Chapitre III. L'absence de pratique sportive entre éviction sociale et méconnaissance du sport
p. 41-54
Texte intégral
1L'influence du niveau de diplôme de la famille est le facteur le plus nettement lié à la non-pratique sportive. A celui-ci s'ajoute, fortement pour les filles, beaucoup moins pour les garçons, l'influence du niveau de revenu des parents (supra chapitre II).
2Ces deux critères se cumulent pour déterminer des "poches de non-sportivité". Elles se situent au confluent des revenus faibles et diplômes des parents faibles pour les filles, diplômes les plus faibles et revenus moyens pour les garçons. Ces poches, dans lesquelles de 6 à 7 filles et de 3 à 4 garçons sur 10 ne font pas de sport, ne sont pas résiduelles puisqu'elles concernent 40 % des adolescents de 12 à 17 ans.
3En l'état actuel de la connaissance les caractéristiques physiques personnelles-la taille et le poids - n'interviennent dans ce schéma que de façon très relative. Les raisons évoquées par les adolescents pour ne pas faire de sport ne permettent pas non plus de compléter ce panorama. Elles ne sont pas explicitement avancées et l'éloignement de certains adolescents de l'univers du sport peine à se traduire dans des questions d'enquête explicites sur ce thème.
4Par contre et comme on pouvait s'y attendre, ce qui déplaît dans le sport est toujours plus fréquemment évoqué par les non-sportifs que par les sportifs, et plus encore par les filles que par les garçons. Cependant la hiérarchie des motifs de déplaisir est presque la même pour tous. L'influence du milieu culturel va intervenir pour les filles, non pour les garçons, mais pas dans le sens que l'on croit. Pour les sportives comme poulies non-sportives, les motifs de déplaisir sont plus fréquents dans les milieux les plus diplômés : à une exclusion très forte des jeunes filles des milieux les plus modestes se rajoute un certain recul, moins prononcé, pour les autres adolescentes plus favorisées.
5Une catégorie particulière d'adolescents mérite l'attention : ceux qui ne faisaient pas de sport au moment de l'enquête et qui n'en ont jamais fait. Le poids des difficultés sociales est alors prédominant. Cette catégorie, sauf exception, est alors proche de désigner un "quart-monde jeune". Toutefois elle contient aussi des jeunes filles de milieu favorisé : à ceux et celles qui ne peuvent pas faire du sport, pour des raisons le plus souvent économiques et culturelles, s'ajoutent en plus petit nombre celles qui ne veulent pas faire de sport dans un milieu qui y est pourtant favorable.
Les jeunes filles de moins en moins nombreuses à faire du sport à mesure qu'elles avancent en âge
6Ce phénomène est à peine vérifié pour les garçons (tableau 1, et voir chapitre II). Ces écarts de comportement entre garçons et filles sont amplifiés quand on considère, parmi les non-sportifs, ceux qui n'ont jamais fait de sport : un jeune garçon qui n'a jamais fait de sport s'y essaiera à l'entrée dans l'adolescence, ce qui ne s'observe pas chez les filles. Toutefois, pour ces dernières, l'augmentation avec l'âge de la part de celles qui n'ont jamais fait de sport peut suggérer une autre interprétation : il y a plus de filles qu'avant qui font du sport (tableau 2).
La surcharge pondérale ne paraît pas un obstacle important à la pratique sportive
7La relation entre la pratique sportive des adolescents et leur poids est souvent abordée : "les plus corpulents", "les plus maigres", ceux qui ont un poids "dans la moyenne" sont-ils plus ou moins sportifs que les autres ? Une façon possible de procéder est d'examiner la pratique sportive en fonction de l'indice de masse corporelle (IMC)20. Les résultats ne vont pas dans le sens attendu communément : il n'y a chez les garçons pas plus de non-sportifs que l'indice de masse corporelle soit plus élevé, ou plus bas. On observe que les jeunes filles "les plus dans la norme" au regard de l'indice de masse corporelle "(déciles 4 à 7 par ordre croissant d'IMC) sont moins souvent sportives que celles dont l'IMC est plus élevé ou plus faible. Les 23 % des garçons dont l'IMC est le plus faible ne font pas de sport, et cette proportion est la même quelle que soit l'IMC (tableau 3). La non-pratique sportive en fonction du poids des adolescents mériterait d'être explorée à plus grande échelle car la taille de l'échantillon ne permet guère d'aller plus loin. Les idées reçues (les "plus corpulents" et les "plus chétifs" sont moins nombreux à faire du sport) ne sont pas flagrantes à ce niveau d'analyse, mais il ne prend pas en compte, pour des raisons d'effectifs, les 2 ou 3 % les plus extrêmes.
L'éviction des filles des familles les plus modestes...
