surprendre le regard admiratif que pose sa mère sur ses muscles. Pendant trois années, jusqu’en 1998, Venceslas et son équipe ne vont pas quitter le Cameroun.
LA DÉCOUVERTE DE LA FRANCE
4Au Cameroun, les amateurs ont peu d’occasion de se mesurer aux meilleurs étrangers. Claude, Sam et Alphonse évoluent, eux, en France. Sélectionné de nouveau au championnat d’Afrique juniors qui se tient en Égypte, il s’y prépare avec acharnement, puisant en lui toutes les ressources. Il devient champion d’Afrique juniors. En moins de 62 kg, incontournable, il se classe troisième aux Jeux d’Afrique de 1999. Mais comment progresser sans concurrence quotidienne au Cameroun ? Partir pour l’Europe, voilà la chance à saisir. Quelques semaines plus tard, il est engagé pour le championnat du monde, à Athènes. L’échauffement est mal mené, il est éliminé à l’arraché et trente-sixième à l’épaulé-jeté. Il y retrouve Jean-Claude qui lui parle du meilleur club français : Avallon. Sam, qui y joue, peut l’héberger. Il a besoin d’une structure stable pour viser un podium olympique, ce qui lui est inaccessible dans un club camerounais, où les participations aux grandes compétitions sont limitées. Pour lui, une nouvelle vie doit commencer...
5Avec deux autres juniors, Venceslas fait donc un bref passage en France, à Avallon, le club que je dirige alors. L’adolescent entrevoit tout de suite les meilleures conditions d’entraînement : « Ici, on travaille avec des collants neufs, des chaussures neuves, des barres toutes neuves et bien droites. Même les jeunes utilisent de la magnésie, alors qu’au Cameroun, elle n’est employée que pour les compétitions très importantes ! » Pour être le meilleur dans son pays, avec les conditions matérielles qui sont les siennes, beaucoup de travail l’attend : « Surtout, ne jamais reculer, ne pas stagner, avancer ».
LES TALENTS CAMEROUNAIS
6Jean-Claude Collinot, qui coache souvent l’équipe du Cameroun, a une longue expérience. Entre 1987 et 1994, il a été le premier à s’occuper de l’entraînement des filles, avant de prendre la tête d’une mission de coopération entre la Fédération française et la Fédération camerounaise. Apportant matériel et documentation, il a formé des jeunes, visité les salles de sport. Il a repéré Sam, qu’il a fait venir en France. Il en est sûr : « Il faut miser sur Venceslas ». Depuis 1992, tous les représentants du Cameroun se sont entraînés en France. Difficile, pourtant, pour ces sportifs de se faire accepter dans les clubs français. Ne pas avoir de papiers en règle à leur arrivée ne favorise pas non plus l’intégration... Et puis, faire trois repas par jour – contre un ou deux au Cameroun – leur fait prendre deux ou trois catégories très rapidement, ce qui n’est pas du goût de tous. En 1999, Jean-Claude accueille cinq sportifs camerounais et les dispatche dans les clubs. Avallon en prend deux : Venceslas et Olivier. En octobre 1999, Venceslas est intégré, pour une saison, à l’équipe « Réserve » (N2). Il est alors trentième mondial. Dans le club, il y a aussi deux autres étrangers, deux Turcs, mieux formés que lui. Malgré ses performances de 270 kg en - 62 kg, en mars 2000, pour des raisons financières, il est impossible pour le club de les garder, Olivier et lui. « Il faut prouver au championnat de France de juin que vous êtes forts pour trouver un autre club », leur dit-on. Venceslas le comprend. Il s’entraîne deux fois par jour, alors que son camarade, lui, baisse les bras. On l’aide à trouver un autre club. Ce sera Saint-Médard-en-Jalles, près de Bordeaux. Il obtient des papiers, trouve un emploi-jeune, mais c’est seul qu’il s’y entraîne.
