Chapitre 5
Sport, genre et inégalités : la médiatisation de l’athlète Caster Semenya (2009-2020)
p. 105-124
Entrées d’index
Mots-clés : compétition équitable, représentations sociales, analyse des médias, genre, intersexuation, intersectionnalité, médiatisation, analyse du discours médiatique
Texte intégral
Contexte et objectifs : ce chapitre résulte de onze ans de recherches sur la médiatisation de la controverse initiée en 2009 par l’IAAF autour de Caster Semenya. Le cheminement des représentations médiatiques montre l’importance de cette affaire en tant qu’étape dans la perception des personnes intersexes et de leur place dans la compétition sportive. Il questionne, plus largement, le rapport entre équité sportive et genre. Méthodologie : analyse socio-discursive de corpus médiatiques. Principaux résultats : cette affaire, dans toute sa complexité, marque une étape non seulement dans la représentation des personnes intersexes et de leur place dans la compétition sportive, mais, également, plus largement, dans la représentation médiatique du genre, au-delà du domaine sportif. Finalité sociale : il s’agit d’interroger le poids des représentations sociales et médiatiques, et les discriminations qui en résultent, à l’occasion de grands événements sportifs. Il est indispensable de poursuivre les analyses de discours médiatiques qui sont au cœur des luttes de représentations. Originalité : ce travail propose une approche diachronique balayant l’évolution des représentations à l’échelle mondiale sur la quasi-totalité de la carrière sportive de l’athlète. |
Introduction : onze années d’étude de la médiatisation de « l’affaire Caster Semenya »
1Le présent chapitre propose de dresser un bilan des recherches que nous menons depuis 2009 sur la médiatisation de Caster Semenya. À partir du cas de cette athlète dont l’appartenance à la catégorie sportive « femmes » a été mise en doute par les institutions sportives, nous montrons la façon dont les discours médiatiques sont un des lieux de lutte symbolique pour imposer une définition de ce qui distingue hommes et femmes. Caster Semenya n’est pas la seule à avoir remis en cause les catégories hommes/femmes de l’organisation sportive, mais son histoire a marqué une étape dans celle-ci pour quatre raisons principales. Premièrement, depuis plus de onze ans maintenant, des acteurs divers ont pris la parole, de l’athlète à son entourage, en passant par l’ONU, le gouvernement sud-africain, etc., là où les instances sportives avaient, auparavant, tendance à ne pas communiquer. Deuxièmement, Caster Semenya a fait valoir, juridiquement, son droit à se définir et à refuser les tests et les traitements, notamment hormonaux, imposés par les institutions sportives. Troisièmement, elle a pu revenir un temps à la compétition, alors que les athlètes précédemment remises en cause en avaient été écartées. Quatrièmement, son histoire a trouvé un écho dans un contexte de revendications au droit à l’autodétermination, de dénonciations de maltraitances médicales et de luttes des associations intersexes1 contre les opérations qu’elles subissent. Notre approche, socio-discursive, entend appréhender la façon dont les médias construisent un monde commun en donnant du sens aux événements, sans postuler l’idée d’une réalité déformée ou d’une manipulation (Delforce, 2004 ; Koren, 2008). En effet, envisagés comme une « technologie de pouvoir », les médias constituent le monde social autant qu’ils le représentent, et le constituent en le représentant (Foucault, 1969). Nous montrons, ainsi, que la médiatisation de Caster Semenya évolue entre 2009 et 2020 selon les pays, les médias, et les locuteurs auxquels la parole est donnée au gré des rebondissements. Dès 2009, en amont des championnats du monde de Berlin, l’IAAF (International Association of Athletics Federation) a soumis l’athlète à des tests2 cherchant à vérifier son « identité sexuelle3 », avant d’annoncer publiquement « enquêter sur le sexe de Caster Semenya4 ». C’est là le point de départ de la controverse publique. Des documents avaient antérieurement été réclamés à la fédération sud-africaine d’athlétisme (ASA5) « pour établir son sexe6 », mais sans faire l’objet de déclaration ou de médiatisation. Pour justifier ce qui est présenté comme une enquête, l’IAAF met en doute l’appartenance de l’athlète à la catégorie « femmes » selon des critères autant sportifs (progression et vitesse), que physiques (voix, corps) ou encore comportementaux (célébration de la victoire). L’IAAF conclut ainsi : « Si à la fin de ces enquêtes il apparaît que ce n’est pas une femme, nous la retirerons de la liste des vainqueurs7 » (propos de Pierre Weiss, secrétaire général de l’IAAF). Le 19 novembre 2009, après onze mois, des tests demeurés secrets, des procédures juridiques et des échanges politiques, Caster Semenya est autorisée à conserver sa médaille. Le 6 juillet 2010, elle peut revenir concourir dans la catégorie « femmes ». Cependant, en 2012, l’IAAF impose un nouveau règlement relatif à l’hyperandrogénisme8 – fixant un seuil maximal de testostérone pour la catégorie « femmes » – ce qui, sans faire directement référence à l’athlète, va néanmoins l’empêcher de concourir (voir Karkazis et al. 2012). Ce règlement est suspendu par le Tribunal arbitral du sport (TAS) en juillet 2015, suite à une plainte déposée par l’athlète indienne Dutee Chand (elle-même interdite de compétition en 2014 puisqu’elle dépassait les taux fixés par ledit règlement). Après que Caster Semenya a remporté la médaille d’or aux Jeux olympiques de Londres 20129 et de Rio 2016, puis les médailles d’or (sur 800 mètres) et de bronze (sur 1 500 mètres) aux championnats du monde de Londres en 2017, un article de la revue médicale British Journal of Sports Medicine, commandé par l’IAAF, établit un lien entre le taux de testostérone et la performance sportive (Bermon et Garnier, 2017). L’IAAF s’appuie alors sur cette publication pour imposer, à nouveau, en 2018, sous couvert d’équité10, une réglementation fixant le taux de testostérone à 5 nmol/L pour certaines épreuves, dont le 800 mètres. Il est demandé aux athlètes concernées de prendre un traitement (aux nombreux effets secondaires) visant à abaisser leur taux naturel de testostérone. Caster Semenya fait appel devant la justice suisse du nouveau jugement du Tribunal arbitral du sport (TAS) en faveur du règlement de l’IAAF. Le TAS rejette cet appel en mai 2019, l’empêchant de poursuivre sa carrière sportive. Le 3 juin 2019, le tribunal fédéral (TF) suspend provisoirement l’application du règlement qui devait entrer en vigueur en mai de la même année. Mais cette suspension provisoire est levée en juillet 2019. Le 8 septembre 2020, la Cour suprême suisse a rejeté le recours de Caster Semenya contre le traitement hormonal. L’athlète a annoncé dans les médias envisager « tous les recours nationaux et internationaux11 », ce qu’elle débute en novembre 2020, en contestant devant la Cour européenne des droits de l’homme le règlement relatif aux athlètes hyperandrogènes.
