Postface
Les études olympiques d’hier à aujourd’hui
p. 235-238
Texte intégral
1Il y a encore une quarantaine d’années, ce qu’on appelle aujourd’hui les « études olympiques » était très peu développé dans le monde académique sauf auprès de quelques chercheurs américains comme le politologue Richard Espy (1979), l’anthropologue John McAloon (1981), ou encore l’historien Allen Guttmann (1992). On peut dater le véritable début de cette spécialisation de la création, en 1983, au sein du Musée olympique de Lausanne (alors provisoire) d’un Centre d’études olympiques doté d’une bibliothèque, celle du Comité international olympique (CIO), qui s’occupe aussi désormais des archives historiques du CIO et qui anime un réseau mondial de tels centres qui se sont développés dans de nombreuses universités de par le monde, notamment à Barcelone (Espagne), Cologne (Allemagne), London (Canada), Pékin (Chine), Porto Alegre (Brésil), Sydney (Australie), Tsukuba (Japon), etc. Depuis le tournant du siècle des centaines de chercheurs se consacrent aux études olympiques et des dizaines de livres ont été publiés sur le sujet. Il existe même depuis peu un Handbook of Olympic Studies (Chatziefstathiou, García et Séguin, 2020).
2En français, à la fin du xxe siècle, les études olympiques étaient quasi inexistantes à part quelques ouvrages narratifs et peu académiques comme Olympica de Monique Berlioux (1964) ou alors très critiques et mal documentés comme Le Mythe olympique de Jean-Marie Brohm (1981). Un des premiers ouvrages en français sur le management du sport (Loret, 1993) ne possède pas un seul chapitre (sur 36 !) abordant les problématiques olympiques. Il faudra attendre les Jeux olympiques d’hiver d’Albertville 1992 – les premiers en France depuis Grenoble 1968 – pour voir quelques chercheurs francophones se lancer dans ces études olympiques alors encore peu reconnues. On peut citer Valeur de l’Olympisme, du philosophe Bertrand During (1989), qui publie des extraits de contributions d’un des premiers congrès sur ce thème à l’occasion des Jeux de Séoul en 1988 ; Le Système olympique, du manager Jean-Loup Chappelet (1991), qui explique le fonctionnement du réseau d’acteurs qui contribuent à la mise sur pied des Jeux olympiques ; Le Rêve blanc des historiens Pierre Arnaud et Thierry Terret (1993), qui retracent les éditions des Jeux d’hiver tenus en France parallèlement à l’essor des sports d’hiver au xxe siècle ; ou encore Albertville 92 : Les enjeux et l’empreinte olympiques, de plusieurs géographes grenoblois (1992); sans parler de quelques ouvrages sur le rénovateur des Jeux à la suite de la thèse d’Yves-Pierre Boulongne publiée à Montréal, en 1975, ou de la biographie Pierre de Coubertin par Louis Callebat (1988).
3Et pourtant le français est, avec l’anglais, une des deux langues officielles du mouvement olympique. De plus, le fondateur de ce mouvement était Français, même s’il a souvent été combattu dans son propre pays alors qu’il menait à bien une « rénovation » des Jeux antiques et fondait le système mondial du sport d’élite encore en place aujourd’hui. Ce n’est qu’à partir de la fin du xxe siècle que son œuvre commence à être mieux connue avec la publication, en 1986, de ses principaux écrits par deux chercheurs… allemands, Norbert Müller et Otto Schantz, puis leur traduction partielle en anglais, chinois, espagnol et portugais à l’occasion des Jeux de Sydney 2000, Pékin 2008 et Rio 2016.
