L’athlétisme à Pékin... des jeux comme les autres. en quête d’un système de haut niveau
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Texte intégral
1Pékin, stade olympique, 19 août, 22 h 53 : Mehdi Baala démarre une ou deux foulées plus tôt, lors de la finale du 1500 m. Au centième près, il arrache le bronze olympique.
2Pékin, stade olympique, 21 août, 20 h 55 : Leslie Djhone ne ressent aucune douleur dans les cent premiers mètres de la finale du 400 m. Fidèle à ce qu’il a montré en demi-finale, il accède au podium.
3Pékin, stade olympique, 21 août, 21 h 35 : Ladji Doucouré, épargné par son mollet, confirme sa forme olympique en montant sur le podium.
4« Facile réécriture de l'histoire », me direz-vous ? Effectivement. Pour autant, ces hypothèses, loin d’être absurdes1 permettent une mise en perspective pas inintéressante du bilan de l’athlétisme français aux JO de Pékin. Avec deux, trois, voire quatre médailles, les commentaires élogieux sur la réussite du premier sport olympique n’auraient pas manqué : préparation réussie, système qui permet aux meilleurs d’être présents le jour J, encadrement de qualité, etc. Rien, pourtant, n’aurait été différent quant à la réalité actuelle de l’organisation du haut niveau du premier sport olympique.
5Les résultats bruts des Jeux de Pékin sont connus : une médaille, neuf finalistes individuels, aucun relais en finale2 En l’état, si l’on s’en tient au seul contexte de ces JO, ces résultats interpellent par l’unique médaille, mais également par l’échec des collectifs relais. Si des mesures conjoncturelles s’imposent dans le cadre des relais, suite aux divers manquements constatés depuis trois ans, les résultats individuels s’avèrent encourageants en termes de finalistes, mais décevants en termes de médaillés.
6Par contre, mise en perspective sur la moyenne durée, au travers d’une comparaison avec les deux éditions olympiques précédentes, la lecture de ces résultats est riche d’enseignements. Les entraîneurs et les structures impliquées dans le haut niveau olympique apparaissent également dans cette comparaison, afin d’apporter des éléments d’analyse supplémentaires et de diversifier les axes d’interprétation.
7L’approche comparative ici retenue permet donc de donner un peu de profondeur historique à ce bilan des Jeux de Pékin et de se démarquer d'un traitement médiatique globalement basique et affligeant, dont l’unique critère reste la médaille. Elle permet aussi de se placer sur un champ plus structurel que conjoncturel.
8Ces quelques données mettent en évidence que, de Sydney à Pékin, les résultats et la structure de la haute performance en athlétisme sont quasi identiques.
9Les deux tiers des sélectionnés s’entraînent sur des structures fédérales (pôles France ou Espoirs), dont la moitié à l’INSEP. Autrement dit, le tiers des sélectionnés aux trois derniers JO s’entraîne en dehors de structures financées par l’État et la Fédération. Les structures fédérales (de 50 à 63 %) et les entraîneurs CTS (idem) sont mieux représentés parmi les finalistes des JO. Les groupes d’entraînement concentrent également davantage les finalistes et cet aspect semble s’amplifier sur la durée. Le rapport athlètes/entraîneurs varie très peu : Sydney compte 1,3 athlète par entraîneur, Athènes, 1,05, et Pékin, 1,11.
10Seule évolution sensible : l’augmentation du nombre de demi-finalistes et de finalistes augure d’une densification des athlètes français à ce niveau de performance. L’accès au podium, lui, continue d’être exceptionnel3.
11La grande stabilité des différents paramètres pris en considération dans ce tableau met en évidence que le cadre de fonctionnement du haut niveau en athlétisme n’évolue pas ou très peu, alors que, manifestement, il ne produit pas les résultats escomptés en termes de médailles. Dès lors, on peut légitimement s’interroger sur l’absence d’un véritable système de production de la haute performance en athlétisme, car le cadre de fonctionnement ici décrit ne peut en aucun cas être considéré comme un système pensé et structuré dans une optique de haut niveau.
HAUT NIVEAU CHERCHE SYSTÈME DÉSESPÉRÉMENT !
12Les résultats de très haut niveau dont bénéficie l’équipe de France sont, avant tout, le fruit de rapports interpersonnels réussis, la plupart du temps au sein de groupes d’entraînement, entre un athlète et un entraîneur. Le statut de l’entraîneur du groupe – CTS ou non, français ou étranger –, son implantation géographique – pôles ou non, métropole ou étranger –, et sa relation avec la DTN – cordiale, tendue ou inexistante –, n’interfèrent en fait que très peu sur les médailles dont il est ici question. Lors des dix-huit échéances mondiales qui se sont déroulées depuis les premiers championnats du monde en 1983 (sept Jeux olympiques et onze championnats du monde), l'athlétisme français a remporté quarante-cinq médailles (treize aux JO et trente-deux aux championnats du monde4), soit une moyenne de 2,5 médailles par compétition (1,8 pour les JO ; 2,9 pour les Mondiaux). Si l’on exclut de ces statistiques les médailles gagnées en relais (deux aux JO et sept aux championnats du monde, soit neuf au total, ce qui représente 20 % des médailles), la moyenne est de deux médailles par échéance mondiale (1,6 pour les JO ; 2,3 pour les Mondiaux).
13Ces chiffres sont représentatifs d’une réalité et ce sont, paradoxalement, les championnats du monde de Paris (2003) et d’Helsinki (2005), qui constituent des exceptions, certes explicables, mais absolument pas liées à une quelconque évolution ou montée en puissance d’un pseudo-système de production de performance en athlétisme5 Il apparaît en effet qu’aucune ligne de force principale ne se dégage des résultats internationaux de l'athlétisme français depuis plus de vingt ans. Seul point convergent : les médailles mondiales sont, pour leur très grande majorité, issues de groupes d’entraînement, entités peu ou pas structurées, qui fonctionnent sur la compétence et, souvent, le charisme d’un entraîneur qui encadre seul. Depuis 1983, les seules médailles mondiales individuelles qui ne proviennent pas d’un groupe d’entraînement sont celles des demi-fondeurs et des marcheurs (Joseph Mahmoud, en 1984, Jocelyne Villeton, en 1987, Driss Maazouzi, en 2001, Mehdi Baala, en 2003, Yohann Diniz, en 2007, et Mahiedine Mekhissi, en 20086.
14Ces groupes d’entraînement (dont la majorité des entraîneurs, souvent investis de façon remarquable, ont un statut de cadres techniques), sont basés sur des pôles (France ou Espoirs), parfois dans des clubs ; certains ne sont rattachés à aucune structure et « utilisent » simplement des installations. Quoi qu’il en soit, leur existence et leur fonctionnement ne participent pas, ou peu, d’une organisation fédérale. Ils accueillent pourtant l’essentiel des meilleurs athlètes français7 portent en bonne partie les résultats de l’équipe de France, tout en reposant, la plupart du temps, sur un seul entraîneur qui incarne véritablement le groupe. Rien, en l’état, qui puisse être considéré comme un système sciemment organisé.