2Ce parcours de onze années nous permet d’analyser l’évolution des discours des instances sportives, des politiques, de Caster Semenya, de ses proches, mais également des spectateurs à la fois sur la distinction entre hommes et femmes, les tests de féminité, la place de la science et de la médecine, ainsi que l’intersexuation. Nous présentons six recherches en cheminant de manière diachronique à travers deux grandes phases. La première phase s’étend de la victoire de Caster Semenya lors des championnats du monde de 2009 à son retour à la compétition en 2010. La seconde phase, elle, se déroule depuis 2010, alternant les victoires sportives et les batailles juridiques de Caster Semenya. Nous observons lors de la première phase que le discours médiatique cherche à s’accorder sur une norme permettant de distinguer de manière certaine et pérenne hommes et femmes, tandis que la seconde phase observe le poids respectif des critères scientifiques et des normes sociales dans la définition de l’équité sportive et de l’autodétermination du genre.
Distinguer les hommes des femmes : l’enjeu des médias et des forums en 2009-2010
3De la victoire de Caster Semenya en août 2009 à sa réintégration en 2010, la médiatisation a eu pour enjeu principal la nécessité de s’accorder sur des critères permettant de conforter une norme : celle de la distinction entre hommes et femmes. En effet, cette dernière se trouve être au fondement de la compétition sportive, mais également et plus généralement, de toute structure sociale. Une première recherche consacrée aux propos tenus par un public d’internautes francophones et par des journalistes français12 « à chaud », en août 2009 montre les processus de construction collective de cette norme sociale genrée. Une seconde étude souligne la façon dont cette dernière se voit progressivement contestée dans les mois qui ont suivi, sans pour autant permettre la création d’une nouvelle norme stable.
Août 2009 – Analyse des forums sportifs : la constitution d’une « norme profane » pour distinguer hommes et femmes (Montañola et Olivesi, 2013)
4Dès 2009, nous avons mené l’analyse d’un corpus inédit, celui du forum de France Télévisions13 « dédié à toutes les disciplines de l’athlétisme ! ». Il était, à l’époque, le plus fourni en nombre de commentaires14 et le premier lien proposé sur les moteurs de recherche concernant la controverse étudiée. Ce forum a été mis en place par la chaîne pour permettre aux téléspectateurs et téléspectatrices de commenter les compétitions sportives diffusées en direct. Il s’agit donc d’une parole instantanée et collective (Marcoccia, 2001), faisant officiellement l’objet d’une modération15. Ce corpus fut particulièrement fécond pour observer la construction d’une norme profane avant même la médiatisation de la controverse. L’analyse a permis de dresser deux constats : en premier lieu les internautes partagent l’idée selon laquelle il est nécessaire de distinguer hommes et femmes, c’est ce qui les conduit alors, en second lieu, à mettre au point, collectivement, des critères permettant cette distinction. Précisons ici que les propos du forum sont rapportés dans leurs écritures et graphies d’origine, nous le signalerons également par la mention [sic] accolée à chaque citation issue du forum.
5Le forum est lancé, dès le 17 août 2009, par cette interrogation : « L’énigme Caster Semenya : un homme ??? »
« Bonjour à tous,
je suis stupefait de la performance de jeune semenya sur 800m (une facilité incroyable… suspect…)Par ailleurs, j’ai de sérieux doutes la concernant : cette fille (ou pas ?) a le corps d’un homme, la tete d’un homme (mis a part les cheveux), et quand elle été interviewée sur France 2, on a entendu clairement la voix d’un homme. Nous mentirait-on?? J’aimerais avoir votre avis la dessus, en tout cas je trouve ca assez hallucinant comme ressemblance16. » [sic]
6Les internautes débutent en s’accordant sur le bien-fondé du questionnement de l’appartenance de l’athlète à la catégorie « femme » :
« curieusement cette athlète réalise un chrono stratosphérique au terme d’une carrière… inexistante ! visiblement un don de la nature (lapsus). » [sic]
« Pour moi aucun problème c’est un homme mon dernier doute a été balayé lors de l’interview avec Nelson Monfort c’est marrant que Montel d’habitude si prolixe ça le laisse sans voix. » [sic]
7Les internautes listent les critères qui permettent, d’après eux, de remettre en cause l’appartenance sexuée de l’athlète. Il semble que ce soit l’accumulation de ces critères (de un à cinq par locuteur, avec une moyenne de 2,3) qui aboutisse à la remise en cause. Nous avons défini quatre types de critères employés sur le forum. En premier lieu, il s’agit de critères sportifs, au travers de la technique (« la technique d’un homme ») et des résultats (la performance est présentée comme un signe de masculinité, tout comme le fait de surpasser ses adversaires). En deuxième lieu, les critères sont vestimentaires (« la seule à avoir un cuissare » [sic], « son apparence et sa tenue m’ont interpellé » [sic]) et comportementaux (son attitude est jugée « équivoque » [sic], « à l’arrivé elle sepoussette les epaules à la manière dusain bolt, marche en balançant les épaules comme un camioneur et surtout nous montre ses biceps à la maniére d’un bodybuildeur… » [sic], « a les mêmes… comment dire les mêmes “tics”. Il gagne le 800 mètres et montre ses bras comme-ci une fille faisait ça en gagnant une course » [sic]). En troisième lieu, le critère le plus important numériquement sur le forum est physique. Il est abordé au travers de la musculature, de différentes parties du corps (« sa pomme d’adam est clairement visible » [sic], « le corps d’un homme » [sic], « viriloïde » [sic], « des épaules de déménageur » [sic], « des attributs dignes d’un boxeur » [sic], « un visage d’homme »), de la pilosité (« barbe », « duvet » « moustache ») et de la voix (« la voix d’un homme », « une voix rauque et grave », « sa voix grave »). Enfin, le dernier critère est celui des organes génitaux (« un sexe d’homme […] une bosse visible […] la bosse slipaire » [sic], « un pénis sous le cuissard » [sic], « une Perche entre les jambes » [sic], « son entrejambe le (la) trahit » [sic]). Ainsi, ces quatre critères cumulés justifient, d’après les internautes, la remise en cause, par les instances sportives, de l’appartenance de Caster Semenya à la catégorie « femmes » de la compétition. Les rares commentaires du forum qui ne sont pas en accord avec la communauté ici constituée interrogent le bien-fondé des critères choisis : « Le pénis n’est pas une caractéristique suffisante pour différencier homme et femme » [sic]. Or, ces derniers sont soit ignorés par la communauté, soit contredits, de façon ironique ou non (« tout à fait être une femme c’est être sensible, c’est aimer les fleurs et l’amour, qu’importe le pénis, dsl je sors » [sic]). Ainsi, même si l’on concède des corps extraordinaires dans le domaine sportif, nous observons que les commentaires analysés rappellent qu’ils n’en doivent pas moins respecter une norme. En effet, les critères de puissance et de performance, dont on pourrait penser qu’ils caractérisent le corps sportif compétitif, se voient ici associés à la masculinité.