ACQUÉRIR UNE DIMENSION INTERNATIONALE
7Sous les couleurs du Cameroun, en - 69 kg, Venceslas termine douzième (avec 315 kg) en 2001, neuvième (avec 317 kg) en 2002 et troisième (avec 315 kg) en 2003. Puis premier du championnat d’Afrique 2004 (avec 330 kg), cinquième (avec 327 kg) aux Jeux olympiques d’Athènes de 2004. Venceslas avait déjà gagné au Cameroun et sur le continent africain, mais avec 95 % des médailles récoltées, l’Europe et l’Asie ne laissent que des miettes à l’Amérique du Sud et à l’Afrique. Devenir Français devait lui permettre de gravir un palier supplémentaire, sans pour autant se mettre en situation de confort : sur un championnat d’Europe normal, il lui faut battre six ou sept athlètes supérieurs à son niveau pour être sur le podium. Participer au championnat d’Afrique aurait été davantage à sa portée, puisqu’il n’y avait qu’un seul adversaire (un Tunisien) à battre et, qui plus est, de son niveau (330 kg). Venceslas accepte donc le principe de la dure concurrence. Il est décidé à progresser sur le plan mondial. Depuis longtemps, il a compris que son passage au très haut niveau passe par la France et, avant les JO d’Athènes, il a entamé sa procédure de naturalisation. En janvier 2005, il devient Français et, en novembre, pour la première fois, il peut concourir pour la France.
8Il rejoint alors un système organisé. On se préoccupe de son avenir professionnel, on s’investit pour qu’il puisse venir à Paris et y bénéficier de conditions financières pour poursuivre l’entraînement. En 2005, le ministère de la Défense, avec lequel nous travaillons, l’embauche. Il nous faut régler son emploi du temps sur son temps de travail. Il s’entraîne désormais en groupe : une fois encore, il doit s’adapter. Mais nous avons encore un peu de mal à le cerner : il lui faudra deux compétitions pour qu’il commence à faire confiance au staff. Et puis, quelle stratégie mettre en place pour le faire progresser encore ? Comment l’amener d’une culture de la performance chiffrée à une culture du classement ?
9Chez certains sportifs, prédomine le goût de l’affrontement, chez d’autres, la première place dans la compétition est au cœur de toutes les stratégies. Pour Venceslas, ces deux approches se télescopent. Il est devenu mature après s’être entraîné seul au sein du système français pendant cinq ans. Il a ensuite bénéficié d’un entraînement dispensé par des professionnels. Mais sa nécessaire adaptation l’a d’abord fait régresser, puisqu’il est passé de 330 kg en 2004 (JO) à 324 kg en 2005 (championnats du monde). C’était un passage obligé. Il avait beau être déjà un grand athlète, il ne gagnait pas. Il lui fallait changer de stratégie, pour marquer ses adversaires et prendre un ascendant sur eux. Le but était donc de l’amener jusqu’aux podiums, en gênant ses compétiteurs sur leurs approches tactiques. Bien davantage que la façon de s’entraîner, l’approche de la compétition est essentielle.
LES COMPÉTITIONS DÉCISIVES AVANT PÉKIN
10Il part au championnat du monde, à Doha, en 2005, avec l’ambition de décrocher une médaille à l’épaulé-jeté, son point fort. En 1991, Francis Tournefier est le dernier Français à y être parvenu. Il égale à 145 kg son record personnel à l’arraché. Pour l’épaulé-jeté et le total, on assure au premier essai une barre à 179 kg (six de moins que son record). Encore deux essais face à un Coréen et un Chinois... On essaie de les déstabiliser mentalement. Venceslas rate les deux barres suivantes (185 et 186 kg). Résultat, il termine troisième à l’arraché, troisième à l’épaulé-jeté et troisième au total. Il a atteint son objectif : ses résultats sont en accord avec ce qu’il produit à l’entraînement. Il va falloir une année pour augmenter ses résultats chiffrés. Notre politique est d’améliorer son endurance psychologique sur des barres importantes qu’il ne faut pas rater. Il doit parvenir à réussir au bon moment, sans jamais prendre de risques pour son intégrité physique. Le fait qu’il ne fasse pas partie des favoris mondiaux implique de travailler sur des stratégies de compétition avec un taux de réussite maximal. Rester concentré sur chaque barre demande une implication importante pour travailler son endurance psychologique : Venceslas doit apprendre à ne rien lâcher.