15Une comparaison avec les autres sports et les modalités fonctionnelles les plus répandues et les plus efficientes du haut niveau actuel confirme-t-elle ce constat ? Les organisations des différents sports individuels sont certes diverses, mais, pour autant, plusieurs lignes de force reviennent régulièrement et l’on peut considérer qu’elles sont révélatrices des fondamentaux et des exigences de la production de performance.
16Parmi ces « best of practice », deux aspects reviennent avec insistance. La concentration des hommes et des moyens au sein d’un nombre limité de structures de performance, tout d’abord, est la tendance la plus lourde. Que ce soit en escrime, en judo, en canoë-kayak (ligne et eau vive), en aviron ou en tennis de table (liste non exhaustive), le nombre de structures chargées d’emmener et de suivre des sportifs au top mondial est limité. La natation est déjà presque une exception, avec une dizaine de lieux (six en natation course, deux en water-polo, un en plongeon, un en natation synchronisée) ; la norme étant plutôt, pour les sports cités, autour de trois, au maximum. Dès 2000, dans un rapport sur l'athlétisme qui faisait suite aux JO de Sydney, Hervé Madoré, alors directeur de la Préparation olympique, écrit sans nuance qu’il « n’existe pas au monde, dans les sports individuels, de système qui produise des résultats pérennes sans regrouper pour l’entraînement les meilleurs sportifs8 ». Qu’en est-il précisément de l’athlétisme dans ce domaine ? Une étude plus précise s’impose.
17Le second grand axe commun à relever dans ces différents sports est le fonctionnement en équipes d’encadrement et la priorité accordée à la transmission. Non seulement, dans la plupart de ces sports, l'entraîneur ne fonctionne pas seul à très haut niveau, mais l’équipe d’encadrement est souvent complétée par un véritable staff qui comprend un coach ou superviseur, un préparateur physique, un préparateur mental, un spécialiste chargé de la vidéo, une équipe médicale de référence, etc. Ainsi, la transmission de la culture de haut niveau, des connaissances, des compétences et de l’expérience est inhérente au système mis en place. Là encore, la situation de l’athlétisme mérite d’être étudiée de plus près.
18Enfin, face à ces interrogations, quelles ont été ou quelles peuvent être les réponses à apporter ? Quelle politique pourrait être mise en œuvre pour remédier aux manquements constatés ? Comment faire pour passer d’un fonctionnement fortement soumis aux réussites personnelles à un système producteur de performances, pérenne, au-delà des hommes et champions de passage ?
19Une analyse de la situation actuelle de l’athlétisme français de haut niveau met en évidence un important éclatement des hommes, des structures et donc, fatalement, des moyens consacrés au haut niveau.
1. Un fonctionnement complètement dilué ?
LA DILUTION DES HOMMES
20Avec trente-cinq qualifiés individuels pour les Jeux de Pékin (plus seize pour les collectifs relais, soit un total de cinquante et un athlètes), la délégation française en athlétisme était la plus réduite depuis vingt ans. Mais plus que le nombre de qualifiés, c’est le nombre d’entraîneurs concernés par ces qualifiés qui interpelle. Ces cinquante et un athlètes sont en effet encadrés par quarante entraîneurs différents, soit à peine 1,3 athlète par entraîneur. Limité aux sélectionnés individuels, ce rapport tombe à 1,1 athlète par entraîneur. La prise en considération des résultats effectifs à Pékin confirme fatalement ces chiffres : 1,1 athlète par entraîneur pour les demi-finalistes (vingt athlètes), mais également pour les finalistes (neuf athlètes).
21Ces données relatives à 2008 sont confirmées par celles des JO précédents, à Sydney et Athènes (respectivement 1,3 et 1,05 athlète par entraîneur pour les demi-finalistes individuels de ces deux compétitions, et 1,15 athlète par entraîneur pour l’ensemble des qualifiés à Athènes), mais aussi par celles des championnats du monde d’Osaka de 2007 (1,23 athlète par entraîneur). La même approche sur un championnat international Jeunes, par exemple les championnats d’Europe Espoirs 2007, produit les mêmes résultats : 1,37 athlète par entraîneur9.
22Ainsi, quelle que soit la compétition internationale de référence, il apparaît que le nombre de techniciens concernés est très élevé, rapporté au nombre d’athlètes. Les entraîneurs qui s’occupent de plusieurs sélectionnés mondiaux restent des exceptions, la norme étant clairement un athlète pour un entraîneur. Certes, l’athlétisme ne peut être considéré comme un sport unique. Au bas mot, sept familles sont d’ailleurs identifiées (sprint-haies, sauts, lancers, demi-fond, épreuves combinées, hors stade et marche) et, à l’intérieur même de ces familles, des différences significatives peuvent exister, par exemple entre le 100 m et le 400 m haies. D’autre part, le système des entraîneurs nationaux (un entraîneur référent par discipline ou par groupe de disciplines très proches), qui a fonctionné durant plus de vingt ans, puis celui des coordonnateurs de spécialité (un coordonnateur par famille), en place de 2001 à 2007, ont contribué à implanter un fonctionnement très vertical de l’athlétisme. Cette organisation par « tube » impliquait d’elle-même, à haut niveau, la coexistence de nombreux entraîneurs, chacun spécialiste de sa discipline.
23Ce qui peut a priori apparaître comme logique – vu le nombre de disciplines – et riche – il y a un avantage à avoir de nombreux cadres compétents – a en fait, à nos yeux, de nombreux aspects contre-productifs si l’on se place délibérément dans une optique de très haut niveau. Les disciplines ou familles performantes (sprint-haies et perche, par exemple), surtout grâce à quelques entraîneurs emblématiques, ont travaillé dans leur coin ; les disciplines moins performantes, parfois qualifiées de « sinistrées », ont fait de même. Non seulement très peu de liens se sont créés entre ces entités, mais parfois, au sein même d’une famille, certaines disciplines revendiquaient – et obtenaient quelquefois – une plus grande autonomie. La culture de haut niveau est alors le plus souvent restée l’apanage d’une minorité d’entraîneurs au sein d’une minorité de familles.
24L’éclatement des athlètes auprès de nombreux entraîneurs se retrouve également dans la composition des principaux groupes d’entraînement. L’exemple de Pékin est, là encore, symptomatique. Lors de ces JO, les groupes les plus représentés étaient ceux de Bruno Gager, Guy Ontanon et François Pépin (trois qualifiés chacun, dont deux en relais), Jean-Michel Dirringer et Sébastien Levicq (deux qualifiés individuels chacun) et Laurence Bily (deux qualifiés en relais)10 Aux championnats du monde 2007 d’Osaka, les données sont quasiment identiques ; le groupe de Bruno Gager y avait cependant quatre qualifiés (dont trois en relais)11.