8La différence homme/femme est présentée comme indiscutable. Les normes corporelles qui permettent, d’après les locuteurs, de distinguer hommes et femmes, se révèlent donc injonctives. En effet, les participants et participantes du forum s’accordent sans cesse, sans avoir besoin de le rappeler, sur le fait que la distinction entre les sexes est essentielle (« Il faudrait quand même tirer ça au clair », [sic]). L’indétermination, quelle qu’elle soit, semble inenvisageable car elle ne permet pas la catégorisation (« si on se travestit en femme dans quelle catégorie va-ton ? » [sic]). D’ailleurs, plusieurs commentaires déclarent préférer que l’athlète soit dopée plutôt que présentée comme « une erreur de la nature » [sic]. Dans cette perspective, les méthodes suggérées, tantôt aux journalistes, tantôt aux institutions sportives, pour parvenir à déterminer le sexe de l’athlète sont marquées par un « male gaze », qui n’hésite pas à préconiser des pratiques intrusives, voire des violences sexuelles (Mulvey, 1975 ; Snow, 1989 ; Cervulle, 2009 ; Brown 2012). Le renvoi au critère des organes génitaux est récurrent sur le forum pour souligner l’évidence quant à la détermination du sexe de l’athlète « ce n’est pas dur de savoir si c’est une femme ou un homme soit il a un pénis soit il a un vagin » [sic], « voir s’il a une *** ou une chatte (sympa comme boulot !) » [sic]. En effet, la notion de « femme à 100 % » [sic] qui apparaît dans les forums est présentée comme inatteignable si « elle n’a pas d’ovaire et a des testicules » [sic]. Dès lors, d’aucuns suggèrent de poser la question à l’athlète : « et le montel au lieu de faire n’importe quoi aurait été inspiré de se poser la question au lieu de faire son leche… habituel c’est ce qu’on attend d’un vrai journaliste », « Ce serait bien que notre Nelson national lui pose la question directement si ille gagne la finale […] » [sic]. D’autres internautes vont plus loin et incitent à réaliser des attouchements (« fo demander à Nelson de mettre la main (4 smileys hilares) » [sic]) ou un viol (la proposition est ainsi faite à Nelson Monfort de « se la faire » [sic]) ou suggèrent une reconversion dans l’industrie pornographique si elle est déclarée « … ni homme ni femme à 100 %? Elle/il ne va quand même pas se recycler dans les monstres de foire ou faire des film X douteux! » [sic].
9L’analyse du forum est révélatrice des enjeux idéologiques qui se font jour dans la réception des performances sportives. Les échanges reflètent, en effet, une norme hétérocentrée fortement injonctive, qui constituerait un « original » auquel s’opposeraient des « sous-produits », des « pâles imitations », des « copies » (Dorlin, 2011, p. 23) nécessitant un traitement qui les normalise (Löwy, 2003 ; Gardey, 2006 ; Macé, 2010). Les échanges fonctionnent comme un système collectif de réaffirmation des normes sociales. Nous nous sommes alors demandé comment les médias allaient se positionner par rapport à ces normes et quels locutrices et locuteurs leur semblent légitimes pour évoquer « l’affaire Caster Semenya ».
Août 2009-juillet 2010 – Le poids différencié des locuteurs dans les définitions du sexe (Montañola et Olivesi, 2012, 2018)
10À partir d’une analyse discursive de la presse écrite entre août 2009 et juillet 2010 (Montañola et Olivesi, 2018), nous avons observé que le questionnement sur l’identité sexuée de Caster Semenya n’est pas assumé en propre par les journalistes. En effet, les articles « effacent la voix du journaliste pour donner la priorité aux sources » (Marnette, 2004, p. 51). Nous avons conclu au rejet de la responsabilité des définitions vers des locuteurs définis (experts, témoins) ou indéfinis (rumeurs, bon sens). Ces définitions sont portées par des locutrices et locuteurs individuels ou collectifs, associatifs, institutionnels, nationaux ou internationaux. Or, nous avons constaté que ces derniers ne sont pas présents dans les mêmes proportions au sein du discours journalistique. De façon commune à l’ensemble des journaux étudiés, ce sont les institutions sportives (IAAF, CIO) qui sont les plus citées (dans 32,62 % des articles), suivies des instances politiques (parti, personnalité politique, ministre, etc. ; 17,73 %) et de la famille de Caster Semenya (13,83 %). Les autres locuteurs représentent chacun moins de 10 % (l’entourage sportif de Caster Semenya, les chercheurs, les locuteurs indéfinis, les concurrentes, les anciens athlètes et les associations intersexes). Cette inégalité d’accès des locuteurs pèse alors sur la présence ou non des définitions portées par chacun et chacune dans l’espace public. Nous avons identifié cinq définitions de l’identité sexuée qui ne figurent donc pas à égalité dans les médias. En premier, l’identité « spirituelle » (« Dieu m’a faite comme je suis17 ») ; en deuxième l’identité « sociale » (« Elle est ma petite fille. Je l’ai élevée et je n’ai jamais eu le moindre doute sur son sexe18 » ; « elle était un garçon manqué19 »), en troisième, l’identité « anatomique » (« J’ai changé ses couches, je sais que c’est une femme. Quelle meilleure preuve voulez-vous20 ? »), en quatrième l’identité « administrative » (document, extrait d’acte de naissance, emploi de l’adverbe « officiellement ») et, enfin, l’identité « médicale » (définition pathologique amorcée par le CIO : « […] les femmes souffrant d’hyperandrogénisme, sont en règle générale plus performantes que leurs consœurs21 »).
11Ces inégalités d’accès sont redoublées par le critère de genre. En effet, les femmes sont deux fois moins nombreuses que les hommes parmi les locuteurs médiatisés, et ont, en moyenne, moins de citations par personne, ce qui révèle la prégnance de la parole masculine au sein des discours rapportés (malgré de fortes variations selon les médias). Cette inégalité d’accès aux arènes médiatiques des locuteurs et des définitions impacte la conception de la situation (décrite comme polémique, problématique, tricherie, etc.), mais également celle de sa résolution, présentée par certains locuteurs comme nécessaire et scientifiquement fondée. Or, la contestation des normes sociales du féminin et du masculin ne permet pas pour autant la constitution d’une norme alternative.
2009-2010 – La difficile construction d’une « norme aporétique » (Olivesi, 2016)
12Du point de vue de l’analyse du discours médiatique, « l’affaire Semenya » représente un « moment discursif » (Moirand, 2007) « donn[ant] lieu à une abondante production médiatique et [dont] en reste également quelques traces à plus ou moins long terme dans les discours produits ultérieurement à propos d’autres événements », et qui contribue à construire la « mémoire collective ».
13En observant la manière dont tous les locuteurs (médias, instances sportives, journalistes, médecins, concurrentes) présents dans le discours médiatique entre 2009 et 2010 reformulent les questions liées à la compétition22, à la place du genre dans le sport et à la détermination par les individus de leur identité propre, on peut voir que ces formulations présentent une dichotomie : elles sont systématiquement énoncées de manière négative par des locuteurs occidentaux, alors que les locuteurs sud-africains emploient au contraire des constructions syntaxiques affirmatives.
