Chapitre V. Les représentations du sport moins différenciées que les pratiques
p. 71-84
Texte intégral
1Les adolescents retirent du sport des bénéfices nettement supérieurs aux contraintes qu'il leur cause et aux déplaisirs qu'il entraîne parfois. Parmi les plaisirs du sport, les oppositions garçons-filles ou par âge peuvent être fortes mais sont limitées à quelques points : "la compétition", ou "la recherche de célébrité", figurent parmi les points qui opposent le plus garçons et filles et encore plus les plus jeunes. Les plus âgés sont plus sensibles aux apports esthétiques et d'équilibre personnel du sport. Les représentations du sport paraissent moins marquées socialement que la pratique du sport elle-même, et les disparités sociales paraissent ici relativement faibles.
2Les motifs de déplaisir associés au sport (les contraintes de l'entraînement par exemple), sont plus souvent cités par les non-sportifs que par les sportifs, et par les filles plus que par les garçons. C'est ici que les écarts garçons-filles sont les plus forts.
Des bienfaits supérieurs aux contraintes
3Les adolescents ont été conviés dans le cadre de l'enquête à exprimer leur opinion sur quatre thèmes relatifs au sport : "ce que cela apporte", "ce qui plaît", "ce qu'on en espère", "ce qui déplaît Les sportifs ont été interrogés sur les quatre thèmes et les non-sportifs seulement sur les motifs de déplaisir.
4Les réponses, à très grands traits, sont fortement hiérarchisées. En tête arrivent les bienfaits du sport, puis les plaisirs qu'il procure suivis d'assez loin par les espoirs qu'il suscite, et enfin les déplaisirs causés par le sport. Donc, ce qui déplaît aux non-sportifs est énoncé beaucoup moins souvent que ce que le sport apporte aux sportifs (tableau 1).
5Ainsi, les modalités proposées pour qualifier "ce que le sport apporte" sont cités chacun par plus de 70 % des sportifs. Pour "ce qui plaît dans le sport", les réponses positives s'étagent entre la totalité (pour le plaisir de faire du sport et l'amusement qu'il procure) à 40 % des sportifs (se donner en spectacle). "Ce qu'on espère du sport" est moins partagé et seulement 30 à 40 % des sportifs espèrent devenir célèbre, ou par exemple gagner beaucoup d'argent grâce au sport.
6Enfin, "ce qui déplaît dans le sport" arrive plus loin : les motifs cités s'étageant entre 40 % des réponses ("prendre des coups, les contraintes de l'entraînement, la crainte de ne pas être "bon") et 10 % ("les problèmes de vestiaire"). Assez logiquement, ce qui déplaît est davantage cité par les non-sportifs que par les sportifs, mais relativement peu souvent à l'exception des contraintes de l'entraînement, redoutées par environ les deux tiers des non-sportifs, la question des vestiaires et le fait d'être regardée pour un tiers des non sportives.
7Pour être hiérarchisées, les réponses ne sont pas pour autant sans nuance. On peut séparer les représentations du sport qui rassemblent assez fortement les sportifs de celles qui les séparent. Sur ce dernier point, les critères de sexe, d'âge, et d'insertion sociale ou économiques paraissent importants, mais moins nettement toutefois que pour la pratique elle même.
I – Les plaisirs et les apports du sport
"Les rêves de gloire", la recherche de sensations fortes et l'esprit de compétition oppose garçons et filles mais ce qui plaît dans le sport et ce qu'il apporte aux sportifs les réunit.
8Les réponses citées par plus de 90 % des garçons et des filles qui font du sport délimitent mécaniquement les représentations qui rassemblent les adolescents : le défoulement, l'amusement, l'esprit d'équipe, la maîtrise de la technique sont cités autant par les garçons et les filles.
9D'autres motifs de plaisir moins plébiscités sont néanmoins également le témoin de convergences, ainsi, "oublier ses problèmes", "le courage", "avoir un beau corps", "l'équilibre dans la vie" et "l'indépendance que le sport apportent", de même qu'"être apprécié d'un public" rassemblent presque également garçons et filles.
10Ainsi, les réponses des garçons et des filles sont le plus souvent très comparables pour le plaisir que le sport procure, de même que pour ce que le sport apporte.