25Ce constat a son importance, puisque les groupes d’entraînement sont, on l’a vu, la seule ligne de force dans le cadre de la production de médailles mondiales depuis plus de vingt ans. Ainsi, même au sein de ces entités pourtant les plus performantes, la concentration d’athlètes de premier plan est très faible. Et s’il est bien entendu qu’un entraîneur ne peut raisonnablement pas encadrer cinq ou six athlètes de niveau mondial, un entraîneur professionnel, accompagné par un adjoint, peut vraisemblablement s’occuper de quatre ou cinq athlètes de premier plan, accompagnés de quatre ou cinq athlètes en devenir. L’émulation, la dynamique, la confrontation et l’ambiance de haut niveau sont en effet des éléments essentiels, nécessaires à la progression, pour l’ensemble des sports, athlétisme compris.
26Cet éparpillement des athlètes et des entraîneurs est un signe distinctif fort de l’organisation de haut niveau de l’athlétisme français. Et si certaines explications peuvent être avancées, il n'en demeure pas moins que cet état de fait apparaît en contradiction avec la concentration globalement observée dans la quasi-totalité des autres sports12.
LA DILUTION DES STRUCTURES
27Parallèlement ou complémentairement à cette dilution des hommes, il existe une profonde dilution des structures qui accueillent les meilleurs athlètes français. Le nombre de clubs représentés lors des championnats internationaux est, à cet égard, symptomatique. D’Athènes à Pékin, en passant par les championnats d’Europe Espoirs et les championnats du monde 2007, les différentes données recueillies vont toutes dans le même sens. Par club, 1,22 athlète pour les JO de 2004, 1,35 pour les championnats du monde d’Osaka, en 2007, 1,44 pour les championnats d’Europe Espoirs la même année et, enfin, 1,5 athlète par club pour les JO de Pékin, en 2008. Si un semblant de concentration semble se dessiner – et c’est le cas avec l’émergence ou le développement de clubs tels que l’AC Paris-Joinville, le CA Montreuil, l’EFSRA Reims, le Lagardère Paris Racing, Lille Métropole Athlétisme ou Viry-Evry NSE –, force est de constater que le nombre de partenaires associatifs est pléthorique13 Une hiérarchisation claire des clubs avec, comme dans les autres sports, une élite attractive porteuse d’identification, n’existe pas en athlétisme.
28On ne peut cependant se limiter à cette dilution des structures associatives, puisque peu d’athlètes de premier plan s’entraînent effectivement dans leur club. Cet élément n’est d’ailleurs pas sans poser problème, puisque les clubs concernés ne bénéficient que peu, ou pas, de la présence et de l’émulation que procure un athlète reconnu qui s’entraîne quotidiennement au contact des jeunes et moins jeunes. Il s’agit ici d’une explication, parmi d’autres, des difficultés des clubs à capitaliser sur leurs licenciés les plus performants, notamment en s’en servant comme levier de développement.
29La cause principale, on l’aura compris, est que les entraîneurs cadres techniques ne sont que rarement basés dans des clubs, mais plutôt dans des pôles. Mais, là encore, le nombre important de ces structures apparaît comme un facteur distinctif de l’athlétisme. Avec pas moins de vingt-huit pôles (six pôles France et vingt-deux pôles Espoirs), on constate un véritable émiettement des lieux d’entraînement. D’autant plus que le taux de transfert des pôles Espoirs vers les pôles France, élément potentiellement porteur de concentration, est quasiment nul, alors qu'il s’agit, en l’occurrence, de l’un des fondements de la filière de haut niveau. Dans ce cadre, la place de l'INSEP est particulière. Sur les trois derniers JO, il concentre en moyenne le tiers des qualifiés et demi-finalistes, et 44 % des finalistes. Ce qui peut a priori être considéré comme une certaine concentration n’est en fait que l’addition des athlètes repartis dans plusieurs groupes d’entraînement, qui n’ont, malheureusement, que peu de rapports entre eux et ne travaillent pas en synergie sur un projet de performance.
30Là encore, qu’il s’agisse des clubs ou des pôles, il existe un manque de hiérarchisation flagrant. Chaque structure, pour ne pas dire chaque entraîneur, souhaite garder – et, le plus souvent, garde – « son » meilleur athlète. Dans ce contexte, toute émulation génératrice de dynamique de haut niveau a du mal à voir le jour. Pire même, toutes les démarches incitant à la concentration des meilleurs athlètes avec les meilleurs entraîneurs dans les meilleures structures sont généralement vécues comme du racolage. Cette réalité est enfin en contradiction avec l’évidence que les services de qualité indispensables au haut niveau (encadrement professionnel, équipement médical, formation...) ne peuvent être réunis que sur quelques sites d’exception, synonymes d’excellence et de qualité.
31Dans les faits, ce manque de concentration des hommes et des structures dédiées au haut niveau se traduit par une dilution importante des moyens qui y sont consacrés. À nombre fixe de cadres compétents et à enveloppe budgétaire égale, l’existence d’une trentaine ou d’une dizaine de lieux chargés de produire des performances de haut niveau ne revient pas du tout au même. L’éclatement qui traduit le fonctionnement actuel peut également se lire comme un manque de coopération et d’échanges ; il produit d’ailleurs des dégâts collatéraux, comme à l’INSEP, où la présence de plusieurs groupes d’entraînement spécialisés dans les mêmes disciplines (sprint-haies) crée de véritables tensions.
32Non seulement les compétences et les moyens ne sont pas rassemblés dans un but commun, mais, dans les endroits où cela serait possible, la concurrence a pris le pas sur la coopération, et les problèmes d’ego annihilent toute amorce de travail potentiel en équipe.
33Cette dilution des hommes et des structures, de même que la stabilité de cette organisation depuis les JO de Sydney offrent l'image d'un fonctionne ment statique, sans dynamique. Et ce constat n’est pas limité à la dernière décennie. Un petit retour sur les Jeux de Los Angeles, en 1984, démontre que le rapport du nombre d’athlètes par entraîneur y était alors de 1,28, et celui d’athlètes par club, de 1,2414 Ainsi, depuis le début des années quatre-vingt, la structure de l’athlétisme français de haut niveau n’a pas bougé. Le nombre important d’entraîneurs et de clubs concernés par les grands championnats apparaît comme un mode de fonctionnement naturel, immuable, inscrit dans le marbre. Une organisation – le terme est optimiste – pour le moins empreinte d’inertie et de conservatisme, alors que le sport, et particulièrement le haut niveau, a considérablement évolué durant les vingt dernières années avec, comme impératif, la concentration des plus performants sur quelques structures d’excellence. Une évolution qui autorise des synergies, même si certaines formes de travail collectif sont encore à inventer.
2. Quelle transmission de la culture de haut niveau ?
34La dilution de l’organisation actuelle, particulièrement celle des entraîneurs – et donc des athlètes – concernés par le haut niveau, a de nombreux effets au quotidien. Qu’en est-il, dans ce cadre très diffus, de la transmission des compétences, des connaissances et des savoir-faire ? La diffusion de la culture de haut niveau, essentielle à la pérennisation des performances, est-elle notamment assurée ?