4Certes, Coubertin avait déménagé en Suisse peu avant son départ de la présidence du CIO en 1925. Il avait installé le siège du CIO et ses archives à Lausanne dès 1915 – sans consulter personne – et ouvert en ville un premier Musée olympique dès 1924. De plus, il voulait bâtir sur les rives du lac Léman une « Olympie moderne », c’est-à-dire une cité permanente pour les Jeux olympiques, puis, faute de pouvoir la réaliser, il souhaitait que Lausanne accueille au moins une édition des Jeux d’été. Ce n’est qu’en janvier 2020 que la ville accueillit finalement des Jeux : les troisièmes Jeux olympiques d’hiver de la jeunesse. À partir des années 1990, sous la présidence du CIO par Juan Antonio Samaranch, Lausanne devint néanmoins la « capitale olympique », c’est-à-dire le siège administratif de très nombreuses organisations gouvernant le sport mondial et la Suisse se transforma progressivement en une « place olympique » unique, avec aujourd’hui les sièges de trois-quarts des fédérations olympiques internationales dans toutes ses grandes villes (Zurich, Bâle, Berne, Genève, en plus de Lausanne) et quelques autres localités (Chappelet, 2019).
5Coubertin aurait bien aimé faire de Lausanne un centre d’études olympiques. Il y impulse la création d’un « Institut olympique » dès 1917, mais ce dernier ne rencontre pas de succès. Il se rapproche de l’Université au travers de diverses conférences, sans doute à la recherche d’un poste après son retrait du CIO (Cholley, 1996). Il place ensuite ses espoirs dans un « Institut olympique international » basé à Berlin, l’Allemagne nazie ayant des vues sur la gouvernance du sport mondial. Dans les années après la Seconde Guerre mondiale, son exécuteur testamentaire, Francis-Marius Messerli, anime un institut similaire à Lausanne, mais qui disparaît avec lui. En 1961, le Comité olympique hellénique fonde à Olympie, avec l’aide du gouvernement grec, une Académie internationale olympique qui fonctionne toujours aujourd’hui comme un centre de diffusion de l’idée olympique, en lien avec le CIO.
6Curieusement, l’université de Lausanne ne s’est intéressée que beaucoup plus tard aux études sportives et olympiques en créant, en 1995 seulement, un Institut des sciences du sport et de l’éducation physique (ISSEP), remplacé quinze ans plus tard par un Institut des sciences du sport de l’université de Lausanne (ISSUL) (Quin, 2016), ainsi qu’en fondant, en 2000 avec d’autres partenaires, l’Académie internationale des sciences et techniques du sport (AISTS). En 2015, un historien spécialiste de Coubertin, Patrick Clastres, y créé un Centre d’études olympiques et de la globalisation du sport qui invite durant l’année académique des chercheurs du domaine à y donner des conférences de haut niveau.
7Historiquement, les études olympiques ont sans doute souffert de deux difficultés. La première est leur positionnement vis-à-vis du CIO et, plus globalement, du système olympique. On voit ainsi aujourd’hui de nombreux chercheurs de ce domaine se positionner soit pour, soit plus souvent contre le phénomène olympique, envers et contre tout. On peut citer, par exemple, Norbert Müller (1994) pour les chercheurs plutôt positifs et, pour les chercheurs systématiquement négatifs, Helen Lenskyj (2008), Jules Boykhoff (2013) ou Andrew Zimbalist (2015). De telles positions académiques permettent soit une cooptation progressive dans le système olympique qui comporte de nombreux moyens de valoriser les chercheurs favorables au phénomène grâce à des conférences, commissions, invitations, etc., soit une visibilité médiatique importante du fait que les médias cherchent souvent des avis critiques sur le système alors qu’ils sont abreuvés de communiqués de presse dithyrambiques. Une position adéquate du chercheur en études olympiques est bien sûr de faire la part des choses et d’expliquer les côtés positifs comme les côtés négatifs d’un phénomène aux impacts économiques, sociaux et environnementaux multiples. Mais ce positionnement balancé (ex. Ohl, 2006 ; Theodoraki, 2007 ; Miah et Garciá, 2012) est rare alors que la critique constructive devrait être prisée à la fois par la science et le système olympiques.
8Une deuxième difficulté des études olympiques est leur interdisciplinarité intrinsèque. Elles peuvent relever – comme souvent les études interdisciplinaires en général – des sciences dures et des sciences humaines, de l’analyse et du soutien de la pratique, de la physiologie, comme de la psychologie, de l’histoire, de la géographie, de la philosophie, de la sociologie, du management, du droit, de l’économie, etc. Cet ouvrage a réparti les études olympiques, au sein des sciences sociales, en trois approches : historique et littéraire du fait olympique et sportif ; sociologique et discursive du phénomène olympique et sportif ; managériale du système olympique et sportif. Il reste tout un pan de recherches à ne pas oublier car il intéresse fortement les comités nationaux olympiques, ainsi que les fédérations sportives nationales et internationales : celui de la performance sportive aux Jeux olympiques pour gagner des médailles sans tricher, améliorer les résultats sans dopage, impulser des politiques sportives en préservant la santé et l’environnement.