8Total L'effet "diplôme" et l'effet "revenu" ne jouent pas strictement de la même façon pour les garçons et pour les filles. L'effet du diplôme est sensible chez les filles comme chez les garçons, mais l'effet du revenu ne joue que chez les filles : être dans une famille à très faible revenu exclut entre les deux tiers et les trois quarts des filles du sport, contre un garçon sur cinq seulement.
9La non-sportivité augmente quand le diplôme des parents baisse pour les garçons comme pour les filles, et ceci dans des proportions à peu près comparables : entre les familles "sans diplôme" et les familles d'un niveau de diplôme égal ou supérieur au baccalauréat, la part des adolescents non-sportifs est multipliée par 2 pour les garçons et par 2,2 pour les filles (tableaux 4-1 et 4-2).
10Pour le revenu des parents, la non-sportivité est multipliée par 2,5 chez les filles entre "2 745 € par mois et plus" et "moins de 1 066 € par mois" On assiste alors à un phénomène de même nature qu'avec le niveau de diplôme. Mais pour les garçons, il s'agit d'autre chose : la non-sportivité est plus forte aux revenus moyens et plus faible aux revenus faibles ou élevés. En quelques sorte, "les extrêmes s'opposent aux moyens" (tableaux 5-1 et 5-2).
11En conséquence, les écarts entre garçons et filles sont plus forts quand on considère les revenus inférieurs à 1 066 € par mois (66 % de filles et 17 % de garçons ne pratiquent pas), que lorsqu'on considère le diplôme (57 % des filles et 31 % des garçons ne pratiquent pas dans les familles dont les parents sont "sans diplôme").
12On n'a donc pas la même représentation des écarts garçons - filles quand on retient le niveau de diplôme des parents ou leur niveau de revenu.
... et de larges poches de non-sportivité
13Pour les filles, la catégorie déterminée par le confluent des plus faibles revenus et des plus faibles niveaux de diplôme désigne à la fois une population très éloignée du sport et une catégorie nombreuse. Ainsi, sans doute plus des ¾(21) des filles de familles où les parents n'ont aucun diplôme et dont les revenus sont inférieurs à 1 066 € par mois ne font pas de sport. Plus globalement, pour les familles dont le niveau d'étude des parents est inférieur au baccalauréat et le revenu inférieur à 1 830 € pas mois, les filles sont exclues du sport à hauteur de 55 % d'entre elles (tableau 6).
14Ces taux s'appliquent à une forte minorité de la population. Ce sont près de 40 % des adolescents de 12 à 17 ans qui vivent dans ces dernières familles, caractérisées par un niveau de diplôme inférieur au baccalauréat et avec un revenu inférieur à 1 830 € par mois (tableau 7).
15Pour les garçons, ce ne sont pas tout à fait les mêmes catégories qui sont concernées, et l'ampleur du phénomène est moins forte. Les garçons des familles de faible revenu et de faible niveau de diplôme sont ceux, avec ceux des familles les plus diplômées et les plus fortunées, qui déclarent le plus souvent faire du sport, ce sont les garçons des familles aux revenus plus médians qui font moins de sport (jusqu'à 40 % des enfants de famille sans diplôme et dont le revenu est "moyen" ne font pas de sport, et encore 30 % si le diplôme est inférieur au bac).
Ceux qui abandonnent appartiennent à des catégories moins défavorisées que les adolescents qui n'ont jamais fait de sport
16Les adolescents qui ne font pas de sport et qui n'en ont jamais fait appartiennent massivement aux catégories sociales les plus défavorisées, que ce soit financièrement ou culturellement, la non-sportivité étant alors plus forte pour les filles que pour les garçons. A titre d'illustration, la moitié des garçons et 60 % des filles qui n'ont jamais fait de sport vivent dans des familles dont le niveau de diplôme est inférieur au baccalauréat et le niveau de revenu inférieur à 1 830 € par mois, contre environ 30 % des garçons ou des filles en club (tableau 8).
17Encore faut-il convenir que ces bornes culturelles et financières sont loin de correspondre à des catégories défavorisées. Le phénomène est encore plus marqué si l'on considère les jeunes filles appartenant à des familles dont le revenu est inférieur à 1 066 € par mois et dont les parents sont sans diplôme.
18Au total garçons et filles offrent donc un profil différencié. Chez les garçons, les profils des "abandonnants" et des pratiquants hors club sont assez voisins. Chez les filles le profil des "abandonnantes" est plus proche de celui des filles qui n'ont jamais fait de sport.