L’ABSENCE DES ENTRAÎNEURS ADJOINTS
35Les groupes d’entraînement, producteurs de résultats significatifs, reconnus et financés par la Fédération depuis 2006, sont les entités les plus concernées par le haut niveau. A cet égard, ils se situent au cœur du sujet qui nous retient. Et force est de constater que la transmission de la culture de haut niveau n’est pas une préoccupation prioritaire. Sur la trentaine de groupes financés en 2008, moins de 20 % fonctionnent effectivement avec un entraîneur adjoint occupant dans les faits cette mission. De plus, un seul de ces groupes d’entraînement possède un entraîneur adjoint cadre technique, c’est-à-dire un véritable professionnel de l’athlétisme, dont l’entraînement est le métier.
36Cette absence de la pratique de l’entraîneur adjoint en athlétisme est problématique. Non seulement elle existe dans de nombreux sports individuels en France et à l’étranger (en escrime, par exemple, un entraîneur demeure quatre ans l’adjoint d’un entraîneur national avant de pouvoir envisager d’occuper ce poste), mais elle se pratique également à l’étranger en athlétisme. L’existence des « head coach » et « assistant coach » dans les universités américaines est, par exemple, largement connue. Si en France quelques grands entraîneurs ont manifestement formé leurs successeurs potentiels15 cette pratique, pourtant vitale, n’est non seulement pas généralisée, mais également non reconnue, voire non acceptée, par certains entraîneurs.
37Il en résulte un isolement de l’entraîneur, qui ne permet pas de diffuser compétences, connaissances, savoir-faire et expériences, alors que certains de ces techniciens ont parfois encadré plusieurs générations d’athlètes finalistes ou médaillés lors de grands championnats. Plusieurs d’entre eux ont, certes, publié des ouvrages, des articles, des films et sont intervenus ou continuent d’intervenir dans des colloques. Mais ces formalisations, indispensables et bienvenues, ne sont cependant qu’une facette d’une transmission technique et humaine pour laquelle le terrain demeure le cœur de métier. La présence quotidienne, à l’entraînement, durant plusieurs années, aux côtés d’un cadre expérimenté est une formation continue quasiment irremplaçable.
38C’est finalement toute la problématique de la transmission d’une culture de haut niveau qui est ici posée, transmission absolument essentielle au développement et à la pérennisation d’un véritable système de production de performances de haut niveau. Il s’agit à la fois de l’intérêt du système lui-même, mais également de celui de ses entraîneurs, qu’il convient de valoriser et de mettre en situation de diffuser, certes des connaissances et des compétences, mais aussi et surtout des expériences et un savoir-être souvent empiriques, mais consubstantiels au haut niveau sportif.
39L’absence d’entraîneurs adjoints au sein de ces groupes d’entraînement a trois conséquences principales. La première est que la durée de vie de la plupart de ces entités est limitée, car tributaire, dans quasiment tous les domaines, de l’entraîneur originel ; la deuxième concerne les modalités de transmission, lorsqu’elles existent. Elles se pratiquent alors au bénéfice d’un athlète du groupe en fin de carrière, la plupart du temps sans objectif professionnalisant. Le retour sur investissement – ces entraîneurs sont, dans leur grande majorité, des cadres techniques d’État – est alors très hypothétique et, malheureusement, bien loin des exigences professionnelles en vigueur dans le monde de la très haute performance. La dernière est relative à la question de l’individualisation de l’entraînement par des cadres isolés, confrontés à des collectifs d’athlètes de niveau hétérogène.
VERS DES STAFFS D’ENCADREMENT ?
40Cette faiblesse de la transmission des entraîneurs vers leurs pairs et successeurs est d’autant plus inquiétante qu’en athlétisme, contrairement à de nombreux autres sports – tant collectifs qu’individuels –, la division du travail horizontale et verticale – jargon sociologique – n’existe que très peu.
41Horizontalement, les entraîneurs ne délèguent en effet pratiquement jamais l’encadrement technique (préparation physique, mentale, musculation, coaching, etc.) vers d'autres compétences. Ainsi, généralement, l’entraîneur d’athlétisme de haut niveau fonctionne dans un superbe isolement. Alors que nous sommes dans un sport d’une extrême précision, ou la technique occupe une place certaine, la relation unique et interpersonnelle athlète-entraîneur demeure la norme. Seule évolution notable qui va dans le sens de la mise en place d’une équipe d’encadrement, la place grandissante que prennent, chez de plus en plus d’athlètes de premier plan, le kinésithérapeute et l’agent. Ces prémices d’une approche plus professionnelle (d’une activité qui l’est désormais incontestablement) sont, certes, des signes encourageants. Ils ne concernent, pour l’instant, pas, ou très peu, le champ technique, alors qu’il y a sans doute, même pour des techniciens expérimentés et performants, beaucoup à apprendre de spécialistes de domaines connexes à la performance athlétique pure.
42Verticalement, lorsqu’un début d’organisation commence à exister autour d’un athlète de premier plan, il y a difficulté à définir clairement une hiérarchie au sein du staff. Qui est le véritable décideur de la carrière de l’athlète ? L’athlète lui-même ? L’entraîneur ? Le kiné ? L’agent ? L’équipementier ? L’entourage affectif de l’athlète ? Loin d’être anodines, ces questions sont essentielles au bon fonctionnement d’une équipe d’encadrement et deviennent cruciales dans les moments importants d'une carrière sportive, tels que les grands championnats (quelle organisation y adopter, avec qui ?), la blessure (qui décide de la date de la reprise ?), la programmation de la saison et des objectifs (qui décide des compétitions et, notamment, des meetings ?). S'il est très positif, d’une façon générale, que l’entourage des meilleurs athlètes s’étoffe, encore faut-il que ce soit avec des personnes porteuses de véritables compétences et qui œuvrent toutes dans le même sens, en plaçant au centre le principal objectif, c’est-à-dire la performance.
43Au plan technique, le fonctionnement en staff d’encadrement peut donc s’avérer un espace constructif de transmission des compétences. Encore faudrait-il qu’au sein de ces organisations, une place toute particulière soit dévolue à un entraîneur adjoint. C’est malheureusement loin d’être le cas pour l’instant, aussi bien à l’intérieur des premières organisations de ce type que, plus simplement, aux côtés des entraîneurs actuels les plus emblématiques du haut niveau.
44En matière de transmission, la situation est donc loin d’être efficiente. Elle se traduit notamment par une importante perte de temps et d’efficacité dans le processus d’apprentissage et de formation des entraîneurs d’aujourd’hui et de demain. La nécessité d’une transmission directe, quasiment charnelle, d’un parrainage sur la durée, apparaît pourtant comme une période de tuilage absolument indispensable pour perpétuer des expériences et des investissements irremplaçables.
45Quelques-uns des entraîneurs les plus motivés, même isolés, finiront forcément par amener des athlètes au plus haut niveau, mais en y ayant consacré un temps et une énergie considérables. Ces histoires personnelles, si rafraîchissantes soient-elles, ne peuvent en aucun cas constituer un mode de fonctionnement suffisant dans un sport de haut niveau fortement mondialisé et dans lequel, en France, l’État s’implique financièrement de façon conséquente16.
