Chapitre IX. La consommation d'informations et de spectacles sportifs : un pilier de la culture sportive des adolescents
p. 129-136
Texte intégral
1Les résultats présentés dans ce chapitre confirment le poids de la culture sportive au sein de la population des adolescents français âgé de 12 à 17 ans, avec d'une part une consommation d'informations plus conséquente que la pratique du sport elle-même, et d'autre part une remarquable affinité entre ces deux piliers du système des investissements sportifs. Le sceau de la masculinité marque les trois loisirs étudiés : les programmes sportifs à la télévision, la lecture de quotidiens ou de magazines sportifs et la fréquentation de rencontres sportives. Sur le plan culturel, ces pratiques impliquent souvent un cumul d'autres loisirs - "c'est la tête et les jambes" - et participent à la cohérence des pratiques culturelles des adolescents. On relèvera enfin le statut original de la consommation de rencontres sportives, pratique la moins développée des trois, la plus exclusive et qui concerne plutôt les catégories sociales moins favorisées.
2Les études socio-démographiques menées sur le sport ciblent habituellement les pratiques physiques et sportives effectives des personnes. Si le problème global posé est la place du sport au sein d'une population donnée, il est alors approprié de comprendre le sport comme une culture26. Les pratiques connexes que sont les loisirs dépendants du sport participent à la culture sportive. Les pratiques récréatives liées directement aux activités physiques et sportives des jeunes français intéressent pleinement cette approche. Dans cet article, nous nous intéressons aux pratiques suivantes : regarder les programmes sportifs à la télévision, lire des quotidiens ou des magazines sportifs, et assister à des rencontres sportives. Les interrogations principales sont logiquement de nature démographique puis socio-culturelle :
- Quels sont les poids de ces types de consommations chez les adolescents et quels rapports entretiennent ces pratiques entre-elles ?
- Qui sont les adolescents investis dans chaque loisir ? Qui sont ceux qui sont investis dans l'ensemble de cette catégorie de consommation ?
- Enfin, quels rapports entretiennent ces différents adolescents avec la pratique physique et sportive effective et avec d'autres pratiques culturelles ?
Des consommations interdépendantes, largement majoritaires chez les adolescents et dominées par le sport à la télévision
3Les poids respectifs des trois pratiques culturelles étudiées sont importants car touchant chacune "au moins quelquefois dans l'année" plus de la moitié des adolescents français. Le sport à la télévision s'impose avec presque neuf individus sur dix27. La lecture d'un quotidien ou d'un magazine sportif se détache avec environ deux individus sur trois28 et, pour finir, les rencontres sportives concernent un peu plus d'une personne sur deux29. De fortes différences entre ces trois loisirs apparaissent dans les degrés d'investissement déclarés. Dans la population des investis, le niveau de consommation est le plus fort ("une fois par semaine et plus") pour le sport à la télévision avec un peu moins de deux adolescents sur trois. Ensuite nous avons la lecture avec un peu moins d'un individu surdeux fortement consommateur, et enfin les rencontres avec un peu plus d'un adolescent sur cinq.
4La multi-consommation d'information et de spectacles sportifs est forte. Presque la moitié des adolescents sont à la fois séduits par les trois activités "au moins quelquefois dans l'année". Avec la même fréquence, quatre adolescents sur cinq sont concernés par au moins deux de ces pratiques, et finalement, la presque totalité des adolescents ont connu au moins l'un de ces loisirs. Les multi-consommations identifiées confirment une nouvelle fois le poids de l'information et du spectacle sportif à la télévision. Regarder le sport à la télévision semble être le corollaire d'un appétit pour la lecture de la presse spécialisée ou la rencontre sportive in vivo. L'association TV/lecture représente presque un jeune sur cinq et TV/rencontre un peu moins d'un jeune sur dix. De façon secondaire, la lecture ou les rencontres seules ou associées possèdent de faibles taux contrairement à la seule télévision (un peu plus de 10 %). Ces trois activités sont aussi très liées30, attestant de la cohérence des choix dans cette catégorie de loisirs.