11À l’entraînement, Venceslas adopte un travail qualitatif tout au long de l’année avec des séries très courtes (système bulgare : une à deux répétitions maximum) et très peu de volume d’entraînement. Nous mettons en place un programme mixte, à mi-chemin entre ceux que pratiquent les Bulgares (forte intensité) et les Russes (gros volume), afin de le faire progresser sur une endurance spécifique qu’il doit obtenir pour faire partie des meilleurs.
12Le championnat du monde 2006 étant qualificatif pour les Jeux olympiques, il s’agit pour lui de « prendre », dans la foulée, les championnats d’Europe d’avril, pour arriver dans une forme optimale aux championnats du monde d’octobre. Pas question de négliger les « Europe » : c’est là qu’il faut commencer à battre ses adversaires. Venceslas n’aborde pas le championnat d’Europe, en Pologne, dans une forme physique exceptionnelle. Il souhaite pourtant partir haut. Mais pour rééditer une médaille, j’estime préférable de jouer « petit bras », condition essentielle pour bien préparer l’avenir. Avec 325 kg, il est deuxième, mais en dessous de son record. Il rentre frustré et plein de doutes quant à l’encadrement technique. Il nous faut lui expliquer nos choix : il doit demeurer stable et régulier dans ses résultats pour maintenir sa place dans les classements internationaux et démontrer aux institutions publiques quelles doivent continuer à le soutenir. Il lui faut construire sa performance pour les JO, avec de bonnes conditions d’entraînement. Il a toutes les cartes en main...
13Il part alors au championnat du monde, en République dominicaine, fort d’une relation de confiance qui commence à s’instaurer. La performance attendue à ce championnat compte beaucoup pour l’équipe de France. Les résultats individuels sont pris en compte pour la qualification olympique des tricolores. Il doit assurer la sélection de l’équipe, mais aussi la sienne : s’il fait zéro, la sélection française repartira sans ticket pour Pékin. Heureusement, sa performance est à la hauteur de l’enjeu : 146 kg (record de France), troisième ; 186 kg (record personnel), premier ; 332 kg (record personnel), il est premier !
14Il aura fallu un an pour que les changements opérés à l’entraînement portent leurs fruits. La victoire est de taille, puisqu’il faut remonter à 1922 pour retrouver un Français champion du monde ! On vient de battre tactiquement les Chinois, les Arméniens et les Bulgares. Les médias commencent à s’intéresser à Venceslas. Pour sa troisième participation à une compétition internationale sous les couleurs françaises, c’est la troisième fois qu il rentre avec une médaille. Il comprend enfin que la dimension tactique est essentielle et réalise la pertinence des choix opérés. Sa confiance en est renforcée. Son monde culturel étant, à l’origine, basé sur le défi et la prise de risque, il lui aura fallu beaucoup de temps pour « réorienter » son point de vue.
SAVOIR GÉRER LA PRESSION ET... L’ÉCHEC
15En tant que champion du monde, il est favori logique pour les championnats d’Europe 2007, qui vont se tenir à Strasbourg. Il suscite une grosse attente et doit gérer une forte pression. À un an et demi des JO, cette étape est intéressante à négocier, pour lui et pour l’encadrement, car elle préfigure la pression qu’il faudra affronter aux olympiades. Pour le préserver de la curiosité médiatique, Venceslas est mis au vert, car il a beaucoup de difficultés à décliner les demandes d’interviews. Son entourage répond pour lui aux sollicitations médiatiques. Lorsque la compétition démarre, trois mille personnes viennent le soutenir. Le challenge est sérieux : face à lui, un Russe, deux Arméniens, deux Bulgares, deux Turcs... Avec 148 kg à l’arraché, il met deux kilos de plus que son record de France, mais sept de moins que l’un des deux Arméniens. À l’épaulé-jeté, avec 183 kg, sans trop pousser, il s’arroge le titre de champion d’Europe. Ce résultat a un effet très positif sur lui : malgré la tension et les attentes, il sait gagner. Répondre présent dans ces conditions est plus qu’encourageant pour les JO.