46Cette question de la transmission se pose également pour les directions techniques nationales qui se succèdent à la Fédération française d’athlétisme. Là encore, le phénomène n’est pas nouveau et il n’a pas échappé aux experts de la PO : « La FFA a connu cinq directeurs techniques nationaux dans les quatorze dernières années [de 1986 à 2000]. Elle intègre peu ses anciens champions dans les dirigeants et dans l’encadrement. En conséquence, la capitalisation des expériences s’effectue mal, d’autant que la plupart des remplacements se déroulent de manière conflictuelle17 ».
47La problématique mise en valeur au niveau des entraîneurs se retrouve donc à celui des instances dirigeantes et décisionnaires pour le haut niveau. Le renouvellement systématique du DTN et de son équipe tous les quatre ans participe d’ailleurs grandement à l’apathie de ce fonctionnement. Pour l’avoir vécu, en arrivant au printemps 2005, une prise de fonction sans transmission est une expérience assez étonnante, qui met le nouveau DTN et son équipe dans une longue phase d’apprentissage, certes enrichissante, mais peu productive18 Ajouté à cela le fait que la nouvelle équipe ne prend effectivement ses fonctions qu’en septembre de l’année post-olympique, il faut plus ou moins attendre le milieu de l’olympiade pour que la DTN soit en situation de mettre en place sa politique. Il est incontestablement des systèmes plus efficaces19.
48La principale faillite que ce déficit généralisé de transmission et de périodes de transition banalisées met en évidence est celle des valeurs d’échange, de coopération et de solidarité à l’intérieur du microcosme de l’athlétisme de haut niveau. Une des explications à ces pratiques individualistes se trouve sans doute dans le fait que les acteurs du haut niveau ne s’estiment ni reconnus ni considérés par le fonctionnement fédéral. L’existence d’un système clair et cohérent permettrait vraisemblablement de mieux reconnaître la compétence et les résultats des entraîneurs, et, pour les meilleurs d’entre eux, d’évoluer et de prendre des responsabilités dans ce système. Positionnés avantageusement au sein du monde fédéral et bénéficiant directement de son organisation, ils pourraient alors œuvrer de façon altruiste à son développement.
49Certains sports réussissent très bien à mettre en valeur leur(s) leader(s) et à capitaliser sur leur(s) expérience(s). À l’athlétisme de s’en inspirer. Enfin20
3. UN SYSTÈME À CONSTRUIRE
50La concentration des hommes, des structures et des moyens, d’une part, l’efficience de la transmission des compétences entre techniciens, d’autre part, deux éléments fortement constitutifs des systèmes de production de performances sportives à haut niveau, font donc manifestement défaut au sein de l’organisation de l’athlétisme français depuis plusieurs décennies.
51Plusieurs mesures ont été prises depuis deux ans pour tenter de pallier ce déficit sportif... qui est aussi politique. Celles-ci, pour être efficaces, doivent cependant être étendues et placées au cœur de la construction d’un véritable système pyramidal de haut niveau.
DES PREMIERS SIGNES DE CONCENTRATION
52La création de la Ligue nationale d’athlétisme, en janvier 2007, est le premier signe fort d’une volonté d’évolution structurelle de l’athlétisme de haut niveau. Menée par la DTN et soutenue par l’ensemble du monde fédéral, la mise en place de la LNA a clairement pour objectif de proposer un cadre d’évolution spécifique pour les meilleurs athlètes français, leurs entraîneurs et leurs clubs.
53Cette entité a vocation à aider les sportifs à gérer leur environnement, à soutenir les entraîneurs vers la professionnalisation, à structurer les clubs professionnels et à développer l’image des athlètes professionnels et de leurs clubs par l’intermédiaire d’un circuit de meetings professionnels diffusé à la télévision. Mais l’intérêt est également de travailler à une concentration progressive des meilleurs athlètes dans un nombre limité de « gros clubs »21 Importante en termes d’image et de développement pour ces clubs ambitieux, cette concentration l’est encore davantage sur le plan technique. La ligue professionnelle ouvre en effet la possibilité de créer des centres de formation professionnelle de club qui, associés à des pôles, pourraient devenir les principaux supports d’embauche des entraîneurs de haut niveau non-cadres techniques d’État.
54Portée par les dirigeants de la LNA, cette évolution est actuellement engagée. Il s’agit d’un travail de longue haleine, soutenu par plusieurs grands clubs qui ont parfaitement compris l’intérêt qu’ils pouvaient en retirer. C’est sans doute également l’intérêt de l’athlétisme.
55Également dans une volonté de concentration des meilleurs jeunes dans les meilleures structures, une commission d’orientation a été mise en place au printemps 2007. Cette initiative cherche avant tout à répondre au déficit d’encadrement et de moyens dont pâtit un certain nombre des plus gros potentiels juniors et espoirs. Pour inciter à cette évolution, une prise en charge totale des athlètes concernés acceptant une des orientations requises est proposée. Plusieurs athlètes ont bénéficié de cette mesure dès la rentrée 2007. Les orientations préconisées par cette commission, reconduite en 2008, doivent désormais s’inscrire de façon forte dans la culture de gestion du haut niveau jeunes et, logiquement, devenir partie intégrante du futur « parcours d’excellence sportif ».
56Un travail de pédagogie sur la nécessaire concentration des hommes, des structures et des moyens a été effectué par la DTN au printemps 2008, avec plusieurs réunions rassemblant l’ensemble des cadres techniques placés auprès de la FFA. Ces temps d’échanges et d’explications sont essentiels pour associer les acteurs professionnels de terrain, mais également pour déconstruire les représentations qui envahissent le fonctionnement du haut niveau en athlétisme. Les données de cet article y contribuent, à leur façon.
57Quoi qu’il en soit, en ce qui concerne le besoin impératif de concentration des meilleurs dans des structures d’excellence, il semble nécessaire de procéder à une inflexion, certes expliquée, mais radicale.
UNE POLITIQUE VOLONTARISTE DE TRANSMISSION DE LA CULTURE DE HAUT NIVEAU
58La problématique de la transmission de la culture de haut niveau, particulièrement pour la formation des nouvelles générations d’entraîneurs, nous est rapidement apparue comme essentielle.
59Aussi, dès l’été 2005, pour les championnats du monde d'Helsinki, un dispositif pour faciliter la venue des entraîneurs personnels des athlètes individuels qualifiés est mis en place. Cette attention particulière aux entraîneurs ne faisant pas partie de l’encadrement fédéral, qui tranche radicalement avec la politique développée depuis 2001, sera maintenue tout au long de l’olympiade22 Cette ligne directrice s’explique, certes, par la volonté de prendre en considération le travail quotidien de ces entraîneurs et de leur permettre d’accompagner le ou les athlètes qu’ils encadrent jusqu’à l’objectif de la saison. Mais le principal souci est surtout de participer à leur formation continue, en leur proposant une action concrète et utile, afin de les accompagner dans leur ambition d’encadrer des athlètes de niveau mondial.