14En effet, les discours rapportés des locuteurs sud-africains mettent en œuvre des termes forts : humiliation, violation des droits humains, injustice. Ces propos opposent la rigidité et l’universalisme construits par des occidentaux à la situation de domination où se trouve l’athlète. En cela, ils sont le véhicule d’un discours dénonçant le postcolonialisme. The Canadian Press cite ainsi des propos de Leonard Chuene qui affirme : « Je continue de l’affirmer. Oui, tout à fait, c’est une fille. Nous n’allons pas laisser des Européens décrire et définir nos enfants23. » Ces propos, toujours rapportés à des locuteurs sud-africains, ne sont jamais repris et commentés en leur nom propre par des journalistes occidentaux. Tout au plus se retrouve-t-on dans les médias français avec une juxtaposition d’énoncés interrogatifs. Ainsi, le magazine féminin Elle, dans son édition française, conclut l’article consacré à l’affaire en juxtaposant les interrogations : « [Les dirigeants de l’athlétisme mondial] se retrouvent devant un problème quasi insoluble : comment définir ce qu’est une “vraie” femme ? La réponse paraît simple. Et, pourtant […] Est-ce d’avoir un sexe apparent féminin ? Est-ce être capable de concevoir des enfants ? Mais alors, si on est stérile, est-on une femme ? Est-ce être porteur de deux chromosomes X […] ? Ou bien avoir été élevée comme une fille ? Se vivre comme une fille ?24 » Le discours qui émerge est aporétique, comme le montrent les propos du généticien Éric Vilain : « on ne trouvera jamais un marqueur biologique qui définisse de manière certaine ce qu’est une femme25 ».
Or, si cette différence de cadrage (Cooky et al. 2012) est, certes, l’effet d’une réaction différenciée à un discours oppressif en fonction des aires culturelles, il faut toutefois noter que si la dichotomie homme/femme et les normes sportives se voient remises en question, ouvrant la voie à une possible redéfinition, ces définitions négatives ne permettent toutefois pas in fine la construction d’une représentation stable. Ces paroles pouvant être perçues comme en décalage avec les normes sociales genrées s’effacent au profit du discours des institutions sportives. Or, les années qui suivent vont voir une série d’attaques de la part de ces institutions sportives, prenant appui sur un discours scientifique assez large.
Naturalisation et essentialisation dans le sport (2009-2017) : critères scientifiques vs normes sociales
15La controverse médiatique autour de Caster Semenya fait l’objet de recherches dans différents pays et disciplines scientifiques. Les résultats dressent deux constats : d’une part, la répétition des attaques menées contre Caster Semenya depuis 2009 par les institutions sportives et, d’autre part, le poids des locuteurs dans la définition des normes sportives et des valeurs sur lesquelles elles reposent. Nous avons alors soumis à l’analyse les processus de naturalisation en nous demandant si, dans les médias, la contestation de normes présentées comme médicales et scientifiques était possible.
Historiciser et contextualiser les critères scientifiques pour faire émerger la possibilité de nouvelles représentations (Montañola et Olivesi, 2016)
16L’analyse de la complexité de cette controverse à la fois sportive, juridique, politique, médicale et sociale ne pouvait se contenter d’une approche issue d’un seul pays et d’une seule discipline. Nous avons mené un programme de recherche entre 2013 et 201526 (Montañola et Olivesi, 2016) qui a rassemblé des chercheuses et chercheurs en sciences sociales issus d’aires culturelles variées (Afrique du Sud, Canada, États-Unis, France, Grande-Bretagne, Italie). Le principal apport de ce travail est de mettre en lumière la prégnance, dans le domaine sportif, des processus de naturalisation et d’essentialisation fondées sur des valeurs comme l’éthique et l’équité qui entendent justifier le mode d’organisation des épreuves sportives (âge, poids, sexe, etc.).
17Ce travail collectif démontre que les catégories scientifiques sur lesquelles se fonde la compétition sportive relèvent d’une construction historique, juridique et médicale des catégories femmes/hommes. Le sport se fonde, en effet, sur une ségrégation entre différentes catégories physiques, dont le sexe des concurrents et concurrentes (Foddy et Savulescu, 2011). Ségrégation qui renvoie à l’infériorité physique des femmes par rapport aux hommes, sans jamais la questionner. L’économie de la différence corporelle permet, en effet, de faire s’affronter des corps définis comme égaux (Liotard, 2016). La compétition sportive entend alors déterminer la ou le meilleur athlète par catégorie (poids, taille, âge, sexe). Une compétition sportive perçue comme « équitable » est celle où les différences corporelles trop importantes (âge, poids, sexe) sont au préalable « neutralisées » (Camporesi et Maugeri, 2016) pour que « l’affrontement sportif [devienne] possible, le but du jeu sportif consistant à “faire la différence” avec son corps » (Liotard et Ferez, 2007, p. 62). C’est ainsi que les institutions sportives légitiment la réalisation de tests de féminité. En ce sens, elles s’appuient sur une rhétorique de « défense des femmes27 », alors même qu’aucun cas d’homme tentant de se faire passer pour une femme n’a été répertorié (Bohuon et Rodriguez, 2016). Elles s’appuient également sur la probabilité de l’existence d’un avantage procuré par un plus fort taux de testostérone de certaines athlètes par rapport à leurs concurrentes. Une question qui n’est d’ailleurs pas abordée pour les hommes, qui ne présentent pourtant pas tous le même taux de testostérone. La bioéthique ouvre des pistes de réflexion heuristiques prouvant que les normes sociales influencent jusqu’aux critères scientifiques (anatomie, chromosomes, hormones, etc.), aucun ne faisant l’objet d’un consensus au sein de la communauté de chercheurs ou de médecins pour distinguer et définir hommes et femmes (Camporesi et Maugeri, 2016). Différents critères se sont succédé et, actuellement c’est la testostérone qui est devenue l’enjeu de la distinction entre hommes et femmes, sous-entendant un potentiel avantage sportif des uns sur les autres28.
18De surcroît, la perspective intersectionnelle est indispensable pour comprendre le poids des normes dans la médiatisation des catégories de sexe, mais également pour interroger la possibilité ou non de leur remise en cause : Caster Semenya, 18 ans le jour de sa victoire, est noire, originaire d’une des plus pauvres régions d’Afrique du Sud et sa victoire a eu lieu à Berlin, en Europe29. Certains médias africains ont comparé Caster Semenya à Saartjie Baartman, réduite en esclavage au début du xixe siècle et exhibée en Europe, où elle était connue sous le surnom de « Venus hottentote » (Salo, 2016)30. D’ailleurs, Joanna Jozowik, concurrente de Caster Semenya, cinquième du 800 mètres aux Jeux olympiques de Rio en 2016, a déclaré être heureuse d’être la première européenne et la deuxième blanche31. Ce travail scientifique international, collectif et pluridisciplinaire nous a permis d’appréhender les normes qui ont présidé à l’élaboration de la controverse et d’envisager leur possible évolution. Nous nous sommes ensuite demandé si le discours scientifique porté par les institutions sportives (en référence à la valeur d’équité) pouvait être remis en question et, si oui, sous quelle forme.