16Pourtant, sa progression constante au cours de ces compétitions internationales a eu un effet pervers : elle nous a fait tomber dans une routine collective. On ne s’est pas suffisamment remis en question par rapport à ses performances. Il l’aurait cependant fallu et le championnat du monde en Thaïlande va venir ébranler nos convictions et, salutairement, nous réveiller.
17Avec 330 kg, la douche est froide : septième à l’arraché, deuxième à l’épaulé-jeté (record de France, pourtant) et une quatrième place au total. La compétition était rude puisque les meilleurs mondiaux étaient présents. Point positif cependant : pour aller chercher la deuxième place à l’épaulé-jeté, Venceslas est parvenu à puiser dans ses réserves psychologiques. Et bien qu’au final il réalise son plus mauvais match depuis 2004, la défaite va être riche d’enseignements. Elle va redynamiser, autour de lui, toute l’équipe pour la préparation 2008.
18Il nous faut concentrer l’énergie du staff technique autour de lui, pour qu’il retrouve sa fonction de locomotive auprès du reste de l’équipe de France. Il est sûr d’être qualifié pour Pékin et la France dispose de trois places. Venceslas « coupe » un peu, psychologiquement et physiquement, mais on entretient un petit entraînement musculaire. Alors que l’on avait, jusque-là, un temps d’avance, les autres continuent à progresser et on a désormais un temps de retard : il nous faut nous ressaisir.
UNE STRATÉGIE GAGNANTE
19Même s’il compte parmi les meilleurs jeteurs mondiaux, avec une septième place à l’arraché, il est trop faible pour un podium ; car aux JO, seul compte le total pour une médaille. Il faut donc travailler les deux mouvements. L’option prise par rapport à la planification est d’essayer de progresser sur l’arraché, sans développer son potentiel physique et sans le surcharger à l’approche des JO. Heureusement, Venceslas est très solide et, en l’espace de trois mois, il peut très vite se remonter et arriver en forme à Pékin. De novembre 2007 aux championnats d’Europe de mai 2008, le travail est focalisé sur l’arraché et sur l’entretien de son niveau à l’épaulé-jeté. But : passer des caps psychologiques par rapport à l’arraché, qui peuvent lui permettre de franchir la barre des 150 kg et, ainsi, d’entrer dans le club des cinq premiers aux JO sur son mouvement « faible ». Venceslas se fixe le bronze olympique. Le titre est jouable. « Je fonctionne un peu comme un ordinateur, reconnaît-il, je me fixe un objectif et j’arrête quand il est atteint ! »
20À l’entraînement, on arrive à passer quelques barrières psychologiques, qui ne se concrétisent pas encore en compétition. Néanmoins, je suis convaincu que, lorsque le travail physique de l’épaulé-jeté débutera, il devrait servir la performance de l’arraché. Notre objectif, pour les championnats d’Europe 2008, est de frapper un grand coup au total, pour impressionner les Chinois et les dissuader d’engager deux compétiteurs à Pékin. Après une première barre à 145 kg, je souhaitais mettre 150 kg. Venceslas hésitant, nous restons à 148. Mais il va échouer à deux reprises et termine quatrième à l’arraché. Sa plus mauvaise place depuis trois ans. Je remonte au créneau, le remobilise sur l’épaulé-jeté. Sans l’avoir travaillé à l’entraînement, il bat le record de France. C’est très positif. Avec 182/185/188, il est premier à l’épaulé-jeté et deuxième au total. On perd très nettement, de treize kilos, par rapport à l’athlète arménien. Pour le titre olympique, on aura deux adversaires de taille : l’Arménien et le Chinois. Je suis satisfait de son épaulé-jeté, beaucoup moins de son arraché. On sait qu’accéder au podium sera dur, même s’il n’y a pas d’autres Chinois : sur le plan mathématique, la médaille de bronze olympique s’éloigne. Nous sommes en mai 2008.
DERNIÈRE LIGNE DROITE AVANT LE PODIUM CHINOIS...