60Parallèlement à cet accueil des entraîneurs personnels lors des grands championnats internationaux, plusieurs moments de formation sont proposés, durant la saison 2005-2006, aux entraîneurs des meilleurs athlètes, jeunes et seniors. Le choix des intervenants est fait dans un souci d’ouverture d’esprit, de formation et d’informations dans des domaines spécifiques23 Toujours avec cette volonté de diffusion et d’échange, des séminaires olympiques regroupant les entraîneurs des athlètes présélectionnés pour Pékin et les membres de l’encadrement fédéral sont organisés de novembre 2007 à juin 2008. Au-delà du fait de tenir informé les principaux acteurs des JO à venir des modalités de sélection, d’encadrement et d’organisation de l’athlétisme à Pékin, l’idée est clairement de partager informations et expérience, autant dans un souci de formation continue des entraîneurs personnels, que pour tenter de démythifier cette compétition hors du commun. Ces rencontres sont enrichies d’intervenants extérieurs, invités à présenter leur expérience du haut niveau24.
61Sur un plan plus structurel, au printemps 2007, une nouvelle organisation du haut niveau est proposée, transversale, par niveaux et par objectifx, et non plus par disciplines ou familles de disciplines. Dans ce cadre, trois référents « haut niveau » de la DTN25 sont mis en place, officiellement en septembre 2007, mais, dans les faits, dès le printemps 2007, avec la disparition programmée des coordonnateurs de spécialité. Cette réforme, essentielle à nos veux, a surtout pour vocation de contribuer à la transmission d’une culture de très haut niveau, en sortant du cadre souvent rigide des disciplines ou familles de disciplines. Elle permet également à la DTN d’être mieux informée et de participer au cadrage des stratégies de préparation des athlètes et des entraîneurs, stratégies désormais formalisées et discutées.
62Les référents œuvrent ainsi depuis l’été 2007 pour coordonner, dans la mesure du possible, les stages des athlètes « olympiques ». Cela a par exemple permis à des groupes d’entraînement de différentes spécialités de se retrouver au même moment en stage, notamment à Font-Romeu et en Afrique du Sud. Des athlètes et des entraîneurs ayant des objectifs similaires peuvent s’y côtoyer, échanger et, ainsi, s’enrichir réciproquement de leur connaissance et de leur vécu de haut niveau. Certains athlètes et entraîneurs sont d’ores et déjà en train de s’organiser pour repartir ensemble. Signe qu’une certaine dynamique de haut niveau est peut-être en train de se mettre en place.
63La diffusion de la culture de haut niveau vers les athlètes et entraîneurs de demain a également été facilitée avec la mise en place de « stages nationaux Jeunes » transversaux. Les meilleurs jeunes y sont invités avec leur entraîneur, toutes disciplines confondues26 L’encadrement des athlètes et des entraîneurs est effectué par des cadres et des formateurs reconnus, dont les entraîneurs des meilleurs athlètes français. Ces moments d’échange et de formation continue semblent satisfaire une grande majorité des participants.
64La politique de financement des groupes d'entraînement, enfin, mise en place dès 2006, a permis de travailler davantage en concertation avec ces entités, de les inciter à partir en stage ensemble, mais également de développer, au sein de leur groupe, la fonction d’entraîneur adjoint.
65Cette prise en considération est lente a venir, trop lente a notre goût ; c'est pourquoi le cahier des charges 2009 des groupes d’entraînement prévoit des pénalités financières pour les groupes n’ayant pas intégré un entraîneur adjoint reconnu par la DTN.
66Ces différentes mesures, si elles contribuent effectivement à multiplier les moments de diffusion et de transmission des compétences, demeurent insuffisantes en l’état. Elles doivent nécessairement être intégrées dans un projet plus global et s’inscrire dans une certaine durée.
POUR UN SYSTÈME PYRAMIDAL DU HAUT NIVEAU
67Le passage annoncé, pour la rentrée 2009, de la « filière de haut niveau » au « parcours d’excellence sportive » est l’occasion de franchir – enfin – le pas, en mettant en œuvre les fondations d’un système de haut niveau. Le préalable de cette construction est une orientation claire et sans ambiguïté vers une organisation pyramidale, où le très haut niveau est concentré dans un nombre limité de structures, dans lesquelles sont rassemblés les entraîneurs les plus performants, leur(s) adjoints) et les groupes d’entraînement. Compte tenu de la dilution actuelle des acteurs du haut niveau sur le territoire et des freins culturels qui ne vont pas manquer, il est bien évident qu’une telle mesure ne va pas de soi. Pour être effective il faut, d'une part, qu'elle soit fortement soutenue au plan politique et institutionnel (ministère des Sports, Préparation olympique et paralympique, Fédération française d’athlétisme), et, d’autre part, que les modalités de mise en œuvre soient fortement incitatives (prise en charge totale des athlètes entrant dans ce cadre, compléments financiers substantiels aux entraîneurs acceptant la mobilité induite dans cette organisation)27 Dans ce nouveau cadre potentiel, et vu les éléments qui ressortent du fonctionnement du haut niveau depuis plus de vingt ans, les groupes d’entraînement apparaissent comme les structures opérationnelles les plus pertinentes pour produire, à moyen terme, des résultats de haut niveau de façon pérenne. Pour leur donner les moyens d’atteindre cet objectif, il semble important d’investir fortement sur une dizaine d’entre eux aux plans humain et financier avec, en contrepartie, leur adhésion à un cadre de fonctionnement compatible avec la mise en place, le développement et la pérennisation d’un véritable système de haut niveau (entraîneur adjoint professionnel, concentration dans chacun de ces groupes de trois ou quatre athlètes de premier plan et de trois ou quatre jeunes à très fort potentiel suite à une orientation concertée, positionnement sur des structures ayant vocation à rassembler à moyen terme pôle, club, voire campus universitaire, missions de formation continue, coopération intergroupes et avec les stages fédéraux).
68Il est désormais indispensable d’arrêter de croire, ou de se faire croire, que des médailles ou des finales mondiales peuvent se produire en dehors d’hommes, de structures et de moyens d’excellence. Certes, le quart, environ, des résultats de haut niveau en athlétisme est le fruit de fonctionnements atypiques, hors normes, absolument pas reproductibles. Soit ! Il s’agit d’une spécificité inhérente au caractère exceptionnel de toute activité recherchant l’excellence. Il faut intégrer cette donnée. Cela n’enlève rien au fait qu’avoir la perspective de travailler dans des structures en nombre limité, rassemblant les trois quarts des athlètes et des entraîneurs les plus performants, serait déjà un progrès considérable et permettrait vraisemblablement d’assurer un socle de résultats minimaux, hors aléas de la compétition, et leur pérennisation.
69Cette nouvelle organisation doit clairement s’afficher pyramidale et hiérarchisée. Non seulement la dizaine de structures d’excellence a vocation à concentrer les hommes et les moyens du haut niveau, mais les autres entités doivent travailler pour alimenter ces structures. Il s’agit donc d’installer une véritable coopération, des clubs jusqu’aux structures d’excellence, où, à chaque niveau (clubs producteurs de haut niveau jeunes et seniors, centres d’entraînement régionaux, pôles Espoirs), des athlètes aux techniciens, chacun s’y retrouve concrètement dans la mobilité du système. Une évolution significative serait notamment que les entraîneurs performants et compétents soient reconnus et aient la possibilité d’évoluer et de se professionnaliser dans ce système pyramidal.