Un intérêt avant tout masculin
5Considérer les consommateurs les plus assidus permet d'appréhender en partie le profil social de nos trois types de consommation d'informations et de spectacle sportifs chez les adolescents. On peut considérer l'investissement dans chaque loisir, nommé "investissement vertical", et l'investissement dans plusieurs de ces loisirs à la fois (multi-consommation), nommé "investissement horizontal". L'investissement vertical se base ici sur une forte intensité dans l'un des trois loisirs (une fois par semaine et plus). L'investissement horizontal se définit lui par le fait d'avoir touché à ces trois loisirs "au moins quelquefois dans l'année" et dans le même temps d'annoncer une fréquence de pratique élevée dans l'un des trois loisirs (une fois par semaine et plus). Soulignons que la sous-population concernée par notre définition de l'investissement horizontal correspond à 41 % des adolescents, proportion peu éloignée de la part de la souspopulation intéressée à la fois par les trois loisirs.
6Les profils des adolescents composant le coeur des investissements verticaux et de l'investissement horizontal font ressortir l'importance du sexe, de l'âge et de l'origine sociale à des degrés divers selon les loisirs (tableaux annexes XV à XVII) :
- le jeune amateur de programmes télévisuels sportifs est, par ordre décroissant d'importance, un garçon (fort lien) avec un père actif employé et avec une composition familiale stable (les deux parents ensemble). Globalement, le facteur explicatif dominant31 est le sexe, suivi de loin par l'âge. La télévision tend à traverser la hiérarchie sociale, l'origine sociale n'intervenant pas.
- le lecteur de presse spécialisée est également un garçon, dont la mère ou le père exercent une profession de niveau supérieur (artisan, commerçant, chef d'entreprise ou cadre et profession intellectuelle supérieure). Il est un peu plus souvent âgé de 16 à 17 ans et habite également un peu plus souvent en milieu rural. Le facteur principal est toujours le sexe, suivi de l'origine sociale puis de l'âge.
- le spectateur de rencontres sportives est encore un garçon (importante attraction), dont le père est peu nanti en capital scolaire (diplôme inférieur au baccalauréat). La première influence est toujours le sexe, suivi de l'origine sociale. L'âge n'apparaît pas.
- le jeune consommateur d'informations ou de spectacles sportifs est lui aussi encore un garçon (fort lien), issu d'un milieu aisé (ses parents ont suivi des études supérieures). Il vit par ailleurs avec ses deux parents, et est âgé de 16 à 17 ans. Le sexe est prépondérant, suivi de l'origine sociale et de l'âge.
7Pour les quatre profils décrits, le sexe est le facteur explicatif déterminant. En proportion, les femmes sont au minimum deux fois moins nombreuses que les hommes dans les quatre situations. Les autres caractéristiques sont spécifiques aux quatre engagements, le spectateur de rencontres sportives ayant en particulier un profil plus populaire.
Un lien direct avec la pratique du sport
8S'interroger sur le poids du sport chez les adolescents, c'est également se questionner sur les rapports entre pratique physique et sportive du jeune en général, et investissements verticaux et investissement horizontal dans les consommations d'informations ou de spectacles sportifs (tableau 1). Tout d'abord, notons que dans les différents types de consommateurs d'information ou de spectacles sportifs, les taux de pratique sportive sont proches, quelle que soit l'intensité de la pratique sportive.
9Les sportifs sont nombreux chez les amateurs de télévision, de lectures et de rencontres sportives avec globalement quatre adolescents sur cinq. Il y a dans les loisirs considérés une affinité avec la pratique effective du sport et même un glissement vers la définition anglaise32 du terme. Ainsi, l'activité physique et sportive pratiquée est souvent associative, licenciée ou compétitive33. Les relations entre le fait d'aller assister à des rencontres sportives et les niveaux progressifs d'intégration institutionnelle de la pratique sportive34 sont fortes. Ajoutons que la consommation de programmes sportifs télévisuels est fortement associée à la pratique compétitive et que l'attraction entre investissement horizontal et pratique sportive ou compétition sportive est très solide.