11Par contre, les rêves ou les espoirs que l'on place dans le sport séparent nettement garçons et filles. Il en est de même de deux motifs de plaisir que sont "l'esprit de compétition", "les sensations fortes ou le sentiment de se surpasser"). On arrive ici à de réelles oppositions : Les garçons sont de l'ordre de 30 à 40 % plus nombreux à mettre en avant ces propositions. Ce qui est appréhendé ici est bien l'écart de perception entre les garçons et les filles, et non la fréquence de cette perception : la compétition et les sensations fortes réunissent les trois quarts des sportifs et la moitié des sportives, alors que les rêves de gloire et de fortune ne rassemblent que quatre sportifs sur dix et deux sur dix des sportives. Pour le reste des représentations liées au plaisir du sport, et quelle que soit la proportion de répondants, on fait du sport pour les mêmes raisons quand on est un garçon ou une fille : "la possibilité ou la joie de faire des rencontres", "la maîtrise potentielle d'une technique", "l'oubli de ses problèmes", "le goût de l'effort", "l'indépendance que la pratique sportive apporte" sont autant partagés par les jeunes gens que par les jeunes filles. Les écarts entre eux ne sont jamais supérieurs à 15 %, la part de garçons, toutefois, étant toujours plus élevée (tableau 2). Dans le contexte de ces questions particulières cette observation traduit le moindre engagement des filles dans la pratique sportive, relevé dans la plupart des chapitres.
12Il est cependant curieux de constater qu'alors que le choix d'une discipline sportive (chapitre VI) ou celui de pratiquer en club ou non (chapitre I) conduisent à de fortes différences entre filles et garçons, au contraire, ces différences s'estompent quand il s'agit du plaisir éprouvé à pratiquer le sport.
« Rêves de gloire » pour les plus jeunes, préoccupations de santé ou de bien-être pour les plus âgés, permission de sortie pour les uns ou les autres
13Sur quelques points, la façon dont les adolescents se représentent le sport est liée à l'âge. Schématiquement, on peut séparer les représentations des plus jeunes (12-13 ans), celles des plus âgés (16-17 ans), et entre les deux celles des 14-15 ans.
14Aux plus jeunes, et principalement les garçons, les espoirs : gagner beaucoup d'argent, devenir célèbre, faire son métier du sport.
15Être très fort, avoir un beau corps, d'une part, maîtriser une technique, mais aussi acquérir de l'indépendance sont plus mis en avant par les adolescents de 14-15 ans. Le fait que le sport permette de "sortir" mérite une certaine attention : ce sont en fait les plus jeunes des garçons (12-15 ans) et les plus âgées des filles (14-17 ans) qui évoquent cet intérêt du sport. Il favorise ainsi, pour les préadolescents (garçons) et plus tardivement pour les jeunes filles les occasions, voire les prétextes et peut être même les permissions de sortir. Cette dernière particularité mérite d'être signalée.
16Plus tard, vers 16-17 ans les sportifs semblent plus intéressés par l'entretien du corps, l'incitation à se surpasser, et aussi la pratique en présence d'un public. Il en est de même en ce qui concerne les fonctions équilibrantes du sport pour les garçons, mais pas pour les filles (tableau 3).
Des représentations du sport des sportifs moins caractérisées socialement que la pratique sportive elle-même
17Les différences de perception du sport par les sportifs apparaissent peu liées aux différences sociales. Elles peuvent être ordonnées : ce qui plaît dans le sport va opposer les catégories extrêmes mais ce que le sport apporte va les rassembler. Ainsi, les adolescents ne sont pas forcément attirés par les mêmes aspects, mais estiment en tirer les mêmes avantages :
- aux plus modestes, il permet de sortir et d'oublier les problèmes, de rêver d'être célèbre, et il apporte une discipline qu'ils semblent apprécier.
- aux adolescents issus des milieux les plus favorisés, il apporte ou permet d'asseoir le goût de l'effort et l'occasion de se surpasser. Cependant l'assimilation par ces adolescents des valeurs de leurs parents n'empêche pas des préoccupations d'ordre esthétique plus immédiates : avoir un beau corps est plus cité par les enfants issus des milieux les plus diplômés que par les enfants de parents sans diplôme.
- l'enquête ne permet pas de dégager des préoccupations de "classe moyenne" car on ne trouve pas de préoccupation ou de représentation qui seraient citées davantage par les enfants de familles au niveau culturel moyen.