19Pour les garçons qui n'ont jamais fait de sport, 51 % d'entre eux appartiennent à des familles dont le niveau de diplôme est inférieur au bac et le niveau de revenu inférieur à 1 830 € par mois. Cette proportion est de l'ordre de 40 % pour les garçons qui ne font pas de sport actuellement, mais qui en ont fait dans le passé et qui l'ont abandonné. Elle est très voisine pour les garçons qui font du sport, mais hors club, c'est à dire en dehors de toute structure. Enfin, elle n'est plus que de 32 % pour les garçons qui font du sport en club. La part des adolescents qui appartiennent aux couches les plus défavorisées est comparable pour les garçons qui font du sport hors club, et pour ceux qui ont abandonné leur pratique. Pour les filles la situation est un peu différente. La part des enfants issus des couches les plus défavorisées représentent 60 % des filles qui n'ont jamais fait de sport et 56 % de celles qui en ont fait et qui n'en font plus. Ces deux catégories de non-sportives sont à la fois très proches l'une de l'autre et très éloignées des sportives hors club et des sportives en club, lesquelles se ressemblent beaucoup plus que dans le cas des garçons.
Les non-sportifs évoquent rarement leurs raisons de ne pas faire de sport...
20Quand on interroge les adolescents non-pratiquants on n'obtient pas de raison massivement invoquée pour ne pas faire du sport. Il y a une grande diversité de motifs évoqués, mais on reste surpris de la faiblesse de la fréquence des motifs invoqués. Seuls 4 motifs atteignent 20 % des répondants : "j'ai trop de devoirs" (25 % des non-sportifs), "je n'aime pas le sport" (20 %), "le sport à l’école me suffit" (19 %), "j'ai d'autres activités" (19 %). Les différences garçons filles sont minimes, sauf peut-être qu'un peu plus de filles "n'aiment pas ça" et à qui "le sport à l'école suffit", alors qu'un peu plus de garçons ont d'autres activités (tableau 9). Les raisons économiques sont très peu évoquées. A la question "C'est trop cher ?" 6 % en moyenne des non-sportifs l'invoquent comme un motif de non-pratique. Il faut penser que c'est une raison difficile à mettre en avant. La question du poids est invoquée par 1 % seulement des non-sportifs, ce qui par contre est cohérent avec la mesure de la non-sportivité en raison du poids des adolescents. Mais plus globalement, cette cohérence aléatoire entre les raisons évoquées pour ne pas faire de sport et les faits objectifs qui s'y rattachent ne donne pas satisfaction : c'est bien la faiblesse du nombre de réponses apportées par les adolescents qui pose question : quand on ne fait pas de sport, on n'invoque pas de raisons particulières pour cela (tableau 9).
... mais citent des motifs de déplaisir dans la pratique sportive toujours plus fréquemment que les sportifs
21Ce qui déplaît dans le sport fera l'objet d'une expression plus affirmée et, par exemple, les contraintes de l'entraînement sont évoquées par les 3/4 des non-sportives. Les non-sportifs plus que les sportifs y sont sensibles, et les filles plus que les garçons. C'est bien cette double opposition qui est importante car la hiérarchie des déplaisirs, au delà d'intensité très différentes, est la même dans toutes les situations (chapitre V : Les représentations du sport moins différenciées que les pratiques).
Les non-sportifs se livrent moins souvent que les sportifs à d'autres activités culturelles
22La pratique d'activités culturelles confirme la place du sport comme témoin de l'intégration sociale. Les jeunes sportifs participent également plus à d'autres activités culturelles que les non-sportifs. Il n'y a donc pas de modèle alternatif dans lequel les sportifs délaisseraient d'autres activités, qui seraient au contraire pratiquées par les non-sportifs. Les sportifs sont plus nombreux que les non-sportifs à lire (livres, journaux, bandes dessinées), à pratiquer des activités artistiques (dessin, peinture), à jouer d'un instrument de musique, à utiliser un ordinateur, à faire leurs devoirs tous les jours ou au moins une fois par semaine. Par ailleurs, cette "sur-occupation" des sportifs, par rapport aux non-sportifs, relativise fortement la raison "je n'ai pas le temps", quand on demande aux adolescents pourquoi ils ne font pas de sport.
23Seule la télévision échappe à cette logique, tant il est vrai que de 98 à 100 % des adolescents la regardent tous les jours ou au moins une fois par semaine. Mais si l'on se concentre sur les adolescents qui la regardent tous les jours, il apparaît alors, et en opposition avec les autres pratiques culturelles abordées ici, que les non-sportifs, et plus encore les non-sportives, sont plus nombreux à regarder la TV tous les jours. Les écarts sont parfois faibles au demeurant, mais systématiques, à l'exclusion des filles pour les "autres activités artistiques" (tableau 10).
24Le cas de la lecture est ici symbolique. Les écarts sont très forts car les sportifs comme les sportives sont moitié plus nombreux que les non-sportifs à lire tous les jours, mais joue ici un fort effet de pondération et non de causalité : les sportifs appartiennent à des milieux où on lit plus fréquemment.
Notes de bas de page
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Mission bases de données et informations statistiques, ministère de la jeunesse, des sports et de la vie associative
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