Entre 2009 et 2014, dans la presse européenne – Quelle place pour les paroles dissonantes ? (Montañola, 2016)
19L’étude de la place des discours scientifiques dans la presse européenne entre 2009 et 2014 (Montañola, 201632) a permis de dresser trois constats majeurs. En premier lieu, nous constatons l’existence d’un schéma d’argumentation par étapes qui conclut à la nécessité d’une résolution scientifique concernant l’appartenance ou non de Caster Semenya à la catégorie « femmes ». La première étape consiste à qualifier la victoire de Caster Semenya d’impossible, ce qui se perçoit au travers du champ lexical de la jeunesse de l’athlète et donc, de son inexpérience. L’athlète est alors abordée sous l’angle de la déviance (avec des termes comme « cas », « polémique », « controverse », « affaire », « rumeurs » et « malaise »). La deuxième étape insinue que l’athlète déroge aux normes sociales de féminité en recourant au champ lexical du doute (« ceux qui l’ont croisé… n’ont pu s’empêcher de s’interroger de son allure masculine33 », « Plus que ses performances, c’est son aspect physique qui a intrigué34 »). Les désignations de Caster Semenya illustrent d’ailleurs les positionnements des différents médias sur ce point : du désengagement énonciatif (nom, prénom, articles indéfinis), à la considération de l’athlète comme femme (« elle », « la sportive ») ou comme homme (« il »). Certains médias choisissent, eux, de marquer discursivement l’interrogation (« il ou elle35 », « Elle, ou il, est encore très jeune36 », « Semenya privé(e) de sa passion37 »). La victoire présentée comme impossible et le non-respect des normes sociales amènent à la troisième étape : les articles en concluent que l’athlète ne serait pas une femme : « chrono impensable pour son âge et son sexe mais largement réalisable par un homme38 », « Caster Semenya, une sportive accusée… d’être un homme !39 ». Ce schéma argumentatif semble alors légitimer l’existence d’une « enquête » (champ lexical de l’investigation et des résultats) conduite par l’IAAF : « On comprend que l’IAAF l’ait eue dans le collimateur40 ». Et c’est ici que le test de féminité prend le rôle de révélateur scientifique de la vérité (champ lexical de la justice : « verdict41 », « blanchie », « encourt », « interdiction »). Dès lors, l’IAAF fait appel à l’image générique de la science ; tant dans les communiqués que dans les conférences de presse, comme en témoignent ces deux exemples : « les tests sont physiques et gynécologiques, mais ils incluent également un scanner, des radios, une étude des chromosomes42 », ce qui implique que « l’athlète devra rencontrer des médecins, gynécologues, généticiens, mais aussi un psychologue et un endocrinologue43 ». La science est évoquée au travers des métiers et examens médicaux, avec des expressions généralisantes comme « commission scientifique », « panel », « La médecine d’aujourd’hui44 » ou « le jargon médical45 ». Les médecins deviennent une catégorie générique : « informations médicales, panel d’experts médicaux, groupe d’experts, commission médicale, examen scientifique, patient et médecin46 ». L’IAAF ayant posé l’enquête et sa résolution sous l’angle scientifique et médical, les médias reprennent cet angle et ce discours, sans jamais les questionner. Un constat qui est confirmé par une étude menée sur les médias américains et britanniques lors des Jeux olympiques de 2012 : dans cinquante-neuf cas sur soixante-deux, les médias reprennent les désignations des instances sportives, comme « gender verification » (Boykoff et Yasuoka, 2015). Or, ces dernières sont porteuses d’une définition et donc d’une conception du sexe.
20Le deuxième constat de notre étude est celui de la difficulté des médias à intégrer les paroles mettant en doute la nécessité et/ou la possibilité d’une résolution scientifique. C’est d’ailleurs le cas de certains médecins qui pointent une complexité, voire une incapacité, à définir un critère permettant de distinguer hommes et femmes, et ce dès 2009. Or, dans les médias, leurs discours ne remettent pas en question, ou ne font pas disparaître les discours médicaux. L’exemple du Figaro, qui publie deux articles le même jour dans la page « Sports », illustre bien ce phénomène. L’un est rédigé par une journaliste « Sport » et l’autre par un journaliste « Sciences et Médecine ». Aucune discussion n’a eu lieu en amont entre les journalistes, conséquence d’un travail en flux tendu. Le premier article évoque la complexité à déterminer le sexe : « L’appartenance à un sexe n’est pas seulement affaire de chromosome » ; tandis que le second (titré « Caster Semenya en manque de féminité »), avec un angle sportif, est axé sur le besoin de « déterminer son sexe » sans faire mention d’éventuelles difficultés scientifiques pour y parvenir. Les médias ne parviennent donc pas à intégrer ces discours dissonants. Nous le constatons dans deux cas. D’abord, le « camp sud-africain47 » (gouvernement, ministre, African National Congress, entourage familial, avocat), qui dénonce racisme et sexisme des tests demandés à Caster Semenya dans un contexte post-apartheid (Cooky et al. 2012), est montré comme « instrumentalisé » par des enjeux sportifs ou politiques : « L’Afrique du Sud vient de se découvrir une nouvelle idole mais le reste de la planète ignore encore s’il peut l’appeler il ou elle ?48 », un président « lui donnant du I love you », « des membres du parti ont été acheminés en camionnettes de toutes les provinces afin de faire le nombre pour ce qui est devenu un meeting politique49 ». Leurs paroles sont rendues illégitimes et leur demande de ne pas pratiquer de tests n’est pas entendue. Ensuite, suivant le même procédé médiatique, le troisième constat de notre étude est que seules deux associations intersexes apparaissent. L’intersexuation est un terme générique pour désigner des personnes ne répondant pas à l’ensemble des critères habituellement employés pour définir l’appartenance sexuée. Ces variations sont considérées comme des pathologies par le corps médical et désignées comme désordres du développement sexuel (DSD en anglais), et les personnes concernées sont, en France, la plupart du temps assignées dans un sexe à la naissance par les médecins. Les associations et institutions (comme l’ONU) militent pour l’arrêt de ces opérations subies, de la pathologisation des corps et de leur soumission à des traitements hormonaux (Kraus, 2000, 2011 ; Karkazis, 2008 ; Kraus et al. 2008 ; Bastien Charlebois, 2016). En 2009, la loi commence à envisager l’auto-détermination (Argentine, Australie), faisant suite à plusieurs siècles d’assignation médicale sans contestation possible (Foucault, 1975), et qui considérait les personnes dont le sexe était difficile à déterminer comme des monstres. L’histoire des discours médicaux et des textes juridiques met, en effet, à jour l’évolution de la considération de l’intersexuation (Brunet et Salle, 2016). « L’affaire Semenya » est une occasion de mise en visibilité de celle-ci, encore largement inconnue du grand public, mais également des médias (un grand flou existe dans les désignations employées : « hermaphrodite », etc.). Or, le combat mené par ces associations contre la médicalisation et la pathologisation n’est pas abordé ou à titre de parenthèse dans les articles. En effet, les discours, se réalisant expressément « contre » le discours médical, ne sont pas intégrés par les médias à moins d’être le sujet central de l’article. Nous rejoignons ici, pour la France, le constat de Karkazis (2008) quant à la couverture médiatique américaine qui tend à perpétuer les paradigmes médicaux et cliniques. Cette médiatisation a-t-elle évolué, notamment avec l’émergence des discours de reconnaissance d’identités plurielles, de revendications d’associations intersexes et de dénonciation des maltraitances médicales ?