70La coopération doit également progressivement s’installer au niveau des entraîneurs de l'élite. Si les difficultés de travailler ensemble ne se résolvent naturellement pas du jour au lendemain, il faudrait néanmoins essayer de les faire travailler dans la même direction, au profit d’eux-mêmes et de leurs pairs, au contact d’une personne idoine, reconnue par eux et chargée de la coordination et de la formation des entraîneurs de l’élite.
71Ces quelques pistes ont clairement comme objectif de faire évoluer structurellement la gestion et le suivi du haut niveau en athlétisme. Elles ne peuvent s’inscrire qu’à l’intérieur d’un projet plus global, avec des objectifs à moyen et long terme. Sa dimension politique est évidente... et devrait être d’actualité à quelques semaines des élections fédérales de décembre 2008.
Conclusion
72À l’issue des Jeux olympiques de Sydney, dans un document qui analyse la situation de l’athlétisme, la Préparation olympique commence son rapport en affirmant : « le problème que nous avons à régler n’est pas conjoncturel, il est structurel et mis en lumière par l’absence de médailles et de dynamique de l’équipe d’athlétisme aux Jeux de Sydney »28 Quatre ans plus tard, la même institution précise : « l’athlétisme français n’a pas mieux réussi à Athènes qu’à Sydney : 25 points à l’indice PO contre 24 à Sydney, ceci malgré deux médailles contre zéro en 2000 »29 Les Jeux de Pékin marquent incontestablement une évolution de la situation de l’athlétisme, qui s’exprime avec un indice PO de 36 points30.
73Pour autant, notre propos met en évidence que les premières mesures structurelles initiées depuis deux ans n’ont pour l’instant pas encore porté leurs fruits ; elles doivent désormais être prolongées et largement amplifiées. Les résultats encourageants des neuf finalistes des derniers JO sont donc à mettre au crédit des principaux intéressés et de leurs entraîneurs ; en aucun cas, à celui d’un système organisé. Les modalités de transmission d’une culture de haut niveau sont à peine plus formalisées, les structures d’accueil du haut niveau sont encore très diluées, et, last, but not least, les athlètes et les entraîneurs les plus performants ne sont pas vraiment engagés dans un processus qui favoriserait la concentration des élites et les modalités de coopération professionnelle.
74Si les hommes restent les éléments incontournables de la performance, seule l’organisation d’un réel système peut permettre d'envisager une possible pérennisation des résultats.
75La mise en œuvre de cette évolution structurelle ne peut être que le fait d’un consensus technique et politique. Bien au-delà des questions de personnes, il en va, à notre sens, de l’intérêt et de l’avenir de l’athlétisme français de haut niveau, si l’on souhaite enfin sortir de la culture de l’exception.
Notes de bas de page
1 Il s’en est en effet fallu de 41 centièmes de seconde, moins de 30 cm, pour trois médailles supplémentaires.
2 Mahiedine Mekhissi est médaillé d’argent sur 3 000 m steeple ; Mehdi Baala (quatrième sur 1 500 m), Ladji Doucouré (quatrième sur 110 m haies), Romain Barras (cinquième au décathlon), Leslie Djhone (cinquième sur 400 m), Manuela Montebrun (cinquième au marteau), Bouabdellah Tahri (cinquième sur 3 000 m steeple), Jérôme Clavier (septième à la perche) et Mélina Robert-Michon (huitième au disque) sont finalistes.
3 En remontant jusqu’aux Jeux de Barcelone de 1992, on remarque que la densification du niveau pour les finalistes individuels est avérée (cinq à Barcelone et six à Atlanta), mais moins évidente pour les demi-finalistes (dixhuit pour ces deux Jeux). Sur ce dernier critère, Sydney est clairement à part, avec neuf demi-finalistes individuels. En termes de médailles individuelles, l’exception est Atlanta, avec quatre podiums, dont trois titres (or sur 200 et 400 m pour Marie-José Pérec ; or pour Jean Galfione, à la perche ; bronze pour Patricia Girard, sur 100 m haies).
4 Quatorze médailles d’or (dont cinq aux JO), douze médailles d’argent (dont deux aux JO) et dix-neuf médailles de bronze (dont six aux JO) : à elle seule, Marie-José Pérec représente plus du tiers des titres olympiques ou mondiaux de l’athlétisme français (cinq sur quatorze, soit 36 % ; 45 % de l’or, si l’on excepte les relais). Les trois athlètes les plus médaillés (Marie-José Pérec, cinq fois, Eunice Barber, cinq fois, et Stéphane Diagana, trois fois) comptabilisent 29 % des médailles olympiques ou mondiales (36 % hors relais).
5 Lors de ces deux championnats du monde, la France récolte quinze médailles (huit à Paris et sept à Helsinki), dont trois en relais. Le tiers des médailles individuelles est dû à une seule athlète, Eunice Barber (or en longueur et argent à l’heptathlon, en 2003 ; argent à l’heptathlon et bronze en longueur, en 2005) ; Christine Arron en remporte deux à Helsinki (bronze sur 100 et 200 m). Soit 50 % des médailles individuelles à elles deux. D’autre part, les relais médaillés bénéficient largement des réussites individuelles (victoire du 4 x 100 m féminin à Paris, avec Muriel Hurtis-Houairi, troisième du 200 m, et Christine Arron, cinquième sur 100 m ; argent – transformé, depuis, en or – du 4 x 400 m masculin à Paris, avec Marc Raquil, troisième du 400 m, et Leslie Djhone, cinquième ; or du 4 x 100 m masculin à Helsinki, avec Ladji Doucouré, vainqueur du 110 m haies). Les trois autres médailles sont remportées, en 2003, par Mehdi Baala (argent sur 1 500 m) et Manuela Montebrun (bronze au marteau), et, en 2005, par Bouchra Ghezielle (bronze sur 1 500 m). Le déroulement des championnats du monde 2003 à domicile, enfin, est un paramètre important à prendre en considération pour expliquer ce record absolu de médailles, pour l’athlétisme français, lors d’une échéance mondiale. En se fondant sur ces différentes données, il est peu contestable que les résultats de haut niveau de l’athlétisme s’inscrivent dans une culture de l’exception.
6 Soit 17 % des médailles individuelles depuis 1983. En 2005, Bouchra Ghezielle s’entraînait dans le groupe d’Alain Lignier.
7 Même les demi-fondeurs fonctionnent davantage sur ce mode, comme le prouve l’exemple des athlètes regroupés autour de Jean-Michel Dirringer (notamment M. Baala et B. Tahri).
8 Madoré Hervé (directeur de la Préparation olympique) – « L’athlétisme français après Sydney », rapport, GIP SEPO, 15 novembre 2000, p. 5.
9 Dans ce cas précis, soixante-quatorze athlètes étaient qualifiés ; pour les grands championnats seniors, la sélection tourne généralement autour d’une cinquantaine d’athlètes.
10 Jacques Piasenta avait également deux qualifiés individuels à Pékin, mais ce sont les deux seuls athlètes qu’il entraîne. Cela ne peut donc pas être considéré comme un groupe.