9Finalement, le champ des études olympiques est vaste comme en témoigne Emmanuel Bayle (2019). Les Jeux olympiques qui se tiendront à Paris en 2024, et aussi les Jeux d’été de la jeunesse à Dakar en 2026, offrent une opportunité extraordinaire pour les chercheurs intéressés de produire des travaux novateurs et utiles à la réflexion que doit continuellement mener le système olympique sur son devenir et sa durabilité. Espérons que ces Jeux seront l’occasion de multiples conférences scientifiques thématiques dans les années qui viennent en Francophonie (y compris à Lausanne) et qu’elles pourront influencer l’organisation des Jeux actuels et futurs, ainsi que leur héritage pour les générations à venir.
10[Volontairement, cette postface ne cite que des ouvrages dans le domaine des études olympiques. Il existe aussi des centaines d’articles.]
Bibliographie
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Arnaud P et Terret T, 1993. Le Rêve blanc : Olympisme et sports d’hiver en France. Presses universitaires de Bordeaux.
Bayle E, 2019. Le Système olympique : passé, présent et futur. Presses polytechniques universitaires romandes, Lausanne.
Berlioux M, 1964. Olympica : le roman, le guide, l’annuaire des Jeux olympiques. Flammarion, Paris.
Boulongne Y-P, 1975. La Vie et l’œuvre pédagogique de Pierre de Coubertin (1863-1937). Coll. « Éducation physique et loisirs », Léméac, Montréal.
Boykoff J, 2013. Celebration Capitalism and the Olympic Games. Routledge.
10.4324/9780203370421 :Brohm J-M, 1981. Le Mythe olympique. Coll. « Quel Corps ? », C. Bourgois, Paris.
Callebat L, 1988. Pierre de Coubertin. Fayard, Paris.
Chappelet J-L, 1991. Le Système olympique. Coll. « Sport en question », Presses universitaires de Grenoble.
Chappelet J-L, 2019. La Place olympique suisse : émergence et devenir. Cabédita, Bière.
Chatziefstathiou D, García B et Séguin B (eds), 2020. Handbook of Olympic Studies. Routledge.
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Dailly D, Kukawka P, Préau P, Servoin F et Vivian R, 1992. Albertville 92 ; t. 1 : Les enjeux olympiques ; t. 2 : L’empreinte olympique. Presses universitaires de Grenoble.
During B, 1989. Valeurs de l’olympisme. Extraits du congrès scientifique olympique de Séoul. INSEP Publications, Paris.
Durry J, 1994. Le vrai Pierre de Coubertin. Comité français Pierre de Coubertin, Paris.
Espy R, 1979. The Politics of the Olympic Games. University of California Press.
Guttman A, 1992. The Olympics: A History of the Modern Games. University of Illinois Press.
Lenskyj H, 2008. Olympic Industry Resistance: Challenging Olympic Power and Propaganda. State University of New York Press.
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Müller N et Schantz O (eds), 1986. Pierre de Coubertin : Textes choisis. Weidmann, Zurich.
Ohl F (ed), 2006. Sociologie du sport. Perspectives internationales et mondialisation. Coll. « Pratiques corporelles », Presses universitaires de France, Paris.
Quin G, 2016. L’Odyssée du sport universitaire lausannois : entre compétition et sport-santé. Glyphe, Paris.
Theodoraki E, 2007. Olympic Event Organization. Butterworth-Heinemann, Boston.
10.4324/9780080552552 :Zimbalist A, 2015. Circus Maximus: The Economic Gamble Behind Hosting the Olympics and the World Cup. Brookings Institution Press.
Auteur
Professeur honoraire à l’Institut de hautes études en administration publique de l’université de Lausanne
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