21Lors des Jeux olympiques de Londres en 2012, si l’on trouve dans la presse américaine et britannique des articles qui relatent avec empathie le parcours de Caster Semenya en rappelant les humiliations qu’elle a subies, le cadrage général de ces articles se réfère exclusivement, pour la définir, au discours scientifique tel qu’il s’incarne dans les tests de féminité (Boykoff et Yasuoka, 2015). Qu’en est-il quatre ans plus tard, à Rio ?
En 2016, aux Jeux olympiques – Une réhabilitation ambivalente de Caster Semenya avec la construction d’une controverse scientifique (Montañola et Lapeyroux, 2019)
22L’étude de la presse et de la télévision lors des Jeux olympiques de Rio en 2016 (Montañola et Lapeyroux, 2019) met au jour une réhabilitation de l’athlète, sans néanmoins aller jusqu’à invalider les discours scientifiques portés par les instances sportives. L’athlète y est décrite comme victime de l’organisation sportive. Les tests de féminité sont critiqués, la « société » est dénoncée comme responsable de sa discrimination et de sa souffrance (champ lexical de la torture, « traitement inhumain »). Selon les commentateurs TV, l’athlète « s’est pris la société dans la figure », en raison d’une ambiguïté sexuelle peu tolérée et « qui pose des questions et un problème d’ordre social50 ». Les journalistes (presse et TV) dénoncent également le traitement exigé par l’IAAF : « obligée de 2011 à 2015 de prendre des médicaments pour réduire ce taux de testostérone51 », « elle a été priée de suivre des traitements pour “se féminiser”52 ». Deux critères permettent cette réhabilitation. En premier lieu, les athlètes ne sont pas dopées, leur corps produit naturellement ces hormones. Dès lors, Le Monde remet en question l’utilisation de la médecine pour conforter les décisions politiques des institutions sportives. En second lieu, les médias évoquent le manque de preuves scientifiques concernant les avantages supposés des athlètes ayant un haut taux de testostérone. Est-ce à dire que le discours scientifique des institutions sportives serait remis en question ? Non, car la pathologisation est toujours présente, ce qui montre que le discours médiatique adhère à une vision de l’intersexuation qui ne questionne pas les normes de genre. Certains articles ou blogs sous-entendent même que la vie privée de l’athlète, notamment son mariage avec une femme, laisserait planer un doute sur son identité, confondant ici sexe, genre et sexualité : « En tout état de cause, la confusion demeure quand on a à l’esprit que “Caster” est un prénom masculin et que l’athlète est désormais mariée à… une femme53 ». Dans le même sens, le discours médiatique ne remet pas en doute les normes sportives, il partage ainsi l’idée d’une perte du suspense sportif en cas de présence d’athlètes hyperandrogènes. Ainsi, comme en 2009, la chute des articles donne ou redonne une légitimité aux institutions sportives : « l’IAAF présentera dans les prochains mois un nouveau règlement pour ces athlètes qui bousculent la structure sexuée du sport, basée sur des compétitions hommes et des compétitions femmes54. » In fine, les médias reviennent donc vers les locuteurs institutionnels sportifs (CIO, IAAF) et surtout vers la nécessité d’une résolution « scientifique ». C’est ce qu’illustrent ces titres du Télégramme, « Affaire Semenya. Le match des scientifiques55 », et de La Croix, « Affaire Semenya : avant le verdict du TAS, le match des scientifiques56 » (à propos de la tribune de la revue britannique BMJ dans laquelle Cara Tannenbaum et Sheree Bekker invalident l’article scientifique de 2017 commandée par l’IAAF). Les journalistes laissent alors la confrontation de ces études au titre de controverse (Henry, 2007, 2017), désignée comme une « querelle d’experts57 ». Le discours médical porté par les instances sportives reste la référence, et ce malgré les réserves émises dès 2009, y compris au sein de la communauté médicale.
Conclusion
23La médiatisation de la controverse autour de Caster Semenya nous a permis d’appréhender dans quelle mesure cette affaire, dans toute sa complexité, marque une étape non seulement dans la représentation des personnes intersexes et de leur place dans la compétition sportive, mais, également, plus largement, dans la représentation médiatique du genre, au-delà du domaine sportif. Précisons que nous avons ici présenté les constats transversaux ; le détail des lignes éditoriales et des articles est explicité dans les publications mentionnées. Au fil des médias cités, nous avons observé que le renvoi à une parole scientifique générique demeurait centrale pour définir l’athlète, et que c’était la manière dont les journalistes se référaient à cette légitimité médicale qui définissait le point d’achoppement du discours médiatique. L’étude des médias européens entre 2009 et 2017 a révélé la difficulté à faire émerger des discours dissonants. En effet, la controverse scientifique ne remet en question ni la possibilité d’une distinction scientifique entre femmes et hommes ni le bien-fondé des institutions sportives à la réaliser. Plus de dix ans après le début de la controverse, le décalage entre les difficultés auxquelles fait face Caster Semenya pour être reconnue dans le sport et sa popularité58 montre que son combat excède le domaine de l’athlétisme.
24Nous pouvons affirmer que coexistent, dans les arènes médiatiques (parfois au sein du même média ou du même article) des discours opposés. À titre d’exemple, certains articles dénoncent la discrimination des tests subis par Semenya, mais, parallèlement, mettent en avant leur bien-fondé scientifique. Des articles poursuivent la pathologisation (avec des expressions comme « désordres du développement sexuel59 », « Caster Semenya, l’hermaphrodite en piste60 ») et relaient les discours de l’IAAF avec des titres chocs (« Elle est biologiquement un homme61 »), des jugements (« […] remportera certainement une 25e finale consécutive et on ne saura toujours pas trop quoi en penser62 »). Tous continuent d’évoquer le sujet sous forme de polémique scientifique63. Les médias traitent, d’ailleurs, peu de leur propre rôle, au-delà d’une citation comme celle du Monde à propos de Caster Semenya : « Elle a eu le temps d’accuser la “presse internationale” d’être la source de ses maux64. » Il est indispensable de poursuivre les analyses de discours médiatiques qui sont au cœur d’une lutte de représentations entre les différents locuteurs car l’émergence de nouvelles voix – comme les associations intersexes (Bastien Charlebois, 2017) et les chercheures-chercheuses en sciences humaines – enrichit la polyphonie des discours médiatiques et participe à l’évolution de normes sociales discriminantes et stéréotypées. Précisons que, loin de disparaître, les tests « de féminité » se sont étendus, comme ceux de « vérification du sexe » mis en place en 2011 par la FIFA65.