21Une semaine après les championnats d’Europe et une récupération active, commence le temps des stages : cinq périodes de quinze jours. On attaque la dimension physique de l’entraînement, avec des doubles sur les gestes techniques. Jusqu’à juin, les objectifs sont simples : 147 x 2 à l’arraché (à moins un kilo de son record personnel) et 185 x 2 à l’épaulé-jeté (à moins cinq kilos de son record personnel). Début juillet, au cours du quatrième stage et après avoir atteint ses objectifs en doublés, il participe à un tournoi avec les sélectionnés olympiques allemands. Passant régulièrement les 150 kg à l’entraînement, il bat son record personnel durant la compétition, avec 152 à l’arraché. Il commence à vraiment croire au podium olympique.
22Au cours du dernier stage, en France, il se met au vert. Il décide de lui-même de ne pas rentrer chez lui et de rester dormir à l’hôtel. Le travail continue et je sens que chaque geste de la journée est déjà calculé pour l’ultime confrontation.
23Le 29 juillet, nous effectuons, en Chine, un dernier stage dans une salle climatisée de 1500 m2. Malgré la fatigue du décalage horaire, on achève, sans se relâcher, la préparation et la gestion de la perte de poids.
24« Mauvaise » nouvelle, les Chinois mettent deux athlètes dans la catégorie de Venceslas. Qu’importe : pour monter sur le podium, il faut battre des ténors. À l’arraché, il serre les dents et limite la casse, avec un record de France à 151 kg. Blessé au coude, tel un lion il se surpasse pour écraser ses rivaux à l’épaulé-jeté et, dès sa première barre à 187 kg, il fait le ménage et décroche l’argent. Dorénavant, il lui faut 197 kg pour gagner l’or, ce qui correspond au record du monde. Malgré un coaching musclé, j’ai l’impression d’être le seul à y croire et Venceslas n’y est plus. Il a déjà l’argent pour lui et cette barre reste psychologiquement inaccessible. Ce sera partie remise... Pour l’heure, Venceslas a déjà tenu la promesse faite, enfant, à son père. Il a hissé le nom de Dabaya au plus haut : sur le toit de l’Olympe !
VENCESLAS DABAYA TIENTCHEU EN BREF
Haltérophilie
Né le 28 avril 1981 à Kumba (Cameroun)
Taille : 1,67 m
Poids : 72 kg
Pôle France INSEP
Entraîneurs : Franck COLLINOT(EN)
Frantz FÉLICITÉ (EN)
Profession : militaire - Ministère de la Défense (Terre)
Club : ES Villeneuve Loubet (06)
Jeux olympiques :
5e à Athènes en 2004
Jeux olympique Pékin 2008 :
Médaille d’argent
Championnats du monde :
3e en 2005 à Doha (Qatar),
1er en 2006 à Santo Domingo (Rép. Dom.)
4e en 2007 à Chiang Maï (Thaïlande),
2e à l’épaulé jeté
Championnats d’Europe :
2e en 2006 à Wladislawowo (Pologne)
1er en 2007 à Strasbourg
2e en 2008 à Lignano (Italie)
1er à l’épaulé jeté en 2008
Championnats de France :
1er en 2008-2007-2006-2005
Records personnels :
Arraché : 148 (RF)
Épaulé jeté : 188 (RF)
Total olympique : 333(RF)
Meilleurs performances 2008 :
333(145 + 188)
Auteur
Entraîneur des équipes de France d’haltérophilie
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Pékin 2008
Regards croisés sur la performance sportive olympique et paralympique
Institut national du sport et de l'éducation physique (dir.)
2008
La pratique des activités physiques et sportives en France
Enquête 2003 – Ministère de la Jeunesse, des Sports et de la Vie associative Ministère de la Culture et de la Communication, Insee
Hervé Canneva (dir.)
2005
Les pratiques sportives en France
Enquête 2000
Ministère de la Jeunesse des Sports et de la Vie associative, Institut national du sport et de l'éducation physique, Patrick Mignon et al. (dir.)
2002
Données et études statistiques : jeunesse, sports et vie associative
Recueil des travaux et publications de la Mission statistique de 1999 à 2004
Sandrine Bouffin, Myriam Claval et Hervé Savy (dir.)
2006