Une gestion cohérente et non exclusive du temps libre
10La forte consommation verticale ou horizontale d'informations ou de spectacles sportifs n'annihile pas, à fréquence de pratique identique, l'engagement dans d'autres activités de temps libre. Elle est en opposition avec une faible pratique de loisirs (cinq loisirs et moins) et se rapproche plus d'un cumul de loisirs (neuf loisirs et plus). Ce constat n'est par contre pas valable pour les amateurs de rencontres sportives.
11La consommation d'informations et de spectacles sportifs participe à la cohérence de la globalité des activités récréatives des adolescents :
- la consommation de programme sportifs télévisuels est en forte corrélation avec la consommation de télévision en général. Elle est secondairement liée aux jeux vidéo, à l'utilisation d'un ordinateur et au temps passé entre amis.
- aller voir des rencontres sportives est en rapport avec le fait de passer du temps avec des amis, de jouer aux jeux vidéo et de sortir le soir en discothèque.
- la lecture de la presse spécialisée s'accompagne de la lecture en général et de l'utilisation d'un ordinateur.
- enfin, les adolescents qui sont investis dans la consommation d'information et de spectacles sportifs ont également tendance à jouer aux jeux vidéo, à passer du temps au téléphone, à lire en général, à passer du temps avec des amis et à se servir d'un ordinateur.
12On retiendra donc au total la cohérence globale des loisirs adoptés. Le sport est in fine fréquemment synonyme de jeu, de sociabilité... en bref de curiosité et de variété. La "culture d'accompagnement"35 occupe chez les adolescents, sous différentes formes, une place de choix dans la gestion de leur temps libre. En contraste avec ce que murmure le sens commun, il n'y a pas de fossé entre le jeune "aficionado" du sport et le jeune passionné d'un domaine distinct puisque le sport implique l'éclectisme. Le cumul de pratiques culturelles est en effet caractéristique des classes supérieures de la population française36.
Notes de bas de page
26 Pociello C., Les cultures sportives, Paris, P.U.F, 1995.
27 Entre 86,5 % et 89,7 % avec un intervalle de confiance (I.C.) à 95 %.
28 Entre 67,5 % et 72,2 % avec un I.C. à 95 %.
29 Entre 57,3 % et 62,2 % avec un I.C. à 95 %.
30 Les liens entre lecture et rencontre ou télévision et lecture sont robustes à environ 40 %, mais le rapport entre la rencontre et la télévision est très intense à 64 %.
31 Voir définition "hiérarchisation des facteurs explicatifs"
32 Defrance J., Sociologie du sport, Paris, La Découverte, 1995, p. 10.
33 Pour une information détaillée sur les profils de ces sportifs on pourra se reporter aux chapitres 2 et 6.
34 Pociello C., Sport et sciences sociales. Histoire, sociologie et prospective, Paris Vigot 1999 p 75.’
35 Mignon P, "Le sport, la culture sportive et les pratiques culturelles", Les pratiques sportives en
France, Paris, Ministère des Sports, 2002, p. 116.
36 Coulangeon P., "La stratification sociale des goûts musicaux. Le modèle de la légitimité culturelle en question", Revue française de sociologie, janvier-mars 2003, 44-1, pp. 3-33.
Auteurs
Laboratoire de sociologie du sport, Institut national du sport et de l'éducation physique (INSEP)
Université de Bretagne Occidentale
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Pékin 2008
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Enquête 2003 – Ministère de la Jeunesse, des Sports et de la Vie associative Ministère de la Culture et de la Communication, Insee
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2005
Les pratiques sportives en France
Enquête 2000
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2002
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Recueil des travaux et publications de la Mission statistique de 1999 à 2004
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