Bibliographie
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Notes de bas de page
1 Tenue au secret médical, l’IAAF n’a pas communiqué les résultats des tests, mais dès août 2009, nombre de médias ont évoqué la « piste de l’intersexualité » (Rose, 2016).
2 Ces enquêtes visent à distinguer hommes et femmes de façon à respecter les catégories qui régissent les épreuves sportives (courses, sauts, etc.). Elles connaissent différentes appellations : test de genre, de féminité ou encore de vérification du sexe. Mis en place en 1966, ces tests ont été controversés et ont évolué passant du test visuel au test gynécologique, puis chromosomique, montrant les limites de chacun de ces critères : des organes aux chromosomes, ou encore aux hormones (Bohuon et Rodriguez, 2016). En effet, la médecine occidentale repose sur une dichotomie entre les deux sexes juridiquement reconnus, en se fondant essentiellement sur les organes génitaux et sexuels (Fausto-Sterling, 2000). Souvent considérés comme humiliants et non fiables scientifiquement, ces tests perdurent néanmoins encore aujourd’hui dans certains sports.
3 Annonce de l’IAAF dans Le Monde, septembre 2009.
4 Annonce de l’IAAF dans Les Échos, 16 juillet 2019.
5 Athletics South Africa. « Nous avons contacté les gens de la Fédération sud-africaine (ASA) pour savoir s’ils avaient des documents permettant d’établir son sexe […] C’est une question que nous prenons au sérieux », dit alors le porte-parole de l’instance Nick Davies. Les Échos, 16 juillet 2019.
6 Les Échos, 16 juillet 2019.
7 Loc. cit.
8 Production jugée excessive d’hormones androgènes, dont la testostérone.
9 Le titre lui revient en 2017 après le déclassement de Mariya Savinova pour dopage.
10 « L’IAAF a établi deux catégories, masculine et féminine, pour les compétitions parce que les athlètes masculins ont, de par leur taille, leur force et leur puissance, un avantage compétitif par rapport aux femmes, en raison (en particulier) d’une masse maigre corporelle et d’un taux d’hémoglobine sérique plus importants, qui sont dus principalement au fait que, à partir de la puberté, ils produisent 10 à 30 fois plus de testostérone que les femmes. Comme nous l’avons déjà mentionné, le TAS a conclu que cette différence justifiait que les athlètes féminines soient protégées par rapport aux athlètes masculins dans les compétitions ». IAAF, règlement régissant la qualification dans la catégorie féminine (pour les athlètes présentant des différences du développement sexuel), notes explicatives/questions-réponses, version 2.0, publiée le 1er mai 2019, en vigueur au 8 mai 2019.
11 https://www.lesoir.be/323745/article/2020-09-08/hyperandrogenie-la-justice-suisse-rejette-le-recours-de-caster-semenya-contre-le
12 Il est à noter qu’une comparaison internationale montre « le caractère répétitif et relativement uniforme des discours tenus sur l’athlète » (Rose, 2016).
13 Ce forum a débuté le 17 août 2009 pour se terminer un mois plus tard, le 20 septembre 2009. Nous avons étudié la structure du forum, le dispositif dialogique (nombre de prises de parole, modalités de réponse), les désignations et l’argumentation (champs lexicaux, rhétoriques, répertoires argumentatifs).
14 167 commentaires.
15 Cette modération est censée bloquer les propos offensants portant sur le physique. Nous avons tenté à plusieurs reprises de prendre contact avec le service de modération de ce forum, sans résultat.
16 Forum FranceTV, jbenji, 17 août 2009, 19:52:39.
17 L’Équipe, 9 septembre 2009.
18 Le Point, 27 août 2009.
19 Le Figaro, 21 août 2009.
20 Slate.fr, 1er septembre 2009.
21 Têtu, 9 avril 2011.
22 Un corpus exploratoire constitué à partir de la presse écrite française et africaine francophone portant sur l’affaire Semenya entre août 2009 et juillet 2010 a permis de dégager les thématiques du trouble axiologique, lié au champ lexical du soupçon (Olivesi, 2016). Les termes appartenant à ce champ lexical du soupçon ont ensuite été recherchés dans un deuxième corpus, anglophone, composé à partir des travaux publiés sur l’affaire et qui comparent les points de vue occidental et africain (Bhula, 2011 ; Cooky et Dworkin, 2013). Ce corpus est complété par un corpus annexe, germanophone, puisque l’affaire a commencé lors des championnats du monde de Berlin.
23 « I stand firm. Yes, indeed, she’s a girl. We are not going to allow Europeans to describe and define our children. » The Canadian Press, 25 août 2009.
24 Elle, 28 mai 2010.
25 Loc. cit.
26 Programme soutenu par l’ANOF.
27 L’analyse menée (Wells, 2014) sur The TrackNet Listserv (TN), un forum canadien consacré à l’athlétisme, montre que les défenseurs comme les opposants aux tests de féminité se réclament du féminisme, chacun déclarant agir pour les intérêts des femmes : protéger les concurrentes et concurrents ou protéger l’athlète (Travers, 2008).
28 Jordan-Young et Karkazis (2019), dans leur publication Testosterone: An Unauthorized Biography, déconstruisent les mythes véhiculés autour de cette hormone, toujours affiliée à la masculinité et utilisée, notamment, pour expliquer des comportements agressifs, violents ou à risque, comme naturels et fondamentalement biologiques.
29 Les réactions présentes sur le continent africain ont contribué à prouver la dimension postcoloniale des représentations de l’athlète et ont cherché à mettre en avant une vision alternative de la féminité et de la masculinité (Lewis et Marshall, 2012 ; Swarr, 2012 ; Nyeck et Epprecht, 2013).
30 Voir également « This week Caster was treated like Saartjie Baartman was: an oddity from Africa, a freak to be poked and spoken about, not spoken to. » « Semenya as the 21st Century Bartmann? », blog de P. Gqola, 24 août 2009. Bailey recourt au terme « misogynoir », une contraction entre racisme et misogynie anti-noirs dans les médias : « Les femmes noires ont longtemps été décrites comme masculines et inadaptées à la féminité dans les médias populaires » (Bailey, 2016, p. 10).