11 Les autres groupes d’entraînement représentés par deux athlètes à Osaka étaient ceux de Didier Baudouin, Jean-Michel Dirringer, Laurent Le Bras, Sébastien Levicq, Renaud Longuèvre, Georges Martin et François Pépin.
12 À simple titre de comparaison, l’équipe française olympique de natation à Pékin était composée de trenteneuf nageurs (toutes disciplines confondues). Au total, vingt entraîneurs sont concernés par l’encadrement de ces trente-neuf nageurs, soit un rapport de 1,95 athlète par entraîneur. Chacun de la moitié de ces techniciens s’occupe d’au moins deux nageurs ; dit autrement, trente nageurs (soit 77 % d’entre eux) sont dans un groupe d’entraînement qui compte au moins deux qualifiés à ces JO. En athlétisme, sur les cinquante et un athlètes qualifiés à Pékin, seuls quinze (soit 29 % d’entre eux) sont dans la même situation.
13 Lors de ces différents championnats internationaux, les clubs les plus représentés étaient les suivants : quatre sélectionnés de Neuilly-Plaisance, à Athènes 2004 ; quatre du Lille Métropole Athlétisme et trois du CA Montreuil, de l’EFSRA Reims et du Viry-Evry NSE, à Osaka 2007 ; cinq du CA Montreuil et trois de l’AS aixois, de l’ASC Zénith et du ViryEvry NSE, aux Europe Espoirs 2007 ; neuf du Lagardère Paris Racing et quatre de l’AC Paris-Joinville, aux JO de Pékin.
14 Trente-six entraîneurs pour quarante-six sélectionnés (Patrick Bourbeillon et Fernand Urtebise encadrent chacun trois qualifiés) ; trente-sept clubs représentés (le Racing Club de France a six athlètes sélectionnés).
15 On peut, par exemple, citer Gérald Baudouin, formé par Maurice Houvion, ou Olivier Vallaeys et Laurence Bily, par Fernand Urtebise.
16 Il n’est pas inutile de rappeler que l’existence de cadres techniques sportifs (1 600) intégrés dans la Fonction publique, dont la principale mission était à l’origine d’encadrer le haut niveau, est unique dans le paysage sportif mondial.
17 Madoré Hervé – « L’athlétisme français après Sydney », op. cit., p. 8.
18 Afin d’être le plus constructif possible, quelle que soit la future DTN, nous avons fait le choix de diffuser largement notre bilan des Jeux olympiques de Pékin, écrit en octobre 2008 (le ministère des Sports, la Préparation olympique et paralympique, le président de la FFA, les membres du Bureau fédéral et l’ensemble des cadres techniques en ont été les destinataires). Cet article se situe résolument dans cette même démarche ; il nous semblait en effet déterminant qu’un bilan critique, avec une certaine profondeur historique, soit formalisé, écrit et diffusé.
19 La temporalité des contrats PO (deux ans), qui se terminent donc un an après les JO, ne facilite certes pas les transitions. Mais en athlétisme, la date tardive de l’Assemblée générale élective (début décembre) est également problématique. Une AG en octobre, comme c’est le cas dans d’autres sports olympiques, permettrait déjà d’avancer la nomination du DTN de plusieurs mois et de prévoir une véritable période de transition. D’autre part, pourquoi ne pas intégrer dans la formation proposée aux nouveaux DTN par le ministère un temps de transmission et d’échanges avec les DTN partant et leurs proches collaborateurs ?
20 Les positionnements respectifs d’Aimé Jacquet au football (DTN après avoir été sélectionneur) ou de Daniel Constantini au handball (membre de la DTN, chargé des relations avec la Ligue nationale de handball, lui aussi après avoir été sélectionneur) en sont de bons exemples. Une évolution a cependant lieu en athlétisme, dans ce domaine, avec l’arrivée, aux manettes de la Ligue nationale d’athlétisme, d’anciens champions, en la personne de Stéphane Diagana et de Bruno Marie-Rose.
21 Cette concentration se met progressivement en place avec, en 2008, vingt-trois athlètes professionnels répartis dans dix-sept clubs, soit 1,32 athlète par club ; en 2009, les dix-neuf athlètes seront normalement répartis dans treize clubs, soit 1,46 athlète par club (quatre au Lagardère Paris Racing, trois à l’AC Paris-Joinville et deux à l’ESF Reims).
22 Trente-deux entraîneurs personnels ont été accueillis à Pékin, lors des JO.
23 Des spécialistes de l’entraînement en altitude et du décalage horaire ont notamment été invités, ainsi que le DTN de la natation, Claude Fauquet. Makis Chamalidis et François Ducasse, spécialistes de la préparation mentale et du sport de haut niveau, sont également intervenus de façon récurrente.
24 Fabien Canu (pour la Préparation olympique et paralympique – POP), Gérard Quintyn (pour son expérience d’entraîneur national de cyclisme sur piste) et Christophe Rouffet (directeur des équipes de France du canoëkayak en ligne sur la stratégie de préparation des JO) sont intervenus en novembre ; Pierre Dupasquier (directeur de la compétition chez Michelin) en mai ; Gilbert Avanzini (qui travaille à l’unité d’aide à la performance de l’INSEP) en juin.
25 Il s’agit de Patricia Djaté-Taillard, pour les courses et les relais, Thierry Cristel, pour les concours et les épreuves combinées, Pascal Chirat, pour le hors stade.
26 Plus de quatre cents athlètes de 17 à 22 ans et leurs entraîneurs y sont invités.
27 Une telle évolution ne ferait d’ailleurs que reprendre un des objectifs fixés par Hervé Madoré, dès le lendemain de Sydney, lorsqu’il proposait de « regrouper 80 % des meilleurs sportifs français sur six ou sept pôles », Madoré Hervé – « L'athlétisme français après Sydney », op. cit., p. 5.
28 Ibid, p. 2.
29 « Bilan des Jeux olympiques. Bilan des Jeux paralympiques. Athènes 2004 », GIP Sports Élite Préparation olympique, version 8 du 18 mars 2005, p. 13.
30 L’indice PO est calculé sur le nombre de finalistes, individuels et en relais, en attribuant huit points pour une première place, sept pour une deuxième, etc.
Sur cette base, le meilleur total réalisé est ce lui des JO d’Atlanta de 1996, avec quarantequatre points.
Auteurs
Directeur technique national
Directeur technique national adjoint, de la Fédération française d’athlétisme
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Pékin 2008
Regards croisés sur la performance sportive olympique et paralympique
Institut national du sport et de l'éducation physique (dir.)
2008
La pratique des activités physiques et sportives en France
Enquête 2003 – Ministère de la Jeunesse, des Sports et de la Vie associative Ministère de la Culture et de la Communication, Insee
Hervé Canneva (dir.)
2005
Les pratiques sportives en France
Enquête 2000
Ministère de la Jeunesse des Sports et de la Vie associative, Institut national du sport et de l'éducation physique, Patrick Mignon et al. (dir.)
2002
Données et études statistiques : jeunesse, sports et vie associative
Recueil des travaux et publications de la Mission statistique de 1999 à 2004
Sandrine Bouffin, Myriam Claval et Hervé Savy (dir.)
2006