18Toutefois, les différentes représentations du sport ne se contentent pas d'opposer les plus favorisés aux plus démunis car elles les rassemblent sur d'autres thèmes. Ainsi, la confiance en soi, le courage, l'équilibre et l'indépendance apportés par le sport rassemblent les enfants des milieux les plus et les moins diplômés (tableau 4).
II – Ce qui déplaît dans le sport
Des motifs de déplaisir dans la pratique sportive plus fréquents pour les non-sportifs que pour les sportifs, et pour les filles que pour les garçons
19Autant les raisons de ne pas faire du sport sont peu évoquées (supra chapitre III), autant ce qui déplaît dans le sport fait l'objet d'une expression sans nuance. Cette question était la seule à être posée à la fois aux sportifs et aux non-sportifs, et globalement trois constats ressortent :
- la hiérarchie (mais pas la fréquence) des motifs de déplaisir est sensiblement la même pour l'ensemble des adolescents : garçons et filles, sportifs et non-sportifs ;
- ce qui n'est pas aimé l'est encore moins chez les non-sportifs et ceci pour la plupart des motifs proposés ;
- les motifs de déplaisir sont plus fréquemment cités par les filles que par les garçons. Au total, les motifs de déplaisir liés au sport, pour les non-sportives, sont donc relativement fréquents et les écarts garçons-filles sont souvent plus élevés pour les motifs de déplaisir que pour les motifs de plaisir. On note que, chez les jeunes filles, la question des vestiaires (en communs) et le fait d'être regardé posent des difficultés (tableau 5). Par ailleurs, ce qui déplaît dans le sport n'est pas indépendant de l'âge et suggère, chez certains pratiquants, une réelle usure ou perte de motivation. Chez les sportifs, les plus jeunes évoquent le fait de prendre des coups, l'apprentissage technique, la fatigue... et le vestiaire. Pour les plus âgés, la compétition ou l'état d'esprit (du groupe ou du club) l'encadrement paries moniteurs pèsent plus.
20Cette hiérarchisation paraît conforme à une pratique un peu longue dans le temps, au cours de laquelle, à la suite des difficultés initiales de l'apprentissage s'ajoute, avec l'ancienneté de la pratique, une certaine lassitude liée aux contraintes de l'entraînement et de la compétition (voir chapitre IV).
La perception des filles varie selon le milieu social
21Qu'elles soient sportives ou non, les principaux motifs de déplaisir des filles sont presque toujours plus évoqués quand le niveau d'études des parents est élevé, alors qu'ils le sont moins dans les milieux défavorisés (tableau 6). Pour les non-sportives, prendre des coups, maîtriser la technique, sont plus redoutés dès que le capital culturel de la famille s'élève, et il en est de même pour les sportives. La seule exception concerne les contraintes de l'entraînement, moins évoquées, donc peut être mieux vécues, par les sportives de familles à capital culturel élevé.
22Ainsi donc, alors que les filles des milieux les moins dotés culturellement font moins de sport, ce sont elles qui évoquent le moins les caractères "désagréables" du sport, qu'elles soient sportives ou non. On peut alors avancer l'idée de l'existence d'une (relative) réticence au sport pour certaines jeunes filles appartenant à des milieux culturels qui pourtant valorisent le sport pour des raisons éducatives. Cette réticence peut être mise en évidence par un niveau de non-pratique relativement élevé pour les filles des familles les plus favorisées (chapitres II et III).
23En d'autre termes, on peut avancer l'hypothèse d'un certain rejet du sport du fait de l'éloignement culturel pour les catégories les plus défavorisées, du fait de l'expérience pour les catégories les plus favorisées. On ne peut pas tirer les mêmes conclusions pour les garçons car les réponses les plus fréquentes ou les moins fréquentes sont réparties équitablement selon l'ensemble des niveaux d'études des parents (tableau 6).
Auteurs
Laboratoire de sociologie du sport, Institut national du sport et de l'éducation physique (INSEP)
Mission bases de données et informations statistiques, ministère de la Jeunesse, des sports et de la vie associative
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Pékin 2008
Regards croisés sur la performance sportive olympique et paralympique
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2008
La pratique des activités physiques et sportives en France
Enquête 2003 – Ministère de la Jeunesse, des Sports et de la Vie associative Ministère de la Culture et de la Communication, Insee
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Les pratiques sportives en France
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2002
Données et études statistiques : jeunesse, sports et vie associative
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