31 Daily Mail, 25 août 2016, cité par Bailey. [https://www.dailymail.co.uk/news/article-3756509/I-came-second-WHITE-race-Polish-runner-says-sorry-uproar-claims-white-silver-medallist-Olympic-800m-final-won-Caster-Semenya.html] Bailey constate que les connaissances produites par le corps médical construisent certains corps comme normaux et d’autres comme pathologiques. Elle décrit une impossibilité des catégories scientifiques à être représentatives de la réalité vécue des corps. Même le camp sud-africain, dans sa défense de Caster Semenya, réaffirme sa féminité, ce qui suggère sa « propre peur des corps non normatifs » (Bailey, 2016, p. 11).
32 L’étude porte sur un corpus de titres de presse écrite européenne de 2009 à 2014 (France, Suède, Royaume-Uni, Espagne, Belgique, Italie, Roumanie), complété par des entretiens avec des journalistes, des représentants d’associations et des médecins. Deux sous-corpus ont été réalisés. Un premier exhaustif à la presse européenne, comprend l’ensemble des articles (toutes formes confondues) évoquant Caster Semenya, depuis le questionnement de son appartenance à la catégorie « femmes » en août 2009 jusqu’à l’annonce de son retour à la compétition en 2010. Le second est un corpus flottant, de la médiatisation évoquant Caster Semenya entre 2010 et décembre 2014, auxquels s’ajoutent des supports web et télévisés : Le Point (newsmag), L’Équipe et L’Équipe Magazine (presse omnisport), Elle (féminine), Jeune Afrique (hebdomadaire consacré à l’Afrique), Têtu (titre LGBT), Eurosport, Paris-Match, LCI.
33 L’Humanité, 21 août 2009. L’image reprise dans la médiatisation télévisée est celle de Semenya s’époussetant les épaules.
34 Aujourd’hui en France, 21 août 2009 et Le Monde, 21 août 2009.
35 Aujourd’hui en France, 3 août 2009.
36 Libération, 21 août 2009. Propos tenus par Pierre Weiss, secrétaire général de l’IAAF.
37 Paris-Match, 14 janvier 2010.
38 L’Humanité, 21 août 2009.
39 Elle, 25 août 2009.
40 Libération, 21 août 2009 : « Inconnue en début de saison, Semenya avait fait sensation aux championnats d’Afrique juniors, le 31 juillet à l’île Maurice : seule de bout en bout, deux tours de piste bouclés comme à l’entraînement – malgré un vent violent – en 1’56’’72, meilleure performance mondiale de l’année, toutes catégories d’âge confondues. Un an plus tôt, elle mettait 2’04’’ pour boucler ses deux tours. Aux championnats du monde juniors 2008, elle avait disparu dès les séries ». Nous trouvons le même procédé dans Le Figaro, 21 août 2009 et Eurosport, 1’54.
41 Nous trouvons ce terme dans les communiqués de presse de l’IAAF. [https://www.worldathletics.org/news/news/statement-on-caster-semenya]
42 Libération, 21 août 2009.
43 Libération, 21 août 2009.
44 Libération, 2 octobre 2009.
45 Le Figaro, 21 août 2009.
46 Le Soir, 6 juillet 2010.
47 L’Humanité, 21 août 2009.
48 Aujourd’hui en France, 3 septembre 2009.
49 L’Équipe, citant Karyan Maughan, journaliste au Cape Argus.
50 France 3, 18 août 2016.
51 « Des championnes trop “testostéronées” », Le Monde, 20 août 2016.
52 Ibid.
53 Blog Médiapart, 25 août 2017. [https://blogs.mediapart.fr/bernard-gensane/blog/250817/politiquement-correct-et-championnats-du-monde-d-athletisme]
54 RMC, 21 août 2016. [https://rmcsport.bfmtv.com/jo/jo-2016-les-medaillees-du-800m-muettes-sur-le-theme-de-l-intersexualite-1028076.html]
55 21 mars 2019.
56 21 mars 2019.
57 Le Parisien, 6 juin 2019. [http://www.leparisien.fr/sports/football/coupe-du-monde/mondial-2019-pourquoi-un-test-de-feminite-peut-etre-reclame-en-plein-tournoi-06-06-2019-8087859.php]
58 Elle est élue le 6 mars 2019 parmi les « jeunes sud-africains les plus influents » dans la catégorie « Sport » à la suite d’un sondage de l’agence Advance Media [https://www.timeslive.co.za/news/south-africa/2020-01-23-here-are-the-100-most-influential-south-africans-of-2019]. Voir également le texte-manifeste qu’elle a publié dans The Player’s Tribune le 27 septembre 2019 : « I wanted to be a soldier. And I am in some ways now — fighting for fairness. Fighting for gender rights. » [http://projects.theplayerstribune.com/caster-semenya-gender-rights/p/1]
59 Libération, 2 octobre 2009.
60 Le Figaro, 30 août 2011. [https://www.lefigaro.fr/sport/2011/08/30/02001-20110830ARTFIG00633-caster-semenya-l-hermaphrodite-en-piste.php]
61 La Gazetta dello Sport, 18 juin 2019. [https://www.gazzetta.it/Atletica/18-06-2019/atletica-shock-caster-semenya-iaaf-biologicamente-uomo-340175823668.shtml]
62 L’Équipe, 29 juin 2018. [https://www.lequipe.fr/Athletisme/Article/Le-cas-caster-semenya-divise-toujours-autant-le-monde-de-l-athletisme/916910]
63 « Testostérone : hommes et femmes passent toute leur vie sous son influence », Le Figaro, 27 janvier 2020.
64 Le Monde, 26 septembre 2009. [https://www.lemonde.fr/sport/article/2009/09/26/caster-semenya-questions-sur-une-championne_1245519_3242.html]
65 « Êtes-vous une femme selon la FIFA ? Faites le test », Rue89, 6 juin 2015.
Auteurs
Sandy Montañola est maîtresse de conférences en Sciences de l’information et de la communication au laboratoire Arènes. Elle est responsable du DUT journalisme de l’université de Rennes-1 et vice-présidente de la Conférence des écoles en journalisme. Spécialisée dans les recherches consacrées au genre et au journalisme, elle mène des travaux d’observation des journalistes à l’occasion de la couverture d’événements sportifs et analyse les discours médiatiques, notamment dédiés aux sportives de haut niveau, à l’intersexualité, ou encore à la pratique sportive des femmes enceintes. Elle a publié, notamment Gender Testing in Sport. Ethics, Cases and Controversies (2016) et L’Assignation de genre dans les médias (2014).
Aurélie Olivesi est maîtresse de conférences en Sciences de l’information et de la communication à l’université Claude-Bernard Lyon-1 – ELICO (EA 4147). Son travail porte sur la dimension politique du discours médiatique, à travers d’une part la représentation et l’expression du genre, et d’autre part la mise en œuvre de la parole profane. Elle a publié une monographie consacrée à l’élection présidentielle de 2007 (Implicitement sexiste ? Genre, politique et discours journalistique, 2012), et codirigé deux ouvrages collectifs (L’Assignation de genre dans les médias, 2014, et Gender Testing in Sport. Ethics, Cases and Controversies, 2016).
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